Posts Tagged ‘élégance

Et puis le double CD Hyperion « Haydn String Quartets Op. 76″ du London Haydn Quartet, paru en 2021 : ou l’absolue élégance hayndienne…

17juil

En suite naturelle _ et en fonction de ce que j’ai réussi à dénicher de la discographie haydnienne du London Haydn Quartet chez mon disquaire favori _ à mon article d’hier 16 juillet « « ,

voici, ce mercredi 17 juillet, un article consacré à un autre double CD Haydn du London Haydn Quartet pour le label Hyperion, consacré cette fois aux 6 Quatuors à cordes Op. 76 _ un cycle majeur de quatuors à cordes de Joseph Haydn écrits en 1797 en même temps que La Création et publiés en 1799 chez Artaria. Ceux-ci sont dédicacés au comte Erdödy (1754-1824). Et sont parmi les plus connus et célèbres de Joseph Haydn le n°2 surnommé « Les Quintes« , le n°3 surnommé « L’Empereur« , et le n°4 surnommé  »Lever de soleil«  _,

le CD Hyperion CDA 68335 « Haydn Strings Quartets Op. 76 » _ enregistré à Dunwich (Suffolk) du 27 février au 3 mars 2020, et paru le 29 janvier 2021…

Et on pourra ici les écouter.

 

Ce mercredi 17 juillet 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Découvrir la superbe (et singulière) Musique de Piano de Jean Roger-Ducasse (1873 – 1954), bordelais, par le pianiste Joel Hastings (1969 – 2016), canadien : une belle et moderne prestesse…

04mai

Mes lectures des lettres de Maurice Ravel dans l' »Intégrale » de la Correspondance de Maurice Ravel (Édition de 2018, par Manuel Cornejo), menées à l’occasion de mon suivi de la genèse, puis des édition et publication, ainsi que des représentations, du « Tombeau de Couperin » _ cf mes articles « « « « « «  et « «  des 27, 28 et 29 avril et 1er mai derniers _,

puis hier et ce matin du sympathique _ avec très peu d’erreurs _ et commode « Ravel » de Sylvain Ledda (Folio Biographies n°136), paru en octobre 2016 _ un peu avant l’indispensable « Intégrale » de la Correspondance de Maurice Ravel réunie par Mauel Cornejo, parue, elle, en octobre 2018 _,

m’ont donné la vive curiosité de découvrir la musique de cet ami et contemporain de Maurice Ravel (Ciboure, 7 mars 1875 – Paris, 28 décembre 1937) qu’a été le compositeur bordelais Jean Roger-Ducasse (Bordeaux, 18 avril 1873 – Le-Taillan-Médoc, 19 juillet 1954)…

Ainsi ai-je pu dénicher _ comme souvent ! _, chez mon disquaire préféré, le CD Grand Piano GP 724 « Roger-Ducasse – Piano Works » du pianiste canadien Joel Hastings (Sault-Ste-Marie, Ontario, 22 juillet 1969 – Saline, Michigan, 26 mai 2016), enregistré à Tallahassee, Floride, les 6 et 7 janvier 2016, et paru dans les bacs le 3 mars 2017.

Et quelle belle musique !

Originale et tout à fait singulière _ et très moderne même, voilà !, pour son moment de composition : entre 1897 pour la « Petite suite » (écoutez ici) et 1923 pour « Romance » (écoutez), mais surtout de 1906 pour la « Barcarolle n°1«  (écoutez, c’est superbe !), à 1921 pour les merveilleux « Impromptu » (écoutez)  et « Chant de l’aube » (écoutez)… _ !

Et ce n’est ni du Fauré, ni du Debussy, ni du Ravel, mais bien du Roger-Ducasse…

Et quelle superbe interprétation _ écoutez, elle est accessible sur YouTube ici_ de Joel Hastings,

décédé accidentellement le 26 mai 2016 à l’âge de 46 ans,  soit 5 mois à peine après cet enregistrement des 6 et 7  janvier précédents…

Sur cet excellent CD qui nous révèle cette vraiment superbe musique _ de pièces brèves, prestes : à la française ! _,

jeter un œil à l’article joliment intitulé « Une musique qui « dérive » » de Jean-Baptiste Baronian paru le 16 septembre 2017 dans le magazine belge Crescendo, même si cet article nie bien trop à mon goût la singularité _ éclatante, heureuse ! _ de Roger-Ducasse _ qui est loin d’être seulement un malheureux épigone ; il a un génie propre ! qu’il ne faut pas lui dénier… _ :

Une musique qui « dérive »

LE 16 SEPTEMBRE 2017 par Jean-Baptiste Baronian

Roger-Ducasse

Jean ROGER-DUCASSE
(1873-1954)
Œuvres pour piano

Joel HASTINGS (piano)
DDD–2017-78’ 31’’–Textes de présentation en anglais et français– Grand Piano GP724

Le Bordelais Jean Roger-Ducasse a été un des élèves de Gabriel Fauré, envers lequel il vouait une admiration sans réserve et dont il s’est beaucoup inspiré en écrivant ses propres œuvres, que ce soit ses pièces pour piano seul, sa musique de chambre ou ses compositions orchestrales, à l’instar de l’attachante Suite française, créée en 1908 au Concerts Colonne sous la direction de Gabriel Pierné.


Qu’est-ce qui a manqué à Jean Roger-Ducasse pour être presque toujours resté dans l’ombre de son maître et n’avoir pas connu la célébrité de Maurice Ravel né deux ans après lui et dont il a été l’ami ? Peut-être le fait qu’il n’a pas réussi à décrocher le fameux Prix de Rome, qui était tant convoité à l’époque et qui, comme l’écrit Katy Hamilton dans la brochure accompagnant ce disque, « garantissait pratiquement le succès de la carrière d’un jeune compositeur français » (en réalité, il n’a été récompensé que par le Premier Second Prix) ? _ mais Maurice Ravel ne l’a pas, lui non plus obtenu, ce Prix de Rome. À moins que ce ne soit son écriture elle-même, pourtant si fine, si élégante et si spontanée _ en effet ! _, mais qu’on ne peut ne pas rapprocher de celle de ses compatriotes les plus illustres, non seulement Gabriel Fauré et Maurice Ravel, mais aussi, il va sans dire, Claude Debussy, ainsi que l’atteste Sonorités _ écoutez-ici _, une des onze pièces pour piano remarquablement interprétées ici par le pianiste canadien Joel Hastings, décédé en 2016, à l’âge de quarante-six ans _ pour ma part, je trouve la musique de Roger-Ducasse beaucoup plus singulière et originale… La musique de Jean Roger-Ducasse « dérive » également, pour reprendre le mot de Laurent Ceillier dans sa monographie consacrée au compositeur en 1920, « dérive » également de Jean-Sébastien Bach « par l’écriture contrapuntique étonnante avec laquelle l’auteur se plaît à jouer des juxtapositions et des superpositions sonores » _ oui, cela est très juste ; et c’est probablement même ce qui la distingue clairement de Fauré, Debussy ou Ravel… Les Quatre études datant de 1915 en constituent un bel exemple avec un prélude très stylisé et une fugue aux limites du pastiche, à la manière d’une joyeuse récréation _ écoutez aussi ici le lent et le lentement


Jean-Baptiste Baronian

Son 9 – Livret 7 – Répertoire 8 – Interprétation 9

Mais aussi et encore, et en fouillant un peu mieux parmi le désordre de ma discothèque personnelle,

voici cet article mien, en date du 23 juillet 2019, « « ,

à propos du CD « Jean Roger-Ducasse – Patrick Hemmerlé« , Melism MLS-CD-013 _ enregistré à Paris en mars et septembre 2018 _, paru en 2019 :

A découvrir : le piano de Jean Roger-Ducasse (1873 – 1954) par Patrick Hemmerlé

— Ecrit le mardi 23 juillet 2019 dans la rubriqueHistoire, Musiques”.

Parmi les musiciens français

contemporains de Lucien Durosoir (1878 – 1955) :

Jean Roger-Ducasse (1873 – 1954).

Et son œuvre de piano _ entre 1906 et 1921 _

interprétées par Patrick Hemmerlé :

un CD Melism MLS-CD 013.


Une découverte ! Écoutez-ici.


Le 18 juin dernier, sur son site Discophilia,

Jean-Charles Hoffelé

m’avais mis la puce à l’oreille,

avec son article Le Piano de Pan.


LE PIANO DE PAN




Un mystère : la musique de Jean Roger-Ducasse reste le secret le mieux gardé _ en tout cas l’un d’entre ces derniers _ du piano français, connu d’une poignée de mélomanes qui savent ses somptuosités _ oui. Dominique Merlet _ élève de Roger-Ducasse, et petit-fils de l’ami très proche de celui-ci, et bordelais lui aussi, André Lambinet (1er avril 1870 – 1954), dont la riche correspondance musicale de 1901 à 1951 est passionnante ; Cécile Lambinet (1903 – Bordeaux, 23 juillet 1964), fille d’André Lambinet, et épouse de François Merlet (Mussidan, 1er janvier 1901 – Bordeaux, 30 décembre 1998), sont les parents du pianiste Dominique Merlet, né à Bordeaux le 18 février 1938… (ajout du 4 mai 2024) _aura tenté de lui rendre la place qu’il mérite aux côtés de Fauré, Debussy et Ravel, Martin Jones, encyclopédiste comme il sait l’être, l’aura gravée intégralement, mais il fallait probablement ce disque entêtant comme un parfum _ voilà _ pour en révéler enfin toute les splendeurs _ oui.


Le piano de Jean Roger-Ducasse n’est que panthéisme _ voilà _, paysages sonores où l’harmonie se sature et s’envole, les doigts rêvent, les notes sont des impressions de senteurs. Inimaginable poésie des timbres qui produit une musique aussi addictive par son imaginaire sonore que peuvent l’être les œuvres de piano de Georges Enesco _ c’est tout dire ! Si les pianistes les fréquentent peu, c’est parce qu’elles sont difficiles, pour les doigts certes, mais plus encore pour la mémoire : Roger-Ducasse divague, déteste les thèmes et les repères _ tel Debussy _, détruit l’harmonie de l’intérieur comme le faisait l’ultime fauréen, et dans les moments les plus sombres – qui n’abondent pas – fait toujours pénétrer cette lumière de soir d’été.


Il faut un poète pour saisir tout cela, et un sacré pianiste, Patrick Hemmerlé sur un magnifique Bechstein qui chante loin et mordore ses timbres, en éclaire toutes les complexités, élance les myriades de notes en scintillements d’étoiles (écoutez la première Etude !), modèle les rythmes fuyants (l’Etude en sixtes), fait entrer dans ces univers clos tout un jardin dans le vent (les sublimes Rythmes de 1917).


Il a en plus construit un programme parfait, herborisant uniquement dans les chefs-d’œuvre de ce compositeur que je n’en finis pas de découvrir, en m’émerveillant. Impossible de ne pas vous laisser fasciner par ce disque _ probablement _ vampirique.


LE DISQUE DU JOUR


Jean Roger-Ducasse (1873-1954)



Barcarolle No. 1 en ré bémol majeur
Etude No. 1 en sol dièse mineur
Etude No. 2 en la bémol majeur
Etude en sixtes en sol bémol majeur
Arabesque No. 1 en fa dièse majeur
Arabesque No. 2 en ut majeur
Rythmes en sol bémol majeur
Sonorités en la bémol majeur
Barcarolle No. 2 en sol bémol majeur
Barcarolle No. 3 en fa majeur


Patrick Hemmerlé, piano

Un album du label Melism MLS-CD-013



Photo à la une : le pianiste Patrick Hemmerlé – Photo : © Jean-Baptiste Millot


Ce mardi 23 juillet 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Voilà.

Et excellente écoute !

Ce samedi 4 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

La curiosité fervente, fine et élégante de Florian Noack au profond du meilleur de l’âme russe : le CD « Lyapunov – 12 Etudes d’exécution transcendante » La Dolce Volta LDV 90 et le CD « Florian Noack – Brahms & Medtner » Artalinna ART A014 ; ou une irrépressible douceur et puissance mêlées, en des oeuvres singulières…

26avr

C’est une très impressionnante émotion de terrible douceur, oui, qui nous prend d’abord à l’écoute du CD de Florian Noack « Lyapunov – 12 Etudes d’exécution transcendante« , soit le CD La Dolce Volta LDV 90 _ écoutez donc ici cette sublime « Berceuse » (3′ 38) qui ouvre le CD _,

qui vient magnifiquement compléter _ cf mon très admiratif article «  » du 15 avril dernier… _ le profond et intense plaisir pris à ses deux précédents CDs Lyapunov (Iaroslav, 18 novembre 1859 – Paris, 8 novembre 1924) :

les CDs Ars Produktion « Lyapunov – Works for piano – vol. 1 » ARS 38 132 _ admirable ! _ et « Lyapunov – Works for piano – vol. 2«  ARS 38 209…

Mais le CD « Florian Noack – Brahms & Medtner » Artalinna ART A014, révèle un tout autre et tout aussi impressionnant trait du très grand talent d’interprète de Florian Noack :

sa puissance de jeu dans Medtner (Moscou, 24 décembre 1879 – Londres, 13 novembre 1951)

_ mais écoutez aussi ici cette effrénée et pourtant délicate « Lesghinka«  (de 6′ 37) de ce même CD Ljapunov des « 12 Etudes d’exécution transcendante » Op. 11

Voilà des pans méconnus de moi jusqu’ici de cette riche musique russe,

par ce formidable passeur de musiques singulières qu’est Florian Noack…

Ce vendredi 26 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Mathieu Pordoy subtil accompagnateur et chef de chant, ou le pur art du charme (suite)…

12avr

Le récent beau CD « Mozart – R. Strauss – Lieder« , avec Sabine Devieilhe _ Erato 5054197948862, enregistré à l’Opéra de Paris au mois de juillet 2023 (ainsi que le 5 janvier 2024, à Boulogne-Billancourt, pour « Morgen« , avec le violon de Vilde Frang : écoutez-le ici)… _confirme une nouvelle fois, et si besoin encore en était, le très grand talent du pianiste Mathieu Pordoy, comme accompagnateur (ou chef de chant) hyper subtilement attentif : cette fois dans un beau récital, bien composé, de Lieder et Mélodies de Mozart et Richard Strauss…

Sur ce talent amplement confirmé déjà de Mathieu Pordoy, cf mes détaillés articles des 19 décembre 2019 « « ,

21 juin 2023 « « ,

et 22 juin 2023 « « .

Et voici un lien au très précis commentaire intitulé « L’évidence » qu’en a donné le 29 mars dernier sur le site de ForumOpera Charles Sigel…

Sabine Devieilhe : Lieder de Mozart et Richard Strauss

29 mars 2024
L’évidence

En somme c’est Zerbinetta et la Reine de la nuit chantant le lied. Avec tant de facilité apparente, de naturel, d’évidence que, pour un peu, on en oublierait d’admirer…

Réussite parfaite à laquelle concourt à égalité le piano de Mathieu Pordoy, très coloré, jamais lourd, et d’une variété de toucher infinie, partenaire idéal _ oui _ respirant à l’unisson de la voix. Tous deux dans une prise de son magnifique, équilibrée et brillante.

Chez Sabine Devieilhe, c’est peut-être la maîtrise de la ligne qui émerveille d’abord (outre l’intonation d’une justesse évidemment jamais prise en défaut). Ce legato qui ne faiblit jamais et traduit l’immobilité de Die Nacht (Strauss), l’effroi de l’avancée d’une nuit engloutissant toutes choses. Tout cela impliquant une maîtrise, un souffle, un placement de la voix de haute volée. Au seul bénéfice finalement de l’esprit du lied, de cette incertitude blême où est plongé l’auditeur. Le sens du poème est donné in extremis : « O die Nacht, mir bangt, sie stehle Dich mir auchOh, j’ai peur que la nuit t’arrache aussi à moi. »

…Mathieu Pordoy et Sabine Devieilhe © Steve J. Sherman

C’est le premier Strauss de l’album, la plage 2. Je suggère d’écouter juste après le premier des Mozart mélancoliques, la plage 9, l’étonnant An die Einsamkeit (À la solitude). Mélodie ou lied ? On peut en discuter. Plutôt lied, je crois, puisque c’est un état d’âme. Et Mozart y semble, en sol mineur, préfigurer Schubert. Pas de prélude au clavier (Mathieu Pordoy, si délicat, si attentif _ oui, oui). Mozart expose tout de suite la ligne musicale, une mélodie reprise trois fois (en principe quatre, l’une des strophes est ici coupée) sur un texte un peu sentimental (de Johann Timotheus Hermes, romancier à succès) que la musique transfigure. Et puis la transparence du timbre, les ornements légers des reprises, le dépouillement pour ne pas dire l’effacement de l’interprète, le sentiment pur… C’est très beau et tout simplement, oui, évident.

De la même façon, pour revenir à Strauss, Waldseligkeit (Béatitude en forêt) semble en lévitation avec ces notes tenues inépuisables sur un souffle sans fin, ces montées sur les sommets, ces longues paraboles qui semblent s’envoler toujours plus haut avant de redescendre vers le dernier vers (« Da bin ich ganz nur DeinLà je suis tout à toi »). Technique vocale souveraine mise au service de l’expression.

Strauss en 1902 © D.R.

En lévitation

Lévitation, le mot reviendrait naturellement sous la plume pour évoquer l’effet étrange, un peu hypnotique, que crée Meinem Kinde, regard émerveillé porté sur un enfant qui dort. On cherche les explications : est-ce le tempo lentissime, le timbre si limpide, les passages impalpables en kopfstimme (sur Sternlein), l’intensité de certains forte (sur segne, umher, ou Liebe) sans parler des spirales obsédantes du piano ?

Mystères de l’interprétation… Qui se perpétueront dans la plage suivante, le fameux Morgen, ondulant, halluciné, avec ses longues tenues non vibrées, portées par le violon effusif de Vilde Frang, ses silences qui s’allongent, comme certains mots (« die Augen schauen ») s’étirent à l’infini _ écoutez- le ici… L’ineffable va bien à Richard Strauss… Lied extatique sur un poème de John Henry Mackay au sous-texte homosexuel : demain, Morgen, nous serons libres (c’est du moins ce que révèle _ en effet, à la page 12  du livret _ le commentaire de Richard Stokes).

Autre lied illustre, Ständchen (Sérénade), et sa prestesse, sur les guirlandes ondoyantes du piano : le sous-texte (pas tellement caché d’ailleurs) est ici ouvertement érotique _ oui _, jusqu’aux « Wonneschauen » de la fin, des frissons de bonheur au sens dépourvu d’équivoque. La voix se fait aussi légère que celle du rossignol (Die Nachtigall) qui assiste à la scène, tandis qu’une rose en rougit. Version parfaite d’un lied dont Strauss se plaignait déjà qu’il fût galvaudé, mais restitué ici dans toute sa fraîcheur amoureuse.

Sabine Devieilhe © Alice de Sagazan

Virevoltes

On classera aussi au dossier Zerbinetta l’invraisemblable Amor, qui tient du défi permanent et de l’équilibrisme dangereux : coloratures en cascades, trilles en batteries serrées, défilé de notes perchées, des contre-ut à foison …. Si la gageure est de faire croire que c’est facile, elle est tenue, comme en se jouant. De même pour Kling ! aérien et folâtre, qui semble répondre à la petite comédie de Schlagende Herzen (Cœurs battants) où Mozart semble préfigurer les ballades des Romantiques.

Ainsi va ce récital qui batifole entre fantaisie et mélancolie, comme pour attester, si besoin était, de la richesse de la palette de Sabine Devieilhe, et de la cyclothymie de Strauss, sans doute le dernier de ces Romantiques, qui passe incessamment de la virtuosité à la morosité, celle qu’il laisse s’épancher dans le Rosenkavalier, nostalgisant sans fin sur la fuite du temps (dans Winterweihe -Dédicace d’hiver) mais toujours amoureux (Ich schwebe – Je plane).

Érotisme fin-de-siècle

Les mélodies très Modern Style du cycle Mädchenblumen (Fleurs de jeunes filles), écrites en 1889, publiées en 1891, font partie de la première vague composée par Strauss, qui ne s’adonnera à l’exercice qu’épisodiquement. Ces quatre vignettes, sur des poèmes de Félix Dahn, filent la métaphore entre fleurs et petites jeunes filles, avec maintes arrière-pensées d’un érotisme à peine estompé et pas mal de doubles sens transparents. Strauss, faisant mine d’en rougir, écrit à son éditeur Eugen Spitzweg : « J’ai achevé un nouveau volume de lieder, mais ils sont très compliqués et constituent des expériences si curieuses qu’il me semble que je vous rendrais service en les refilant à un autre éditeur… »
Elles ont été enregistrées notamment par Edita Gruberova et Diana Damrau. Sabine Devieilhe les surpasse en aisance et en naturel (un naturel très sophistiqué, bien sûr). Les courbes serpentines et les modulations pastel de Kornblumen (Bleuets), le brio virevoltant de Mohnblumen (Coquelicots), les insinuantes allusions d’Epheu (Lierre) – « Denn sie zählen zu den seltnen Blumen, die nur einmal blühen – Car elles comptent parmi les fleurs qui ne fleurissent qu’une fois »-, l’érotisme torpide de Wasserrose (Nénuphar), sur le piano liquide de Mathieu Pordoy qui semble scintiller dans une lumière matinale… C’est un univers préraphaélite, voluptueux et diaphane dont Sabine Devieilhe varie constamment les couleurs et l’éclairage, aussi attentive au texte qu’à la musique.

Mozart par Joseph Lange © D.R.

Pudeurs mozartiennes

Juste après, La violette de Mozart (Das Veilchen) semblerait bien frêle et bien chaste en comparaison… Écrasée par le pied d’une bergère étourdie… Ce pourrait être une bluette très Hameau de la Reine. Par le simple (?) jeu des harmonies, Mozart lui prête la mélancolie d’une réflexion sur la vie et la mort, très troublante. D’autant plus quand elle s’illumine de la fausse candeur du timbre de Sabine Devieilhe. Une mélodie composée en 1785, l’année des 20e et 21e concertos… C’est Mozart lui-même qui ajouta aux vers de Goethe sa propre conclusion : « Das arme Veilchen ! Es war ein herzige Veilchen – La pauvre violette ! C’était une violette pleine de cœur », prétexte à une fin abrupte qui laisse étonné. Tant d’arrière-plans en 2’30’’…

Moins profonde, Das Traumbild (Vision en rêve) est une gentille romance en mi bémol majeur très semblable à Die Einsamkeit, dont elle n’a peut-être pas la mélancolie. Là encore une phrase musicale revient quatre fois (l’une d’elles coupée aussi). Curieux de penser qu’elle a été composée à Prague le 6 novembre 1787 neuf jours après l’achèvement de Don Giovanni.
De l’été de la même année, An Chloe, n’a elle aussi que l’attrait d’une romance -mais une romance de Mozart, tout de même ! De l’une comme de l’autre Sabine Devieilhe fait de très jolies choses (les vocalises de la coda d’An Chloé sont d’une grâce impalpable _ regardez-et écoutez…). Chapeau bas devant le toucher _ oui _ de Mathieu Pordoy qui touche son piano (un Steinway on suppose) comme il ferait d’un piano-forte, pour ne pas dire un clavicorde _ c’est dire…

Mathieu Pordoy et Sabine Devieilhe © Steve J. Sherman

Mais l’étonnant, c’est que le même jour qu’An Chloé (24 juin 1787) Mozart écrit aussi ce qui passe pour être le premier vrai lied jamais composé, Abendempfindung (Sentiment du soir), point de départ d’une aventure qui ne s’achèvera qu’avec Malven, composé par Strauss à Montreux le 23 novembre 1948 (donc après les Quatre derniers lieder).
Le mot important ici, c’est Empfindung. Méditation morose sur la vie et surtout la mort. Que Sabine Devieilhe effleure comme sans y toucher, le charme de la voix estompant (de façon très mozartienne) la gravité sous l’apparente légèreté. Un bref rallentando suffisant à changer fugitivement le climat _ écoutez-ici…

On n’aura garde d’oublier quelques miniatures au fini parfait, Oiseaux, si tous les ans, une des deux seules mélodies de Mozart en français et Komm, lieber Zither, komm, petite chose écrite pour voix et mandoline, dont le plus étonnant est qu’elle fut composée alors qu’il était tout entier à l’écriture d’Idomeneo.

Enfin on saluera les débuts précoces au disque de Lucien Pichon, qui vient ponctuer l’exquis Das Kinderspiel de Mozart de sa voix de tout petit garçon qui fut à bonne école avant même de naître… et rien n’est plus charmant que le rire de sa mère l’écoutant.

Mathieu Pordoy est toujours subtil, fin et élégant : c’est ce que je désirais souligner…

Bravo !!!!

Ce vendredi 12 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Comparer deux interprétations de la Suite pour orchestre n° 2 en si mineur BWV 1067 de Johann-Sebastian Bach : par d’une part The Orchestra of the Eighteenth Century, en 2021, et d’autre part Les Muffatti, en 2023…

30mar

Le vif plaisir éprouvé à l’écoute toute récente du CD Glossa GCD 921134 « Carl-Philipp-Emanuel Bach – The Hamburger Symphonies Wq 182 » par le décidément toujours épatant Orchestra of the Eighteenth Century _ cf mon article «  » du 17 mars dernier _, m’a conduit à commander très vite les dernières réalisations de cet orchestre, dont le CD Glossa GCD 921130 « The Hidden Reunion« …

Or ce CD comporte notamment la « Suite pour orchestre en si mineur n° 2 BWV 1067 » de Johann-Sebastian Bach.

Et il se trouve que mes disquaires préférés m’ont chaudement recommandé le CD Ramée RAM 2301 « Bach Triple » réalisé par Les Muffatti ; lequel CD se trouve comporter cette même « Suite pour orchestre en si mineur n° 2 BWV 1067 » de Johann-Sebastian Bach…

De fait, la comparaison de ces deux interprétations, la première enregistrée au mois d’août 2021, et la seconde au mois de mai 2023, se proposait donc à moi.

Eh bien ! la première, par un ensemble de 25 musiciens _ avec Marc Destrubé, au violon concertmaster _, s’impose d’elle-même, par sa vie, sa fluidité, son élégance et sa joie pure _ la toute simple évidence du bonheur de se retrouver afin de jouer ensemble ; écoutez-en ici la Badinerie finale… _, sur la seconde, plus lourde et même triste, par un ensemble pourtant de 15 musiciens seulement…

Et dans le n° 732 de ce mois d’avril 2024 du magazine Diapason, chroniquant ce CD Ramée « Bach Triple » des Muffatti, à la page 73, Loïc Chahine déclare ceci, à propos spécialement de leur interprétation _ regardez-ici cette vidéo de la Polonaise _ de cette Suite en si mineur :

« Tout augurait du meilleur. Il faut pourtant passer sur une Suite en si mineur décevante – lecture assez scolaire, en mal d’imagination : écoutez le Rondeau, systématique, la Badinerie plus vainement agitée que badine. La flûte, curieusement paraît plus d’une fois à la peine.« 

Et c’est là exactement ce que j’ai moi aussi éprouvé.

Dans ce CD Ramée RAM 2301 « Bach Triple » des Muffatti, comme l’estime lui aussi en son article de Diapason Loïc Chahine, c’est bien le triple Concerto pour Traverso, Violon, Clavecin, Cordes  et Basse Continue en la mineur BWV 1044, qui fait l’intérêt majeur de cet enregistrement de l’Ensemble des Muffatti, avec Frank Theuns, au Traverso, Sophie Gent, au violon et Bertrand Cuiller au clavecin ; 

et c’est fort justement que Loïc Chahine parle à propos de cette œuvre-ci de Bach « d’un impérieux sens du tragique« , et à propos de son interprétation en ce CD des Muffatti, de « sommet de l’album » :

« À son meilleur, l’orchestre déploie des teintes sombres, inquiétantes dans le redoutable BWV 1044, et alimente un dialogue soutenu. Carl-Philipp-Emanuel Bach n’est pas loin, comme en témoigne l’allure empfindsam de l’Adagio ma non tanto e dolce auquel le violon de Gent , presque « altisant », confère une couleur automnale très en rapport avec les cieux tourmentés des deux autres mouvements. Sommet de l’album, distillant mystères et angoisses, cette version offre une alternative de choix à celle, plus vive, du Café Zimmermann (Alpha)« . C’est fort bien vu.

Et pour ma part,

à ce programme choisi par Les Muffatti comportant cette « Suite pour orchestre en si mineur n°2 BWV 1067 » de Johann-Sebastian Bach,  je préfère l’esprit bien plus ludique, fluide et heureux de naturel animant le choix du programme, comme de l’interprétation, du CD « The Hidden Reunion » de l’Orchestra of the Eighteenth Century _ heureux tout simplement de se retrouver pour jouer de nouveau ensemble après les confinements de l’épidémie de Covid… _,

associant, lui, à cette belle « Suite n°2 BWV 1067« , ainsi qu’au « Concerto brandebourgeois n° 6 BWV 1051« , de Johann-Sebastian Bach, la lumineuse et tendre « Suite pour viole de gambe et cordes en ré majeur TWV 55:D6  » de _ l’heureux de tempérament ! _ Georg-Philipp Telemann _ le parrain de Carl-Philip-Emanuel Bach, dont Georg-Philipp fera l’héritier de son poste à Hambourg… _,

un Telemann jamais aussi épanoui et splendide que dans ses inventives et généreuses Suites pour orchestre, d’esprit de civilisation ludique et accompli, en douceur et naturel, si français…

Dont acte.

Ce samedi 30 mars 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur