En hommage à ce grand vivant qu’a été Jacques Merlet (5-12-1931 – 2-8-2014),
je me permets de reproduire un très beau texte de Marcel Pérès, explicitant la conception de son (très heureux !) choix des psaumes qu’il a dits, et d’abord qu’il a lui-même choisis, lors de la très belle cérémonie des obsèques de Jacques Merlet, le jeudi 7 août dernier, en l’église (et ancienne abbatiale) Sainte-Croix de Bordeaux.
Je dois ajouter que Benjamin Alard était (magnifiquement !) présent à l’orgue Dom Bedos de Sainte-Croix ; orgue (restauré par le facteur Pascal Quoirin) pour lequel, instrument unique, Jacques Merlet avait tant fait !
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Ce texte remarquable de Marcel Pérès sera ici assorti de mon commentaire de certaines des expressions de son auteur.
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Cher Marcel Pérès,
je ne vous avais pas reconnu « officiant » à Sainte-Croix, pour ce bien beau Tombeau de l’ami Jacques.
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Mais je veux ici vous remercier
et de ce que vous avez si splendidement « porté », par votre voix et d’abord par votre choix, lors de ce Tombeau,
et de votre mot si juste à France Debès _ mot sur lequel je me permets de « gloser », en contrepoint (et pas trop lourdement, j’espère), de vous _,
ainsi que des magnifiques textes de vous que vous y joignez, en fichiers attachés :
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tout particulièrement votre texte rédigé à Ronda,
qui va droit au cœur (et l’âme) du philosophe que je suis,
un peu sensible au jeu du tissu complexe du temps
_ celui de notre vie, mortelle :
mais la mort n’est que le modeste prix biologique à payer pour la prodigalité heureuse du renouvellement sexué des générations ;
place aux jeunes !.. _,
et de (ou plutôt avec) la dimension si puissante d’éternité, en quelque sorte surplombant à tout moment le temps,
et lui donnant cette dimension décisive (élévatrice) de verticalité ;
et que le miracle de l’art (et il y faut aussi la grâce de l’interprétation, à ce moment et en ce lieu)
est en mesure de rendre très physiquement sensible,
pour peu qu’on accepte, aussi, d’ y prêter si peu que ce soit, hic et nunc, sa propre aisthesis…
Car on peut aussi, cela arrive hélas, s’y fermer : mauvaise humeur, rage de dents, colère, pulsion masochiste, bêtise, etc.
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Tout est donc affaire de capacité (ponctuelle) à accepter la rencontre…
Celle du divin Kairos artiste !
Et cela, nécessairement, et s’apprend, et se cultive…
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Avec reconnaissance pour tout cela,
et bien sûr aussi pour votre œuvre, cher Marcel Pérès,
Francis Lippa, à Bordeaux
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Début du message réexpédié :
De: Marcel Pérès
Objet: Explicatio…
Date: 10 août 2014 02:14:37 UTC+2
À: France Debes
Répondre à: Marcel Pérès
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Bonsoir France et à tous ceux et celles à qui tu transmettras ma lettre !
Ici commence le très beau texte de Marcel Pérès,
que voici :
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Oui… effectivement … on peut se poser bien des questions sur le rituel dont Jacques a bénéficié pour ses funérailles. Ce fut un grand moment _ d’intensité splendide et sobre, à la fois _ car, à aucune étape de sa conception, l’officiant, le père Jean Ariel, ne fut un obstacle, comme c’est malheureusement bien souvent le cas _ en effet, tout et tous doivent y aider… J’ai alors pu déployer toute mon intuition _ magnifique ! _ et laisser s’exprimer les textes qui spontanément émergeaient dans ma conscience lorsque je tournais mes pensées vers Jacques et plus précisément la quintessence de ce que fut sa personnalité, expression de son être _ bravo ! Vous avez été merveilleusement inspiré ! Le père m’avait proposé quelques psaumes, que l’on chante habituellement dans les offices pour les défunts (miserere, de profundis…). Mais je sentais que ces textes ne convenaient pas _ fonctionnant, habitudes trop bien installées aidant, comme des clichés : impersonnels ; des formules, à l’usage banalisé, usées. Jacques Merlet méritait un hommage mieux fidèle à la singularité de sa rayonnante personnalité…
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Ils n’exprimaient pas ce qui, en définitive, était la véritable nature métaphysique de Jacques _ en son idiosyncrasie géniale : intuition très féconde ! _ – au delà de sa personnalité – et le parcours qu’il devait _ mais oui ! _ accomplir dans les premiers instants de sa naissance à l’autre monde _ et nous avons bien ressenti l’intensité de cette présence en effet advenue, alors, là : Jacques comme jamais présent au dessus du cercueil de bois contenant sa simple dépouille inerte. Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change…
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Oh certes Jacques n’était pas religieux, bien malin qui pourrait dire s’il était croyant… mais … pourtant… il avait un sens de l’absolue nécessité _ impérieuse ! _ d’une véritable authenticité artistique _ et c’est bien là ce que nous avions pu admirer, quasi en permanence, en son discours radiophonique de présentation, et des œuvres, et de leurs interprétations, en sa visée sans cesse exigeante d’une profonde et immense justesse à donner-faire passer (par les artistes) à ressentir ; nous, auditeurs, devant nous en faire (et chacun via sa propre aisthesis sans cesse à affiner…) le sobre réceptacle, ou, mieux encore, devant, en retour, devenir, par notre écoute active, le passage à la fois empathique et exigeant, lui aussi, forcément, de ces superbes flux de sens… S’il ne se reconnaissait pas dans les discours convenus sur la foi, c’est parce qu’il était fondamentalement un homme de foi, de cette catégorie d’hommes, tellement identifiés à leurs convictions _ passionnées parce qu’exigeantes quant à la fidélité recherchée à ce que ces convictions elles-mêmes visaient _ que les réduire à une expression – aussi savante, alambiquée ou simple qu’elle soit – serait trahir et altérer la nature de ce qu’ils savent être vrai _ l’œuvre d’art et son interprétation (physique) devant sans cesse, et impérativement, davantage rendre justice à la Natura naturans elle-même, visée in fine par elles, qu’à la seule Natura naturata figurée et notée…
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La vérité de Jacques ne pouvait se satisfaire des discours religieux et même des discours sur l’art _ en des lettres toujours un peu trop figées, s’il y manque un peu trop la vérité même du souffle exigeant et porteur de l’élan en sa justesse dynamique… Non, pour lui, c’était par un don total _ oui _ qu’il vivait sa foi, sa foi en la capacité des hommes _ en l’occurrence au premier chef les artistes, passeurs des œuvres, mais aussi, ensuite, ceux qui sont en situation (au moins théorique) de pouvoir les recevoir et ressentir en vérité, en ayant à les recevoir-contempler un minimum activement… _, malgré toutes les turpitudes qui les traversent, d’exprimer l’étincelle _ de vie, de feu et de lumière _ qui les anime _ oui ! _, souvent infime et presque invisible, mais qui détermine ceux qui en sont porteurs _ et donc les premiers passeurs. De là venait son extraordinaire capacité d’instantanément percevoir _ sur le champ, en effet : il faut avoir cette promptitude (d’une expérience s’élaborant toute une vie) à saisir ce qui se croise de magiquement beau, à l’instant ; eu égard à la vitesse de course de l’espiègle et terrible à la fois divin Kairos, qui dispense sans compter les biens de sa corne d’abondance, mais qui, aussi, du tranchant de son rasoir, coupe la main du retardataire étourdi ! Jacques savait ainsi se faire l’allié (quasi indispensable) du divin Kairos ! _ la nature des innombrables artistes qui ont croisé sa route et dont il se sentait le devoir _ telle une vocation de pédagogie rieuse, mais aussi tragique, de l’art _ de faire connaître le travail _ en sa dure exigence artistique, aussi humble, fière et modeste, que vierge (le plus possible) de bassesse de compromissions, à la fois transcendante et, plus encore, immanente, de vérité et justesse visée quant aux œuvres à servir-faire humblement passer-ressentir. Car c’était là l’implacable terrible critère du passeur passionné.
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C’est pourquoi spontanément le premier psaume qui m’est venu à l’esprit est le Laetatus sum, qui exprime cette attraction qu’exerce la Jérusalem céleste chez ceux qui portent en eux une parcelle d’indicible, pôle magnétique qui détermine toutes leurs actions.
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Et puis le psaume Dominus regit me, que l’on traduit : « le Seigneur est mon berger », mais qui exprime plutôt la conscience que le flux de nos vies suit _ physiquement _ une trajectoire _ nous régissant, du moins idéalement, tel l’appel élévateur de la plus noble des vocations _ qui nous précède et continue après notre court, mais révélateur, passage sur terre.
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Le Levavi oculos meos ad montem exprimait encore une fois, cette attitude qu’a eue Jacques toute sa vie, d’élever son regard _ oui : vers le plus beau _ et d’essayer d’élever celui des autres vers ces hauteurs auxquels l’homme peut _ effectivement _ accéder par la pratique des arts _ on ne saurait mieux dire : c’est là toute la dignité de l’art, quand il est loin de toute imposture ; ainsi que l’immensité de joie qu’il sait prodiguer alors. « Exultate ! Jubilate !«
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Enfin, j’ai mis aussi deux chants de la messe : le premier et le dernier : l’introït Requiem eternam et celui de l’absoute : In paradisum deducant te angeli. Ce qu’il y a entre ces deux chants ne convenait pas à … la nature religieuse de Jacques, lui qui n’était pas dévot, mais pourtant tellement religieux… lui qui a œuvré tellement pour nourrir et enrichir la conscience artistique des … religieux … Sa vie fut un sacrifice pour la cause de l’art _ oui ! Nous n’avions pas besoin – dans ce cas précis – de rappeler le sacrifice du Christ.
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Voilà, en vrac et comme cela s’est présenté à ma pensée, ce qui a créé cette liturgie qui fut un grand moment de grâce _ voilà ! C’est ainsi que nous l’avons effectivement ressenti. Nous avions un vrai orgue _ pour lequel Jacques avait beaucoup fait ! _ joué par un vrai organiste _ immense merci à Benjamin Alard _, et moi je n’ai fait qu’exprimer une science que j’ai acquise à force de scruter les rituels anciens, leurs origines et l’énergie interne _ oui ! _ dont ils furent l’expression. Travail que j’ai pu accomplir grâce, principalement, à la confiance et à la foi en cette démarche dont Jacques m’a toujours fait bénéficier. Pour mémoire, j’ai créé l’ensemble Organum en juillet 1982. A la fin de l’automne de cette même année, il m’avait déjà fait faire une émission de télévision sur FR3, une longue émission de 1h30 sur France Culture et une « petite » interview d’une demi-heure sur France musique. On ne peut pas dire qu’il perdait son temps. Il avait le sens _ assez rare, finalement _ de l’urgence _ oui ! en quelque sorte sacrée… _ à exprimer et faire connaître ce qui vraiment était important _ = essentiel, mais sans rien d’imposé, ni de dogmatique _ pour ses contemporains.
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Tellement de choses à dire sur Jacques… mais pour moi il est encore plus présent que jamais _ je l’ai aussi personnellement ressenti à la cérémonie (ainsi que je l’ai écrit à France). Tout le monde n’est pas obligé de me croire, mais je sais qu’il jouit maintenant de l’intégralité de sa véritable dimension… Merci Jacques !
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J’ai écrit quelques textes qui ont jalonné mon parcours et ma réflexion sur les rituels en général et les rituels funéraires en particulier. Le plus récent _ il est magnifique ! _ a été écrit l’année dernière en une nuit _ transfigurée probablement… _, à Ronda en Andalousie (là où Rilke a commencé les Élégies) où j’avais participé à un colloque de philosophie. Les deux autres sont des textes qui accompagnent des disques, le Requiem de Divitis-Févin, et l’enregistrement de mon œuvre pour orgue « Contemplation« , paraphrase musicale du livre des morts des anciens Égyptiens. Peut-être ces textes vous aideront-ils à mieux comprendre ce qui s’est passé jeudi dernier.
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A bientôt peut-être,
Marcel
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En post-scriptum,
voici aussi mon petit mot à France, vendredi 8 août, en réponse à son message me remerciant de ma présence à la cérémonie à Sainte-Croix, le 7 :
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Jacques était un être d’exception : sa passion et sa générosité étaient « exemplaires », entraînantes.
Mélomane, je demeure fidèle en pensée à ce qu’il fut pour la Musique, bien que ne l’ayant pas revu depuis son séjour à la Tour de Gassies.
Et je dois dire qu’il a beaucoup manqué, à France-Musique : il est resté irremplacé !
Les artistes, les premiers, y ont sans nul doute beaucoup perdu…
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Et j’aurais aimé en voir davantage venir lui rendre un dernier petit hommage,
tel que celui que pas mal ont rendu en se déplaçant à Amsterdam,
avant le décès, pour lui dire au revoir ;
puis aux obsèques
de Gustav Leonhardt…
Je suppose que beaucoup d’artistes avaient des obligations de concert…
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J’ai aperçu Benjamin Alard au moment où il allait monter à la tribune, mais, si je ne lui ai pas parlé _ il filait vers l’escalier… _,
je dois dire que j’ai beaucoup aimé son hommage musical, splendide sur cet orgue,
pour la renaissance duquel Jacques a pas mal œuvré _ et c’est un euphémisme…
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J’en dirai un mot à l’amie Elisabeth Joyé.
J’avais adressé deux messages (téléphone et mail) à Jean-Paul Combet,
qui doit être en vacances _ j’ai participé à la notice du CD Alpha 017 L’Orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux, par Gustav Leonhardt, par mon texte « La Construction de l’orgue Dom Bedos en l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux sous la réforme mauriste« , en octobre 2001 ; et j’étais présent aux séances d’enregistrement de ce disque, le tout premier sur cet orgue…
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J’ai aussi beaucoup apprécié l’hommage (si vrai !) de ses huit neveux,
ainsi que le témoignage, assez extraordinaire, de son thérapeute : peut-être un cas d’école d’amour de la vie, de la musique et des Arts.
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Pour ma part, j’ai évoqué sur la cahier ouvert à l’entrée de Sainte-Croix, deux petits souvenirs personnels de Jacques :
une discussion en nous rendant à la Maison de la radio, à Paris,
où il contestait (!) les liens qu’avaient pu avoir, à Rome, Charpentier et Carissimi…
Et une fin de soirée à la fête de la morue à Bègles…
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La cérémonie d’aujourd’hui, non vide d’anges (au moins dans les textes donnés à entendre _ ceux choisis, donc, par Marcel Pérès ! _),
était très émouvante, et très belle : Jacques a dû l’apprécier !
….
Bien à vous tous,
Francis
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