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Le charme de la musique de récréation de Jean Sébastien Bach au Café Zimmermann, à Leipzig : le CD « Flauto accompagnato »

05mar

Ma chère amie Elisabeth Joyé

_ insigne claviériste _

m’adresse un amical bonjour musical à son retour d’un concert à Tokyo :

elle me fait adresser par Hortus son tout récent CD,

avec Patrick Beuckels, le flûtiste belge bien connu,

consacré pour le principal à des pièces de récréation avec flûte(s) 

de Jean-Sébastien Bach (1685 – 1750)

_ pour les concerts de récréation au Café Zimmermann, à Leipzig, sur la Catharinnastrasse _,

intitulé Flauto accompagnato

_ soit le CD Hortus 168 _ ;

et qui comporte

la sonate en si mineur BWV 1030 pour flûte et clavecin obligé,

la sonate en mi mineur BWV 1034 pour flûte et basse continue,

la sonate en trio en sol Majeur BWV 1038 pour flûte, violon et basse continue,

la sonate en trio en sol Majeur BWV 1039 pour 2 flûtes et basse continue ;

ainsi que la Toccata de la Partita n°6 pour clavecin en mi mineur BWV 830.

C’est là un répertoire _ nous dirions aujourd’hui de chambre _

à la fois intime et festif

qu’interprétaient Jean-Sébastien Bach et ses divers enfants,

ainsi que certains de ses élèves,

ou quelques étudiants de l’université.

Les concerts, gratuits, de ce Collegium Musicum,

avaient été fondés, là-même,

par Georg Philipp Telemann (1681 – 1767),

dès 1702 _ il avait 21 ans _ ;

et avaient lieu tous les vendredis soir,

ou, en été, tous les mercredis après-midi

_ jusqu’à la mort du cafetier Zimmermann en 1741.


Bach en a assuré la direction douze années, de 1729 à 1741.

On peut donc supposer que très nombreuses furent les œuvres proposées

_ et composées aussi ! en très diverses formules,

dont rendent un peu compte les intitulés de ces partitions qui nous sont parvenues ;

bien d’autres sont perdues,

ou dorment encore (dans quelques bibliothèques de châteaux et mélomanes en Allemagne)… _

pour ces concerts à la fois intimes et festifs, donc,

de ces douze années bachiennes-là.

Et que les partitions qui nous en ont été conservées

_ comment ? pour quelles raisons ? par quelles séries de hasards ?.. _

n’en constituent qu’une toute petite partie…

Mystère des transmissions

et patrimoines…

Mais bonheur aussi des musicologues,

des musiciens, plus encore,

et, in fine, des mélomanes jouissant de leur écoute archi-vivante

maintenant

au concert comme au disque…


L’interprétation que nous donnent ici

de ces pièces avec flûte(s)

Patrick Beuckels et Toshiyuki Shibata, aux traversos,

Dirk Vandaele, au violon,

Romina Lischka, à la viole de gambe,

et Elisabeth Joyé, au clavecin,

est pleine du charme un peu rêveur

qui convient idéalement _ voilà ! _ à ces pièces

de plaisir profane

mesuré, varié et calme dénué d’outrances hystérisées.

Un très beau travail que celui de ce CD Hortus 168.

Ce mardi 5 mars 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

« La lumière plus chaude du soir » : la lucidité puissante de Jean Clair dans « Les Derniers jours »

29oct

Avec Les Derniers jours, Jean Clair nous offre ce mois d’octobre la poursuite et le creusement, puissant, de son travail de récit-méditation-mémoire entrepris dans Journal atrabilaire (en 2002), Lait noir de l’aube (en 2007), La Tourterelle et le chat-huant (en 2009) et Dialogue avec les morts (en 2011), tous déjà importants.

« La lumière du soir (…) plus chaude«  (page 19), probablement, du moins si en « quinze ou vingt ans, une profondeur s’est installée, ombres et lumières se distribuent différemment, et le temps s’est creusé au lieu de s’aplatir«  (page 19),

accorde au mémorialiste quelque _ préciosissime ! _ don mystérieux, de comprendre mieux le présent et parfois même de lire l’avenir«  (page 21) _ au moins dans ce que cet avenir offre d’un tant soit peu envisageable à qui a, peu à peu, appris, voilà !, à faire un peu mieux attention à la suite de ce qui advient, et surtout à décrypter son sens, dans l’Histoire collective, dans laquelle chacun d’entre nous, avec les autres, se trouve bien sûr d’abord pris et emporté, dans le main stream

Dans la lignée des Essais de Montaigne, adressés d’une part à l’ami disparu La Boétie, et, d’autre part, à la parentèle qui survivra au Seigneur de Montaigne et qui pourra y retrouver quelque chose, voire beaucoup, de l’auteur lui-même une fois qu’il aura physiquement, lui, disparu _ mais « rassasié de jours«  (l’expression de Jean Clair se trouve à la page 306) ; cela donne aussi le sublime Ich habe genug de Jean-Sebastian Bach _,

la double dédicace du livre de Jean Clair, page 9, s’adresse « In memoriam » à J.-B. Pontalis, d’une part, et d’autre part « À Esther, Emile, Élisée et Ulysse« , « qui vivent leurs premiers jours« …

Une autre fois encore peut-on trouver dans le corps du livre l’expression « les derniers jours » : page 163, à propos des tags.

« Dans ce monde à l’envers, le tag n’est plus destiné, comme autrefois le camouflage, à tenter de préserver les biens, mais à en précipiter la ruine, à les désigner à la vindicte et à la destruction, comme on peignait d’une croix rouge la porte de la maison où habitaient les pestiférés vivant leurs derniers jours « …

Ainsi, par la vertu des bonheurs de l’écriture,

les « visages rencontrés » et les « paysages parcourus«  (page 20) par celui qui s’est précédemment qualifié, non sans humour, de voyageur égoïste, « ne seront plus des imaginations«  seulement,

mais « ils se représenteront dans la mémoire comme ayant jadis et pour de bon existé » ; « ils défileront l’un après l’autre devant mes yeux (…) pour accompagner cette fois la ronde des Quatre Âges de la vie, de l’enfance jusque dans la vieillesse«  (page 21).

Même si « entre l’analyse et la confidence, la sociologie et l’aveu _ en effet… _, ce livre _ prévient obligeamment l’avis « Au lecteur« , page 11 _ est plus liquide _ qu’une Bildung, dans laquelle « il y a trop d’architecture« 

Ce n’est pas le récit d’une construction, mais d’une déconstruction, d’une dissolution peut-être, un retour à l’état premier, quand il n’y avait rien« … Comme si tout se défaisait de soi, comme de la civilisation ;

cf la conclusion, page 301, du chapitre « Le Citoyen idéal » :

« Burckhardt, l’historien de la Renaissance et l’ami de Nietzsche, pensait que le XIXe siècle n’avait pas été le siècle du progrès, mais celui de la décadence, et que le XXe siècle serait celui de la barbarie. Die Bilding Alteuropas, la civilisation de la vieille Europe, c’était sa définition, et c’est ce qu’il cherchait à sauver. Il n’en est sans doute plus temps « …

La lucidité de Jean Clair comporte ainsi certains chapitres particulièrement saisissants et terribles, que je mettrai ici en exergue :

Ainsi, d’abord, le chapitre « La Fête des fols«  (pages 251 à 265),

à propos de Venise _ cf ma propre série d’articles sur « Arpenter Venise« d’août à décembre 2012, à commencer par celui-ci :  : Ré-arpenter Venise : le défi du labyrinthe (involutif) infini de la belle cité lagunaire  _ et à propos de « ces gens cacophoniques _ descendants dégénérés de cette « touristocratie » que Séféris fut l’un des premiers à voir ravager son pays » (page 253), où émerge, à propos du grégarisme mimétique, la très forte proposition, page 257, selon laquelle « le modèle de la société moderne est le camp de prisonniers, le stalag, l’oflag…«  :

« Au fond, il semble que l’homme ne puisse plus se supporter en exemplaire unique. Il ne se montre plus qu’en reproductions multiples. Rencontrer un homme, un homme seul, est devenu une expérience insolite _ hélas !!! L’espèce ne paraît survivre qu’à l’état de colonies. C’est sous cet aspect qu’elle envahit les rues, remplit les carrefours, grimpe le long des escaliers, s’infiltre dans les musées, pareille à des moisissures, des polypes, des mousses pullulant au fond d’une boîte de Petri.

L’homme évite son visage _ voilà !

Et page 104, Jean Clair écrit : « La prosopagnosie est une maladie neurologique qui se caractérise par le fait que celui qui en est atteint ne reconnaît plus les visages. C’est une société entière qui semble aujourd’hui atteinte de cette maladie dégénérative, qui plonge dans la nuit de l’oubli le très ancien prosôpon grec. L’homme ne se reconnaît plus« _,

L’homme évite son visage _ le sien comme celui des autres ; il préfère leur substituer les caricatures de stéréotypes ;

cf ceci, pages 285-286 : « L’homme devenu invisible à lui-même et sans vis-à-vis, sans visage, et transparent aux autres, sans forme repérable et sans nom : ces caractères de la vie concentrationnaire sont aussi ceux qui définissent la plupart des traits de la figure dans l’art moderne : un art sans visage, un art dévisagé par des procédures systématiques, du cubisme au surréalisme, des formes qui, ramenées au stéréotype, ne peuvent ni renvoyer à une identité ni relever d’une nomination« … ; et ce phénomène a empiré par la déferlante de la dérision… _

L’homme évite son visage

et ne peut plus se déplacer qu’en amas. Le modèle de la société moderne est le camp de prisonniers, le stalag, l’oflag… (…) C’est ce supplice que la société d’aujourd’hui semble insensiblement _ via les schèmes complaisants et soft de l’idéologie _ avoir imposé à tous, un lieu où le secret a disparu _ un thème important de ce livre de Jean Clair _, comme si le modèle à suivre était de reproduire dans la société civile les conditions de la captivité«  _ névrotiquement désirée, telle une servitude volontaire _, page 257.

« Comme si dans ces compulsions de répétition où le névrosé n’apaise son angoisse de vivre qu’en revivant sans fin les épisodes désagréables de son passé « , page 258 : ainsi les pulsions masochistes, ainsi, aussi, que les pulsions sadiques,

ont-elles, en effet, une place considérable (!) dans les humeurs si complaisamment déployées de notre modernité ; comme cela ne se perçoit que trop évidemment dans l’invasion massive du trash et de l’excrémentiel dans le pseudo _ = auto-revendiqué… _  « art contemporain« .

Cela aussi Jean Clair le développe ici ;

cf par exemple le chapitre (pages 115 à 119) « L’ordure« , autour des exemples d’objets _ revendiquant le statut d’« œuvres » ! _ de Piero Manzoni, Joseph Beuys, Duchamp, Serrano :

« De Piero Manzoni à Serrano et à son verre de pisse dans lequel trempe un crucifix, l’excrémentiel a étendu son empire _ voilà ! _ jusqu’à recouvrir _ sans commentaire ! _ l’homme et sa production la plus haute.

La régression _ voilà ! _ continue dans l’ordre sexuel,

la démarche de l’art à exhiber des pulsions les plus archaïques jusqu’à confondre l’amour et la destruction,

pour offrir finalement ses déchets,

serait le destin de la création d’aujourd’hui,

l’image que l’homme voudrait, à tout prix du marché, retenir de lui-même« , page 118…

Cf aussi, là-dessus, mon article du 12 mars 2011 OPA et titrisation réussies sur « l’art contemporain » : le constat d’un homme de goût et parfait connaisseur, Jean Clair, en « L’Hiver de la culture », à propos de L’Hiver de la culture de Jean Clair.

Ensuite, le chapitre « Le Citoyen idéal«  (pages 295 à 301),

dans lequel Jean Clair applique une remarque d' »Ernest Renan critiquant le Code civil issu de la Révolution » à « ce qui allait s’accomplir dans les premières années du XXIe siècle » (page 295) à propos des enfants « sans filiation et sans union«  (page 296) et du « célibataire » :

le « célibataire _ pareil à la machine du même nom qu’avait là encore imaginée un artiste, Marcel Duchamp _ vivant seul dans sa chambre, comme aujourd’hui, dit-on, la moitié des habitants à Paris,

le producteur capable d’assurer le maximum d’efficacité et de rendement dans sa force de travail, au sein de la société où il a surgi,

sans attaches, sans passé, sans projet, né de parents inconnus, le produit anonyme de la gestation pour autrui«  (page 296) :

« Ce citoyen « idéal » (…) sera la créature _ toute de pleine positivité _ qui ignore la maladie,

triomphe d’une humanité biologiquement parfaite et moralement dérivée de toute attache humaine«  (page 297) ;

« Cet être idéal de Renan incarnera alors le pur producteur et le parfait consommateur, sans amour et sans lien, tout entier et uniquement producteur et consommateur de sa propre production, sans l’embarras des liens familiaux, des regrets et des ambitions, des défaillances du cœur, et dont la seule raison d’être (…) sera (…) d’être (…) le pur _ et simple : simplifié ! _ acteur, l’objet sans projet ni regret, l’individu sans filiation, sans hérédité et sans mémoire, exempt de toute maladie génétique, et qui pourra toute sa vie de bâtard et d’orphelin, sans origine et sans descendance, si « naturel » qu’il ne consacrera son temps qu’à la société anonyme _ en parfaite (et si commode, techniquement…) adaptation à elle (exclusivement ! surtout jamais d’accommodation inventive, créative !!) _, sans visage et sans nom«  ;

« Qu’en est-il du sens de pareille existence, sans échappée _ ni horizon(s) un peu lointain(s) _ possible, (…) dont le seul et unique soin restera l’entretien de cet organisme précieux qu’est son corps _ cf ici l’admirable portrait du « dernier homme » de Nietzsche dans le lucidissime Prologue de son Ainsi parlait Zarathoustra _, enchaînant jour après jour de pénibles exercices musculeux rassemblés sous le nom de fitness, la pratique des sports devenue obsessionnelle dans la poursuite de plus en plus nauséeuse de la performance, de sorte que, née de rien et promise à rien (page 298), cette carcasse soit un jour encore, un jour de plus, capable de satisfaire pleinement, sans erreur, sans retard, sans humeurs _ telle une mécanique ad hoc _, aux horaires, aux agendas, aux commandes, aux impératifs d’une profession et aux illusions _ de pseudo jouissance : « Que du bonheur !!! » en est la scie… _ d’une vie sociale _ clubs de rencontre et « réseaux sociaux » _ dont la nécessité et l’utilité auront cependant cessé d’être visibles ? À ce point de non-sens, de nullité et d’ennui, une telle vie, soumise à l’eugénisme à son apparition, ne suppose-t-elle pas d’être _ aussi _ euthanasiée à son terme ?

Les héritages, tant spirituels que matériels, seront à la mort dispersés à l’encan, les liens qui unissaient entre eux les choses dont ils étaient constitués, physiques ou immatériels, seront rompus. Ou bien n’auront jamais eu lieu.

Il n’y a plus rien à garder de ce que l’on aura vécu, pas plus qu’il n’y a à se poser la question de savoir d’où l’on vient.

Le citoyen idéal n’a nul besoin de s’embarrasser du passé ni de la possession des choses qui témoignent de son devenir et qui posent la question de son sens _ question réputée bien trop « prise de tête«  pour tant et tant… Un individu sans histoire _ réduit à un présentisme infantile ! _ : l’écriture de sa vie, sa biographie, serait tout bonnement impossible. Restera un animé, à peine un animal, relevant du monde de la zoologie _ ce qu’était l’esclave (prolétaire), pur « instrument animé« 

Deviendrait alors tout aussi inutile, dans ce monde réduit _ en effet ! _ aux calculs de la globalisation bancaire, la transmission matérielle _ le soin des héritages » (page 299).

« Plus rapide que la circulation des tableaux, des meubles, des livres qui constituaient en un lieu précis les biens d’une famille, il serait tellement plus avantageux, pour une société éprise d’efficacité _ ah l’ampleur des dégâts du pragmatisme utilitariste ! _ de n’en plus considérer que la _ techniquement très commode _ contrepartie fiduciaire, « une jouissance toujours appréciable en argent », non plus la valeur éthique, spirituelle ou esthétique, mais le prix sur un marché fluctuant, jusqu’au point où (…) le monde entier, en un seul jour, glisse à l’abîme.

Un viager globalisé comme forme de la catastrophe planétaire«  (page 300) : une expression magnifique !

« Ne restera plus de notre société qu’un vaste orphelinat d’individus solitaires, prostrés ou agités comme les fous dans la cour des asiles, maniaco-dépressifs et hypocondriaques, que prendra en charge _ et encore !?!.. _ l’administration glacée et impavide de l’État «  (page 301).


Et aussi le très fort chapitre « La Jeune fille et la mort«  (pages 313 à 323),

à propos de la reconnaissance du « vertige » – « désarroi » de se « découvrir incomplet« , lors de la toute première rencontre _ sexuée _ avec « un corps qui, de toute évidence, par sa souplesse, son organisation et son odeur, différait du mien«  (page 313).

« Reproductible, je m’étais découvert mortel » : « c’était la jeune fille qui, en me tirant de la mort qui se cachait en moi, m’avait remonté vers la vie, tiré du vide dont je sentais persister la morsure.

Je n’ai jamais plus depuis éprouvé sensation si violente et si sourde.

Et plus tard, si les obsessions de castration, d’impuissance, les configurations œdipiennes et autres formations biscornues de l’âme qui naissent, dit-on, de la différence des sexes, ne m’ont guère inquiété,

est demeuré longtemps en moi le souvenir de ce froid intérieur, soudain et passager«  (page 314).

Pourtant, quelle étrange chose d’imaginer que la continuité de l’être humain _ comme espèce _, et que la noblesse de ses créatures,

fussent en réalité fondées _ voilà _ sur l’attirance élective, l’accouplement automatique, mécanique, magnétique, machinal, animal en tout cas, de ces deux parties du corps, les organes de la génération, en général dissimulées, qui ne se trouvaient être, en général froidement considérées, qu’assez repoussantes, autant qu’elles étaient désirables, dans l’indécision de leur forme et leur trop-plein de sécrétions, si bien qu’on y revenait toujours, sans cesse, au fond, avec une fureur de plus en plus vive, jamais lassé, curieux d’y découvrir le mystère, jusqu’au fond justement _ oui ! _, alors que dans ce fond il n’y avait décidément rien à voir, ni crèche de Noël ni grandes eaux de Versailles, ni homoncule ni diablotin,

et que le peintre peut-être le plus sensuel, le plus curieux des fonctions naturelles, au siècle précédent, Gustave Courbet, était finalement resté _ en sa désormais célèbre Origine du monde _ sur le seuil, incapable de franchir la frontière et de desserrer les deux lèvres, mais d’autant plus poussé, avec une admirable maîtrise, à en peindre les contours, les clôtures et les ombres » (page 315)

_ Ici, incise : la description-analyse que donne Jean Clair, page 102, du tableau de Courbet (et de l’ouverture ou pas de ses « chairs frisées, roses ou rouges, toutes baignées d’huile, ces peaux grenues ou fripées, ces béances, ces chaos, ces organisations« , etc., lit-on encore page 315), est rien moins que fascinante de justesse ; je lis, page 102 donc :

« Quelqu’un qui a voué un culte à Lacan parle du tableau de Courbet que le psychanalyste avait possédé : « … le sexe ouvert d’une femme, juste après les convulsions de l’amour, c’est-à-dire ce que l’on ne montre pas et ce dont on ne parle pas… un sexe féminin écarté… »

Jean Clair alors commente :

« Les convulsions de l’amour, le terme est repris de Maxime Du Camp, qui l’avait lui-même emprunté au vocabulaire de la psychiatrie naissante. Mais « ouvert » ? « écarté » ? On n’y voit que ce que chacun peut en voir : une fente rectiligne, divisant les deux cosses d’un fruit charnu, fermé, caché, clos sous l’ombre de la toison, et qui semble n’avoir jamais été pénétré, parfaitement identique dans la géométrie rituelle et indéfiniment reprise de son dessein au triangle pubien avec le sillon vulvaire, inscrit sur les parois de la grotte Chauvet, trente ou quarante mille ans avant notre ère.

Ces lèvres n’ont jamais été entrouvertes et le bijou reste muet. Il est fermé sur lui-même, comme on dit justement d’un visage qu’il est « fermé » _ et sa représentation interdit qu’on en puisse identifier le propriétaire. Cette pièce d’anatomie féminine, faite pour susciter le désir, doit aussi, pour remplir sa fonction, être en même temps un morceau d’obstétrique, l’agent d’une genèse qui, pour se poursuivre, conserve jusqu’au bout son anonymat«  (page 102).

Fin ici de l’incise, et retour aux « ressorts physiologiques«  de « depuis toujours » à la page 316 :

(…) « Comment donc pouvaient-ils donc avoir été, tous ces ressorts physiologiques, simplement et mystérieusement physiologiques, depuis toujours, le fondement même de notre vie, de notre histoire, et le foyer formateur d’industries ingénieuses, de tout ce qu’on appelait, non sans orgueil, notre culture ? » (page 316).

(…) « Comment ces deux organes avaient-ils, pendant des millénaires, assuré, dans leur usage de plus en plus  réglé, l’ordre de nos sociétés leur permanence ? (…)

Mais cela n’était vrai qu’aussi longtemps que s’éprouverait, à l’origine, dès la première fois, cette blessure si singulière que j’avais ressentie, que se feraient entendre au fond de moi cet éboulement soudain _ comme si mon sexe avait été lui aussi descellé _ et ce froid intense qui m’avaient révélé que mon corps n’était ni mon corps tout entier ni même mon corps tout court, non que j’eusse ressenti, comme diraient les savants, quelque angoisse à découvrir que la femme n’« en » avait pas, mais plutôt qu’il ne servait à rien d’en avoir une, aussi longtemps qu’elle serait solitaire«  (page 319).

« La découverte aveuglante d’une vulnérabilité que tout humain doit un jour éprouver en lui, je l’avais ce jour-là pressenti en serrant ce corps étranger contre moi «  (page 320).

« Mais tout cela aussi, désormais, appartenait à un temps révolu. Les temps nouveaux affirmaient que l’homme, grâce au progrès médical, serait bientôt immortel, tout comme l’avaient été, aux origines, les andres des poèmes hésiodiques. Et, tout comme eux, et pour les mêmes raisons, les unions des deux sexes ne seraient plus fondées sur leur nécessaire distinction puisque le soin de la filiation serait lui aussi confié au progrès _ maîtrisé et contrôlé _ des techniques«  (pages 320-321).

« Peut-être fallait-il mieux (…) décider, au nom des « droits » de l’individu, de tout laisser aller, de tout laisser courir, ne plus distinguer _ voilà _ les frontières, les genres et les interdits, jusqu’à faire s’épouser les homosexuels, et louer les ventres disponibles comme un ouvrier tous les jours loue ses bras et sa force de travail«  (page 321).

Cependant : « oser faire se rencontrer, au fond des éprouvettes, des animalcules choisis et numérotés, et de petits œufs de confection couvés dans des ventres de location, n’était-ce pas peut-être aussi, dans le secret de la chambre à coucher, assurer subrepticement, au nom du socialisme _ de la loi Taubira _ et de l’homme libéré, la victoire posthume du nazisme ?« 

(…) « Fallait-il décidément jeter aux orties ce qui avait été pendant deux ou trois mille ans l’assise de la pensée et de la morale de l’Europe, chez les Juifs, les Grecs, les Chrétiens ? Fallait-il que le mariage ne fût plus, dans cette déroute soudaine de la langue et ce mépris des mots, que le vocable niais désignant à présent un événement « festif », à la façon dont les Chinois et les Japonais viennent, au Palais-Royal à Paris, ou bien sur les bords de la Loire à Tours, célébrer des mariages « romantiques », sans origine et sans lendemain, vidé du sens que lui avaient donné nos philosophies et nos croyances ? (…) Un midrash rappelle que Dieu créa le Monde en six jours et qu’il se reposa le septième. Il pose la question, mi-plaisante, mi-ironique, de ce qu’il fit par la suite. Veiller, répond-il, à la pérennité des couples des humains. cela suffirait à l’occuper pour le reste du temps, fussent-ils infinis«  (pages 322-323).

Ainsi se comprend la conséquence qu’en tire Jean Clair, page 325 : « Cette classe, cette intelligentsia tant admirée (…), il m’apparaît aujourd’hui qu’animée de la joie mauvaise du refus des distinctions et du respect des commandements, elle aura trahi, installée qu’elle est de par sa propre volonté et par sa propre paresse, dans un exil culturel permanent et profond« …

Bien sûr, on peut ne pas partager le degré de pessimisme qui affecte Jean Clair à propos de l’action de Mediapart (face au secret), ou à propos de la loi dite « du mariage pour tous » et de ses conséquences à court ou à long terme…

Mais la question de la place du rapport des individus (de la société) à l’altérité est bien capitale !

 

De même qu’on peut regretter,

et alors même que Jean Clair fait le vibrant éloge de Comenius, « le fondateur de l’art de tout enseigner à tous«  (page 234)

et des « Tchèques » qui « plus souvent que d’autres » « se seront inquiétés de cette éclipse de la cultura animi » _ Jean Clair évoque ainsi page 236 « Jan Patocka, dans son livre Platon et l’Europe« , qui « s’est inscrit dans cette quête du souci de l’âme prise dans la lumière de la réminiscence platonicienne : « Le souci de l’âme est donc ce qui a engendré l’Europe » » ;

mais aussi, « morave comme Comenius« , voici le nom de « Gustav Mahler : « La culture n’est pas la conservation des cendres, mais l’entretien du feu » » ;

et encore « morave encore, Sigmund Freud«  qui « en 1928, impute à l’Europe un certain Malaise dans la culture, un malaise dans l’âme européenne, car c’est en Europe et en Europe seule qu’a été créé le concept de culture comme principe universel de civilisation, c’est-à-dire d’humanité. Ç’avait été l’idéal de Comenius« , page 237  _ ;

de même, donc, qu’on peut regretter cette position de Jean Clair, page 53 (au beau et important chapitre « L’Assimilation« ), quant à sa perte du « goût de transmettre » ;

je cite :

« Quand je compare la joie et la variété de ces échanges _ au lycée Jacques Decours, entre 1951 et 1956 _, qui naissaient entre des garçons qui venaient de partout en Europe _ et particulièrement de l’Europe centrale et de l’est… _ et des milieux les plus divers,

à la grossièreté de sa langue comme à la brutalité de l’école d’aujourd’hui,

je mesure la décadence d’un pays _ la France _ qui m’a donné la possibilité d’apprendre,

mais qui, dans le déclin rapide de son éducation, m’a retiré _ in fine _ le goût de transmettre « …

Ce goût de transmettre

_ cf mes deux articles sur L’Ecole, question philosophique :

Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner

et Ecole et culture de l’âme : le sens du combat de Denis Kambouchner _ appuyé sur le « fait du bon professeur ;

ainsi que mon entretien (d’une heure environ) avec Denis Kambouchner à la librairie Mollat le 18 septembre dernier _

est tellement décisif !!!

Ne jamais renoncer, y compris contre le main stream

Titus Curiosus, ce 29 octobre 2013

la postérité-filiation (musicale) de l’immense Gustav Leonhardt : Pierre Hantaï, Elisabeth Joyé, Benjamin Alard…

19fév

Comment rendre _ enfin ! j’ai appris son décès, survenu le 16 janvier, le 18 janvier : cela fait un mois… _ l’hommage le plus juste qui soit, à un talent musical tel que celui de Gustav Leonhardt ? qui nous a procuré tant et tant des plus hautes jouissances qu’un musicien peut offrir tant au concert qu’au disque ?..


Car nous avons eu bien de la chance, à Bordeaux, que le maître apprécie non seulement la beauté élégante et noble (sans ostentation) de notre ville, mais aussi la singularité de l’orgue Dom Bedos de l’abbatiale Sainte-Croix, au point d’y revenir souvent donner des concerts : d’abord, peut-être, à l’amphi 700 de la Faculté des Lettres, pour le Gram ; mais aussi et surtout au Temple du Hâ, pour le Carré, à de nombreuses et ô combien heureuses reprises ; mais aussi au Grand-Théâtre ; et encore en quelques beaux châteaux de vin, tels que Yquem ou Carbonnieux ; et encore Soutard, pour un concert privé de clavicorde… Sans compter, outre plusieurs grands récitals d’orgue à Sainte-Croix, l’enregistrement si marquant, en juin 2001, du CD Alpha 017 L’Orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux, à l’advenue duquel j’ai ma modeste participation, outre ma contribution au livret « la construction de l’orgue Dom Bedos en l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux sous la réforme mauriste« , pages 16 à 23. Et côtoyer au quotidien le maître, et son humour incisif, outre son élégance, n’est certes pas peu en une vie d’amoureux de la musique… Je l’ai revu et écouté aussi à Arques…

Aussi, mets-je à profit pour ce blog

ce courrier adressé ce matin même à mon ami Jean-Paul Combet, le fondateur d’Alpha,

pour lui faire part de l’article de Renaud Machard dans Le Monde daté de ce dimanche 19 février 2012, qui à l’occasion de concerts du très doué et toujours « parfait » Benjamin Alard, lui rend au passage aussi hommage,

en saluant l’amitié et la collaboration éditoriale (pour Alpha) qui les unissait, Gustav et Jean-Paul…

Voici donc ce courriel :

De :  Titus Curiosus
Objet : Benjamin Alard, Gustav Leonhardt et Jean-Paul Combet : texte choisi à lire aux funérailles
Date : 19 février 2012 08:42:17 HNEC
À :   Jean-Paul Combet

Un bel article d’hommage(s),
que tu as dû relever, dans Le Monde
(édition papier de ce dimanche 19 février)…

Sinon, le voici…
http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/02/18/benjamin-alard-fait-sonner-saint-louis_1645273_3246.html


J’espère que tu vas bien,
amitié(s)

Titus

P.s. : sais-tu ce qu’est ce texte
« magnifique » (!)
que Gustav Leonhardt a fait lire à ses funérailles ?

Benjamin Alard fait sonner Saint-Louis

MUSIQUE | | 18.02.12 | 13h42

On ne l’avait pas revu depuis quelque temps : Benjamin Alard, 27 ans, a toujours la même allure et ces traits juvéniles à la Harry Potter que lui donnent parfois des lunettes cerclées, mais il n’est plus tout à fait le benjamin de l’école de clavecin et d’orgue française. Elle est si florissante (ce que Murray Perahia, le grand pianiste américain, confirme quand on lui parle de clavecin, un instrument qu’il adore et joue en privé) que, chaque semestre, un nouveau talent _ tel, à Bordeaux, Aurélien Delage… _ semble éclore _ grâce au génie de la transmission d’Elisabeth Joyé, me faut-il tout spécialement ajouter ! Une fée !

Mais Benjamin Alard est d’une graine différente _ et singulière. On pourrait dire que ce grand jeune homme discret, fin, réservé mais à l’humour subtil, a su être vieux _ c’est-à-dire pleinement mature _ de bonne heure. Dès ses premières apparitions publiques, après l’obtention du très prestigieux Premier Prix du Concours international de Bruges, en 2004 (sorte de Concours Tchaïkovski ou Chopin du clavecin et de la musique ancienne), le musicien semblait avoir tout compris des chefs-d’oeuvre de la littérature pour le clavier, ce qu’il démontrait avec l’aplomb sans tapage d’un sage : un jeu extrêmement calme et affûté, dégraissé mais d’une souplesse merveilleuse, comme géré par un subtil entrelacs de tensions savamment poussées et relâchées _ c’est parfaitement énoncé !

Pour ceux qui ne connaîtraient pas ses _ merveilleux ! _ disques d’orgue ou de clavecin, distribués par les labels Hortus, puis Alpha _ par exemple le génial double CD des Partitas de Bach : Clavier Übung – I, le CD Alpha 157 _, il est possible d’entendre Benjamin Alard un dimanche par mois, à l’heure du déjeuner, à la tribune de l’église Saint-Louis-en-l’Ile, où il est organiste titulaire, et au clavecin, lors de concerts organisés à l’hôtel de Lauzun, à quelques pas, quai d’Anjou. Deux séries en écho et en intelligence, la première dans la vaste nef, la seconde dans une salle de 90 places seulement.

L’ensemble fait la part belle à Jean-Sébastien Bach, mais fait entendre aussi des compositeurs auxquels Alard est très sensible, ceux de la jointure des XVIIe et XVIIIe siècles, comme Samuel Scheidt _ 1587-1654, en fait : c’est un contemporain de Schütz… « Sa programmation permet de prendre des distances avec les concerts d’orgue, parfois un peu poussiéreux, du dimanche après-midi« , avoue Benjamin Alard. « Je n’y vois rien de mal, mais je tiens à faire passer un message vraiment musical et exigeant, et aussi à mettre en regard, en « contrepoint », le terme qui sert de titre à la série, la littérature des deux instruments. »

Alard dit aussi vouloir faire découvrir la beauté de l’orgue Bernard Aubertin dont il est le cotitulaire depuis 2005 : « C’est un instrument neuf qui est construit d’après les canons anciens pour jouer spécifiquement la musique allemande des XVIIe et XVIIIe siècles. Son statut et son état sont exceptionnels, surtout si on les compare à ceux de beaucoup d’orgues de la capitale, dont certains sont en mauvaise santé et attendent des restaurations, comme les tribunes de Saint-Nicolas-des- Champs ou Saint-Merri« , précise Alard.

On s’étonne de la jauge de la petite salle de l’hôtel de Lauzun et de son incidence sur l’économie du projet : « Ce projet n’a, en fait, pas vraiment d’économie car notre association, Claviers en l’Isle, ne possède pas la licence de concert. D’ailleurs, ce n’est pas l’esprit de ces rencontres avec le public, que nous voulons singulières et au service premier de la musique. » Singulières mais en rien élitistes, assure Alard : « C’est juste que le clavecin n’est pas fait pour être joué dans des grandes salles et ce n’est que dans un tel cadre qu’on peut vraiment l’entendre » _ oui ! ; comme, aussi, dans les salons ou chambres de l’Hôtel de Soubise, où je suis venu écouter la perfection d’Elisabeth Joyé dans un récital (sublime !) de musique française…

Le festival Contrepoints est aussi soutenu par L’Autre Monde, l’association créée par Jean-Paul Combet, fondateur du label discographique Alpha. « Jean-Paul, qui est un ami, ne fait pas qu’éditer notre dépliant, mais il nous conseille dans la programmation. » Benjamin Alard doit beaucoup à M. Combet : « Il a publié la plupart de mes disques, mais je lui suis redevable de ma découverte _ in vivo : à l’Académie Bach, d’Arques-la-bataille, en Haute-Normandie, près de Dieppe _ de Gustav Leonhardt« , confie le claveciniste à propos du « pape » de l’instrument, qui vient de mourir le 16 janvier.

« C’était en Normandie, ma région natale, lors d’un concert organisé par Jean-Paul. Je me souviens encore avec émotion de ce choc. » Le choc pour l’orgue eut lieu très jeune. Le jeune Alard s’initie à l’instrument grâce au curé de sa paroisse. « Le son de cette machine me fascinait« , se souvient-il. Il travaille avec Louis Thiry, pour lequel il ne cache pas sa vive admiration. Le clavecin vient après. Mais il ne cessera de jouer de conserve les deux types de clavier.

De Leonhardt, auquel on l’a plusieurs fois comparé pour la noblesse _ oui ! _ de leurs jeux, Benjamin Alard n’a cependant pas été l’élève. « J’ai été comme beaucoup extrêmement impressionné par son dernier concert, donné à Paris _ c’était le 12 décembre dernier _, quelques jours _ un mois à peine _ avant sa mort. Et très marqué aussi par les textes _ de sagesse de la vie _ qu’il avait choisi de faire lire à ses funérailles _ à la Westerkerke d’Amsterdam. Des textes magnifiques qui disaient tous le doute _ actif _ face à l’existence. Cet homme suggérait, aidait les musiciens à puiser ce qu’il y a de meilleur et singulier en eux. Il doutait _ positivement _, ne proférait rien. C’est cela qu’il nous laisse en héritage« , conclut Benjamin Alard, visiblement ému.

Contrepoints,
par Benjamin Alard (orgue). Eglise Saint-Louis-en-l’Ile, 19 bis, rue Saint-Louis-en-l’Ile, Paris 6e. Un dimanche par mois, jusqu’au 10 juin. Prochain concert : le 19 février à 12 h 30. Œuvres de Samuel Scheidt, Dietrich Buxtehude. Entrée et participation libres. Durée du concert : une heure, sans entracte.

Renaud Machart

Article paru dans l’édition du 19.02.12

Titus Curiosus, ce 19 février 2012

 

Les apprentissages d’amour versus les filiations, ou la lumière des rencontres heureuses d’une vie de Mathieu Lindon

14jan

Avec un lumineux très gracieux Ce qu’aimer veut dire,

qui parait ces jours de janvier 2011 aux Éditions POL,

Mathieu Lindon,

l’année de ses cinquante-cinq ans _ il est né en 1955 _,

nous offre,

avec la gravité éminemment légère _ et tendre ! _ de son écriture cursive

(sans la moindre lourdeur ! sa phrase (toujours !) « vraie » _ c’est là un de ses traits majeurs ! si jamais on s’avise d’y réfléchir un peu… car il n’y a certes là rien, ni si peu que ce soit, de l’ordre du didactique ! oh non ! tout y est jeune et constamment tout frais… _ ;

sa phrase (toujours !) « vraie« , donc,

va _ marche d’un bon pas vif : d’une jeunesse quasi constamment avivée… _

en des élans successifs toujours _ printanièrement en cette « fraîcheur«  même _ renouvelés :

des pas dansés souples assez rapides et relativement scandés, jusqu’à la rencontre, à l’occasion, parfois, et même souvent, mais sans jamais forcer quoi que ce soit _ tant tout est est toujours si splendidement fluide ! _ de plages (rencontrées !) de quelques figures-expressions un peu plus denses, alors, en leur étrangeté (légèrement _ telle une gaze _, méditative…) pour lui-même le premier : avec l’énigme se découvrant _ plutôt que découverte ; et sans avoir à être affrontée _ de ce qu’il apprend ainsi, au fil de cette écriture progressant et juste à peine _ un effleurement en douceur un peu grave… _ pensive…)

Mathieu Lindon nous offre, donc,

ses leçons apprises _ et non données _ (d’aimer)

et progressives _ en les diverses strates des « âges«  se vivant, successivement ; et déposant un limon qu’il faut un tant soit peu « reconnaître« , « assumer«  (tel un legs dont on serait le légataire : si l’on veut bien y consentir…), et aussi (à la Montaigne : c’est moi qui le « convoque«  maintenant et le dit, pas Mathieu Lindon lui-même : ses références ne sont presque jamais philosophiques…) « cultiver » _

d’une vie (la sienne : de cinquante-cinq années jusqu’ici) :

par la grâce

tant donnée que reçue _ ce sont aussi là des « arts«  qui s’apprennent : sur le tas ; face à de si improbables « visitations«  angéliques… _

de rencontres amoureuses _ courent-elles les rues ? et comment parvenir à ne pas les manquer ?.. _,

et cela quels que soient les écarts d’âge

des aimants (ou amants, ou amis

_ voire parents aussi, qui eux aussi « aiment« … :

et Mathieu Lindon de se pencher, et c’est l’autre des lignes de force de ce livre !, sur sa filiation paternelle (ses rapports de fils à Jérôme Lindon, son père) ;

de même qu’il se penche sur sa propre absence d’enfants biologiques : une absence qui l’interroge même puissamment ; et qu’il résout aussi à sa manière…) :

ainsi remarque-t-il _ tel un amer auquel s’orienter si peu que ce soit (et d’importance ! sublime !) parmi les flots sans marques, à perte de vue, de la vie océanique… _ les vingt-neuf années d’écart d’âge

entre l’ami _ et amour… _ (d’exception !) que lui fut (et lui est : à jamais !) Michel Foucault _ mort le 25 juin 1984 _

et lui-même,

et les vingt-neuf années d’écart d’âge

entre lui-même

et son ami _ et amour _ Corentin, rencontré en 2004 _ cf pages 291-292 : « La nuit où je rencontre Corentin, fin 2004, tout se passe merveilleusement, dans le bar puis à la maison.

On ne dort pas une seconde _ ça fait des années que ça ne m’est pas arrivé _, on s’aime et on parle« 


« Les chiffres me fascinent« ,

ponctue, par ce constat, Mathieu Lindon, page 295, sa réflexion sur les durées de temps passé avec les uns et avec les autres de ceux avec lesquels il a un peu (plus et mieux) appris (qu’avec d’autres) « ce qu’aimer veut dire » :

« Quelques années après sa mort _ il s’agit ici de l’ami Michel Foucault (15 octobre 1926 – 25 juin 1984) _,

je pensai que viendrait un moment où

le temps écoulé depuis la perte _ voilà ! _ de Michel _ voilà un terminus a quo de poids majeur ! _

serait supérieur à celui durant lequel je l’aurais connu _ soit six années : de 1978 à 1984 _ ;

et cette pensée a resurgi régulièrement _ par la suite : tel un amer, donc…

Quand Hervé  _ Hervé Guibert (14 décembre 1955 – 29 décembre 1991) ; cf sur eux ce que dit Hervé Guibert in L’ami qui ne m’a pas sauvé la vie... _ mourut,

ce jour _ « foucaldien«  d’échéance : calculé et retenu… _ était déjà _ depuis plus d’une année _ arrivé.

Et un autre jour est venu _ l’an 2004 _ qui fait que

même Hervé,

il y a plus longtemps qu’il est mort

que de temps _ « guibertien« , cette fois _ où nous avons été si proches _ treize années : de 1978 à 1991…

Avec mon père _ Jérôme Lindon (9 juin 1925 – 9 avril 2001) _,

évidemment, ça _ un tel jour d’« échéance«  : « lindonien«  cette fois... ; étant donné leurs quarante-six années de vie communes : de 1955, l’année de la naissance de Mathieu, le fils, à 2001, l’année de la mort de Jérôme, le père _ n’est pas près de se produire (si, un jour je _ né en 1955, donc _ deviens centenaire  _ ou presque : car c’est en 2047, soit 2001 + 46, que Mathieu, à l’âge de 92 ans, donc, verra(-it) se clore ce temps « lindonien«  paternel…).

Les six ans passés auprès de Michel représentent, en pourcentage, une part

de plus en plus infime _ quantitativement : à compter seulement (le nombre de jours) ! _

de mon existence

qui augmente cependant _ cette part-là ! qualitativement ! _ sans cesse

dans le plus sincère _ ou « vrai«  !.. probe ! _ de mon imagination _ mais pas sur le versant d’un pur et simple imaginaire, qui ne serait que fictif, ou nominal… 

Comparer des années à des années,

c’est _ certes _ additionner des tomates et des poireaux,

ça n’a rien à voir avec la mathématique _ affective existentielle : la seule qui importe vraiment ! _ de l’existence _ vécue : et c’est elle qui constitue en quelque sorte l’objet de réflexion (= les comparaisons) de ce livre si intensément sensible qu’est Ce qu’aimer veut dire

Mais les chiffres me fascinent«  _ à l’aune de sa propre vie qui s’augmente et, d’un même mouvement, passe, les deux : voilà le point d’arrivée de ce raisonnement des pages 294-295…


Avec son aboutissement, surtout, à Corentin :

« Cette première nuit _ de « fin 2004« , donc _, je m’informe sur lui

et Corentin m’apprend qu’il prépare l’École Normale supérieure, section philosophie.

Je l’interroge sur les philosophes contemporains

_ contemporains pour moi, il y a plus de vingt ans _ « fin 2004«  _ que Michel est mort _ le 26 juin 1984… _  _

et il me répond ne pas bien les connaître,

excepté Foucault

dont la lecture lui fait un bien fou.

Ce garçon me semble _ ainsi : voilà ! _ de mieux en mieux.

Je suis frappé de sa jeunesse.

Je lui demande son âge,

puis à la suite de cette réponse, sa date de naissance précise.

Il s’avère qu’il est né après la mort de Michel _ survenue le 26 juin 1984.

Je calcule vite que la différence d’âge _ voilà ! _ entre nous _ Mathieu Lindon est né en 1955 _

est la même _ soit vingt-neuf ans _ qu’entre Michel et moi« , page 295…


Et Mathieu Lindon de poursuivre :

« Au plus fort de mon affection pour Michel vivant,

j’avais espéré _ Mathieu avait entre vingt-trois et vingt-neuf ans : désirer (et aimer) être aimé est un trait de cet âge ; aimer s’apprend un peu mieux un peu plus tard… _ que,

lorsque j’aurais son âge,

il y aurait quelqu’un de l’âge que j’avais alors

pour m’aimer _ devenu âgé… _ autant

et m’être aussi dévoué

que moi _ en pleine jeunesse (d’état civil, au moins), alors _ envers lui.

Mais c’était une imagination _ voilà : un fantasme _ qui se projetait dans un si lointain avenir

que jamais je ne l’ai attendu pour de bon, comme une réalité.

C’était _ à l’imparfait d’un passé bien passé désormais…  _ surtout une manière de me complaire _ un peu égocentriquement… _ dans ma relation avec Michel,

de me repaître _ assez naïvement : mais c’est déjà une forme de force, en cet âge un peu neuf… _ de sa qualité _ qui n’est pas rien ! _,

une masturbation sentimentale _ voilà ! Mathieu Lindon est toujours d’une parfaite probité : lumineuse aussi pour nous qui le lisons…

Si bien que,

lorsque je me rends compte _ aujourd’hui ; ou du moins cette première nuit de « fin 2004«  alors évoquée, pages 295-296 _ de mon différentiel d’âge précis avec Corentin,

en réalité _ cette fois : voilà ! _,

ça ne m’évoque pas du tout Michel et moi :

il y aurait trop de prétention _ subjective _

et trop peu de vraisemblance _ objective _

à ce que je puisse m’identifier à lui,

ne serait-ce que sur ce point.

Ça m’apparaît plutôt comme une coïncidence,

une anecdote _ voilà : de pure conjoncture, ou quasi : rien de vraiment « historique«  !.. _

qui fait d’autant moins sens

que j’ignore _ à cet instant-là, de 2004… _ quel sera le futur de mon lien _ déjà… _ avec Corentin

avec qui je suis seulement en train _ ce jour de « fin 2004« , donc ! _ de passer une mémorable nuit,

même si j’ai tout de suite _ c’est à relever… _ l’impression

que ça débouchera _ dans la durée : seule vraiment significative (de quelque chose comme une profondeur, un relief de « vérité« )… _ sur autre chose _ de marquant : « vraiment«  !

Mais ce qui m’habite _ immédiatement et fort ! _ implicitement _ voilà… _

est que la différence d’âge _ factuelle _

n’a aucune influence _ dynamique _ néfaste,

qu’il n’y a pas _ comme la pression de la doxa y entraînerait… _ à la redouter.

Je suis confiant _ donc : voilà ! _ dans une telle relation,

je sais _ d’ores et déjà, sur le champ : par l’amer (et boussole) de la « relation«  d’« intimité«  vécue (« sentie et expérimentée« , dirait un Spinoza) avec Michel Foucault… _ que ça fonctionne.

Telle est une des leçons _ formidablement encourageante ! _ que j’ai retenues de Michel,

de Michel et de moi en fait _ en la « tension«  si chaleureuse et forte, puissante, de l’« intime«  : qui est une relation vectorielle… Cf ce qu’en analyse superbement l’excellent Michaël Foessel in La Privation de l’intime _,

et qui m’est même devenue si naturelle _ = consubstantielle de l’identité acquise en se formant peu à peu mais ferme désormais ainsi ! _

qu’il me faut la distance _ de regard (creuseur de « relief« ) _ de l’écriture

pour prendre conscience que j’aurais pu penser autrement« , page 296…

L’année suivante _ fin 2005, ou début 2006, et lors d’un voyage « de vacances à l’étranger » en compagnie de Corentin (page 296) _,

Mathieu manque mourir ;

et sa « survie«  _ grâce à une opération chirurgicale pratiquée très vite sur place… _

est « miraculeuse«  (page 298) :

« Je sors euphorique _ voilà ce qu’il conclut ! _ de ce voyage

 où j’ai gagné _ par aufhebung de ce qui a été « éprouvé », « dépassé« , « surmonté«  et « acquis«  désormais dans le détail de l’épreuve soufferte partagée… _ avec Corentin

une intimité plus forte

que celle que même le plus violent acide _ Mathieu Lindon se souvient ici d’un épisode particulièrement dramatique de la dernière année « rue de Vaugirard » de Michel Foucault : le détail de l’épisode (et de ce qu’il a apporté à la qualité de relation d’« intimité«  – complicité entre Michel Foucault et lui-même) est narré avec une belle précision et une émotion rare aux pages 129 à 143 _ peut offrir« 

Cette « intimité » « forte » _ et « vraie » ! _,

c’est

celle de l’amour « vrai » _ voilà ! Une force (« intégrée«  maintenant) pour la vie…

Mathieu l’évoque ainsi aussi, à nouveau, encore,

pour un autre de ses amours forts, Rachid _ l’écrivain Rachid O., qui vit à Marrakech… _ :

« une peur me lie à lui

depuis toujours,

une peur qui est l’amour« , page 305…

Et il poursuit :

« C’était pareil pour mon père

et Michel,

ça l’est aussi pour Corentin

et Gérard _ ami intime depuis 1978… _ :

la crainte _ la terreur _ de ne pas pouvoir _ par quelque faiblesse aussi de soi… _ empêcher

que le malheur s’attaque  _ à le détruire ! _ à l’être aimé« 

Et de commenter :

« Comme si je ne profitais pas

de _ la chance de _ ne pas être le père _ voilà la relation la plus difficile (tendue, « braquée« ) du point de vue de Mathieu… _

de ceux que j’aime,

de n’être pour rien, physiologiquement parlant, dans leur existence,

et que j’intégrais _ toxiquement, en quelque sorte _ malgré moi le mauvais côté _ trop pesant et mal sévère _ de la paternité,

une responsabilité qui braque _ voilà ! _

qui angoisse

et dénature _ l’intimité…

Il me faut _ tel l’enfant, mais pas vis-à-vis de ses parents _ l’aide _ amicale, amoureuse _ de l’autre _ ami, amour… _

pour _ en cette situation de faiblesse de l’« angoisse«  _ m’en tirer« , page 305…

« En tant que jeune

ou en tant que vieux,

entre deux êtres

que sépare une importante différence d’âge

_ et dont Mathieu se trouve être l’un de ces deux-là _,

c’est _ ainsi… _ toujours _ à chaque fois… _ moi

qu’on _ c’est-à-dire l’autre (que moi)… _ enseigne

_ et qui me trouve ainsi « enseigné« 

Je suis le héros _ en gestation indéfiniment : tel un fils à perpétuité… _ d’un roman d’apprentissage perpétuel,

de rééducation _ inquiète _ permanente« , page 306…

« Rachid et Corentin _ les plus jeunes amours de Mathieu _,

je perçois leur clairvoyance efficace

comme un lien générationnel

car c’est la norme que le plus jeune comprenne que tel comportement n’est pas justifié par la morale

mais par les obsessions et caractéristiques des plus âgés,

et se sente tenu (ou non) de faire avec,

protégeant ses aînés

comme j’ai eu cent fois le sentiment de le faire.

(Mais)

Je n’étais _ moi-même, alors, à leur âge de maintenant _ pas ainsi _ par moins de « clairvoyance efficace«  qu’eux deux… _ avec Michel.

J’aurais voulu qu’il _ Michel _ connaisse _ maintenant ! _ Rachid et Corentin

aussi pour les aider _ eux, comme Michel a aidé Mathieu de sa merveilleuse attention et délicatesse (d’ange ?) au temps de la « rue de Vaugirard«  _,

qu’il _ Michel toujours vivant, ou ressuscité ! _ fasse mieux que moi

_ mieux que moi, aujourd’hui, avec eux ; mieux que, autrefois, moi avec lui ;

et que lui (toujours vivant ; ou comme ressuscité d’entre les morts…) fasse encore aujourd’hui avec eux, aussi (et surtout), comme il fit (si merveilleusement) alors autrefois avec et pour moi :

Mathieu, peu narcissique, est infiniment profondément humble et modeste ; inquiet de ceux qu’il aime ;

et généreux !..

Bien sûr qu’il ne suffi pas d’avoir vieilli

pour être comme lui _ Michel Foucault avait cinquante-sept ans à la survenue de sa mort…

Et pourtant,

j’ai le sentiment que

Rachid et Corentin

et même moi

sommes dans la droite ligne de l’enseignement _ du « travail sur soi« _ qu’on peut tirer de L’Usage des plaisirs et du Souci de soi,

les deux livres parus quelques jours avant la mort de Michel

et sur lesquels il a tant travaillé,

Corentin les ayant lus

et Rachid sans.

J’aime la façon dont l’un et l’autre m’écoute

quand je parviens _ = réussis un peu mieux… _ à leur parler de lui.

J’aurais voulu être capable de répéter _ et faire rayonner _ l’enseignement de Michel,

j’ai été atterré de croire ça au-dessus de mes forces,

et c’est comme si une part de cet enseignement _ cependant, et en dépit des obstacles divers, dont l’humilité quasi janséniste de Mathieu _ se répétait de soi-même, mécaniquement _ presque sans Mathieu, en quelque sorte, donc… _,

de même que Michel m’a souvent laissé penser que, dans une psychanalyse, la qualité de l’analyste était secondaire par rapport au processus même.

Michel et mon père

m’ont

chacun

transmis _ très effectivement, les deux… _

une façon d’aimer, non ?

Chacun

deux _ même ! _ :

il y a la manière dont on aime

et celle _ aussi _ dont on est aimé«  _ transmises toutes deux _, page 307.

Sur cette comparaison

des deux rapports (intimes)

à l’ami-amour Michel Foucault, d’une part,

et au père Jérôme Lindon, d’autre part,

cette réflexion-ci, page 308 :

« Personne que moi

ne me demande d’être fidèle à Michel ;

alors que, mon père,

ne pas en déshonorer le nom

est mon affaire publique.

A dix, vingt, quarante-cinq ou cinquante-cinq ans,

j’ai toujours été fils,

tandis que Michel

n’aurait jamais été cet ami

pour un gamin de huit ans _ alors qu’il le fut pour le jeune homme de vingt-trois ans, en 1978…

Or telle est la paternité _ en sa noble pesanteur _ :

avoir déjà aimé l’enfant _ avant d’aimer l’adulte qu’il devient et sera devenu _,

l’avoir eu à sa merci _ d’éducateur viril sévère

surplombant…

En vis-à-vis de _ et opposition à… _ ce rôle paternel-là

(qui fut celui de Jérôme Lindon),

Mathieu Lindon de citer ce mot de (l’ami de l’âge adulte _ et des amours…) Michel Foucault

en son Usage des plaisirs:

« Que vaudrait l’acharnement du savoir

s’il ne devait assurer _ un objectif peut-être étroit _ que

l’acquisition _ capitalisée _ des connaissances

et non pas,

d’une certaine façon et autant que faire se peut,

l’égarement _ rien moins ! celui du questionnement éperdu de la recherche même (créative…) _

de celui _ sujet cherchant et créateur fécond, jouant… _ qui _ activement _ connaît ?

Il y a des moments dans la vie

où la question de savoir si on peut _ en terme de possibilité, mais plus encore de puissance ! _ penser autrement

qu’on ne pense

et percevoir autrement

qu’on ne voit

est indispensable

pour continuer _ seulement : cela ne pouvant pas être seulement répétitif ou mécanique… _

à regarder _ c’est une action aventureuse ! _

ou à réfléchir«  _ itou ! « vraiment«  !


Et de le commenter ainsi,

toujours page 308 :

« Penser autrement,

c’était aussi _ pour Michel Foucault, donc : ce vivant ! _,

en plus de ces moments _ ludiques et sérieux à la fois ! _ passés avec nous _ au premier chef desquels, en effet, Mathieu Lindon et Hervé Guibert, en leur âge de jeunes chiens fous… _,

ce qu’il cherchait

dans l’acide« 

_ et qui demeure encore étonnant (et détonant !)

pour le lecteur bien candide que je continue, à mon âge, d’être…

Mais, de fait :

« Vivre, c’est vivre autrement« , page 309 _ aventureusement et « vraiment«  : « en vérité«  et « relief«  !..

Aussi devons-nous convenir avec l’auteur

de cet intense, probe et généreux (et élégant ! en son extrême délicatesse du penser-méditer-se souvenir…) Ce qu’aimer veut dire,

que

« le legs _ non paternel, lui ; mais amoureusement amical, disons… _ de Michel,

c’est cette possibilité de créer _ ouvrir… _ des relations

_ avec d’autres humains « vrais«  : amoureuses et/ou amicales… _

inimaginables _ au départ : elles vont s’ouvrir, voilà !, pour fleurir considérablement… _

et de les cumuler _ en constellations ouvertes immensément fertiles… _

sans que la simultanéité _ ressentie et menée polyphoniquement, en quelque sorte… _ soit _ pour un tel sujet : formidablement courageux et généreux ! _ un problème« 

Avec ce commentaire pour soi, alors, de Mathieu, page 309 encore :

« D’un côté,

rien ne m’émeut autant que la fidélité _ amoureuse _ ;

d’un autre,

elle me paraît _ mais s’agit-il tout à fait de la même ?.. _ une immorale paresse

_ à mener une pluralité de liens forts et « vrais« , chacun, en sa vie affective pleine, ainsi de front

Michel s’amusait que les mil e tre partenaires

qui rendaient si monstrueux _ en effet ! _ Don Juan _ aimait-il ?.. _

étaient atteints par n’importe quel pédé sortant tous les soirs« 

_ quid de la qualité de l’« aimer« 

d’un « faire du chiffre« , cependant ?..

« Sortir«  et rencontrer ainsi suffit-il pour « aimer » « vraiment«  ? Voilà ce que, lecteur, je me demande…

Dans cette optique-là,

« il  m’arrive _ commente alors, pour lui, Mathieu Lindon _ de trouver l’exigence de fidélité sexuelle

une honte«  _ telle une lâcheté ! _ : dont acte ;

même si cela continue de demeurer quelque peu du chinois

pour le lecteur se le recevant que je suis…

C’est peut-être que l’absolu de l’amour (« vrai« , tout au moins…)

est, lui aussi,

et forcément sans doute,

en son « relief » si on le vit jusqu’au bout,

oxymorique !

Bravo l’artiste !

Ce qu’aimer veut dire est un très

très beau livre

« vrai » !

Titus Curiosus, le 14 janvier 2011

Post-scriptum :

Je m’avise a posteriori de la très grande pertinence de la « quatrième de couverture« _ en fait la reprise pure et simple d’un alinéa-clé (in extenso et sans modification aucune) de l’ouverture (« Les larmes aux yeux« , pages 9 à 26) du livre, à la page 15… _,

et en soi-même, d’abord _ magnifiquement synthétiquement ! de la part de l’auteur du livre _,

et, ensuite, en guise de « confirmation« , en quelque sorte,

des toutes simples « pistes de lecture » de mon commentaire

de ce très sensible Ce qu’aimer veut dire :

« En vérité _ oui ! _, la proximité la plus grande _ voilà ! toutes « proximités«  (d’« intimité«  inter-personnelle) aboutées et comparées… _ que j’ai eue _ = vécue ! _ fut avec Michel Foucault ; et mon père _ ici le contre-modèle : évidemment familier, par prégnance première (et basique) du familial… _ n’y était pour rien. Je l’ai connu six ans durant, jusqu’à sa mort, intensément _ le terme, appliqué à cette « connaissance«  (inter-personnelle) -ci, est très parlant : c’est cette « intensité« -là qui se hisse au-dessus de la simple rhapsodie des moments vécus ; et accède à une dimension (« transcendante« , si l’on veut) d’« éternité« , pour emprunter le vocabulaire (oxymorique : comment faire autrement ? pour désigner le « moins ordinaire« , mais « plus réel«  que le réel coutumier de l’« écume des jours« …) d’un Spinoza _, et j’ai vécu _ pas seulement « logé«  _ une petite année dans son appartement _ d’un huitième étage luxueusement vaste et immensément lumineux « rue de Vaugirard« 

Je vois aujourd’hui _ rétrospectivement et travaux de deuil aidant : par la méditation de l’écriture de ce livre-ci même… _ cette période comme celle qui a changé ma vie, l’embranchement _ voilà : la rencontre, sinon la « visitation« , de l’ange ! _ par lequel j’ai quitté un destin _ familialement un peu trop (lourdement : un rien suffit à faire pencher la balance) tracé… _ qui m’amenait dans le précipice _ d’une annihilation…

Je suis reconnaissant dans le vague _ sic _ à Michel, je ne sais pas exactement de quoi _ j’ai proposé le terme d’« amer » afin de « se repérer« « orienter«  si peu que ce soit dans l’un peu trop uniforme plaine (liquide) des flots océaniques des rapports humains… ; et l’écriture de ce livre a eu, parmi ses fonctions, d’éclairer ce « quoi« -là un peu mieux, pour Mathieu Lindon… _, d’une vie meilleure _ soit la finalité de toute philosophie comme « exercice spirituel« , aurait pu dire un Pierre Hadot : mais Mathieu Lindon ne se veut décidément pas « philosophe«  La reconnaissance _ voilà ! _ est un sentiment trop doux _ lénifiant ? jusqu’à l’écœurement ? seulement pour un porteur d’une un peu trop forte dose de masochisme ?.. et pour le fils d’un père (grand !) éditeur et ami très proche, par exemple, d’un génie tel que Samuel Beckett, aussi, parmi d’autres très grands écrivains qui ont été les « contemporains«  (et édités) de ce père : la contemporanéité m’apparaissant comme un des objets de méditation de ce livre-ci de Mathieu Lindon… _ à porter : il faut s’en débarrasser _ l’objectiver ! _ et un livre est le seul moyen honorable _ parfaitement à découvert et public _, le seul compromettant _ comme si seul le risque (ici celui du jugement du sublime tribunal de la littérature !) encouru et affronté validait « vraiment » l’« expérience« … A la façon de l’« épreuve«  de la corne du taureau pour le torero en la préface par Michel Leiris de L’Âge d’homme

Quelle que soit la valeur particulière de plusieurs protagonistes de mon histoire, c’est la même chose pour chacun dans toute civilisation : l’amour _ voilà _ qu’un père fait peser _ voilà ! via l’« Idéal du Moi » et le « SurMoi«  : surtout à pareille hauteur de « sublime » (via, ici, donc, la littérature, l’écriture : pour l’éditeur insigne qu’était Jérôme Lindon !)… _ sur son fils, le fils doit attendre _ eh ! oui ! _ que quelqu’un _ hors cercle de la famille _ ait _ et cela ne court pas forcément la rue _ le pouvoir _ d’un peu de biais _ de le lui montrer _ = faire voir, enseigner _ autrement _ voilà : avec la grâce, non fonctionnelle (ni a fortiori didactique), d’un minimum de « surprise » et de « gratuité«  : un « don«  gracieux (voire angélique !) à apprendre à « recevoir«  : tel ce qui est donné en une amitié et un amour « vrais«  _ pour qu’il puisse enfin saisir _ c’est toujours un peu tardif ; et rétrospectif (et chronophage), l’« expérience » (adulte)… : surtout mâtiné de « poétique« , comme, tout spécialement, ici… _ en quoi il consistait _ cet « amour«  (du père pour son fils)…

Il faut du temps _ mais oui ! à « passer » et « donner » (et aussi « perdre« ) ! ainsi que la chance de soi-même durer un peu longtemps… _ pour comprendre _ enfin et peut-être _ ce qu’aimer _ et cela en la variété plurielle (mais non innombrable, non plus) de ses formes : pas seulement paternellement et filialement, donc… _ veut dire«  _ voilà !..

Encore bravo !

et merci !

à Mathieu Lindon

pour ce si beau « s’exposer« 

en cette écriture au récit un peu tranquillisé _ = surmonté, mais sans didactisme : gracieux ! _

de telles cruciales _ formatrices… _ épreuves

par blessures de la vie…

De Mathieu Lindon,

je lis maintenant

Je t’aime _ Récits critiques,

publié aux Éditions de Minuit en mars 1993…

magnifique Dominique Rabaté sur le roman au XXème siècle à l’heure (« moderne ») de la décadence de la grandeur et de la défaillance des modèles (Saints et Héros) dans l’apprentissage (ou formation) du sujet « commun » (tout un chacun)

08mai

Magnifique conférence de présentation de son magnifique essai de « méditation » littéraire : Le Roman et le sens de la vie (aux Éditions José Corti)

de Dominique Rabaté, hier soir, vendredi 7 mai 2009, dans les salons Albert-Mollat,

en présence d’un public (de « lecteurs » amoureux de la « lecture de romans« , vraisemblablement…) nourri, amical

_ pas seulement, et même loin de là, composé de collègues (universitaires) : en fonction, certains, ou émérites, d’autres ; même si nombre d’entre eux étaient présents et n’ont pas manqué d’intervenir dans la séance (plus ou moins rituelle) des questions au conférencier, ensuite… _,

en présence d’un public attentif et tout à fait alléché, incontestablement,  par ce propos du conférencier d’éclairer ce genre de « lecture » (= la lecture de romans !) aujourd’hui si vivant, pour les « lecteurs » que nous (presque tous) sommes

_ vivant, chacun, notre existence subjective particulière,

séparée de celle des autres

(et par là plus ou moins solitaire, en sa « banalité«  commune partagée, aussi : les deux en même temps…),

voire singulière

(qui sait ? cf ici l’important cruciale de la « question« , pour « tout un chacun«  d’entre nous, en effet, du « sens de la vie«  pour lui, et pour nous, quand nous ne sommes pas aussi « auteurs«  de quelque « œuvre« ),

au premier chef, si je puis dire… ;

pour « tout un chacun«  qui sait et aime lire, du moins !!! cela va-t-il durer, à l’heure et ère (concurrentielles peut-être) des « images« , dont celles, mouvantes désormais, du cinéma et autres vidéos de diverses sortes : jusque sur le blog des libraires de la librairie Mollat !!!!

….

vivant, chacun, notre existence subjective particulière, donc,

en « lecteurs de romans«  tout particulièrement, en effet !

de romans davantage que d’autres genres de livres (et même de récits : la biographie, l’autobiographie, le journal intime, etc.), veux-je dire… _,

plus que jamais en 2010 :

d’où l’affluence et la vive curiosité à cette conférence vendredi soir

_ le podcast dure 65 minutes : il est passionnant ! et éclaire « magnifiquement«  ! le livre _

pour cet essai (méditatif, analytique et questionnant, plus encore…) de Dominique Rabaté : Le Roman et le sens de la vie

Le roman est devenu _ du XVIIIème au XIXème siècles _, puis est resté _ au XXème siècle ; et aujourd’hui aussi ;

même si c’est selon certaines variantes : qu’il appartient à l’essayiste, précisément, les distinguant, d’analyser (ou démonter) avec précision en leur détail (qui nous éclaire !) et dynamique ;

et nous faire, à notre tour (en « lecteurs d’essais«  alors : une spécificité un peu française, peut-être…), méditer… _,

le roman est devenu, puis est resté

en effet,

le genre littéraire rencontrant

_ auprès des lecteurs que nous sommes aussi très largement devenus en ces siècles (d’imprimerie et d’édition de livres de papier ; cf ici, par exemple, les travaux de Roger Chartier ; ou sa leçon inaugurale au Collège de France Écouter les morts avec les yeux… ; ou de Robert Darnton : cf par exemple Bohème littéraire et révolution _  le monde des livres au XVIIIème siècle…) _

le maximum de succès : il est loin, bien au contraire, de se démentir aujourd’hui ;

même si ce n’est pas nécessairement proportionnellement _ encore faut-il savoir ou apprendre à l’« évaluer«  ! _ à la qualité (du produit ; ou œuvre ! soit ici le roman !) :

sinon, c’est le temps et la postérité (= d’autres que soi ; ou du moins de « médiateurs » (instituteurs nécessaires) de son propre juger ; qui doit se former…) qui effectuent le tri (qualitatif : entre ce qui se périme, vite _ de plus en plus _, et ce qui demeure et reçoit la « reconnaissance » _ autorisée… _ de la valeur « littéraire » ; les lecteurs peu à peu finissant, et en masse, par s’y rallier (le reste de la production étant devenu caduc) à un peu meilleur escient ;

mais en attendant cette sélection qualitative médiatisée par des lecteurs compétents _ un tout petit nombre, comme a l’habitude de le dire à l’envi Jean-Paul Michel _

les romans, même de faible qualité, se lisent, s’achètent (et se vendent !) : selon des fonctionnement grégaires le plus fréquemment (cf les listes _ quantitatives, elles _ de best-sellers) :

comment se repérer, pour le lecteur encore inexpérimenté, ou débutant : mais chacun l’est, et à chaque fois, face à un auteur (ou un livre) inconnu de lui, et non précédé d’une réputation !

_ ici Jean Laurenti, modérateur de la conférence, demande très judicieusement à Dominique Rabaté de lire à haute voix un très beau passage du livre (aux pages 104-105 du Roman et le sens de la vie) explicitant lumineusement, et avec ses effets synthétisés, la distinction que celui-ci venait de faire en sa conférence entre deux concepts d’« expérience«  : celui d’Erlebnis et celui d’Erfahrung :

Dominique Rabaté avait introduit cette distinction significative, dans son essai, page 35, à propos de la géniale « lecture » par Walter Benjamin, en son article intitulé Le Conteur, (cf l’édition Œuvres III parue dans la collection Folio Essais en 2000) du « récit«  (ainsi le qualifie lui-même Walter Benjamin, plutôt que « roman« …) tel que le pratique Nicolas Leskov… : je cite le texte de Dominique Rabaté, à la page 35 :

par ce terme de « récit« , Nicolas Leskov « désigne l’art artisanal du conteur qui sait, par ses histoires, donner de sages conseils, transmettre une morale pratique, une expérience partageable par une communauté _ d’auditeurs-écouteurs assemblés en un même lieu et au même moment ; pas de lecteurs d’un écrit… _ que le mot allemand de « Erfahrung » recouvre. Cette communauté se réunit sous l’autorité de la mort _ c’est elle (et sa menace) qui plane(-nt) sur la « question«  lancinante et vrillante, ici, du « sens de la vie« , en effet ! tant pour le cas de La mort d’Ivan Ilitch que pour celui de Voyage au phare de ces deux mélancoliques que sont, au moins en l’écriture de ces deux « romans«  ici analysés, aux parties II et III de cet essai, et Léon Tolstoï et Virginia Woolf… _, ou plus exactement du sage mourant mais encore apte à léguer aux siens son savoir.

La réflexion de Benjamin prolonge d’autres études où il a insisté sur l’idée _ = sa thèse _ d’un appauvrissement de l’expérience _ subjective, personnelle ! _ dans les sociétés modernes, sociétés du journalisme, de la guerre et de la massification _ dépersonnalisante et désingularisante par là…

Pour lui, l’Erfahrung se meurt _ voilà ! est détruite, saccagée ! _ et laisse place à une expérience intransmissible, privée _ qui est, elle, du registre de l’Erlebnis (terme que l’on traduirait en français par expérience vécue, ou expérience individuelle _ = non reçue ni formée collectivement ; et expérience personnelle, par là. Giorgio Agamben a brillamment relayé ses thèses dans son livre Enfance et Histoire _ dont le sous-titre est « Destruction de l’expérience et origine de l’Histoire« …

Dominique Rabaté cite aussi, page 36, le travail, qui creuse la pensée de Benjamin encore plus loin, de Carlo Ginzburg dans Traces : Racines d’un paradigme indiciaire...

(cf pages 37-38 : « le roman, loin de simplement entériner la disparition de ce type de connaissance indiciaire _ qu’étaient les savoirs de la chasse, de la cuisine, de l’intuition psychologique que « les traités scientifiques peuvent malaisément codifier«  au XVIIIème siècle, page 36… _ devient aussi le lieu où les recueillir, où leur donner leur singularité selon les cas, les contextes, les arrière-plans que le romancier peut recréer. Je dirai donc avec Ginzburg (…) que l’Erfahrung continue d’entretenir des liens riches et subtils avec l’Erlebnis. J’ajouterai que le succès du roman à l’âge bourgeois lui vient aussi de cette mission historique : se faire l’écho et le relais _ oui ! _ des pratiques indiciaires de la connaissance au moment où celles-ci perdent leur utilité ou leur prestige social _ surtout _ contre les sciences et le savoir académique » : c’est superbe de lucidité !..) ;

et je signale, au passage, aussi, que leur traducteur (tant pour Carlo Ginzburg que pour Giorgio Agamben), de l’italien au français, Martin Rueff, sera présent

(ainsi que le très grand Michel Deguy en personne : pour son La Fin dans le monde aussi… ; de Deguy, lire en priorité son sublime « Le Sens de la visite« …)

mercredi 12 mai prochain dans les salons Albert-Mollat, à 18 heures,

pour présenter son (immense et magnifique !) essai d’analyse et synthèse de la poétique de Michel Deguy : Différence et identité _ Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme industriel ;

cf, sur lui, mon article sur ce blog du 23 décembre 2009 dernier : « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff«  ;

fin de l’incise… _

comment se repérer, pour le lecteur inexpérimenté _ en lecture, ici ! _

dans la foule de ce qui est proposé par le marché de l’édition ? et sur les étals des librairies ?..

Même si le propos de Dominique Rabaté, avec ce « petit livre« , a-t-il dit à plusieurs reprises _ l’essai comportant 112 pages _, n’était ni historique, ni « totalisant«  : il y faudrait une autre longueur (mais pas forcément ampleur d’analyse : celle-ci est déjà extrêmement sensible ici !) pour embrasser de son éclairage tout le genre, et en toute son histoire (depuis les romans de l’antiquité gréco-latine ; puis ceux de l’époque médiévale ; etc.),

c’est cette dimension d’historicité même qui m’a,

personnellement,

particulièrement intéressé

et m’a paru des plus « éclairante« …

Aussi ai-je pensé alors, en écoutant parler Dominique Rabaté aussi (un peu) sur ces considérations historiques _ ainsi que de philosophie « appliquée« … : davantage en cette conférence (d’une heure) qu’en son livre, dense et assez ramassé (en 112 pages)… _ ,

au travail « explorateur«  _ fascinant ! _ de Marthe Robert, en son L’Ancien et le nouveau (lu à sa parution aux Éditions Grasset, en 1963 : j’étais en classe de Première : et la « réflexion » sur la littérature me titillait ; lecteur boulimique et exigeant que j’étais depuis un bon moment déjà…), d’un côté,

et, sur un tout autre plan, à celui tout récent

_ cf mon article du 30 décembre 2009 : « Le devenir de la “langue littéraire” en France de 1850 à aujourd’hui : un admirable travail pour comprendre ce qui menace de mort l’exception (culturelle) française et les “humanités”« ... _

de l’équipe réunie par Gilles Philippe et Julien Piat pour leur très riche et instructif La langue littéraire _ une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, aux Éditions Fayard,

à adjoindre aux références données (et discutées à la conférence, davantage qu’en son essai, court et intense, donc !)  par Dominique Rabaté lui-même en son livre,

qui ont servi à sa « méditation » _ et enquête _ littéraire sur ce volant précis-ci de la littérature

d’interlocuteurs, de stimulants,

ou d’abord de départs ou bases de sa réflexion et analyse,

ou parfois aussi de repoussoirs, à surmonter en quelque sorte :

La Pensée du roman, de Thomas Pavel,

L’Art du roman, de Milan Kundera,

La Bonne aventure _ Essai sur la « vraie vie », le romanesque et le roman, de Bernard Pingaud,

Nouveaux problèmes du roman de Jean Ricardou ;

ou, aussi, les désormais classiques La Théorie du roman de Georg Lukacs

et Mimesis d’Erich Auerbach…

Dominique Rabaté s’est référé aussi, bien sûr, à son essai précédent Le Chaudron fêlé _ Écarts de la littérature, paru aux Éditions José Corti, déjà, en 2006…


Et il se réfère aussi au passionnant L’Anneau de Clarisse _ Grand style et nihilisme dans la littérature moderne du grand Claudio Magris,

page 34 du Roman et le sens de la vie :

le sous-titre de ce recueil d’essai de Magris _ Grand style et nihilisme dans la littérature moderne _ est déjà bien éclairant sur l’axe d’enquête ici de Dominique Rabaté. Comme j’y souscris !!! 

Pour ma part,

j’interprète le regard de Dominique Rabaté ici sur le roman moderne et la « question » du « sens de la vie« 

comme affinant _ et assez considérablement... _ la dés-héroïsation des Temps modernes (depuis la Renaissance ; cf aussi François Hartog : Régimes d’historicité)

qui s’amplifie à partir de Flaubert

_ c’est un mot à George Sand de Flaubert, dans une lettre (de la fin décembre 1875) de leur échange assez suivi de correspondance, que Dominique Rabaté a choisi de mettre en exergue de son essai : Le Roman et le sens de la vie :

« Il me manque « une vue bien arrêtée et bien étendue sur la vie » _ reprend-il à sa correspondante. Vous avez mille fois raison ! mais le moyen qu’il en soit autrement.« 

Pour l’ambition de vérité (du roman : sur la vie) de Flaubert,

« la bêtise«  est bien toujours « de conclure«  !..

et de figer… _

et s’épanouit dans les diverses et variées à l’infini, en leur diaprure, Vies minuscules _ à la Pierre Michon, si l’on veut : Dominique Rabaté l’a reçu il n’y a guère, en ces mêmes salons Albert-Mollat… _ que nous offrent, en effet, les (grands) romanciers (dés-héroïsant) du XXème siècle (et des progrès de son nihilisme) ;

celle _ dés-héroïsation _ sur laquelle avait déjà commencé à ironiser l’humour noir ravageur et polyphonique de Cervantès en son Don Quichotte

Avec divers paliers en ce processus non régulier ni mécanique, certes :

Le Roman bourgeois de Furetière ;

Flaubert _ de L’Éducation sentimentale à Madame Bovary (ou l’« hystérie de la vie à soi« , selon la formule de la page 29 : « Une vie à soi ? celle des livres et des clichés« , ici… ; et Dominique Rabaté : « depuis les années 1850, la culture de masse a encore accentué cette tension entre prétention à l’originalité et conformisme« …) et Bouvard et Pécuchet : quelle odyssée !.. _, un maître du rendu de ce processus (mélancolique) :

et puis,

et que voici tout spécialement analysés ici, en cet essai-ci _ magnifique ! un essai doit-il donc être purement « académique » ?.. _, par Dominique Rabaté,

aux partie II, « La Leçon de la mort« 

et partie III, « L’Irrémédiable et l’inoubliable » :

La mort d’Ivan Ilitch de Tolstoï

et Vers le phare de Virginia Woolf :

la traduction préférée par Dominique Rabaté est celle revue par Magali Merle de l’édition la Pochothèque, en 1993, des Romans et nouvelles ; la traductrice proposant Voyage au phare pour son titre…


Un travail passionnant pour le lecteur aussi ;

à relier, pour moi, à l’histoire _ éminemment philosophique ! _ des avatars du sujet en la modernité et post-modernité (et nihilisme : cf Nietzsche…),

comme on voudra.

Le banal dés-héroïsé d’un sublime qui se « désenchante« 

à une certaine vitesse et selon diverses accélérations ou décélérations _ cf Max Weber ; et puis Marcel Gauchet : Le désenchantement du monde _,

mais non sans susciter des aspirations (idéalistes ?) à un ré-enchantement ;

pas trop donquichottesque ;

ou du moins, plutôt à la Cervantès l’auteur bourré d’humour

qu’à la Don Quichotte, le chevalier à la triste figure, son personnage qui meurt à la fin désenchanté…


Titus Curiosus, ce 8 mai 2010

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