Posts Tagged ‘pulsion de mort

Et encore un somptueux fondamental chapitre sur le lait-legs nourricier de la littérature : le chapitre « Le legs empoisonné _ Laisser ses livres », un fécondissime pharmakon, entre la perte, en 1948, du père Georges Cixous (et l’aubaine de sa bibliothèque), et l’interruption à venir, en 2004, du formidable dialogue entretenu avec l’ami Jacques Derrida : quand reste et tant que demeure une conversation nourrie avec les auteurs de vraie littérature (et philosophie), via les livres que ceux-ci nous ont laissés-destinés ad libitum…

17nov

Et voici maintenant, de la page 77 à la page 93 de ce recueil décidément absolument indispensable qu’est ce tout récent « Et la mère pond vite un dernier œuf« 

_ il nous faudra bien sûr revenir sur le choix de ce titre plutôt comique donné à ce recueil, dont la source se rencontrera un peu plus loin, au chapitre suivant, « Max und Moritz, et ma mère« , aux pages 98-99 :

« J’ai commencé à réfléchir sur les mystères du texte et les secrets de la littérature, rue Philippe à Oran pendant la guerre, en suivant ma mère en visite chez ces vauriens de Max et Moritz. Moi qui hurlait quand on me donnait l’ordre de manger un peu de poulet, une rareté précieuse sur une table famélique, je dégustais avec ravissement les vers suivants :

Hahn und Hühner… Coq et poules avalent l’hameçon

Les voilà pendus à la dure branche de l’arbre

(…)

Le cou des quatre pendus s’étire démesurément, leur chant s’angoisse également. Et ce qui me fait mal à crier me séduit par la musique des mots _ voilà ! Les poules meurent en chœur, rime rime avec crime, les vers tapent du pied. J’avais beau hurler d’angoisse jusqu’au ciel avec les poules _ c’était en novembre 1942, à Oran, 54 rue Philippe, qu’Hélène écoutait ainsi sa mère jouer en marionnettes confectionnées de sa main les contes tragi-archi-comiques de « Max und Moritz » de Wilhelm Busch…  _, en tant qu’œuf j’étais contente que ma mère ponde vite une dernière fois » : des bombes pleuvant alors, ce mois de novembre 1942, sur Oran.

Et à la page 104, encore ceci qui éclaire ce titre du recueil :

« Dans sa chambre ma mère centenaire _ elle mourra le 1er juillet 2013, âgée de 103 ans  _ ne lit plus que Max und Moritz. Elle se prend pour une poule prête à trépasser. Mais il y a dans ces images insupportables _ de Wilhelm Busch _ de quoi la faire pondre de rire.

Ce que m’apporte _ me révèle _ Wilhelm Busch : le rire dans l’horreur », commente Hélène ; j’y reviendrai en l’article suivant… _

un autre somptueux fondamental chapitre sur le lait-legs nourricier _ pour le non tari (« tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , et bien sûr de la force de vie…) si fécond « rêvoir » à l’œuvre d’Hélène : formidable pharmakon à son inénarrable façon à elle, à son tour… _  de la littérature pour Hélène Cixous : le chapitre « Le legs empoisonné _ Laisser ses livres« , un fécondissime pharmakon d’intarissables conversations poursuivies, vaille que vaille, à la guerre comme à la guerre, et à-la-va-comme-je-te-pousse et m’inspire-respire-expire-souffle _ entre lire les livres de la Bibliothèque, puis penser-panser, rêver en son « rêvoir », et soi-même allant se livrer corps et âme à la jubilation terrible et hilarante de son écrire… _, entre la blessure à panser de la perte sans legs écrit, ni même dit _ seulement la collection de volumes Nelson de sa bibliothèque ainsi laissée sans mot dire de sa part… _, du père Georges Cixous, le 2 décembre 1948, à son décès, et l’interruption à venir le 9 octobre 2004, au décès à lui aussi, l’ami Jacques, du formidable dialogue-conversation _ aussi par téléfaune, puis au « rêvoir« , via les livres laissés de l’ami parti, qui lui-même songeait fort à son propre posthume… ; cela, nous le verrons au chapitre terminal, et lui aussi évidemment capital, de ce livre-ci, aux pages 113 à 137, intitulé « Le chat et le château » : tout, en cet admirable indispensable recueil de textes d’Hélène Cixous qu’est ce jubilatoire « Et la mère pond vite un dernier oeuf« , venant parfaitement « se rejoindre » et s’imbriquer… _ ô combien nourricier, à son tour, avec l’irremplaçable, forcément _ qui donc est substituable ?.. Personne ! Et encore moins ni ami ni aimé ; la consolation-pansement-pharmakon, si elle est désirée-envisagée-recherchée-poursuivie, semble tellement difficile et peut-être même quasi impossible à obtenir et tenir-maintenir longtemps et jusqu’au bout de sa propre mortelle vie, en ce duel à la vie-à la mort des pulsions de vie et la pulsion de mort, si puissantes et tellement compliquées à apprendre à dévier-manœuvrer afin d’essayer-tenter de parvenir à surmonter-survivre à la douleur-poignard du deuil subi de ces si cruelles pertes… _ ami Jacques Derrida…

Ici,

et de la phrase, page 78, à propos de Jacques Derrida :

« il laissait ses livres à la place de sa personne. Et parmi son œuvre immense, ses innombrables méditations sur les mystères tragiques et philosophiques de l’héritage« ,

presque directement à la suite des mots mêmes, impératifs, de l’ouverture de ce chapitre, page 77 :

« Un jour des derniers temps, mon ami Jacques Derrida me dit : « Si je ne suis plus là, tu pourras continuer à lire mes livres. » Je grimaçai d’horreur. C’était un dit de vérité à venir, un verdict, une annonce amère. Une phrase à deux coups. Mise à mort et promesse. Ablation et substitution. La mort pour moi, la survie pour mes livres » ;

et des sublimissimes pages 79-80 à propos de ce qu’Hélène, en forme de « viatique » qui lui était nécessaire, raconte de ce qu’elle a pu bientôt trouver de son père « homme de parole et de mots, c’étaient des mots extraordinaires qu’il me donnait tous les jours« , une fois celui-ci brutalement disparu et enlevé à elle, le 2 décembre 1948 :

« J’ai hérité de Georges mon père le besoin géorgique de déterrer les mots, de descendre sous le taire, de nettoyer, d’arroser, et d’écouter ce qui erre le long du silence _ c’est admirable ! J’ai toujours aimé Virgile et par conséquent Dante. Outre ce lien indécis et ouvert comme tout, mon père a laissé _ très matériellement _ une bibliothèque. Il ne l’a ni donnée, ni léguée, il l’a laissée avec cet abandon, ce suspens de la volonté dernière, qui fait le don idéal, celui que l’on n’a pas fait exprès. Alors ce legs laissé sans le su, je l’ai pris, je m’en suis constitué l’héritage par excellence, le bien attribué par le sort, béni pour avoir été lu par mon père, et ramassé, lui mort, sur ses étagères. Je n’en finissais pas de composer le lai de la Bibliothèque : j’ai lu, depuis mon père et sans son injonction, il m’a laissée lisant le tout de la littérature, le bon et le mauvais, le sublime et le détritus, son compost, sa litièrature. Sans maître, sans conseil, sans loi. J’ai tout dévoré. De gauche à droite, j’ai sucé un à un tous les volumes de la collection Nelson, tout était bon également. J’ai rien oublié. Je crois que j’ai mangé mon père jusqu’aux moelles. Hériter pour la vie, si c’était possible, je crois que ce serait cette opération : absorber, consommer, transsubstantier le Laissé, en forces vitales pour soi _ voilà.  Sans dette. Et entre tous les legs nourriciers, recevoir et faire son miel d’une Bibliothèque » _ une opération merveilleusement accomplie par Hélène.

je me rends immédiatement aux deux puissantes pages finales de ce crucial et fondamental chapitre, aux pages 92 et 93, consacré à l’héritage des livres, et pas seulement ceux laissés sur les étagères de son père, Georges Cixous, le 2 décembre 1948 :

« Peut-on échapper à l’héritage ?

Moi-même j’ai bien fini par me rendre à Jérusalem, où je ne voulais surtout pas aller _ sur le récit de ce voyage en son « Gare d’Osnabrück à Jerusalem » (paru le 14 janvier 2016), cf par exemple mon article « « , en date du 16 juin 2018…

Pour payer une infime part de ma dette à l’égard de ma généalogie multimillénaire _ tant sépharade qu’ashkénaze… _, minimissime, pour répondre : oui, à la question êtes-vous coupable ? A la question : êtes-vous juive, je mets : oui, je décide et consens à répondre sur le formulaire _ demandé à remplir pour l’obtention du visa d’entrée en Israël _, oui, alors que mon amour de la Vérité compliquée, mon besoin vital _ oui _ de pousser la pointe de la pensée au cœur du combat des paradoxes, mon alliance avec l’inconnu c’est-à-dire le pays de l’écriture _ ce territoire-trésor lui aussi… _, le courageusement infidèle, toutes mes obsessions vitales, veulent que je dise non pas oui mais : juive je le suis par vent de nord-nord-ouest, ou par mauvais temps, mais par beau temps clair sans rafales de vent, ou quand je suis en mes libertés dans les rêves, je ne réponds que : rien ni plus ni moins.

En tant que chat, ou écureuil _ du jardin aux arbousiers et pins de la maison d’écriture des Abatilles _, ou ancien chien _ tel son chien Flip _ je ne suis pas plus juive que le cheval ni moins, j’aime les vaches, comme ma mère, pour la fatalité de la vie je m’identifie aux poules, je n’ai guère de difficultés à reconnaître mon âme dans celle d’une poule, j’ai les mêmes battements de cœur,

mais à tous les juifs qui sont juifs se sentent juifs, juifs des avant et juifs des après, je reconnais que je dois un trésor inestimable _ voilà… _ d’angoisses et de tourments, l’usage illimité _ et persistant _ de la tragédie et ce qui va avec l’exercice de la douleur : l’esprit de révolte, la jubilation _ oui, magnifique ! _, l’eau du rire qui jaillit au milieu du brasier et jusqu’à l’avant-dernière minute dans les camps d’extermination _ ici je pense au grand Imre Kertész du « Chercheur de traces« … _, la nostalgie perplexe du désert, la fréquentation des zones d’exclusion et le don nomadique, la façon d’allonger perpétuellement le cou au maximum pour scruter l’horizon, comme si le présent était là-bas dans le lointain futur ou au contraire la façon de creuser des puits sous son lit à la recherche de pensées ou êtres perdus et peut-être conservés dans les souterrains du temps, toutes ces herbes amères tous ces sucs et ces miels spirituels dont l’écriture se régale« 

Un chapitre magistral !

Consacré aux ressources, fabuleux trésor où puiser encore et toujours de conversations essentielles que peut offrir le dialogue ouvert et infini du lire-écrire-penser, pour Hélène en son « rêvoir », avec les auteurs vrais de la littérature et de la philosophie _ pas ses pullulantes-purulentes contre-façons de « litièrature« – compost, à destination des oisifs-qui-lisent pour se distraire-désennuyer-divertir : en fait ne plus penser du tout à l’essentiel… Revenir lire et méditer ici le merveilleux chapitre « Lire et écrire » du Zarathoustra de Nietzsche, joliment sous-titré « un livre pour tous et pour personne« … Ou encore le très juste récent « Un Sens à la vie _ enquête philosophique sur l’essentiel » de mon ami bruxellois Pascal Chabot… Des livres nécessaires et vrais, en ces temps de faussaires et fausseté…

Bien évidemment à suivre…

Ce dimanche 17 novembre 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’altérité de la personne de l’autre : pourquoi un tel abîme entre pratique et discours ?..

24mai

A l’occasion du colloque à Bordeaux L’Âge classique dans les fictions du XXIe siècle,

ce matin au Studio Ausone,

deux communications d’universitaires auxquelles j’ai assisté :

La Carte de Tendre dans L’Eveil de Line Papin (2016), par Frédéric Briot ;

La Chine dans La Blessure et la soif  (2009), par Laurence Plazenet.


La communication de Frédéric Briot m’a au moins appris l’existence d’au moins trois Cartes de Tendre au sein de l’œuvre de Madeleine de Scudéry

_ dont la plus célèbre, la seconde, se trouve dans son roman Clélie (10 volumes, publiés de 1654 à 1660) _ ;

alors que l’usage qui est fait de cette fameuse Carte, dite _ de façon bien erronée ! _ « du tendre« ,

est d’un extraordinaire succès à travers les siècles ;

et toujours aujourd’hui…

Il faudrait aussi s’interroger sur le succès, en 1668, des Lettres de la religieuse portugaise,

et du thème des Bérénice de Racine et de Corneille…












La communication de Laurence Plazanet porte, elle, sur son propre roman, La Blessure et la soif, de 2009.

Et nous y apprenons que son goût, ici, pour la très grande estrangeté _ ou estrangèreté ? _ de la Chine (au XVIIe siècle,

au moment très précis de la violente disparition de la dynastie des Ming ; en 1644, Pékin est conquise par les Mandchous)

fonctionne, en la singularité de son imaginaire d’auteur de fictions _ à distinguer de ses fonctions (annexes) d’universitaire, prend-elle bien soin de préciser… _,

comme un analogue de son goût pour l’estrangeté profonde _ et fascinante _ de l’augustinisme _ et du jansénisme de Port Royal _,

exactement au même moment en France (sous la Fronde et ses suites) : de 1648 à 1662…

Et la conférencière de citer comme exemple d’écrivain admiré par elle

en ses méthodes comme en ses goûts d’écriture,

Pascal Quignard _ dont elle a rencontré l’œuvre au moment du film Tous les matins du monde ; avant de la lire goulûment in extenso très vite…

Il se trouve que j’ai moi aussi lu presque tout Quignard,

du moins jusqu’à un certain moment _ celui (2009) du film Villa Amalia

Film et livre m’ont profondément agacé. Le charme était rompu.

Cf mon article du 26 avril 2009 : 

De même que j’ai fini par m’agacer de la thématique (de l’altérité _ sacralisée en paroles _) de François Jullien,

que j’avais fait inviter à de nombreuses reprises chez Mollat et à la Société de Philosophie de Bordeaux,

avant de m’apercevoir de la très profonde cécité _ narcissique ; et en actes… _ à l’autre de cet auteur…

Les yeux se décillent. 

A ma question sur les rapports entre son goût de la passion et le masochisme _ un mot électrique ! _, le sadisme _ qui évoque déjà le raffinement (extatique ! ) de cruauté de certains supplices chinois, au moins dans nos imaginaires… _, la pulsion de mort et les pulsions de vie _ et autres concepts freudiens ! _,

Laurence Plazanet a choisi de botter immédiatement en touche,

en avançant que toute référence postérieure au XVIIème siècle

tombait forcément hors de propos _ pour profond anachronisme ; et incapacité d’approcher la singularité historique et civilisationnelle visée par son approche documentaire extrêmement rigoureuse et poussée, mais aussi fictionnelle… _ pour elle…

Dont acte.

Son dolorisme se trouve ainsi placé comme au-dessus de toute approche, et par conséquent hors d’atteinte.

Dogmatiquement : il n’a pas à être _ confusément et hors de propos _ discuté.

J’ai trouvé cette position archi-romantique…

J’ai relevé aussi l’aveu de la conférencière de sa vive passion des ruptures…

Ah ! bon…

Pour ma part, je préfère Montaigne à Pascal _ et Augustin et l’augustinisme _,

et j’aime la subtilité sobre et infiniment fine de Marivaux.

Ce jeudi 24 mai 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

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