La pudeur la plus intime de l’idiosyncrasie de Reynaldo Hahn miraculeusement incarnée par le piano délicat sublimissime de Pavel Kolesnikov…
Ainsi que l’indique Pavel Kolesnikov lui-même dans la notice du livret du CD « Reynaldo Hahn Poèmes & Valses« , le CD Hyperion CDA 68383 qui vient de paraître ce mois de juin 2022,
ce fut l’expérience du confinement du COVID-19 « qui bouleversa le monde dans tous ses agissements » qui constitua « le moment idéal » pour le pianiste de se mettre à affronter _ enfin _, dans la perspective très concrète d’un enregistrement, « l’incroyable corpus de pièces pianistiques » de Reynaldo Hahn, qui avait provoqué, lors de sa première découverte par lui, quelques années auparavant, un « trouble initial : à première vue, j’ai eu _ alors _ du mal à appréhender ces œuvres, à entrer _ vraiment _ dedans.«
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Et « Ce fut Éros caché dans les bois et particulièrement sa sonorité _ assez extraordinaire, en effet _ qui agirent _ lors de la découverte initiale du piano de Reynaldo Hahn par Pavel Kolesnikov _ comme éléments déclencheurs. Il y avait là quelque chose d’intrigant, de programmatique et pourtant d’un peu abstrait. Il est singulier qu’une œuvre puisse à ce point s’inscrire dans l’empire du doute, la scène n’étant réellement ni de ce monde ni d’un autre monde et n’appartenant ni au domaine des dieux ni à celui des vivants.«
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« Passé ce premier sentiment, je me suis _ alors _ laissé gagner par la musique, qui est elle-même à la fois vague et précise. Voilà comment je suis passé d’une œuvre l’autre, comme un enfant tenant un sac de bonbons dont le niveau baisse à mesure que sa faim de sucre se déchaîne. Certaines pièces me laissèrent indifférents, mais d’autres _ nombreuses _ me renvoyaient à ma première impression de mystère, là où l’auditeur est à la lisière de ce qui lui est familier.«
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Mais cette musique _ si rare en la puissante mais si discrète étrangeté de son idiosyncrasie _ décidément résistait…
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Ce n’est que « les années passant _ que _ j’ai compris qu’il y avait un temps pour tout, et qu’il ne fallait jamais forcer une adhésion. Je me suis fait confiance, et j’ai rangé le recueil, pour mieux y revenir ensuite« .
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De fait, au moment de la sidération si puissante de l’expérience de l’enfermement pour le COVID-19,
ce fut « la torpeur du temps distendu, une grosse biographie de Proust dans les mains, et _ surtout _ ce vaste champ de réflexion qui se dégageait par contrainte dans ma vie, _ qui _ apparurent comme des ingrédients _ paradoxalement _ providentiels.
Après avoir procrastiné pendant quelques jours, je pris mon courage à deux mains et je me suis mis à imaginer l’enregistrement _ à réaliser. L’idée de départ était relativement simple et en grande harmonie avec mon précédent projet d’enregistrement des Variations Goldberg (CDA 68338) : tenter de construire les sons sur la base d’une présence imaginaire de l’interprète _ chose impossible au concert vu qu’il se tient physiquement devant les auditeurs _ et offrir de s’ouvrir _ soi, pleinement _ à une sorte d’écoute intérieure. Surtout ce qui me plut par-dessus tout fut d’adopter une esthétique de travail que j’avais appliquée à la musique de Bach et de la confronter désormais à une œuvre réputée aux antipodes de celle-ci.«
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Mais « comment _ donc _ y pénétrer par un _ si _ minuscule trou de serrure ? C’est la qualité insulaire de l’œuvre de Hahn : ses beautés fragiles sont comme protégées par des océans d’incertitudes, où tout est vague et protège son expression, à la fois minuscule et expressive.«
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Et de fait « il y a quelque chose de très apaisant dans la manière dont Hahn observe et agence les minuscules touches d’émotion : nulle arrogance architecturale, mais seulement de la tendresse, une grande tendresse. J’y vois presque quelque chose d’enchanteur, un funambulisme entre la clarté, l’élégance et la liberté d’expression _ voilà tout Hahn en sa singulière et si rare idiosyncrasie… C’est l’art d’habiter sa musique sans volonté de la posséder« .
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Et c’est ainsi que « en ce début de crise _ pour Pavel Kolesnikov confiné alors à son domicile londonien _, Reynaldo Hahn fut ma planche de salut« …
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Le résultat,
cet enregistrement-ci de 19 des 53 pièces « Rossignol éperdu« , et de 6 des 11 « Premières Valses » de Reynaldo Hahn,
est un prodigieux miracle d’intelligence de la sensibilité de ce compositeur si fin, si racé, si pudique…
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De ces œuvres pour piano seul de Reynaldo Hahn,
ma discothèque comprenait déjà
d’une part le double CD « Le Rossignol éperdu » (Passavant Music PAS 114273), des 53 pièces de ce recueil, par Bernard Paul-Reynier, enregistré en mai 2014 ;
et d’autre part, le CD « Reynaldo Hahn Piano Works » (Pro Piano 224538), comprenant les 11 « Premières Valses« , par Laure Favre-Kahn, enregistré à New-York le 11 mars 2003.
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Mais l’interprétation sublimissime de délicatesse de Pavel Kolesnikov, ici, emporte tout !
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Cf aussi mon article du 22 mars dernier : « Ecouter précisément, et en sa variété, l’oeuvre jouissive de Reynaldo Hahn (1874 – 1947), « le Parisien du Venezuela »…« ,
rédigé au moment de ma lecture passionnée de « L’Autre XXe siècle musical » de l’ami Karol Beffa, à l’oreille et au goût si magnifiquement perspicaces…
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À la page 55 de ce livre important, Karol Beffa résume ce qu’il qualifie de « grand secret » de Reynaldo Hahn, « celui du charme« .
Et « par ce charme _ prévenait-il _, on ne saurait entendre le mignon, le joli, le mignard complaisant, mais le charme au sens de carmen, qui désigne en latin le sortilège.
Hahn le charmeur est un enchanteur, un sorcier« .
On ne saurait mieux dire.
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Et ce merveilleux CD enchanteur « Reynaldo Hahn _ Poèmes & Valses » de Pavel Kolesnikov, nous fait approcher au plus près de la magie unique de ce sortilège singulier de l’art si « naturel » de Reynaldo Hahn,
si puissant et pénétrant en sa pudeur si délicate et presque fragile…
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Ce samedi 2 juillet 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa