Posts Tagged ‘virtuosité

Quelle musique donc écouter pour supporter de succéder, avec tant soit peu de succès, à l’enchantement jouissif d’un pur chef d’oeuvre ?..

03nov

Il est bien difficile, pour une œuvre à choisir d’écouter, de succéder, avec suffisamment de succès, au degré d’enchantement qui vient d’être éprouvé à la jouissance extatique voire orgasmique… _ d’un pur chef d’œuvre

_ et d’interprétation aussi…

Ou encore :

comment réussir à composer _ pour un concert ou pour un disque _ un programme d’œuvres dans lequel ne soit pas éprouvée une trop forte dépressurisation _ vraiment trop déceptive… _ de l’auditeur ?..

Telle est la question que je me suis posée à la suite de mes écoutes successives de l’enchanteur Mozart de Francesco Piemontesi,

d’une part _ cf mon article «  » du 31 octobre dernier… _ ;

et, d’autre part, du superlatif Vivaldi en 3 CDs de Giuliano Carmignola _ cf mes deux articles «  » et «   » des 1er et 2 novembre, avant-hier et hier 31 octobre derniers… _ qui ne cesse de me combler…

Quelle solution ai-je donc pu trouver à pareille nécessité de niveau de programme, ce jour ?..

Quel CD me suis-je proposé à écouter, face à tel danger/risque de dépressurisation de plaisir musical ?..

J’ai donc choisi d’une interprète violoniste elle aussi brillantissime, Isabelle Faust (), le CD « Solo » (Harmonia Mundi HMM 902678, enregistré à Berlin au mois d’avril 2020),

recommandé à la fois par ce très fin mélomane qu’est mon gendre Sébastien,

ainsi que par un Diapason d’Or du magazine Diapason n°727 de ce mois de novembre 2023, avec un article assez élogieux, à la page 98 de Jean-Christophe Pucek, qui a pris soin de comparer 5 des 6 morceaux choisis par Isabelle Faust avec des interprétations _ parues en des CDs de 1991, 2004, 2009, 2013 et 2023 _ d’autres violonistes :

 

_ de la « Fantasia » en la mineur (vers 1719) de Nicola Matteis le fils (ca. 1670 – 1737), une interprétation de Leila Schayegh, pour Glossa en 2023 _ Faust s’y montre « moins extravertie« , juge Pucek… _ ;

_ d’un choix d »Ayres for the violin » (de 1676) de Nicola Matteis le père (ca. 1650 – après 1713), une interprétation d’Hélène  Schmitt, pour Alpha en 2009 _ Faust s’y montre « moins contemplative« , juge Pucek... _ ;

_ de la « Sonate » en la mineur (vers 1725) de Johann-Georg Pisendel (1687 – 1755), une interprétation de Rachel Podger, pour Channel Classics en 2013 _ Faust s’y montre cette fois « plus solaire« , selon Pucek… _ ;

_ de la « Partita » n°5 en sol mineur (en 1715) de Johann-Joseph Vilsmayr (1663 – 1722), une interprétation de Gunar Letzbor, pour Arcana en 2004 _ et Faust s’y montre « plus flamboyante et relevée« , indique Pucek… _ ;

_ de la « Passacaille« en sol mineur dite « l’ange gardien« , extraite des fameuses « Sonates du Rosaire » (en 1684-1685) de Heinrich-Ignaz-Franz Biber (1644 – 1704), une interprétation de Reinhard Goebel, pour Archiv en 1991 _ Faust la joue « alla Goebel« , et y montre « un souffle et une ardeur invincibles« , pour Jean-Christophe Pucek, dans cet article de Diapason.

En revanche,

Jean-Christophe Pucek ne dit rien des « Amusements pour violon seul« , Op. 18 (de 1762)  de Louis-Gabriel Guillemain (Paris, 15 novembre 1705 – Chaville, 1er octobre 1770), telles qu’elles ont été interprétées et enregistrées _ « en première mondiale«  _ en 2002 par Gilles Colliard, en un CD EMEC E-054 _ un CD que je possède :  en effet, c’est depuis bien longtemps que je m’intéresse aux violonistes français contemporains de Jean-Marie Leclair (Lyon, 1697 – Paris, 1764), dont fait partie Louis-Gabriel Guillemain, éléve comme Leclair, à Turin, de Giambattista Somis (Turin, 1686 –  Turin, 1763) ; et si Guillemain a peut-être été aussi des élèves de Jean-Marie Leclair, il en a été en tout cas un rival ; de même que fut aussi un rival de Leclar le turinois de naissance Jean-Pierre Guignon (Turin, 1702 – Versailles, 1774)… ; et ne perdons jamais de vue que le violon est bien une invention italienne !.. _, un CD que Pucek semble ignorer…

Alors, pour ce qu’il en est du passage du CD Mozart-Piemontesi de mon article du 31 octobre et des trois CDs Vivaldi-Carmignola de mes articles des 1er et 2 novembre derniers, à ce récital-ci « Solo » d’Isabelle Faust,

disons que la redescente musicale se fait en très satisfaisant confort…

Quelle surprise discographique va donc bien pouvoir suivre ?…

Ce vendredi 3 novembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

La délicieuse surprise d’un plus-que-parfait bonbon Locatelli par la formidable Isabelle Faust et un très incisif sans rugosité aucune Giardino Armonico de Giovanni Antonini…

10sept

C’est une vraie surprise d’un plus-que-parfait bonbon Locatelli par la formidable Isabelle Faust et un très incisif, sans rugosité aucune, Giardino Armonico de Giovanni Antonini,que le CD « Pietro Antonio Locatelli il virtuose, il poeta – Violin Concertos – Concerti grossi« , que nous proposent ces inspirés interprètes, avec ce CD Harmonia Mundi HMM 902398 _ écoutez ici et vous serez conquis !_ ;

que vient de fort justement chroniquer, sur son site Discophilia, le 31 août dernier, Jean-Charles Hoffelé, sous l’intitulé « Le violon de l’ange » :

LE VIOLON DE L’ANGE

Tartini ou Locatelli _ le démon contre l’ange… _, s’il faut préférer de garder l’un contre l’autre _ de ces virtuoses du violon baroque _, alors Locatelli. Mon choix est tranché depuis longtemps, Locatelli, aussi virtuose soit-il, est d’abord un poète _ oui _, et comme les poètes son art ne veut pas épater, mais surprendre et toucher _ comme le suggère si bien François Couperin…

Isabelle Faust le sait bien qui fait entendre dans le délirant jeu à la chanterelle qui parcourt tout l’Allegro et le Finale du Concerto en la majeur ce rossignol têtu, un peu ivre. Et comme elle portera le grand chant du Largo où passe le souvenir de Vivaldi : un vrai aria d’opéra _ oui.

L’album est magnifique _ vraiment, en effet… _ d’autant qu’il a le goût de trop peu. Deux Concertos seulement choisis dans le beau bosquet de L’Arte del violino, détaillés et envolés par un archet capricieux et tendre _ oui, d’une tendresse merveilleusement juste _, alternés avec deux Concertos grossos, dont l’un des opus les plus saisissants coulés de la plume de Locatelli, cette Pianto d’Arianna, scène dramatique _ quasiment opératique _ en six sections qui fait entrer tout un théâtre dans le petit orchestre et où Arianna est un violon.

Album touché par la grâce _ oui !!! Comme c’est assez rare ainsi… _, magnifié par cette poésie diseuse _ oui _ que partagent _ mais oui !Isabelle Faust, Giovanni Antonini et son Giardino magique ; vite !, une suite.

LE DISQUE DU JOUR

Il virtuoso, il poeta

Pietro Antonio Locatelli(1695-1764)


Concerto grosso en ut mineur, Op. 1 No. 11
Concerto pour violon et orchestre en la majeur,
Op. 3 No. 11

Concerto grosso en mi bémol majeur, Op. 7 No. 6 « Il pianto d’Arianna »
Concerto pour violon et orchestre en ut mineur, Op. 3 No. 2
Concerto grosso en fa mineur, Op. 1 No. 8 (extrait : VI. Pastorale)

Isabelle Faust, violon
Il Giardono Armonico
Giovanni Antonini, direction

Un album du label harmonia mundi HMM 902398

Photo à la une : la violoniste Isabelle Faust et le chef d’orchestre Giovanni Antonini – Photo : © D 

Mais mieux encore que ces chronicages,

c’est l’interprétation parfaitement emballante du génie musical de Pietro Antonio Locatelli qu’offre ce CD qui emportera votre conviction…

Bravissimo !


Ce dimanche 10 septembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le cas Giuseppe Tartini (1692 – 1770) : un compositeur (et violoniste) plutôt déconcertant, du moins au disque et à mes oreilles : faute probablement, de ma part, d’atomes crochus avec le style galant et l’attraction envers la mélancolie, de Tartini…

01juin

La très grande réussite, absolument enthousiasmante _ c’est en en écoutant, à ma demande expresse, des extraits, en découvrant ce tout nouveau CD en évidence sur la table des nouveautés de mon disquaire préféré ; et son écoute m’ayant immédiatement enthousiasmé, j’ai acheté le CD ! _, du CD Alpha 935 « Duello d’Archi a Venezia« , par la formidable violoniste Chouchane Siranossian, le Venice Baroque Orchestra sous la direction de son chef l’excellent Andrea Marcon, et comportant quatre superbes Concerti per violino, de Francesco-Maria Veracini (1690 – 1768), Pietro Locatelli (1695 – 1764), Antonio Vivaldi (1678 – 1741) et Giuseppe Tartini (1692 – 1770) _ avec un absolument irrésistible Concerto pour violon à cinq en Fa majeur  D. 61 de Tartini… _,

m’a vivement incité à venir me pencher d’un peu plus près sur l’œuvre _ et la discographie présente en ma discothèque… _ de ce compositeur vénitien, natif de Pirano, en Istrie vénitienne, le 8 avril 1692, et qui décèdera à Padoue le 26 février 1770,

qui jusque là ne m’avait jamais vraiment enthousiasmé _ et il m’était difficile de dire pourquoi ; mais le fait était là, et bien là… 

Je voulais donc en avoir le cœur net !

En faisant aussi le constat que Chouchane Siranossian, toujours avec ce même Venice Baroque Orchestra et Andrea Marcon, avait consacré un précédent CD « Tartini Violin Concertos« , le CD Alpha 596,

je me le suis donc aussitôt procuré…

Et là, à nouveau, une endémique déception de ma part,

mais qui ne tient en rien à la qualité des interprètes _ et leur interprétation de cette musique _, Chouchane Siranossian, le Venice Baroque Orchestra, Andrea Marcon, toujours parfaits en leur incarnation au plus près des œuvres jouées,

mais bien à la musique même de Giuseppe Tartini, qui ne me touche décidément pas ! ;

 

probablement une affaire d’époque _ tardive : post-baroque… _, ainsi que de style _ galant…

L’ère de Vivaldi (1678 – 1741) venait donc irrémédiablement de passer !

Et nous quittions la vie virevoltante et admirablement contrastée _ les adagios de Vivaldi sont, eux aussi, à fondre et pleurer de larmes de plaisir !.. _, et nous abordions les prémisses d’un certain classicisme, plus gourmé et plus froid ;

et d’un certain romantisme, pleurnichard…

Sur ce CD « Tartini Violin Concertos » Alpha 596, paru en 2020, et enregistré à Trévise en septembre 2019,

lire les deux intéressants articles suivants,

le premier en date du 5 avril 2020, sous la plume de Jean Lacroix, sur le site de Crescendo, et intitulé « Chouchane Siranossian et Andrea Marcon dans Tartini : l’éblouissement » ;

et le second en date du 7 janvier 2021, sous la plume de Jean-Charles Hoffelé, sur le site de Discophilia, et intitulé « Apogée du violon » ;

même si, pour ma part, je suis loin de partager hélas leurs enthousiasmes respectifs ! pour ce CD-là :

Chouchane Siranossian et Andrea Marcon dans Tartini : l’éblouissement

LE 5 AVRIL 2020 par Jean Lacroix

Giuseppe TARTINI (1692-1770) : Concertos pour violon et orchestre D. 44, 45, 56, 96 et Concerto en sol majeur.

Chouchane Siranossian, violon ;

Orchestre baroque de Venise, direction : Andrea Marcon. 2020.

Livret en français, en anglais et en allemand.

79.22.

Alpha 596.

Il y a des disques dont l’audition vous donne la sensation de l’éblouissement _ certes, et très heureusement, bien sûr… La gravure de ces cinq concertos pour violon de Tartini est de ceux-là ! _ mais ce n’est pas mon cas, je dois en convenir. Ce CD exemplaire nous fait entrer dans un univers où tout semble à ce point couler de source _ oui, mais d’une source bien trop uniment mélancolique et auto-complaisante envers la tristesse, à mon goût : celle de la Venise (en décadence endémique…) de la seconde moitié du XVIIIe siècle... _ que cela relève du miracle musical. Les œuvres pour commencer, avec une première mondiale discographique à la clef, celle de ce Concerto en sol majeur non publié, découvert par la musicologue Margherita Canale, qui signe la très intéressante notice du livret. Cette dernière explique qu’il existe une copie manuscrite du XVIIIe siècle, conservée aux archives de la Cappella Antoniana de Padoue, et que l’analyse a permis de dater des années de maturité _ deTartini. Mais elle précise aussi que les _ quatre _ autres concertos _ de ce CD Alpha 596 _ « n’ont pas été _ eux non plus _ publiés du vivant du compositeur : ils appartiennent à différentes périodes de son évolution créatrice, et nous sont tous _ voilà _ parvenus sous forme de partitions autographes. » On lira avant audition les divers détails de la recherche et les considérations sur le matériau musical de ces différentes pages.

Giuseppe Tartini, né à Pirano en Istrie _ actuellement et désormais en république de Slovénie _, étudie le violon en milieu ecclésiastique, puis le droit à l’Université de Padoue et se trouve mêlé à l’âge de 19 ans à des problèmes judiciaires après un mariage secret avec la protégée d’un Cardinal. Il doit fuir dans un monastère d’Assise, où il participe à l’orchestre de l’opéra. Blanchi, il va se retrouver à Venise, revenir à Padoue avant de voyager à Prague et de s’établir à nouveau sur la rivière Bacchiglione _ à Padoue. Violoniste d’exception, il se produit partout dans la Péninsule avant de devoir arrêter ses concerts pour des raisons de santé. Compositeur prolifique (plus de cent concertos pour le violon), mais aussi théoricien à la base de découvertes sur le son et ses interférences, il est connu avant tout _ en effet _ par une sonate _ virtuosissime _  qui porte le nom de « Trille du diable ». Le résumer à cela serait injurieux, car sa réputation était bien établie de son vivant pour la qualité de sa musique et pour son apport technique, notamment dans la tenue de l’archet. Comme le souligne la notice, « il fut aussi une référence culturelle du monde musical européen de l’époque ». On le comprend aisément en écoutant ce programme à la fois virtuose, brillant, riche au niveau de l’ornementation et de l’harmonie, avec en plus une intelligence confondante de l’accompagnement orchestral.

La Franco-arménienne Chouchane Siranossian est née à Lyon en 1984. Elle s’est formée en Suisse, d’abord à Lyon avec Tibor Varga, puis à Zurich avec Zakhar Bron ; elle devient premier violon de l’Orchestre Symphonique de Saint-Gall. En 2009, elle se perfectionne au Mozarteum de Salzbourg avec Reinhard Goebel qui l’oriente vers la musique baroque, sans qu’elle néglige pour autant les créateurs de notre temps, comme en témoigne son premier CD pour le label Ohms où se côtoient des œuvres d’El Khoury, Tanguy, Rust, Stamitz et Leclair. Chez Alpha, on la retrouve en 2016 _ avec le CD Alpha 255 _ dans un programme intitulé « L’Ange et le Diable » où apparaît déjà Tartini, aux côtés de Locatelli, Leclair et Forqueray. Plus récemment, elle a interprété la première version du Concerto pour violon de Mendelssohn avec Anima Eterna Brugge. On a pu l’écouter l’an dernier au Festival de Wallonie dans plusieurs prestations, dont l’une avec Kristian Bezuidenhout. Le livret montre quelques jolies photographies de cette artiste rayonnante ; auprès d’Andrea Marcon, elle semble respirer la joie de vivre _ en effet, elle est rayonnante ! Ecoutez et regardez lee 2′ 39 de cette excellente vidéo…  _ et de transmettre le message musical. C’est avec le fondateur de l’Orchestre Baroque de Venise, qui existe depuis 1997 et dont la réputation n’est plus à faire _ l’excellent, lui aussi, Andrea Marcon _, que l’idée est venue d’enregistrer, en septembre 2019, au Teatro Eden de Trévise, des concertos de Tartini. Une note, signée conjointement par la soliste et le chef d’orchestre, précise : « Nous avons la chance d’avoir une copie manuscrite des ornements originaux des deuxièmes mouvements des concertos D 44 et D 45. Les autres mouvements lents ainsi que les cadences ont été agrémentés en tâchant de rester fidèle au style _ propre _ de Tartini et s’inspirant de sa palette infinie de trilles, fioritures, rubatos, gammes, appoggiatures, messa di voce… ».

Les partitions choisies sont un bel éventail de la créativité de Tartini à plusieurs moments de son évolution. Ce qui frappe tout au long du parcours, c’est la fraîche élégance des détails, la qualité des contrastes, mais surtout le déploiement du chant violonistique qui entraîne une atmosphère tour à tour intimiste _ surtout, en effet ; en rien extravertie : mélancolique même… _, émotionnelle et finement esquissée. A cet égard, les concertos D 44 et 45, cités plus avant, sont révélateurs de l’attention avec laquelle les protagonistes soignent l’architecture mélodique comme la ligne, que suggèrent les inscriptions autographes de la main du compositeur retrouvées sur les partitions et qui évoquent notamment le poète et librettiste Métastase (1698-1782) : la parole n’est pas loin, et elle se traduit aussi bien dans les murmures de l’archet que dans les accents sonores. On admirera les concertos D 56, aux allures ludiques, et D 96, traversé de courants bondissants ou langoureux _ surtout… Quant à l’inédit, comme l’explique Margherita Canale, la musicologue qui l’a découvert, il reflète la dernière phase compositionnelle de Tartini par « des accompagnements des passages solistes par les seuls violons I et II (sans basse) ».

Qu’ajouter de plus ? On sort de cette expérience musicale comblé, ravi, enchanté _ pas moi, et je le regrette… _, avec, répétons-le, la sensation d’avoir vécu un miracle sonore servi par des partenaires exemplaires, dans une prise de son claire et précise. Un moment de grâce, tout simplement…

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

_

APOGÉE DU VIOLON

L’admirable _ en sa réputation dans l’histoire de la musique, et parmi les musicologues, du moins _ corpus de concertos qu’a laissé Tartini effraye _ par ses réputés difficultés techniques, principalement… _ les violonistes depuis toujours, hélas, car dans son art à la fois évocateur et brillant, il aura porté à son apogée ce violon orphique qu’il aura ravi à Vivaldi _ hum, hum… _ et offert à Mozart par le truchement de son père _ et via le Padre Martini (Bologne, 24 avril 1706 – Bologne 3 août 1784) : Mozart et lui se sont rencontrés par deux fois chez lui à Bologne, lors du premier voyage de Mozart en Italie, de décembre 1769 à mars 1771…

Dans le grand concert du XVIIIe siècle, aucun ensemble écrit pour le violon ne peut l’égaler _ mais selon quels critères, au juste ? de pure technique violonistique ? ou bien de musicalité ?.. _, si ce n’est ceux bien plus concis de Leclair et Mozart. Leclair _ Lyon, 10 mai 1797 – Paris, 22 octobre 1764 _, lui-même violoniste virtuose _ voilà donc ce qui a marqué les musicologues… ; mais pour ma part j’aime beaucoup tout l’œuvre de Leclair ! _, admira sans frein les opus de Tartini, et s’efforça comme lui d’effectuer cette transition du baroque vers le classicisme _ nous y voilà… Cela débuta donc assez tôt dans le siècle… ; après Vivaldi (décédé à Vienne en 1741), toutefois… _, que soulignent avec infiniment de subtilités Choucanne Siranossian et Andrea Marcon, ressuscitant le discours tissé de trilles, de gammes, d’appoggiatures qui font tout le sel de l’art _ mais quid de sa musicalité ? _, de Tartini.

Les concertos sélectionnés ne sont pas parmi les plus courus, et s’y ajoute même un inédit enregistré en première mondiale, un Concerto en sol majeur retrouvé tout récemment _ par Margherita Canale _ à Padoue. Les teintes vénitiennes de ces interprétations élégantes _ certes, presque trop… _ mettent l’accent sur l’héritage vivaldien _ hum, hum… _, alors qu’au long du disque _ Ricercar RIC 414 _ d’Evgeny Sviridov _ mais qui ne m’a pas touché davantage, hélas ! _, ce sont des concertos de plus grand apparat qui sont choisis, majestueusement phrasés par l’archet généreux qui caresse un sublime violon signé par Januarius Gagliano : la profondeur de son médium, son aigu de voix humaine, donnent un relief saisissant _ j’y suis resté insensible ! _ au Concerto en ré majeur, le D. 24, où l’on croit la cadence du Finale de la main de Pisendel) : un grand concerto aux envolés magnifiques. Tout le disque est éblouissant _ pas à mes oreilles, ni à mon goût, hélas… _, autant par la virtuosité que par la poésie : écoutez seulement l’Allegro du Concerto en sol mineurEvgueny Sviridov intègre un Capriccio de Nardini. Merveille de style galant _ voilà, nous y sommes : et c’est bien ce style galant qui m’agace et me déplaît souverainement… _, le Concerto en mi majeur inspire aussi au violoniste toute une poésie de babillages, trilles, gammes, appogiatures, qu’il lie d’un seul trait _ toujours le critère de la pure virtuosité technique du violon….

Mais il faut aussi entendre Evgeny Sviridov délesté des décors de l’orchestre, découvrir _ en son CD « Giuseppe Tartini Sonatas Op. 1 » Ricercar RIC 391 _ l’autre face du génie de Tartini, qui donna naissance à d’étonnantes sonates narratives. Le jeune violoniste laisse de côté la plus célèbre (Le Trille du Diable), lui préférant la Didone abbandonata et sa poésie mélancolique _ voilà le trait hélas dominant (à la Dowland : « Semper Dowland, semper dolens« …) selon moi, de la musique de Tartini ; et qui m’y rend allergique… _, œuvre qui touche au sublime et qu’il joue avec une élégance folle. Le disque s’ouvre par une vocalise de violon inspiré par un poème du Tasse, et donne le ton d’un album fascinant où les trois musiciens ouvrent les portes de cet univers secret avec art. Un aussi beau doublé ne doit pas rester sans suite.

Les ultimes Sonates que Tartini coucha dans la solitude de sa vieillesse sont des merveilles de nostalgie _ encore, et décidément : soit une anticipation de ce que sera même le romantisme pleurnichard…  _ et d’invention, elles figurent au nombre de ses œuvres les moins courues. Pour en faire mieux sentir la singularité, David Plantier et Annabelle Luis _ en leur CD« Vertigo _ the last Sonatas« , le CD Muso MU040 ; dont l’écoute d’extraits ne m’a pas davantage séduit… _ contrastent les quatre ultimes opus avec une Sonate antérieure de trente année, et lui font succéder la Sonate en imitation de la guitare portugaise qui est l’un des ouvrages les plus étonnants jamais coulés de la plume du compositeur et dont les effets sont autrement poétiques que ceux du Trille du Diable. La singularité du génie de Tartini, parvenu à une liberté souveraine, et tirant des sonorités inouïes des deux instruments de la même famille, éclate tout au long de cet album précieux qui laisse espérer que le temps d’une juste réévaluation de son œuvre soit enfin venu.

LE DISQUE DU JOUR

Giuseppe Tartini(1692-1770)


Concerto pour violon, cordes et basse continue en mi mineur, D. 56
Concerto pour violon en la majeur, D. 96
Concerto pour violon en ré mineur, D. 45
Concerto pour violon en sol majeur
Concerto pour violon en ré mineur, D. 44

Chouchane Siranossian, violon
Venice Baroque Orchestra
Andrea Marcon, direction


Un album du label Alpha 596

Giuseppe Tartini


Concerto pour violon en ré majeur, D. 24
Concerto pour violon en sol mineur, D. 85 (Op. 1 No. 1)
Concerto pour violon en la majeur, D. 89 (Op. 1 No. 6)
Concerto pour violon en mi mineur, D. 55
Concerto pour violon en mi majeur, D. 48

Evgeny Sviridov, violon
Millenium Orchestra
Un album du label Ricercar RIC414

Giuseppe Tartini


Sonate XV en sol majeur, B. G3 « del Tasso »
Sonate X en sol mineur, B. g10 detta « Didona abandonata »
Sonate XII en fa majeur, B. F4
Sonate V en mi mineur, B. e6
Sonate XVII en ré majeur, B. D2 « del Tasso »
Pastorale en la majeur, B. A16

Evgeny Sviridov, violon
Davit Melkonyan, violoncelle
Stanislav Gres, clavecin


Un album du label Ricercar RIC391

Giuseppe Tartini


Vertigo – The Last Violin Sonatas

Sonate pour violon et violoncelle en la mineur, Brainard a8
Sonate pour violon et violoncelle en la majeur, Brainard A4
Sonate pour violon et violoncelle en ré mineur, Brainard D19
Sonate pour violon et violoncelle en ré mineur, Brainard d5
Sonate pour violon et violoncelle en ré majeur, Brainard D9

David Plantier, violon
Annabelle Luis, violoncelle


Un album du label Muso MU040

Photo à la une : le violoniste Evgeny Sviridov – Photo : © DR

 

Trop peu d’affinités, donc, pour ce qui me concerne, avec l’idiosyncrasie musicale de Giuseppe Tartini ;

à la glorieuse exception, toutefois, de ma part, de son enthousiasmant Concerto à 5, en Fa majeur, D.61, du CD « Duello d’Archi a Venezia« , Alpha 935 :

une fabuleuse réussite d’interprétation comme de musique, qui met, elle, parfaitement en joie…

Ce jeudi 1er juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pancrace Royer (Turin, 1703 – Paris, 1755), Suites orchestrales extraites de ses Opéras : Christophe Rousset persiste et signe…

08mai

Un troisième CD d’œuvres _ cette fois-ci des Suites orchestrales puisées en 4 de ses opéras : « Pyrrhus » (de 1730), « Zaïde, reine de Grenade«  (de 1739), « Le Pouvoir de l’Amour » (de 1743), et « Almasis » (de 1748)… _ de Pancrace Royer (Turin, 12 mai 1703 – Paris, 11 janvier 1755),

soit le CD Aparté AP 298 « Surprising Royer Orchestral Suites« , par Christophe Rousset cette fois-ci à la tête de son orchestre des Talens lyriques, enregistré en décembre 2021,

paraît ce printemps 2023,

après le CD « Pièces de clavecin. 1746 » sur un superbe clavecin Hemsch de 1751 ; enregistré à Castres en août 1991 _, paru chez L’Oiseau-Lyre _ soit le CD Oiseau-Lyre 436 127-2 _ en 1993 ;

et le CD « Premier Livre de Pièces pour clavecin. 1746 » _ sur un clavecin Goujon/Swanen d’avant 1749 – 1784, hélas plus acide… ; enregistré à la Cité de la Musique à Paris en février 2007 _, paru chez Aparté _ soit le CD AParté AP 298 _, en 2008.

L’exploration du répertoire françaiss de l’époque dite baroque m’intéresse tout spécialement,

et j’admire l’esprit de découverte qui anime Christophe Rousset, avec beaucoup d’esprit, tant à son instrument, le clavecin, qu’à la direction de son orchestre Les Talens lyriques ;

mais à mon oreille _  et je le regrette _, Royer est assez loin de la finesse admirable

et d’un François Couperin (Paris, 10 novembre 1668 – Paris, 11 septembre 1733),

et d’un Jean-Philippe Rameau (Dijon, 25 septembre 1683 – Paris, 12 septembre 1763)…

De même,

en son opéra « Pyrrhus » (de 1730),

du moins tel qu’enregistré en septembre 2012 au château Versailles, par Les Enfants d’Apollon, dirigés par MichaEl Greenberg et Lisa Goode Crawford, pour le label Alpha _ soit le double CD Alpha 953 _, paru en 2013..

 

La recherche de la singularité virtuose _ cf l’article « Royer, le stupéfiant » de Jean-Charles Hoffelé le 1er mai dernier ; cf aussi l’article de Julian Sykes « Christophe Rousset revisite les Pièces du compositeur Pancrace Royer« , paru dans Le Temps, le 6 septembre 2008, à propos des 2 CDs des mêmes œuvres pour le clavecin… _ afin de se distinguer de la concurrence, ne me paraît guère un critère bien pertinent de goût _ et tout particulièrement en France…

Mais explorer le répertoire musical, comme continue de le faire Christophe Rousset, est toujours enrichissant, au moins pour la connaissance,

et l’affinement du goût…

Ce lundi 8 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et à nouveau à propos du CD Vivaldi « Intorno a Pisendel » de Julien Chauvin et son Concert de la Loge, frémissant de vie…

13mar

Et à nouveau à propos du superbe CD Vivaldi « Intorno a Pisendel » de Julien Chauvin et son Concert de la Loge (le CD Naïve OP 7546),

et après mon assez dithyrambique article « «  du 2 novembre 2022,

voici cette fois ce que sur le site de Crescendo, ce lundi 13 mars 2023, dit de ce CD de Julien Chauvin le critique Christophe Steyne,

sous l’intitulé assez sobre « Vivaldi, concertos pour violon autour du virtuose Pisendel » :

Vivaldi, concertos pour violon autour du virtuose Pisendel

LE 13 MARS 2023 par Christophe Steyne

Concerti per violino X Intorno a Pisendel.

Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos en ré majeur RV 225, RV 226, en ré mineur RV 237, en sol majeur RV 314, en la majeur RV 340, en si bémol majeur RV 369.

Julien Chauvin, violon et direction.

Le Concert de la Loge.

Livret en français, anglais, italien, allemand.

Mars 2021.

TT 60’04.

Naïve OP 7546

Parvenu au deuxième tiers _ voilà _ de son ambitieux projet (faire entendre l’intégralité des manuscrits vivaldiens conservés à la Bibliothèque Nationale de Turin, source fondamentale _ en effet ! _), cette collection apporte ici un dixième volume de concertos pour violon. Chaque fois confié à des interprètes de premier plan. Le précédent jalon concertant était confié à l’ensemble de Rinaldo Alessandrini. On retrouve ici le Concert de la Loge qui s’était illustré dans le volume 8, « Il Teatro ». Au programme : des concertos autour de la personne de Johann Georg Pisendel, le célèbre violoniste de la Cour de Dresde, que le futur Frédéric-Auguste II de Saxe (1696-1763) avait emmené à Venise lors de son voyage d’aguerrissement, et qui devint un proche élève du Prete Rosso. Pisendel était déjà à l’honneur dans le volume 5, par Dmitry Sinkovsky et Il Pomo d’Oro, et gageons qu’il le sera encore car certains opus (RV 172, 205, 242) dédiés à son archet n’ont pas encore surgi dans cette édition au long cours _ information précieuse.

On trouve ici trois concertos expressément écrits pour lui (RV 237, 314 et 340), et trois autres qu’il recopia (RV 225, 226, 369) _ une distinction intéressante elle aussi. Le Largo du RV 226 s’inscrit sur un fond de pizzicato ; le présent enregistrement a choisi la même parure de cordes pincées pour l’Adagio du Concerto en sol majeur _ RV 314 _, tirée d’une mouture alternative archivée à Dresde comme RV 314a. Cet opus ouvre le disque et attaque comme une déflagration _ voilà ! À entendre ces contrastes radicaux, éblouissants comme un flash, on suppose d’emblée que la prestation va préférer le fil du rasoir au dos de la cuiller. Joutant avec ces tranchantes ritournelles, Julien Chauvin se montre non moins affuté dans les passages rhapsodiques dont il soutire d’étranges phosphores. Cette même liberté _ mais jamais hystérisée, ni complètement arbitraire… _ dynamise le relief soliste que Vivaldi incrusta dans le ripieno du premier allegro RV 226. Dans le RV 237 en ré mineur, l’élasticité des bariolages titillés de l’archet instille une vie frémissante _ oui _, digne du dramatique RV 369 que l’équipe anime avec sensibilité et science.

Car il y a de l’audace, mais surtout du contrôle derrière ce méthodique panache que le Concert de la Loge sertit dans un ton lucide _ oui, jamais hystérisé _, rappelant que l’orchestre officie par ailleurs, conformément à son nom de baptême, dans les grandes pages du classicisme _ mais oui. Un drapé en couleurs primaires alambiqué de clair-obscur, netteté du dessin, compacité de la pose, une certaine rigidité du maintien sous la souplesse revendiquée du geste, regard vaguement compassé : l’interprétation du Largo RV 225 fait immanquablement songer au Christ chez Marthe et Marie de Mathieu Le Nain (1607-1677). Ailleurs, l’esthétique altière des musiciens de la Loge nous vaut une anthologie tracée avec une force brute et un brin guindée, heureusement décillée par l’imagination de son chef et ses arsouilles cabrioles à l’instrument. En tout cas, une étape à ne pas manquer _ voilà ! _ dans l’exploration du corpus vivaldien, tant pour la relative rareté des œuvres que leur charismatique exécution, en habit d’apparat _ oui.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

CD après CD,

 

et aux deux tiers de son parcours,

cette Intégrale Vivaldi d’après les manuscrits précieusement retrouvés et conservés à la Bibliothèque de Turin,

tient donc magnifiquement ses promesses…

Vivaldi sachant se renouveler merveilleusement à chacun de ses infiniment variés, mais oui !, opus…

Ce lundi 13 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur