Archives du mois de août 2008

Art et tourisme à Aix _ la « mise en tourisme » des sites cézanniens (1)

31août

Sur la « mise en tourisme« 
_ une expression sous la plume de Michel Fraisset, en 2002
(in « Aujourd’hui l’Atelier Cézanne…« ,
dans la partie intitulée « Témoignages » de l’album « Atelier Cézanne« , édité par Actes-Sud et la Société Paul Cézanne,
à la page 176) _
des sites cézanniens d’Aix (et du pays d’Aix)…

Ou,
à partir de mon séjour _ riche de rencontres et découvertes ! _ à Aix-en-Provence du 19 au 23 juillet dernier,
un commentaire des formules de Michel Fraisset _ « Directeur de l’Atelier Cézanne, Adjoint de Direction, Responsable de la Communication » de l’Office de Tourisme d’Aix-en Provence _
précédant immédiatement l’intitulé (en cet article, sien) « La mise en tourisme de l’Atelier de Cézanne » ;
formules que voici :

« En 1969, l’Université cède à la Ville l’Atelier _ de Cézanne sur le chemin des Lauves _, qui devient « Musée Municipal Contrôlé » en 1979.
En 1997, une nouvelle étape est franchie. Par délibération du Conseil Municipal en date du 30 septembre 1997, la Municipalité confie la gestion de l’Atelier Cézanne à l’Office de Tourisme.
Crainte pour les uns, défi pour les autres… Tourisme et Culture allaient-ils faire bon ménage ?
 »

D’abord,
et en « avant-propos », en quelque sorte _ le lecteur un peu patient ne devrait pas trop, je l’espère, en pâtir ! _,
le cadre et le contexte de mon séjour de « découverte » d’Aix, en ce mois de juillet.

Je venais à Aix « rencontrer » (et « faire la connaissance » de visu de) Michèle Cohen, la directrice de la Galerie La NonMaison
_ NonMaison sise 22 rue Pavillon à Aix-en-Provence,
au sud-est de la cité intra muros _ si je puis dire, maintenant que ces « murs » sont « tombés » _, non loin de l’église Saint-Jean-de-Malte et du Musée Granet
(au quartier Mazarin ;
le bâtiment du Musée est contigu à l’église, dont il constituait une « dépendance » conventuelle) _ ;

Michèle que je ne « connaissais » jusqu’ici que par l’écrit (d’échanges de courriels)
et par la voix (de coups de téléphone)…

et par l’intermédiaire de (= grâce à) notre ami commun, Bernard Plossu
auquel j’envoie régulièrement ce que j’écris _ et qu’il peut lire entre deux « voyages », expéditions, marches, photographiques ;

et lequel a d’enthousiasmants projets (d’expositions photographiques : forcément !..)
avec Michèle,
en plus de l’expo « Bernard Plossu – Patrick Sainton : Ateliers parallèles »
qui s’est tenue du 12 janvier au 29 mars 2008 à la NonMaison… ;

Michèle m’ayant proposé d’intervenir en son cycle de conférences « voir ou entendre »
sur le sujet de la « rencontre »
,
sur lequel, « sujet », j’ai écrit un _ long _ essai, qu’elle a lu : « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise« ,
ayant pour sous-titre « Ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni » ;

je devais venir « donner cette conférence » _ « le NonArt du rencontrer » _ à Aix le 22 juillet ; mais Michèle a préféré reporter la rencontre _ avec les fidèles passionnés de La NonMaison _ à l’automne ;

et j’ai souhaité venir à Aix en juillet,
avançant même mon voyage (du 21) au 19 juillet, de façon à pouvoir _ aussi _ accompagner Michèle à la cérémonie de commémoration du dimanche 20 juillet au Camp des Milles ;

afin de « rencontrer » Michèle _ avec sa très rare qualité d’attention (« artistique ») _ autrement (et « mieux »)
que par courriel et coups de fil téléphoniques
, donc.


Bref,
séjournant à Aix
(avec passages aussi par Marseille, La Ciotat (ainsi que les Milles),
« à côté de » ce qu’avait _ déjà copieusement : et ce sera fastueux… _ prévu Michèle
_ à la Non-Maison,

à Marseille (merveilleux déjeuner aux Goudes, avec François Cervantès

_ lui-même merveilleux pilote d’une découverte panoramique de Marseille, depuis l’Estaque
jusqu’à l’île « des Singes » (l’île Maire, au cap Croisette),

en passant par le Vieux-Port, le Quai des Belges, la Criée,
un court (et remarquablement « parlant » :
tout, ou, en tout cas, beaucoup
est là !!!)
arrêt panoramique sur la baie _ somptueuse :
on comprend les Phéaciens d’avoir élu ce site d' »installation »-là !!! _
pour jeter un coup d’oeil au
_ remarquable : sur les « villages » dont se compose en fait Marseille _
Vallon des Auffes ;

Endoumes _ la villa de Roland Petit devant le Château d’If et les îles du Frioul _,
Le Prado, Bonneveine, La Pointe-Rouge, La Madrague-de-Monredon
_ tous noms qui ne vont pas tarder à me parler
(à partir de Granet,
par exemple celui de Jean-Antoine Constantin, son maître si décisif pour (toute) « une vie pour la peinture« , selon la si juste expression choisie par Denis Coutagne pour titre de son si beau livre ;
puis Cézanne lui-même) _ ;

Bref,
séjournant à Aix (avec passages aussi par Marseille, La Ciotat (ainsi que les Milles),
à côté de ce qu’avait prévu Michèle
_ à la Non-Maison,
à Marseille,

à La Ciotat,
au quai de gare à proximité immédiate _ deux cent mètres à peine, à pied, du camp (de transit vers Drancy, puis Auschwitz) _
au village des Milles,

je n’avais _ n’ayant nulle personne de ma famille
ou de mes connaissances
à « rencontrer » à Aix ou dans la région _
nulle contrainte d’obligation ;
et disposais donc, « royalement »,
de l’entière plénitude et souveraineté de mon temps
_ un temps de disponibilité à l’altérité


des choses, des lieux :
la ville d’Aix, d’abord et principalement
_ comme si j’avais rendez-vous, aussi (en plus de Michèle), avec elle : la ville !

afin d’en saisir, un peu, « quelque chose » : de son « génie »
singulier,
de ses « humeurs »,
de son idiosyncrasie,
de sa lumière
sur la couleur de ses crépis, de ses ombres dans les rues, ruelles,
ou sur l’ample esplanade de promenade _ à platanes _ du beau cours Mirabeau ;
ou sur les nombreuses et diverses et variées places et placettes de la cité des Comtes de Provence

_ et du « bon roi » René (1409-1480, fils de Louis II, duc d’Anjou, devenu éphémère roi de Naples, de 1435 à 1442, mais qui se préférait, Comte de Provence

_ à la mort de son frère aîné, le duc Louis III d’Anjou, en 1434 _,

dans sa bonne ville d’Aix, où « le bon roi » René mourut, le 10 juillet 1480) ;

ainsi que,
en matière de « disponibilité à l’altérité »,
une « disponibilité » à l' »altérité » de « rencontres avec »
des personnes

_ une ville étant aussi, et sans doute d’abord, « faite » _ « tissée » _ des « humeurs, aspects, allures, démarches _ en marchant, déambulant _ de ses habitants ;

et je vais en faire, de ces « rencontres » de « personnes » :
Madame Dominique Johner _ professeur d’Histoire de l’Art _, à la NonMaison, dès mon arrivée, le vendredi soir à 19h
(qui va nous parler _ Michèle est là _ de l’oeuvre de Jean Amado _ exposée en divers lieux d’Aix ;

Alain Paire _ qui est l’inspirateur et l’organisateur de ce « Parcours » de découverte de l’œuvre de Jean Amado _ 1922-1995) _ en sa librairie-galerie de la rue du Puits-Neuf ;

Christiane, la guide-conférencière « animant »,
de sa culture vivante et de ses photos d’œuvres de Cézanne,
la visite du « Jas de Bouffan »
_ principalement le « bassin » au lion et au dauphin
et l' »allée aux marronniers » de derrière le « Jas » _ ; et qui m’indique et la brasserie du Roi René : et le brasserie Léopold (qui me donneront pleine satisfaction) ;

Michel Fraisset,
quand j’allais rencontrer au sous-sol du remarquable Office de Tourisme,
2 Place du Général de Gaulle,
autrement dit, sur la très belle Place de la Rotonde, et sa vaste fontaine chantante,
au débouché spectaculaire du Cours Mirabeau ;

quand j’allais rencontrer,
grâce à l’amabilité-serviabilité des hôtesses de l’Office,
la responsable de la communication, Madame Bernadette Marchand :
je désirais indiquer (en mon futur article sur ma visite à Aix)
les auteurs de la très réussie animation vidéo (= diaporama) du Grand-Salon du « Jas de Bouffan » :
Gianfranco Ianuzzi, en l’occurrence, vais-je apprendre ; mais je n’avais pas eu le temps de le « saisir », au générique final du diaporama… ;

je reprends l’élan de ma phrase :

bref, je disposais « royalement »
de l’entière plénitude et souveraineté de l’organisation de mon temps de séjour à Aix
;

mon unique « projet », avais-je signalé à Michèle,
concernait une visite à l’expo Granet _ le Musée Granet ayant son jour de fermeture le lundi,
et ouvrant ses portes à 11 heures :
nous avions donc décidé d’aller en parcourir ensemble les galeries,
Michèle, moi-même
ainsi que Bernard Plossu si, toutefois, Bernard était rentré à temps de Spilimbergo (dans le Frioul, près d’Udine)
où il recevait un prestigieux prix de photographie italien
_ ce qui ne se fera pas ; à cause d’un retard de train quelque part sur le trajet de retour de cette Vénétie Julienne,
entre Trieste et Venise, au pied des Dolomites :

ma (longue) passion (et début de « connaissance » « un peu approfondie »…) de Rome _ ainsi que je l’annonçais en mon article d’ouverture de ce blog _ « le carnet d’un curieux » _, ainsi que ma lecture (rapidissime, elle, alors _ la veille de venir à Aix ! _, du « François-Marius Granet 1775-1849_ Une Vie pour la peinture » de Denis Coutagne, avec, notamment le brillant et, plus encore que brillant, très judicieux « avant-propos » _ ou plutôt « Préface » _ de Marc Fumaroli, m’offrant comme une un peu pertinente « introduction » à une visite « attentive intensive » de cette très riche _ sur trois niveaux de galeries _ exposition rétrospective de celui qui s’est accompli, en « artiste » (de paysages), à Rome, les vingt-sept années qu’il l’a, en long et en large _ comme seulement il convient ! _, « arpentée », ses carnets à croquis en permanence à disposition _ ainsi que le magnifique portrait de 1809, par Ingres _ nous le donne à regarder (ou « imaginer« ) : « Sous son bras, Granet tient un portfolio à son nom« , souligne Philip Conisbee, page 124 du  livre, « et l’on peut ici imaginer qu’il transporte quelques uns de ses croquis romains » _ ;

les ving-sept années que Granet, donc, l’a « arpentée », cette « belle Rome« , ainsi qu’il la nomme encore en 1830 dans une lettre à Ingres : « Il est bien vrai que je suis dans cette belle Rome où nous avons passé les plus beaux jours de notre vie » _ toujours page 124 de ce même, irremplaçable, livre de Denis Coutagne ;

(cf mon article « François-Marius Granet, admirable tremblement du temps, Aix, Paris, Rome« )…

Donc,
je disposais de mon lundi à Aix.


Ici commence le récit de ma découverte de quelques sites cézanniens
et du sujet de mon article : « Art et tourisme à Aix _ la « mise en tourisme » des sites cézanniens » ;
ce qui précède jusqu’ici

n’en constituant que le « pré-ambule » ;

« pré-ambule » à cette « ambulation », _ pedibus _
entre l’Office de tourisme,

le « Jas de Bouffan » _ la visite commentée (par Christiane) débutait à 11 heures _,

l’atelier (dit « Atelier de Cézanne » ; ou « Atelier Cézanne« ) du chemin des Lauves (visite à 13h30) ;

et quelques regards rapides sur quelques autres lieux cézanniens,

tel, par exemple son dernier domicile (à partir de l’automne 1999, après la vente du « Jas de Bouffan ») _ et lieu de son dernier souffle, le 23 octobre 1906, officiellement constaté à 7 heures du matin _ de la rue Boulegon, au numéro 23 de cette rue (dans laquelle se trouve aussi la banque qu’avait créée son père, transférée là en 1856 : au numéro 13…

L’excellent fascicule « Sur les pas de Cézanne » conçu, mis au point et diffusé par l’Office de Tourisme d’Aix-en-Provence, dénombre 34 lieux cézanniens à Aix _ avec plan détaillé (et commentaires efficaces de quelques lignes pour chacun de ces lieux)… Connaître le chiffre de diffusion quotidien, de ce fascicule serait à coup sûr, édifiant ; et selon les diverses langues de cette diffusion : ainsi ai-je remarqué, lors de mes divers passages à l’Office _ le premier des deux hôtels où j’ai logé (excellemment, les deux fois) étant, s’agissant de l’Hôtel de France, situé rue Espariat, tout proche ; l’autre était l’Hôtel Cardinal, à portée de voix, lui, et du Musée Granet, et de Saint-Jean de Malte, rue Cardinal… ;

ainsi ai-je remarqué _ ainsi que dans ces deux hôtels _, la proportion importante de visiteurs japonais ; n’hésitant pas à poursuivre plus avant _ par exemple, en remontant au pic du soleil _ vers les 14h 30 _ le chemin des Lauves (et le chemin de la Marguerite), vers la colline d’Entremont, à rechercher _ de leur regard, à leur tour _ les perspectives qui furent celles de Cézanne « peignant » son motif  _ « sacré » _ de la Sainte-Victoire…


Pour la visite des carrières de Bibémus, je m’y étais pris trop tard : si le départ (en bus : du parking des « 3 Bons Dieux« , assez éloigné lui-même du centre-ville d’Aix) avait bien lieu à 9h 45, il aurait fallu venir chercher la « réservation » bien plus tôt qu’aux alentours de 9h 15, 9h 30 à l’Office de Tourisme de la Rotonde ; et surtout se rendre pour cette heure-là à ces « 3 Bons Dieux« -là… : ce sera donc pour une autre fois…

Alors maintenant, mes « observations » sur ces deux visites _ et leur « organisation » par l’Office de Tourisme d’Aix-en-Provence _ au « Jas de Bouffan » _ route de Galice _ et à l' »Atelier Cézanne » _ du chemin des Lauves (désormais « Avenue Paul Cézanne« , au numéro 9)…

Je prends donc une réservation pour le « Jas de Bouffan » à 11 heures ; et une pour l' »Atelier Cézanne »  à 13 heures 30 ; et me mets en route vers la route de Galice, d’un bon pas…

Si le « Jas de Bouffan » se trouvait aux temps des Cézanne père et fils en rase campagne,
le lieu, avec sa ferme et de ses vergers, sur la route de Galice,
s’est trouvé bientôt « rattrapé »
par l’urbanisation galopante

depuis les 1899 de la vente de la propriété par Paul Cézanne et ses sœurs,
après le décès de leur mère (le 25 octobre 1897, à son domicile du 30 Cours Mirabeau),
après celui de leur banquier de père, mort à son domicile du « Jas de Bouffan », le 23 octobre 1886, lui…

Si Paul Cézanne a accepté de se défaire de ce lieu où il disposait d’un grand et bel atelier
:
avec une haute verrière, dépassant sur le toit ; bien que supprimée par les nouveaux propriétaires :
son aménagement sous les combles rompait l’ordonnancement tout classique du bâtiment
_ sur la gauche, quand on se trouve face à la (grande et belle) bâtisse XVIIIème, par l’allée (récente) plantée de peupliers ;

néanmoins, disposant de trois quart d’heure de patience,
après avoir eu tout le loisir de contempler de près les trois œuvres monumentales de Jean Amado disposées ici,
en une étape d’un « Parcours d’art Jean Amado » (qui s’achève ce dimanche 31 août même, je m’en avise…) :
« Le Doute et la pierre« , au milieu de l’étendue de gazon  que bordent les peupliers ;
et, juste devant l’entrée de la bastide :
« Les Degrés vertigineux »
et « Le Passage » _,

j’avais bien perçu une « anomalie » dans la frise (élégante) bordant le toit ;
« anomalie » qu’une photo ancienne
donnant à contempler l’état de la haute verrière (débordant sur le toit, donc…) de l’atelier de l’artiste,
m’a, plus tard, confirmée ;

si Paul Cézanne a accepté, en 1899, de se défaire de ce lieu où il disposait d’un si grand et bel atelier,
ce fut sans doute un peu plus que pour complaire à sa plus jeune sœur, Rose, et à son beau-frère, Maxime Conil _ qui avait besoin de « liquidités »…

Sans doute, Paul Cézanne a-t-il eu, aussi, des « raisons » de peinture _ et de choix de « motif », nous « souffle » Christiane : il avait peut-être « épuisé » les « vues » depuis le « Jas de Bouffan »,
et depuis Bellevue et Montbriand _ propriétés présentes ou anciennes (revendues) de sa sœur Rose et de son beau-frère Conil _
de (ou « sur ») la Sainte-Victoire,
qu’il cherche à peindre désormais « de plus près »
;

c’est probablement là une des raisons de l’achat par Paul Cézanne
d’une propriété sur le chemin des Lauves
,
puis de la construction sur ce lieu-là d’un atelier _ à immense verrière ! et à l’horizontale aussi, cette fois, et pas seulement en hauteur ! _,
proche de collines _ au-dessus d’Aix _ avec un angle de vue plus large et plus rapproché, à la fois, de (ou « sur ») la Sainte-Victoire ;

comme de ses « installations » à « Chateau-Noir » _ qu’il ne parviendra pas, toutefois, en dépit de son insistance, à se faire céder (par ses propriétaires : il n’en sera jamais qu’un partiel locataire…) _ ,
et dans les carrières de Bibémus,
auprès, parmi, dedans, au sein
des veines géologiques
d’où surgit le très imposant motif auquel l’artiste a décidé de « donner »

_ s’y glissant dedans (« dans les plis« , dirait un Henri Michaux) _

toutes ses dernières forces
afin de « s’y confronter » ; « l’affronter »
; « titanesquement », avec sa palette ; avec son chevalet ; et avec ses toiles _ comme nous l’a confié la passionnante guide-conférencière Christiane, peu après.

A 11 heures, les visiteurs, trois couples ainsi que moi-même,
sommes introduits dans le grand salon _ désaffecté du temps même des Cézanne, déjà… _,
que le père avait accepté de « laisser » à son fils (qui s’obstinait à la peinture !) comme un « premier atelier » ici ;
et que Paul Cézanne avait « décoré » de diverses peintures au mur,
depuis dispersées par les propriétaires, une à une, depuis 1899…

Nous sommes alors conviés à regarder un spendide diaporama (d’à peu près vingt minutes _ de Gianfranco Iannuzzi, selon le renseignement fourni par Bernadette Marchand en son bureau de l’Office de Tourisme ; bureau dans lequel je rencontrerai aussi Michel Fraisset…) ;

diaporama qui projette sur les murs _ et en musique (qui leur convient !) _
non seulement les images colorées des œuvres qui y furent déposées, en leur temps, par le jeune Cézanne ; mais d’autres, ensuite, avec toute l’évolution de sa palette, et de ses styles…

Soit une très belle instructive initiation au génie artistique, en un de ses ateliers, même, du maître aixois…

Puis, Christiane, la guide-conférencière, nous conduit à ce qui demeure accessible encore de la propriété du « Jas de Bouffan »

_ les anciens propriétaires, depuis, ayant conservé, sans la céder à la Ville, la propriété des bâtiments annexes (dits « la ferme« ) ; et une autoroute péri-urbaine
a « rogné » une partie des vergers ; et manifeste son incessant « bourdonnement » (de moteurs), là où ne régnaient, naguère, que les cigales et les oiseaux…

Mais nos déplacements autour du « Bassin » (rectangulaire), orné d’un lion et d’un dauphin,
puis dans ce qui demeure _ après tempêtes et vieillissement (et mort) des arbres de « l’allée des Marronniers » _ cézannienne, elle _ à la différence de l’allée, à l’entrée, des peupliers _ ;
sont éclairés par les images des œuvres éblouissantes de Cézanne que Christiane
nous montre
, en les recherchant, manuellement, artisanalement, l’une après l’autre, en tournant les pages, dans son recueil-classeur de photos des œuvres de Cézanne,
à la fois en les commentant, ainsi que leur histoire ;
et en nous invitant à les comparer avec ce que l’état de la végétation
_ et celui des constructions à l’alentour _
nous laisse(ent) apercevoir aujourd’hui…

C’est vivant, et passionnant ! Nous sommes comme conviés sur « les sentiers » mêmes « de la création » _ selon ce beau (et combien justifié !) titre que Gaëtan Picon avait donné à la collection qu’il avait créée aux Éditions Skira _ ;

d’autant que la guide-conférencière se fait une joie d’éclairer en un détail compétent les questions qui naissent alors en nos esprits…

La visite du « Jas de Bouffan » cézannien,
tel qu’il est nous est accessible _ sans meubles ; passablement délabré ;
nous fait ainsi nous ap-procher _ par le travail de l’esprit _ du travail cézannien
tel qu’il put être à l’œuvre ici…

Et la conjoncture qui fait que nous ne sommes, ce matin du 21 juillet à 11 heures, que sept visiteurs au « Jas de Bouffan »

ajoute aussi à l’impression d’être un « invité »
autorisé (par le maître
_ qui en était peu prodigue ; même à l’égard de ses nièces…) à contempler _ en silence _ quelque chose du travail se faisant _ something like « a work in progress » _ de l’artiste…

Un moment intense (et privilégié), donc…

La visite-conférence achevée,

et conversant un moment avec la conférencière, aux alentours de midi,

celle-ci me donne le nom de deux brasseries aixoises, qu’elle estime « recommandables » :
j’ai l’intention de déjeuner rapidement, si possible d’une agréable salade,
avant de gagner pour 13 h 30, à pied, l' »atelier » du chemin des Lauves…

J’ai la chance de prendre un autobus au vol, qui me dépose à la fontaine de la Rotonde,
d’où je gagne, rapidement, à l’autre bout du cours Mirabeau, l’excellente brasserie du « Roi René » _ et une excellente salade, en effet, et servie très rapidement ;

si bien que je « remonte » bientôt _ « plein nord » _ vers le haut de la ville _ la place de l’Hôtel-de-Ville, puis la cathédrale Saint-Sauveur,
pour gravir, passé sur la gauche l’ancien hôpital _ qui existait déjà du temps de Cézanne _, le chemin des Lauves _ l' »Avenue Paul Cézanne » _ sous le soleil ;

et me trouver à 13 heures 20 sur le seuil du « dernier atelier » de Paul Cézanne…

La suite _ la visite de l' »Atelier Cézanne » ; et une réflexion de synthèse sur « Art et tourisme _ à Aix, et ailleurs » :

à venir en un second volet…

Titus Curiosus, ce 31 août 2008

Rue de Tournon et découvertes discographiques du dernier « Baroque »…

29août

 Sur « L’Heure de la fermeture dans les jardins d’Occident » de Bruno de Cessole (aux Éditions de la Différence)

ainsi que 3 nouveautés discographiques :

« Missæ breves«  BWV 234 & 235, de Johann Sebastian Bach, par l’Ensemble Pygmalion : CD Alpha 130 ;

« Missa votiva » ZWV 18, de Jan Dismas Zelenka, par les Collegium 1704 & Collegium Vocale 1704, sous la direction de Václav Luks : CD Zig-Zag Territoires ZZT 080801 ;

et « La Primavera _ Cantate per una prima donna« , de Joseph-Martin Kraus, par Simone Kermes, et L’Arte del Mondo, sous la direction de Werner Ehrhard : CD Phœnix Edition 101

T’ai-je dit que j’étais en train de lire « L’Heure de la fermeture dans les jardins d’Occident« 
de Bruno de Cessole (à la Différence) ?

dont l’action (des conversations-déambulations _ philosophiques sur ce qui « s’annonce » dans « l’air du temps » _, pour l’essentiel) se déroule
du côté de la rue de Tournon

_ lequel, « Tournon » _ Camille, comte de Tournon (1778-1833) _, fut préfet de Rome (= du « département du Tibre« ) de 1809 à 1814
_ une expo (« Camille de Tournon : le préfet de la Rome napoléonienne (1809-1814)« ) lui fut consacré à la Bibliothèque Marmottan de Boulogne-Billancourt en 2001-2002 : avec de notables transformations urbaines romaines
_ que constata Granet (en bons termes avec Tournon à Rome ;
cf mon article « François-Marius Granet, admirable tremblement du temps, Aix, Paris, Rome » _ ;

dont celle, « transformation », par l’architecte-urbaniste Valadier, de la Piazza del Popolo : l’entrée
_ et Porte (d’apparat ! depuis l’arrivée somptueuse de la reine Christine : le 20 septembre 1655 ! Alexandre VII Chigi ayant chargé le Bernin de nouvelles décorations en cet honneur-là : d’une reine s’établissant à Rome, convertie du luthérianisme au catholicisme…) _ ;
et Porte, donc, du « chemin de France »…) _ ;

puis préfet _ l’institution ayant demeuré sous la Restauration _ de la Gironde (du 25 juillet 1815 au 4 février 1822, très exactement…)

_ existe un « Cours Tournon » à Bordeaux (dans le prolongement vers la « Place des Quinconces » de la « Place Tourny ») _,

et enfin préfet du Rhône, à Lyon (jusqu’au 22 janvier 1823) ; puis « Pair de France« ) ;

fin, ici, de l’incise « Tournon » _ ;

du côté de la rue de Tournon, donc, et du côté du Jardin du Luxembourg ;
enfin dans ton quartier de la rue Crébillon

( le siège et la boutique d’Alpha sont 3 rue Crébillon, à proximité de l’Odéon) :
je peux « suivre » leurs déambulations sur un plan déplié de Paris…

Un livre assurément intéressant

_ et significatif de ce qui peut « se creuser », en ce moment, dans quelques « recoins » de consciences contemporaines : ce serait-là un « signe » éditorial, en quelque sorte… _

que cette « Heure de la fermeture dans les jardins d’Occident«  ;
même si je trouve le passage _ le chapitre XVI, de la page 235 à la page 256 _ sur Rome

(avec « passage obligé », dès l’arrivée du voyageur, au Caffe Greco, via Condotti)

_ il y en a donc un aussi, de « passage » (sur Rome)… _
un peu convenu :

un peu trop « à la touriste pressé »…

_ je pense ici à ce mot d’Yves Michaud : « on est toujours le « touriste » d’ « un autre »… ;

« un autre » qui se pense, lui, un peu moins empêtré

dans les « clichés » « courant les rues » ;

Gœthe, lui-même, n’a-t-il pas mis plus de six mois

_ arrivé le 1er novembre 1786 (et parti pour Naples le 21 février de l’année suivante),

c’est à partir de son second séjour romain (du 8 juin 1787 au 14 avril 1788) qu’il commence à vraiment « voir » et comprendre (au-delà des clichés « importés ») Rome ! _ ;

Gœthe n’a-t-il pas mis plus de six mois, donc,

à « découvrir vraiment » Rome ? on s’en rend assez bien compte quand on lit un peu « attentivement intensivement » son très, très riche (en détail passionnant, pour si peu qu’on s’y penche) Journal de « Voyage en Italie » ;

et c’est là une des grandes raisons du séjour prolongé

(trois ans ; puis deux ; combien de mois aujourd’hui ?)

des artistes « pensionnaires » de l’Académie de France à Rome ;

Granet, non « pensionnaire », a vécu vingt-sept ans à Rome ; Poussin, et Claude (le Lorrain) ont choisi, eux, de n’en plus partir… ;

à comparer à l’heure des week-ends (forfait « tout compris » !) par avion !!!

Fin de l’incise sur le « passage romain » de « L’Heure de la fermeture « …

Intéressant surtout pour l’excellent « portrait » du philosophe _ baptisé « Frédéric-Émile Stauff » ; et son angle de « vision » sur cette « heure de fermeture » des « jardins«  demeurant encore un peu,

tels des îlots que menace l’assez peu résistible « montée des eaux »

des océans du « réchauffement climatique »,

au cœur de nos cités d' »Occident« 

Ou ce qui change dans notre « air du temps« …

A part cela, j’ai écouté hier après-midi une première fois
3 disques :

missae-breves-big.JPG

_ les 2 messes brèves (« Missæ breves » BWV 234 & 235, par l’Ensemble Pygmalion : CD Alpha 130) de Johann Sebastian Bach ;

_ une messe votive (« Missa votiva » ZWV 18, par les Collegium 1704 & Collegium Vocale 1704, sous la direction de Václav Luks : CD Zig-Zag Territoires ZZT 080801) de Jan Dismas Zelenka ;

_ et un récital de cantates italiennes (de Métastase : « La Primavera _ Cantate per una prima donna« , par Simone Kermes, et L’Arte del Mondo, sous la direction de Werner Ehrhard : CD Phoenix Edition 101) de Joseph-Martin Kraus ;


ma curiosité s’étant d’abord portée sur le génie, trop chichement « servi » au disque, de Zelenka ;
dont tant d’œuvres (dont une collection de splendides messes, à Dresde) demeurent _ si étonnamment ! _ encore inédites discographiquement ! ;

si bien que je me suis dit (à part moi…), à propos du CD Alpha : « pourquoi encore Bach ?.. » ;
« et ne pas _ bien plutôt _ donner à découvrir les chefs d’œuvre de Zelenka ?!… »
_ ici, chez Zig-zag _ par d’excellents tchèques
enregistrés à l’église du Prytanée de La Flèche : telle était donc mon interrogation : je te la livre ici « telle quelle »…

Cela dit, si le CD Zelenka tient ses promesses (de splendeur) : quel immense musicien, catholique _ tchèque (= du royaume de Bohème) _ pour la cour du fastueux roi de Pologne

_ converti au catholicisme, lui, pour raison de condition sine qua non d’accession (par élection !) au trône polonais !… _,

à Dresde

_ capitale de l’électeur saxon (que le roi _ élu _ de Pologne demeurait aussi)… _

quel immense musicien que ce Zelenka ! Que de chefs d’œuvre (baroques) encore à « découvrir » de lui !.. ;


si le CD Zelenka tient ses promesses (de splendeur) _ je reprends l’élan de ma phrase _, le CD Bach ne lui cède rien en « beauté » :
lui aussi est « splendide » : en l’intimité même, toute de ferveur, de son interprétation _ intense _

par ces tout jeunes interprètes : on sent le souffle de leur passion…

Une très grande chose, à nouveau, cher maître d’œuvre !..

Et en plus, la notice, par le jeune chef (de Pygmalion), Raphaël Pichon, est passionnante,

à propos des pratiques de « parodies » de Bach…

Quelqu’un, ce jeune Raphaël Pichon, à suivre ; un nouveau, donc, de tes excellents « poulains », mon cher Jean-Paul… Bon boulot d’édition, donc ! aussi ; en plus du régal de cette interprétation-ci de pareille si belle musique !..

Et combien le jeune librettiste-et-surtout-chef (de son Ensemble : « Pygmalion ») est fondé à « reprendre », page 12 du livret, le mot malheureux du vieux « médecin, théologien, organiste et musicologue Albert Schweitzer » _ c’est à ce genre de « décalage » temporel « culturel » que nous mesurons mieux, cher Jean-Paul, combien le temps (de l’Histoire) passe (pour tous…) ; et combien nous avons besoin de voir nos propres sens _ notre æsthesis _ toujours « ra-fraîchis » par de nouveaux enthousiasmes autrement (et, si possible, mieux) lucides !!! _ ;

est fondé à « reprendre », donc,

le mot qui qualifiait ces messes-là de « superficielles et dénuées de tout sens« , parce que « parodiques », et constituées de pièces empruntées à droite et à gauche (ou « de bric et de broc » : à telle ou telle de ses cantates : BWV 72, 102, 179, 187…) : comme quoi même une oreille aussi avisée que celle du vénérable « sage » de Lambaréné _ et auteur de «  »Jean-Sébastien Bach, le musicien poète » (publié aux Éditions Fœtisch, en 1904) _ pouvait avoir ses propres « tâches aveugles » (en l’occurrence « sourdes« ) _ selon le cliché « romantique », lui (et impropre au « Baroque »), des « chefs d’œuvre » (au compte-gouttes)… : la ferveur connaissant alors, surtout avec un Bach (ou avec un Zelenka), d’autres rythmes qu’un peu plus tard ; quand il faut, bientôt, même l' »enseigner », aux « Nathanaël » (des « Nourritures terrestres » : en 1897, dans le cas d’André Gide, alors âgé de vingt-huit ans _ 1869 – 1951)…

Mais tu m’avais prévenu, que ces jeunes-là _ « Pygmalion » et Raphaël Pichon devraient très vite se faire un nom… _ avaient un talent fou !..
En effet !

Une excellente découverte
_ et pour Alpha !
et pour la joie des oreilles
(et un peu, voire beaucoup, plus que cela) des mélomanes !..

Enfin, le CD Joseph-Martin Kraus est lui aussi _ mais nous ne sommes plus « à l’église » _ très beau ;
mais là, nous sortons
_ en plus de l’église, au « profit » du « concert » _
qui se « développe » au XVIIIème siècle (depuis l’ouverture, à Paris, du « Concert spirituel« , dans les années 20 de ce siècle : le privilège royal est du 22 janvier 1725, très précisément…) ;

mais là, nous « sortons », donc, aussi, du « dernier baroque » du XVIIIème siècle ;
et entrons (et nous trouvons) dans quelque chose d’assez proche _ en beauté aussi !!!

(et virtuosité : pour le gosier d’une rare agilité et hauteur _ « de vue », aussi  : le livret, page 10, parle de « difficulté inouïe des parties de soprano«  _ d’une « prima donna » (à la brève existence, elle aussi : Louisa Sofia Augusti (1756-1790 !) _ ;

nous nous trouvons, donc, dans quelque chose d’assez proche _ et en beauté d’abord ! _ de Mozart
_ dont Joseph-Martin Kraus (de vie tout aussi « brève » : Miltenberg am Main, en Bavière, 1756 – Stockholm, 1792, pour celui-ci) est le quasi contemporain (Salzbourg, 1756 – Vienne, 1791, pour celui-là, Mozart…).
Pour comparer :
Johann Sebastian Bach : Eisenach, en Thuringe, 1685 – Leipzig, 1750 ;
et Jan Dismas Zelenka : Louňovice pod Blaníkem en Bohême, 1679 – Dresde, 1745 : quasi contemporains l’un de l’autre, eux aussi (et qui se sont connus _ et appréciés _ à Dresde)…

Le livret de ce CD de cantates (italiennes) de Kraus rapporte (page 11) ce mot du compositeur, dans une lettre du « 2 août 1790 au secrétaire royal et directeur de théâtre, Abraham-Niclas Clewberg-Edelcranz à Paris, s’exprimant ainsi sur la perte de ce talent exceptionnel : « Si seulement notre pauvre Augusti _ « morte le 25 juin 1790 à Stockholm » (nous informe le livret, page 10) _ avait voulu nous laisser là ses cordes vocales, je m’en lamenterais moins : mais _ Mon Dieu ! Mes pauvres arias et toutes les superbes colorations !!!« 

Bref de bien belles musiques, en cette fin de vacances d’été
et de « rentrée » pré-automnale : le temps est devenu splendide _ lui aussi… _ à Bordeaux et dans le Sud-Ouest…

Bien à toi,

Titus

Ps : la Belgique a-t-elle « précisé » la date de sortie du DVD de « Cadmus et Hermione » ?
L’extrait accessible sur Internet est superbe : Vincent Dumestre est, comme il nous y a habitués, en merveilleuse forme… Et cette « première » de la toute première « tragédie en musique » du « Surintendant » Lully (représentée sur scène, dans la salle du jeu de paume du Béquet, en mars ou avril 1673) suscite mon impatience…

Enfin une scandaleuse absence discographique (du fondateur de la tradition française de chant : pas moins ! dont les « rejetons » sont Rameau, Berlioz, Debussy, et bien d’autres…) « réparée » ! Et par un musicien, Vincent Dumestre (théorbiste merveilleusement fin et subtil : ce n’est pas pour rien qu’il a donné pour nom à son ensemble « Le Poème harmonique » !) particulièrement attentif à la finesse des sources _ idiomatiques _ de ce génie-ci, qui n’est ni italien, ni allemand ; et pas un « dix-huitiémiste », comme jusqu’ici ; et tant d’autres interprètes pas aussi « soigneux » _ ni aussi fins, ni aussi justes _, encore aujourd’hui…

La réponse, aux dernières nouvelles, à cette dernière question (sur la date de parution du DVD de « Cadmus« ) serait le 16 octobre prochain…

Titus Curiosus, ce 29 août 2008

« Patience et battons les cartes ! » sur l’excellent blog de Pierre Assouline

25août

 Sur un excellent article : « Patience et battons les cartes ! » sur le riche et stimulant (pour la « curiosité ») blog « La République des livres » de Pierre Assouline, sur le site du quotidien Le Monde, ce 21 août 2008.


« 21 août 2008
Patience et battons les cartes !

Unamuno, ça ne se refuse pas. Surtout si c’est un inédit, en français du moins, au sein d’un ensemble de textes ainsi assemblés, dans une traduction historique relue par l’auteur même, sous la couverture lie-de-vin d’une petite maison arlésienne qui aime le travail bien fait et publie de jolis livres à l’enseigne énigmatique des « Fondeurs de Briques ». De toute façon, avec un titre aussi alléchant que « Comment on fait un roman«  (« Como se hace una novela« , traduit de l’espagnol par Jean Cassou, 91 pages, 12 euros), on ne peut faire l’impasse : on se précipite. Notez bien l’usage de “faire” en lieu et place d’”écrire”. Le texte donnant son titre au recueil datant de 1927, il est précédé d’un portrait de Miguel de Unamuno écrit par son traducteur quelques mois avant. On y perçoit une belle complicité entre un créateur et son interprète, souterraine aussi bien que souveraine ; quelque chose d’à la fois chaleureux et respectueux. Au passage, Cassou s’offre même le luxe d’un “cogniscible” et d’un “conceptisme”  qui produisent un certain effet. Il en use au moment de donner sa définition du nihilisme espagnol à travers ce qu’Unamuno exprime lorsqu’il en touche le fond : à savoir que ce monde relève à tel point du songe qu’il ne mérite même point d’être rêvé sous une forme systématique”.

C’est un portrait admiratif, mais comme celui qui le brosse juge que, tout ce qu’écrit le philosophe de Salamanque relève au fond du commentaire, celui-ci prend la mouche. Dans une note intitulée…”Commentaire”, il se récrie. « Commentaires« , mes romans et mes drames ? Commentaires, mes essais historiques et ma poésie ? Mais alors tout est commentaire ! à commencer par « L’Iliade« , commentaire d’un moment de la guerre de Troie et en poursuivant avec « La Divine comédie« , commentaire des luttes entre la Papauté et l’Empire. Puis il en vient au cœur du problème : comment on fait un roman. Un mot d’abord en souvenir de la proscription auquel le voua le régime dictatorial de Primo de Rivera, à l’île de Fuerteventura, son Guernesey à lui, puis à Paris et à Hendaye, un mot sur la notion d’”exil” qui se dit « destierro » en espagnol et que son traducteur entraîne même du côté du “déterrement” et du “décielement”. Après quoi il prend la bête par les cornes, non pour faire de la littérature une tauromachie à la Leiris (voir sa dénonciation de l’élevage des taureaux de combat dans « Écrits sur les taureaux » qui vient de paraître chez le même éditeur) mais pour expliquer que toute œuvre de fiction est autobiographique puisqu’avant de créer un personnage, on le fait sien. Madame Bovary, c’est Flaubert, mais M. Homais, Bouvard et Pécuchet tout autant. Est-ce ainsi qu’on fait un roman ? Un instant.

    D’abord considérer que Valéry Larbaud avait tort de tenir la lecture pour un « vice impuni » : c’est un vice puni de mort continue, car il empêche l’écrivain d’écrire, il le love dans d’autres univers que le sien et le distrait de son travail, la page blanche est son châtiment. Ensuite observer l’étymologie du mot “problème” au cœur de l’invention romanesque : voyons, « proballein« , c’est à dire “jeter”, “mettre devant”, “présenter”, équivalent du latin « proiicere«  donc “projeter”, ce qui revient à dire que “problème”  équivaut à “projet”, sous-entendu projet d’action. Donc on résout en faisant. CQFD. Unamuno se regarde au miroir de Cassou, il examine les lieux communs qui lui collent à la peau : paradoxal ? certainement ; gueux d’helleniste ? cela lui permet de se rappeler qu’”hypocrite” signifie “acteur” ; ce qu’il cherche en écrivant ? comme les autres, fuir la mort qui se présente. Voilà pourquoi il est impératif de laisser un roman inachevé : “L’achevé, le parfait, c’est la mort, et la vie ne saurait mourir. Le lecteur, qui cherche des romans achevés, ne mérite pas d’être mon lecteur : il est lui-même déjà achevé avant que de m’avoir lu“. Est-on plus avancé quant à la fabrication du roman ? Pas vraiment. On l’aura compris, Miguel de Unamuno, l’auteur fondamental du « Sentiment tragique de la vie », l’inoubliable, fier et courageux recteur de Salamanque qui défia seul les fascistes qui assistaient médusés à son fracassant discours, avait moins l’intention de nous le révéler que de partager ses tourments métapolitiques et religieux et d’évoquer quelques menus détails de sa vie intérieure. Celui-ci par exemple : le bridge est la meilleure école de vie et de pensée, foi d’un ancien pilier du Grand Café d’Hendaye. Patience et battons les cartes !” Voilà bien une sagesse de moraliste. C’est Montesinos qui le dit dans le « Quichotte« , c’est donc vrai. Savoir tendre la main au hasard, tout le problème est là. Qui a compris cela sait faire un roman. Ne lui reste plus alors qu’à l’écrire. »

Lire,
de même, en suite, qu’écrire,
demande, au-delà d’un minimum de temps disponible
_ et à donner, gaspiller et perdre (à fonds perdus si l’on veut…) _ ;

lire demande
un minimum de vertu
: celle de « patience », en effet
_ compagne des vertus
déjà un peu abordées sur ce blog-ci
de « vaillance », et de « courage » ;

mais sur le versant, ici (et « pentu »…) éminemment crucial
(en une vie fondamentalement temporelle, bien sûr, elle aussi, et elle d’abord

_ que fait donc un être humain,
et pas tout à fait encore « in-humain » (cf Bernard Stiegler : « Prendre soin« )
de « son temps » ?
pour si peu que ce temps
offert par le simple fait de la vie, et du « vivre »
_ de peu d’effort, et de peu de mérite, lui, du moins a priori ;
après (= a posteriori), il s’agit de « durer », de « demeurer », de « survivre » … _ ;

pour si peu que ce temps-là
soit,
bien (ou même « très » !) effectivement,
un peu « saisi »
et un peu « mis à profit »
;

en un « agir » (par « actes »)
qui ne soit pas seulement réflexe
_ selon la logique du
(précieux _ et vendable ; et vendu, en espèces bien sonnantes et trébuchantes, elles ; du moins d’un compte bancaire à un autre
_ pas seulement symboliquement, donc :
d’où la relative « réalité » d’un certain « pouvoir » d’action, en ce monde tant soit peu partagé (un minimum) -ci… _ ;

selon la logique _ impériale ! _ donc  du « temps de cerveau disponible«  de l' »Homo Télé-spectator »
consommateur

(= « sommé de » « consommer » !)

des « produits » « de marque » du marché (cf ici Dany-Robert Dufour : « Le Divin marché« )
à laquelle (« logique », donc) ces temps-ci est en train de se « rétrécir » la persistante (persévérante, voire « résistante ») _ pour combien de temps encore » _ « espèce humaine »
selon la belle appellation -« invocation » _ c’est surtout un « appel » !!! _ de Robert Antelme (« L’Espèce Humaine« )
au retour « des camps« , en 1945…
Tout se tiendrait-il donc ?…

sur le versant, ici (et « pentu »…) éminemment crucial, donc,
du temps « à vivre »
, donc…

Il y a ici quelque chose de l’ordre de l’alarme et de l' »appel »,
chez Unamuno, en 1936,
chez Jean Cassou (même date) ;
ainsi que chez leurs éditeurs d’aujourd’hui _ 2008 _ ;
ainsi que dans l’article, en son remarquable blog, de Pierre Assouline :

au fait,
il ne faudra pas manquer
la « rencontre » avec Pierre Assouline le jeudi 18 septembre à 18 h dans les salons Albert Mollat :

Pierre Assouline,
un remarquable « passeur » de littérature
, pour s’orienter (un peu ; un peu mieux) dans le lire,
parmi la foule (effrayante par les dimensions mêmes de sa prolifération) des livres _ jusqu’à constituer,
ainsi que le « revendique » _ c’est un peu mieux que « rêver » _
le beau titre de son blog : « La République des livres » : tout un programme !
« Encore, un effort, Français,
pour être (ou enfin « devenir » ?

quand ? comment ? où ?) républicains« …

Même si on pourrait, aussi, le titiller un peu
sur une (petite) propension à s’attarder un peu trop sur une dimension « mondaine » (et parisienne, voire germano-pratine)
du livre (et des écrivains),
au détriment de la qualité véritablement « littéraire » (ou artistique) des œuvres ;

à donner un peu trop dans ce que le si lucide Michel Deguy  _ un contemporain vraiment majeur, lui ! _
qualifie très justement, acidement, de « culturel » _ c’est-à-dire social, sociologique, et même religieux :
de fonction grégaire… Tout à rebours d’un Nietzsche…

Un exemple (de cette propension « mondaine » au détriment de l’Art » même !),

ici même _ et si le lecteur veut bien m’y autoriser

(en m’accordant le temps précieux de sa lecture) :

sur la foi d’un des remarquables articles de Pierre Assouline : « Enquêtes sur nos parts d’ombre« 

_ en me permettant de mettre en gras certaines de ses expressions ou phrases  :

« 04 juin 2008

Enquêtes sur nos parts d’ombre

Qu’est-ce qui pousse un homme à un retour sur soi qui lui impose d’enquêter sans relâche sur la part d’ombre de ses proches ? Quelque chose d’indicible que l’écrivain s’obstine à creuser. Il est hanté par l’enquête,

obsession que l’on retrouve au coeur de deux premiers textes particulièrement réussis, un roman et un récit.

Dans « Les Bains de Kiraly«  (133 pages, 17 euros, Sabine Wespieser), Jean Mattern nous mène sur les traces des siens de Bar-sur-Aube et du cimetière de Proverville aux confins de la Hongrie en passant par le Londres de Golders Green. La religion envahit le narrateur, quand bien même se réduirait-elle à sa plus sobre expression à l’instant où l’âme se dissocie du corps (« Dieu a donné, Dieu a repris« ). Il rend bien ces regards “comme si la vie était trop lourde à porter” avec des mots justes et fins. Mais au-delà de cette quête, il se livre à une belle méditation sur la langue. Lui qui avait achevé ses études avec une thèse sur Thomas Mann, il entre dans la vie active en obtenant d’une prestigieuse maison d’édition la commande d’une nouvelle traduction du « Docteur Faustus« . Et c’est en participant à Budapest à un congrès de traducteurs de “cet allemand si sophistiqué” de Mann, en confrontant les difficultés qu’ils ont à restituer “les couches superposées de sa rhétorique germanique et de ses phrases à embranchements multiples”, qu’il comprend où le mène son roman des origines.

Son impérieuse nécessité de mettre à nu les mensonges familiaux, l’achat d’une conversion comme on s’achète une conduite, même si c’est un peu vain : ”La découverte d’une histoire vieille de plus d’un siècle ne peut pas me tenir lieu d’identité aujourd’hui. Une épiphanie ne peut effacer l’homme que je suis devenu. Cette absolue volonté de savoir qui étaient au juste ses grands-parents, d’où ils venaient, et pourquoi leur héritage n’était précédé d’aucun testament.

Mais aussi loin que ses pas le porteront, il sera toujours le frère de la morte. Il sait désormais qu’à tous les âges de sa vie, il restera à jamais l’enfant de dix ans privé de sa sœur, la nuque brisée dans un accident de la route, un soir d’octobre, sur le bas-côté d’une route champenoise. On n’échappe pas à ses fantômes, surtout lorsqu’ils sont encore là, tout près. On ne leur échappe pas, fut-ce aux bains de Kiraly, à défaut des bains de l’hôtel Gellert. La rencontre d’un aristocrate, assez décati et vaguement onaniste,“pas si insensé lorsqu’il compare les masturbateurs compulsifs aux traducteurs obsessionnels“, lui fait saisir la réalité dissimulée derrière le grand meccano des mots où il fait bon s’abriter lorsqu’on est traducteur et qu’on aime jouer aux échecs avec des dictionnaires. Le déclic lui viendra de biais, dans une traduction anglaise du « Jérémie » de Franz Werfel trouvée par hasard chez un bouquiniste. Il restera à jamais prisonnier d’une absence, quand bien même aurait-il vécu, ce qui s’appelle vivre, beaucoup plus longtemps sans elle qu’avec elle. Mais à quoi bon retrouver ces ombres du passé si l’on ne sait plus quoi en faire ?

Aussi réussi que le roman de Jean Mattern, le livre de Jean-Marie Borzeix « Jeudi saint » (183 pages, 16 euros, Stock) s’articule sur un même canevas. Sauf que le spectre de l’Occupation y rôde à toutes les pages. Dès les citations placées en épigraphe, il invite à ne pas se résigner à la défaite que constitue l’oubli, et à ne pas se laisser envahir par le présent à l’exclusion de la suite des années. Le village de l’Échameil en Haute-Corrèze est le théâtre intime de cette chronique des jours passés, elle aussi gouvernée par une enquête agitée de rumeurs et de murmures. Ca s’est passé en avril 1944 dans la journée du jeudi saint. C’était le temps des rafles et des otages. Le narrateur de ce récit, qui ne cherche pas à se draper dans les habits de cérémonie du roman, veut se faire l’attentif historien de cette journée particulière dans ce minuscule coin de France. Écartelé entre le crédit à accorder aux souvenirs des témoins et la totale confiance généralement donnée aux documents d’archives, il navigue entre les petites lâchetés et le courage ordinaires de personnes que sa quête élève au statut de personnages. Tout cela pour retracer le destin d’une poignée d’étrangers échoués là à seule fin de s’y cacher, des “parmi nous” comme on dirait des “malgré nous”. Jamais le plateau limousin n’avait été aussi cosmopolite. Un drame s’est joué là, à l’ombre des bals clandestins, forme de résistance qui connut une vogue considérable à la fin de l’Occupation. L’auteur, né par là à cette époque-là, a voulu comprendre comment s’étaient superposées la déportation des dizaines de Juifs planqués dans des communes du plateau de Millevaches et l’exécution de quatre paysans pris en otages. Soudain, des gens que ceux du cru avaient fini par connaître s’évanouissent dans la nature.

Il faudra le travail du temps et l’obstination d’un seul qui n’avait “rien à voir avec cette histoirepour que l’on sache ce qui était véritablement advenu. Et pour cause : “Ce n’est pas un pogrom sauvage, c’est une série d’arrestations tranquilles, une sorte de banal contrôle administratif”. L’histoire s’achève sur le télescopage de deux dates : celle du 6 avril 1944 quelque part en France avec celle du 7 avril 1994 quelque part en Afrique : “Ce jour-là commence le dernier génocide du XXème au siècle au Rwanda. Un génocide préparé de longue date et monstrueusement artisanal”.

P.S. L’été approche, les critiques reçoivent les livres de la rentrée parfois mélangés à ceux, plus rares il est vrai, de la saison. Bref, je n’ai pas vu que le roman de Jean Mattern ne sortait que le 25 août. Dont acte. Retenez-le, c’est aussi bien. »

Voilà pour cet article, en lui-même, déjà, bien « intéressant », de Pierre Assouline.

Pour en venir, maintenant, si on le veut bien, à ma (petite) critique : de « mondanité » germano-pratine…

Je veux dire :

à un exemple de propension à s’attarder sur une dimension « mondaine » (de l’édition)

au détriment de la qualité véritablement « littéraire » (ou artistique)

des œuvres, donc

_ je reprends le fil de mon raisonnement ainsi que de ma phrase _,

sur la foi d’un de ses remarquables articles : « Enquêtes sur nos parts d’ombre » (du 4 juin dernier),

après avoir lu

_ avec tant de plaisir

que j’ai moi-même rédigé deux articles

(ou « études critiques« , selon l’expression de Jean-Marie Borzeix) : « Ombres dans le paysages : pays, Histoire et filiation » et « Lacunes dans l’histoire » _ ;

après avoir lu « Jeudi saint« ,

j’ai lu dès sa sortie
_ le livre est court : 133 pages _
« Les Bains de Kiraly« , de Jean Mattern

(« qui travaille dans l’édition« , signale la Quatrième de couverture),

aux Éditions Sabine Wespieser, ce mois d’août 2008…


Eh bien, c’est une belle déception que ce livre bâclé (hélas ! à mon jugement ;

et je le regrette beaucoup… ;

car le « sujet » « abordé » _ la très dure pesanteur des « silences » de la « filiation » _,

moi aussi _ comme Pierre Assouline… _

me passionne !) :

tout au plus, et à peine, une « idée » _ étique, sans souffle ; ni chair ; ni « tripes » _ « de livre » ;

mais dépourvu(e), ici, dans ce cas-ci, de ce qui fait le grouillement _ fantasque… _ de la vie,

car « sans nécessité » à l’intérieur (de la vie palpitante : attendue par le lecteur !) des phrases

_ est-ce donc si difficile à « trouver » (pour un auteur), que de telles phrases,

vibrantes ?.. _ ;

rien que des « thèmes », des « pistes »,

qui, en effet, tiennent visiblement à cœur à l’auteur, Jean Mattern

(autour _ probablement _ de sa propre « histoire familiale », en Hongrie, à Budapest

(d’où ces « Bains (de Kiraly« )-là ; à la place, en fait, de ceux, mieux connus _ « Bains » ! _, de l’Hôtel Gellert) ;

mais seulement « évoqués », ces dits « thèmes » et « pistes »,

au travers de personnages eux-mêmes trop pauvrement schématiques,

« pantins » artificiels, alors, sans chair, sans peau, sans tripes, sans sang ; sans vraie « voix »…

_ à commencer par le fantômatique narrateur « Gabriel« , mais qui aurait « dû » s’appeler, d’après le prénom d’un cousin aimé ou admiré de sa mère, « Thomas » ;

et sa triste (double _ et combien peu crédible !) trahison

et de son épouse, « Laura« , d’abord et surtout

_ au moment où elle tombe enceinte de lui, et va offrir un enfant

(un garçon, que « Gabriel« , par sa fuite, ne connaîtra jamais)

à leur mariage _ ;
et de son meilleur ami _ et « double » spéculaire _, « Léo« 

Le nom du superbe romancier (1900-1989) Sándor Márai est bien cité

_ le narrateur achetant (page 111) en livre de poche un _ ou plutôt « deux » _ des romans de ce dernier

au moment de s’envoler de l’aéroport de Londres pour celui de Budapest

_ et « une centaine de pages plus loin« , de lecture du narrateur, celui-ci : « je m’endormis dans l’avion, et me réveillai seulement au moment de l’atterrissage« … : encore un de ses (décidément nombreux) actes manqués ? _ ;

mais ici trop peu demeure hélas des magnifiques et flamboyantes ambiguïtés des si beaux livres du « grand » Sándor Márai :
à commencer par l’admirable « Les Braises« , et leurs histoires _ tellement terrifiantes, elles _ de trahison d’amour et d’amitié ;

je pense aussi, à ce propos, à l’œuvre _ bouleversante, elle aussi ! _, aujourd’hui _ que Márai n’est plus _ d’un autre très « grand » hongrois, Péter Nádas : « Le livre des mémoires, aux Éditions Plon, en septembre 1998…

Même s’il s’agit, déjà pour le narrateur (page 19 des « Bains de Kiraly« ) _ pour ne rien dire de l’auteur lui-même, Jean Mattern _ de « remplir les blancs d’une histoire »

_ cf mon article « Lacunes dans l’histoire » _

« que je ne voulais pas me raconter à moi-même«  (au passé, dans le récit de ce narrateur victime _ mais aussi complice des « dénis » _ de ses « complexes » familiaux _ serait-ce un pléonasme ? _, donc, page 19, au « démarrage-amorce » de l’intrigue…),

et qui va torturer ce narrateur

au point de « se l’infliger »,

ce récit d' »enquête » des racines tues

(et en quelque sorte « volées », « dérobées »,

qu’on avait voulu nier et « anéantir » : pour l’en protéger !) ;

au point de « se l’infliger », ce récit d' »enquête » des racines tues, donc,

_ et nous, via l’écriture de l’auteur, avec _

en ces « Bains de Kiraly« -là…

Mais en demeurant _ un peu trop _ sur notre faim, hélas, tant font défaut ici le souffle et la vie (et les « braises » !) des détails

d’au-delà d’une simple « idée » _ ou « schème », exsangue… _ « de livre »…

Deux clés de cette intrigue familiale-là

sont deux (lourds) silences parentaux :

l’un, sur la mort d’une sœur aînée, Marianne, victime d’un accident stupide sur une route champenoise

(du côté de Proverville _ où celle-ci est enterrée : le détail est donné dès la seconde page du roman, page 12) : désormais, il est « entendu », en cette famille-là, qu’on ne parlera plus jamais d’elle !.. ;

et l’autre, à propos de la tombe d’un grand-père maternel, « Karel Roth« , au cimetière (à Pest) de « Kerepesi Temetö » (pages 66-67) :

_ « La colère avait cédé la place à la lassitude lorsque je remarquai que nous nous trouvions dans la partie juive du cimetière. J’essayai de me repérer, sans écouter les commentaires incessants de notre jeune guide : nous nous étions dirigés vers l’est. Au milieu des tombes que je regardais presque malgré moi, honteux de mon voyeurisme _ mais je ne pouvais m’empêcher de trouver belles certaines stèles d’inspiration Art nouveau _, son nom se détacha, accrocha mon regard, me cloua sur place. Karel Roth. Le nom de mon grand-père. Une étoile de David, deux dates. « On avance », me lança le guide« 

de ce « passage obligé

du programme touristique

_ qu’était le cimetière pestois de « Kerepesi » (avec « les tombes des grands héros magyars, Lajos Kossut, Ferenc Deák et Lujza Blaha« , et « la division 2, où sont enterrés les martyrs de l’insurrection de 1956« ) _

pour notre petit groupe de traducteurs,

avant le transfert en car au bord du lac Balaton » (page 66),

où se tient le colloque autour de la traduction de l’œuvre de Thomas Mann, pour lequel le-dit « Gabriel » a accompli ce (premier) voyage-là en Hongrie… ;

« Ce n’était pas la tombe de mon grand-père que je venais de voir« 

_ énonce alors le « Gabriel » narrateur de ces « Bains de Kiraly » _ ;
Un homonyme sans doute. Mon grand-père était enterré en Autriche, dans un petit cimetière à Klagenfurt,
muni des sacrements de l’église,
comme ma mère avait pris soin de faire préciser
sur le faire-part de décès
 » (de son père, « Karel Roth« , donc), est-il signalé par le narrateur à ce moment de son récit censément autobiographique (à la page 67).

Ensuite,

et suite à une confidence du malheureux narrateur (à propos de sa « filiation » hongroise), le traducteur _ et onaniste, à l’occasion… _ de Thomas Mann en hongrois, « Janos Almassy« , passant « par Londres« , intervient dans l’intrigue (aux pages 98-99) :

«  »Voilà ce que j’ai trouvé ». Trois actes de baptême, délivrés par le curé de Sopron

_ non loin du château d’Esterháza où composa la plus grande partie de son œuvre Joseph Haydn, pour les princes Esterházy

(cf mon article « Articles en souffrance, un inventaire à la Prévert« , à propos de ce si beau CD « Trios pour Nikolaus Esterházy » par Rincontro _ CD Alpha 128 _,
en date du 15 avril 1896. Le premier au nom de mon grand-père, âgé de trois mois.
Les deux autres mentionnaient des noms que je voyais pour la première fois : Alma Rosalia Roth, née Biro, et Michaël Baruch Roth. Mes arrière-grands-parents ?
« 
;

en effet, oui…

Suivi, encore de cette phrase (du narrateur « Gabriel » : sur le « devenir, ou pas, juif »…) :
« Mais tout cela m’importe peu aujourd’hui. On ne devient pas juif par trois certificats de baptême _ chrétien ! Et on n’efface pas
tant d’années de mensonges et de secrets
_ de ses propres parents _ par vingt-cinq heures de jeûne » _ pour Yom Kippour, en une synagogue londonienne (de « Golders Green » : située dans la rue qui « porte ce nom étrange, The Exchange« , est-il indiqué à la toute dernière page, juste avant les mots _ trois courtes phrases _ de la fin, page 133,
que je donne ainsi :
« M’est-il permis d’échanger une autre vie contre la mienne ? Ouvrir une nouvelle porte,
et trouver un autre chemin ?


Un pas devant l’autre« 
: soit, pour « finir », presque le titre suédois (« pas à pas ») pour « Être sans destin » d’un autre « grand » _ et juif _ hongrois, l’immense Imre Kertész
(cf mes deux articles : « Kertész /”Dachau” : la bourde du politique (et la non-lecture des “lecteurs”)«  et « pourquoi il ne parle pas des camps » : tout, décidément, se tient !!!) …

Bref, un « squelette » de roman, sans assez de « corps » :
en dépit de quelques belles expressions, tout de même,
telle ce beau « Je suis prisonnier de mon absence«  (à moi-même), afin de « désigner » le malaise de langueur, à ce point
si extrême, ici,
qu’il apparaît au lecteur vraiment « trop » invraisemblable ; voilà le « défaut » principiel du dispositif fictionnel ici ! pour ma lecture, du moins… ;

langueur à ce point, donc,
paralysante, du personnage du narrateur « Gabriel« , à la page 123
_ ce qui fait, au final, l’objet même de ce livre de Jean Mattern ;

bref, un « squelette » de roman, donc _ j’y arrive _, que ces « Bains de Kiraly » de Jean Mattern
pour un magnifique sujet, et passionnant, tant pour Pierre Assouline que _ humblement _ pour moi-même :

le « sujet » de « comment sortir de la langueur de tonitruants silences »
« sur-ajoutés », si j’ose dire,
« à la douleur », déjà, étouffante (asphyxiante), elle,
« des pertes »
« et des absences » (physiques) pesantes
« en résultant »

Ou « comment réintégrer », en sa vie, « la voix »
_ vraiment « parlante » : ce n’est pas un pléonasme (cf page 103 : l’oncle « Joszef _ mort (« trop jeune, comme ma sœur Marianne » (page 104) trop tôt pour le narrateur, « Gabriel » _ m’avait juste dit _ en accompagnement du cadeau de « sa vieille édition » « de « Jérémie » de Franz Werfel » _ : « Tu comprends que « suivre sa voie » peut aussi s’écrire avec un x« ) ;

et « si Joszef avait vécu plus longtemps, ma vie aurait-elle pris une tournure différente ?« , lit-on aussi, page 104 ; « Il est sans doute vain de se demander cela, mais aurait-il pu, ou voulu, me parler _ lui, l’oncle célibataire de Montpellier _ de la famille, de mon grand-père, catholique ou juif converti, de leur fuite vers l’Autriche et du cousin Janos mort trop jeune.«  Donc « Aucune confidence, donc, ni sur sa propre vie, ni sur celle de sa sœur. En lieu et place de tout ce que j’aurais aimé entendre de sa bouche, ce livre de Franz Werfel _ « Jérémie » _, quelques partitions, beaucoup de questions, et quelques regrets«  (pages 104 et 105 : un passage-clé de ce livre) ;

ou comment réintégrer, en sa vie, la voix
« de chers disparus »
_ « devenant »
, pour lors, à la perte,
« les chers fantômes restant _ oui ! avec obstination _ à nous hanter »…
C’est que le lien (avec eux) doit _ et impérativement ! _ être « (r-)établi » !..

Car tel est, en effet, le beau « sujet » ! de ce roman-ci
_ tellement intéressant comme « sujet »,
et frustrant, donc
_ proportionnellement au désir et à l’attente ainsi suscités _ dans sa « réalisation » (et chair _ d’écriture même) romanesque(s)… ;

Bref, un « squelette » de roman, sans assez de « corps » _ maintenant, j’y suis ! _,
le métier d’éditeur
(qui est celui de Jean Mattern, « éditeur » de littérature étrangère aux Éditions Gallimard…)
n’est pas nécessairement « en prise » _ et a fortiori « en prise directe » _ avec l’acte _ plus « fou », lui (en son « battement »…) _ d’écrire même ;

acte si éclairant (pour notre temps) de la part de l’artiste, lui,
dans le silence criant (de vérité, alors) de pareille écriture !..

Je re-trouve ici l’intuition-thèse lumineuse de Michel Deguy distinguant sans façons,
abruptement,
_ et comment et combien ! a-t-il raison, sur ce point-ci, aussi, comme sur tant d’autres ! cf son très beau, et si éclairant pour nos temps décidément un peu (trop) « brouillés » (à force d’être « lisses » et « plains »), « Le Sens de la visite » par exemple _ ;

Michel Deguy distinguant, donc,
abruptement _ il le faut ! _
la dite et vantée _ sur tous les tons _ « culture« et l’Art lui-même
(en la solitude, ou « exception » _ « pauvre » ! et loin des « projecteurs » si peu subtils des medias _, plus « rocailleuse » des artistes ;

cf aussi, sur la singularité et « anomie » de l’artiste, Philippe Sollers : « Théorie des exceptions« )…

Voilà pour « trier » un peu _ selon l’étymologie de « krisis« , le crible _ ce que peut apporter la richesse  _ tellement stimulante _ du blog de Pierre Assouline…

Titus Curiosus, ce 25 août 2008

« pourquoi il ne parle pas des camps… », ou « les vingt premières minutes »…

21août

Sur Imre Kertész : « Dossier K.« 

En forme de _ humble _ « conseil de lecture » à Bruno Le Maire,

modeste réflexion sur la déontologie de l’écriture,

et « réponse », à la citation par Pierre Assouline d’un extrait de “Des Hommes d’État (aux Editions Grasset) de Bruno Le Maire, donc

_ cf mon précédent article, avant-hier, « Kertész /”Dachau” : la bourde du politique (et la non-lecture des “lecteurs”)«  _,
à propos de cette étonnante « contre-vérité »
_ et c’est un euphémisme !_
que re-voici : « pourquoi _ en « ses textes » (sic) _ il (Imre Kertész) ne parle pas des camps«  (re-sic) _ ;

et plus précisément, sur « le détail »

(« relevé » et r-apporté

par le conseiller politique du Premier ministre d’alors) :
Ça ne sert à rien de raconter les camps. Ça n’intéresse personne. Les détails, ça n’intéresse personne
;
une phrase prêtée,

par cet auteur (d’un livre à relatif succès _ de vente),

au prix Nobel de littérature 2002 Imre Kertész ;

et encore sur cette autre « citation »
prêtée à ce même Kertész (reçu à l’hôtel Matignon par le Premier Ministre d’alors, Dominique de Villepin) :
« dans Kaddish
_ en fait, dans “Être sans destin“ ! _,
j’ai essayé de raconter les vingt premières minutes de mon arrivée à Dachau« 
_ en fait, à Auschwitz ! _  ;

« raconter »
en les « inventant »
(voire « ré-inventant »), en quelque sorte,
ces « vingt premières minutes »
(vécues alors, mais comment ?…)
-là
;

plutôt que de seulement « r-apporter »,

« brut »,

et « re-transcrire »,
 » tel quel »

_ si tant est que cela soit jamais le cas
(chimiquement pur, en quelque sorte) _ ;

plutôt que de seulement « re-transcrire », donc,

« leur » souvenir

(en l’occurrence de ces dites « vingt premières minutes« …)
_ si tant est qu’un tel « souvenir » « existe » (bel et bien…),
et « demeure »,
mais dans quel état !..
;

« tel » que
_ pour le préciser un peu davantage _
ce « souvenir »

_ bien que loin d’être, celui-ci

(en cette occurrence assez « rare » en une vie !

c’est-à-dire une occurrence on ne peut plus « définitive »

pour la plus grande majorité

_ le « groupe » « le plus important

à droite« , selon l’expression de la page 119,

après le passage « torse nu devant le médecin« , dans « Être sans destin » _ ;

pour la plus grande majorité, donc,

de ceux

qui eurent à la « rencontrer » !.. cette occurrence ;

et n’eurent _ ceux de ce groupe majoritaire- là ! _

ni à l’oublier, passer dessus,

ni à s’en re-souvenir !..) ;

bien que loin d’être,

celui-ci

_ souvenir (des « vingt premières minutes« ) _,

tout à fait « anodin »

en sa singularité tout de même « assez particulière » _ de « souvenir »

(de passage par Auschwitz) _,

au moins rétrospectivement :

mais sur le champ ? _ ;

tel que ce « souvenir » précis -là, donc,

dans « Être sans destin » ;

nous verrons un peu plus loin ce qu’Imre Kertész lui-même en disait déjà

et pas mal en détail, entre les pages 105 et 139 (d' »Être sans destin« , donc),

de ces « vingt premières minutes » au « camp »

_ sans plus de précision, pour le moment, quant à la nature singulière de ce « camp »-là

(les précisions viendront un peu plus tard, dès cette première journée, cependant

_ page 150 : « Je peux affirmer qu’avant le soir du premier jour ne soit tombé j’étais en gros à peu près précisément au courant de tout » : le moindre de ces mots, ici, compte _ lourd ! devant les « cheminées« … ;

puis page 157 d’ « Être sans destin » : la distinction « Konzentrationslager« , Vernichtungslager » , « Arbeitslager«  ;

soit au chapitre V, encore à Auschwitz-Birkenau ;

avant le départ, trois jours à peine plus tard

_ « je n’ai passé en tout et pour tout que trois jours entiers à Auschwitz. Au soir du quatrième jour, j’étais de nouveau dans un train, dans l’un de ces wagons à bestiaux que je connaissais déjà. La destination, comme nous l’apprîmes _ était Buchenwald » (page 166) _,

pour Buchenwald, donc ;

puis, encore, le transfert pour Zeitz

(«  Zeitz, ou plus précisément le camp de concentration qui porte le nom de cette bourgade, est à une nuit de train de marchandises de Buchenwald, puis encore vingt, vingt-cinq minutes à pied, avec une escorte de soldats, sur une route nationale bordée de labours, de paysages ruraux bien cultivés, comme j’ai pu m’en rendre compte moi-même. C’était l’endroit où nos devions nous installer définitivement, nous assurait-on, du moins ceux parmi nous dont le nom se trouvait avant la lettre M dans l’ordre alphabétique ; les autres iraient au camp de travail de Magdebourg, dont le nom m’était plus familier à cause de sa renommée historique _ c’est ce que nous avaient dit des détenus encore à Buchenwald, le soir du quatrième jour« , etc… (page 177)  _ ;

 tout se « dé-couvre »

_ et pas seulement à quatorze ans et demi

(âge d’Imre Kertész

et de « György Köves »

débarquant sur la rampe d’Auschwitz-Birkenau cet été 44 là…

et passant par la « sélection« … :

ce mot-là, bien sûr,

n’appartenant pas au « registre » du « György Köves » de quatorze ans et demi au chapitre IV d' »Être sans destin » ;

pas davantage qu’à celui du « György Köves » de seize ans au chapitre IX et dernier de ce même livre,

à son retour à Budapest, au moment

_ hors récit : « je devais prendre le tram pour aller chez ma mère« , lit-on seulement à la page 359 _

d’aller retrouver sa mère ;

et, probablement, de lui

raconter tout cela

« ma mère m’attend« , se dit « György Köves » à la dernière page d' »Être sans destin » (page 361),

et elle sera sûrement heureuse de me revoir, la pauvre«  ;

et quant à lui, « György Köves » se propose de

« continuer à vivre

ma vie invivable«  ;

« de toute manière,

tout sera certainement comme elle l’avait prévu ;

il n’y a aucune absurdité qu’on ne puisse vivre tout naturellement ;

et sur ma route, je le sais déjà

_ se dit le gamin de seize ans de retour de ce peu prévisible périple (Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Zeitz, et retour) allemand _

me guette, comme un piège incontournable,

le bonheur.

Puisque là-bas aussi,

parmi les cheminées,

dans les intervalles de la souffrance,

il y avait quelque chose qui ressemblait au bonheur« ) ;

tout se « dé-couvre », donc,

il nous faut _ tous ! _ bien l' »apprendre »

_ à la Goethe des « Années d’apprentissage du jeune Wilhelm Meister« , à Weimar

(si proche de Buchenwald :

lire à ce propos le sublime « Le Chercheur de traces« , par exemple dans « Le Drapeau anglais« )  _ ;

l' »apprendre » et « nous y faire »,

forcément…) _ :

entre les pages 105 et 139 d' »Être sans destin« , donc,

pour ces « vingt premières minutes« 

au « camp » !

« quand nous avons fini par arriver _ le train était parti de Budapest _ pour de vrai » , lit-on, en effet, à la page 105 d’ « Être sans destin« ,

en son chapitre IV,

quant au récit de ces « vingt premières minutes » au « camp » ;

chapitre IV commencé, lui, page 82 :

« Ce qui manquait le plus dans le train, c’était l’eau » ;

et s’achevant page 138 : au sortir du « vestiaire »

(et la réception de « nouveaux vêtements »

_ « une chemise qui avait dû être autrefois à rayures blanches, de l’époque de mon grand-père, sans col ni bouton« ,

« un caleçon qui convenait tout au plus à des vieux, avec des fentes aux chevilles et deux authentiques rubans de caleçon,

un costume visiblement usé, l’exacte réplique de celui des détenus, en tissu à rayures bleues et blanches » _

ainsi que de « nouvelles chaussures »

_ « dans une montagne de chaussures bizarres _ semelles de bois, doublure de tissu et trois boutons sur le côté au lieu de lacets« , « j’ai pu choisir » « celles qui, dans la précipitation, m’allaient à peu près » (page 137 d' »Être sans destin« ) _,

pour dorénavant : aux camps…) ;

et après, juste auparavant (pages 134 à 136 pour le récit de l’épisode), une (vraie) douche, pour « György Köves »

_ ce « György Köves » à travers le récit duquel se déroule,

à la première personne du singulier

(et au passé _ de la mémoire en acte),

« Être sans destin » ;

depuis « Je ne suis pas allé au lycée ce matin« , à la page 7,

jusqu’à la page 361,

avec, en ce « final » du livre, quelques réflexions oxymoriques sur le bonheur :

« Oui, c’est de cela,

du bonheur des camps de concentration,

que je devrais parler la prochaine fois

_ c’est-à-dire à d’autres que les « Steiner et Fleischmann » auquel « György Köves » vient de s’affronter, à son retour « chez lui » (= le domicile de son père, chez lequel il vivait _ ses parents étant divorcés), à Budapest _,

quand on me posera des questions. Si jamais on m’en pose. Et si je n’ai moi-même pas oublié«  ;

j’y reviendrai moi aussi, forcément ! _ ;

après une (vraie) douche, donc, page 126, en un « endroit déjà bondé » (page 127) ;

puis

un passage au « vestiaire« 

(le mot étant prononcé, en hongrois, s’il vous plaît, page 129,

et par « un détenu »

_ « à nouveau, il y avait un prisonnier pour nous aider » (page 126) _

« particulièrement distingué » (page 127),

offrant à l’arrivant « la joie inattendue _ en ce lieu pas franchement hospitalier _ d’entendre les sons familiers de la langue hongroise à l’étranger » ;

« ainsi donc, je me tenais en face d’un compatriote » (lit-on à la page 128 d' »Être sans destin« ) ;

après une (vraie) douche, puis un passage au « vestiaire » , donc,

où « nous devrions nous déshabiller et accrocher correctement nos vêtements aux crochets qui s’y trouvaient. Pendant que nous prendrions notre douche, nos vêtements seraient désinfectés. »

Page 134-135 : « J’ai trouvé étonnant que l’eau se mette à couler soudain toute seule (…) ; le débit de l’eau n’était pas vraiment abondant, mais sa température agréablement fraîche me convenait par cette chaleur. Et surtout, je me suis bien désaltéré.« 

Le récit du moment de la douche s’achève page 136 : « Déjà nous étions emmenés, poussés, chassés vers l’extérieur« … Puis, après un couloir et deux salles, le « vestiaire » et la « distribution » « des _ nouveaux _ vêtements » (page 137).

Puis, à la dernière page (138) de ce chapitre IV (à Auschwitz) : « nous étions déjà dehors, à l’air libre« 

Expression non sans humour,

précédant cette dernière phrase, encore,

_ pour achever ce chapitre IV _

de commentaire

de la mémoire s’activant

(et récit au présent rapportant du passé

qui peu à peu, ainsi, par un effort, tant bien que mal _ et la plupart « le » fuient !.. ce passé glauque… _ se « re-découvre », par cette « focalisation » si « difficile » de l’esprit)

précédant cette dernière phrase, donc :

« Je ne sais qui commandait

ni comment cela s’est passé

_ je me rappelle seulement qu’une sorte de pression pesait sur moi,

qu’une espèce d’élan m’emportait, me poussait, me faisant un peu trébucher dans mes nouvelles chaussures, dans un nuage de poussière et avec d’étranges bruits sourds derrière moi, comme si on frappait le dos de quelqu’un,

en avant vers de nouvelles cours, de nouvelles grilles, des barbelés, des clôtures qui s’ouvraient, se fermaient

et se confondaient finalement à mes yeux

en un fouillis flou et embrouillé« …

_ notation (de « confusion », dangereuse…) terminale

(de ce chapitre IV

et de ces fameuses « vingt premières minutes » en ce premier camp)

majeure, qui résume beaucoup !


(et rappelle Fabrice à Waterloo dans la stendhalienne « Chartreuse de Parme » :

Imre Kertész lui-même l’évoque aux pages 25 et 26 de « Dossier K.« ),

pour signifier comment le réel se présente

d’abord

_ et toujours _

à n’importe lequel d’entre nous

(car c’est le cadre universel de l' »expérience » même ! rien moins !..) ;

mais quand la situation

_ telle celle d’une bataille, ainsi qu’à Waterloo pour Fabrice ce jour-là _

met en danger,

un peu plus immédiatement (et massivement) encore _ ici on assassine ! _ que d’habitude,

la vie ;

il y a comme davantage d’urgence

de comprendre

un peu plus vite

et si peu que ce soit (un peu mieux…)

ce dont il s’agit,

en quel « guêpier » nous nous trouvons, pour l’heure, si vilainement « fourré » ;

même si, et ô combien ! certes, la survie dépend, aussi, de bien de « hasards »,

c’est-à-dire de conjonctions _ diversement improbables _ de séries causales

_ cf Antoine-Augustin Cournot ; ou Marcel Conche : « L’Aléatoire » (aux Éditions de Mégare, en 1989) ;

sur tout cela, Imre Kertész, lui-même, « revient » _ superbement _ « méditer »

dans son magnifique « Dossier K. » : par exemple,

pour cette remarque-ci, page 68 de « Dossier K. » :

« Là où commence Auschwitz, la logique s’arrête.

Une contrainte mentale s’impose, elle ressemble beaucoup à la logique, en ce qu’elle nous guide, mais sur une voie qui n’est pas celle de la logique.

Et moi, je cherche ce fil, le processus mental de ce déséquilibre qui donnait à l’absurde les apparences d’une logique,

parce que dans le piège d’Auschwitz

nous n’avions pas le choix.

Et la vie dont nous sommes des parts actives

_ expression d’une justesse et importance véritablement sublimes, est-il besoin de le souligner ? _,

pour ainsi dire _ mais oui ! _, nous entraîne préalablement à cette manière de penser. »

Et aussi, pages 70-71 :

« Je n’ai jamais dit, comme certains, qu’« Être sans destin » était un roman sur l’Holocauste, parce que ce qu’on appelle Holocauste ne peut pas se décrire dans un roman.

J’ai décrit des faits

_ oui, de simples menus « détails »

(et rien que cela !) ;

encore faut-il, en les énonçant, tout simplement, les dé-taillant _ tout est là ! _ les « établir »,

afin qu’ils puissent, ensuite (ou « en suite »…), s' »avérer »… _ ;

J’ai décrit des faits _ donc _

et, bien que le roman essaie de transformer l’expérience inexprimable des camps de la mort

_ de diverses sortes, cette « expérience« 

que signifie l’œuvre entier d’Imre Kertész !

(si difficile à réussir à parvenir à transmettre, pareille « expérience« ;

dont c’est cela, et cela seulement, la « difficulté » d' »expression » que signale ici le terme d' »inexprimable » :

une affaire de difficulté _ relative, pas absolue ! _ de « transmission »,

du côté des « degrés de difficulté » de la « réception » de pareille « expérience » :

tellement « explosive » ! pour les cadres ordinaires du supportable : confrontés, ici, au meurtre immédiat et à très grande échelle ! ou « génocide » ;

tellement qu’il a même fallu inventer _ alors ! _ le mot : cf  Rafaël Lemkin « Qu’est-ce qu’un génocide ? » aux Éditions du Rocher ; et Jacques Sémelin, « Purifier et détruire« , aux Éditions du Seuil) _

et, bien que le roman essaie de transformer l’expérience inexprimable des camps de la mort

en vécu humain

_ « humain » : c’est-à-dire tant bien que mal « supportable » pour nous _ et c’est bien relatif… _, les lecteurs,

auxquels tente de s’adresser

_ « Frères humains, qui après nous vivez,

N’ayez les coeurs contre nous endurcis« , priait François Villon en son si essentiel « Testament« … _,

afin de se faire si peu que ce soit (= un tout petit peu) écouter et comprendre,

ici l’auteur

-survivant, et dans quel état! de cette opération de destruction massives d’hommes

comme on détruit une espèce animale « inférieure » nuisible) _,

j’étais surtout préoccupé par les conséquences éthiques du vécu et de la survie.

Voilà le pourquoi du titre « Être sans destin« .

Car l’expérience des camps de la mort

_ un peu plus haut, en cette même page 70, Imre Kertész a précisé :

« On n’ose pas désigner ce qui s’est passé par son vrai nom _ en l’occurrence « La Destruction des Juifs d’Europe« , pour reprendre le titre du livre capital de Raul Hilberg.

On a trouvé un mot _ « Holocauste« , ici… _ dont on ne comprend pas vraiment le sens,

mais qui occupe désormais dans nos schémas de pensée

une place rituelle, fossilisée , inamovible

qu’on défend avec acharnement comme des chiens de garde,

et on aboie dès que quelqu’un s’approche pour le faire bouger » ;

fin de cette citation _

Car l’expérience des camps de la mort

se transforme en vécu humain

quand j’y découvre

_ par la méditation (féconde) du travail même de l’écriture (fictionnelle, « romanesque » si l’on veut _ mais que l’on ne s’y méprenne pas ! _, et par la médiation du personnage _ inventé (=  re-trouvé) à partir de ce soi qu’on a soi-même été (c’est exactement le même rapport  qu’entre le « Marcel » qui dit « Je » dans « la Recherche » et l’auteur-écrivant, Marcel Proust ( _ de « György Köves » ici) _

un vécu universel, en l’occurrence l’absence de destin,

cette spécificité des dictatures

_ en ont-elles vraiment l’exclusivité ?.. Cela serait à débattre,

et avec Imre Kertész, le premier … _

qui consiste à étatiser le destin individuel,

à le transformer en destin commun,

à priver l’homme de sa substance la plus humaine »

_ quelle expression sublime !..

Mais qu’en est-il, aussi ;

au-delà des exemples _ commodes _ des dictatures

(revenant, qui plus est, « à la mode »…) ;

de ce qui se passe aujourd’hui dans nos (soit-disant) « démocraties » ?

_ le problème commence à se faire jour

(cf un bien passionnant article de Harald Welzer,

« l’avenir incertain de la démocratie occidentale« ,

publié par Le Monde en son édition du 14 août dernier) ;

sans re-parler ici des « alarmes »

d’un Bernard Stiegler (« Prendre soin« ),

et d’un Dany-Robert Dufour (« Le Divin marché« ) _

Avec cette remarque (page 71 de « Dossier K.« )

sur la conjoncture spécifique (le régime de Kádár)

qui a conditionné la situation de l' »expérience » et de l’écriture d’Imre Kertész en ces années-là :

« Le roman _ « Être sans destin« _ a été écrit dans les années 1960, 1970 :

quel roman ne serait pas imprégné par les caractéristiques, la langue, les idées de son époque ?

Pourquoi pense-t-on que le régime de Kádár n’était pas une dictature ?

C’en était une, et comment !

Or, après Auschwitz, chaque dictature contient la virtualité d’Auschwitz. »

Et « j’ai compris clairement mon expérience d’Auschwitz _ sic _ sous ce régime _ la Hongrie de Kádár _ ;

et (…) je n’aurais jamais pu la comprendre

_ ou du moins pas si vite, ou pas si bien _

en vivant dans un régime démocratique. »

Et, cerise sur le gâteau,

cette magnifique métaphore terminale, page 71 :

« Ma madeleine à moi, c’était l’époque de Kádár.

Elle m’a rappelé le goût d’Auschwitz« …

Que ce soit dans ses « fictions »

ou que ce soit dans ses « essais »,

l’écriture de Kertész

pour rendre le saisissement

de cette « expérience » unique,

en son extraordinaire violence (ordinaire),

pour qui (tel un « György Köves« ) va cependant « survivre »,

est absolument magnifique… ;

Tel que ce « souvenir » précis- là, donc

_ je reprends

après cette très longue incise

quant au chapitre IV

de ce grand livre qu’est  « Être sans destin » _ ;

tel que ce « souvenir » précis- là (des « vingt premières minutes«  à Auschwitz

_ et non Dachau : avec le profil des « cheminées » qui bientôt, un peu plus tard que ces dites « vingt premières minutes« , se mettent à « fumer » et répandre leur « odeur » « douceâtre et en quelque sorte gluante » (page 147) de « tannerie » (page 148) d' »Être sans destin« … « Alors, je l’ai regardée plus attentivement : c’était une cheminée trapue, carrée, à large gueule, comme si on li avait donné un coup sur le sommet. Je peux le dire, à part un certain respect _ et puis l’odeur, naturellement, dans laquelle nous étions englués comme dans une espèce de bouillie épaisse, de marécage _, je ne sentais rien » (pages 149-150) : le réel se découvre peu à peu (« pas à pas » : c’est le titre d' »Être sans destin » en son édition suédoise), détail après détail : la conscience procédant, forcément, par « focalisation » !..) _

tel que ce « souvenir » précis- là

serait (au conditionnel, forcément…)

conservé (ou re-trouvé) « tel quel », donc
(= brut, pur, intact),
dans le coffre-fort inviolable

(comme ceux, supposément, bien sûr, des banques suisses :

et elles en font un (très) fort argument promotionnel ; ou d' »autorité » ; en leur faveur ;

tant importe ici, en effet, comme aussi « ailleurs », la « confiance » !) ;

dans le coffre-fort inviolable de la mémoire-cassette…

Sur cette question (du travail de la mémoire),

lire (aussi !) le livre XI
_ toujours aussi magnifique qu’au jour premier de son écriture par Augustin _
des « Confessions » de Saint Augustin ;

ou, si l’on préfère,
en la récente nouvelle traduction _ qui fait le ménage ! _ de Frédéric Boyer (aux Editions POL, en janvier 2008),
des « Aveux » d’Augustin, évêque d’Hippone…
Fin de l’incise.

Quant à la question _ de fond ! _ de la « confiance« ,

prendre connaissance de cette remarque d’Imre Kertész en début même (page 19) de « Dossier K. » :

« Dans la masse  de publications qui abordent cette question

_ « du sentiment de détresse et de désespoir absolu » vient-il de dire _

il n’y a que très peu de livres offrant une description fidèle

de l’expérience incomparable

_ bien noter la précision de l’expression _

 des camps d’extermination _ autre précision à relever _

nazis.

Parmi ces rares auteurs,

c’est peut-être Jean Améry qui nous en apprend le plus

dans ses essais

_ dont « Par-delà le crime et le châtiment _ Essai pour surmonter l’insurmontable » (aux Éditions Actes-Sud).

Il a un mot exceptionnellement précis pour cela :

« Weltvertrauen« ,

que je traduirais _ dit toujours Kertész _ par :

la confiance accordée au monde. »

« Une fois qu’on l’a perdue _ poursuit encore Imre Kertész _

on est condamné à vivre éternellement seul

parmi les hommes.

On ne voit plus jamais en autrui

son prochain,

mais son ennemi.

(Respectivement « Mitmenschen » et « Gegenmenschen », dans l’original.) »

Ajoutant  :

« Lui-même a perdu cette confiance sous les coups de la Gestapo qui l’a torturé

dans une forteresse aménagée en prison, en Belgique »

_ où Jean Améry vivait

depuis que le juif autrichien (Hans Mayer) qu’il était avant l’Anschluss

s’était réfugié…

« Bien qu’il ait survécu au camp de concentration d’Auschwitz,

il a lui-même exécuté la sentence

_ à son encontre, l’expression est kafkaïenne :

page 66 de « Dossier K.« , Imre Kertész cite sa « phrase préférée du « Procès » de Kafka : « Le verdict ne vient pas en une fois, la procédure se transforme peu à peu en verdict » _

plusieurs décennies après :

il s’est suicidé. » (page 19, donc, de « Dossier K.« ).

Jean Améry : né Hans Mayer le 31 octobre 1912, à Vienne ; mort le 17 octobre 1978, à Salzbourg…

Fin de l’incise sur la « confiance »…

..

Cependant,
on comprend bien dès maintenant
que l’articulation
(et rapports très effectifs)
entre pensée, mémoire et travail (du « génie ») de l’imagination
_ ou « Phantasie« ,
selon les Allemands

(en commençant par Kant dans la « Critique de la faculté de juger« , puis Novalis, Hölderlin, etc…)

du tournant du XIX siècle _
est crucial en notre affaire (de transmettre l' »expérience » à autrui)

(et celle d’Imre Kertész « écrivant »,
ainsi que lui-même l’analyse (= « dé-taille »)
en son très important, en cela même, « Dossier K.« 
(publié aux Editions Actes-Sud en traduction française en janvier 2008).

Une lecture à conseiller _ d’urgence ? _ au politique affairé

auteur de « Des Hommes d’État« …

Pour finir,

je veux faire un sort à la nuance entre « fait » et fiction

_ à correctement interpréter,

sous la plume ou dans la bouche de cet homme avec infiniment d’humour qu’est Imre Kertész

(humour dont il ne se départit certes pas en un lieu « imprégné » d’esprit comme peut l’être l’Hôtel Matignon

_ du moins j’ose l’espérer !) _ ;

je désire, donc, faire un sort à la nuance entre « fait » et fiction,

ainsi qu’entre mémoire et « invention » :

comment répondre à la question, se demande Imre Kertész à la page 69 de « Dossier K.« ,

de « savoir dans quelle mesure le personnage de roman

_ soit le « György Köves » d' »Être sans destin » _

ressemble au garçon que j’étais » _ cet été 1944 là ?

Voici la réponse de l’auteur :

« De toute évidence, il ressemble davantage à celui qui l’a écrit _ dans les années 1960 – 1970, pour être précis _ qu’à celui qui l’a vécu » _ en 1944 – 45 _ ;

ajoutant ce mot de commentaire :

« et en ce qui me concerne _ l’homme ? l’auteur ? les deux ? _,

c’est une chance immense que cela se soit passé ainsi » (page 69, toujours).

Les deux phrases suivantes apportent une réponse :

« Parce que tu t’es libéré des souvenirs qui te hantaient ?

C’est ça.

C’est comme si j’avais quitté une peau pour en revêtir une autre,

sans toutefois jeter la première

_ le point est capital _,

à savoir sans trahir mes souvenirs. »

Voilà ce que peut

_ une « métamorphose » :

cf «  « Un autre _ Chronique d’une métamorphose« ,  journal tenu par Imre Kertész après la chute du rideau de fer, entre 1991 et 1995 :

ne pas s’en priver ;

et pourquoi tarde-t-on tant à publier la traduction en français du « Journal de galère« , d’avant 1989 ?.. _ ;

Voilà ce que peut la _ vraie _ littérature ;

et ce qu‘un conseiller politique d’un Premier ministre

_ de même que n’importe quel lecteur (un peu soigneux) _

peut assurément « apprendre »

_ et lui-même « se métamorphoser«  _

d’une lecture attentive

des si grands livres d' »humanité »

et de liberté

_ en de telles « métamorphoses« , donc… _

d’Imre Kertész…

Titus Curiosus, ce 21 août 2008

Kertész / »Dachau » : la bourde du politique (et la non-lecture des « lecteurs »)

19août

A propos d’un article du (remarquable) blog « La République des livres » de Pierre Assouline _ sur le site du journal Le Monde _ : « Éclats de lecture« , le 16 août 2008 ; et de l’œuvre de (l’immense !) Imre Kertész

Voici, d’abord, l’article in extenso ;

puis viendra ma réflexion (critique) :

Eclats de lecture

Deux passages cueillis au vol dans « Des Hommes d’État » (Grasset) de Bruno Le Maire, conseiller puis directeur de cabinet du Premier ministre de 2005 à 2007. Celui-ci tout d’abord, un dimanche de juillet à l’Elysée, Chirac et Villepin s’opposant sur la repentance à propos du rôle de la France dans l’esclavage, le Président étant « pour » la reconnaissance, son premier ministre « contre » le sac de cendres en permanence sur la tête. Alors Jacques Chirac :

“”Je vais vous raconter une histoire que m’a racontée Desmond Tutu”. Ironique : “Vous connaissez Desmond Tutu ?” Nous hochons la tête. “Bien. Je l’ai rencontré au G8. Il m’a dit il y a quelques mois : ”Vous êtes arrivés en Afrique, nous avions la terre, vous aviez la Bible. Vous nous avez dit : Fermez les yeux ! Ecoutez-nous ! Quelques années plus tard, nous avons rouvert les yeux : vous aviez la terre, et nous avions la Bible”. Voilà ce que c’est que la présence occidentale en Afrique, telle que les Africains la voient. Et en plus, il y a l’esclavage. Ce n’est pas digne de ne pas le reconnaître (…) Quand on fait quelque chose de mal, il faut se repentir !”. (p. 106)

   Autre chose. Le Premier ministre reçoit l’écrivain Imre Kertész, prix Nobel de littérature, à l’hôtel Matignon. Le conseiller est là :

“Je ne résiste pas à la tentation de lui poser une question sur ses textes, pourquoi il ne parle pas des camps, pourquoi il ne parle pas de Dachau, qu’il a connu, préférant évoquer les moments qui ont précédé la déportation. Il répond doucement avec lenteur, il cherche les mots justes, ses yeux se perdent dans le vague :Ça ne sert à rien de raconter les camps. Ça n’intéresse personne. Les détails, ça n’intéresse personne. Il vaut mieux essayer de raconter ce dont on ne se souvient pas. C’est beaucoup plus intéressant”. Il se gratte le haut du crâne du bout de ses ongles jaunis par la cigarette, lentement, minutieusement, pour se donner le temps de la réflexion. “Par exemple dans « Kaddish« , j’ai essayé de raconter les vingt premières minutes de mon arrivée à Dachau, les vingt minutes que je ne me rappelle pas, que je ne veux pas me rappeler, c’est ça qui est intéressant” (pp.246-247)

C’est ce second paragraphe, à propos de Kertész qui seul va faire l’objet de ma réflexion ici. Et je vais « farcir » ce « texte » de mes remarques critiques, cette fois.

Le Premier ministre reçoit l’écrivain Imre Kertész, prix Nobel de littérature, à l’hôtel Matignon. Le conseiller est là :

Je ne résiste pas à la tentation de lui poser une question sur ses textes _ sic ! _,

pourquoi il ne parle pas des camps

_ tiens ! tiens ! : qu’est ce qu’il lui faut donc si Kertész « ne parle pas des camps » ?!? _,

pourquoi il ne parle pas de Dachau, qu’il a connu

_ Dachau : non ! Kertész n’y a jamais mis les pieds !!! _,

préférant évoquer les moments qui ont précédé la déportation _ re-sic ! _

_ c’est tout bonnement renversant pour qui a lu (= VRAIMENT LU !) « Être sans destin » !

A croire que n’en ont été lues _ superficiellement : sans poursuivre… _ que les toutes premières pages (à Budapest : avant et au moment de la grande rafle des Juifs de l’été 44) ;

ou quelque « résumé » de sous-fifre !.. _

Il répond doucement

_ Imré Kertész a l’infinie délicatesse (d’urbanité vraie) d’un homme (hongrois) d’Europe centrale,

et « revenu », qui plus est (et ce n’est certes pas peu !), de bien des choses… _

avec lenteur, il cherche les mots justes

_ oh que oui ! (c’est aussi la « douceur » du débit de son ami, un autre immense écrivain, l’israélien Aharon Appelfeld, l’auteur du si puissant « Histoire d’une vie« ) _,

ses yeux se perdent dans le vague :

Ça ne sert à rien de raconter les camps. Ca n’intéresse personne. Les détails, ça n’intéresse personne. Il vaut mieux essayer de raconter ce dont on ne se souvient pas. C’est beaucoup plus intéressant”.

Il se gratte le haut du crâne du bout de ses ongles jaunis par la cigarette, lentement, minutieusement, pour se donner le temps de la réflexion.

Par exemple dans « Kaddish« 

_ ou dans « Être sans destin » ? le conseiller politique pondeur de livres mêle décidément tout !!! _,

j’ai essayé de raconter les vingt premières minutes de mon arrivée à Dachau (re-re-sic)

_ il n’a pas pu dire « Dachau« , vu qu’il n’y est, de fait, pas « passé » en 44 ! Déjà, Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Zeitz, c’était « beaucoup » ; surtout en ayant manqué de ne pas en revenir du tout !!! _

et qu’il y a assez peu de chance que ce soit sa langue à lui qui,

sur un tel « point » (ou « détail » : qu’on en juge !),

ait pu « fourcher »… ;

ou alors, mieux encore, l’exquise infinie délicatesse d’Imre Kertész

ne relève pas la bévue _ ou un simple lapsus linguæ ? _ du « conseiller de Matignon »,

et reprend son (malencontreux) mot de « Dachau » :

« Dachau, Auschwitz, Buchenwald, Zeitz », le distinguo est peut-être un peu trop subtil quand le temps presse, et qu’on ne peut pas se permettre d’abuser de ce temps si précieux (des politiques : la scène est à Matignon, auprès du premier ministre !) pour vraiment EX-PLIQUER (= DÉ-TAILLER) …

et, surtout, quand tout cela a été si bien « détaillé » _ en effet! _ déjà dans les livres publiés (et vendus à certains milliers, voire millions, d’exemplaires de par le monde) de l’auteur (et « prix Nobel de littérature ») ;

il n’empêche : affirmer ainsi sans complexes

_ et écrire, et publier : n’ont-ils donc pas de « relecteur » chez Grasset ? _

que Kertész, « dans ses textes » _ étrange mot choisi _, « ne parle pas des camps« ,

ne manque pas d’air !!! :

« les vingt minutes »

_ je reprends la citation prêtée à Imre Kertész à l’Hôtel Matignon _

de « l’arrivée » sur la « rampe », et de la « sélection » : il n’y en avait pas à Dachau, qui n’était pas un camp d'(immédiate) extermination, la nuance a encore son importance, cher conseiller d’un premier ministre ! _

que je ne me rappelle pas, que je ne veux pas me rappeler, c’est ça qui est intéressant” (pp. 246 – 247) » :

quelle infinie délicatesse, à mille lieues de la moindre lourdeur, que d’attribuer la force de cette écriture de « vérité » la plus terrible,

à l’effort de la seule reconstruction (de l’expérience éprouvée)

du « génie » _ littéraire et existentiel (= « æsthétique » et « poiétique« ) _ de l' »imagination »…

Ne surtout pas se méprendre à ce qui fait _ rien moins ! _ le « génie » d’implacable « traqueur de vérité » de Kertész !..

Et pourquoi il choisit l’écriture romanesque plutôt que le témoignage de « Mémoires » et d’autobiographie _ même s’il s’y adonne aussi, mais autrement (cf « Un autre : chronique d’une métamorphose« )…

Et c’est là que se trouve la puissance magnifique de vérité

_ et qui marque profondément quand le lecteur (authentique, si je puis dire) l’a vraiment ressentie _

d’Imre Kertész, qui a mis tant de temps,

avant de passer à l’écriture,

et puis encore après

(dans ses divers démêlés _ politico-idéologiques _ pour parvenir à se faire enfin publier _ et sans trop de censure : cf le superbe de force aussi « Le Refus« ) ;

qui a mis tant de temps, donc, à se faire un peu comprendre d’autrui :

qu’on relise, dans « Être sans destin« , la scène _ quasi terminale _ du retour (en son ancien « chez lui ») de « Geörgy Köves« ,

après la longue marche de la mort, en 1945,

à Budapest,

et l’impossibilité de se faire proprement « comprendre » des propres vieux voisins juifs de ses parents :

les « Steiner » et « Fleischmann« , aux pages 348 à 359 de « Être sans destin« …

Même l’onction et l’aura du prix Nobel ne suffisent pas à lever toutes les incompréhensions, surdités, cécités, insensibilités des anesthésiés (et abrutis de propagandes et publicités) que nous, lecteurs et non-lecteurs, sommes…

Pierre Assouline, quant à lui, en son blog, en reste là

_ je veux dire à ces deux extraits « nus » _,

sans le moindre ajout de commentaire : est-ce, à son tour, par délicatesse ?..


Ensuite, les lecteurs du blog, eux,

« se déchaînent »

(dans le déballage de leur ego) ;

mais presque pas un seul

_ à part « Christiane » qui, pour toute remarque, cite un des plus beaux passages de « Kaddish » :

celui où « monsieur l’instituteur » (page 53)

« rend » à György, malade, sur un brancard,

sa « portion de nourriture froide« ,

vitale _

ne s’attache à Imre Kertész _ cet immense auteur !!! _ ;
ni ne relève l’impensable « bévue » du politique pondeur du livre _ vite fait, mal fait _ ;
lequel (pondeur du livre susdit : dispensable…)
ne « sait » visiblement pas

parce que, tout simplement, il n’a probablement pas lu un seul livre entier de Kertész
_ et pas rien qu' »un texte« ,

ainsi qu’un peu curieusement cela est dit,

un « extrait »,

un « résumé » (ou digest)  de livre _ ;

tout ce qu’il « sait »,
_ et ce n’est pas là « savoir » !
rien qu’une « ombre » d’opinion, de croyance,

une « rumeur »

(= ce qui se véhicule, circule, et se ramasse et propage et perpétue « dans les dîners en ville »,

« dans les salons où on cause »…) _ ;

tout ce qu’il « sait », donc,

c’est la « réputation » que véhicule la « rumeur » :

« Kertész revient des « camps » !..«  ;
qu’il en a « réchappé » ! ; qu’il est

_ définitivement : on point de le définir et déterminer, à soi seul, par cette « marque » indélébile

tel le nombre inscrit par tatouage »définitif »

sur les « sélectionnés » du « bon côté »

(pas « le plus important, à droite » ; mais celui « à gauche, le plus petit et en quelque sorte le plus plaisant »

_ ce sont les expressions de la page 119 d’ « Être sans destin« )

à Auschwitz ; pas ceux qui filaient directement vers les

pseudo (on s’en rend compte trop tard pour en sortir _ « s’en sortir ») douches

et, en fait, les cheminées (et le ciel, via les nuages, « les merveilleux nuages« ,

ainsi que le reprend joliment Sagan

du beau spleen baudelairien _ ;

qu’il « est », donc (lui, le prix Nobel de littérature Kertész

_ autre « marque » dûment estampillée, mais « culturellement »,

dirait Michel Deguy _

invité ce jour-là de l’hôte de l’Hôtel Matignon)

« un rescapé » !..

« Dachau » fera donc ici l’affaire  ;

et Dachau,
ou ailleurs,
ce n’est là,
comme dirait l’autre _ politique, encore ! _
qu’un « détail » (de l’Histoire) ;

ainsi que de cette « petite histoire » (= anecdote) -ci,

rapportée

dans ce petit « non-livre »-ci… ;

lequel, pondeur du livre donc, ne sait visiblement _ visiblement pour assez peu de monde, cependant _ pas
que Kertész n’est pas « passé » par Dachau,
mais par la plaque tournante (le temps _ même pas deux secondes, est-il dit dans « Etre sans destin » _ de la « sélection ») d’Auschwitz-Birkenau (avant de reprendre un autre train pour…),
Buchenwald, surtout _ en terme de « durée » de « séjours » : deux fois _
et, accessoirement (entre les deux « séjours » à Buchenwald), le « camp » (de travail) annexe de Zeitz

pour lequel lire, surtout, « Le Chercheur de traces »

_ cf donc (et lire de toute urgence !!!) les plus qu’admirables « Etre sans destin« ,

« Le Chercheur de traces« 

(repris dans « Le Drapeau anglais » : peut-être, ce « Le Chercheur de traces« , le plus fort de tous !…)

et « Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas«  ;

Lire aussi l’admirable « Liquidation« ,

qui ne traite pas, lui, des « souvenirs-cauchemars » des « camps »,

mais de ce qui ne parvient pas à passer de tout cela dans le monde hyper-technologisé d’aujourd’hui

et que Kertész résume, d’un seul mot : « Auschwitz« 

avec des guillemets : mais lui _ passé par cette « case »-là _ en a le droit !

Lire à ce propos,

et dans une même foulée si possible,

le dyptique « Kaddish » et « Liquidation »

(dont le « héros-victime » est le percutantissime personnage de « B. »),

quand il

_ l’auteur, par le biais de ce « B.« -là _

« essaie » de se faire si peu que ce soit comprendre (des lecteurs) : c’est donc bien difficile !

et des politiques en toute première ligne ;

eux qui se croient du pouvoir…

Tous ces « titres » d’Imre Kertész publiés par Actes-Sud

et repris, la plupart, par Babel

constituent des indispensables
tant « sur » le XXème siècle ;
que « sur » ce que j’oserai appeler « ce qui dure d’Auschwitz »…


Quant aux réactions des lecteurs du blog de Pierre Assouline,

enfin,

elles sont confondantes d' »à côté de la plaque » : ils n’ont, donc, pas (encore ; ou pas vraiment !) lu Kertész…

Bref,
ce monde-ci
(soit, le nôtre, commun _ ou quasi…) comme il va…

Titus Curiosus, ce 19 août 2008

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