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De René de Ceccatty, la pièce de théâtre « Frühling », au printemps de son magnifique parcours d’écrivain ; ou de quoi « parfaire un portrait déjà presque complet »…

17mar

En cette arrivée de printemps 2023,

voici que Bruno Smolarz,

que René de Ceccatty _ et sur son œuvre lire d’abord mon article du 12 décembre 2017, consacré à son livre (et chef d’œuvre !) décisif « Enfance _ dernier chapitre« , paru chez Gallimard le 2 février 2017« « , et celui du 24 mai 2016, consacré à son magnifique roman « Objet d’amour« , paru chez Flammarion le 30 septembre 2015  : « «  _ avait eu l’occasion de rencontrer, en 1977, lors de son long séjour au Japoncf son « Mes Années japonaises« , paru en 2019 ; sur ce livre, cf mon article du 20 avril 2019 : « «  _, tous deux avaient « sympathisé à l’Institut franco-japonais où nous enseignions ensemble« , à Tokyo,

vient proposer sa publication, aux Éditions Atéki, du tout premier texte paru, en l’occurrence une pièce de théâtre, de René de Ceccatty, rédigée à l’âge de seize ans, en mai 1968, créée à Montpellier le 21 juin 1969, puis reprise au mois de juillet 1969, pour 17 représentations au Festival d’Avignon, la pièce de théâtre « Frühling« ,

dont Bruno Smolarz a assez récemment découvert un des très rares exemplaires, relié et dédicacé (par René à son cousin Claude Antony _ auparavant, Bruno Smolarz s’était procuré chez un libraire à Paris la plupart des livres de René de Ceccatty que celui-ci avait dédicacés à l’ami Hector Bianciotti, décédé depuis, en 2012) _), sur Internet sur le catalogue d’un libraire de livres anciens… 

D’où ce désir amical de faire plus largement partager au lectorat fidèle de René de Ceccatty cet en quelque sorte opus 1 de son œuvre…

L’édition de ce livre-ci adjoint à ce « Fruhling » de 1968-1969 (aux pages 57 à 93),

outre un riche très intéressant Avant-propos de l’auteur intitulé « Sans coulisses ni rideau » (aux pages 15 à 43),

et un dossier de presse d’articles parus en Provence au mois de juillet 1969 (aux pages 97 à 113),

les tout à fait précieux témoignages d’aujourd’hui des deux autre interprètes, avec René de Ceccatty lui-même, de cette pièce interprétée à trois 3 fois à Montpellier, puis 17 fois à Avignon en juillet et juillet  1969 :

Nathalie Castagné (« Une autre présence« , aux pages 115 à 134),

et Colette Smirou (« L’échelle« , aux pages 135 à 149);

et enfin, extrait de « Personnes et personnages » _ dont René m’a fait cadeau d’un exemplaire, précédemment dédicacé de sa main à sa « chère mamie« , sa grand-mère maternelle Françoise (« douce et affectueuse« , née au Telagh, en Algérie, le 13 février 1893 et décédée à Bagnole-Sur-Cèze, le 23 mai 1983), et re-trouvé, lui aussi, par lui cette fois, chez un libraire de livres anciens, avec ces mots : « et pour Francis Lippa dont les recherches méritaient bien que ce livre fasse un long chemin pour lui arriver. Amicalement, René de Ceccatty, 38 ans plus tard le 18 octobre 2017« ... ; page 7, le livre est dédié « à Eilathan«  _, paru aux Éditions de la Différence, en 1979 (aux pages 193 à 221), la suite de « Frühling« , intitulée « Frühling II« , aux pages 151 à 212.   

Ce même 18 octobre 2017, René m’avait aussi adressé son merveilleux « Jardins et rues des capitales _ roman«  _ achevé d’imprimer le 25 septembre 1980, avec cette autre dédicace de sa main : « Pour Francis Lippa qui retrouvera dans ces pages une Italie qu’il aime et pourra parfaire un portrait déjà presque complet. Amicalement, René de Ceccatty, Paris le 18 octobre 2017« . Paru en 1980, et lui aussi aux Éditions de la Différence de Joaquim Vital et Colette Lambrichs. Un chef d’œuvre singulier absolument éblouissant _ le livre est toujours disponible en librairie.

Au delà de la diversité des genres abordés par ses multiples _ et très divers… _ livres , depuis, désormais, ce « Frühling » de 1968 qui paraît ce mois de mars 2023 aux Editions Atéki, et ce « Personnes et personnages » paru en 1979 aux Éditions de la Différence, et jusqu’à « Le Soldat indien » _ cf par exemple, et parmi plusieurs autres que j’ai consacrés sur ce blog « En cherchant bien«  à cet opus, mon article « «  du 3 février 2022  _ paru aux Éditions du Canoë de Colette Lambrichs le 4 février 2022,

l’œuvre de René de Ceccatty _ de même que sa personnalité ! _ comporte une très puissante lumineuse unité dont on perçoit de tous premiers bourgeons en cet opus quasi premier qu’est ce « Frühling » de mai 1968 _ « Bien que cette œuvre ait été écrite en mai 68, on n’y sent ni âpreté, ni révolte, ni surtout rien qui rappelle le souffle révolutionnaire« , écrivait la journaliste Annie Voiron dans un article du Méridional intitulé « Retrouvailles au Café-Théâtre avec « Frühling » » le 13 juillet 1969, peut-on lire à la page 101… Et à la page 99, une splendide photo de René de Ceccatty et Nathalie Castagné pris sur le vif d’un entretien avec le journaliste J. Faure à propos de « Frühling« , parue dans Le Dauphiné Libéré du 11 juillet 1969, en un article intitulé, lui, « Chez Janot Lartigue, trois étudiants renouvellent l’expérience du café-théâtre en présentant, dès ce soir, « Frühling ou le printemps de la vie«  »

Et je me permets de citer ici cet extrait _ qui n’a pas pris une ride ! _ de mon article du 12 décembre 2017 « « , à propos de l’indispensable « Enfance _ dernier chapitre » :

« ce merveilleux et magnifique chef d’œuvre pourquoi craindre le mot ? ou l’éloge ? je ne le gaspille pas, tout gascon pourtant que je suis _ qu’est Enfance, dernier chapitre

me paraît illuminer du miracle de sa force de vérité, et de sa considérable richesse et densité sans cesse dansante et virevoltante, traversée qu’elle est des lumineuses fulgurances, parfaitement dynamisantes, de ses « télétransportations«  : voilà, peut-être ai-je ici mis le doigt sur une clé décisive de son écriture-inspiration ! _ toute la décennie littéraire 2010 :

rien moins que ça ! Et j’insiste !

 Parviendrais-je, pour ma modeste part, à assez le faire bien entendre ?  j’y tiens beaucoup.
Partager ce qu’on place haut est un devoir d’honnête homme prioritaire : je n’aimerais pas demeurer seul dans la joie de mon admiration de lecteur ! Face à la misérable prospérité journalistique ignare, si aisément satisfaite de tant d’impostures grossières en littérature, cyniquement reposée sur le critère chiffré du « puisque ça se vend ! « , et partie prenante pseudo-culturelle du nihilisme régnant…

En effet, quasiment six mois de lectures-relectures hyper-attentives, plume à la main et qui encore se poursuivent _,

car j’ai très vite pris conscience que cet Enfance, dernier chapitre reprenait et prolongeait, en un très vaste geste de grande cohérence et d’archi-lucide approfondissement,

rien moins que l’œuvre entier,

ainsi que, plus fondamentalement encore _ puisque c’est l’intelligence sensible de celle-ci, la vie, qui constitue le fond de la visée de son écriture _, la vie entière de René de Ceccatty

vie entière reprise et éclairée, et magnifiée, par le travail hyper-scrupuleux (de la plus grande honnêteté) et d’une stupéfiante lucidité, de son extraordinairement vivante et palpitante écriture, sans temps mort, tunnel, lourdeur, ni faiblesses ! Quels défauts peut donc bien trouver encore René de Ceccatty à son livre ? Je me le demande… Montaigne trouvait-il, lui aussi, des défauts à ses Essais ? Ou Proust à sa Recherche ? Et que René de Ceccatty ne se sente pas accablé par ces comparaisons pour son livre !

Sur cet enjeu majeur de la lucidité de la visée de fond de l’intelligence même de sa vie _ sur ce sujet, se reporter au sublime raccourci, si essentiel, de Proust : « La vraie vie, c’est la littérature «  _,

l’enquête la plus probe et fouillée qui soit que mène ici René de Ceccatty, recherche rien moins que ce qu’il nomme son « enfance intérieure », en s’employant non seulement à débusquer-révéler-mettre au jour (et comprendre !) sinon ce que factuellement celle-ci fut, en son bien lointain désormais ressenti, au moins via quelques approximations ou équivalences de celui-ci, ce ressenti passé et enfui ; mais aussi esquisser ce que peuvent et pourront en être de coriaces effets dévastateurs, encore, à long terme, tels que ceux-ci parfois persistent en l’âge adulte, et souvent pour le pire ».

Ce vendredi 17 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un certain goût de l’ailleurs, mais un refus du romanesque et l’horreur de l’oubli d’un passé qui n’a pas dit son dernier mot : un cadre de recherche pour l’analyse de la poiétique de René de Ceccatty en la succession de ses récits autobiographiques

25jan

En poursuivant ma lecture un peu plus approfondie du « Soldat indien » de René de Ceccatty _ à paraître le 4 février prochain aux Éditions du Canoë _,

et précisant ainsi mon regard sur son nouveau récit, parti _ mais surtout admirablement travaillé à partir de ces tous premiers éléments reçus-là… _ d’éléments autobiographiques immédiatement actuels ou du moins récents _ en avril 2019, un retour (effondré !) sur le lieu (dévasté) de sa maison d’enfance, tout fraîchement détruite pour faire place à de nouvelles constructions, à Mégrine, une banlieue qui fut résidentielle de Tunis, à l’occasion d’un séjour de trois jours à Tunis pour un banal colloque de plutôt pauvre intérêt… _,

mais aussi et surtout, et très très vite, à partir d’éléments je dirai « enchâssés » _ Mégrine (le titre du second chapitre, pages 24 à 26, est ‘La Chute« , en une allusion à une malencontreuse chute survenue à Tunis, devant la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul, le 12 avril 2019 ; mais, vite relevé et lestement muni de nouvelles chaussures, René de Ceccatty embraye tout aussitôt : « j’ai voulu me transformer en poète, nostalgique et conscient. Et je me suis dirigé vers la gare pour sauter dans le train de Radès, en direction du village de mon enfance, Mégrine ») ;

Mégrine, en Tunisie, donc, renvoie, à moins que ne soit là une « télétransportation«  inverse, à Kagurazaka, à Tokyo, au Japon (le titre du tout premier chapitre de ce « Soldat indien« , aux pages 19 à 23, est « Souvenir du Japon » ;

de fait, l’appartement « avec vue » de Kagurazaka fut, de fin septembre 1977 au 30 juin 1979, pour René de Ceccatty, un lieu magiquement propice à l’écriture de « télétransportation » de ses souvenirs fantasmés de Paris et de Rome (pour ce qui aura été son second livre publié, en 1980 : le splendide « Jardins et rues des capitales« ) ;

et voici l’admirable phrase d’ouverture du « Soldat indien« , à la page 19 : « Voilà, la nuit tombe _ où ? à Paris ? à Montpellier ? En quel lieu de ressouvenance ou/et d’ écriture ? Ce n’est pas précisé _ et me reviennent les premières heures précoces de l’obscurité à Kagurazaka, ce nom que j’aurais dû m’interdire de prononcer une fois écrits les souvenirs de mon séjour japonais _ « Mes Années japonaises« , paru en 2019 _, comme si suffisait _ bien sûr que non ! le passé resurgissant et continuant à venir travailler toujours… _ à la mémoire le patient et régulier travail d’une retranscription minutieuse d’images, de sensations retrouvées pour qu’elle se referme sur elle-même, forte de cette construction mentale, de cette prétendue charpente d’un passé resurgi et restructuré, matérialisé de quelques pages remplies, recopiées, imprimées, rendues publiques, si discrètement que cela ait été «  ; j’y reviendrai… ;

et je détache encore ceci de crucial, à la page 21 : « Et quand j’écris Kagurazaka, nom du quartier où je vivais il y a quarante ans (…), ce n’est évidemment pas le lieu , géographiquement facile à situer, que je désigne (…), mais une zone de ma mémoire _ toujours vivante et vibrante _ qu’en l’ayant évoquée ailleurs je n’ai pas épuisée ») ;

et il faut bien sûr ne pas non plus manquer de remarquer que ce si beau livre se conclut, à la page 152, sur un chapitre d’une unique page, intitulé « L’Entrelacs« , avec une référence finale conclusive à « une belle vision du moine Dôgen » : « Rares sont ceux qui savent que les événements sont des entrelacs de glycine. Personne n’y prête l’oreille. Nul ne l’exprime encore. Peu en font la preuve »… Et de fait beaucoup de l’art de penser comme d’écrire de René de Ceccatty est en harmonie éminemment sensible avec cette intuition profonde de poiesis-là… _ ;

à partir d’éléments, donc, situés _ et ressurgissant ! _ beaucoup plus en amont de sa vie _ René de Ceccatty est né le 27 décembre 1951 ; lire, bien sûr, son à la fois lumineux et éblouissant « Enfance, dernier chapitre » ; cf mon article du 12 décembre 2017  «  «  _ ;

ou, encore, d’éléments étroitement connectés à la chaîne de transmission de son histoire familiale, je veux dire à travers les souvenirs de récits que René a pu directement recueillir, puis se ressouvenir, plus ou moins volontairement, à divers moments de sa vie, et dès sa prime enfance, de divers membres de sa famille :

_ d’abord, ses deux parents :

Ginette Fréah (Mateur, 22 mai 1924 – Montpellier, 21 juin 2015) et Bernard Pavans de Ceccatty (Lavilledieu-du-Temple, 27 octobre 1925 – Montpellier, 25 janvier 1984) ;

_ puis, trois de ses quatre grands-parents :

Françoise Antony (Le Telagh, 13 février 1896 – Bagnols-sur-Cèze, 23 mai 1983, précocément veuve d’Hamida Freah dès le 13 mars 1934),

Madeleine Brouillonnet (Frontignan, 2 décembre 1896 – Montpellier, 3 juillet 1995) et Valbert Pavans de Ceccatty (Ecrilles, 29 novembre 1897 – Montpellier, 8 novembre 1965) ;

_ ainsi, aussi, que quelques uns, trois, de ses huit arrière-grands-parents avec lesquels René a pu de vive voix plus ou moins richement échanger :

Gabrielle Durand (Valence d’Albigeois, 13 février 1872 – Montpellier, 26 février 1974) et Michel Antony (Calvi, 11 septembre 1866 – Montpellier, 15 avril 1961),

et Marguerite Richard Migneret de Cendrecourt (Montmirey-la-Ville, 14 juillet 1874 – Sainte-Alvère, 24 novembre 1970, brutalement séparée, sans un seul mot d’explication _ enfuie à la sauvette de Sfax ; cf le « Valbert, ou la vie à demi-mot«  de Max de Ceccatty (Sfax, 1922 – Montpellier, 2009), l’oncle paternel de René, un récit paru en 2002 à L’Harmattan… _, puis presque aussitôt veuve, d’Alphonse Pavans de Ceccaty, né à Mantry le 8 septembre 1868 et décédé à Sfax à la fin de l’année 1921. Alphonse et Marguerite s’étaient mariés à Montmirey-la-Ville le 16 août 1893…)

« Le passé, à travers moi, n’a pas dit son dernier mot. Au va-et-vient capricieux et inéluctable de ma mémoire, je dois me soumettre, me résigner«  _ ne serait-ce, déjà, que dans les rêves nocturnes du sommeil ; mais pas seulement eux… _, lit-on aux pages 22-23 du premier chapitre du « Soldat indien » ;

soient, ce « va-et vient capricieux et inéluctable de (la) mémoire« , formant des aliments essentiels _ par leur formidable puissance de vie, même impure, retravaillés par des strates antérieures (et recouvrantes) de souvenirs qu’ils sont, ces souvenirs raffleurant… _ et principiaux de la poiétique _ admirablement ressaisie et magistralement assumée, en ses infinis et toujours approximatifs merveilleux tâtonnements nécessaires ; cf, pour ce « Soldat indien« , cette expression à la page 12 de l’Avant-Propos : « J’ai voulu l’aridité d’un récit qui ne cache ni ses manques ni ses difficultés _ voilà _ à faire renaître _ certains Arts y aidant _ un homme obscur«  : l’ancêtre Léopold Pavans de Ceccaty, « le soldat indien » de ce récit-ci ; mais cela vaut pour tous les récits de René de Ceccatty, ces souvenirs évanescents mais revenant le visiter, étant au cœur, ou à la racine, de sa vibrante et si vivace poiétique, et des formes mouvantes, fugaces, que l’écriture vient laisser... _, de René de Ceccatty, depuis son expérimental  « Personnes et personnages » de 1979 et son magnifique et courageux « Jardins et rues des capitales » de 1980.

Voilà un premier cadre pour ma recherche d’identification, à partir de données biographiques accessibles, de la poiétique d’auteur de René de Ceccatty.

Ici, à partir du but qu’il s’est donné et nous indique dès l’ouverture de l’Avant-Propos, à la page 7 de ce « Soldat indien« , je cite :

« Ayant entrepris le récit de ma vie dans mes deux précédents livres _ « Enfance, dernier chapitre« , en 2017, et « Mes Années japonaises« , en 2019 _,

j’ai eu l’idée de remonter dans le passé, pour comprendre la logique ou l’illogisme de l’installation de mes grands-parents _ et paternels, côté Pavans de Ceccaty, Alphonse et son épouse Marguerite, venus du Jura et installés à Sfax, en Tunisie, en 1903 ; et maternels, côtés Durand et Antony, venus de l’Albigeois et installés au Telagh, en Algérie, en 1884, pour les Durand ; Michel Antony, né à Calvi en 1866, et garde des Eaux-et-Forêts, avait été affecté, en Algérie, au Telagh : la fille aînée de ce couple, Françoise Antony, est en effet née au Telagh le 17 février 1896 ; puis, le couple et cette fille aînée, Françoise, sont passés en Tunisie, où leur sont nés deux garçons, Gaston, à Hammam Lif, en 1908, et André Antony, à Béja, en 1910 _ dans les colonies nord-africaines.

N’y avait-il pas une fatalité _ voilà _ dans ces départs, ces défaites, ces exils, ces confrontations avec d’autres langues, d’autres cultures, d’autres modes de vie ? Les deux branches, maternelle et paternelle, ne s’étaient guère enrichies aux dépens des peuples colonisés : elles avaient seulement tenté de réagir à leurs ruines respectives. Du côté des ancêtres de mon père, le phylloxéra avait dévasté les vignes du Jura. Du côté de ceux ma mère, une auberge albigeoise qu’ils tenaient avait pris feu. Les deux familles ruinées avaient tenté leurs chances, l’une en Algérie, l’autre en Tunisie. Mes parents _ Ginette et Bernard _ deux ou trois générations plus tard, avaient réuni les sangs » _ il s’étaient mariés à la cathédrale Saint-Vincent de Tunis le 24 avril 1946, le lendemain de leur mariage civil…

Et au chapitre intitulé « Les Femmes de la famille« , aux pages 48-49 de ce « Soldat indien« , René de Ceccatty, qui n’est guère porté sur les recherches généalogiques, s’amuse à retracer, d’une part, les sûres filiations maternelles, remontant, de fille en mère, assez haut dans le temps dans l’Albigeois ; et, d’autre part, les plus incertaines filiations paternelles « Pavans de Ceccatty » _ « Il faut compter sur la fidélité conjugale de toutes les femmes qui me séparent de Léopold pour me convaincre que je porte de ses gènes (…) À ce seul prix, la chaîne des six générations qui nous séparent (il est le premier maillon, moi le huitième) n’est pas rompue. En matière d’ADN, il serait plus sûr de remonter du côté maternel et de s’enfoncer dans l’Albigeois, puisque les femmes venaient de ce côté-là, ne remontant tout au plus que vers l’Auvergne » précise ici René de Ceccatty _, en remontant de fils en père au moins légitime jusqu’à ce « soldat indien » Léopold, soit Charles-François-Léopold Pavans de Ceccatty, né à Quingey le 24 février 1724, et décédé à Salins-les-Bains, le 3 février 1784.

Lui-même était fils de Jacques-François Pavans de Ceccatty (lieutenant-colonel, baron), et petit-fils de François Pavans de Ceccatty (gouverneur de l’Académie royale de Besançon en 1662 ; originaire de la République de Venise, celui-ci était écuyer de l’Académie de Besançon, transportée depuis peu à Bruxelles, et fait baron à la date du 26 août 1673 par le Roi d’Espagne Charles II _ c’est seulement en 1678, par le Traité de Nimègue, que la Franche-Comté cesse en effet d’être espagnole, pour devenir possession française…

À suivre…

Car il me faut essayer de cerner davantage encore la singularité de la poiesis de René de Ceccatty en l’écriture de ces admirables récits à entrelacs, ou enchâssés, comme j’aime les lire

_ et comme, aussi, j’aime moi-même penser et écrire mes articles…

Car le réel _ et les rencontres dont perpétuellement il naît, paraît, puis disparaît, en ses incessantes métamorphoses… _ est en effet tissé de tels entrelacs odoriférants et colorés de glycines…

Que l’on peut toucher, sentir, saisir, et même cueillir, pour un moment au moins _ en saisissant bien ce que vient offrir le malicieux et impitoyable Kairos _, à la furtive floraison…

Avant l’effacement et le silence.

Dans le Temps imparti et donné au vivant.

Ce mardi 25 janvier 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un tout premier regard, inaugural, sur « Un Soldat indien », troisième volet (aux Editions du Canoë) des essais de récits presque autobiographiques de René de Ceccatty ; au final de ma première lecture de cet opus…

24jan

Après l’admirable « Enfance _ dernier chapitre » _ aux Éditions Gallimard en 2017 ; cf mon article du 12 décembre 2017 : « « _,

puis le passionnant « Mes Années japonaises«  _ au Mercure de France en 2019 ; cf mon article du 22 avril 2019 : « «  _,

paraîtra le vendredi 4 février prochain, aux Éditions du Canoë, le troisième volet de ce que je me permets de qualifier d’ « essais de récits presque autobiographiques de René de Ceccatty« ,

intitulé « Le Soldat indien« ,

que très aimablement m’a adressé l’éditrice, Colette Lambrichs…

La cohérence du projet d’écriture

_ mais il faudrait remonter beaucoup plus haut que 2017 : dès les tous premiers livres publiés par René de Ceccaty, aux Éditions de La Différence (dont Colette Lambrichs a été la directrice depuis 1976) : l’encore expérimental « Personnes et personnages« , en 1979 ; et l’extraordinaire chef d’œuvre qu’est « Jardins et rues des capitales« , en 1980, tous deux très justement qualifiés de « récits«  (et au pluriel, les deux fois : ce n’est pas anodin) _

de René de Ceccatty est absolument patente,

ainsi que l’indique ce passage de l’Avant-Propos à ce « Soldat indien« , à la page 12,

concernant la forme à donner, par l’auteur, à sa volonté claire et forte de « résurrection d’une figure _ certes tout à fait _ mineure du passé » _ tant historique que familial, c’est aussi à relever _ telle que celle de son lointain ancêtre (Quingey, 15 février 1724 – Salins-les-Bains, 3 février 1784), Léopold Pavans de Ceccaty _ accompagné des figures non moins négligeables de son épouse Marie-Jeanne Lenoir (Pondichéry, 2 décembre 1741 – Salins-les-Bains, 1835), et leurs enfants survivants : Jeanne, Marie-Anne (nées, toutes les deux, en Inde, en 1759 et 1764) et Julie-Dorothée et Alexandre-Louis (nés, eux à Salins-les Bains, Jura, en 1773 et 1778) Pavans de Ceccatty _ :

« Cette figure, je n’ai pas voulu, comme on aurait été en droit de s’y attendre de la part d’un écrivain, lui donner une forme biographique, ni une forme romanesque. J’ai voulu l’aridité _ voilà ; mais pas si aride que cela ; que l’on se rassure ! tant est riche de mille nuances de sensibilité comme d’intelligence l’écriture si vivante, en sa sobriété (et culture éclairante), de l’auteur… _ d’un récit qui ne cache ni ses manques ni ses difficultés à faire renaître un homme obscur« , lit-on page 12.

Et l’auteur de préciser à la page suivante :

« Faute d’archives plus directes, je me suis reporté sur l’Histoire de la Compagnie des Indes _ le soldat Léopold a en effet séjourné quatorze ans en Inde, du 8 septembre 1757, quand il débarque à Pondichéry, jusqu’en 1771, quand « Léopold et sa famille retournent en France«  _ et celle de Pondichéry, sur celle des guerres _ en Europe comme aux Indes _, sur celle du procès de Lally-Tollendal, et sur différentes œuvres littéraires (de Voltaire, de William Thacckeray _ « Mémoires de Barry Lyndon« , en 1843 _, de Bernardin de Saint-Pierre _ »Voyage à l’Île de France, à l’île Bourbon et au cap de Bonne-Espérance« , en 1773  _, de Judith Gautier _ « La Conquête du Paradis« , en 1887 -1890 _, que je cite çà et là dans une bibliographie finale).« 

Et René de Ceccaty d’ajouter aussitôt :

« Comme cela m’est arrivé plusieurs fois dans d’autres livres, j’ai eu surtout recours à des œuvres picturales. Ici pour imaginer les derniers jours _ en France, et dans le Jura _ de Marie-Jeanne Lenoir, la veuve de Léopold, et de ses deux filles _ toutes les trois nées en Inde. Trois tableaux m’ont servi de fils conducteurs.

Une œuvre de Johann Zoffany, Colonel Blair with his Family and an Indian Ayah. Johann Zoffany est célèbre pour ses conversation pieces, tableaux de famille dans un intérieur _ cf déjà la présence de Johann Zoffany dans le très beau roman « L’Hôte invisible« , en 2007. IL a vécu en Inde à la même époque que mon ancêtre et a donc représenté un militaire qui était le double parfait de Léopold, avec sa femme, ses deux filles et la petite servante indienne.

La deuxième œuvre est celle de Nicolas-Bernard Lépicié, autre contemporain vivant dans le Jura, lui aussi auteur de conversation pieces _ cf le superbe film de Visconti, « Conversation piece« , en 1974 _, comme le Portrait de la famille Leroy.

Enfin, la troisième est de Gustave Courbet qui vivait dans la même région que Léopold. Il s’agit du Ruisseau du Puits Noir dans la Vallée de la Loue.

(…)

La rêverie finale _ fictive _ sur le tableau qu’auraient fait ensemble Nicolas-Bernard Lépicié et Johann Zoffany, et sur la mort de Marie-Jeanne, et plus tard d’Anjali, l’ayah ramenée des Indes, est la seule partie imaginaire _ voilà _  de ce livre, qui ne se veut pas romanesque _ surtout pas _, car son sujet, loin d’être l’incarnation _ réalisée _ d’un passé qui a laissé peu de traces, est au contraire l’effacement _ rendu, avec une sobre piété filiale, manifeste _ de figures vouées à l’échec et à l’oubli.

(…)

Je n’ai _ ainsi _ pas voulu romancer une histoire à partir de traces si rares, tant dans des papiers familiaux que dans des registres d’état-civil conservés aux Archives d’Outremer, à Aix-en-Provence. L’hôtel familial acquis par Léopold à Salins-les-Bains à son retour, a été transformé en gîte de luxe, l’Aristoloche, nom dérisoire qui dit _ ironiquement _ tout.

Ni éclat, ni silence, tel a été mon choix _ parfaitement assumé par le récit. Beaucoup de dates, beaucoup de noms, qui jalonnent cette promenade dans le passé et lui donnent une allure, sinon une garantie, d’objectivité.

Les êtres qui vivent dans mon imagination _ au fil de ces pages _ sont ceux dont je ne sais rien d’autre que ce que ces artistes m’ont permis _ en figurant de fidèles analogues _ de connaître _ en leur fugace et tremblante vérité. Anjâli est le seul nom inventé, les autres désignant des personnages de l’Histoire et de la mienne« .

Le reste de mon aperçu de lecture-relecture est donc à suivre…

Ce lundi 24 janvier 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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