La double filiation (entrelacée) Buchholz – Lauterpacht de Philippe Sands en son admirable « Retour à Lemberg »
15avr
N’ayant que trop conscience de l’himalayesque difficulté de mes lecteurs
_ y compris « Dear Philippe« , qui n’a guère de temps à s’échiner à suivre de prolixes vétilles de superfétatoire commentaire de son œuvre, lui l’avocat d’autrement pressantes affaires de droit international _
à se perdre dans les poussives velléités de synthétiser les rhizomes baroques de mes hirsutes efforts pour mettre clairement au jour ce qui court et brûle explosivement dessous _ mais maintenu discret, caché, tenu secret, pour ne pas être affreusement crié… _ les longues phrases serpentines des auteurs de ma prédilection
…
_ René de Ceccatty (cf mon article du 12 décembre dernier sur son Enfance, dernier chapitre : « Lire, vraiment lire, ce chef d’oeuvre qu’est « Enfance, dernier chapitre », de René de Ceccatty ; et écouter le podcast de notre entretien du 27 octobre 2017),
Philippe Forest (en son absolument déchirant et torturant Toute la nuit),
Mathias Enard (en son immense et génialissime Zone),
le grand Imre Kertesz (en ce terrifiant sommet de tout son œuvre qu’est Liquidation),
William Faulkner (l’auteur d’Absalon, Absalon !),
Marcel Proust (en cet inépuisable grenier de trésors qu’est sa Recherche…),
et quelques autres encore parmi les plus grands ;
mais pourquoi ne sont-ce pas les œuvres souveraines et les plus puissantes des auteurs qui, via de telles médiations médiatiques, se voient le plus largement diffusées, commercialisées par l’édition, et les mieux reconnues, du moins à court et moyen terme, du vivant des auteurs, par le plus large public des lecteurs ? Il y a là, aussi, un problème endémique des médiations culturelles et de ses vecteurs, pas assez libres de l’expression publique de leurs avis, quand ils sont compétents, car, oui, cela arrive ; mais bien trop serviles, au final, dans leurs publications, inféodés qu’ils se sont mis à des intérêts qui les lient, bien trop exogènes à l’art propre : j’enrage… _,
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j’éprouve,
au lendemain de l’achèvement de mon article _ et qui me tient à cœur ! _ Un vrai grand livre est un palimpseste : Retour à Lemberg, « un livre sur l’identité et le silence » et « les lacunes laissées en nous par les secrets des autres »… de dialogue serré avec le Retour à Lemberg de l’admirable Philippe Sands,
le besoin _ possiblement vain _ de proposer un regard plus synthétique et bref _ et probablement impossible _ sur l’œuvre et son auteur.
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Voilà.
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La piste que je propose de surligner ici
est celle de la double filiation
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et entrecroisée : d’abord géographiquement à Lemberg-Lwow-Lviv _ les carrefours de lieux et moments, tel celui d’Œdipe en route peut-être vers Deiphes, se révèlent décisifs !!! _,
qui lie, tant dans sa vie personnelle que dans sa vie d’auteur, et dans sa profession d’avocat, aussi,
Philippe Sands
_ et cela, via sa mère Ruth (née à Vienne, en une courte étape très peu de temps après l’Anschluss, le 17 juillet 1938) _,
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d’une part, à son merveilleux grand-père Leon Buchholz (Lemberg, 1904 – Paris, 1997) ;
et, d’autre part, _ et cette fois via son professeur, maître à l’université, et mentor de sa carrière d’avocat et d’universitaire : Sir Elihu Lauterpacht (Cricklewood, Londres, 13 juillet 1928 – Londres, 8 février 2017) _, à ce grand juriste britannico-polonais qu’est Hersch Lauterpacht (Zolkiew, 16 août 1897 – Londres, 8 mai 1960)…
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Car c’est le croisement de ces deux filiations-là,
la filiation familiale
et la filiation professionnelle de juriste en droit international,
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qui fait
non seulement la base et le départ,
mais tout le développement, et cela, jusqu’à la fin,
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de l’entrelacement serré des lignes et chapitres constituant le fil conducteur fondamental du récit
de l’extraordinairement passionnante enquête
que mène vertigineusement, six années durant, de 2010 à 2016,
Philippe Sands
en ce merveilleux Retour à Lemberg…
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Entrelacement serré des lignes
_ de vies et morts multiples : dont les fantômes ne nous quitteront plus _
qui constitue d’abord l’occasion _ biographico-anecdotique, qui aurait fort bien pu n’être que superficielle… _ du départ de cette enquête que vont narrer les 453 pages aussi époustouflantes que profondément émouvantes du récit de ce livre,
puisque Lviv _ où avait été invité au printemps 2010 l’avocat britannique spécialisé en droit international qu’est Philippe Sands _ va se trouver constituer bientôt pour Philippe Sands le carrefour _ complètement insu de lui, forcément, au départ _ de deux questionnements qui, à la fois, s’emparent très vite de lui, et lui sont personnels, singuliers, propres :
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_ le questionnement proprement familial sur ce que fut le parcours de vie de son grand-père, Leon Buchholz _ décédé il y avait treize ans (c’était en 1997, à l’âge de quatre-vingt-treize ans) au moment de ce voyage à Lviv en octobre 2010 _, d’une part _ grand-père dont son petit-fils savait (mais seulement vaguement, puisque son grand-père ne lui en avait pas une seule fois parlé !) qu’il était né à Lemberg, puis en était parti, encore enfant… _ ;
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_ et le questionnement sur ce que furent les parcours de vie (ainsi que, d’abord _ afin de rédiger sa conférence d’histoire du droit ! _, sur ce qu’avait été la genèse de leur œuvre juridique, à chacun) des deux grands juristes que sont Lauterpacht et Lemkin _ qui ont, eux aussi, vécu en cette même cité de Lemberg-Lwow-Lviv, et y ont fait leurs études de droit (ce qui n’était pas du tout manifeste au départ de la prise de connaissance par Philippe Sands de leurs thèses de droit international ; et c’est même là un euphémisme !) _ ;
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et qui sont, eux deux, à l’origine et au fondement même de la discipline juridique que pratique au quotidien l’avocat en droit international qu’est Philippe Sands ;
et qui lui a, très factuellement, valu cette confraternelle invitation à Lviv, en Galicie ukrainienne, au printemps 2010.
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C’est donc la simple préparation _ on ne peut plus anodine, en quelque sorte _ de cette conférence sur l’histoire de la genèse des concepts au fondement du Droit international,
qui, au cours de l’été 2010, va faire découvrir à Philippe Sands, loin de toute attente préalable de sa part _ et donc avec une immense surprise pour lui, le conférencier à venir, à l’automne ! _
que Lemkin comme Lauterpacht avaient, eux aussi, des liens puissants
avec cette cité de Lviv :
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des liens tant biographiques, pour y avoir vécu un moment de leur vie,
que juridiques, pour y avoir étudié, l’un et l’autre, le Droit, en son université :
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l’université de ce qui était encore la Lemberg autrichienne, pour Hersch Lauterpacht, entre l’automne 1915 et le printemps 1919 _ l’Autriche perdant sa souveraineté sur Lemberg par sa défaite militaire de novembre 1918 ; perte confirmée lors de la signature du Traité de Versailles, le 28 juin 1919 _ ;
et l’université de ce qui était la Lwow polonaise, pour Raphaël Lemkin, entre l’automne 1921 et le printemps 1926.
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Et cette découverte
que fait cet été 2010 Philippe Sands en préparant sa conférence à venir de l’automne,
se révèlera, et à sa grande surprise, aussi une découverte pour ses invitants ukrainiens de la faculté de Droit de Lviv,
qui ignoraient
non seulement tout des personnes de Hersch Lauterpacht comme de Raphaël Lemkin,
mais, a fortiori, de ce que ces derniers avaient pu recevoir de l’enseignement de leurs professeurs de droit en leur université même de Lemberg-Lwow et maintenant Lviv…
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Mais l’enquête est loin de se cantonner à cette première découverte biographique concernant Leon Buchholz, Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin.
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Car le détail des multiples micro-enquêtes successives auxquelles va se livrer Philippe Sands,
et dans le monde entier, entre 2010 et 2016 _ 2016 étant l’année de la première publication du livre en anglais, à New-York et à Londres _,
avec leurs incessants rebondissements,
concernant les quatre principaux protagonistes que sont Hersch Lauterpacht, Raphaël Lemkin, Hans Frank et Leon Buchholz,
mais aussi le cercle de leurs proches,
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va livrer à son tour de très nombreuses découvertes, et à multiples rebondissements, elles aussi, au fur et à mesure,
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faisant apparaître d’autres parentés, ou plutôt de très intéressantes similitudes de vie,
concernant cette fois les identités personnelles,
et cela jusqu’à leur intimité la mieux préservée de la publicité, pour la plupart d’entre eux,
de nos principaux protagonistes…
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Il est vrai que ne découvrent
que ceux qui cherchent vraiment !
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je veux dire ceux qui cherchent avec méthode, patience, constance, obstination,
grâce à l’examen le plus attentif qui soit des documents que peuvent receler des archives, ou bien publiques ou bien privées, qu’ils vont dénicher ;
et grâce, aussi, à l’obtention, mais recherchée par eux, elle aussi, de témoignages,
tant que vivent encore et que consentent à leur parler, des témoins
_ cf ici par exemple, la démarche de recueuil (et l’œuvre cinématographique) extrêmement féconde d’un Claude Lanzmann ; et les indispensables réflexions de fond d’un Carlo Ginzburg, par exemple en son très remarquable Un Seul témoin…
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Nous découvrirons alors que l’identité des personnes,
en leur intimité même, et la mieux protégée,
à côté de leur vie manifeste et publique de membres de groupes et de communautés,
est quelque chose _ c’est-à-dire un processus vivant _ d’ouvert, complexe, riche, assez souvent secret et, parfois, douloureusement vécu, eu égard aux regards (et jugements, et condamnations _ jusqu’aux violences et même parfois meurtres… _) des autres ;
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et cela que ce soit sur un terrain parfaitement public,
ou sur un autre, plus privé, lui, et tenu au moins discret, sinon caché ou secret…
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J’ajoute aussi l’importance des filiations,
tant biologiques qu’affectives
ainsi que professionnelles ;
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et qui marque puissamment aussi _ et, que ce soit voulu ou pas, assumé ou pas, cela travaille obstinément les consciences et finit le plus souvent par émerger… _,
jusqu’aux générations suivantes :
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ainsi, dans ce récit,
outre le cas princeps de Philippe Sands, son petit-fils,
par rapport à Leon Buchholz, son grand-père ;
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les cas de Elihu Lauterpacht, son fils,
par rapport à Hersch Lauterpacht, son père ;
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de Niklas Frank, son fils,
par rapport à Hans Frank, son père ;
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ou même celui de Horst von Wächter, son fils
par rapport à Otto von Wächter, son père ;
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mais aussi _ et faute de descendance pour lui ; et du fait de la détresse morale de son neveu Saul Lemkin _,
le cas de Nancy Ackerly, sa dernière confidente et collaboratrice,
par rapport à Raphaël Lemkin, son ami de l’année 1959 et employeur occasionnel _ et in extremis…
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Le Droit _ auxquel Leon Buchholz désirait vivement que son petit-fils Philippe se consacre _
se révèle ainsi, in fine, une fondamentale mission de défense de la personne
en sa liberté même d’exister et s’épanouir _ et aimer _,
avec d’autres,
ou quelque autre, peut-être unique et singulier _ en quelque chaleureuse intimité préservée…
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Et il me semble que c’est là un point très important de ce qu’apporte l’analyse de Philippe Sands.
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Ce dimanche 15 avril 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa