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Les exercices spirituels de Jean Clair : la piété envers la Terre Natale ; et la figure de Marcel Arland…

28juil

Si j’ai commencé à éclairer _ un peu _ ce que signifie le concept d' »exercice (spirituel) de piété » pour Jean Clair

en ses « Écrits intimes« 

en mon article d’hier ,

il me faut bien sûr préciser ce concept sien de « piété » ;

ainsi que le choix de l’expression de « Terre Natale » pour le titre de ce nouveau volume de la série de ses écrits intimes,

ainsi que pour celui, aussi, d’un chapitre, le chapitre V, aux pages 77 à 113.

Piété : le sentiment qui fait reconnaître et accomplir tous les devoirs _ de reconnaissance et gratitude, actions de grâce… _ envers les dieux, les parents, la patrie, etc, auxquels nous sommes redevables de soins _ et d’abord de la vie _, avec tendresse et respect.

L’expression de « Terre Natale« , elle, est directement empruntée à Marcel Arland (Varennes-sur-Amance, Haute-Marne, 5 juillet 1899 – Saint-Sauveur-sur-École, Seine-et-Marne, 12 janvier 1986), qui en fit le titre d’un récit autobiographique, Terre natale, en 1938 _ on notera au passage que la réunion de communes à laquelle participa Varennes-sur-Amance, prit ce même nom de Terre Natale entre le 1er juillet 1972 et le 31 décembre 2011 ; de même que prit aussi ce nom le canton, disparu en tant qu’entité administrative en 2015 : c’était pour honorer Marcel Arland, enfant de ce pays. On remarquera aussi que le terme de « Terre«  fait partie du titre de plusieurs autres œuvres de Marcel Arland : Terres étrangères (en 1923), Sur une terre menacée (en 1941) et Terres de France (posthume) ; sans compter un Zélie dans le désert (en 1944).

Sur l’œuvre _ peu courue ces derniers temps, et c’est un euphémisme… _ de Marcel Arland, ceci :

cet article de Michel Crépu : « Et Marcel Arland, au fait ? » (1-10-2015) ;

Et de cet article je me permets de retenir ceci :  » Nous sommes penchés sur le livre _ ici le roman d’Arland (en 1929) L’Ordre _ comme le personnage à sa fenêtre : « Le soir était calme. Au bas du jardin brûlaient des rameaux d’asperge desséchés ». Cela n’a l’air de rien et c’est merveilleux : le jardin, les flammes, les rameaux d’asperge, le soir calme – et l’on pourrait en citer beaucoup d’autres. Même Chardonne, maître incontesté du moment lumineux semble un bouseux à côté d’une telle douceur _ une qualité singulière de douceur : voilà ce qui caractérise l’art d’écrire de Marcel Arland, pour Jean Clair aussi.

C’est peut-être ce qui coûte aujourd’hui si cher à Arland, d’avoir su écrire les ténèbres de l’intimité humaine _ oui  _ sans se départir du calme où les choses se déposent en profondeur. On réclame aujourd’hui du message à corps et à cri. Chez Arland, musique, finesse, art consommé de faire monter la tension jusqu’au terme ultime où les choses se redéchirent à nouveau selon la vieille loi humaine« … ;

à compléter par cela, toujours de Michel Crépu, sur son blog, la semaine qui suivait :

« Arland ou Céline » (le 8-10-2015)…

Dont je retiens ceci :

« Tout est silencieuses _ musicales _ tensions, montée en puissance de l’impossible, déchirement, apaisement, recommencement à nouveau de la tension. On en sort rincé, comme du dedans d’une fournaise provinciale, sans bruit mais non sans parole. (…) Tout est silencieuses tensions, montée en puissance de l’impossible, déchirement, apaisement, recommencement à nouveau de la tension. On en sort rincé _ c’est dire ! _, comme du dedans d’une fournaise provinciale, sans bruit mais non sans parole« …

Et encore cela :

cet article de Victoire Diethelm : « Présence du biographique chez Marcel Arland _ lecture croisée de Il faut de tout pour faire un monde et de Terre natale » : « Mais qui est Marcel Arland ? » (août 2018)


Outre le titre même du chapitre V, donné à la page 77

_ un chapitre terrible sur le déracinement de ses parents (de leur campagne à la banlieue parisienne, à la fin des années trente) _,

l’expression _ arlandienne _ de « Terre natale« 

me semble n’apparaître que quatre fois,

la première fois à la page 108 (du chapitre V, « Terre natale« ) :

« La terre et ceux qui l’habitent, produits pareils d’une histoire qui faisait que j’étais chez moi _ en la maison où avaient vécu ses parents, en Mayenne, avant sa naissance (le 20 octobre 1940, probablement à Pantin). Terre natale, maison natale » ;

et les trois autres fois à la page 398 (du chapitre XXIV, « La Terre vaine« ), à propos des expressions « Terres vaines et vagues« , « Terre gaste« , « Paese Guasto« , « The Waste Land » présentes dès le second verset de la Genèse, dans le récit des aventures de Perceval le Gallois de Chrétien de Troyes (1130 – 1191), L’Enfer de Dante (1265 – 1321) _ au chapitre XIV, vers 94 à 96 _, Le Médecin de campagne de Balzac (1799 – 1850), ou The Waste Land de T. S. Eliot (1888 – 1965), qu’a relevées et reliées entre elles la magnifique érudition de Jean Clair :

« Je rêve, je divague autour de ces terres mythiques, qui vont de la Genèse à la Comédie de Dante, et du pays du Roi Méhaigné décrit par Chrétien de Troyes au gros bourg florissant du médecin de Balzac. Mais c’est toujours une même vérité _ voilà ! et terrible… _ qui se dit : en ignorant son nom, si l’on oublie son identité _ son lignage, ses racines, son histoire _, on perd aussi la terre natale qui est inscrite dans les frontières _ celle où peut reprendre force le géant Atlas en son combat à mort avec Héraklès. Ou bien est-ce la perte de la terre natale, avec ses règles et ses lois, ses limites et ses enclos, qui provoque la venue de la terre dévastée, stérile, solitaire.

Si je ne peux plus _ c’est là la conséquence _ m’offrir l’ _ indispensable _ hospitalité _ à rattacher à la toute première ligne, capitale, du récit, page 15 : « J’ai fini par me refuser l’hospitalité. Personne n’est là où je suis« , au chapitre I, « L’Intrus« … C’est là la situation d’état d’apesanteur (au sortir d’un coma) du puissant livre L’État d’apesanteur d’Andrzej Kusniewicz (paru en traduction française en 1979) _, me reconnaître, me souvenir de ma présence en moi, et m’y réconforter, me souvenir de mon nom paternel _ Régnier _, devenu étranger à moi-même, c’est _ voici la cause _  que je ne peux plus habiter la terre natale dont ne me restent _ épars, perdus _ que des souvenirs informes, ni reconnaître miens les paysages et les humains que j’ai ensuite aimés _ un fil impérativement à renouer…

L’errance ou _ telle est la dure alternative _ l’orance

_ cf l’expression quasi similaire à la page 387 : « L’errance contre l’orance« .

Cette dernière expression à la suite des phrases : « On a rempli les musées à mesure qu’on vidait les églises _ lieux de l’orance. Mais le sanctuaire est un lieu qui a un sens, ordonné qu’il est à l’horizontale comme à la verticale, par des objets, statues ou peintures, disposés selon leur destination, chacun ayant sa valeur et son sens, du portail où sont les saints à l’autel où sont les dieux, du niveau où sont célébrés les Évangiles à celui où l’on remémore les Épîtres : un espace plein où rien n’est interchangeable _ voilà _, ne se soustrait ni ne s’ajoute, un parcours qui a son début et sa fin.

Le musée et la collection, eux _ lieux de l’errance _, ne nous livrent jamais que des matériaux errants, indifférents _ interchangeables et chaotiques _ qui ont perdu leur destination, leur pouvoir et leur sens _ soit le constat rétrospectif assez terrible d’une vie passée comme Conservateur du Patrimoine. Sans attache et sans fin _ parce que sans fil conducteur de sens. L’errance contre l’orance« 

La dénomination ou _ alternative parente _ la disparition » 

cf l’expression quasi similaire à la page 106, parce que la disparition (d’un vrai sujet) est bien la conséquence de la dénumération (des matricules) : « La dénumération substituée à la dénomination« .

À la suite des phrases : « Tout aussi silencieusement et doucement qu’ils avaient quitté leur village, ils _ les paysans de Mayenne ou du Morvan (cf La Tourterelle et le Chat-huant _ Journal 2007-2008), déracinés de l’exode rural, que furent les parents de Jean Clair _ quittèrent _ à nouveau _ ces nouveaux quartiers _ de la banlieue parisienne, tels Le-Pré-Saint-Gervais ou Pantin _ presque neufs encore, devenus bientôt des « zones de non-droit ». « La Seine », le nom du département, était entretemps devenue « le 9.3″, un matricule. La dénumération substituée à la dénomination, une habitude des camps » _ du contrôle bureaucratique (chiffré) du nazisme, avec son obsession (comptable) criminelle des chiffres à réaliser, mois par mois, d’annihilation-exterminationation.

Quant au nom et à la personne même de Marcel Arland, ils apparaissent _ nommément _ deux fois :

à la page 93 (au chapitre V, Terre Natale) :

« Est-ce tout à fait le hasard qui fit que ce sont deux fils de paysans qui m’accueillirent _ en 1962, pour son récit Les Chemins détournés _ chez mon éditeur _ Gallimard _ et m’en ouvrirent grandes les portes ? C’était Brice Parain _ 1897 – 1971 _, fils de paysans briards, et Marcel Arland _ 1899 – 1986 _, descendu de son plateau de Langres. Tous deux avaient été des premiers à connaître cette mutation de leurs origines. Parain, premier petit Français à être nommé Conseiller culturel dans la jeune Union soviétique _ en 1925 _, y apporterait sa curiosité, mais aussi une lucidité _ oui _ que les descendants des bourgeois, de Sartre à Aragon, n’auraient pas » ;

et à la page 384 (au chapitre XXIII, La Débâcle) :

« Un jour que j’évoquais devant lui le Francinet écrit par Mme Fouillée, la Lavalloise _ 1833 – 1923 _, qui avait précédé son Tour de la France, et dans lequel mon père avait aussi appris à lire, Arland se mit soudain, à voix basse, à réciter la chanson que chante le jeune ouvrier en faisant tourner dans la nuit son moulin à broyer l’indigo :

Je suis l’enfant de la misère

Et le dur travail est ma loi

Je suis seul, ma tâche est austère,

Triste est mon cœur, lourd mon effroi…

Il s’était arrêté, cherchant ses mots et, après un instant, c’est tous deux que nous reprîmes d’une même voix :

… Le riche, dit-on, est mon frère ;

Mon frère pense-t-il à moi ?

On cite encore un peu Le Tour de la France par deux enfants _ publié en 1877, sous le pseudonyme de G. Bruno (en hommage au philosophe brûlé vif sur le Campo dei Fiori, le 17 février 1600). Mais qui a jamais lu Francinet ? _ publié en 1869. (…) Le second, plus pénétrant, trame un récit autour de ce qui semble déjà la lutte des classes, entre le petit pauvre en blouse d’ouvrier qui s’épuise la nuit à tourner son moulin et Aimée, la riche petite fille du patron, vêtue de robes blanches.


Tout un continent disparu, comme s’était englouti quarante ans plus tôt le monde paysan »…


De Marcel Arland,

les critiques les mieux avisés, tel Michel Crépu, mettent l’accent sur sa singulière douceur, voire tendresse.

Je veux retenir ici quelques occurrences de cela, dans le texte de Jean Clair :

Page 27, au chapitre I, L’Intrus :

« Quelle autre religion a montré _ dans les « plus belles Maternités peintes au Quattrocento«  _ plus de tendresse que cette religion où l’Enfant, dans le même geste, se présente comme la victime et le sauveur ? »…

Page 62, au chapitre III, Les Nocturnes :

« La peinture figurative est une peinture croyante. Je ne me console pas de sa disparition, pas plus que je ne console de la disparition d’une religion qui, pendant quelques siècles, avait su par sa tendresse colorer notre vie« …

Puis page 65 :

« Le rêve est revenance et révélation _ pour Jean Clair, comme pour Hélène Cixous ou René de Ceccatty ; cf mes entretiens chez Mollat : avec Jean Clair, le 20 mai 2011 ; avec René de Ceccatty, le 27 octobre 2017  ; avec Hélène Cixous, le 23 mai 2019… Moins je souhaite, par paresse ou par inaction, rencontrer mes contemporains dans la suite des jours, et plus mes rêves se remplissent de figures et deviennent des salons où l’on s’entretient _ voilà _ avec douceur. Ce dont le quotidien m’a privé, la nuit me le redonne« …

Pages 253-254-255, au chapitre XV, La Coquille d’or :

« Au fil des siècles, à mesure que l’imagerie cruelle du Très-Haut et de son Trône de Grâce reculait dans l’imagination des fidèles qui n’y comprenaient rien, c’est l’imagerie de deux corps ployés l’un sur l’autre, une jeune victime et sa mère douloureuse et penchée sur lui, qui s’était peu à peu imposée, souvent dressée au milieu des autels _ comme on le voit sur la photo de l’autel de Notre-Dame postérieure à l’incendie, qui sert de bandeau au livre… _, dans la nef des églises, une image de l’espérance et de son infinie compassion, la Pietà  _ et non pas celle du Père anthropophage _, qui avait fait du christianisme une religion remplie d’une tendresse que nulle autre religion n’a jamais possédée.

(…) Pourquoi son élection ? C’est que l’image de la pietà, née dans les cercles mystiques rhénans, et particulièrement dans les couvents de femmes, à la fin du XIVe siècle, le Christ une fois déposé de la croix et allongé, tétanisé par la mort, sur le giron de sa Mère, est l’une des plus troublantes et des plus bouleversantes que cet art de la visibilité que l’art d’Occident a été, ait produite. C’est dans l’épaisseur du temps, l’image de l’enfant nouveau-né, que la mère tenait de la même façon, et qui voyait en lui déjà le destin s’accomplir. Mélancolique ou douloureuse, elle triomphe de la douleur et de la mort. Mais c’est l’art qui la représente qui a ce pouvoir _ effectif, sensible _ de consoler _ voilà _, l’art qui peut sauver le monde disait Dostoïevski. Dans la mesure où il peut rendre sensible _ physiquement ressenti _ ce sentiment de la pietà, qui veut dire à la fois pitié et piété, douleur partagée et compassion, respect de l’autre jusque dans la mort.

Le monde actuel semble ignorer la pitié _ et tout autant la piété. Et l’art contemporain _ adepte du trash _ est plutôt un art de la dérision, du sarcasme et de la laideur _ diabolique. La compassion, forme de la Pietà, cette capacité à souffrir avec l’autre, mais aussi à trouver une rédemption dans l’expression artistique, n’est plus guère de ce monde. Ou bien ? « …

Pages 329-330-331, au chapitre XIX, Athènes et Jérusalem :

« Le Céramique, à la périphérie d’Athènes. De chaque côté du chemin des colonnes, des cippes s’élèvent, les fûts d’une nécropole. En marbre blanc, les stèles, par des formes et des inscriptions, rappellent la vie de ceux qu’on a enterrés là. (…)

Ampharète, Kadymaque, Zosime, Sybiris, Plotis, Eutikos… Des noms aux sonorités étranges, pleines de voyelles, de labiales, d’occlusives, des souffles comme pour mieux rappeler d’entre les morts celle ou celui qui n’est plus. A-t-on jamais, avec une telle tendresse dans le navrement, célébré la présence de la personne, la naissance et la célébration de la figure humaine que bientôt, une religion nouvelle, le christianisme, va se donner pour idéal de célébrer et de sauver ?

(…) Rien de triste à se promener dans ce chemin fait de tombeaux. Il ne s’agit plus de la mort mais, avant le christianisme, d’une Dormition, où les disparus reposent. Le Céramique est comme un grand dortoir « …

Pages 335-336-337, au chapitre XX, Le Banquet :

« Une part de ma vie, effacée, me revenait avec un sentiment étrange de vérité _ de présence. La maladie _ puisque telle est, même si c’est extrêmement discrètement, la situation de base de cet entier récit _, en me délivrant du poids de mon corps, m’avait donné accès à des régions _ autrefois, il y a longtempss, vécues _ depuis longtemps désertes mais qui restaient aussi dessinées, aussi distinctes que si je les avais habitées la veille. L’immobilité forcée du corps et l’effet subtil des drogues me faisaient regagner _ en pensée _ une vie _ de sensualité _ à laquelle j’avais tourné le dos, et qui se rappelait à moi _ ainsi confiné et peut-être même alité _ avec une insistance et une douceur confondantes.

(…) C’est des positions successives et sans arrêt modifiées de mon corps endolori que renaissaient ici l’une après l’autre, nées du même privilège dont avait joui le premier homme, la forme et la pression des êtres que j’avais _ sensuellement _ aimés. Non pas une Ève unique, mais plusieurs, et finalement toute une compagnie, un ballet, une ronde _ un platonicien banquet…

(…) C’était des êtres, des personnes, des femmes.

(…) Des figures infiniment chères, beaucoup que j’avais sans doute injustement oubliées ou reléguées dans des recoins, et que le rêve me poussait à convier _ présentement _ pour revivre avec elles des moments perdus« …


Et page 339 :

« Parmi ces femmes, l’une m’était revenue en dernier, et ce par quoi elle reprenait possession de mes sens, ce n’était pas son visage, son allure, ni son corps, c’était, immatérielle, sa voix.

Elle avait toujours eu pour moi, à tout moment du jour et de la nuit, des mots presque enfantins, des refrains, qui étaient aussi des bonheurs d’expression, inattendus, surprenants, et ceux qui me rêvenaient, de quelle profondeur venaient-ils où ils auraient dû depuis longtemps s’abîmer, avec une infinie douceur, résonnant dans le vide, maintenant que, morte, elle n’était plus là pour les prononcer.

Alors que je peine à retrouver son visage, c’est dans ces adresses un peu naïves que je découvre la part durable de ce qu’elle fut. Personne avant elle n’avait eu pour moi cette invention des mots et des adjectifs, cette aisance à confier sa tendresse. Pied-noir italienne, elle parlait pataouète, un patois algérois appelant immédiatement au geste, au baiser ou à la caresse.

Sa voix, c’était donc là la qualité la plus précieuse de son être, des inflexions sonores« …


Et aussi pages 363-364, au chapitre XXII, L’Assassin :

« Entendu à la radio, pour définir l’identité française (…). La France est « un art de vivre ».

Tant d’efforts, tant de morts et de guerres, de fatigues, pour finir sur un traité d’esthétique… L’hédonisme _ auto-complaisant, narcissique _nous a conduits à l’opposé des vieux artes moriendi, les arts du bien mourir d’autrefois, du Sterbenkunst, de toutes les ressources d’une religion infiniment tendre, l’expression de sa valeur la plus haute, qu’on appelait la piété. Elle a donné naissance à des chefs d’œuvre que nous ne regardons plus guère dans les églises et dans les musées sinon avec indifférence ou stupéfaction, pas trop sûrs pourtant qu’il ne s’agit là que d’un « art de vivre ».

Les musées ne sont guère que des conservatoires des espèces disparues, qu’il s’agisse d’insectes, d’animaux, de plantes ou d’œuvres d’art.

D’ailleurs, ils sont aujourd’hui’hui pleins, comme des décharges, ils débordent, ils ne peuvent plus rien recueillir _ et sans recueillement. On ne sait plus trop comment ordonner, ni disposer les objets. On invente de nouveaux classements, à vocation dite « universelle », qui relèvent plutôt de la confusion des antiquailles.

Et pour leur succéder, les villes elles-mêmes, comme si elles avaient oublié pourquoi elles avaient été autrefois bâties, et ne sachant plus trop pourquoi elles existent, ici et là perdues sur la planète, ont commencé à se transformer sinon en musées, du moins en monuments nationaux d’un passé ignoré. Venise, Barcelone, Paris, Prague, Amsterdam… des parcs à thème que viennent parcourir à petits pas des foules distraites _ sans assise : peu aptes à regarder vraiment _, les mêmes qui parcouraient autrefois le Louvre, les Offices, le Prado, sans trop savoir _ mortelle ignorance _ à quoi ces pierres dressées ont pu jadis servir.

Dégradation des lieux, du génie des lieux, comme on a dégradé Dreyfus sur la place publique… » _ dégradation (mercantile) d’humanité vraie des personnes…

Ce dimanche 28 juillet 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le travail au scalpel de Florent Brayard sur les modalités du mensonge nazi à propos du meurtre systématique des Juifs de l’Ouest : le passionnant « Auschwitz, enquête sur un complot nazi »

22fév

En février 2009, j’avais consacré deux articles au débat historiographique (important !) qui avait fait dialoguer, sur le site de laviedesidees.fr Florent Brayard _ cf mon article : de l’hypothèse au fait : la charge de la preuve _ un passionnant article de Florent Brayard à propos du « Heydrich et la solution finale » d’Edouard Husson, quant à la datation de la « solution finale », avant la conférence de Wannsee _ et Édouard Husson _ cf mon article : Sur le calendrier de « la solution finale » : la suite du débat historiographique Edouard Husson / Florent Brayard _, lors de la parution du Heydrich et la solution finale, de ce dernier.

Or, ce mois de janvier 2012, Florent Brayard publie un doublement passionnant Auschwitz, enquête sur un complot nazi, aux Éditions du Seuil.

Passionnant sur le terrain de l’établissement des faits (« cerner comment cela a été« , page 27), face au double inconfort d’une « politique«  (« de communication« , page 18) du mensonge (ou « complot« , en un sens que précise l’auteur déjà page 19) à un degré assez rarement atteint, associé à une stratégie de destruction organisée et méthodique des archives et des traces, de la part des donneurs d’ordre (Hitler, Himmler), d’un côté _ même si les responsabilités sont, bien sûr !, très loin d’être seulement celles de ces derniers !!!! Et Florent Brayard de très clairement le spécifier, bien sûr ! aussi ; cf page 26, notamment _ ; et de l’autre, d’une pléthore de travaux historiographiques (thèses, livres, articles) échafaudant des déductions et interprétations complexes par la connexion ingénieuse et savante, et même parfois géniale, de milliers de données minutieusement recueillies et triées, et savamment contextualisées, pour être connectées et permettre de savoir et comprendre « ce qui s’est passé » en la pleine lumière gagnée de la connaissance de l’Histoire… D’où la richesse en désaccords voire querelles entre les chercheurs, et a fortiori sur un terrain aussi (éthiquement et anthropologiquement) brûlant !!! ; même si cette connaissance (objective des faits ; avec un consensus qui peut à peu se fait jour…) progresse : mais oui !!! Dans ce livre-ci, Florent Brayard ne recherche nullement, et moins que jamais, le scandale ou la polémique pour la polémique, mais parfaitement sereinement il dialogue de manière critique, en avançant _ au besoin contre d’autres interprétations citées et discutées _ ce qu’il nomme fort justement (page 14) sa « proposition«  (et à cette date de la publication : janvier 2012), avec les thèses _ ou « propositions« , elles aussi ! _ des auteurs ses confrères historiens les plus pointues ; pour citer quelques uns de ces auteurs : Christopher Browning, Daniel Jonah Goldhagen, Peter Longerich, Saul Friedlander, etc. _ mais nulle allusion, en ce livre-ci, à la polémique de 2009 avec Édouard Husson…

Et passionnant aussi sur le terrain de l’épistémologie (en acte !) de l’histoire, Florent Brayard assumant (et même revendiquant : brillamment !) le statut même d' »enquête » de sa recherche d’historien, conformément à ce qu’est in concreto la démarche du chercheur en cette discipline, depuis l’Histoire (= enquête !) d’Hérodote et l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, de Thucydide _ à cet égard, ses très claires et synthétiques (brèves et ramassées, chaque fois)  « Reprises » (I, II, III et IV) sont fort précieuses, tels de très lumineux paliers dans la progression de sa très riche et dense enquête…

En ce dialogue critique, aussi nécessaire que fécond,  avec les démarches de ses confrères sur la piste de l’établissement et intelligence objectives des faits advenus, « j’ai préféré, dit Florent Brayard page 14, étendre autant que possible l’enquête. Et j’ai supposé que la tâche qui consistait à ordonner différemment cette documentation, en soi énorme _ mais déjà, aussi, pas mal filtrée par les recherches de ces confrères _, à la soumettre à un répertoire nouveau de questions _ c’est-à-dire problématiser ! en s’efforçant de s’extraire des ornières (trop tracées et grossières) des clichés… _, à en proposer de nouveaux schémas d’analyse,

j’ai supposé que cette tâche donc était peut-être suffisante en soi.

C’est ainsi une proposition _ voilà : avec humilité et sans agressivité _, dont j’ai essayé de faire la démonstration _ très minutieusement argumentée, avec référence très précises fournies (en notes abondantes : aux pages 453 à 517) _, aussi développée qu’il était nécessaire, aussi synthétique que possible« , page 14.

Avec cette « réserve« -précision-ci, qui marque le défi à relever par le travail d’intelligence des traces (de connaissance ou d’ignorance, de mensonge ou d’aveu, involontaire ou assumé ! de la part des acteurs de ce qui peut être pour nous symbolisé par « Auschwitz » : soit la destruction systématique des Juifs allemands et, plus généralement, de l’Ouest de l’Europe, distingués des Ostjuden…), et de leur analyse-interprétation-compréhension :

« Démontrer l’ignorance est par nature plus difficile que le contraire. Un témoin de l’époque pouvait le cas échéant dire ou écrire : « Je sais que les chambres à gaz existent. » Mais nul témoin n’a jamais pu écrire au présent : « je ne sais pas que les chambres à gaz existent », tout simplement parce que la proposition n’a pas de sens : ce qu’on ignore, on l’ignore _ comme on ignore aussi qu’on l’ignore ! on n’en a pas idée ! on ne s’en doute pas… ; à moins que nous n’entrions dans les arcanes de soupçons (qu’on refuse d’aborder de plein front) ; mais c’est autre chose ; même si cela aussi Florent Brayard l’envisage et l’explore ! _, et ne saurait en parler« , toujours page 14. Cela ne peut être que déduit…

Mais, aussi, Florent Brayard d’ajouter immédiatement, pages 14-15 :

« Comme on le verra, j’ai pu, dans un certain nombre de cas _ passionnants à décrypter avec l’auteur _, dépasser l’aporie en établissant que l’ignorance _ elle-même, quand on l’établit _ n’est pas faite de vide _ voilà où nous approchons d’investigations plus complexes passionnantes _, mais qu’elle est au contraire remplie de représentations différentes, d’imaginaires autres«  _ c’est-à-dire de représentations complexes éventuellement ambigües, mais qui ont aussi leurs conséquences bien réelles dans les actes, et par là dans le fil de l’Histoire…

Aussi l’historien doit-il alors préciser :

« L’argumentation cependant demeure fragile, en particulier parce que, le plus souvent, il est impossible de tirer des conclusions solidement assises _ c’est-à-dire recevables par la communauté des historiens comme objectivement démontrées _, de statuer autrement qu’en reconduisant _ c’est la tentation la plus inaperçue, face à la complexité du réel (et a fortiori des tromperies)  _ des a priori, par esprit de système«  _ ce que bien sûr il s’agit de corriger !..

Avec cette ouverture, surtout, essentielle, page 15 :

« Enfin, il est possible, sinon probable _ et même heureusement souhaitable et à encourager ! _, qu’en réaction à cette proposition d’autres historiens fassent état ou découvrent d’autres sources _ ce sont les bonheurs de la recherche : tout chercheur en connaît ! _ qui conduiront à l’amender _ cette « proposition » que constitue l’ensemble de ce travail proposé ce jour de janvier 2012 à la communauté ouverte des lecteurs avec ce livre-ci ! Et c’est bien ainsi. L’Histoire progresse de manière dialectique _ voilà : avec débats savants des propositions avancées… _, par approximation progressive _ des auteurs-chercheurs _ : elle se corrige à plusieurs mains«  _ voilà !!!…

Et en ce débat argumenté des diverses propositions d’intellection de ce qui est advenu dans l’Histoire et y a fait sens,

« se trouve en jeu » _ aussi ! et toujours ouvert… _ « la possibilité offerte au lecteur-accompagnateur, de tester, chemin faisant, la validité des réponses proposées _ aux questions proposées, en la construction même, inventive, de l’« enquête » du chercheur-historien ! _, d’apporter la contradiction, de constater les éventuelles erreurs de raisonnement ou les points aveugles _ voilà ! _, d’approuver ou, le cas échéant, de récuser les conclusions« , page 15.

Et Florent Brayard  de présenter alors, pages 15 à 17, ce qu’il a méthodologiquement retiré pour sa démarche d’enquête, du paradigme Settis-Ginzburg, tiré de L’Enquête sur Piero della Francesca de Carlo Ginzburg, ce « paradigme indiciaire » magistralement développé par Carlo Ginzburg en son article Traces. racines d’un paradigme indiciaire, paru une première fois, en une traduction de Monique Aymard, dans la revue Le Débat, le 6 novembre 1980, et repris dans le recueil Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, pages 218 à 294 de la traduction revue par l’ami Martin Rueff, chez Verdier, en septembre 2010 ; et qui comporte « trois règles : exhaustivité, cohérence et principe de parcimonie », page 16.

Avec, pour ce cas spécifique-ci de l’intelligence du meurtre systématique des Juifs de l’Europe de l’Ouest, cette circonstance et condition toute particulière-ci, pages 16-17 :

« Il ne faudra donc jamais espérer disposer de toutes les pièces, tant s’en faut, alors que tout figure dans le tableau » _ à décrypter par le sémiologue, tel Salvatore Settis en son L’Invention d’un tableau : La Tempête de Giorgione, à propos de l’énigmatique La Tempesta (visible à l’Accademia de Venise)… « Cette différence de nature est d’autant plus marquée concernant mon sujet. Les bourreaux, à partir d’un certain moment, ont tué dans des lieux _ volontairement _ reculés _ Belzec, Sobibor, Treblinka... Ils ont détruit les Juifs, mais aussi leurs corps _ cf l’Aktion 1005 mise en œuvre par Paul Blobel. Non content de brûler les cadavres, ils ont passé les archives par le feu, avec une ambition systématique.

On ne le verra que trop _ prépare très clairement le lecteur, Florent Brayard, page 16 _ : l’enquête consiste à relier des lambeaux épars de documentation que le hasard a légués, des pièces rescapées _ des flammes négationnistes nazies.

Il n’est guère que dans le cas du Journal de Goebbels où l’on ait la certitude d’avoir l’intégralité du corpus, à l’exception des toutes dernières semaines. Les archives du ministère allemand des Affaires étrangères sont un autre gisement important qui, par un hasard inexpliqué, paraît avoir échappé, à peu de choses près, à la destruction.

Pour le reste, on fait avec le peu que l’on a ; et l’incomplétude de la documentation apparaît comme une raison supplémentaire pour ne négliger _ voilà ! _ aucun de ces lambeaux. L’exhaustivité _ à rechercher infatigablement ! _ est de règle, même si elle s’exerce sur un ensemble _ forcément, et plus que jamais ici, du fait même du « complot nazi » ! _ lacunaire.« 

La « proposition » de Florent Brayard est ainsi « la suivante : la « solution finale de la question juive », ce meurtre systématique de l’ensemble des Juifs européens, a été conçue et mise en œuvre dans le secret le plus absolu, ou du moins le plus grand possible« , pages 17-18.

Et « le complot avait donc consisté, pour les responsables et les exécutants de la « solution finale » entendue comme un meurtre _ et pas seulement une « extermination«  à plus ou moins long terme : ce distinguo est capital à la « proposition«  ici de Florent Brayard ! _, à laisser le reste _ même un Goebbels était exclu de ce savoir !!! _ de l’appareil d’État _ rien moins ! _ croire qu’il n’en était rien« , page 19.

En effet, la doxa dominante parmi les historiens, est de penser que c’est « à Wannsee au plus tard » que « la décision avait été prise de tuer tous les Juifs _ et pas seulement ceux de l’Est (de Pologne et Russie), comme entrepris déjà… : les symboles en étant, si l’on veut, et Babi-Yar, et Treblinka ; alors que le symbole de la phase (à partir de mai 1942) du meurtre systématique (Juifs de l’Ouest compris), sera Auschwitz… _ ; c’est cette politique de meurtre systématique qui avait été présentée par Heydrich, le 20 janvier 1942″...

« Il me semble _ annonce Florent Brayard page 18 : c’est la base même de sa « proposition« , tant temporellement que spatialement _ que les choses ont été beaucoup plus complexes dans la réalité« .

Et « ce que vais tenter de démontrer ici,

c’est que, quoi qu’il en soit par ailleurs de Wannsee _ il y consacrera ses chapitres VI (« Le silence qui suivit Wannsee« ) et VII (« Une relecture de Wannsee« ) _,

le cercle des porteurs de secret _ ou du « complot » ! _ était beaucoup plus _ précautionneusement _ restreint que l’on n’a l’habitude de le penser.

Et l’on verra qu’il y a eu, à ce secret plus strict, bien des raisons que les principaux acteurs, Hitler et Himmler, n’ont _ elles : dès Mein Kampf, et encore avec la « prophétie«  du 30 janvier 1939, de Hitler, et ses réitérations… _  jamais cachées« …

Ainsi, pour Florent Brayard, « force est de constater« , dit-il page 18, que ce n’est que « en octobre 1943 » _ les 4 et 6 octobre _ que « cette politique de communication » du cercle le plus restreint de l’État nazi « reçut une inflexion fondamentale : à Posen _ Poznan _, devant les plus hautes autorités politiques, sécuritaires, puis militaires, Himmler expliqua pour la première fois ce qu’avait été _ au passé, car elle était alors en voie d’achèvement, pour l’essentiel, à cette date, depuis sa mise en œuvre à grande échelle (mais sans qu’en soient informés ceux qui ne la mettaient pas directement en œuvre, sur le terrain, en première ligne, en quelque sorte ; les tâches étant bien parcellarisées et compartimentées !), en mai-juin 1942 _ la « solution finale » _ in concreto. C’était au moment du recul très préoccupant des troupes allemandes de Russie : il s’agissait surtout de « créer une communauté criminelle qui n’avait d’autre salut _ les « ponts coupés » et les « vaisseaux brûlés » derrière soi…_ que la victoire«  _ selon l’heureuse formulation de la page 441 ; c’est-à-dire conscience, ici et désormais, de ne disposer de nulle échappatoire à la responsabilité de ce qui avait été commis !


Ainsi « Goebbels _ exclu de ce cercle de ceux qui savaient le tout (de l’opération de la « solution finale« ) ! lui, le ministre de la Propagande et Gauleiter de Berlin _, confrontés à ces mots crus _ du Reichsführer Himmler _ fut forcé de savoir _ frontalement, enfin ! et alors même qu’il n’avait certes rien d’angélique en les convictions de son antisémitisme virulent ! _ que les Juifs déportés à l’Est avaient été eux aussi gazés« , page 18.

Et page 19 :

« Hitler et Himmler avaient en effet choisi  _ Florent Brayard commente ici son concept de « complot« , page 19 _ de faire perpétrer le meurtre indiscriminé et rapide des Juifs d’Europe _ de l’Ouest _ par l’appareil policier _ le corps des SS _, lié _ contractuellement en quelque sorte ; cf aussi, déjà, les règlements détaillés page 382 pour « chaque membre des camps de Belzec, Sobibor et Treblinka«  ; et l’affirmation, à la même page 382 : « Les membres de l’encadrement d’Auschwitz étaient également tenus au secret«  _ par le secret ; et ils avaient, dans le même mouvement, décidé de ne pas informer le reste de l’appareil d’État, à quelques exceptions près _ pour les besoins de la cause sur le terrain, seulement !de tous les volets de cette politique transgressive, dont certains étaient par ailleurs connus«  _ mais au cas par cas seulement, pas dans leur systématicité (« totalitaire », dira, en en forgeant le concept, Hannah Arendt)…

Sur le régime du secret de l’État nazi,

on se reportera à ce qui est rapporté _ fort judicieusement _, pages 382-383, de l' »Ordre fondamental de Hitler sur la conservation du secret«  (page 509), en date du 11 janvier 1940, et plusieurs fois réitéré : le 25 septembre 1941 et le 12 juillet 1942.

Je cite (et on notera au passage la réitération de l’adjectif « absolu » pour qualifier « obligations » et « nécessités » de « services » !) :

« 1. Personne, aucun service, aucun officier ne doit apprendre une chose à conserver secrète s’il n’est pas dans l’obligation absolue d’en prendre connaissance pour des raisons de service.

2. Aucun service ni aucun officier ne doivent apprendre plus d’une chose qui doit être gardée secrète que ce qui lui est absolument nécessaire pour la réalisation de sa tâche.

3. Aucun service ni aucun officier ne doivent apprendre une choses à conserver secrète , c’est-à-dire la partie d’information qui lui est nécessaire avant que cela lui soit absolument nécessaire pour la réalisation de sa tâche.

4.  La transmission inconsidérée d’ordres, dont le secret est d’une importance décisive (…), est interdite.« 

Et Florent Brayard d’ajouter à la suite, page 383 :

« Le 10 juin 1941, Goebbels remarqua _ en son Journal _ une variante à ce décret : « Le Führer publie un nouveau décret sur la conservation du secret. Le simple fait de communiquer les conclusions qu’une autre personne croit pouvoir tirer de certains signes est considéré comme une violation du secret «  ;

et de cela Florent Brayard  déduit avec force, page 383 :

« C’est aussi à l’aune de ce secret généralisé _ voilà ! _ qu’il convient de comprendre les _ très vétilleuses ! _ modalités d’application choisies pour la « solution finale » en tant que meurtre généralisé«  _ et pas que simple « extermination«  à plus ou moins long terme…

Je reviens à la remarque de la page 19 sur le caractère « transgressif » de cette politique de meurtre (des Juifs de l’Ouest).

Car c’est bien là une des raisons de, non seulement ce secret, mais de ce « complot » dans les cercles les plus restreints de l’État nazi : « Tout à la fois concepteurs et donneurs d’ordre, les deux hommes _ Hitler et Himmler _ partageaient une conscience aigüe de la radicalité de leur projet.

Il existait certes une justification politique au meurtre _ la conviction (chevillée au corps !) de Hitler de la responsabilité juive dans la défaite de l’Allemagne en 1918, et le danger permanent que « les Juifs » faisaient (et feraient, tant qu’ils vivraient et seraient en mesure d’agir) porter sur l’Allemagne, toujours sous la menace de son « extermination« , à cause des menées destructrices des Juifs ; cf là-dessus la « prophétie«  de Hitler proférée en janvier 1939, et ses réitérations _, suffisamment puissante pour permettre le passage à l’acte. Et Hitler et Himmler, chacun à sa manière, n’ont cessé de l’exposer, dans des discours publics ou privés, dans des ordres ou dans des correspondances.

Mais, si fondée qu’elle fût du point de vue idéologique, la mise à mort systématique des Juifs pouvait _ de fait _ heurter ce qui restait de morale judéo-chrétienne dans l’Allemagne nazifiée (…) Les deux plus hauts responsables de la politique antijuive pouvaient bien s’emporter régulièrement contre ce reliquat déplacé de « sentimentalité » : ils devaient néanmoins _ pragmatiquement pour la réussite maximale de leurs actions ! _ le prendre en compte« …


Le résultat de la « proposition » de Florent Brayard consiste donc _ cf page 25 _ dans la thèse

qu' »il convient de retarder de quelques mois par rapport au récit traditionnel

le basculement définitif _ et irréversible : les « ponts«  ayant été « coupés » : la métaphore s’est imposée tant à Himmler qu’à Hitler… _ dans le meurtre indiscriminé _ femmes et enfants compris ; et plus de « bons Juifs«  à épargner et sauver…

De fait, entre avril et juin 1942 _ soit en mai _, le schéma originel de disparition à court ou moyen terme de tous les Juifs

laissa la place à une déportation rapide vers les chambres à gaz d’Auschwitz, de Sobibor ou de Treblinka.

D’un projet politique d’extinction, tel qu’exposé à Wannsee _ le 20 janvier 1942 _,

on était passé _ en mai 1942 _ à une politique d’extermination » _ on ne peut plus effective et accélérée, page 25.


Aussi, « le sens que je donne à Auschwitz dans le présent livre est encore plus restreint : je ne prétends pas désigner avec ce nom _ ainsi symbolique : pour résumer ! _ l’ensemble du génocide,

mais _ seulement _ l’ultime configuration de la politique antijuive, où tous les Juifs, et non plus seulement les Juifs de l’Est, devaient être assassinés.

Auschwitz renvoie donc à la fois à un dispositif et à une temporalité, qui sont indissociables. Car le camp a été progressivement transformé en site industriel d’extermination _ immédiate _ à partir du printemps 1942, au moment même où la politique nazie bascula vers le meurtre total et pour le mettre en œuvre.

Or c’est ce basculement-là qui me retient _ dit Florent Brayard page 26 _ parce qu’il ne fut pas, selon moi, rendu public au sein _ même _ de l’appareil d’État. » 

« Cette retenue, ce silence paradoxaux au premier abord, ne sont _ à l’analyse, toujours page 26 _ en rien étonnants : une divulgation n’était _ même au plus haut de l’appareil d’État ! _, dans un premier temps du moins, ni nécessaire ni souhaitable _ à l’efficacité de l’action : le critère suprême ! Il pouvait même paraître contre-productif de parler d’Auschwitz ou d’en parler trop tôt » _ même à un confident aussi régulier (et proche !) comme pouvait l’être Joseph Goebbels pour Hitler…

En conséquence de quoi : « L’absence de communication officielle interne concernant cette politique criminelle systématique   _ même Goebbels, ministre de la Propagande, et confident de Hitler, donc, n’en était pas informé ; et Hitler, qui avait l’art des formulations ambigües en fonction de ses divers destinataires de discours (ou confidences) _ constitue bel et bien le point central de ma démonstration«  _ souligne Florent Brayard page 26.

Et la réaction de chacun des acteurs, ensuite face aux rumeurs (« fallait-il (leur) accorder du crédit » ? « Ou les disqualifier en tant que rumeurs et s’en tenir à la ligne officielle, qui n’était en réalité qu’une fiction ?« ), « faute de documents _ décisivement _ probants, laisse souvent l’historien dans l’incertitude.

Il sera néanmoins possible, dans un certain nombre de cas, de déterminer _ par la confrontation méthodique (et selon les trois principes du « paradigme indiciaire«  de Settis-Ginzburg) des témoignages divers ou des actions induites ; et c’est un apport important de ce travail ! _ comment les membres de l’appareil d’État l’ont tranchée« , pages 26-27.

« On pourrait considérer comme indifférente _ ou byzantine… _ la distinction entre ces deux voies possibles _ l’extinction lente, l’extermination immédiate, comme « solution finale de la question juive«  _ de réalisation d’un but unique et monstrueux. Ce serait un tort.

Aujourd’hui comme hier, pour eux comme pour nous,

la différence entre laisser mourir et faire tuer _ et à quelque échelon que ce soit des acteurs de ces actes de mort ! _

est radicale

et constitue une sorte d’invariant anthropologique

que même les théories raciales n’ont pas réussi à effacer totalement.

Mise à l’épreuve à plusieurs reprises au cours de l’enquête,

cette distinction permet de reconstituer de manière plus satisfaisante les catégories mentales mobilisées par les acteurs

et aboutit , de ce fait, à une compréhension plus profonde, plus précise, de leurs choix

quant aux modalités de mise en œuvre du meurtre.« 

« Ma proposition de reconstitution (…) complexe (…)

répond, je crois _ avance Florent Brayard, page 27à l’injonction faite à l’historien, toutes époques confondues,

de mieux cerner

comment cela a été _ soit établir les faits.

Dans le cas d’espèce, on le comprendra bien _ commente-t-il _,

reconstruire « comment cela a été »

est une autre manière de se demander,

avec une inquiétude aussi vivace _ et cela se ressent éminemment à la lecture !!! _ qu’au premier jour, malgré les décennies passées :

« Comment cela a-t-il été _ humainement _ possible ?«  » _ page 27.

Avec cette conclusion-ci, par anticipation, au commentaire :

« L’enquête historique qu’on va lire

 autorisa probablement au bout du compte un double constat, profondément équivoque :

 la permanence relativement tardive _ de la conception-représentation _ du meurtre en tant que limite transgressive _ un tabou ! _ dans la société allemande nazifiée _ depuis 1933 _, à tout le moins pour certaines catégories de victimes comme les Juifs allemands ;

le  consensus quasi unanime de cette même société autour d’un objectif avoué _ sur le long terme, sans forcément le meurtre immédiat _ d’extinction du peuple juif sans distinction d’aucune sorte«  _ page 27.

Et page 28 :

« Si le meurtre n’avait pas été considéré comme transgressif,

il n’aurait pas été caché aussi précautionneusement qu’il l’a été.

Surtout, s’il n’y avait pas eu de consensus autour d’un projet d’extinction largement défini,

le meurtre aurait été tout simplement inimaginable _ à pouvoir être réalisé _,

car cacher plus n’était pas possible.

On voit bien que les choses sont indissociablement liées«  _ et que les dirigeants nazis opéraient aussi sur le fil du rasoir (des opinions : sous l’angle de leurs conséquences on ne peut plus pragmatiques !)…

Au final, le mensonge et l’ignorance propagée cyniquement avec un tel souci maniaque du détail efficace

à la tête de l’État nazi et de son administration _ et ses rouages (kafkaïens !) _,

ne dédouane, bien sûr !,d’aucune responsabilité (éthique et juridique) à l’égard du crime

nul des acteurs

aveuglés, aveugles et aveuglants

de ce régime : tout au contraire ! _ et c’est même un « facteur aggravant » (page 23) de l’ignominie !

A commencer par Goebbels, pris ici,

du fait de la préservation _ qu’il a voulue ! _ de son Journal,

comme exemple-témoin de premier rang (!) _ et au fil des jours _

des émotions, attitudes et réactions quasi épidermiques

des acteurs et responsables de ce régime,

comme en témoignent les trois chapitres

I, « Goebbels et la persécution des Juifs _ 1939-1942 » (pages 31 à 64),

II, « Goebbels et le meurtre des Juifs _ 1942-1945 » (pages 65 à 106)

et III, « Le Journal de Goebbels comme source historique » (pages 107 à 149).

Mais aussi le chapitre VIII, « Au miroir des Affaires étrangères » (pages 301 à 358).

Pages 9-10 de son « Introduction« , Florent Brayard raconte l’historique de sa focalisation sur Goebbels :

« Il s’est trouvé que l’on m’a commandé une introduction _ pages LXIII à XCIII : « Goebbels et l’extermination des Juifs » (Berlin, été 2008) _ au dernier volume paru en français du Journal de Joseph Goebbels, portant sur la période 1939-1942. J’avais ainsi l’occasion de me pencher à nouveau sur cette source majeure que j’avais déjà beaucoup utilisée lors de mes travaux antérieurs, sans jamais néanmoins l’avoir étudiée de manière vraiment systématique. Au terme de mon dépouillement, je disposai pour la première fois de l’ensemble des passages dans lesquels le ministre de la Propagande du Reich et Gauleiter de Berlin avait au cours de la guerre évoqué les Juifs.

Je voulais en particulier revenir sur un célèbre passage que j’avais déjà longuement commenté et qui posait problème. Le 28 mars 1942, Goebbels avait retranscrit ce qu’il venait d’apprendre sur le meurtre des Juifs dans le gouvernement général, ce territoire polonais sous la férule allemande mais non intégré au Reich. Il n’était pas possible, à la seule lecture du texte, de décider si les Juifs allemands déportés sur ce territoire et relégués dans des ghettos étaient supposés connaître _ c’est-à-dire subir ! _ le même destin que les Juifs locaux, déportés et exterminés dans le camp de Belzec. A l’opposé de mes prédécesseurs, j’avais implicitement répondu par la négative. Mon arbitrage néanmoins se fondait seulement sur divers éléments contextuels relatifs à l’état d’avancement, à cette époque, de la conception et mise en œuvre de la « solution finale juive ». Une confirmation interne, tirée du Journal lui-même, faisait défaut : je la trouvai finalement grâce à cette recherche systématique _ voilà comment se font les découvertes pour qui mène une recherche ! Goebbels n’avait pas laissé entendre que les Juifs allemands déportés sur les territoires polonais allaient eux aussi être exterminés, puisque _ voici ce qui fait preuve ! _ trois mois plus tard, comme on le verra, il _ en son Journal rien que pour lui-même, et sans considération de propagande trompeuse... _ les supposait encore vivants. Il les considérait même comme une menace toujours réelle que leur confinement dans des ghettos permettait de juguler de manière seulement _ voilà ! _ temporaire«  _ et non définitive !!!..

« La question, dès lors, était la suivante : à quel moment Goebbels avait-il appris que les Juifs allemands déportés à l’Est connaissaient le même sort que leurs congénères locaux, qu’ils étaient assassinés dans des chambres à gaz comme ceux-ci avaient été gazés ou tués par les Einsatzgruppen ? Et l’enquête me conduisit à un résultat très éloigné _ voilà ! _ de celui auquel je m’attendais : il avait fallu de longs mois _ depuis cette date du 28 mars 1942 _ pour que Goebbels sût, ou, à tout le moins, fût informé _ le distinguo est riche de sens _ que la déportation était synonyme de meurtre immédiat et indiscriminé _ femmes en enfants (= « marmaille«  !) compris. Selon ma reconstruction, c’est seulement en octobre 1943, à la faveur du discours prononcé par Himmler à Posen devant les plus hauts responsables du Parti _ le 6 octobre, donc _, que Goebbels fut informé et qu’il comprit _ l’un après l’autre… _ que la « solution finale », alors presque achevée, était en fait un meurtre systématique _ et immédiat _ touchant _ désormais _ sans distinction tous les Juifs européens sous domination allemande. »

« Une question en amenant une autre _ en toute recherche méthodique un tant soit peu sérieuse _, je me demandai ensuite _ poursuit Florent Brayard en cette (germinale) page 10 de son « Introduction » _ si le résultat de mon enquête  _ stupéfiant au départ à propos d’un si haut responsable que Goebbels dans la machine étatique nazie, et amené à recevoir si souvent les confidences d’Adolf Hitler lui-même, en son privé… _ qui allait à l’encontre de l’historiographie concernant la diffusion des informations sur le génocide en Allemagne,

constituait une exception, explicable de bien des façons,

ou bien, si, au contraire, il ne rendait pas urgent un réexamen _ systématique : à la façon d’Albert Einstein face à la Physique générale de Newton, au vu de l’anomalie représentée par les résultats, incontournables, de l’expérience de Michelson et Morley, si l’on veut… _ de la question.

Depuis les procès de Nuremberg, en effet, on a pris l’habitude de supposer que les plus hautes instances du régime avaient rapidement été informées du meurtre planifié des Juifs. Les administrations compétentes, policières ou civiles, avaient, présumait-on, participé en toute connaissance de cause à la mise en œuvre de cette politique criminelle qui demeurait cependant cachée à la population.

Pour être largement admis _ et depuis longtemps _, ces schémas d’analyse hérités d’une tradition judiciaire _ en effet _ montraient peut-être leurs limites, dans la mesure où, incapables de l’intégrer harmonieusement, ils ne pouvaient que disqualifier l’expérience de Goebbels en la posant comme une exception.

Le présent livre se veut _ en conséquence de quoi ! _ le réexamen de ces catégories d’analyse,

et partant une histoire de ce phénomène à part entière qu’a été le secret _ et même le « complot » (d’État) ! _ entourant la « solution finale de la question juive » _ peut déduire de cela Florent Brayard, page 11 de sa très éclairante « Introduction » !!!  

Je reviens maintenant à la suite de l’organisation du livre de Florent Brayard.

Les chapitres IV, « Le concept d' »extermination » dans la sphère publique«  (pages 157 à 182) et V, « Comprendre l' »extermination du Juif«  (pages 183 à 225) éclairent la très cruciale polysémie du mot « extermination » dans la perspective des Nazis _ Hitler appliquant d’abord, et  en très grande proportion !, le terme à la menace subie par les Allemands ! _  ;

les chapitres VI, « Le silence qui suivit Wannsee«  (pages 231 à 260) et VII, « Une relecture de Wannsee«  (pages 261 à 294) permettent à Florent Brayard de préciser point par point sa position sur ce qui fut décidé ou pas à cette conférence, par rapport aux thèses de ses confrères ;

et enfin les chapitres IX, « La « solution finale » comme complot«  (pages 365 à 398) et X, « Une preuve du complot par son dévoilement«  (pages 399 à 421) font le point sur les attitudes et les actes, par rapport aux discours et aux silences des acteurs de l’Histoire, quant à la mise en œuvre accélérée et tenue le plus possible secrète du meurtre généralisé des Juifs, de mai 1942 à octobre 1943 (et les deux discours de Himmler à Posen), pour le chapitre IX ; et sur l’évolution de la position des dirigeants nazis, eu égard à ce qui devenait un secret de moins en moins restreint et gardé, d’octobre 1943 à la chute du régime, en avril-mai 1945 ; du déni à la revendication eschatologique même…

Quant à l’Épilogue, titré « « Exterminer », futur du passé«  (pages 423 à 451),

il revient sur les perspectives eschatologiques des uns et les autres, et notamment Goebbels, Himmler et Hitler, au tout premier chef,

en débutant par une analyse détaillée du film de propagande commandé très probablement par Goebbels, et à destination de la postérité, et tourné au ghetto de Varsovie du 30 avril 1942, jusqu’au 2 juin :

« C’est bien cela qu’il _ Goebbels _ voulait fixer pour la postérité : le sort des Juifs allemands dans les ghettos de l’Est, en route pour une transplantation future : « (Hitler) veut absolument repousser les Juifs hors d’Europe. C’est bien ainsi. Les Juifs ont infligé tant de souffrance à notre continent que la peine la plus dure que l’on peut leur infliger est toujours et encore trop douce », notait Goebbels dans son Journal, indique Florent Brayard page 426.

Qui précise encore, page 428 : « Ce que le film donnait à voir, c’était donc des Juifs allemands décivilisés, retournés à l’état d’Ostjuden et _ devenant, au fur et à mesure du déroulé de cette scénarisation, peu à peu _ indiscernables dans le magma grouillant des ghettos« …

Et Florent Brayard de le commenter ainsi, page 429, puis pages 433-434 :

« Pour moi, parce que je sais, ces images sont simplement insoutenables. Nous sommes en mai 1942, je l’ai dit. La visite de Himmler à Lublin, le 18 juillet, marquera le lancement de l’évacuation de la population juive de Varsovie. Deux mois plus tard, 80 % des Juifs du ghetto auront été assassinés à Treblinka. Quatre sur cinq, parmi tous ceux que la caméra a fixés. La petite fille serrant son ours en peluche et la grand-mère qui tricotait. Peut-être les deux hommes qui avaient présenté leur prétendu laissez-passer. Ceux-là ou d’autres, des centaines de milliers d’autres. Titre du rapport final du liquidateur du ghetto, le SS-Brigadeführer Jürgen Stroop : « Il n’y a plus de zone de résidence juive à Varsovie ! » « …

« Tout est faux. On a mis en scène, on a multiplié les prises, on a choisi les angles et travaillé les lumières, sélectionné les figurants. (…) Tout est faux, passé au moulinet de la caricature ou de l’invention antisémite.

Mais tout est vrai. Le film est conçu comme un documentaire scénarisé et non pas comme une fiction. Ce qu’on voit à l’écran _ et cela est fondamental _ c’est la manière dont Goebbels, sincèrement, envisageait le futur des Juifs allemands déportés à l’Est, leur « extermination » _ à long terme (seulement…). Le ministre de la Propagande n’avait pas commandé ce film pour cacher le meurtre systématique des Juifs pour la bonne et simple raison qu’il n’en avait pas alors connaissance. (…)

Goebbels ne savait pas et se réjouissait sans savoir : « Je m’efforce en permanence d’envoyer le plus de Juifs possible vers l’Est ; s’ils sont en dehors du territoire du Reich, alors ils ne peuvent pas nous nuire au moins pour le moment«  _ notait Goebbels dans son Journal le 29 mai 1942.

Le secret, c’est ce qui avait permis au ministre de la Propagande  de croire commander un documentaire, alors que la « réalité » qu’il mettrait en scène était d’ores et déjà devenue une fiction« …


Et Florent Brayard de méditer, toujours pages 434-435 :

« On ignore si Goebbels avait repensé à son film, quatorze mois plus tard, en octobre 1943, quand Himmler annonça à Posen que la « solution finale » avait été un meurtre et que ce meurtre était achevé. Une fois _ mais très vite _ la surprise passée, il aurait pu se dire avec ironie que son documentaire pouvait toujours servir : toujours pour expliquer la disparition des Juifs _ au moins du territoire du Reich allemand; et déjà de Berlin, dont il était le Gauleiter _, mais en cachant cette fois volontairement au peuple allemand vainqueur cet acte monstrueusement transgressif _ voilà ! _ qu’avait été le meurtre des Juifs. Conçu comme un documentaire, ce film aurait pu être utilisé en tant que fiction prenant la forme du documentaire. Cet usage potentiel, lui aussi, était rendu possible par le secret : Himmler avait dévoilé _ à des membres choisis des sphères dirigeantes _ le contenu criminel de la « solution finale » à la seule élite, en lui ordonnant de n’en plus jamais parler.

C’est parce que cette politique était secrète que, dans l’Europe nazie des années 1960 ou 1980, les spectateurs du film auraient pu recevoir comme un documentaire la fiction que Goebbels avait, à son insu, fait réaliser. La victoire du Reich aurait empêché au mot « extermination » de prendre le sens que nous lui connaissons _ en un autre contexte que celui envisagé par les Nazis… _ et qui rend si compliquée _ encore : du moins jusqu’ici… : faute de ce décentrage vis-à-vis des représentations du présent que doit permettre, justement, le travail des historiens ! _ notre compréhension de ce passé. Mais le Reich heureusement fut défait« …


Le reste de l' »Épilogue » est consacré aux perspectives eschatologiques des dirigeants du régime nazi, Himmler et Hitler ; en 1944 et 45 surtout,

à l’approche de leur fin…

Auschwitz, enquête sur un complot nazi, de Florent Brayard, aux Éditions du Seuil

est un livre important,

qui marque probablement une avancée

dans le déchiffrement de l’histoire de la « solution finale« 

et de ses modalités pratiques cyniquement diversement mensongères…

Nul doute que ce travail

et le détail même de ce qu’il déduit, au cas par cas, comme ignorance ou mensonge,

va susciter de nouvelles fécondes réponses…

Titus Curiosus, ce 22 février 2012

 

 

 

Comprendre le réel (et le monde) : « le moment Obama », un article de John Carlin, dans El Pais du 28 décembre

28déc

Comprendre le réel (et le monde _ en sa réalité historique ; et dans toutes ses facettes, disons « culturelles » ; dont artistiques…)

_ et cela, afin d’un peu mieux, peut-être, y vivre... _

est une de mes (modestes, mais fermes, constantes, décidées) « ambitions » de personne _ et de citoyen…

D’où l’un peu large

(comme _ ou autant que _ je peux et essaie, avec mon paquetage de bagages :

de même qu’avec _ ou plutôt sans ! _ ceux qui me font défaut,

et dont il faut _ tant soit peu… _ essayer de pallier les conséquences de l’absence…)

d’où l’un peu large éventail d’outils

à « alimenter »

_ et comme je peux, c’est-à-dire de bric et de broc, comme tout un chacun ! _

ma curiosité…

D’où, et m’y voici, ma lecture matinale de la presse _ notamment internationale _ de qualité : El Pais, La Repubblica, le New-York-Times, ou The Independent, entres autres (selon les langues que je peux au moins « déchiffrer » ; en plus du Monde, de Libération, du Figaro ; et quelques autres…


Ce matin,

avant que je mette à l’article que j’ai en tête (et en chantier) :

sur l’expo aixoise _ à la galerie Alain Paire, 30 rue du Puits-Neuf (et jusqu’au 31 décembre !!!) _ « Paysages et natures mortes »  d’Anne-Marie Jaccottet ; et cette merveille (de goût) qu’est le livre qui lui est « consacré » _ c’est le terme approprié ! _, « Arbres, chemins, fleurs & fruits _ aquarelles et dessins d’Anne-Marie Jaccottet« , avec des « textes » _ de « lecture » de ces œuvres _ de Philippe Jaccottet, Alain Madeleine-Perdrillat et Florian Rodari ; ainsi qu’un « entretien de l’artiste » avec Alain Paire ; aux excellentes éditions La Dogana ;

avant cela, que j’ai à cœur d’écrire,

vient solliciter mon attention un magnifique article de John Carlin dans El Pais de ce jour.

Le voici donc, en castillan ;

car il me paraît excellemment « éclairer » ce qui sera _ peut-être !.. _ un tournant de l’Histoire de nouveau siècle ;

et que je me permets de nommer « le moment Obama » ;

avec toutes les incertitudes attenantes, bien sûr, à l’Histoire collective des hommes, perpétuellement en train de se faire ;

avec ses pentes et pesanteurs (sociologiques) si puissantes, voire redoutables ;

mais aussi ses virages, ses inflexions ; et une part _ un clinamen ?.. _ de « liberté »…

J’ose y croire…

D’où la question _ philosophique en partie _ sur la « part » que peuvent, ou pas ; et dans quelle _ très fine !!! _ mesure ; y « jouer » de « grands hommes », tel que celui que promet d’être ce Barack Hussein Obama…

Or, il me semble que John Carlin met tout cela en balance, en son article optimiste, mais modéré, et assez « réaliste »…

En tout cas, aux yeux d’une personne qui « pense » _ ou « croit », c’est selon ce que chacun en jugera… _ que « le réel » _ on peut le qualifier ainsi ; et à sa suite « le réalisme » !… (celui de la « real politique ») _ ;

ou voudrait croire, avec un minimum d’objectivité,

que « le réel vient de changer de camp »

_ rien moins !!!

Voici donc cet article ;

dont je me contenterai _ sans commentaire aucun de ma part _ de mettre seulement en gras les expressions (de l’article de John Carlin) qui me paraissent les plus « importantes » ; du moins telles que je les « lis »… ;
et en rouge les expressions de Barack Obama jusqu’ici…


Afin de contribuer, à ma modeste mesure,

à la réflexion,

sur la page du monde qui se tourne ;

et la page du monde qui (nous) vient…

REPORTAJE : PERSONAJE DEL AÑO

Universal Obama

El presidente electo de Estados Unidos posee inteligencia, calma y aplomo. Ni sus adversarios más tenaces lo niegan. Su mandato estará marcado por un profundo instinto reconciliado

JOHN CARLIN 28/12/2008

    Barack Hussein Obama

    Barack Obama

    A FONDO

    Nacimiento:
    04-08-1961
    Lugar:
    Honolulu

    Estados Unidos

    Estados Unidos

    A FONDO

    Capital:
    Washington.
    Gobierno:
    República Federal.
    Población:
    303,824,640 (est. 2008)

Un atardecer en Hawai, Barack Hussein Obama, padre del presidente electo de Estados Unidos, estaba en un bar tomándose unas copas con su suegro y algunos amigos universitarios cuando un hombre blanco le espetó el insulto más grave, más hiriente, más políticamente incorrecto que existe en el inglés estadounidense. Le llamó nigger, algo así como negrata, pero con una cuota de desdén multiplicada por cien, ya que fue el apelativo con el que se denigraba a los esclavos en el siglo XIX.

Concretamente, el hombre blanco declaró que no quería tomarse un trago « al lado de un nigger« . Obama era conocido como un hombre orgulloso y se esperaba una pelea. Más aún cuando éste se dirigió con pasos firmes hacia su agresor. Pero no. Obama se plantó frente al hombre con una sonrisa y procedió a darle una serena y erudita clase de civismo. Citó la declaración universal de los derechos humanos, le recordó los ideales en los que se basaba el sueño americano y le explicó que la intolerancia, más que una grosería, era una estupidez. El hombre blanco se sintió tan mal que no sólo le pidió efusivas disculpas, sino que soltó un billete de cien dólares y le pagó todas las copas y la comida a él y a sus amigos.

Hay motivos para pensar que, en circunstancias parecidas, el hijo de aquel Obama haría lo mismo. La anécdota aparece en la autobiografía de Barack Hussein Obama, « Los sueños de mi padre » _ « Les Rêves de mon père » _, un libro que, como el título sugiere, rebosa fascinación por la figura paterna. Obama apenas conoció a su padre, nacido en Kenia, ya que éste abandonó a la familia en Hawai y se divorció de su mujer para irse a estudiar a Harvard cuando el pequeño tenía dos años. Sólo se verían una vez más en la vida. Pero el viaje de autodescubrimiento que narra el libro pasa por una exploración minuciosa del padre, una especie de trabajo de detective que concluye con interrogaciones a fondo de sus medio hermanos, primos, tíos y abuela durante su primer viaje a Kenia, a los 26 años.

Lo que queda claro hoy es que Obama ha heredado, y también conscientemente emulado, las virtudes de su padre, sin dejar de sacar las lecciones debidas de una tendencia terca y autodestructiva que lo condujo a la depresión, a la bancarrota, al alcoholismo y a la muerte, a los 46 años, en un accidente de coche.

El comandante en jefe número 44 de la historia de Estados Unidos posee la inteligencia, la calma y el aplomo de la mejor versión de su padre. A tal punto que ni sus adversarios más tenaces lo niegan. Charles Krauthammer, célebre columnista neoconservador del Washington Post, ha llegado a escribir que Obama goza de « una inteligencia de primera y un temperamento de primera« . Pero posee una cualidad incluso de más calado a la exhibida por su padre en aquel bar de Hawai y por él mismo durante y después de la campaña presidencial, que será la que definirá a su presidencia: un profundo instinto reconciliador.

Hay dos categorías de políticos : los que llegan al poder y gobiernan a partir de la división, apelando al tribalismo inherente a la especie _ la inmensa mayoría _ ; y los unificadores, los grandes, los que trascienden su época, como las figuras históricas más admiradas de las dos culturas que han forjado a Obama: Abraham Lincoln y Nelson Mandela, modelos reconocidos por el propio Obama.

La fe en que lo logre resume la esperanza global que ha despertado Obama de que, tras ocho años de infamia, y por primera vez desde tiempos de John Fitzgerald Kennedy, Estados Unidos vuelva a aportar de manera explícita y activa su fuerza y su peso moral para la creación de un mundo mejor.

Es difícil concebir dos individuos más diferentes que Barack Hussein Obama y el presidente saliente, George W. Bush. Este último nació en el seno de una familia perteneciente a la aristocracia adinerada del noreste de Estados Unidos. Su padre fue, sucesivamente, jefe de la CIA, vicepresidente y presidente de Estados Unidos. George W., la oveja negra de la familia, fue un estudiante vago que ingresó en Yale gracias a las conexiones familiares y pasó su juventud oscilando entre la borrachera y el despilfarro, sin demostrar jamás la menor curiosidad por el mundo que le rodeaba, mucho menos el mundo mundial. Hasta que a los 40 años cambió el alcohol por el evangelismo cristiano. Lo más notable que había hecho hasta aquella epifanía religiosa, el impulso divino que le hizo el favor a la humanidad de lanzarle a la política, fue estrellar el coche de su padre tras una noche de juerga en el acomodado barrio de Georgetown, en Washington.

Obama, recién llegado al mundo en 1961, ya era un iconoclasta: un símbolo, llevado a extremos impensables, de reconciliación racial. En una época en la que el Ku Klux Klan seguía linchando y en varios Estados de Norteamérica todavía era ilegal tener relaciones sexuales interraciales, Obama nació en Honolulú de un padre « negro como el carbón » y una madre « blanca como la leche« , como él mismo los describe en « Los sueños de mi padre« . Cuando tenía seis años, su madre, Ann Dunham, se casó con un ingeniero indonesio musulmán (la misma religión que practicaba el abuelo paterno de Obama) y se trasladaron a Yakarta. Obama, que en seis meses hablaba el indonesio, jugaba todos los días en las calles de la bulliciosa ciudad con los niños más humildes, y allí se acostumbró a comer, entre otras delicias locales, carne de perro y de serpiente y grillo asado. Con 10 años consiguió ingresar en el mejor colegio de Honolulú, lo cual le obligó a dejar atrás su hogar familiar en Yakarta e ir a vivir con los padres de su madre. Él era un simpático veterano de la segunda guerra mundial llegado a menos; ella, una disciplinada empleada de banco que aportaba más que su marido a la economía familiar. Obama fue a la universidad en California y después en Nueva York ; consiguió trabajo como activista comunitario en los barrios más pobres y más violentos del sur de Chicago ; hizo una gira de cinco semanas por Kenia, donde conoció a su extensa familia paterna y visitó los lugares donde su padre pastoreaba cabras de pequeño y donde su abuelo cocinaba y limpiaba las casas de los oficiales coloniales británicos. Obtuvo una beca para estudiar derecho en Harvard ; allí fue el primer hombre negro en ser elegido presidente de la prestigiosa revista Harvard Law Review ; y volvió a hacer política de barrio en Chicago. A los 33 años completó algo inimaginable para George W. Bush, y para muy pocos políticos de cualquier época y cualquier lugar : escribió su autobiografía, un libro que se caracteriza por una redacción impecable, una penetrante capacidad de autorreflexión y una generosa sensibilidad hacia los demás.

14 años después, tras breves etapas representando al Partido Demócrata en el Senado estatal de Illinois y el nacional de Washington, ha concluido los capítulos iniciales de una historia que apenas comienza con lo que él ha llamado el « improbable » desenlace de ser elegido, por sustancial mayoría y envuelto en un fervor público no visto desde tiempos de John Fitzgerald Kennedy. Lo tenía todo en su contra, y sus rivales republicanos lo sabían. Le acusaron de todo. De ser radical, socialista, marxista, musulmán, amigo de terroristas y antiamericano. Como dijo un columnista de la revista New Yorker, el futuro presidente « será un hombre cuyo primer nombre es una palabra en suajili derivada del árabe (significa bendición)« , cuyo segundo nombre no sólo es el de un nieto del profeta Mahoma, sino que también el del blanco original de una guerra sin terminar que empezó Estados Unidos, y cuyo apellido rima bien con Osama. « Ése no es un nombre, es una catástrofe, por lo menos en la política americana« , agregaba el columnista.

Sin embargo, Obama ha logrado transformar la aparente catástrofe en un triunfo histórico, convirtiendo su mestizaje en símbolo de optimismo y unificación. Como todo gran político, posee el don de la persuasión. Por eso hay tanta gente dispuesta a creer su grandilocuencia cuando define su misión de la siguiente manera: « Una nación curada. Un mundo reparado. Una América que vuelve a creer« . Lejos de albergar resentimiento hacia su país adoptivo, característica hasta hoy de una buena parte de sus compatriotas negros, Obama es un patriota. Lo declaró con convicción en el discurso que lo propulsó a la fama, durante la convención presidencial demócrata de 2004: « Me presento aquí hoy agradecido por la diversidad de mi patrimonio… sabiendo que mi historia es parte de una historia americana más grande, que estoy en deuda con todos aquellos que me precedieron y que en ningún otro país del mundo mi historia sería ni siquiera posible« .

Obama ha vuelto a recordar a todo el mundo los motivos por los cuales Estados Unidos ha sido históricamente digno de admiración, hasta « la larga oscuridad política » en la que se había perdido su país, como él mismo definió en aquel mismo discurso a los primeros cuatro años del mandato de Bush. Lo que está por ver es si seguirá ganándose la admiración mundial tras instalarse, el próximo 20 de enero, en el Despacho Oval de la Casa Blanca. Hay muchos escépticos, especialmente de izquierdas, que dudan de la capacidad de Estados Unidos de observar al resto del mundo a través de otra óptica que no sea la imperial, independientemente de la identidad o la retórica del presidente. Y es verdad que en la política exterior de Estados Unidos, como en la de cualquier país, están los intereses, primero, y después _ en el mejor de los casos _ los amigos. La diferencia ahora es que Obama, más que cualquier otro presidente que le precede, conoce el imperio desde adentro y desde afuera ; es capaz de ver a su país desde el punto de vista de un patriota convencido y de un extranjero crítico.

En este sentido, tiene por lo menos tanto que agradecer a su madre como a su padre. En una entrevista, Obama se refirió a su madre como « la figura dominante de mi juventud, los valores que me enseñó siguen siendo mi piedra de toque en el mundo de la política« . Ann Dunham, que murió de cáncer a los 53 años y nunca dejó de estar enamorada del padre de Obama, sería una mujer atípica hoy en un país en el que la proporción de matrimonios entre blancos y negros es mucho menor que en Europa occidental ; pero cuando esta hija de un soldado, nacida en Fort Leavenworth (Kansas) durante la Segunda Guerra Mundial, se casó con Barack padre a los 18 años tras conocerle durante una clase de ruso (¡ de todos los idiomas posibles en plena guerra fría !), era una aberración. Poco más normal fue casarse después con un indonesio, mudarse a su país y procurar que su hijo no sólo se empeñe a fondo en el colegio, sino que se integre de lleno en una cultura extraña. Como cuenta Obama en su autobiografía, su madre le enseñó durante su infancia asiática una lección que recordaría toda su vida : « A desdeñar aquella mezcla de ignorancia y arrogancia que con demasiada frecuencia caracterizaba a los americanos en el extranjero« .

Su condición de negro parcialmente desheredado en un país en el que hasta su aparición pública los matices raciales no han tenido palabra propia (los hijos que Thomas Jefferson tuvo en el siglo XVIII con una mujer esclava eran « negros« , como todos los que han nacido desde entonces con sangre africana), le ha dado también esa perspectiva de outsider, de individuo que ve Estados Unidos desde afuera. Lo cual alimenta las esperanzas de William Greider, el decano del pequeño núcleo de observadores progresistas residentes en Washington, de que Obama lleve a cabo un giro radical en la política exterior de Estados Unidos.

« Lo que el auge de China y la India y Brasil nos señala es que estamos entrando en una fase radicalmente nueva de las relaciones entre Estados Unidos y el resto del mundo ; una fase que requerirá una buena dosis de humildad« , dice Greider, anteriormente columnista de Rolling Stone, hoy principal comentarista político de la revista de izquierdas The Nation. « Ahora, al ver cómo nuestro poder decae y llegan tiempos de decepción y dolorosos ajustes, tendremos que elegir entre la respuesta de siempre _ « es la culpa de los chinos y los musulmanes y los demás extranjeros » _ o la respuesta sensata, que consiste en reflexionar un poco y evaluar hasta qué punto nuestros problemas los hemos creado nosotros mismos« .

Greider confía en que Obama entienda esto, pero lo que no tiene tan claro es si le resultará políticamente factible llegar hasta el extremo de cuestionar aquel concepto « de manifiesta superioridad, de que somos la mejor esperanza para el mundo, de que nuestro papel natural consiste en dirigir el destino del planeta, que está tan arraigado en el ADN nacional, sin excluir a nuestros diplomáticos y a la prensa seria« . Greider, un admirador de Obama, espera que el nuevo presidente se atreva algún día a violar « este tabú« , lo cual dependería en gran parte del grado de liderazgo moral que llegase a consolidar sobre sus conciudadanos. Pero reconoce que hoy por hoy sería aconsejable que la izquierda americana, como la mundial, templara sus expectativas de cambio radical ; aceptara que Barack Obama no va a ser, ni mucho menos, Hugo Chávez. Lo que sí se puede esperar con bastante certeza, dice Greider, es que se acabe con « aquella grosería y estupidez » que ha marcado la particular mezcla de arrogancia e ignorancia que ha sido marca de la casa en la era Bush.

Para empezar, la malograda « guerra contra el terror » cambia instantáneamente de carácter sin que Obama tenga que abrir la boca, mucho menos tomar nuevas medidas. En el ámbito de « mentes y corazones » ya hay una batalla ganada. Ya no va a ser tan fácil para los propagandistas de la yihad pintar a Estados Unidos como la tierra del Gran Satán cuando su presidente tiene el nombre que tiene, y su abuelo se convirtió al islam, entre otras cosas porque, según explicó un día a su esposa, no le convencía esa peculiar idea cristiana de « amar a los enemigos« . Sin embargo, Obama, cristiano practicante, sí pretende hablar con ellos. Ha expresado su deseo de dialogar con Irán y con Siria sin condiciones ; ha dicho que en Afganistán su política combinará la fuerza militar con el intento de buscar lo que sus asesores llaman focos de « reconciliables« , gente relativamente moderada en su compromiso ideológico, entre los combatientes talibanes ; ha declarado, repetidamente, que piensa extraer el grueso de las tropas estadounidenses de Irak, posiblemente dejando atrás algunos asesores militares, en un plazo de 16 meses ; y ha expresado su convicción de que la mejor forma de evitar otro Irak u otro Afganistán no es la intervención militar cuando es demasiado tarde, sino la inversión económica antes de que afloren los peligros terroristas.

Y aunque Obama tampoco es Gandhi (« no me opongo a todas las guerras« , ha declarado, y también, « mataremos a Bin Laden« ), todo lo que ha dicho a lo largo de su carrera política sugiere que buscará establecer relaciones de respeto con todos los países que lo deseen, y que su primer impulso no será, a diferencia del de Bush, disparar primero y hacer preguntas después. Él mismo lo dijo, quizá recordando a su madre, en un discurso hace un año: « El no hablar con otros países no nos hace quedar como gente dura ; nos hace quedar como arrogantes« . Desde la muerte de su madre en 1995, y la de su abuela materna el día antes de que ganara las elecciones presidenciales, la persona de su familia con la que tiene más intimidad, y a la que más se parece, es su media hermana keniana, Auma, que ha vivido gran parte de su vida en Europa. Auma Obama, que una vez le aconsejó que no entrara en política porque era un camino siempre decepcionante, afirmó en una entrevista con The New York Times el mes pasado que, si había una cosa en la que se podía confiar, era en que su hermano, al que definió como « una figura unificadora« , « entablaría un diálogo con el mundo« .

Ya lo está haciendo con su propio país. Nada de lo que ha hecho hasta la fecha ha demostrado de manera más convincente su confianza en sí mismo y la vitalidad de su instinto reconciliador que « el equipo de rivales«  _ citando el título de un libro sobre Abraham Lincoln que ha influido mucho en Obama _ con el que se ha rodeado en su futuro gabinete de Gobierno. Guiado más por el pragmatismo (cualidad imprescindible del reconciliador) que por las deudas contraídas y las habituales fijaciones partidistas, Lincoln eligió a los individuos más brillantes de su generación, independientemente de sus filiaciones políticas o del hecho de que algunos de ellos habían sido, hasta hacía muy poco, sus enemigos políticos acérrimos. Obama explicó el origen intelectual de su propio pragmatismo en su segundo libro, un tratado titulado « La audacia de la esperanza«  _ « L’Audace d’espérer _ une nouvelle conception de la politique américaine » _, publicado en 2006. Ahí escribe: « Creo que cualquier intento de los demócratas de seguir una estrategia duramente partidaria o ideológica significa no entender el momento político que estamos viviendo. Estoy convencido de que, cuando exageramos o demonizamos o simplificamos el argumento, perdemos. Cuando rebajamos el tono del debate público, perdemos. Porque es precisamente la búsqueda de pureza ideológica, la rígida ortodoxia y la total previsibilidad del actual debate político lo que impide el descubrimiento de medios nuevos para afrontar los retos que tenemos como país« .

Dicho y, planteada la prueba, hecho. No ha llegado hasta el extremo de nombrar para su Gabinete a Sarah Palin, que declaró con toda la razón del mundo ante sus enfervorecidos correligionarios durante un mitin electoral en Florida que Obama no era un hombre « que ve América como vosotros y yo vemos América« . Pero sí ha cogido al toro Clinton por los cuernos al nombrar a Hillary, su tenaz rival a la candidatura demócrata a la presidencia, para el puesto clave en política internacional de secretaria de Estado. Robert Gates, el secretario de Defensa, es un republicano que fue nombrado por Bush en diciembre de 2006, y que seguirá en su puesto con Obama. El equipo para enfrentar la grave crisis económica que indudablemente representará el reto inmediato más importante de Obama está compuesto por un tridente que incluso una conocida figura de la derecha washingtoniana, Sebastian Mallaby, del Council on Foreign Relations, no ha dudado en calificar de « absolutamente brillante« . Los antecedentes de Larry Summers, Timothy Geithner y Paul Volcker demuestran más simpatía demócrata que republicana, pero los tres son conocidos ante todo como individuos de fuerte personalidad que no dudarán en entrar en conflicto con Obama si lo creen oportuno. « Ahora hay un consenso total de que hay que incrementar el gasto público« , dice Mallaby, un experto en economía que conoce a los tres bien, « pero podemos estar seguros de que gente como Summers presionará a Obama, más temprano que tarde, para reducir el déficit, aunque esto sea a coste de programas de bienestar público que Obama quizá querría fomentar« .

Otra persona que estará muy cerca de Obama, y con el que es seguro que tendrá discrepancias de criterio, será el nuevo ocupante del puesto de asesor de seguridad nacional, es decir, el jefe de política internacional dentro de la Casa Blanca. James Jones, un formidable ex general marine de 65 años, tiene un vasto conocimiento dentro y fuera de Estados Unidos en el terreno político militar. No ha delatado simpatías partidistas hasta la fecha, y tal es la admiración que provoca su currículo que John McCain, el candidato presidencial republicano y ex militar, intentó infructuosamente reclutarle para su causa electoral.

La crítica más habitual que se le lanza a Obama, y la que le lanzaron con más frecuencia tanto Hillary Clinton como John McCain durante las dos fases de la campaña presidencial, es que, a sus 47 y con apenas cuatro años servidos en Washington, le falta experiencia para gobernar. Ni él ni sus más fanáticos admiradores lo niegan, aunque señalan (cosa que reconocen figuras de la derecha como Charles Krauthammer y Sebastian Mallaby) que su campaña electoral fue un modelo de disciplina y efectividad comparada con las caóticas campañas que llevaron a cabo los veteranos Hillary Clinton y John McCain. Lo que demuestran sus nombramientos para el futuro Gabinete, en otra opinión muy generalizada en Washington, es que tiene buen juicio y no teme rodearse de subordinados notablemente más experimentados que él e incluso, posiblemente, más inteligentes. El Gabinete de Obama tiene que ser uno de los más sesudos de la historia. De los 36 individuos nombrados hasta la fecha (el más reciente fue el premio Nobel de Física Steven Chu como secretario de Estado de Energía) la mitad tiene títulos de posgrado de las universidades más prestigiosas de Estados Unidos.

Todo lo cual demuestra, una vez más, la tremenda confianza que tiene en sí mismo, y que él mismo expresó en privado hace cuatro años a una amiga y colaboradora política cercana, Valerie Jarrett. Todavía no era senador, pero confesó que su ambición era ser presidente. Lo recuerda Jarrett : « Me dijo : « es que creo que tengo unas cualidades especiales y que sería una pena desperdiciarlas« . Me dijo : « ¿ sabes ? Creo que tengo algo«  ».

No siempre tuvo las cosas tan claras. Tras una infancia variopinta y sin complejos en Indonesia y en el alegre limbo de Hawai (« era demasiado joven« , escribe en su autobiografía, « para saber que necesitaba una raza« ), se sumergió en el drama afroamericano a través de los guetos de Chicago. Al no tener alternativa social a ser clasificado como negro, se puso a estudiar a personas de su raza en Chicago que no eran inmigrantes, o hijos de inmigrantes, como él. Lo que aprendió no le llenó de felicidad. Todos delataban, en mayor o menor medida, la carga de angustia histórica que arrastran los descendientes afroamericanos de los esclavos, una carga que los distingue (con la excepción de los indios americanos) del resto de la población de Estados Unidos, país que se define por el optimismo del inmigrante, con su energía y ganas de forjarse una vida mejor ; no importa que su país de origen sea Inglaterra, Polonia, México, Egipto o Kenia. Los afroamericanos no inmigrantes, como por ejemplo la esposa de Obama, Michelle Robinson, pertenecen al único grupo que no vino a Estados Unidos de manera voluntaria.

« Ha sido como transitar por la vida con una cadena y una bola de hierro atados al tobillo« , explicó Jim Coleman, que tiene menos motivos que la mayoría de personas la raza negra para sentirse agraviado. Coleman es profesor de derecho en la Universidad de Duke, en Carolina del Norte. Se identifica con Obama, con quien comparte ciertas ventajas en la vida, como por ejemplo ir becado a un buen colegio cuando era niño y después estudiar en Harvard. « Pero por bien que te haya ido, como negro en este país no has podido entender las relaciones sociales sin mirarlas a través del eterno prisma de la raza« , dijo Coleman. « Por eso incluso gente como yo, que hemos triunfado, nos hemos sentido como transgresores, como gente que nunca acabó del todo de pertenecer _ o de ser admitidos _ a este país« . Si Coleman antes se sentía, o se imaginaba que los blancos le veían, como un ciudadano de segunda clase, el triunfo electoral de Obama ha representado para él, como para millones de afroamericanos, un salto a primera. « Es, ni más ni menos, una liberación. Esa angustia ancestral, esa cadena que arrastrábamos : adiós. ¡ Fuera ! Sentimos el país como nuestro también, por fin. Ya no estamos afuera mirando para adentro, porque dentro de la Casa Blanca vivirá una familia negra, igual que las nuestras. Obama nos ha hecho sentir, de la noche a la mañana, que somos americanos al cien por cien. Tendremos problemas como país, claro, pero la gran y mágica diferencia es que ahora los enfrentaremos todos juntos« .

Sentimientos muy parecidos se han oído desde la victoria de Obama el 4 de noviembre de infinidad de personas negras, de todas las edades y toda la gama social. Esa liberación mental que han experimentado los descendientes de los esclavos, sumado a un más sutil fenómeno de casi equivalente importancia, la oportunidad implícita que han aceptado los blancos para pedir perdón a sus compatriotas negros por los pecados de sus padres, representan ya una hazaña histórica. Aunque no lograra nada más Obama durante su presidencia, eso ya tendrá una repercusión duradera. Pero el demócrata quiere que se le mida por mucho más. La promesa de « cambio » fue su eslogan electoral. Habla continuamente de la necesidad de regenerar el país y el mundo, de reparar los daños causados durante ocho años de Bush, a cuyo Gobierno Obama ha acusado de actuar con una « espectacular irresponsabilidad« .

Ante tanta esperanza en Washington, donde se respira un aire de euforia a pesar de la crisis económica, existe, según las cabezas pensantes de izquierda y derecha, una gran duda. Si el punto más fuerte de Obama acabará siendo el más débil ; si su afán reconciliador y su necesidad de consenso, le conducirán a la parálisis ; si tendrá las agallas, tras acumular tantísimo capital político, como lo expresó Sebastian Mallaby del Council on Foreign Relations, de gastarlo. Si acabará siendo no Obama, sino Obambi.

Cass Sunstein, profesor de derecho en Harvard, conoció a Obama durante sus años estudiantiles. Le define como un hombre que pretende cumplir grandes objetivos ofendiendo los valores del menor número de personas. « Pero también creo« , dice Sunstein, « que tiene la convicción de que, si uno asimila los valores e ideales de sus contrincantes, si uno demuestra respeto por ellos, es posible dar pasos mayores de los que uno se podría haber imaginado« .

Demostrar respeto a la gente significa, en un importante sentido, escucharles con atención. Un veterano economista de Washington que hizo una presentación el mes pasado a Obama y a cuatro miembros de su equipo observó que durante las dos horas y media que estuvo con él, el político habló, como mucho, el diez por ciento del tiempo. « A diferencia de Clinton, que en las mismas circunstancias hubiera hablado la mitad del tiempo« , explicó el economista. Frank Luntz, un conocido estratega republicano, tiene la misma impresión. « El típico político se impone a la gente con el objetivo de obligarles a prestarle atención« , dijo Luntz. « Obama es más reflexivo. No empuja. Tiene un aire relajado que atrae. Eso es tan poco usual…« . En otras palabras, sigue el consejo de Tom Daschle, el líder demócrata en el Senado, de que « la mejor forma de persuadir es con las orejas« .

Lo hizo en la primera campaña política de su vida, en la que acabó siendo elegido presidente de la Harvard Law Review. Ganó gracias a los votos conservadores. No estaban de acuerdo con él, pero la sensación de que les escuchaba de verdad y les tomaba en serio resultó decisiva a la hora de la votación. Ocurrió algo muy parecido durante uno de los momentos más complicados de su campaña presidencial. Su larga asociación con Jeremiah Wright, el pastor negro que le casó, se convirtió en un peligro mortal después de que salieran a la luz sermones en los que el reverendo expresaba un resentimiento que parecía rozar el racismo contra los blancos de su país. Obama respondió el 18 de marzo en Filadelfia con el que muchos consideran el discurso más valiente de su vida. No hay nada más delicado en Estados Unidos que el asunto de la raza, pero lo que logró Obama aquel día fue colocarse por encima del debate, resumirlo y reconducirlo. Sin asumir nunca una postura defensiva, sin negar la ofensa histórica contra los negros, o que su « rabia » fuera legítima, reconoció también que algunos blancos podrían tener motivos para sentirse resentidos al ver cómo a veces la política de « acción afirmativa » daba a compañeros de trabajo negros, o a jóvenes estudiantes negros, ventajas negadas a los blancos por el color de su piel. « Declarar que los resentimientos de americanos blancos son racistas, sin reconocer que tienen su origen en preocupaciones legítimas, esto también amplía la brecha racial y obstaculiza el camino al entendimiento mutuo« .

Tras presentar el argumento, se postuló a sí mismo como emblema hecho carne del noble objetivo, contenido en el prólogo a la primera Constitución de Estados Unidos, escrito hace 221 años, de crear « una unión más perfecta« . « No puedo repudiar al reverendo Wright del mismo modo que no puedo repudiar a la comunidad negra, del mismo modo que no puedo repudiar a mi abuela blanca, que ayudó a criarme, que hizo un sacrificio tras otro por mí, que me quiere más que nada en el mundo, pero que una vez me confesó el miedo que sentía al cruzarse con hombres negros en la calle… Estas personas forman parte de mí. Y forman parte de Estados Unidos, este país que yo amo« .

Fue quizá aquel el momento en el que salvó su candidatura y ganó las elecciones presidenciales. Despejó las dudas que podría albergar todavía la mayoría del electorado acerca de sus credenciales como patriota, surgidas de su condición de negro de padre africano, y convenció a todos _ blancos, negros y de toda condición racial _ de que hablaba por ellos y de que les entendía. Recondujo el debate en el sentido de que señaló no a los blancos y a los negros como el enemigo que hay que vencer, sino a la cultura corporativa « de avaricia a corto plazo » y a « las políticas económicas que favorecen a pocos a expensas de muchos« .

Es en la economía, más que en política internacional o en cualquier otro terreno, donde los observadores de Washington creen que Obama marcará un antes y un después en la historia de Estados Unidos. No es un hombre alevoso ni de una progresía temeraria. Es recto, cauteloso, deliberado a la hora de tomar decisiones, tendiendo a conservador. A diferencia de Bill Clinton y George W. Bush, tuvo el coraje de reconocer que fumó marihuana en su juventud y consumió cocaína, pero hoy es un hombre de familia, abiertamente enamorado de su esposa, que va a la iglesia todos los domingos y da toda la impresión de haber rechazado explícitamente los excesos mujeriegos y alcohólicos de su padre. David Axelrod, el principal estratega de la campaña de Obama, ha dicho que sería un error creer que « desde el punto de vista de los valores » ha concluido la era conservadora de Estados Unidos, la reacción al flower power de los años sesenta, que comenzó con la llegada de Ronald Reagan al poder en 1981. Obama es lo que en Estados Unidos llaman « un conservador cultural« . Pero desde el punto de vista económico, según dijo Axelrod, « no tenemos que elegir más entre una economía opresiva controlada por el Gobierno y un capitalismo caótico que no perdona« . El gran legado de Reagan, que ni siquiera Bill Clinton pudo enterrar durante sus ocho años de presidencia, fue la idea de que la injerencia del Gobierno en la economía es por definición mala, antiindividualista, antiamericana.

La actual crisis ha convencido incluso a George W. Bush de que ese prejuicio pertenece al pasado. Pero Obama lo ha tenido muy claro desde antes de que estallara la burbuja de Wall Street. En una entrevista con Rolling Stone hace dos años declaró: « En África muchas veces ves que la diferencia entre un pueblo donde todo el mundo come y otro donde la gente se muere de hambre es el Gobierno. Uno tiene un Gobierno que funciona ; el otro, no. Y por eso me molesta cuando oigo a gente como Grover Norquist  _el intelectual neoconservador por excelencia _ decir que el Gobierno es el enemigo. No entienden el papel fundamental que el Gobierno juega« .

La esperanza de gente de la izquierda americana como William Greider es que, más allá de invertir fondos públicos en salvar los bancos y a la industria del automóvil, Obama se enfrentará al enorme escándalo de un sistema de salud estadounidense que, a diferencia del de los demás países desarrollados, es incapaz de atender a las necesidades elementales no sólo de los pobres, sino de buena parte de la clase media. « Ahora que el big government se ha vuelto cool, a ver si por fin vemos una reforma del sector sanitario para que tengamos, en vez de salud para sacar grandes ganancias, salud para todos« , explicó Greider.

Queda pendiente la cuestión de si Obama tendrá la valentía de utilizar su capital político para tomar medidas que generarán polémica y desgastarán parte de su capital, que a su vez dependerá de su capacidad de mantener su popularidad personal en tiempos de profunda crisis. Lo que sí tiene a su favor es aquella enorme confianza en sí mismo, cualidad  _ más allá de la arrogancia porque es inherente _ que comparte con los dos grandes reconciliadores, Lincoln y Mandela. Su padre africano fue su primer modelo, aunque muchas veces las lecciones que aprendió de él vinieran de segunda mano. Fue su abuelo materno, el ex soldado, el que le contó cuando su padre se atrevió a cantar canciones africanas ante un gran público en un festival internacional de música de Hawai: « No era nada bueno, pero estaba tan seguro de sí mismo que la gente le aplaudió« . El abuelo sacó la siguiente conclusión del desparpajo de su yerno: « Ahora, ahí hay algo que puedes aprender de tu papá : la confianza. El secreto del éxito de un hombre« .

No le quedó más remedio que aprender la lección, primero en la cultura ajena de Indonesia con un hombre que no era su padre ; después en Hawai sin padre o madre ; y después en el inhóspito submundo de la Chicago pobre. De ahí, vía Harvard y los senados de Illinois y Washington, llegó a decir en diciembre de 2004: « Me siento cómodo en mi propia piel. La gente ve una autenticidad en mí que va más allá de las barreras ideológicas. Me atengo a mis principios sin recurrir a trucos políticos baratos« .


Eso lo ha demostrado durante una campaña presidencial cuya mesura y elegancia se contrastó de manera chocante con el cínico modelo republicano que patentó Bush e imitaron McCain y Palin, y que consistió en apelar al más bajo denominador común : el miedo y la división. Siempre se tuvo la sensación con Bush de que quiso ser presidente para exorcizar viejos complejos, para demostrar a su padre y a su madre que, pese a sus pocos auspicios comienzos, podía. Barak Obama, en cambio, declaró a principios de 2007, cuando decidió presentarse a la carrera para la Casa Blanca: « Sólo aspirar a ser presidente no es la mejor manera de pensar en el tema. Uno tiene que querer ser un gran presidente« .

Las condiciones para serlo, las tiene. Y para serlo hoy, en la época de la globalización. Dice su asesor, David Axelrod, que Obama « es la personificación de su propio mensaje« , « es la visión de sí mismo« . Se refería a su condición híbrida. Hijo de madre blanca y padre negro, encarna la idea de que la reconciliación inherente a su persona se debe de extender a Estados Unidos y al resto del planeta para intentar crear una « más perfecta » unión humana. Lo veremos con nuestros propios ojos la primera vez que el Air Force One aterrice en un aeropuerto europeo, africano o asiático y emerja de la puerta del avión, sonriente y saludando, una pareja negra. El pasado familiar de Obama, sus raíces intercontinentales, su capacidad de ver a su país desde adentro y desde afuera, lo convierten en el antídoto a la era Bush y en el prototipo ideal de presidente para un mundo sin fronteras. »

Voilà.

C’est, vous avez pu en juger, un bien bel article ;

qui fait très clairement le point sur ce qui attend Barack Obama,

et ce qui attend,

en conséquence de son action à la tête de son Etat,

et les Etats-Unis d’Amérique, et le monde, à sa prise de fonction

à Washington, le 20 janvier prochain, à midi…


Modestement, pour ma part,

j’espère que Barack Obama va donner un énorme « coup de vieux » à tous les « toutous » de George W. Bush de par le monde ;

et pas seulement les Durao Barroso, Aznar, Blair qui sont allés lui prêter allégeance enthousiaste à son escale aux Açores le 16 mars 2003, juste avant la si catastrophique

(à commencer par le cortège hallucinant de mensonges aux citoyens du monde, qui l’ont accompagnée, cette intervention militaire) ;

juste avant la si catastrophique intervention militaire en Irak

_ les Durao Barroso, Aznar, Blair et autres politiciens « hyperréalistes », tel que les Berlusconi et consorts…

Et nous savons grand gré au Président Chirac

d’avoir, ce jour-là, de mars 2003, su préserver l’honneur de la France…


Titus Curiosus, le 28 décembre 2008

Sur John Carlin,

ceci (dans El Pais) :

El periodista británico John Carlin (Londres, 1956), Premio Ortega y Gasset al mejor trabajo de investigación o reportaje en 2000 por Viaje por la emigración, ha sido corresponsal para el diario británico The Independent en México y Centroamérica, Suráfrica y Estados Unidos.

Sus primeros pasos en el periodismo los realizó en el Buenos Aires Herald. Posteriormente colaboró con la BBC y The Times, donde destacó por su gran conocimiento de Latinoamérica.

De madre española y padre británico, Carlin escribe desde hace tres años para EL PAÍS sobre diversos temas, desde políticos a deportivos. En la actualidad vive en Barcelona.

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