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Karol Beffa, ou « l’intelligence très sensible » _ de la musique, bien sûr et d’abord, mais pas seulement…

26mar

Hier vendredi 25 mars, je me suis entretenu une bonne heure durant, pour un entretien vidéocasté (sans public), avec Karol Beffa, à propos de son passionnant livre _ et qui lui tient très à cœur _ « L’autre XXe siècle musical« .

Je m’étais déjà entretenu avec Karol Beffa, et en cette même Station Ausone, et cette fois en présence du public, pour la séance inaugurale des conférences de la saison 2016-2017 de la Société de Philosophie de Bordeaux _ dont j’étais (et suis) vice-président… _, sur le sujet, cette fois-là de « Ce que nous fait la musique« …

L’ami Étienne Bimbenet s’entretenant avec son ami le philosophe Francis Wolff.

Et ces deux fois, la librairie Mollat avait bien voulu agréer ma proposition de recevoir pour un entretien en son lieu prestigieux les invités eux-mêmes prestigieux que je proposais de recevoir…

J’avais déjà rencontré deux fois Karol Beffa, au Festival Philosophia de Saint-Émilion :

_ la première fois, c’était lors d’un conférence _ avec illustration musicale _ de Francis Wolff, avec Karol Beffa en « illustrateur musical » _ de luxe ! _ au piano, en l’église collégiale de Saint-Émilion le samedi 30 mai 2015 ;

_ et la seconde fois, un an plus tard, le samedi 28 mai 2016, lors d’une conférence de Karol Beffa lui-même, sur le thème de « la culture« , dans les Douves du Manoir Galhaud : le sujet en était précisément « Création et créativité » _ cf ce que j’en rapportais en mon décidément bien utile article du 1er juin 2016 : « « 

Et c’est à l’issue de cette conférence, ce 28 mai-là, dans les Douves ensoleillées du Manoir Galhaud, que je me suis présenté à Karol Beffa, en lui demandant si il accepterait de venir parler de musique (et de création musicale) pour la séance inaugurale de notre Société de Philosophie de Bordeaux…

Ce que je m’offrais à aller proposer au plus vite et à notre Société de Philosophie de Bordeaux, et à la Librairie Mollat. Et qui allait être agréé. 

Le 1er juin suivant, dans la foulée, je publiais sur mon blog Mollat « En cherchant bien » mon article intitulé « « …

Ici, j’éprouve le désir rétrospectif de reproduire deux bien significatifs courriels, en date des 19 et 20 octobre 2016,

le premier à quelques amis,

et le second à Karol Beffa lui-même,

en leur adressant le podcast _ réduit à de bien pauvres 32′ _ de l’entretien que l’ami Étienne Bimbenet a eu avec son ami Francis Wolff, et moi-même, Francis Lippa, avec Karol Beffa :

d’abord, ce courriel à quelques amis, en date du 19 octobre 2016, à 18h 57 :

Le podcast (de 32’) de la partie « Entretien » avec Karol Beffa et Francis Wolff vient de paraître à l’instant sur le site de la librairie Mollat.


Voici un lien pour l’écouter :

Pour me consoler (un peu) de ce à quoi s’est réduit cette rencontre (et son podcast accessible réduit à 32’),
je me représente Karol Beffa en Igor Wagner,
le pauvre accompagnateur de cette Bianca Castafiore que serait Francis Wolff
même si nous avons eu en la personne de Karol Beffa un accompagnateur de luxe in vivo.
Afin de s’esquiver (de Moulinsart) pour aller (au village) jouer aux courses,
Igor Wagner use d’un subterfuge : il se fait remplacer par un enregistrement de magnétophone
débitant obstinément les gammes auxquelles il est sensé s’exercer à son piano…
La ressource finale est d’écouter (et regarder) sur youtube les passionnantes « Leçons » de Karol Beffa au Collège de France (à la chaire de création artistique),
telles que j’en donne les liens dans mon article du 1er juin dernier :
Mais je ne désespère pas de faire revenir Karol Beffa pour parler de son activité de composition (et de celle de György Ligeti).
On peut lire aussi son « Les Coulisses de la création », avec Cédric Villani.
Francis
Ensuite, ce courriel à Karol Beffa lui-même, en date du 20 octobre 2016, dans lequel j’aborde la question de la mélancolie au sein de sa propre poïétique musicale de compositeur :

Cher Karol,

en attendant un article un peu conséquent (et peaufiné) sur cette séance inaugurale de la Société de Philosophie de Bordeaux,
voici un lien vers le podcast (de 32’) de la partie enregistrée :
Si je suis heureux que l’ami Etienne Bimbenet ait pu bien écouter Francis Wolff sur « Ce que nous fait la musique » et s’entretenir avec lui,
ainsi que de l’assistance très nombreuse à cette manifestation _ jamais cette salle n’avait été jusqu’ici aussi remplie _,
je le suis un peu moins d’avoir dû renoncer à m’entretenir avec vous des questions de poïétique qui m’intéressent,
suite à votre passionnant entretien avec Hélène Lastécouères du 28 mai à Saint-Émilion, et à vos « Leçons au Collège de France » ;
et qui m’avaient amené à organiser cette rencontre chez Mollat…
Mais la question des « souffrances »
et de la « mélancolie » dont vous parlez parfois à propos de votre travail de composition,
et qui est aussi la couleur de la plupart, dites-vous, de vos œuvres, du moins jusqu’ici,
continue de me travailler.
Outre l’écoute des divers extraits de vos œuvres (non disponibles hélas pour le moment en CDs) accessibles sur youtube,
une bien intéressante interview de vous par Eva Bester, le 28 juillet 2014, sur France-Inter, dans l’émission « Remède à la mélancolie »
m’encourage à creuser ce sillon…
Vous y reconnaissez « un naturel mélancolique, probablement »
En réfléchissant un peu autour de vos principes esthétiques
_ plutôt « transpiration » qu’« inspiration », et ici j’ai pensé, bien sûr, à Paul Valéry
que, m’interrogeant sur la « singularité Durosoir », j’évoque dans mes propres contributions au colloque « Lucien Durosoir » au Palazzetto Bru-Zane, à Venise, en février 2011 _,
j’ai trouvé un article bien intéressant de Jacques Darriulat : « la Poïétique de Paul Valéry » : http://www.jdarriulat.net/Auteurs/Valery/ValeryIndex.html
Même si je ne partage pas tout à fait ces positions intellectualistes…
J’aime aussi Sainte-Beuve…
Bref, je voudrais développer une autre fois ces questions avec vous.
Et je sais qu’à la librairie Mollat on vous réinvitera.
Et enfin, ce qui est une coïncidence de plus,
après celle de la voïvodie _ de la Galicie autrichienne, de 1772 jusqu’en 1918, puis polonaise de 1919 à 1945, puis soviétique en 1945, et aujourd’hui ukrainienne depuis 1991 _ de Stanislawow _ et la contiguité des villes de Tysmienica (aujourd’hui Tysmenytsia) et Stanislawow (aujourd’hui Ivano-Frankivsk) : les villes de naissance de nos pères, le vôtre en 1943, et le mien en 1914… _,
voici que vous séjournez régulièrement au château de Mazères, chez vos amis de Margerie,
à Barran, dans le Gers,
où se trouve une propriété familiale de mon gendre Pascal,
qui s’est souvent baigné, enfant, au château de Mazères…
Bien à vous, cher Karol,
Francis Lippa, à Bordeaux
Bref, vous voilà donc, cher Karol, maintenant revenu à la Station Ausone pour un nouvel et absolument magnifique entretien,
pas tout à fait directement sur le sujet de votre propre Poïétique musicale de compositeur, en sa singularité,
mais au moins à propos de celle de compositeurs du XXe siècle dont vous vous sentez, sur tel ou tel point de poïétique musicale, proche ; que vous aimez _ voire chérissez, même si votre enthousiasme s’exprime toujours avec beaucoup de retenue et modération… _ tout particulièrement ; et souhaitiez fermement voir un peu mieux reconnus à une plus juste place en leur siècle de composition…
Bien sûr, j’espère que ce passionnant, riche, précis _ très heureusement détaillé _ premier volume de ce « L’autre XXe siècle musical« , sera bientôt suivi d’un autre qui portera le focus sur d’autres compositeurs que vous appréciez beaucoup, eux aussi, et estimez devoir, eux aussi, mieux faire reconnaître à une plus juste place parmi les compositeurs majeurs du XXe siècle…
Ce samedi 26 mars 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Karol Beffa, Prix du Compositeur de l’année aux Victoires de la musique classique 2018, à Evian

07mar

Du compositeur Karol Beffa

_ qui vient de recevoir, le 23 février dernier, à la Grange-au-Lac, à Evian, le prix du compositeur de l’année, aux Victoires de la musique classiques 2018 _,

nous demeurons très attentif à l’œuvre, en la richesse de sa grande diversité.

Outre un superbe Bateau ivre, pour orchestre _ sous l’inspiration, forcément, puissante de Rimbaud ? _,

Karol Beffa a ajouté au nombre de ses créations récentes, un émouvant Tenebrae,

un quatuor pour flûte, violon, alto & violoncelle _ en deux mouvements, du moins pour l’instant : y aura-t-il une suite ? En cet état, Tenebrae dure 10′.

 

Nous connaissons bien Karol Beffa,

avec lequel je me suis déjà _ mais trop brièvement _ entretenu à la Station Ausone le 11 octobre 2016, pour son passionnant Comment parler de musique ? ;

sur ce livre,

ainsi que sur ses 8 merveilleuses Leçons au Collège de France (du 25-10-2012 au 17-1-2013),

cf mon article  » sur mon blog En cherchant bien en date du 1er juin 2016.

Ces 8 passionnantes et très riches Leçons étaient les suivantes _ et elles sont par ces liens aux vidéos, visibles et écoutables _ :

1) « Comment parler de musique ?«  (25-10-2012)

2) « Clocks and Clouds : le Clocks«  (22-11-2012)

3) « Qu’est-ce que l’improvisation ?«  (29-11-2012)

4) « Clocks and Clouds : le Clouds«  (6-12-2012)

5) « Musique et imposture«  (13-12-2012)

6) « Comment accompagner un film muet ?«  (20-12-2012)

7) « Bruit et musique«  (10-1-2013)

8) « Sur quelques mouvements lents de concertos de Mozart«  (17-1-2013)

Sept de ces conférences ont été publiées en mars 2017 en version papier sous le titre Parler, composer, jouer : 7 leçons sur la musique, aux Éditions du Seuil.

 

Maintenant,

j’attends avec curiosité de pouvoir bien écouter ces Tenebrae _ prolongée, ou pas, d’autres mouvements ?..au disque…


Et de m’entretenir, à nouveau, avec Karol Beffa

sur les joies (et anxiétés !) de son travail de compositeur,

pour prolonger les remarques du passionnant dernier chapitre, intitulé Créativité,

de son Par volonté et par hasard _ théorie et pratique de la création musicale,

paru le 15 février dernier aux Presses de la Sorbonne. 



Ce mercredi 7 mars, Titus Curiosus – Francis Lippa

Par volonté et par hasard : l’intéressant et assez significatif récit de parcours de Karol Beffa, aux Editions de la Sorbonne

27fév

Ce _ 15 du _ mois de février 2018, paraît aux Éditions de la Sorbonne _ dont s’occupent Marie Brunet et Pierre Singaravélou _, et dans la collection « Itinéraires » _ dont ce récit constitue le numéro 11 ; la collection a été inaugurée en 2010 par le très remarquable livre de l’excellent Patrick Boucheron Faire profession d’historien _, un très intéressant en même temps qu’assez significatifd’un parcours professionnel brillantissime (de réussite) _ ouvrage du _ d’abord, ou principalement _ compositeur Karol Beffa _ né le 27 octobre 1973, à Paris _, très précisément intitulé Par volonté et par hasard _ Théorie et pratique de la création musicale

dont voici un résumé :

« Le compositeur et pianiste franco-suisse _ avec, par son père Richard Zuber (venu en France en 1967), des racines polonaises galiciennes _ revient sur son parcours _ le mot est plus beau que celui de « carrière«  ; et a, aussi et surtout, un tout autre sens !.. _ et livre ses réflexions autour de la composition, de la théorie, de la recherche et de la création musicales. Il expose sa conception de la musique, établissant des liens naturels _ comment l’entendre ? Y-a-t-il rien de naturel dans les activités et œuvres de la culture ? ce mot de « naturel« , ici, me gêne un peu ; mais Karol Beffa évoque ici ses propres impulsions, puissantes, à ainsi « lier« , « relier« , « passer à quelque chose d’autre », « épanouir« , « faire éclater et se répandre ce qui est encore refermé sur soi-même« , « voyager dans de l’ailleurs« , « passer quelque limite » ou « franchir quelque frontière«  _ entre la composition, la pratique, l’improvisation et la transmission. »

ainsi que la Quatrième de couverture :

« En même temps que je commençais à m’imaginer _ on peut en fixer la date (et le lieu) : en 1996-97, lors de son séjour à la Hochschule der Künste, à Berlin _ en compositeur, je décidais de devenir musicologue » _ c’est là une auto-citation : la phrase ouvre, page 27, le chapitre intitulé « Composition« . Jamais je n’aurais pensé _ du fait précisément des diverses étapes extrêmement ouvertes de ce parcours _ qu’il soit possible de dissocier _ séparer (et calfeutrer) par des parois strictement étanches _ composition et théorie musicale, recherche et création _ Karol Beffa a cette forme (fécondissime !) d’esprit d’interconnexions dynamiques là, qui reste hélas assez étrangère à la plupart des Français. Inversement, il m’était difficile d’imaginer devenir un compositeur qui ne soit pas aussi _ en même temps _ un praticien, c’est-à-dire un transmetteur _ fondamentalement passeur _ : instrumentiste, mais aussi accompagnateur, improvisateur et, bien entendu, enseignant _ voilà ! Mon parcours _ voici à nouveau ce mot décidément important (et plus beau que celui, socio-économique, de « carrière« ) _ ne s’est pas présenté à moi comme un effort pour affranchir, puis concilier des disciplines ou des domaines dont le cloisonnement _ voilà _ m’étouffait. Je l’ai vécu intimement comme le déploiement naturel _ encore ! selon quels types d’évidences ? personnelles puissantes, il faut y insister !.. _, logique et nécessaire _ en quoi donc ? et comment ? et pour qui ? pour lui ! _ d’une conception personnelle _ dans quelle mesure ? en tout cas, caractéristique de son idiosyncrasie ! _ de la musique, élaborée dans un va-et-vient incessant et fécond _ voilà !!! _ entre la solitude _ heureuse ? douloureuse ? les deux mêlés : il commence de s’en expliquer en son chapitre terminal « Créativité« , aux pages 149 à 155 ; et c’est à la fois crucial et fondamental ! _ du chercheur ou du compositeur, et le partage avec les publics académiques ou mélomanes, ainsi qu’avec les autres arts, en particulier la littérature et le cinéma » _ avec allers-retours incessants.

Tout cela me rend Karol Beffa extrêmement sympathique, alors que je suis aussi, en même temps, un peu irrité, quand il m’arrive, à l’occasion, de l’entendre un peu trop se plaindre, à mon goût, des affres qu’il dit subir du travail de composition-création !!! Et il l’écrit ici, à nouveau, avec la plus grande sincérité !

Que ne reconnait-il pas davantage, aussi, combien il est (ne serait-ce que socio-économiquement ; même si ce n’est certes pas tout !) privilégié de pouvoir se livrer aussi librement à de telles activités ludiques, dans de telles conditions (aisées et souvent luxueuses) de réalisation, et avec autant d’interlocuteurs-complices musiciens, et autres, de pareille haute qualité !!! Ce ton plaintif m’a, par deux fois _ à Saint-Emilion, puis lors de mon entretien avec lui, à la Station Ausone _, irrité…

Mais, après tout, peut-être est-ce là son tempérament ; ou le fruit de son histoire personnelle… Il n’est peut-être pas machiavélien comme j’ai pu me l’imaginer parfois.
Il continue, en tout cas, de beaucoup m’intéresser…

Karol Beffa m’intéresse donc à la fois comme compositeur et créateur _ entre autres de ses passionnantes riches activités tous azimuts _,

et comme personne singulière _ avec ses mystères : c’est un homme très discret, voire secret ;

et il se trouve que je suis personnellement curieux des parcours singuliers des personnes ; tout spécialement, pour ce qui le concerne, lui, en particulier quant à ses filiations polonaises galiciennes, proches des miennes…

Cf mon article du 1er juin 2016 :

»

ainsi que le podcast de mon entretien avec lui à la Station Ausone, le 11 octobre 2016,

en ouverture de la saison 2016-2017 de la Société de Philosophie de Bordeaux _ dont je suis vice-président _,

à propos notamment, de son très remarquable et passionnant, déjà, Comment parler de musique ?

Viennent aussi de paraître, tout récemment _ le 9 mars 2017 _ en format papier, ses magnifiques Leçons au collège de France : Parler, composer, jouer : sept leçons sur la musique, aux Éditions du Seuil ;

ainsi que _ le 18 janvier dernier _ Diabolus in opéra : composer avec la voix, aux Éditions Alma.

Dans sa riche et très intéressante bibliographie,

il faut relever, bien sûr, ce tout à fait passionnant livre à deux, avec son ami Cédric Villani : Les Coulisses de la création _ paru le 4 novembre 2015 aux Éditions Flammarion…

Ce mardi 27 février 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’intelligence très sensible de la musique du magnifique Karol Beffa : de lumineuses Leçons au Collège de France

01juin

Samedi dernier, à Saint-Émilion, au Festival Philosophia, consacré cette année à « la culture« ,

j’ai eu le très vif plaisir d’écouter pour la seconde fois in vivo Karol Beffa :

déjà l’année dernière, Karol Beffa intervenait brillamment _ mais sans prendre la parole, ou du moins, peu _ comme illustrateur musical _ seulement, mais ses (superbes !) interventions au piano étaient, quoique brèves, déjà très prenantes (et, paradoxalement, très parlantes !) : que ce soient l’interprétation de pièces importantes de la musique occidentale (Bach, Mozart, Chopin, Schumann, etc.), ou de passionnantes improvisations, à la demande, à propos des caractères objectifs ou subjectifs de la musique… _ de la conférence de son ami le philosophe Francis Wolff, sur le sujet de Pourquoi la musique ?

En suite de quoi, j’avais acquis illico presto le merveilleux CD (chez Aparté) de ses œuvres _ dont un concerto pour alto de toute beauté ! Mais toutes les œuvres de ce CD sont belles ! _ intitulé Into the dark

Aussi était-je bien décidé à l’écouter parler cette fois _ en dialogue avec l’excellente Hélène Lastécouères, dans les Douves du Manoir Galhaud ; et sous le soleil, après avoir subi un déluge de pluie sur la route, de Bordeaux à Libourne… _ d’une question qui me tient tout particulièrement à cœur,

ainsi qu’en fait foi, ce blog même, et ce depuis son ouverture, le 3 juillet 2008 _ cf mon article de présentation : Le Carnet d’un curieux ; il n’a pas pris une ride !.. _ :

création et créativité !

Soient les sentes et arcanes de la poïétique.

Eh bien ! ce fut parfait d’intelligence sensible des processus complexes et subtils, souvent paradoxaux, à l’œuvre dans toute démarche de création, et d’abord, bien sûr, artistique,

avec force exemples extrêmement parlants…

Aussitôt, dès le lundi, je me suis précipité au rayon Musique de ma librairie Mollat, d’abord pour faire part de la chose à Vincent Dourthe, et me procurer ce qui pouvait compléter, en CDs de Karol Beffa, ma discothèque. Pas grand chose, sur le moment, à l’exception de cet Into the Dark que je possède déjà, et du quintette à vents Five O’clock, par le Quintette Klarthe, sur le CD French Touch. Mais je reviendrai préciser ce que je désire commander en priorité (dont Blow up). Et en attendant, je me suis procuré le György Ligeti de Karol Beffa, qui vient tout juste de paraître _ ce 18 mai _ chez Fayard.

À l’exemple fort avisé d’Hélène Lastécouères _ parfaite interlocutrice _,

je viens aussi d’écouter _ toute la journée d’hier _ avec délices les 8 magistrales Leçons que Karol Beffa a brillamment données au Collège de France, du 25 octobre 2012 au 17 janvier 2013, accessibles, toutes, sur you tube :

une merveille d’explication parfaitement claire et accessible à tout un chacun _ notamment par le détail de ses exemples, musicaux ou pas _, d’intelligence éminemment sensible de ce qu’est la musique se faisant _ d’abord dans l’activité de composition, et aussi l’improvisation… _, de la part d’un artiste tout à la fois compositeur, interprète, improvisateur et analyste d’œuvres, et merveilleusement pédagogue _ « un génie« , m’a glissé Daniel Truong-Loï, croisé trois secondes à Saint-Émilion, et me présentant à Karol Beffa un quart d’heure avant la conférence à laquelle je me rendais (et je veux bien le croire), quand je l’ai eu au téléphone le lundi soir suivant… _ ;

permettant de « mettre en position _ qui l’écoute ou le lit _ de mieux entendre » _ au double sens de percevoir comme de comprendre avec le mieux possible de pertinence _ les œuvres musicales, à commencer par « aborder _ l’écoute de l’œuvre _ avec empathie« , et grâce à un discours sur la musique orienté en toute priorité vers « une écoute véritablement accompagnée » : en s’efforçant de dégager, dans le cheminement musical, à percevoir, ce que Karol Beffa nomme « la direction intentionnelle » du compositeur, au fil, pas à pas, de la riche matière sonore musicale de l’œuvre défilant _ face à un texte philosophique à expliquer et commenter, le sésame impératif, enseignais-je à mes élèves de Terminale, au lycée, est de d’abord « dégager l’intention directrice de l’argumentation de l’auteur » ; une telle démarche valant pour toute œuvre de sens à décrypter…

Aussi tiens-je à proposer d’abord ici, sur mon blog, et de toute urgence, la liste des liens aux podcasts et films de ces 8 lumineuses conférences de Karol Beffa au Collège de France, en 2012-2013 :

1) « Comment parler de musique ?«  (25-10-2012) : https://www.youtube.com/watch?v=UL74PdbYMOk

2) « Clocks and Clouds : le Clocks«  (22-11-2012) : https://www.youtube.com/watch?v=a4OvWdvyI9w

3) « Qu’est-ce que l’improvisation ?«  (29-11-2012) : https://www.youtube.com/watch?v=S-f-_4uKRuM

4) « Clocks and Clouds : le Clouds«  (6-12-2012) : https://www.youtube.com/watch?v=a4OvWdvyI9w

5) « Musique et imposture«  (13-12-2012) : https://www.youtube.com/watch?v=xxT4d5q_hgQ

6) « Comment accompagner un film muet ?«  (20-12-2012) : https://www.youtube.com/watch?v=d7AwZBOqJE8

7) « Bruit et musique«  (10-1-2013) : https://www.youtube.com/watch?v=9D11FUefN8I

8) « Sur quelques mouvements lents de concertos de Mozart«  (17-1-2013) : https://www.youtube.com/watch?v=UPDvW_UUQyM

Après l’un peu « officielle » Leçon inaugurale 1) « Comment parler de musique ? » du 25 octobre 2012 _ non suivie de séminaire, elle, et disponible sous forme de livre, aux Éditions Fayard, dans la collection « Leçons inaugurales du Collège de France«  _,

chaque Leçon de Karol Beffa _ épanoui et heureux, jubilant même, les sept leçons ensuite, du 22 novembre au 17 janvier _ fut suivie d’un séminaire offrant la parole à un invité choisi,

dont voici, aussi, des liens aux videos :

2) « Les 2 corps de l’instrument et les 2 corps de l’instrumentiste«  (22-11-2012), par Bernard Sève : http://www.college-de-france.fr/site/karol-beffa/seminar-2012-11-22-15h00.htm

3) « D’où nous viennent nos idées ? et comment évoluent-elles ? La créativité en mathématiques et en musique«  (29-11-2012), par Cédric Villani : https://www.youtube.com/watch?v=3EHgohENTX0

4) « Musique et image L’exemple de Karol Beffa«  (6-12-2012), par Michel Gribenski : http://www.college-de-france.fr/site/karol-beffa/seminar-2012-12-06-15h00.htm

5) « L’imposture chez Nietzsche et Wagner«  (13-12-2012), par Guillaume Métayer : http://www.college-de-france.fr/site/karol-beffa/seminar-2012-12-13-15h00.htm

6) « L’atonalisme. Et après ?«  (20-12-2012), par Jérôme Ducros : http://www.college-de-france.fr/site/karol-beffa/seminar-2012-12-20-15h00.htm

7) « Théâtre : un lieu où l’on entend. Vers une histoire de la scène moderne (XIXe – XXIe siècles)«  (10-1-2013), par Marie-Madeleine Mervant-Roux : http://www.college-de-france.fr/site/karol-beffa/seminar-2013-01-10-15h00.htm

8) « Pourquoi la musique ?«  (17-1-2013), par Francis Wolff : https://www.youtube.com/watch?v=abkcOlYZ61s

Deux petites remarques, pour commencer, à propos de ces conférences.

La première porte sur le couple musical de clocks and clouds sur lequel aime particulièrement se focaliser en son œuvre propre Karol Beffa, et qu’il emprunte à György Ligeti (1923 – 2006), compositeur de référence _ et dont une œuvre (en 1972) porte ce titre de Clocks and clouds_ pour lui. 

Ce couple de clocks and clouds caractérise en effet des tropismes cruciaux de l’œuvre musical de Ligeti, marqués par les influences, assumées et même revendiquées, d’œuvres de Bartok, pour ce qui concerne le clock _ d’après un souvenir d’enfance de Ligeti, de cloches d’un village de la puszta hongroise, et un roman de Gyula Krùdy _,  et d’œuvres de Debussy _ dont la pièce Nuages _, pour ce qui concerne le cloud.

La création éminemment (et magnifiquement) cultivée de Karol Beffa, aux antipodes de la tabula rasa, donc, prend appui sur des formes parfaitement assumées, tirées, en leur impulsion de départ, de chefs d’œuvre de la grande tradition musicale _ mais pas envisagée comme tradition, massive et à suivre pour s’y conformer, mais au contraire comme riche de micro-liens paradoxaux à dénicher et cultiver (enfin, en quelque sorte), par l’invention du compositeur se ressourçant ainsi, en dialogue (improvisateur et créateur) quasi permanent, à travers le temps, avec ces œuvres magnifiquement inspiratrices… _, assimilés et transcendés, et comme développés, par lui, comme par d’autres…

D’où le concept malicieusement paradoxal de « plagiat par anticipation« , que Karol Beffa emprunte aux facétieux Pierre Bayard, d’abord, et plus haut, en amont, François Le Lionnais (de l’Oulipo) _ cette dimension de facétie étant, d’ailleurs, assez présente dans le discours, sinon dans la musique aussi, de Karol Beffa ; comme en témoigne l’usage le plus courant, mais pas exclusif, loin de là, de la « parodie« 

Ma seconde remarque concerne Bernard Sève :

Bernard est un ami _ c’est Daniel Truong-Loï, qui fut son élève en Khâgne à Lyon, qui me l’a fait connaître, en 2002 _ avec lequel j’ai eu le plaisir de m’entretenir _ comme interlocuteur-questionneur (modérateur, dit-on) des conférences à propos de ses livres _ à diverses reprises, chez Mollat ou à la Machine à lire : pour L’Altération musicale, en 2002 ; pour Montaigne _ des règles pour l’esprit, en 2007 ; et pour L’Instrument de musique _ une étude philosophique, en 2013 ; et que j’ai revu tout récemment avec joie le 25 mars dernier à la MSHA de Bordeaux-3, pour une passionnante très riche journée Montaigne destinée aux doctorants.

Sur le fond de l’intervention de Karol Beffa à Saint-Émilion, samedi dernier, à propos de « création et créativité« ,

et en une époque qui porte aux nues l’idée, sur fond de concurrence généralisée, de création individuelle,

et fait de la créativité tous azimuts une sorte de nécessité socio-professionnelle universelle,

je dois dire que, partageant la plupart des thèses, très fines, de Karol Beffa, je demeure un peu sceptique sur la place qu’il accorde à la douleur au sein du processus même de création, du moins pour ce qui concerne le témoignage qu’il développe à propos de son propre travail de composition, au détriment de la joie…

Et alors même qu’il met très haut les exemples de l’heureux _ en effet ! surtout dans sa jeunesse prodige ! cf ses merveilleuses symphonies pour orchestre à cordes ; ou son sublime Octuor ! _ Félix Mendelssohn _ que j’aime tout particulièrement, moi aussi _, ainsi que de Mozart _ « le plus grand de tous« , pour Karol Beffa ; oui, Mozart est sublime ; tout spécialement dans ses concertos et ses opéras (dont je viens de faire une cure !)… _, tous deux exemples de création éminemment heureuse…

J’ai pour ma part réfléchi à tout cela,

ne serait-ce que pour mes contributions au colloque de Venise, le 19 février 2011, au Palazzetto Bru-Zane, « Un Compositeur moderne né romantique : Lucien Durosoir (1878 – 1955) » :

« Une poétique musicale au tamis de la guerre : le sas de 1919 _ la singularité Durosoir« 

et « La poésie inspiratrice de l’oeuvre musical de Lucien Durosoir : Romantiques, Parnassiens, Symbolistes, Modernes« .

Cf aussi les (denses) articles de ce blog

du 15 juillet 2011 « Comprendre les musiques : un merveilleux gradus ad parnassum _ les « Eléments d’Esthétique musicale : notions, formes et styles en musique » aux éditions Actes-Sud / Cité de la musique, sous la direction de Christian Accaoui » ;

du 2 août 2011 « Comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée » » ;

et du 20 août 2011 « L’aventure d’écriture d’un curieux généreux passionné de musique, Romain Rolland : le passionnant « Les Mots sous les notes », d’Alain Corbellari, aux Editions Droz« ,

passionnants à la relecture…

À mes yeux,

il faut (et énergiquement même !) se déprendre du modèle (maniaco-dépressif) romantique _ sur-valorisant l’expression (de l’individu), au sein du processus de création-composition des œuvres _, trop prégnant encore, en son dolorisme, dans nos imaginaires _ de mélomanes surtout, et « consommateurs«  de musique… _ du XXIe siècle _ probablement du fait de la sur-valorisation (idéologique) du romantisme dans le cursus scolaire _ ;

alors que ce modèle doloriste romantique (avec la tyrannie de l’Idéal du Moi infatué, qui le sous-tend et l’accompagne quasi indélébilement) ne domine, en fait, que dans une période bien circonscrite de l’histoire des Arts _ celle, « romantique« , émergeant au tournant du XVIIIe siècle, où vient triompher très vite le marché concurrentiel des artistes, et la course sociale de ceux-ci à l’apparente (marchande) originalité ; au détriment de la qualité vraie (non marchande) des œuvres mêmes… Période où s’exagère, aussi, la performance virtuose, à admirer (et vendre et acheter), du médiateur des œuvres de musique, l’interprète ; tel un Franz Liszt, initiateur de ce star system

Karol Beffa adopte des thèses bien moins doloristes dans ses Leçons au Collège de France _ de même que dans son passionnant Les Coulisses de la création, avec Cédric Villani, par exemple au chapitre 7 « Souffrances«  ;

toutefois je note aussi que le choix du terme « coulisses«  dans le titre de cet ouvrage très vivant, très pragmatique (et très agréable et surtout fécond !), met en lumière la part rhétorique théâtrale de ce qui pourrait être une opération de communication éditoriale (et médiatique, à plus long terme), eu égard à l’implicite d’une « scène«  et d’une « mise en scène«  : tel un prix à payer pour gagner encore de la notoriété …


Le jeu intense de la création vraie, lui, est très fondamentalement une joie, et une joie infiniment profonde, et haute _ sur la joie, lire d’abord l’immense Spinoza : la joie ressortant (très simplement) de l’épanouissement de la puissance de la personne à l’œuvre, et en (et par) ses œuvres mêmes ; sur ces processus bien concrets, lire aussi, de Jean-Louis Chrétien, le très beau et très juste La Joie spacieuse _ sur la dilatation.

Et le regard _ largement extérieur et grandement incompétent, en majorité _ de la plupart du public, ou même des commanditaires, ainsi que les biais truqueurs et trompeurs des enjeux de carrière (et de célébrité) pour l’artiste _ mais en bons fils de leur époque, ces surdoués que sont Cédric Villani, et Karol Beffa ont bien appris à ne pas manquer, non plus, de jouer de tout ce qui peut faciliter une carrière… ;

et sur ce point, Karol Beffa, qui avait, au départ, confie-t-il,  le projet de devenir économiste, raconte, page 115 des Coulisses de la création, le conseil que lui donna son caïman à l’ENS l’économiste Daniel Cohen, « il faut se spécialiser dans le secteur où l’on a un avantage comparatif » (sur les autres) ; et ce qu’il en retira : « Je l’ai écouté et j’ai laissé tomber l’économie, je n’ai plus fait que de la musique« _, n’est pas, artistiquement du moins, le principal

C’est la qualité même de l’œuvre qu’il faut privilégier _ en sa dimension trans-historique et non circonstancielle d’éternité même, c’est-à-dire extérieurement à toute considération de temps, d’histoire (et donc de carrière) ; et c’est pour cette raison là que nous pouvons aussi aisément, comme à foison, nous ressourcer puissamment en de telles œuvres… _ ;

et cela au sein de, et parmi, la collection (généreuse, au fil des créations nouvelles) des œuvres d’art, vivantes _ du moins tant que les œuvres, en leur singularité, nous sont transmises, par d’autres, et ainsi nous sont, demeurent ou deviennent, accessibles : toute culture impliquant accès à celles-ci, et transmission ; ainsi que partage de leur profonde et irradiante joie ! _ :

à découvrir par chacun avec curiosité, empathie au départ, et lucidité _ les clés de la vraie joie, tant pour le créateur à l’œuvre que pour le passionné d’art, profondément exigeants qu’ils ont à être, chacun en son activité. À rebours des (bruyantes) contrefaçons et impostures des faux timbaliers de la fausse culture occupant la place et fascinant les gogos qui les suivent… Toute culture vraie et largement ouverte implique aussi sévère tri.

Titus Curiosus, ce 1er juin 2016

En complément,

écouter le très riche podcast (de 83′) de la passionnante émission (accessible jusqu’au 4 février 2017) de Au diable Beauvert que Thierry Beauvert a consacrée à Karol Beffa le 11 mai 2014,

et qui permet d’écouter, notamment, 8 extraits d’œuvres musicales composées ou improvisées par Karol Beffa :

_ B.E.F.F.A. : une improvisation, par Karol Beffa au piano (CD Intrada 034)

_ Après une lecture de Bach, par Marina Chiche au violon (CD Intrada 034)

_ Erbarme dich mein Gott, transcrit d’après la Passion selon saint Matthieu, de JS. Bach, par David Bismuth au piano (CD Ame Son 0815)

_ Étude n° 2, à Dana Ciocarlie, par Dana Ciocarlie au piano (CD Triton 331143)

_ I dreamed a dream, improvisation d’après Les Misérables, de Claude-Michel Schomberg, par Karol Beffa au piano (CD Contraste Productions 01)

_ Pièce pour cordes et harpe (musique du film Je ne suis pas mort, de Mehdi Ben Attia), par l’Ensemble Contraste, direction Johan Farjot (document privé)

_ Milonga, en un arrangement d’Arnaud Thorette et Johan Farjot, par Arnaud Thorette, à l’alto, et Johan Farjot, au piano (CD Triton 331157)

_ Concerto pour violon n° 1, par Renaud Capuçon, au violon, et l’Orchestre du Capitole de Toulouse, sous la direction de Tugan Sokhiev (enregistré en direct par France-Musique le 20 janvier 2008, au Festival Présences, à Toulouse).

Les enjeux de pouvoir de la curiosité libre et ouverte : le passionnant « Sérendipité _ Du conte au concept » de Sylvie Catellin, un livre salutaire !

03mar

Rien n’est plus important pour le devenir même _ en qualité ! _ de la culture et cela en sa vérité même : contre les impostures de ce qui veut se faire passer (mensongèrement) pour « culture«  _,

pour la poursuite à vaste échelle de son enrichissement au lieu de son appauvrissement (auto-destructeur) dans le crétinisme de masse du (misérable) psittacisme que savent si efficacement former et développer, à échelle mondiale, les publicitaires stipendiés, faiseurs d’addictions stupides _ d’achats, pour commencer, et pour finir (car c’est bien là leur alpha et leur omega !). ; cf Dany-Robert Dufour : Le Divin marché _ la révolution culturelle libérale _,

que de cultiver vraiment _ et c’est un art ouvert, pas une technique fermée ! _, à commencer dans la pratique quotidienne de l’enseigner : l’enseignant doit apprendre, et sur le tas, en le faisant, à enseigner (how to teach) aux élèves comment eux-mêmes ils peuvent apprendre (how to learn) ! tout en mettant à leur disposition des références les plus judicieuses qui soient ! _ cf là-dessus le tout récent Transmettre, apprendre, de Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi ; et L’École, question philosophique, de Denis Kambouchner _,

et à cela à tous les niveaux (sans exception) d’écoles, de formations, comme d’institutions de recherche,

et de manière fondamentalement ouverte,


la faculté si méconnue et l’art _ étouffé, asphyxié ; mais aussi masqué et nié, en empêchant toute prise de conscience réelle et authentique _ de la sérendipité.

Au point que l’histoire du mot même qui réussit à les repérer, mettre en évidence et d’abord désigner, est terriblement récente : en usage en anglais, d’abord parmi les cercles de bibliophiles, depuis 1875 (plutôt que 1754, date de sa création _ et hapax pendant plus d’un siècle ! _ en une lettre privée de Horace Walpole à son ami et cousin Horace Mann, à partir du très vieux conte tamoul des Trois Princes de Sarendip, qui inspira aussi le Zadig de Voltaire, en 1748) ; en français depuis 1952, d’abord dans des cercles scientifiques soucieux d’épistémologie ; avant de devenir, mais non sans ambiguïté, fort à la mode au tournant des années 2000, via le web.

C’est à la double histoire de cette notion et de ce mot, et sa possibilité d’advenir peut-être enfin au statut de concept _ mais un concept fondamentalement paradoxal, comme sont déjà les concepts de génie et de création : l’étrangeté de ce mot exotique de « sérendipité« , tant géographiquement (Serendip = Ceylan) que historiquement (le récit d’origine remontant à la nuit des temps…), connotant fortement l’étrangeté de la chose même qu’il désigne, voisine d’un trafic de l’imagination complexe et probablement risqué, réservé à très peu d’initiés ; voire carrément tabou… _,
que s’attache le livre très important et absolument passionnant _ tant par ses enjeux (y compris, et peut-être surtout) politiques et économiques, dans la répartition des pouvoirs (dont celui, capital, de créativité) auxquels accepter de consentir de partager avec davantage d’autres…), que par ses apports et analyses _ de Sylvie Catellin, Sérendipité _ du conte au concept, qui paraît ce mois de janvier aux Éditions du Seuil, collection Science ouverte.

La sérendipité est la faculté, ainsi que l’art infiniment précieux (de pratiquer celle-ci), de chercher et de trouver « par hasard et sagacité » _ une qualité cruciale ! et un mot lui-même trop bien oublié : Descartes s’y arrêtait fort justement… _ des choses que l’on ne cherchait pas au départ ;
ou encore l' »art de prêter attention _ un processus crucial ! de focalisation… _ à ce qui surprend et _ surtout _ d’en imaginer une interprétation pertinente » _ soit le raisonnement même que le génial Peirce qualifie d’« abduction«  _,
grâce à « l’importance de la prise de conscience par le dialogue ou l’écriture, dans la découverte » même _ au lieu de tout laisser filer dans l’inaperçu à jamais.

D’où le « triptyque conceptuel qui pourrait devenir la devise d’une future _ heureusement féconde _ République des Lettres, des Arts et des Sciences : sérendipité / indisciplinarité / réflexivité » ;
en mettant l’accent sur l’importance, dans la libido sciendi, de « la recherche comme implication subjective _ d’un soi qui entreprend de s’engager vraiment à rechercher sérieusement plus avant… _, qui sert _ aussi _ aux autres par cela même qu’elle est _ intensément, passionnément _ personnelle« .


Ce point est capital :

le processus très riche de découverte par sérendipité implique en effet l’engagement personnel et singulier (et passionné) de la personne pensante _ et cela, chacun, un par un, et existentiellement ; à la fois à part soi, en même temps qu’en échangeant avec les autres ! et surtout avec les mieux qualifiés et ouverts (cf Kant : « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ?..« …), ainsi que dépourvus d’imposture (cf Roland Gori, La Fabrique des imposteurs…) _, en la formation _ nécessairement précise et nécessairement contextualisée en une culture apprise, mais aussi toujours mouvante, jamais arrêtée ni figée : soit une culture vraiment vivante, toujours ouverte, sur le qui-vive, en chantier actif, et pleinement à vif… _ de son expérience propre et, in fine, unique.

Et qui sera à essayer _ aussi _ de partager avec d’autres personnes-sujets (et non individus-objets techniquement manipulables par d’autres !) en des récits précis et toujours relativement détaillés _ faisant place aux accidents et circonstances empiriques ; à l’ordre triomphant du contingent…

C’est en cela que « le récit d’enquête _ dans le conte déjà par exemple, tel celui des Trois Princes de Sarendip auquel se référait le curieux et érudit Walpole en 1754 ; ainsi que Voltaire, en 1748 _ est la meilleure démarche _ sans aller jusqu’à forcément passer par l’analyse conceptuelle _ pour transmettre _ in concreto dans une pratique, et en une adresse à des personnes chaque fois bien précises _ l’art de la sérendipité » :

un art ouvert, subtil et délicat, non strictement duplicable tel quel (mais à transposer, avec esprit…), ni a fortiori massivement programmable par des machines… Et impossible de faire l’impasse de la formation, chacun un par un, de la personne propre !

En cela, et à quelque niveau que ce soit _ scientifique ou pédagogique, pour reprendre ne seraient-ce que ces deux niveaux cruciaux-là _,

« il n’y a pas d’autres voies pour susciter la recherche _ à la fois en donner le désir et en esquisser des formes de premières pistes… _, que de raconter _ en son détail empirique et toujours particulier, voire singulier _ comment on cherche _ et, de fait _ on trouve » : soit « enseigner l’art de la recherche en la racontant«  _ ainsi que fait, par exemple, le magnifique récit de François Jacob La Statue intérieure

Et cela, face aux tenants des œillères dogmatiques étroites et obtues d’un utilitarisme de rentabilité à courte vue et à tout crin, qui s’obstine, très paradoxalement, à ignorer « l’aspect _ fondamentalement _ imprévisible et non planifiable de la sérendipité«  _ ce qu’illustre, en France, le conflit qui opposa, dans l’entre-deux-guerres, Jean Perrin, partisan d’une science désintéressée et libre, à Henry Le Chatelier, tenant d’une conception utilitaire de la science industrielle ou appliquée, dirigée.

Car, et cela à toute échelle _ dans la plus modeste petite salle de classe, comme dans le laboratoire de recherche scientifique le plus pointu _,
« la sérendipité justifie le _ fondamental et vital ! _ besoin de liberté et d’autonomie _ d’imageance active et ouverte à l’inconnu : un concept que m’a inspiré l’œuvre de mon amie Marie-José Mondzain _ des chercheurs » : face à ce qu’ils ignorent et vont pouvoir trouver _ chercheurs que doivent eux aussi être (ou devenir), et fondamentalement, en en prenant le goût, les élèves à l’école : « Edgar Morin _ page 25 de La Tête bien faite Penser la réforme, réformer la pensée, en 1999 _ a suggéré avec raison d’initier dès l’école l’art de la sérendipité« 

De même que « faire découvrir _ à d’autres _ la sérendipité, c’est _ leur _ faire comprendre que lorsque la science _ c’est-à-dire le chercheur qui tâtonne _ découvre,

elle _ la science _ est un  art  » :

celui qu’apprend à mettre en œuvre, et pas à pas, la personne même, singulière, de ce chercheur se livrant courageusement à sa patiente recherche _ un art complexe et jouissif (intensif, passionné) d’artisan qui invente et découvre (avec passion joyeuse et le plus grand sérieux cognitif, ensemble), donc, et non quelque technique mécanique programmable par quelque algorithme, aussi ingénieusement raffiné soit-il par les prouesses renouvelées et avancées de l’ingénierie informaticienne…

Là-dessus, lire l’ouverture génialissime du Métapsychologie de Freud, par lequel celui-ci,

tout en offrant, en 1915, à ses détracteurs (qui lui déniaient la moindre légitimité scientifique), de premières formulations de concepts fondamentaux « clairs et rigoureusement définis« , ainsi que doit être en mesure de les fournir toute discipline revendiquant, au-delà du seul fétichisme du mot, le statut authentique de « science« , en l’occurrence ici une formulation des concepts de « Pulsion« , de « Refoulement« , d’« Inconscient« … ;

par lequel Métapsychologie, donc, Freud fait très hautement entendre la priorité définitivement permanente et absolue du travail de recherche inventive du chercheur, à l’encontre des crispations arc-boutées sur le maintien sacro-saint de la théorie acquise ! ; autrement dit la priorité de l’activité créatrice et infiniment ouverte à jamais en son chantier, génialement féconde à cette condition, de la sérendipité !..

Et à cette priorité décisive de la recherche dans le devenir des sciences (du moins en leurs moments de « révolutions scientifiques« , selon Kuhn), Sylvie Catellin consacre des pages utiles aux apports (et limites) de Thomas Kuhn par rapport aux thèses de Karl Popper : La structure des révolutions scientifiques versus La Logique de la découverte scientifique

Par là,

« la sérendipité justifie le besoin de _ grande _ liberté et d’autonomie des chercheurs«  _ que tous, et pas seulement les scientifiques, nous humains sommes, dés le simple fait, largement ouvert et inventif (sauf niaiserie indurée à se contenter de répéter les clichés figés et arrêtés du discours dominant), du fait même de parler (et créer, et pas simplement répéter-reproduire, passivement et mécaniquement, nos phrases, comme le montre si bien Noam Chomsky : c’est en effet sur le champ, hic et nunc, que nous avons à construire nos phrases en les improvisant (voilà !) à partir des structures syntaxiques ouvertes et du vocabulaire de la langue reçue et partagée ; ensuite, « le style«  (quand « style » du discours il y a et advient : mais assez vite…) « est l’homme même« , comme l’a bien marqué Buffon… _, en favorisant « ces qualités les plus précieuses que sont la curiosité et la sérendipité, l’audace et la prise de risque » _ même si cela dérange certaines positions (arrêtées) de pouvoir acquises par certains…

Par ce qu’il est à même de modifier dans le partage _ toujours mouvant _ des pouvoirs entre les individus,

cet enjeu culturel et pédagogique pleinement humain (et humaniste) de promouvoir l’ouverture puissante de la créativité par une culture de la sérendipité _ mais combien, a contrario, s’en méfient, et agissent pour la raréfier et stériliser, ou au moins réduire à des jeux insignifiants et suffisamment contrôlés… _,

est donc rien moins que civilisationnel !

Titus Curiosus, ce 24 février 2014

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