De l’élégance : l’oeuvre de clarinette de Carl Maria von Weber (par Martin Fröst) ; et l’oeuvre de portraits d’Antoon Van Dyck

— Ecrit le mardi 17 février 2009 dans la rubriqueArts plastiques, Musiques, Rencontres”.

En ces temps un peu rudes, et passablement chahutés, avec bien de la vulgarité dans les manières,

je propose deux petites cures de touche d’élégance : l’une, plastique (picturale) ; l’autre musicale _ même si les œuvres dont il s’agit sont d’époques dissemblables.

Il s’agira, d’une part, de l’interprétation éblouissante du clarinettiste Martin Fröst, avec, merveilleusement au diapason, le Tapiola Sinfonietta, dirigé de façon particulièrement sensible, juste et vivante, par Jean-Jacques Kantorow, des deux « Concertos pour clarinette« , opus 73 & opus 74 ; du « Concertino pour clarinette & orchestre« , opus 26 ; ainsi que d’une adaptation pour orchestre à cordes _ par les soins de Jean-Jacques Kantorow _ du « Quintette pour clarinette et quatuor à cordes«  opus 34, de Carl Maria von Weber (Eutin, près de Lübeck, 18 novembre 1786 – Londres, 5 juin 1826) _ en un sublime CD BIS-SACD-1523 « Weber Clarinet Concertos & Quintet«  ;

et d’autre part du livre-catalogue de l’exposition qui vient de s’achever au Musée Jacquemart-André (du 8 octobre 2008 au 25 janvier 2009) « Portraits d’Antoon Van Dyck » (Anvers, 22 mars 1599 – Londres, 9 décembre 1641) : « Antoon Van Dyck  _ Portraits« , sous la direction d’Alexis Merle du Bourg, publié par le Fonds Mercator…

C’est à l’occasion de la parution d’un nouveau CD de l’excellent clarinettiste suédois Martin Fröst, dans l’excellent catalogue _ suédois aussi _ Bis, je veux dire le CD « Crusell Clarinet Concertos« , avec le Gothenburg Symphony Orchestra, dirigé par Okko Kamu,

que j’ai passé en revue les CDs en ma possession de ce clarinettiste _ sur le dessus du panier desquels je place aussi  le CD (de chambre, cette fois) « Brahms Clarinet Sonatas & Trio« , par Martin Fröst, donc et Roland Pöntinen, au piano, et Torleif Thedéen au violoncelle : une splendeur aussi ! _,

que j’ai rencontré l’enchantement de ces interprétations-ci de ces œuvres-là de Weber

_ composées en 1811 pour le « Concertino » et les deux « Concertos« , et de 1811 à 1815 pour le « Quintette » ;

et toutes dédiées au « premier clarinettiste de Sa Majesté le Roi de Bavière« , l’exceptionnel Heinrich Baermann (1784-1847).

Par exemple, l’Allgemeine Musikalische Zeitung d’octobre 1819 déclare :

« Monsieur Baermann joue avec infiniment de délicatesse et de grâce ; la suavité de son piano et le decrescendo opéré en retenant le son lui gagnent le cœur des dames« …

Quant à Weber, voici ce que lui-même écrivait à son interprète de prédilection à l’occasion de sa fête, la Saint Henri, le 15 juillet de cette année 1811 :

« Les souhaits se bousculent en moi

comme fenouil, comme cumin et coriandre,

Je ne sais par quoi commencer,

Je suis , pour ainsi dire, troublé par l’émotion.
Je vous souhaite avant tout une langue diabolique,

A laquelle se rattachent des poumons infatigables,

Les lèvres, aussi durables que le cuir,

Les doigts aussi souples que les ressorts d’une horloge 

(…)

Munich, le quinze juillet

Le nom du saint du jour du génie de la clarinette. »

« Depuis que j’ai composé le « Concertino » pour Baermann _ créé à Munich le 5 avril 1811 _, tout l’orchestre est emballé ; et veut avoir des « Concertos » de moi« , écrit Weber le 30 avril…

Le livrettiste du CD, Jean-Pascal Vachon, écrit :

« Le premier « Concerto pour clarinette », opus 73, achevé dès le 17 mai 1811, sera créé le 13 juin à Munich ; alors que le second, opus 74, sera créé le 25 novembre, toujours à Munich _ et, toujours, bien sûr, par Baermann, son dédicataire _ ; et, selon le compositeur, joué « divinement » par ce même Baermann. Le compositeur et le soliste présenteront également ces concertos à Prague et à Berlin« …

Tous ces qualificatifs s’appliquent à la performance ici de Martin Fröst, porté à une incandescence (juste !) _ jusque dans les trois cadences improvisées (magnifiques !!!) à l’enregistrement par le clarinettiste dans les trois œuvres concertantes ! _ par toute la troupe des musiciens du Tapiola Sinfonietta, dirigée par un Jean-Jacques Kantorow tout pareillement « divinement » inspiré !!!

Une merveille dont on ne se lasse pas ! Un charme fou ! La légèreté vive dans la profondeur _ des débuts (encore mozartiens…) du romantisme _ de la grâce… Et je ne dirai rien de la réussite de l’adaptation concertante du « Quintette » par Jean-Jacques Kantorow, captant le génie de Weber même à la source, en quelque sorte…

A côté, les œuvres de Crusell paraissent bien moins inspirées ; et l’interprétation des chefs d’œuvre de Mozart demeure, hélas, cette fois-là, plates… Il faut un tel rassemblement d’énergies et de grâces pour se hisser, lors de l’interprétation, à l’improvisation du créateur aux instants (bénis des Dieux) de la composition _ et de leur écriture, alors _ sans rien dire des cadences à, si possible, improviser au concert, pour le virtuose soliste…Tout doit se mettre au diapason du génie qui dicta la coulée de l’œuvre… Et les auditeurs, aussi, forcément : il leur faut, à eux aussi, une sorte d’ascèse : d’abord en s’efforçant de se couper des bruits toujours trop dissonants _ du moins pour cette grâce-là _ du monde alentour ; ensuite, ce que Baldine Saint-Girons nomme « l’acte æsthétique« …

Quant au choix, au sein de « l’œuvre de portraits » d’Antoon Van Dyck, réuni par l’exposition du Musée Jacquemart-André ; et que présente le livre-catalogue « Antoon Van Dyck  _ Portraits« ,

quelle joie promise celui-ci rend-il au centuple !!!

Cet œuvre (de portraits) d’Anton Van Dyck _ celle d’un homme jeune (sa création, commencée à l’âge de dix-sept ans, en 1616, à Anvers, sera fauchée par la mort en pleine gloire, à la cour de Londres, en 1641 _ est, en effet, contemporain de l’éclosion de la musique baroque, elle-même témoin de l’avènement (progressif, au sortir des guerres de religion) de l’individu, appelé à devenir singulier, brillant et virtuose : artiste…

Ce n’est donc pas pour rien que cette exposition-ci, à Jacquemart-André _ peut se permettre de se concentrer sur le seul « œuvre de portraits » de Van Dyck, au service

et du roi Charles Ier Stuart d’Angleterre ;

et d’une aristocratie _ flamande, gênoise, anglaise _ plus ou moins de vieille souche (jusque, carrément, des « parvenus » que Van Dyck présente en « grands seigneurs » : par exemple l’époustouflant  « Portrait de Philippe Le Roy« , en 1630 (de la « Wallace Collection », à Londres) ; ou le « Portrait d’homme« du « Museu Calixte Gulbenkian », à Lisbonne ;

comme, aussi _ et sans façons _ d’amis peintres : tel le double, merveilleux de vie, « Portrait de Lucas et Cornelis de Wael« , de la « Pinacoteca Capitolina », à Rome…

Me touche tout particulièrement beaucoup, aussi, l’extrême délicatesse du « Portrait de profil de la reine Henriette-Marie« , du « Memphis Brooks Museum of Arts »…

Même si je regrette _ en bordelais que je suis… _ de ne pas avoir trouvé ici le « Portrait de la reine Marie de Médicis » au (bref) moment anversois (4 septembre-16 octobre 1631) de son exil-déchéance, un des joyaux du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux…


En son précis et subtil texte de présentation « Du portrait vandyckien » _ aux pages 25 à 41, Alexis Merle du Bourg, commissaire de cette exposition, met l’accent _ voici l’intitulé de ses « chapitres » : « animation et expressivité » et « ennoblissement des modèles et exaltation de la noblesse » _ ;

met l’accent sur l’art de la sprezzatura de Van Dyck :

à propos du sublime « Portrait de Charles Ier « à la chasse », du Louvre, il commente :

« Au sommet de son art, Van Dyck seul parvient à réaliser, à ce degré, la combinaison d‘éthoi contradictoires :

la conscience de la permanence de l’être ; et celle de la fugacité du moment ;

la grandeur ; et la nonchalance ;

la majesté ; et la sprezzatura, cette aisance désinvolte qui résulte du sentiment de sa propre supériorité, dont Baldassar Castiglione, dans son « Livre du courtisan » (1528), l’un des ouvrages les plus influents de la période moderne, fait procéder la grâce.

La notion de sprezzatura, attitude éminemment aristocratique qui caractérise les modèles de Van Dyck vaut aussi pour toute sa peinture qui ne sent jamais l’effort, alors même que l’on sait qu’elle lui en réclama beaucoup. C’est dans l’union des contraires _ l’oxymore, décidément comme principe clef de l’âge dit « baroque » _ qu’il apparaît insurpassé » _ sublime.

On pourra comparer le choix des œuvres de cette exposition ; ainsi que celui d’illustrations complémentaires de ce livre-catalogue « Antoon Van Dyck  _ Portraits » ;

avec celui _ impressionnant en sa richesse _ du beau livre « Antoine van Dyck 1599-1641« , sous la direction de Christopher Brown et Hans Vlieghe, à l’occasion de l’exposition de même titre au « Koninklijk Museum voor Schone Kunsten » d’Anvers (15 mai – 15 août 1999) et à la « Royal Academy of Arts » de londres (11 septembre – 10 décembre 1999), publié aux Éditions Le Ludion & Flammarion :

la grâce de Van Dyck _ artiste majeur  _ est irrésistible…

Titus Curiosus, ce 17 février 2009

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