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L’admirable leçon d’anatomie d’humanité de Nuri Bilge Ceylan : le sublime « Il était une fois en Anatolie »

18mar

C’est avec une considérable admiration _ et une constante jubilation pour son approche et son rendu si délicats et fouillés dans la précision à l’image de l’énigme des âmes et corps humains ! dans les variations infinitésimales de leur silence et visage : les lumières, et pas seulement nocturnes, y sont stupéfiantes de vérité en ce qu’elles dégagent délicatement de l’ombre, magiques… _ que je viens de regarder-suivre-contempler à trois reprises successives le DVD qui vient de paraître ce mois de mars 2012 de Il était une fois en Anatolie, un film sublime parfaitement calmement déployé en deux heures et demi magiquement souplement autant qu’intensément rythmées, sans jamais la moindre pointe d’hystérie _ un très fin humour discret y jouant en permanence aussi (à la Voltaire, à la Sciacca) très finement son rôle _ : un _ nouveau _ chef d’œuvre d’humanité (chaleureusement brûlante !) du cinéaste turc, auteur déjà de l’époustouflant Uzak, Nuri Bilge Ceylan…

Au-delà d’une enquête criminelle _ la recherche un peu difficultueuse la nuit, sublimement percée seulement des phares de trois voitures, d’un cadavre (qui aurait été enterré, loin de tout…) parmi les steppes un peu répétitives d’Anatolie : autour de fontaines avec un arbre « en boule«  ! alors que le principal suspect se souvient mal, tant il était « alcoolisé » alors… _ menée par un commissaire de police _ finissant par s’énerver quelque peu _ et son équipe, sous la (haute) direction d’un procureur mesuré, lui _ mais sur lequel se découvrira que pèse un secret enfoui sous un (terrible) déni à soi-même : celui de la prise de conscience et assomption, enfin, de la vraie cause de la mort de son épouse juste après avoir accouché de leur bébé, une fille, et en avoir, bien au préalable, annoncé, enceinte, cinq mois plus tôt, la date… _,

c’est le point de vue du médecin chargé de procéder (bientôt, dès que le corps enterré que l’on recherche aura été retrouvé !) à l’examen de l’autopsie du cadavre de la victime qui, peu à peu, se dégage et vient surplomber magistralement (et relativiser) tous les autres points de vue, même si demeureront encore pas mal de pans d’énigme _ en particulier sur le crime initial lui-même : ses modalités, sinon ses raisons, autour de la paternité d’un enfant et de la relation entre celui et celle qui l’ont engendré ! tout cela restant tu (en paroles), et se limitant, pour eux (comme pour nous, face à l’écran, qui y assistons), à l’échange de regards terribles sans fond… _, au final de ce que nous donne à assister et contempler _ deux heures et demi de regards concentrés sur l’écran _ cet immense film !..

Le comédien interprétant le Docteur Cemal, cet assez jeune médecin _ trentenaire _, Muhammet Usuner, est particulièrement remarquable _ et c’est un euphémisme _ dans l’intensité parfaitement sobre _ jusque de face et en gros-plan et au ralenti de la pensée qui réfléchit et s’interroge, d’une inquiétude calme… _ de son jeu : celui de qui sait le mieux regarder et déduire _ mieux qu’en « sceptique« , comme le qualifie un peu improprement le procureur, dont le métier est, pour lui aussi, d’« enquêter«  à la recherche (sereine) de la vérité et la justice… cf ici mon précédent article sur le livre de Florent Brayard Auschwitz, enquête sur un complot naziLe travail au scalpel de Florent Brayard sur les modalités du mensonge nazi à propos du meurtre systématique des Juifs de l’Ouest : le passionnant « Auschwitz, enquête sur un complot nazi » _ ; mais aussi celui de qui sait le mieux faire preuve de vraie humanité à l’égard de toutes les victimes _ à commencer par celles qui vont vivre…

Le final, avec vue sur une cour de récréation d’école et des enfants jouant, en contrepoint de l’autopsie en train de réglementairement s’accomplir _ en contrepoint supplémentaire, on pourra lire l’expressionniste, lui, sublime (oui !) poème de Gottfried Benn, Morgue _, est admirable…

Et lui aussi, le médecin, a son passif d’amour malheureux : en demeurent quelques photos de l’épouse dont il a divorcé _ sans avoir eu (ni voulu) d’enfant, dira-t-il au procureur : sa vision est la plus prospective… _ qu’il compulse _ un bref moment _ de retour dans le silence de son bureau à l’hôpital…

Il est vrai que le principal scénariste _ avec Nuri Bilge Ceylan lui-même ainsi que son épouse Ebru Ceylan _, Ercan Kesal, est lui-même _ peut-on apprendre en fouillant dans le riche dossier disponible des articles à propos de ce film sobre si intense et magistralement riche _ médecin de formation ; et qu’une des sources de cette intrigue, à moins que ce ne soit un de ses motifs centraux (!), se trouve être, ainsi qu’on peut le lire parmi le générique de fin qui défile, l’œuvre de Tchékhov, celui-ci-même médecin de formation, lui aussi.

D’où la double admirable  « leçon« , tchékhovienne si l’on veut, et d’anatomie _ et pas seulement les vingt minutes de la magistrale (et sobre) séquence d’autopsie du corps, à la fin, à l’hôpital de la ville _ et d’humanité !

D’autant que, au cœur de tout cela, est la difficulté, au plus intime du plus intime, pour un homme _ et tout homme _, d’aimer comme il le faudrait une femme _ toute femme.

C’est admirable : je n’en sors pas…

Et sur ce dernier aspect, la caméra de Nuri Bilge Ceylan suit,

à la turque

_ en un nouvel aller-retour, comme dans le déjà si puissant Uzak, en 2002, entre le destin européen d’Istanbul et les origines ottomanes (un peu plus sauvages ? au moins pour la doxa…) de l’Anatolie : d’où la parole anticipatrice d’un des policiers au médecin venu d’Istanbul, lors des péripéties de la traque, de fontaine en fontaine, avec arbre « en boule« , du cadavre enterré : plus tard, de retour chez vous, vous vous direz : « Il était une fois en Anatolie«  _,

la caméra de Nuri Bilge Ceylan suit, à la turque, donc,

et en cette région d’Anatolie,

la voie admirablement tracée _ tout aussi sobrement et tout aussi loin de la moindre propension au moindre bavardage intempestif et une quelconque hystérie _ de Michelangelo Antonioni _ l’aristocratique Ferrare des Este portant aussi une empreinte calviniste ! celle de la duchesse Renée de France (1510-1575), présente à Ferrare de 1528 à 1560 ; celle-ci y reçut Calvin en 1536… _,

de L’Avventura, L’Eclisse et La Notte

à Idenficazione di una donna et Al di là delle nuvole : toutes œuvres sublimissimes, elles aussi…

Merci l’artiste !

vrai et profond

qu’est Nuri Bilge Ceylan…

En conséquence de quoi : ne pas laisser passer, mais se laisser aller à se délecter de

cette sublime

intense et si délicate à la fois

leçon _ vierge du moindre didactisme (et lourdeur) : tout y est d’une infinie délicatesse de touche, légère, vraie, profonde (et sans la moindre ombre de quelque componction que ce soit…) : à la Antonioni, donc, si l’on veut : ici sont préférés (et ne sont retenus que) les visages et les regards, sans nul discours de paroles plombant… _ d’humanité et d’anatomie

qui nous vient de la partie asiatique (anatolienne et steppique) de la Turquie

qui pourrait un peu trop se lasser, elle, la Turquie, de continuer à frapper sans signe d’accueil un peu plus  bienveillant à la porte de notre bien malheureuse _ et combien moins délicate ! ces derniers temps-ci… _ Europe

via ce magistral

et sublime d’humanité

film qu’est Il était une fois en Anatolie

en sa fondamentale noblesse…

Titus Curiosus, ce 18 mars 2012

Le déni de la puanteur de la chair brûlée _ ou comment passer du refus de se pencher sur le passé à l’effort de connaissance _ ou Histoire _ et à la reconnaissance du travail des mémoires _ des témoins ?

19avr

« Comment passer

du refus de se pencher sur le passé

à l’effort de connaissance _ ou Histoire _

et à la reconnaissance du travail des mémoires _ des témoins ?«  :

ou,

via une question de déni de puanteur (terrible !),

un article d’El Pais,

ce dimanche 19 avril 2009,

« L’Holocauste n’est pas un spectacle« ,

par Javier Rodríguez Marcos

_ en avant-première à ma recension prochaine de « L’Holocauste comme culture« , d’Imre Kertész,

qui vient de paraître (enfin !) en traduction française (par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, les traducteurs fidèles de l’oeuvre d’Imre Kertész en français) aux Éditions Actes-Sud, ce mois de mars 2009 ;

et que j’ai achevé de lire :

il s’agit d’un recueil de 19 « discours et essais« , rédigés (et prononcés ou/et publiés) de septembre-octobre 1989 à l’année 2003 …

_ avec un « Avant-Propos » de l’auteur

et une « Préface » (« Le travail et la thématique de Kertész« ), de Péter Nádas,

écrivain hongrois, auteurn notamment, d’un magnifique livre sur Berlin (où réside en grande partie Imre Kertész désormais ; ainsi aussi que Péter Nádas) :

« Le Livre des mémoires«  (paru en traduction française aux Éditions Plon, en juin 1998 _ et « Prix du meilleur livre étranger« , cette année-là), que je recommande avec chaleur !!! Un chef d’œuvre !

« El Holocausto no es un espectáculo »

La Lista original de Schindler ha dado la vuelta al mundo _ Ahora la memoria interesa _ La recuperación del genocidio la inicio la televisión : ce sont-là des indications d’El Pais…

Javier Rodríguez Marcos 19/04/2009

La lista de Schindler existe. Apareció hace 15 días en una biblioteca australiana entre los papeles de Thomas Keneally, autor en 1982 de la novela _ le roman « La liste de Schindler » paru en effet en janvier 1982 sous le titre « Schindler’s Ark« , aux Éditions Simon & Schuster _ que Steven Spielberg _ qui en achète immédiatement les droits à Thomas Keneally _ convirtió 11 años después en la película sobre el Holocausto más popular de la historia _ le film « La Liste de Schindler« , sorti en France le 30 novembre 1993… El descubrimiento del documento original, 13 páginas amarillentas con 801 nombres de judíos salvados de la muerte por un industrial alemán, dio la vuelta al mundo. Una muestra más del poder del cine a la hora de despertar el interés por la historia.

Los cines y las librerías se han llenado esta temporada _ 2008-2009 _ de películas y libros sobre el genocidio judío y sus alrededores : el régimen hitleriano y la Segunda Guerra Mundial. Aunque el tema es ya todo un subgénero cinematográfico y literario, la trascendencia pública de filmes

como « El niño con el pijama de rayas«  _ le film, en 2008, « The Boy in the Striped Pyjamas » de Mark Herman _ (basado en un libro _ le roman « The Boy in the Striped Pyjamas« , de l’auteur irlandais John Boyne ; et paru, lui, en 2006 : en français, « Le Garçon au pyjama rayé« , aux Éditions Gallimard-Jeunesse, dans le genre : « fable«  ! _ del que la editorial Salamandra lleva vendidos dos millones de ejemplares en dos años),

« The reader«  _ « Le liseur« , film de Stephen Daldry, d’après le roman éponyme de Bernhard Schlink _ (que le valió un Oscar a Kate Winslet) ;

o « Valkiria«  (encabezada por una megaestrella de Hollywood como Tom Cruise _ le film « Walkyrie« , de Bryan Singer, sorti en France le 17 décembre 2008 ; lire « Nous voulions tuer Hitler« , par Philipp Freiherr von Boeselager,« le seul récit de « l’opération Walkyrie » par un de ses acteurs », précise le sous-titre du livre… _)

ha vuelto a despertar la polémica en torno a los límites del arte (y el espectáculo) a la hora de representar un acontecimiento que partió para siempre en dos _ sans nul doute ! _ la historia del siglo XX.

A esos títulos cabría añadir películas recientes o inminentes

como « Desafío« ,

« La condición humana« ,

« Adam Resurrected » _ un film de Paul Schrader, paru en France le 22 mars 2009, au festival du film israëlien de Paris, d’après le roman éponyme, « Adam ressuscité« , de Yoram Kaniuk _,

« Un secret » _ le film de Claude Miller, avec Patrick Bruel et Cécile De France, sorti le 3 octobre 2007, d’après le roman éponyme, « Un Secret« , de Philippe Grimbert _

o « Plus tard tu comprendras » _ le film d’Amos Gitaï, avec Hippolyte Girardot, Jeanne Moreau et Emmanuelle Devos, sorti le 21 janvier 2009, d’après le récit autobiographique « Plus tard tu comprendras » de Jérome Clément, paru en 2005 _,

y la no tan lejana y también oscarizada « Los falsificadores » _ en français « Les Faussaires« , un film de Stefan Ruziwosky, sorti en France le 6 février 2008, d’après un récit autobiographique d’Adol Burger.

Sin olvidar libros aparecidos en las últimas semanas como « Me llamaba Pikolo« ,  del célebre compañero _ Jean Samuel _ de Primo Levi en Auschwitz _ en français « Il m’appelait Pikolo _ un compagnon de Primo Levi raconte«  _,

o el diario _ « Journal » _ de Hélène Berr, publicitado como una mezcla entre Ana Frank e Irène Némirovsky _ sur ce « Journal » d’Hélène Berr, cf mon article du 19 septembre 2008 « Chant d’action de grâce _ hymne à la vie, mais dans la nasse« …

El tema, está claro, tiene un público garantizado _ désormais _, pero no siempre fue así

_ cf Annette Wieviorka : « Déportation et génocide _ entre la mémoire et l’oubli » et « L’Ère du témoin«  ; et c’est l’histoire de ce phénomène _ du déni de réalité (historique) au « thème » de prédilection (comme « histoires ») du public _ qui mérite toute notre attention ; et un article…

El filósofo Reyes Mate, investigador del CSIC y uno de los grandes estudiosos europeos del Holocausto, recuerda que hace tan sólo 10 años propuso a dos grandes editoriales españolas que tradujeran « La especie humana«  _ « L’espèce humaine » _, un clásico _ un must ! _ entre los testimonios de deportados. El autor era Robert Antelme, el marido de Marguerite Duras, y en Francia había aparecido en 1957. La respuesta, cuenta Mate, fue rotunda: « Eso no interesa a nadie« . La pequeña editorial Arena lo publicó finalmente en 2001.

Otro ejemplo : uno de los libros de 2006 fue « Vida y destino«  _ « Vie et destin » : autre chef d’œuvre (indispensable !) du XXème siècle, de même que « L’espèce humaine » de Robert Antelme _, de Vassili Grossman, que llevaba publicada en España desde 1985. Que la más reciente fuera la primera versión directa del ruso no explica del todo el súbito interés.

¿ Qué ha pasado, pues, para que el Holocausto haya encontrado por fin sus lectores y espectadores,

es decir _ et la précision de vocabulaire est, en effet, très importante _, sus consumidores ? El propio Reyes Mate, autor de « Memoria de Auschwitz. Actualidad moral y política«  _ non traduit encore en français, le livre est paru en 2003 aux Éditions Trotta _ apunta dos razones. Una : hay muchos documentos por publicar. Dos : ahora la memoria interesa.

Aunque es difícil superar hitos como Primo Levi _ « Si c’est un homme » ; « Les Naufragés et les rescapés _ quarante ans après Auschwitz« , principalement _, Jean Améry _ « Par-delà le crime et le chatiment : essai pour surmonter l’insurmontable« , d’abord (cf ce qu’en dit l’immense Imre Kertész) _ o el propio Antelme, queda mucho material inédito depositado en los diversos museos del Holocausto, empezando por el de Jerusalén. Material por publicar y material por conocer. La edición del diario de Berr se cierra con una extensa nota en la que el Centro de Documentación Judía Contemporánea de París _ = le « Mémorial de la Shoah«  où œuvre Georges Bensoussan, 17 rue Geoffroy l’Asnier, Paris 4e _ hace un llamamiento a todos los que puedan tener materiales de ese tipo. Fue así, entre las decenas de cartas, fotos, objetos y documentos que reciben anualmente como depósito, les llegó ese libro hace siete años _ cf à nouveau mon article du 19 septembre 2008 : « Chant d’action de grâce _ hymne à la vie, mais dans la nasse« 

Jorge Semprún, superviviente de Buchenwald _ cf sur son séjour là-bas les magnifiques et indispensables, eux aussi, « Quel beau dimanche » et « L’Écriture ou la vie« _, suele decir que cuando muera el último deportado quedarán sus historias pero se perderá para siempre el recuerdo del olor de los crematorios

_ un article d’Imre Kertész, dans le recueil « L’Holocauste comme culture« 

(et en le recherchant, je finis par découvrir qu’il s’agit de l’article _ magnifique !!! _ « Euréka« , le discours prononcé à la réception du prix Nobel de Littérature, le 10 décembre 2002, à Stockholm)

évoque aussi ce que fut, d’abord, pour lui, le « re-souvenir«  de ses « vingt premières minutes«  à Auschwitz,

tant demeurait encore puissant (dans le « survivant«  de tout « cela« …) le refus de « ressentir«  à nouveau cette « odeur« -précise-là : je me permets de citer _ et longuement _ ce passage, aux pages 259 à 261 :

« Dans les camps de concentration _ Buchenwald et Zeitz, après le passage ultra-rapide par la « sélection » d’Auschwitz-Birkenau _, mon héros _ celui d’« Être sans destin » et du « Refus » : celui qu’il nomme « György Köves » _ ne vit pas son propre temps, puisqu’il est dépossédé de son temps, de sa langue, de sa personnalité. Il n’a pas de mémoire, il est dans l’instant. Si bien que le pauvre doit dépérir dans le piège morne de la linéarité _ extraordinaire formule ; d’une imparable justesse ! _ et ne peut se libérer des détails pénibles. Au lieu d’une succession spectaculaire de grands moments tragiques, il doit vivre le tout _ immensément pesant, jusqu’à, à lui seul, déjà, tuer, ce « tout«  ! _, ce qui est pesant et offre peu de variété, comme la vie _ dangereuse par là, rien qu’en cela… Mais cela m’a permis de tirer des enseignements étonnants. La linéarité exige que chaque situation s’accomplisse intégralement. Elle m’a interdit, par exemple _ vous y venons… _ de sauter élégamment une vingtaine de minutes pour la seule raison que ces vingt minutes béaient devant moi _ au présent de la mémoire et de l’écriture de l’écrivant, vivant _ tel un gouffre noir, inconnu et effrayant comme une fosse commune. Je parle de ces vingt minutes qui se sont écoulées sur le quai _ la rampe d’arrivée du train _ du camp d’extermination de Birkenau, avant que les personnes _ elles l’étaient donc encore ! _ descendues des wagons ne se retrouvent devant l’officier qui faisait la sélection. Moi-même _ raconte l’auteur ce jour de décembre 2002 à Stockholm, Imre Kertész, à propos de lui-même alors âgé de quatorze ans et demi _, j’avais _ à l’instant d’écrire cet épisode d’« Être sans destin«  _ un souvenir approximatif de ces vingt minutes ; mais le roman _ à écrire _ m’interdisait de me fier _ seulement _ à mes _ minces et vagues actuelles (alors) _ réminiscences. Presque tous les témoignages, confessions et souvenirs de survivants _ alors disponibles en librairie ou dans les bibliothèques, en ces années cinquante et soixante, celles de l’écriture (longue) d’« Être sans destin » _ que j’avais lus _ les témoignages commençaient à s’accumuler, peu à peu ; et parvenir même à Budapest, au-delà du rideau de fer stalinien, surtout à partir des années soixante _ étaient _ un peu trop _ d’accord sur le fait _ à avérer ! _ que tout _ et le site d’Auschwitz-Birkenau n’est pas le site de Buchenwald ! _ s’était déroulé très vite et dans la plus grande confusion : les portes des wagons s’ouvraient violemment au milieu des cris et des aboiements _ des chiens des SS _, les hommes étaient séparés des femmes ; dans une cohue démentielle, ils se retrouvaient devant un officier qui leur jetait un rapide coup d’œil, montrait quelque chose en tendant le bras ; puis ils se retrouvaient _ ceux d’une certaine file, du moins ; pas ceux de l’autre file _ en tenue de prisonniers _ les autres filant à la zone de déshabillage, pour se doucher… 


Moi, j’avais
_ cependant _ un autre souvenir _ bien plus anomique ! _ de ces vingt minutes. En cherchant des sources _ ayant quelque chance d’être un peu plus _ authentiques _ en fait de vérité du témoignage _, j’ai commencé par lire Tadeusz Borowski _ »Le Monde de pierres » : un must, lui aussi ! _, ses récits limpides, d’une cruauté masochiste, dont celui qui s’intitule « Au gaz, messieurs dames ! »…

Ensuite, j’ai eu entre les mains _ toute une aventure, probablement… _ une série de photos qu’un SS avait prises sur le quai _ de gare _ de Birkenau lors de l’arrivée des convois ; et que les soldats américains ont retrouvées à Dachau, dans l’ancienne caserne des SS. J’ai été sidéré _ le terme est éloquent _ par ces photos : beaux visages souriants de femmes, de jeunes hommes au regard intelligent, pleins de bonne volonté, prêts à coopérer.


Alors j’ai compris
_ voilà : un cliquet ! sans retour _ comment et pourquoi ces vingt minutes humiliantes d’inaction et d’impuissance s’étaient estompées dans leur mémoire _ de survivants (ou « rescapés« , dit Primo Levi), bien sûr ! C’est que l’activité même de la mémoire n’est jamais neutre ; mais est toujours traversée de forces, en situation ; partagée, cette activité, qu’elle est, entre le désir de connaître vraiment (en vérité !) ; et le désir de ne pas connaître, et d’oublier ; ou de seulement, pire, croire connaître : en paix avec les clichés partagés avec d’autres…


Et quand, en pensant
_ c’est à dire « vraiment » !.. _ que tout cela s’était répété jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, durant de longues années _ linéaires ! _, j’ai pu entrevoir _ en écrivain responsable de la vérité de sa plume ; pas en bonimenteur ou propagandiste _ la technique _ tranquille et froidement cynique, mise en place _ de l’horreur ; j’ai compris _ oui ; et permis de faire comprendre un peu mieux à qui le lirait (et lira) _ comment on _ = certains _ pouvait retourner la nature humaine _ en la manipulant si peu que ce soit avec habileté et roublardise _ contre la vie humaine«  _ on mesure combien, cette fois-là de 2002, le « Prix Nobel de Littérature«  décerné n’était pas (seulement) de l’ordre du « politiquement correct«  !..

« J’avançais ainsi _ en expérimentateur libre _ sur la voie linéaire _ elle aussi ? par l’effet du cliquet ? sans doute _ des découvertes ; c’était, si on veut, ma méthode heuristique » _ je m’arrêterai ici à cette considération-là : décisive, il est vrai.

Dans un autre de ses (immenses !) textes _ peut-être dans « Dossier K.«  ; en plus du récit premier (et basiquement fondamental, pour Imre Kertész : tant l’homme que l’artiste-écrivain) d’« Être sans destin« , bien sûr…  _, Imre Kertész évoque un autre moment, un peu plus tardif, de ces longues premières heures à Auschwitz : précisément le très long refus de consentir (alors ; puis, à nouveau, ensuite) à admettre en pleine conscience que l’odeur insupportable qui s’élevait sans discontinuer des hautes cheminées de Birkenau, en face des baraquements, et rendait l’atmosphère absolument irrespirable, avait quelque chose à voir avec les files de ceux de ses compagnons de voyage (depuis Budapest) qui avaient pris _ et continuaient peut-être de prendre _ le chemin des douches…

Fin de l’incise à propos de « l’odeur des crématoires » (dans la bouche, ou sous la plume, de Jorge Semprun) ;

et retour à l’article « L’Holocauste n’est pas un spectacle«  de Javier Rodríguez Marcos : je reprends :

Jorge Semprún, superviviente de Buchenwald suele decir que

cuando muera el último deportado quedarán sus historias

pero se perderá para siempre el recuerdo _ physique, en quelque sorte, incarné dans la mémoire d’un corps _ del olor de los crematorios.

En esa línea, la novelista española Juana Salabert apunta a la urgencia por saber todo lo posible antes de que desaparezcan los testigos, como una explicación más para el fenómeno. Hija de exiliados españoles en Francia y autora de « Velódromo de invierno » _ « Le Vélodrome d’hiver« , paru en traduction française aux Éditions Buchet-Chastel en octobre 2007 _, una novela sobre las deportaciones masivas de 1942 que ganó el « Premio Biblioteca Breve« , Salabert añade: « No hace tanto que pasó. ¿ Qué son 60 años ? Estamos hablando de nuestros abuelos« .

Retomando su segundo argumento, el actual interés por la memoria, Reyes Mate señala que no se trata sólo de un fenómeno español, sino de una tendencia general _ certes. Claro que él mismo subraya que también el olvido fue durante décadas una tendencia general : « Al final de la Segunda Guerra Mundial la consigna _ oui ! _ fue ésa, olvidar. Y no sólo en Alemania, donde tenían un país por reconstruir, también en Estados Unidos _ et ailleurs... Allí las asociaciones judías recomendaron a los supervivientes que se integraran discretamente, que no molestaran con sus historias« .

Pero todo cambió en los años ochenta _ lire en priorité ici le décisif « L’Ère du témoin » d’Annette Wieviorka. Y el cambio no lo trajo _ principalement, selon le journaliste auteur de cet article d’« El Pais«  _ ni la historiografía ni la investigación. Lo trajo la televisión. El interés masivo por el Holocausto nació a la vez _ mais cette concomitance ne constitue pas une explication… _ que se abría la polémica, que dura hasta hoy, sobre la manera de contarlo en una pantalla. Entre el 16 y el 19 de abril de 1978, 120 millones de personas vieron en Estados Unidos una serie producida por la NBC a partir de una novela de Gerald Green : « Holocausto » _ « Holocauste« , paru en traduction française aux Éditions Robert Laffont.

La historia cruzada de dos familias (una judía y una nazi) cambió para siempre la percepción del mundo _ de la plupart _ sobre un genocidio que pasó a llamarse con el título de la serie, un término que se impuso a los más utilizados hasta entonces : « Auschwitz » o, siguiendo acríticamente la terminología de los verdugos, « Solución Final« . Del poder del cine como detonante (y fabricante _ à discuter ! _) de la memoria da una idea también el hecho de que en Francia el término más extendido hoy, « Shoah« , sea el título de la película de nueve horas dirigida por Claude Lanzmann en 1985 _ « Shoah« , le film (de 613 minutes ; sorti en France le 30 avril 1985) ; et « Shoah« , les dialogues du film : une étape cruciale du processus (de « représentation« ) qui nous mobilise ici…

De pretensiones realistas y tintes melodramáticos, « Holocausto » generó tal controversia que animó a varias universidades estadounidenses a promover proyectos para recoger _ on ne peut plus matériellement _ los testimonios de los supervivientes _ dont l’entreprise, gigantesque, de recollection de témoigages dirigée par Steven Spielberg, avec un procole bien spécifié. Como ironizó algún historiador crítico : primero llegó el kitsch, luego la ciencia. Se estima que 500 millones de espectadores vieron la serie en todo el planeta, pero en ningún lugar causó el efecto que en Alemania, donde se emitió en 1979, hace ahora 30 años. Aunque es ya famosa la crítica de Der Spiegel en la que se describía la serie como « el genocidio rebajado al nivel de « Bonanza« , con música de « Love Story«  », los guionistas consiguieron lo que no habían conseguido los historiadores : romper el tabú de los alemanes sobre su propio pasado.

« Yo estudié en Alemania en los años sesenta y setenta« , relata el propio Reyes Mate, « y allí no se hablaba del Holocausto. Ni siquiera se veían las típicas películas del americano bueno y el nazi malo. La televisión puso el tema en el centro del debate nacional. Opinaba todo el mundo : los taxistas, los periodistas, no sólo los historiadores. Se notaba en la calle« .

« Algo parecido, aunque más tarde que en Alemania, sucedió en Francia« , cuenta Juana Salabert. Sólo con Chirac, en los años noventa, se empezó a hablar de la responsabilidad del Estado en las deportaciones : « Del Estado y de muchos franceses. Hasta entonces todo se había reducido al colaboracionismo de unos pocos« . Del silencio de los padres _ oui _ se pasó a las preguntas de los hijos _ difficiles _ , y de éstas, hoy, a la petición de responsabilidad _ probablement _ de los nietos. Salvadas todas las distancias, una relación no muy distinta de la de las diferentes generaciones de españoles con la Guerra Civil.

No obstante, muchos de los que defienden la necesidad de salvaguardar la memoria del Holocausto alertan sobre la proliferación de películas que lo tienen como tema _ Elie During nous a avertit de la distinction cruciale à établir, constituer et maintenir entre activité de « problématisation«  et fossilisation en « thématique«  ; cf mon article du 17 avril dernier : « Elégance et probité d’Elie During _ penseur du rythme _ en son questionnement “A quoi pense l’art contemporain ?” au CAPC de Bordeaux » _, una avalancha que llega, dicen, acompañada de dos grandes peligros : la banalización exhibicionista del horror ; y, en una nueva vuelta de tuerca, la identificación con los verdugos _ à méditer ! « Para muchos espectadores estadounidenses« , escribió el crítico de The New York Times A. O. Scott, « una película sobre el Holocausto equivale hoy a un western ! » Es decir, a una obra de género más cercana al entretenimiento _ ah ! l’« entertainment » et son industrie (décervelante) florissante… _ que a la historia.

Para los críticos, con ciertos usos del Holocausto en la ficción, el gran riesgo está en atravesar la frontera entre explicar, comprender y justificar. A la luz de películas como « Valkiria« , sobre el atentado frustrado contra Hitler, y « The Reader« , sobre una celadora de un campo de concentración, Salabert apunta: « Noto que el interés empieza a pasar de la mirada de la víctima a la del verdugo« . Aunque reconoce que la actuación de Winslet es « excelente » a la hora de mostrar los miedos cotidianos de una ex nazi, advierte : « Un pasito más y diremos : eran las circunstancias; hay que comprender » _ à comparer au phénomènal succès de librairie (et lecture) des « Bienveillantes« , de Jonathan Littell ; ainsi que les levées de ses critiques : par exemple, « Les Bienveillantes décryptées« , de Marc Lemonier ; « Les Malveillantes« , de Paul-Éric Blanrue ; « Les Complaisantes« , de l’historien Edouard Husson ; ou, divers articles fort bien troussés de l’espiègle et courageux Pierre Jourde…

¿ Y qué dicen las víctimas ? Rosa Toran, presidenta de « Amical de Mauthausen« , que agrupa a deportados y familiares de deportados a los campos nazis, indica que el alud de películas sobre el Holocausto no siempre ayuda porque no discrimina : « Hay un revival peligroso ligado a veces a que la estética nazi es atractiva para mucha gente. Además, es muy grave presentar a los implicados en el complot contra Hitler como resistentes. Los verdaderos resistentes no lo fueron sólo en 1944, cuando vieron la guerra perdida. El problema de la ficción frente al documental es que se queda en las acciones heroicas aisladas y no indaga mucho más« .

No obstante, Toran no duda respecto a mostrar la normalidad de los verdugos : « Claro que hay que hablar de ellos. Eran personas normales, no demonios con superpoderes. Otorgarles normalidad es generar antídotos para que no vuelva a suceder. Además, explicar no es justificar« .

Reyes Mate abunda en esa opinión recordando la polémica provocada por la película « El hundimiento«  _ « La Chute« , film d’Olivier Hirschbiegel, avec Bruno Ganz, sorti en France le 5 janvier 2005 _, que cuenta las últimas horas de Hitler en su búnker berlinés : « El cine tiene el peligro de que, por sus propios mecanismos, busca la identificación _ vertigineuse et vénéneuse _ del espectador con el protagonista ; pero hay que correr el riesgo de hablar de la normalidad de los criminales para que no se piense que el genocidio judío fue obra de cuatro locos » _ cf ici les importants travaux de Christopher Browning : « Des hommes ordinaires : le 101ème bataillon de la police allemande et la solution finale en Pologne » et « Les Origines de la solution finale : l’évolution de la politique antijuive des nazis, septembre 1939-mars 1942 » (avec Jürgen Matthäus) ; et de Harald Welzer : « Les Exécuteurs : des hommes normaux aux meurtriers de masse« … Ainsi que _ mais à un tout autre niveau, forcément ! _ mes articles du 13 et du 27 février 2009 à propos du débat entre les historiens Edouard Husson et Florent Brayard : « de l’hypothèse au fait : la charge de la preuve _ un passionnant article de Florent Brayard à propos du “Heydrich et la solution finale” d’Edouard Husson, quant à la datation de la “solution finale”, avant la conférence de Wannsee » et « Sur le calendrier de “la solution finale” : la suite du débat historiographique Edouard Husson / Florent Brayard » : afin de donner si peu que ce soit d’écho (sur un blog…) à leurs recherches…

« La banalidad del mal« , lo llamó Hannah Arendt _ en 1963 dans son ouvrage très important « Eichmann à Jérusalem _ Rapport sur la banalité du mal«  _, que, frente a los que al hablar del horror del Holocausto se refugian en lo inexplicable (!), fue rotunda : si Auschwitz sobrepasa toda noción de justicia y humanidad habrá que repensar desde cero el derecho y las ciencias humanas (!). « Cuando sucede lo impensable, aparece lo que da que pensar« , añade Mate. Ése es para él _ rejoignant ainsi les puissantes positions d’Imre Kertész en ses discours et conférences de « L’Holocauste comme culture » _ el potencial del Holocausto para las generaciones futuras : « Lo que queda es tomarse en serio _ oui ! _ toda esa memoria ; pasar de la emoción a la interpretación ; y pensarlo todo a la luz de lo que ocurrió ; no seguir como si no hubiera ocurrido. Todo : la política y la propia idea de progreso, la ética y, por supuesto, el arte« . E insiste, explicar no es comprender. « La gran singularidad de la Shoah es que siempre habrá un abismo _ certes _ entre las causas que nos damos y lo que ocurrió. No sólo un abismo moral, también racional. El odio a los judíos no da para matar a un millón de niños«  _ cf aussi de Georges Bensoussan les très riches : « Europe, une passion génocidaire : essai d’histoire culturelle » et « Auschwitz en héritage : d’un bon usage de la mémoire« 

Tal vez por eso algunos supervivientes valoran, frente al verismo _ peu vérace _ de « La lista de Schindler« , el absurdo _ ou plutôt l’humour : décalant (et « décaleur« ) parce que distancié et distanciateur (à la Brecht, celui de la « Verfremdung« … cf ici mon article du 14 avril dernier : « L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer« ) _ de « La vida es bella«  _ « La Vie est belle« , le film de Roberto Begnini, sorti en France le 23 octobre 1998. Es el caso de Imre Kertész, que reconoció _ en son article (du « Zeit » de Hambourg, en 1998) « A qui appartient Auschwitz ?« , in « L’Holocauste comme culture« , pages 156 à 159 _ en la atmósfera irreal de la película de Benigni, criticada por teñir de comedia el drama de un campo de exterminio, una característica esencial«  de lo que él vivió en Auschwitz : « El hedor de la carne quemada nos revolvía el estómago y, sin embargo, no podíamos creer que fuera cierto » _ voilà ! je viens de retrouver l’origine de cette référence à « l’odeur«  des « fours crématoires« , longtemps déniée le premier jour de son passage _ Kertész avait quatorze ans et demi ; mais ce n’est pas une affaire d’âge ! _ par la station de triage d’Auschwitz :

voici cette phrase que je recherchais, tout à l’heure ; elle se trouve page 158 de « L’Holocauste comme culture«  :

« La puanteur de la chair brûlée nous donnait la nausée ; et pourtant nous ne pouvions croire (tel est bien le déni de réalité !) que tout cela _ au neutre _ fût vrai.« 

C’est que : « on préférait _ poursuit Kertész rédigeant l’article du « Zeit«  _  se plonger _ en ces instants, si difficiles, en leur impensable nouveauté ! (et vitesse de surgissement ! ; sans rien dire des armes et des barbelés !) _  dans des pensées plus rassurantes qui pouvaient inciter _ davantage _ à survivre » _ page 158, donc.

Titus Curiosus, le 19 avril 2009

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