magnifique Dominique Rabaté sur le roman au XXème siècle à l’heure (« moderne ») de la décadence de la grandeur et de la défaillance des modèles (Saints et Héros) dans l’apprentissage (ou formation) du sujet « commun » (tout un chacun)
08mai
Magnifique conférence de présentation de son magnifique essai de « méditation » littéraire : Le Roman et le sens de la vie (aux Éditions José Corti)
de Dominique Rabaté, hier soir, vendredi 7 mai 2009, dans les salons Albert-Mollat,
en présence d’un public (de « lecteurs » amoureux de la « lecture de romans« , vraisemblablement…) nourri, amical
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_ pas seulement, et même loin de là, composé de collègues (universitaires) : en fonction, certains, ou émérites, d’autres ; même si nombre d’entre eux étaient présents et n’ont pas manqué d’intervenir dans la séance (plus ou moins rituelle) des questions au conférencier, ensuite… _,
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en présence d’un public attentif et tout à fait alléché, incontestablement, par ce propos du conférencier d’éclairer ce genre de « lecture » (= la lecture de romans !) aujourd’hui si vivant, pour les « lecteurs » que nous (presque tous) sommes
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_ vivant, chacun, notre existence subjective particulière,
séparée de celle des autres
(et par là plus ou moins solitaire, en sa « banalité« commune partagée, aussi : les deux en même temps…),
voire singulière
(qui sait ? cf ici l’important cruciale de la « question« , pour « tout un chacun« d’entre nous, en effet, du « sens de la vie« pour lui, et pour nous, quand nous ne sommes pas aussi « auteurs« de quelque « œuvre« ),
au premier chef, si je puis dire… ;
pour « tout un chacun« qui sait et aime lire, du moins !!! cela va-t-il durer, à l’heure et ère (concurrentielles peut-être) des « images« , dont celles, mouvantes désormais, du cinéma et autres vidéos de diverses sortes : jusque sur le blog des libraires de la librairie Mollat !!!!
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vivant, chacun, notre existence subjective particulière, donc,
en « lecteurs de romans« tout particulièrement, en effet !
de romans davantage que d’autres genres de livres (et même de récits : la biographie, l’autobiographie, le journal intime, etc.), veux-je dire… _,
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plus que jamais en 2010 :
d’où l’affluence et la vive curiosité à cette conférence vendredi soir
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_ le podcast dure 65 minutes : il est passionnant ! et éclaire « magnifiquement« ! le livre… _
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pour cet essai (méditatif, analytique et questionnant, plus encore…) de Dominique Rabaté : Le Roman et le sens de la vie…
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Le roman est devenu _ du XVIIIème au XIXème siècles _, puis est resté _ au XXème siècle ; et aujourd’hui aussi ;
même si c’est selon certaines variantes : qu’il appartient à l’essayiste, précisément, les distinguant, d’analyser (ou démonter) avec précision en leur détail (qui nous éclaire !) et dynamique ;
et nous faire, à notre tour (en « lecteurs d’essais« alors : une spécificité un peu française, peut-être…), méditer… _,
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le roman est devenu, puis est resté
en effet,
le genre littéraire rencontrant
_ auprès des lecteurs que nous sommes aussi très largement devenus en ces siècles (d’imprimerie et d’édition de livres de papier ; cf ici, par exemple, les travaux de Roger Chartier ; ou sa leçon inaugurale au Collège de France Écouter les morts avec les yeux… ; ou de Robert Darnton : cf par exemple Bohème littéraire et révolution _ le monde des livres au XVIIIème siècle…) _
le maximum de succès : il est loin, bien au contraire, de se démentir aujourd’hui ;
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même si ce n’est pas nécessairement proportionnellement _ encore faut-il savoir ou apprendre à l’« évaluer« ! _ à la qualité (du produit ; ou œuvre ! soit ici le roman !) :
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sinon, c’est le temps et la postérité (= d’autres que soi ; ou du moins de « médiateurs » (instituteurs nécessaires) de son propre juger ; qui doit se former…) qui effectuent le tri (qualitatif : entre ce qui se périme, vite _ de plus en plus _, et ce qui demeure et reçoit la « reconnaissance » _ autorisée… _ de la valeur « littéraire » ; les lecteurs peu à peu finissant, et en masse, par s’y rallier (le reste de la production étant devenu caduc) à un peu meilleur escient ;
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mais en attendant cette sélection qualitative médiatisée par des lecteurs compétents _ un tout petit nombre, comme a l’habitude de le dire à l’envi Jean-Paul Michel _
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les romans, même de faible qualité, se lisent, s’achètent (et se vendent !) : selon des fonctionnement grégaires le plus fréquemment (cf les listes _ quantitatives, elles _ de best-sellers) :
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comment se repérer, pour le lecteur encore inexpérimenté, ou débutant : mais chacun l’est, et à chaque fois, face à un auteur (ou un livre) inconnu de lui, et non précédé d’une réputation !
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_ ici Jean Laurenti, modérateur de la conférence, demande très judicieusement à Dominique Rabaté de lire à haute voix un très beau passage du livre (aux pages 104-105 du Roman et le sens de la vie) explicitant lumineusement, et avec ses effets synthétisés, la distinction que celui-ci venait de faire en sa conférence entre deux concepts d’« expérience« : celui d’Erlebnis et celui d’Erfahrung :
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Dominique Rabaté avait introduit cette distinction significative, dans son essai, page 35, à propos de la géniale « lecture » par Walter Benjamin, en son article intitulé Le Conteur, (cf l’édition Œuvres III parue dans la collection Folio Essais en 2000) du « récit« (ainsi le qualifie lui-même Walter Benjamin, plutôt que « roman« …) tel que le pratique Nicolas Leskov… : je cite le texte de Dominique Rabaté, à la page 35 :
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par ce terme de « récit« , Nicolas Leskov « désigne l’art artisanal du conteur qui sait, par ses histoires, donner de sages conseils, transmettre une morale pratique, une expérience partageable par une communauté _ d’auditeurs-écouteurs assemblés en un même lieu et au même moment ; pas de lecteurs d’un écrit… _ que le mot allemand de « Erfahrung » recouvre. Cette communauté se réunit sous l’autorité de la mort _ c’est elle (et sa menace) qui plane(-nt) sur la « question« lancinante et vrillante, ici, du « sens de la vie« , en effet ! tant pour le cas de La mort d’Ivan Ilitch que pour celui de Voyage au phare de ces deux mélancoliques que sont, au moins en l’écriture de ces deux « romans« ici analysés, aux parties II et III de cet essai, et Léon Tolstoï et Virginia Woolf… _, ou plus exactement du sage mourant mais encore apte à léguer aux siens son savoir.
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La réflexion de Benjamin prolonge d’autres études où il a insisté sur l’idée _ = sa thèse _ d’un appauvrissement de l’expérience _ subjective, personnelle ! _ dans les sociétés modernes, sociétés du journalisme, de la guerre et de la massification _ dépersonnalisante et désingularisante par là…
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Pour lui, l’Erfahrung se meurt _ voilà ! est détruite, saccagée ! _ et laisse place à une expérience intransmissible, privée _ qui est, elle, du registre de l’Erlebnis (terme que l’on traduirait en français par expérience vécue, ou expérience individuelle _ = non reçue ni formée collectivement ; et expérience personnelle, par là. Giorgio Agamben a brillamment relayé ses thèses dans son livre Enfance et Histoire _ dont le sous-titre est « Destruction de l’expérience et origine de l’Histoire« …
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Dominique Rabaté cite aussi, page 36, le travail, qui creuse la pensée de Benjamin encore plus loin, de Carlo Ginzburg dans Traces : Racines d’un paradigme indiciaire...
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(cf pages 37-38 : « le roman, loin de simplement entériner la disparition de ce type de connaissance indiciaire _ qu’étaient les savoirs de la chasse, de la cuisine, de l’intuition psychologique que « les traités scientifiques peuvent malaisément codifier« au XVIIIème siècle, page 36… _ devient aussi le lieu où les recueillir, où leur donner leur singularité selon les cas, les contextes, les arrière-plans que le romancier peut recréer. Je dirai donc avec Ginzburg (…) que l’Erfahrung continue d’entretenir des liens riches et subtils avec l’Erlebnis. J’ajouterai que le succès du roman à l’âge bourgeois lui vient aussi de cette mission historique : se faire l’écho et le relais _ oui ! _ des pratiques indiciaires de la connaissance au moment où celles-ci perdent leur utilité ou leur prestige social _ surtout _ contre les sciences et le savoir académique » : c’est superbe de lucidité !..) ;
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et je signale, au passage, aussi, que leur traducteur (tant pour Carlo Ginzburg que pour Giorgio Agamben), de l’italien au français, Martin Rueff, sera présent
(ainsi que le très grand Michel Deguy en personne : pour son La Fin dans le monde aussi… ; de Deguy, lire en priorité son sublime « Le Sens de la visite« …)
mercredi 12 mai prochain dans les salons Albert-Mollat, à 18 heures,
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pour présenter son (immense et magnifique !) essai d’analyse et synthèse de la poétique de Michel Deguy : Différence et identité _ Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme industriel ;
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cf, sur lui, mon article sur ce blog du 23 décembre 2009 dernier : « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff« ;
fin de l’incise… _
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comment se repérer, pour le lecteur inexpérimenté _ en lecture, ici ! _
dans la foule de ce qui est proposé par le marché de l’édition ? et sur les étals des librairies ?..
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Même si le propos de Dominique Rabaté, avec ce « petit livre« , a-t-il dit à plusieurs reprises _ l’essai comportant 112 pages _, n’était ni historique, ni « totalisant« : il y faudrait une autre longueur (mais pas forcément ampleur d’analyse : celle-ci est déjà extrêmement sensible ici !) pour embrasser de son éclairage tout le genre, et en toute son histoire (depuis les romans de l’antiquité gréco-latine ; puis ceux de l’époque médiévale ; etc.),
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c’est cette dimension d’historicité même qui m’a,
personnellement,
particulièrement intéressé
et m’a paru des plus « éclairante« …
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Aussi ai-je pensé alors, en écoutant parler Dominique Rabaté aussi (un peu) sur ces considérations historiques _ ainsi que de philosophie « appliquée« … : davantage en cette conférence (d’une heure) qu’en son livre, dense et assez ramassé (en 112 pages)… _ ,
au travail « explorateur« _ fascinant ! _ de Marthe Robert, en son L’Ancien et le nouveau (lu à sa parution aux Éditions Grasset, en 1963 : j’étais en classe de Première : et la « réflexion » sur la littérature me titillait ; lecteur boulimique et exigeant que j’étais depuis un bon moment déjà…), d’un côté,
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et, sur un tout autre plan, à celui tout récent
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_ cf mon article du 30 décembre 2009 : « Le devenir de la “langue littéraire” en France de 1850 à aujourd’hui : un admirable travail pour comprendre ce qui menace de mort l’exception (culturelle) française et les “humanités”« ... _
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de l’équipe réunie par Gilles Philippe et Julien Piat pour leur très riche et instructif La langue littéraire _ une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, aux Éditions Fayard,
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à adjoindre aux références données (et discutées à la conférence, davantage qu’en son essai, court et intense, donc !) par Dominique Rabaté lui-même en son livre,
qui ont servi à sa « méditation » _ et enquête _ littéraire sur ce volant précis-ci de la littérature
d’interlocuteurs, de stimulants,
ou d’abord de départs ou bases de sa réflexion et analyse,
ou parfois aussi de repoussoirs, à surmonter en quelque sorte :
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La Pensée du roman, de Thomas Pavel,
L’Art du roman, de Milan Kundera,
La Bonne aventure _ Essai sur la « vraie vie », le romanesque et le roman, de Bernard Pingaud,
Nouveaux problèmes du roman de Jean Ricardou ;
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ou, aussi, les désormais classiques La Théorie du roman de Georg Lukacs
et Mimesis d’Erich Auerbach…
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Dominique Rabaté s’est référé aussi, bien sûr, à son essai précédent Le Chaudron fêlé _ Écarts de la littérature, paru aux Éditions José Corti, déjà, en 2006…
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Et il se réfère aussi au passionnant L’Anneau de Clarisse _ Grand style et nihilisme dans la littérature moderne du grand Claudio Magris,
page 34 du Roman et le sens de la vie :
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le sous-titre de ce recueil d’essai de Magris _ Grand style et nihilisme dans la littérature moderne _ est déjà bien éclairant sur l’axe d’enquête ici de Dominique Rabaté. Comme j’y souscris !!!
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Pour ma part,
j’interprète le regard de Dominique Rabaté ici sur le roman moderne et la « question » du « sens de la vie«
comme affinant _ et assez considérablement... _ la dés-héroïsation des Temps modernes (depuis la Renaissance ; cf aussi François Hartog : Régimes d’historicité)
qui s’amplifie à partir de Flaubert
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_ c’est un mot à George Sand de Flaubert, dans une lettre (de la fin décembre 1875) de leur échange assez suivi de correspondance, que Dominique Rabaté a choisi de mettre en exergue de son essai : Le Roman et le sens de la vie :
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« Il me manque « une vue bien arrêtée et bien étendue sur la vie » _ reprend-il à sa correspondante. Vous avez mille fois raison ! mais le moyen qu’il en soit autrement.«
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Pour l’ambition de vérité (du roman : sur la vie) de Flaubert,
« la bêtise« est bien toujours « de conclure« !..
et de figer… _
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et s’épanouit dans les diverses et variées à l’infini, en leur diaprure, Vies minuscules _ à la Pierre Michon, si l’on veut : Dominique Rabaté l’a reçu il n’y a guère, en ces mêmes salons Albert-Mollat… _ que nous offrent, en effet, les (grands) romanciers (dés-héroïsant) du XXème siècle (et des progrès de son nihilisme) ;
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celle _ dés-héroïsation _ sur laquelle avait déjà commencé à ironiser l’humour noir ravageur et polyphonique de Cervantès en son Don Quichotte…
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Avec divers paliers en ce processus non régulier ni mécanique, certes :
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Le Roman bourgeois de Furetière ;
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Flaubert _ de L’Éducation sentimentale à Madame Bovary (ou l’« hystérie de la vie à soi« , selon la formule de la page 29 : « Une vie à soi ? celle des livres et des clichés« , ici… ; et Dominique Rabaté : « depuis les années 1850, la culture de masse a encore accentué cette tension entre prétention à l’originalité et conformisme« …) et Bouvard et Pécuchet : quelle odyssée !.. _, un maître du rendu de ce processus (mélancolique) :
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et puis,
et que voici tout spécialement analysés ici, en cet essai-ci _ magnifique ! un essai doit-il donc être purement « académique » ?.. _, par Dominique Rabaté,
aux partie II, « La Leçon de la mort«
et partie III, « L’Irrémédiable et l’inoubliable » :
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La mort d’Ivan Ilitch de Tolstoï
et Vers le phare de Virginia Woolf :
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la traduction préférée par Dominique Rabaté est celle revue par Magali Merle de l’édition la Pochothèque, en 1993, des Romans et nouvelles ; la traductrice proposant Voyage au phare pour son titre…
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Un travail passionnant pour le lecteur aussi ;
à relier, pour moi, à l’histoire _ éminemment philosophique ! _ des avatars du sujet en la modernité et post-modernité (et nihilisme : cf Nietzsche…),
comme on voudra.
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Le banal dés-héroïsé d’un sublime qui se « désenchante«
à une certaine vitesse et selon diverses accélérations ou décélérations _ cf Max Weber ; et puis Marcel Gauchet : Le désenchantement du monde… _,
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mais non sans susciter des aspirations (idéalistes ?) à un ré-enchantement ;
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pas trop donquichottesque ;
ou du moins, plutôt à la Cervantès l’auteur bourré d’humour
qu’à la Don Quichotte, le chevalier à la triste figure, son personnage qui meurt à la fin désenchanté…
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Titus Curiosus, ce 8 mai 2010