L’hommage superlatif de Christophe Eschenbach à la sensualité luxuriante de Franz Schreker (1878 – 1934) en un double CD électrisant intitulé « Der Ferme Klang »

— Ecrit le dimanche 28 mai 2023 dans la rubriqueHistoire, Musiques”.

C’est un superlatif hommage à la musique somptueuse de sensualité luxuriante de Franz Schreker (Monte-Carlo, 23 mars 1878 – Berlin, 21 mars 1934)

que le chef Christophe Eschenbach,

à la tête du KonzertausOrchester Berlin, et avec le concours impressionnant de la  soprano Chen Reiss et du baryton Matthias Goerne _ quel luxe ! _

vient nous offrir en un double CD Deutsche Grammophon 486 3990, intitulé, en référence à l’opéra fameux du compositeur, « Der Ferne Klang« , créé à Francfort le 18 août 1912, « Der Ferne Klang » _ en français « Le son lointain« _ ;

avec un somptueux programme constitué de 7 œuvres du compositeur,

qui nous font percevoir comme jamais jusqu’ici le son musical idiosyncrasique _ lointain ? mais si proche du plus intime et frémissant de l’humain… _ de ce compositeur pas assez _ on comprend vraiment mal pourquoi ! _ donné de nos jours au concert, sur la scène ou au disque…

Voici trois beaux articles rendant l’hommage qu’il mérite à ce vraiment extraordinaire double album Deutsche Grammophon 486 3990 « Der Ferne Klang« 

consacré à un magnifique florilège de l’injustement trop méconnu encore des mélomanes Franz Schreker,

et cela dans l’ordre chronologique de leur parution sur les sites de Crescendo, ResMusica et Discophilia :

_ tout d’abord, en date du 21 mars dernier, sur le site de Crescendo,

la magnifique recension de Pierre-Jean Tribot, si justement intitulée, tout simplement, « Les multiples splendeurs de Franz Schreker » : 

Les multiples splendeurs de Franz Schreker

Le 21 mars 2023 par Pierre Jean Tribot

Franz Schreker(1878-1934)  : Der Ferne Klang. Orchestral Works & Songs. Nachtstück Interlude de l’acte III de l’opéra Der ferne Klang ; Valse lente ; KammersymphonieVon ewige Leben ; Fünf Gesänge ; Kleine SuiteRomantische Suite. Chen Reiss, soprano ; Matthias Goerne, baryton; Konzerthausorchester Berlin, direction : Christoph Eschenbach.  2021 et 2022. Livret en allemand et anglais. Texte chanté en allemand, traduction en anglais. DGG. 00028948639908

Le temps semble peu à peu arriver _ enfin ! L’histoire a de ces injustices !… _ d’un revival de l’œuvre de Franz Schreker. Au fil des saisons on voit poindre à travers l’Europe la programmation de certains de ses opéras ; même en Belgique, l’Opéra de Flandres avait monté son Forgeron de Gand (Der Schmied von Gent). Dans ce contexte, on accueille avec bonheur et impatience cette parution captée à Berlin qui nous propose un beau panorama d’œuvres orchestrales et deux cycles de lieder avec orchestre _ voilà.

L’écriture orchestrale de Schreker est caractérisée par un onirisme musical et sensitif _ sensualissime… _, une  instrumentation capiteuse et ensorceleuse _ voilà _ qui se déploie tant dans la puissance du grand orchestre, comme dans la superbe “Nachtstücke” tirée de l’opéra Der Ferne Klangque dans l’effectif instrumental chambriste de la Kammersymphonie ou de la Kleine suite. Le texte du livret de titre “Le maître du son” ne saurait être plus juste _ voilà _ face aux talents du compositeur qui peut délivrer une puissance digne d’un Strauss _ oui, son exact contemporain… _ et une finesse de traits _ oui ! _ qui sont ici aussi novateurs que personnels. On apprécie aussi la poésie _ absolument… _ d’un musicien dont chaque instant est une saynète dont la narration et les couleurs suggèrent une multitude d’imaginaires.

Christoph Eschenbach est un orfèvre _ oui _ qui cerne avec justesse les caractéristiques et la personnalité de cette musique. Sa direction est brillante et nuancée sans jamais en rajouter dans le démonstratif _ tout à fait… Le Konzerthausorchester Berlin est à la hauteur de la tâche avec un collectif puissant et des individualités majeures marquées par les pupitres de vents. Il déploie une palette de couleurs “fin de siècle” absolument superbes _ oui.

Les deux cycles de lieder Von ewige Leben _ sur des poèmes de l’immense Walt Whitman, excusez du peu ! _ pour soprano et orchestre et les Fünf Gesängpour baryton et orchestre sont d’autres grands moments de ce disque. L’interprétation bénéficie des performances exemplaires _ oui _ de Chen Reiss et Matthias Goerne qui font de chaque phrase un bijou ciselé avec passion. Rompu à l’accompagnement de Liederabend, Christoph Eschenbach est un partenaire attentif qui soigne les nuances.

Ce programme, inédit dans son concept, est une réussite artistique et musicale _ absolue. Individuellement, il existe d’autres très bonnes interprétations de la Kammersymphonie (Franz-Welser Möst à Salzbourg pour Warner) ou de la Romantische Suite (James Conlon à Cologne pour Warner), mais cet album, magnifié par une prise de son de démonstration _ voilà _, est une référence _ tout simplement…

Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot

_ ensuite, en date du 20 mai dernier, sur le site de ResMusica, un très bon article de Matthieu Roc, sobrement intitulé, lui, « Bel hommage de Christophe Eschenbach à Franz Schreker » :

Bel hommage de Christoph Eschenbach à Franz Schreker

Dans un très beau florilège de lieder et de pièces orchestrales baptisé « Le son lointain », comme son plus célèbre opéra, Christoph Eschenbach contribue à restituer à ce compositeur mal connu qu’est Franz Schreker le lustre qui lui a été usurpé.

Triste _ tragique _ destin musical, que celui de Franz Schreker. Après le démarrage de sa carrière sur des chapeaux de roue (triomphe de son opéra Der Ferne Klang en 1912, nomination au poste de directeur du conservatoire de Berlin en 1920…), sa carrière a été littéralement brisée par les nazis, qui l’ont persécuté et interdit de toute part. Il est étonnant _ et triste _ de constater que presque un siècle plus tard, Schreker peine encore _ pour quelles injustes raisons ? _ à reprendre la place qui est la sienne, celle d’un compositeur majeur _ voilà ! _ du début du XXᵉ siècle, de la même importance _ oui ! _ qu’un Gustav Mahler ou qu’un Richard Strauss. Certes, les mélomanes ont tous entendu parler de lui. Certes, on dispose de quelques belles gravures par-ci par-là, et on a joué il y a peu quelques-uns de ses plus beaux opéras (par exemple à Strasbourg en 2022, Der Schatzgräber), mais il nous manque toujours _ oui ! _ une belle intégrale, ou du moins de belles collections produites par des marques majeures. Espérons que ce très beau coffret publié par l’historique « Deutsche Grammophon Gesellschaft » marque le début d’une forme de reconnaissance et contribue à sortir Schreker de l’ornière où l’histoire l’a _ si injustement _ bloqué.

Le programme, composé comme une très longue symphonie lyrique _ oui _ en alternant des pièces orchestrales et des lieder avec orchestre, montre Schreker sous de nombreuses facettes _ en effet _ et donne une juste mesure de la profondeur _ le mot est très juste _ de son génie. Dès les premières mesures du _ sublimissimeNachtstück, on est saisi par la splendeur _ oui !!! _ des élans profonds et mesurés de ce nocturne, et par le scintillement _ vibrant et doux à la fois _ de cette nuit obscure. D’abord crépuscule nostalgique, la nuit devient peu à peu un océan magnifique de couleurs ombrées et trans-illuminées. Si Schreker fait parfois penser à ses contemporains, Mahler, Zemlinsky, Schönberg, et surtout Pfizner, il est avant tout quelqu’un qui a parfaitement appris, compris et digéré son Wagner _ sans doute. Plus mondaine, plus claire, la Valse lente apporte un peu de fraîcheur dans une œuvre toujours marquée par la gravité et la retenue _ les deux, en effet _ des émotions. La Kammersymphonie (déjà enregistrée par Eötvös, Gielen, Neuhold et Welser-Möst…) déploie ses chatoiements délicieux, et ses contrastes pseudo-mahlériens dans un luxe de couleurs proche de l’hallucination sonore. Tout aussi grisants et magnifiques _ oui _ sont la Kleine Suite et la Romantische Suite. Christoph Eschenbach est parfait _ voilà ! _ pour diriger ces œuvres, à la fois profondément lyrique _ oui... _, mais d’un lyrisme un peu gourmé, sans étalage excessif de sentimentalité. Il excelle surtout à tisser des lignes qui s’entrelacent et magnifient l’écriture subtile et raffinée _ oui _ de Schreker. Le Konzerthaus orchester de Berlin le suit admirablement dans ses intentions, très clair de texture _ oui, lumineux _, pouvant prendre à loisir des allures d’orchestre de chambre comme de grand philharmonique.

Schreker a laissé peu de Lieder, et ceux-ci sont des œuvres très abouties, riches _ à la fois _ par leur texte et par leur orchestration. Von ewigen Leben propose une méditation métaphysique d’une poésie dense _ des merveilleuses et somptueuses « Leaves of grass » , ce chef d’œuvre absolu de l’immense et sublime Walt Whitman _, à partir d’herbe, de feuilles ou de racine. La ligne de chant, acrobatique, s’insinue dans l’orchestration et s’y fond progressivement. Chen Reiss y est superbe à tout point de vue. Elle chante comme un ange _ oui ! _, se joue de tous les écarts de sa partie, et son élocution est très suffisante. Matthias Goerne, dans les Fünf Gesänge, est d’une trempe encore supérieure _ de présence _ : toujours royal voire prophétique _ voilà ! _, il trouve des couleurs de timbre qui se superposent à celles de l’orchestre et porte ses poèmes jusqu’à l’incandescence _ oui. Sa façon d’accepter la mort au terme de son cycle est simplement sublime _ oui.

Ceux qui aiment la Quatrième de Mahler, le Lied von der Erde de Mahler et la Lyrische Symphonie de Zemlinsky _ comparaisons tout à fait intéressantes ! _ n’hésiteront pas, et acquerront rapidement cet album magnifique _ indispensable même ! Il se situe au même niveau de grandeur, de poésie et de beauté _ voilà : c’est tout dire…

Franz Schreker (1878-1934) :

Nachtstück (tiré de l’opéra Der ferne Klang ) ; Valse lente ; Kammersymphonie ; Vom ewigen Leben (deux lieder) ; Fünf Gesänge für tiefe, oder mittlere Stimme (cinq lieder) ; Kleine Suite ; Romantische Suite op. 14.

Chen Reiss, soprano ; Matthias Goerne, baryton ; Konzerthausorchester Berlin, direction : Christoph Eschenbach.

2 CD Deutsche Grammophon.

Enregistrés au Konzerthaus de Berlin en mars, mai et juin 2021.

Texte de présentation et traductions en anglais.

Durée totale : 127:19

_ et enfin, en date du 22 mai, l’article justissime, intitulé » « Le son d’un nouveau monde« , qu’a donné Jean-Charles Hoffelé, sur son site Discophilia :

LE SON D’UN NOUVEAU MONDE

18 août 1912 : lorsque le rideau de l’Opéra de Francfort se lève sur la création du Son lointain _ l’opéra _, on est à deux ans de la première déflagration mondiale. Gustav Mahler s’était éteint l’année précédente. Est-ce une élégie à sa mémoire que Franz Schreker compose dans le saisissant nocturne _ la plage première, de 17′ 29″, du premier CD de ce double très riche album… _ qui sert d’entr’acte à son double CD intitulé Ferne Klang ? Christoph Eschenbach souligne l’hommage probable, comme il fera paraître derrière les diaprures de célesta de la Kammersymphonie les klangfarben de la Seconde École de Vienne.

À la croisée des chemins de la modernité, Franz Schreker perçoit la musique d’autres mondes, il échappera toujours aux écoles, mais pas à la fureur des Nazis qui détestent son art sensuel, ses teintes décadentes, ses sujets sexuels, simplement sa judéité _ voilà.

..

Avec son nouvel orchestre berlinois, Christoph Eschenbach raffine _ c’est somptueux ! _ les sensualités d’une écriture entre mystère et érotisme, avec ses touches d’or, son hommage à un romantisme déjà englouti (la Suite, Op 14) par les temps nouveaux, le ton un peu néo-baroque (avec saxophone) de la Kleine Suite, son panthéisme incarné dans Von ewigen Leben par une appropriation fascinante de deux poèmes de Walt Whitman dans leur traduction allemande dont Chen Reiss embaume les divagations de son timbre ambré _ c’est très exactement cela..

Merveille !, qui ne doit pas en cacher une autre, plus sombre et encore moins courue au disque. Ces Fünf Gesänge écrits à cheval sur la Grande GuerreSchreker les commence en 1909 pour les parachever en 1922 – dont Matthias Goerne murmure les mystères teintés de symbolisme, caresse les abimes opiacés, cycle majeur du lied postromantique que le disque avait jusque-là confié à une mezzo. Le grand violoncelle du baryton en ouvre les abimes philosophiques, en dévoile les sombres paysages.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schreker (1878-1934)


Der ferne Klang – Nachtstück
Valse lente
Kammersymphonie
2 lyrische Gesänge*
5 Gesänge**
Kleine Suite
Romantische Suite, Op . 14

*Chen Reiss, soprano
**Matthias Goerne, baryton
Konzerthausorchester Berlin
Christoph Eschenbach, direction

Un album de 2 CD du label Deutsche Grammophon 4863990

Photo à la une : le chef d’orchestre Christoph Eschenbach – Photo : © Marco Borggreve

 

Une réalisation absolument indispensable de beauté.

Écoutez-en ici les sublimissimes 17′ 28″ du Nachstück (intermède de l’acte III de l’opéra « Der Ferne Klang« )… 

Ce dimanche 28 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

L'envoie de commentaire est désactivé

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur