Posts Tagged ‘comique

Fin ce lundi à 14h 36 de ma toute première lecture-déchiffrage du « MDEILMM _ Parole de taupe » d’Héléne Cixous : un opus conversationnel désopilant !

14nov

Fin ce lundi 14 novembre 2022, à 14h 36, de ma toute première lecture-déchiffrage du « MDEILMM _ Parole de taupe » d’Héléne Cixous :

un opus absolument désopilant !

_ et à ce propos, je recommande tout spécialement l’épisode à hurler de rire, aux pages 74 à 79, des choux à la crème auxquels ne peut surtout pas résister la cousine d’Hélène, peut-être cette « cousine Pi » (et sœur du cousin « Paul-le-malheureux« ), précédemment évoquée dans son cahier « Nacres« , et qui serait née en 1932 ; cf mon article «  » du 17 octobre 2019… L’irrésistible puissance de comique d’Hélène Cixous emportant tout !

H., décidément, s’amuse énormément,

avec l’offrande de cette n-ième revisite, avec sa réserve bien giboyeuse de magiques nouveautés, du quatrième étage de la rue Philippe, à Oran, de son enfance en Algérie sous Pétain,

où continuent de venir nous parler les adorables tables tournantes des apothicaires « Monsieur Émile » et sa pas tout à fait sybilline sœur-baleine Alice Carisio,

pour notre enchantement…

Avant de rédiger un premier commentaire un peu personnel de cet opus

qui fait suite-prolongement au déjà bien beau « Rêvoir » de l’année dernière, 2021 _ cf mes trois articles des 25 « « , 26 «  » et 27 décembre derniers «  » _,

je désire, en forme d’ouverture à mes propres remarques, citer ici deux articles consacrés à ce récent « MDEILMM _ Parole de taupe« ,

en date des 18 octobre, « Hélène Cixous, messagère de la taupe-littérature« ,

et 22 octobre derniers, « Frappée(e)(s) à l’âme, par Hélène Cixous, écrivain« ,

sous les plumes de Véronique Bergen et Fabien Ribéry…

Et désormais,

en la difficile absence physique, pour Hélène, de sa bien terrienne et solide et si vivante et très généreusement prenante mère Eve, née Klein, à Strasbourg le 10 avril 1910,

ce sont sa linguiste de fille Anne-Emmanuelle, née à Sainte-Foy-la-Grande le 27 juillet 1958, et son scientifique et mathématicien de fils Pierre-François (dit Pif), né à Paris le 22 septembre 1961, qui sont devenus les interlocuteurs priviligiés de ces vives et très animées magnifiques conversations de voix d’Hélène,

confiées à l’accueillante soie tendre, mais durable, et donc in fine assez solide, du papier

de ce qui va nous demeurer, à nous lecteurs tant soit peu attentifs _ ou inattentifs, c’est selon… _, en livres

à toujours encore jouer _ comme Hélène Cixous, la première, en l’activité hyper-sensible et hyper-ouverte, et plutôt joyeuse, de son imageance si joueuse _ à déchiffrer _ de tels livres ne se livrant pas, de même que le plus fin nectar de leur suc, immédiatement, à la toute première lecture, un peu trop rapide : leurs mystères nous défiant (de même qu’ils défient aussi Hélène, la première, en ses séances béantes d’écriture de tels livres…) ironiquement toujours un brin… Il nous faut donc apprendre un minimum à jouer, avec délices, avec la vraie littérature s’écrivant et se lisant, ainsi que se donnant finement à écouter… _,

et éventuellement _ c’est aussi selon nos propres humeurs… _ ruminer…

À suivre, donc,

Ce lundi 14 novembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Personne et personnage de Bioy dans le portrait enchanteur qu’en trace René de Ceccatty en notre entretien du 10 octobre dernier à la Bibliothèque de Bordeaux

18oct

Pour poursuivre

en accédant à son immensément riche détail

la _ merveilleuse ! _ conversation bioyesque du 10 octobre dernier

avec René de Ceccatty

en l’Auditorium de la Bibliothèque de Bordeaux-Mériadeck

_ cf mon article du 11 octobre :   _,

voici, en vidéo,

ce portrait enchanteur que trace René de Ceccatty

de Bioy,

sur fond du cercle des très proches de Bioy,

mais aussi du meilleur de la littérature argentine

dont Bioy constitue un des très précieux éléments ;

cette vidéo est une vraie merveille

de justesse d’un portrait.

Quelques précisions a posteriori de René de Ceccatty,

au visionnage de cette vidéo :

« J’ai commis, entre autres probablement, deux erreurs factuelles.

Cinelandia date de 2012, et non 2008 ou 2010, comme je dis en hésitant.

Et ce n’est pas avec Facundo Bo que j’ai traduit le Fausto Criollo d’Estanislao Del Campo. Je l’ai traduit seul, en demandant de temps à autre des explications et des contrôles à Alfredo Arias.

En revanche, avec Facundo, j’ai traduit Cachafaz de Copi. Mauvais souvenir, parce que Facundo, malade, a dû abandonner les répétitions et être remplacé, alors que c’était une pièce qui lui tenait tellement à cœur et qu’il l’avait traduite avec moi.

Ce genre de bégaiements de la vérité est inévitable hélas dans les entretiens oraux. Mais j’ai sans doute dit d’autres bêtises, hélas…« 


Ce vendredi 18 octobre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un travail bioyesque de René de Ceccatty pour le Cinelandia d’Alfredo Arias _ et un entretien proprement extraordinaire

11oct

Hier jeudi 10 octobre,

à 18 heures à l’Auditorium de la Bibliothèque de Bordeaux-Mériadeck,

et dans le cadre de l’hommage à Adolfo Bioy (1914 – 1999)

_ pour le vingtième anniversaire de son décès à Buenos Aires en 1999 _

organisé par l’Association Les Amis de Bioy Casares,

une merveilleuse contribution de René de Ceccatty,

à partir de la métamorphose qu’il fit, en 2002, en son Fiction douce

_ le quatrième volume du récit de ses amours compliquées avec Hervé : 

Aimer (Gallimard, paru le 27 août 1996), Consolation provisoire (Gallimard, paru le 5 mars 1998), L’Èloignement (Gallimard, paru le 12 janvier 2000), Fiction douce (Le Seuil, paru le 22 février 2002) et Une Fin (Le Seuil, paru le 27 août 2004) ;

et l’ensemble de ces 5 récits (d’entre 1996 et 2004) mérite assurément une édition qui les réunisse ! _

de la personne d’Adolfo Bioy

en personnage de son récit.

Tout dernièrement, René de Ceccatty s’est souvenu

qu’un autre rapport, cette fois à l’œuvre de Bioy, avait marqué son propre travail d’écriture,

et en collaboration avec Alfredo Arias :

pour Cinelandia, un spectacle musical créé en 2012 et redonné en 2014, 2016…

Et il m’a adressé ce texte

pour m’aider aussi _ et encore _ à la préparation de notre entretien de 18 heures hier jeudi 10 octobre.

Voici donc ce que René de Ceccatty et Alfredo Arias ont tiré,

pour leur Cinelandia,

du film de Leopoldo Torres Rios et son fils Leopoldo Torres Nilsson El Crimen de Oribe,

et, encore en amont _ et à la source _,

de la nouvelle de Bioy El Perjurio de la Nieve

(un conte paru notamment dans La Trame céleste) :

El Crimen de Oribe

Alfredo : Loin de toute ironie se situe le monde poétique et fantastique d’El Perjurio de la Nieve, Le parjure de la neige, est une nouvelle de l’auteur Argentin Adolfo Bioy Casares. Elle raconte l’histoire d’un père qui réussit à ensorceler le temps pour empêcher la mort de sa fille. Ce récit a été porté à l’écran en 1950 par Leopoldo Torres Rios et par son fils, Leopoldo Torres Nilsson sous le titre : El crímen de Oribe, Le crime d’Oribe.  C’était une époque où les écrivains argentins souffraient d’une curiosité maladive : ils fourraient leur nez partout. Borges et Bioy Casares adoraient se promener dans cette ville de Buenos Aires qui, avec ses rues et ses personnages, se présentait comme une sorte de grande bibliothèque. 

Carlos Thompson entre en scène, vêtu d’un costume sombre, ayant l’allure d’un dandy désabusé.

Carlos: Ou de fête foraine avec ses crimes et ses jeux de miroirs où il m’est arrivé de perdre mon âme….

CARLOS CHANTE. ALMA MÍA.

Le son d’un piano évocateur reproduit cette lancinante mélodie qui fut interprétée magistralement par l’inoubliable chanteur cubain Bola de Nieve. Carlos entraîné par la mélancolie de la chanson  dessine avec ses pas le chemin d’un inextricable labyrinthe.

Alma mía, sola, siempre sola,

sin que nadie comprenda, 

tu sufrimiento, tu horrible padecer.

Fingiendo una existencia

siempre llena de dicha y de placer,

de dicha y de placer.

Si yo encontrara un alma

como la mía,

cuántas cosas secretas

le contaría.

Un alma que al mirarme,

sin decir nada,

me lo dijese todo

con su mirada.

Alfredo : Vous, Carlos Thompson, né Juan Carlos Mundin Schafter, comédien argentin, né en Suisse alémanique… Impeccable!

Carlos : Gracias. J’ai fait mes débuts d’acteur dans ce film somnambulique…

Alfredo: Vous êtes face à moi pour parler d’un film qui m’a beaucoup marqué. Et qui prolonge jusqu’à aujourd’hui sa fascination. Assez pour que je ne vous oublie pas.

Carlos: Oui, j’étais une star du cinéma international. Star involontaire, on peut dire. Et sans doute que Le Crime d’Oribe, ce conte énigmatique, a révélé ma vraie nature. Ecrivain.

Alfredo : Le Crime d’Oribe. Curieux titre, à  double sens : d’un côté, on croit qu’on a tué Oribe et de l’autre qu’Oribe a tué quelqu’un !

Carlos: Comme mon personnage dans le film, instigateur d’un crime et victime d’un meurtre. (Ironique) Un homme plutôt très malheureux, n’est-ce pas?

CARLOS CHANTE: NO PUEDO SER FELIZ. 

Pendant que Carlos murmure les paroles de cette chanson désespérée, on voit entrer, comme un fantôme, Lucía. Elle se cache derrière ses lunettes noires et elle est enveloppée  d’une tunique de recluse sophistiquée.  

Lucía entre.

No puedo ser feliz,

no te puedo olvidar,

siento que te perdí

y eso me hace pensar.

     

He renunciado a ti

ardiente de pasión,

no se puede tener

conciencia y corazón.

Hoy que ya nos separan

la ley y la razón,

si las almas hablaran

en su conversación

las nuestras se dirían

cosas de enamorados,

no puedo ser feliz,

no te puedo olvidar.

Lucía : Je m’appelle Lucía. Je suis la victime  d’Oribe… et vous (à Carlos),  vous êtes Oribe…

Carlos (qui devient désormais Oribe): Oui j’incarne Oribe et à la fin du film, à cause de vous,  Lucía, je suis assassiné !

Lucía : Nous sommes les deux morts d’une même histoire. Ça a l’air de vous faire plaisir…

Carlos-Oribe: Un meurtre donne toujours une touche de perfection à une histoire. C’est propre, c’est net, c’est définitif.

Lucía: C’est la fatalité.

Carlos-Oribe: Dans le film, tout commence par une énigme. J’étais fasciné par une histoire. On m’avait parlé de votre estancia… l’estancia des Vermehren, à General Paz, au sud de Buenos Aires. J’étais un poète avide de mystère, alors j’ai fait le voyage pour savoir si je pouvais…

Lucía : Aucun étranger n’avait accès à notre propriété. N’est ce pas, Adelaida ?

Adelaida, la sœur aînée, entre. Elle aussi a l’apparence immatérielle d’un esprit, sorti d’un magazine de mode des années 50.

Adelaida: Nous formions une famille modèle d’émigrés danois. Les Vermehren.

Lucía: Nous étions quatre filles.

Adelaida: Lucía, moi, Adelaida, et deux autres petites sœurs.

Lucía: Ruth et Margarita… Nous vivions seules avec notre père… 

Adelaida : Maman est morte pendant notre voyage entre Copenhague et Buenos Aires.

Lucía: Notre père avait fait fortune, mais au bout de quelques années…

Adelaida : … il y a de ça maintenant…

Lucía :… non, tu sais bien, pas de date !

Adelaida :… Oui, pas de date … Les heures ne tournent plus.

Lucía :…. Nous sommes dans un jour qui se répète…

Adelaida :… sans aucun changement….

Lucía :… réfugiés derrière la grille cadenassée, derrière les volets clos, les rideaux tirés… 

Adelaida: …  et tout ça parce que tu es tombée gravement malade…

Lucía (souriant) : … le diagnostic du médecin a été lapidaire…

Adelaida : Tu n’avais plus que quelques mois à vivre, ma pauvre petite chérie.

Lucía : C’est alors que notre père a décidé de nous couper du monde, d’arrêter le temps,.

Adelaida: Et que plus personne n’aurait le droit d’y entrer… 

Lucía: Les voisins étaient intrigués: « Comment font-ils pour se nourrir? »

Adelaida: Les commis qui apportaient les aliments s’arrêtaient au portail…

Lucía: À l’intérieur, la vie était rythmée par nos soupirs,  par nos propres pas.

DUO DE LUCÍA ET ADELAIDA: EL MUNDO QUE YO NO VIVA. 

Les sœurs Vermehren chantent de leurs voix ensorcelantes une nostalgique ballade tandis que leurs corps reproduisent des gestes quotidiens, à la façon d’automates.

El mundo que yo no viva,

lo pensé como cosa extraña,

con marca de maravilla,

¡ay!, de mi vida.

Allí sonará la lluvia,

junto al fuego en las noches frías,

vendrá agosto en el río Arga

y tú, la gentil sonrisa.

Brillará en el papel que siembro,

la negra flor de la tinta,

¡ay!, de mi vida.

Carlos-Oribe : Un jour, un journaliste en route pour la Patagonie descend dans l’Hôtel America où je logeais. Je lui ai parlé de cette énigme de votre estancia interdite… de cette étrange famille danoise perdue à General Paz… Où le temps semblait s’être endormi.

Lucía : Et il y avait au milieu de la pièce, tu te souviens…

Adelaida: Un arbre de Noël. …

Lucía : Car Noël était éternel.

Adelaida: Chaque soir,  nous fêtions Noël….. comme en 1930.

Lucía  (protestant) : Ah, ces dates, ces dates !

Adelaida: Le même soir de Noël comme il y a vingt ans.

Lucía (inquiète): Nous sommes en 1950 ?

Adelaida : Oui, nous sommes en 1950.

Carlos-Oribe: J’ai voulu en avoir le cœur net. Comprendre pourquoi vous viviez comme autrefois dans un passé répété minutieusement. Oui, par un soir de neige, nous nous sommes approchés, le journaliste et moi, de l’estancia où nous avions tant envie de rentrer. Et finalement on a pu pénétrer le mystère….  De retour à l’hôtel, nous avions tellement bu … Or, le matin venu, nous avons appris que…

Lucía:… Je meurs…

Adelaida :… Mais pourquoi, Lucía ? Pourquoi maintenant ?

Lucía :… ma maladie…

Adelaida :… je te croyais guérie.

Lucía :… non, non, le sortilège a été rompu… Les heures ont repris leur rythme.

Adelaida :…. Mais qui a remonté la pendule?

Lucía :… Nous ne sommes plus seuls, Adelaida ! Nous ne sommes plus hors du temps ! 

Adelaida: Pour que tu restes en vie, il fallait que personne ne brise le cercle du temps suspendu.

Lucía: J’ai aperçu un visage étranger, j’ai croisé un regard. L’intrus m’avait découverte en train de chanter.

 Adelaida: Quelqu’un nous a surprises ! Nous a arrachées à notre rêve. Et t’a ôté la vie, mon pauvre ange!

 (Lucía  meurt dans les bras d’Adelaida)

CARLOS ORIBE. AY AMOR!

La poésie de la chanson interprétée par Carlos-Oribe accompagne la mort de Lucía qui glisse entre les bras de sa sœur comme la pluie entre les doigts de la main.

Ay amor, si me dejas la vida

Déjame también el alma sentir,

Si sólo queda en mí dolor y vida,

Ay amor, no me dejes vivir.

Carlos-Oribe : En réalité, moi, je suis resté à la grille de l’estancia. Mais comme le journaliste, au retour de son expédition, m’avait tout raconté en détails, il ne m’a pas été difficile de repérer l’endroit précis où se trouvait votre alcove. 

Lucía : Et ça vous a coûté cher!

Carlos-Oribe: Deux mois plus tard, on retrouvait mon cadavre dans une rue d’Antofagasta.

Lucía: Mon père vous a poursuivi jusqu’au Chili et tué d’une balle.

 Carlos-Oribe : Selon votre père, j’avais été le témoin qui avait suspendu la répétition incessante de ce Noël 1930!

Lucía: Et mon père a vengé sa fille, croyant qu’Oribe était le responsable de ma mort.

Oribe: Mais il s’est trompé de victime.

Lucía: Oui, je le sais, c’était l’autre, l’intrus, votre complice! Et non pas vous ! C’était lui qui s’était faufilé dans notre intimité. 

Adelaida (apparaissant) : Viens petite sœur, viens te reposer (Lucía sort). La maison est bien mélancolique depuis ton départ, les herbes folles ont presque enseveli notre demeure jadis enchantée. Les minutes avancent inexorablement. Et nous vieillissons derrière une dentelle de feuilles mortes.

ORIBE CHANTE: NO PUEDO SER FELIZ . 

Cette fois Carlos-Oribe, transporté par cette chanson, suit la fantomatique Lucía qui l’entraîne en parcourant les sinuosités d’un sentier sans issue.

Hoy que ya nos separan

la ley y la razón,

si las almas hablaran,

en su conversación

las nuestras se dirían

cosas de enamorados,

no puedo ser feliz,

no te puedo olvidar.

Alfredo: Bioy Casares disait qu’Oribe était un poète immoral, parce qu’il avait incité le journaliste à briser cette nuit de Noël  et à sacrifier ainsi la vie de Lucía. Et tout ça, pour écrire un poème romantique sur sa mort !… Un poème sur la mort, ça vaut une vie ? 

Carlos: Oui, on peut mourir pour un poème sur la mort.

Alfredo : Prendre la place d’un autre, rien de plus dangereux... On ne sort jamais vivant de la galerie des miroirs!

Carlos: Qui a dit ça?

Alfredo: Orson Welles… je crois. Fin.

 

Le commentaire que fit hier René de cet épisode bioyesque

de sa collaboration avec Alfredo Arias

a été proprement merveilleux

à propos des fantômes, du temps et de l’éternité, de l’amour, de la mort, et des chagrins,

ainsi que du comique _ d’ironie, toujours très discrète, mais bien réelle et perceptible _,

dans l’œuvre d’Adolfo Bioy Casares ;

et tout cela en une suprême élégance et le plus parfait respect du lecteur

_ avec une profonde et vraie humilité.

Tout cela manifeste excellemment les diverses connexions qui existent

entre René de Ceccaty

_ tourné d’abord vers l’Italie et le Japon (et aussi la Tunisie) de son histoire personnelle _

et,

parmi divers Argentins qui l’ont marqué,

notre Adolfo Bioy

_ notre cousin un peu célèbre au sein du panthéon littéraire mondial.


Je tiens aussi à souligner ici le chapitre intitulé Complicité,

aux pages 377 à 383 du très remarquable Mes Argentins de Paris

(paru aux Éditions Séguier le 20 mars 2014),

qui narre le détail _ passionnant ! _ de cette inspiration bioyesque

d’Alfredo Arias et René de Ceccatty.


Détail que René a admirablement développé hier soir

dans une intervention _ oserai-je dire sublime ? _ qui a touché au cœur

l’assistance entière de l’Auditorium de la Bibliothèque de Bordeaux.


Ce vendredi 11 octobre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pour aborder le continent Cixous (II)

09mai

Pour continuer mon exploration du continent Cixous,

après mon  du 25 avril derniersoit ma première étape de cette approche _, qui concernait ma lecture de Homère est morte… (2014), Eve s’évade _ la Ruine et la Vie (2009), et Si près (2007), 

j’en viens à mes lectures de Hyperrêve (2006) et Tours promises (2004).


Par conséquent,

à partir de ma lecture de Hyperrêveparu le 7 septembre 2006,

je place ce jour à mon dossier d’approche

cet article

La Peau du Temps

de notre ami René de Ceccatty,

publié dans Le Monde, le 8 septembre 2006

_ article au sein duquel j’intercale, au passage, ainsi que j’aime le faire, quelques menues farcissures de commentaire (ou précisions factuelles) de mon cru, en vert.

Si ces farcissures dérangent, le lecteur a, bien sûr, entier loisir de les shunter.

Voici donc cet article de René de Ceccatty, de 2006, à propos de Hyperrêve d’Hélène Cixous,

et autour de la question qui vient plus particulièrement ici _ car elle est permanente ! _ travailler l’auteur

de ce qui continue d’une vie _ le podcast de la voix d’Hélène Cixous, enregistrée le 15 septembre 2006, dure 4′ 28 ; et c’est bouleversant de beauté de la vérité ! Les voix, en effet, sont tellement fondamentales ! et perdre la voix et la parole d’un interlocuteur (ne serait-ce qu’au téléphone !) ajoute à la tragédie de la perte pour nous de sa personne _ par-delà cette interruption que constitue, pour nous qui vivons, la mort physique de la personne dont la conversation nous fait désormais cruellement défaut :

La peau du temps

Hélène Cixous explore les tragédies
de l’intime dans Hyperrêve, un récit habité par le vieillissement de sa mère
et le deuil du philosophe Jacques Derrida 

Certains lecteurs _ c’est donc d’abord aux capacités et incapacités de la lecture (des divers lecteurs) que vient s’intéresser le lecteur lui-même qu’est ici René de Ceccatty, notons-le pour commencer _ ont perdu le sens musical, celui qui leur permettrait de retrouver, chez un auteur, les tonalités familières qui leur donneraient le sentiment d’être en sécurité _ en un très long flux continu, qui vient les envelopper et les exalter, en la chaude et vraie familiarité continuée, ou reprise, maintenue en tout cas _, le temps de la lecture _ serpentine d’une telle œuvre à longues phrases. Les mélomanes connaissent bien cette sensation qui fait que, entendant pour la première fois une pièce musicale, ils l’attribuent _ aussi _ sans difficulté à un compositeur _ dont ils reconnaissent, parce qu’il s’y sont plus ou moins familiarisés avec, l’unicité d’un style : singulier. « Le style, c’est l’homme même« , dit Buffon. Hélène Cixous, pour être lue et aimée, demande que les lecteurs récupèrent cette faculté _ musicale, en effet ; ce qui implique de relier l’opus en train d’être lu à d’autres précédemment lus de cet auteur ; dans l’œuvre de laquelle tout se tient, se prolonge, se continue, se perpétue, en se renouvelant sans cesse ; car il y faut ce dynamisme-là, et non la simple répétition (mécanique, ou algorithmique, maintenant). Elle a construit son œuvre, contrairement aux préjugés qui traînent encore _ hélas : le buzz des médias est difficile à contrebalancer, comme venir à bout de la mauvaise herbe _ et qui en ont interdit l’accès à ceux qui seraient prêts à y entrer, avec une parfaite _ c’est-à-dire totale _ liberté _ sans la moindre compromission, et jubilatoire, qui plus est : ce point est capital. Ici, les résonances durent longtemps ; et règnent : dans la grâce.

Joyce, auquel elle a consacré sa thèse _ L’Exil de James Joyce, ou l’art du remplacement, en 1968 _, lui a montré _ déjà _ une voie _ où engager sa propre écriture. Puis Kafka, puis Proust _ en effet. Et il y a l’ami « pour toujours », Jacques Derrida, avec lequel elle a entretenu un dialogue constant _ si dès 1955 elle l’a entendu, lui « de dos« (en une leçon d’agrégation à la Sorbonne), c’est en 1962 que leur dialogue a commencé, pour ne plus jamais s’interrompre _, qu’elle prolonge _ oui, par ce qu’elle nomme ici hyperrêves _ au-delà de la mort du philosophe _ survenue le 9 octobre 2004 ; il avait soixante-quatorze ans. Et le théâtre, pratiqué essentiellement avec Ariane Mnouchkine et parfois avec Daniel Mesguich, l’a incitée à adopter une autre forme _ encore _ de communication, se tournant vers d’autres mondes sans se couper _ jamais non plus _ d’elle-même _ c’est-à-dire des diverses voix résonnant toujours en elle-même : dans l’éternité temporelle.

Depuis quelques livres, on dit qu’Hélène Cixous est devenue « plus facile » _ à lire. Elle a rendu plus directe _ c’est-à-dire frontale _ une réflexion sur son père _ Georges _, sur sa mère _ Eve _, sur son fils _ Stéphane _ né handicapé et disparu très petit _ en 1961 _, sur ses ascendances juive et allemande _ côté sépharade comme côté ashkénaze _, sur sa jeunesse algérienne _ de sa naissance à Oran, le 5 juin 1937, à son départ pour Paris (et la khâgne du lycée Lakanal), en septembre 1955, à l’âge de dix-huit ans. Mais les thèmes étaient tous _ déjà _ là, dès les premiers livres _ oui. De même que demeure toujours ici l’usage très vif _ et terriblement libre : c’est-à-dire pleinement poiétique _ de la mythologie, de la psychanalyse, de la littérature aimée (Stendhal, Montaigne, Balzac et bien d’autres) _ ce sont, chaque fois, des dialogues ouverts : toutes ces voix parlent, questionnent et répondent, en de véritables conversations suivies, ouvertes et prolongées, continuées. Toujours, Hélène Cixous a _ en effet _ parlé _ dans ses livres _ de sa vie familiale _ une forme d’ancrage physique éminemment charnel, en ses divers déplacements effectifs _, de ses rencontres _ passionnées et vitales _, du monde extérieur et intérieur – les guerres, les violences politiques, l’existence quotidienne, les liens affectifs, et quelques lieux _ privilégiés _, près d’Oran, près d’Arcachon _ où elle écrit au calme de son intériorité interrogée et hyper-attentive, l’été _, dont _ aussi, et éminemment _ la tour _ chérie et vénérée _ du château de Montaigne _ oui _, au sens symbolique très fort —  dans un monologue _ poursuivi à l’infini avec toutes ces voix qui lui parlent _ que suspendent parfois _ mais oui _ des saynètes oniriques _ importantes _ ou que viennent tempérer des dialogues très simples, très vivants, très drôles _ absolument ! _ : avec son frère _ Pierre, d’un an plus jeune qu’elle _ qu’elle avait un peu prématurément décidé, dans un livre précédent _ Tours promises _ de réduire au silence _ comme personnage (dans ses livres), pas comme personne (dans sa vie) ; suite à un mot malencontreusement reçu (d’elle ; et à l’oral comme à l’écrit) par lui : le mot de « versatilité« … Cf à la page 85 de Tours promises _, et avec sa mère _ Eve, plus que jamais présente, avec sa formidable vitalité malicieuse et rayonnante, à quatre-vingt-quinze ans en 2005 .

Stupéfiante digression

Cette mère, Eve Klein, d’origine allemande _ née à Strabourg, alors allemande, le 14 octobre 1910 ; et d’une famille d’Osnabrück : les Jonas et les Meyer… _, est le centre de ce récit. Disons plutôt _ oui, car le lien (par hyperrêves…) à Derrida disparu (encore récemment : le 9 octobre 2004) est au moins aussi important _ que c’est un thème principal. Ce n’est pas la première fois, mais jamais il n’avait été traité avec autant de présence, de ferveur, de précision _ oui : c’est à la fois très sobre et chaleureusement lumineux, et parfois flamboyant. Les clashes ne manquent pas. Elle est atteinte d’une maladie de peau, rarissime, auto-immune, qui n’affecte que les nonagénaires et exige des soins quotidiens (que sa fille, Hélène, lui prodigue). Cette intimité _ on ne peut plus pragmatique _ ne provoque chez le lecteur aucun sentiment de gêne. Pas plus que la réflexion de l’auteur, qui la sait « avant la fin », c’est-à-dire au seuil de la mort _ Eve Cixous décèdera huit ans plus tard, le 1er juillet 2013, en sa cent-troisième année. Le lecteur n’est pas embarrassé, parce qu’il ne s’agit pas d’impudeur : tout est matière à approfondissement, à intériorisation, à connaissance _ voilà ! et en permanence enrichie, mais c’est là par la vertu de l’acte même de l’écrire si ouvert et fécond d’Hélène Cixous _ de soi et de l’autre _ les deux pôles reliés, et c’est cela qui est éblouissant, dans sa simplicité et profondeur intrinsèquement liées : à fleur des soins quotidiens à la peau crevassée de sa mère… Ne sont gênants en littérature que les allusions _ frustrantes _, les appels usurpés à une basse complicité _ obscène _, les demi-mesures _ bancales. Le traitement frontal _ voilà : sans chichi, dans sa très simple et lumineuse évidence _ d’un sujet _ quel qu’il soit _ ne suscite aucun malaise. « Je serai cette peau demain » _ eh oui ! _, tranche l’auteur en oignant _ scrupuleusement, et quasi sacralement _ le corps de sa mère. Cela suffit à déchirer le voile de distance _ et entre elles deux, et avec nous qui lisons _ que pourrait tendre une excessive crudité _ qui nous violenterait. Ici c’est la plus humaine douceur tactile qui règne dans le ballet de la gestique, ponctuée d’un coruscant jeu verbal (à la Marivaux ?) et musical (à la Mozart ?) d’acérées et pétulantes frictions de mots, et leur piquant de pointes d’ironie et humour échangées.

Le vieillissement d’un être cher ne peut être aussi _ forcément _ que le nôtre _ un peu moins évident seulement. La peau d’Eve devient alors l’image visible _ et sensible _ du temps _ voilà ! « Tu es le temps » _ c’est magnifique ! _, répète Hélène à sa mère _ vieillarde, page 110 : elle en est simplement exemplaire. Et le livre tout entier apparaît comme un chant lyrique _ oui _ adressé _ sacralement _ au temps _ où se déploie (et qui nourrit) la dynamique de la vie ; et de toute vie. « Quand je peins ma mère, je peins _ aussi _ la peau du siècle _ qu’elle a traversé et vécu. Ce vingtième siècle si grand vu de loin, si petit vu de l’intérieur quand on est dans son wagon archiplein _ allemand notamment _ à ramper pour trouver une couchette et qui n’a pas arrêté un instant de faire _ en de plus que terribles chahutements _ l’histoire de ma mère _ et de sa famille (les Jonas) en Allemagne. Chaque fois qu’un ulcère cicatrise, il y en a un autre qui prend la suite du pus. On ne peut pas guérir. » De ce temps _ obstinément _ circulaire _ d’où survit, se dresse, court et rugit la formidable vitalité d’Eve _ se détachent quelques dates, quelques événements. Non pas seulement l’année 1971 où Eve Klein a dû quitter _ contre son gré : expulsée et complètement spoliée _ l’Algérie où elle avait vécu _ jusque là _, en exerçant le métier de sage-femme. Mais des dates qui appartiennent à un « patrimoine _ commun et général _ de l’humanité ». La particularité du « ton Cixous » _ voilà _ est qu’avec le plus grand naturel _ oui : tout coule de source et se déploie en longs flux de phrases : musicaux _, l’écrivain passe _ en un transport parfaitement naturel _ de tableaux intimes et familiaux à des analyses politiques et culturelles _ et dans une admirable palette de tons vivaces les plus divers et humainement variés. De la scène intime à la scène publique _ voilà. C’est, du reste, une des leçons du Théâtre du Soleil _ de son amie Ariane Mnouchkine avec laquelle elle a beaucoup travaillé, à Vincennes _, qui pour toute évocation d’un drame historique ou politique a, en général, préféré le langage individuel, de personnages obscurs, à la représentation démonstrative des grands de ce monde _ à hauteur de plus éclairants détails ; la remarque de René de Ceccatty est tout à fait précieuse.

Un événement familial très étrange (la récupération d’un sommier de Walter Benjamin, à la fin des années 1930 _ et dans le XIVe arrondissement de Paris, où s’étaient regroupés beaucoup d’Allemands anti-nazis : Hannah Arendt, Arthur Koestler, Erich et Herta Cohn-Bendit, Walter Benjamin, donc, ou Lisa et Hans Fittko… _) est le point de départ d’une stupéfiante digression. « Ton livre est sur Benjamin ? dit mon frère. – Sur les astres du déménagement dis-je, sur les trous dans les murs du dernier refuge, sur l’état des tapisseries. – C’est étrange, dit mon frère. J’aimerais comprendre. »

Le deuil de Jacques Derrida envahit, bien sûr _ forcément : les coups de fil au téléphone manquent désormais sévèrement à Hélène ! _, ces pages _ et davantage encore, à mes yeux, que l’inquiétude visionnaire d’Hélène Cixous pour le devenir de sa mère alors nonagénaire. Mais d’une autre manière que dans les essais que l’écrivain lui a consacrés (Portrait de Jacques Derrida en Jeune Saint Juif, Voiles, ou, plus récemment, Insister). Le philosophe est là, avec quelques-unes de ses phrases _ voilà _ qui résonnent encore douloureusement : « On peut toujours perdre encore plus. » Ou « Moi, je suis toujours et chaque fois en train de lui rappeler, de mon côté, qu’on meurt à la fin, trop vite. » Ou le commentaire de la phrase de saint Augustin « Sero te amavi » (« Je t’ai aimée trop tard »). Il faut lire ces pages comme des échos _ en rappels sonores et dans les harmoniques de leurs résonances ! _ d’analyses plus discursives que l’on trouvera ailleurs. Comme des échos tremblants _ oui _ d’émotion, dans cette zone intermédiaire _ voilà _ entre les visions du sommeil et leur description éveillée _ qui constitue précisément ces hyperrêves. Hélène Cixous a rédigé son livre, ses livres, dans cette marge-là _ vivante, vibrante, voyageante. Transporteuse et exaltante.

… 

René de Ceccatty

Relire Hélène

Bien que l’on ait dit qu’Hélène Cixous avait « changé de style » avec Or, Les lettres de mon père, suivi par Osnabrück (éd. Des femmes, 1997 et 1999) et par Les Rêveries de la femme sauvage (Galilée, 2000) qui ouvre un véritable cycle autobiographique – Le Jour où je n’étais pas là (ibid. 2000), Benjamin à Montaigne (2001), etc. –, il n’est pas d’œuvre plus fidèle au projet initial, lancé par sa thèse sur Joyce, L’Exil de Joyce ou l’art du remplacement (Grasset, 1968). Si, depuis son premier recueil, paru chez Grasset en 1967 (Le Prénom de Dieu), suivi par son prix Médicis, Dedans (ibid. 1969), ses publications se sont divisées en « fictions », « théâtre » et « essais », croisant souvent son travail d’enseignante à l’université de Vincennes (qu’elle a cofondée), puis de Nanterre, poursuivi par son séminaire au Collège international de philosophie et ses activités de dramaturge dans la compagnie d’Ariane Mnouchkine, elles ne sont jamais fermées sur elles-mêmes, mais se renvoient l’une à l’autre.

Et l’on est en présence d’un ensemble d’une rare cohérence _ oui : tout se tient, et résonne en échos qui se répondent, musicalement _ : chaque livre _ creusant son sillon propre, avec ses nouvelles focales _ pouvant servir de filtre ou de clé _ voilà _ aux précédents _ d’où nos fréquentes reprises de références… La multiplication de ses éditeurs (outre ceux qui ont été cités, Gallimard, pour La, 1976, et Le Livre de Promethéa, 1983, le Seuil pour Tombe, 1973, Prénoms de personne, 1974, Révolution pour plus d’un Faust 1975) est à l’image  est à l’image non de ses hésitations, mais des incertitudes éditoriales et des influences internes aux grandes maisons _ ce n’est donc pas du tout du côté de l’auteur que se trouve l’incohérence et l’infidélité. Il est temps de relire les premiers livres d’Hélène Cixous, NeutreIllaSoufflesAngst (disponibles pour la plupart aux éditions Des femmes), à la lumière limpide _ conquise à force de creusements et de multiplication des angles de vues _ des derniers (parus chez Galilée).

R. de C


Et,

toujours en remontant dans le temps,

et donc dans l’ordre inverse de celui des publications des œuvres d’Hélène Cixous,

c’est cette fois sur Tours promises,

ouvrage publié aux Éditions Galilée le 9 septembre 2004,

que voici cet autre article de René de Ceccatty paru le 13  novembre 2004 dans le Monde :

Hélène Cixous sur la scène du rêve et de l’amitié

_ avec, à nouveau interposées, mes menues farcissures de commentaire ou précisions factuelles, en vert.

Et si ces farcissures dérangent, le lecteur a toujours, bien sûr, loisir entier de les shunter. Chaque lecture a son rythme ; au lecteur d’en décider.

Hélène Cixous, sur la scène du rêve et de l’amitié

L’écrivain, qui a été une des figures de proue du féminisme, publie Tours promise: elle fait le point sur sa démarche littéraire _ et c’est bien là le point décisif ! C’est bien de cela, en effet, de cette « démarche littéraire » (à la fois extrêmement exigeante et infiniment jouissive en sa complexité et fécondité), qu’il s’y agit fondamentalement ! Car ces « tours promises« , ce sont d’abord, mais oui, des livres : des livres à venir ! (telles des « promesses » s’esquissant et dont l’auteur se réjouit du futur accomplissement…) et qui, une fois réalisées, viendront, achevées, se dresser, verticalement ! ; ainsi, aussi, que des livres qui ne parviendront pas, eux, jusqu’à ce stade de livres matérialisés et publiés, et qui ne prendront donc pas, eux, la forme de livres debout (ou couchés), et accessibles matériellement à tout moment sur les étagères d’une bibliothèque (personnelle ou publique) ; et dont les « promesses« , non réalisées, seront demeurées au stade (mais qui a aussi une forme, sa forme, de réalité…) de « promesses«  _  où se mêlent fiction, théâtralisation et réalité _ les « tours«  (ainsi « promises« ) étant donc aussi et d’abord ici ces livres en puissance d’être placés en position verticale, sur les rayons de la pièce-bureau où travaille et écrit l’auteur : à Paris ou à Arcachon ; ou ailleurs… Livres présents ; livres à venir ; livres demeurés (ou demeurant) dans les limbes… Soit des promesses accomplies, pour les uns ; en gestation ou en dormance, pour d’autres ; et peut-être à jamais avortées, pour d’autres encore ; mais qui toutes ces dernières n’en ont pas moins acquis une forme de réalité (semi-clandestine) en ce qui a été, assez durablement, leur gestation, voire leur simple éventualité plus ou moins envisagée et travaillée, déjà : dans la tête de leur auteur… C’est à ces ombres de livres promis et prometteurs que n’oublie donc pas de penser aussi, ici, Hélène Cixous.

Dans son appartement parisien _ en son autre chez elle, à Arcachon, en sa « tour » d’écriture probablement favorite où elle écrit l’été, Hélène Cixous n’a jamais reçu quiconque qui n’est pas de sa famille, vient-elle de me confier au téléphone, quand je lui ai proposé de venir lui rendre visite cet été à Arcachon, depuis Bordeaux ; c’était jeudi matin le 3 mai, il y une semaine ; Hélène Cixous réservant très rigoureusement, et sans la moindre exception pour quiconque d’étranger à sa famille, son été à Arcachon à l’absolu de la concentration de sa tâche sacrée d’écriture ! Je la comprends parfaitement _, lumineux, vaste et moderne, qui porte les marques de l’Orient, tapis de l’Algérie natale et tissus soyeux d’une Inde rêvée _ un lieu que René de Ceccatty connaît, par conséquent _, Hélène Cixous vit avec ses chattes, qui ont leur place _ oui : existe en effet aussi entre elles un dialogue silencieux qui mérite d’être abordé par elle _ dans ses livres _ tels qu’ils sont publiés. L’environnement quotidien, son séminaire fidèlement tenu le samedi, son travail au Théâtre du Soleil avec Ariane Mnouchkine, ses conférences aux Etats-Unis,  ses rêves _ ou très précieux hyperrêves _ notés en pleine nuit dans de brefs réveils _ il faut les recevoir et conserver avec le plus grand soin ! ce sont des messages (sacrés) d’interlocution avec des absents et surtout disparus, avec lesquels maintenir une exceptionnelle communication ainsi _, ses dictionnaires, sa mémoire familiale, la visite quotidienne de sa mère, Eve Klein, personnage-clé de son œuvre : les repères sont nets, rappelés dans les textes écrits et dans la conversation. Cette conversation, tous ceux qui approchent Hélène Cixous, la savent fluide _ oui _, brillante et joyeuse _ oui _, toujours éclairée de rires _ et quelque chose de cela s’entend très audiblement encore dans le flux sonore, musical, si merveilleusement vivant, des phrases du livre.

Sa thèse sur Joyce (avec Jean-Jacques Mayoux _ immense angliciste et américaniste (1901-1987) : un maître de lecture pour moi aussi ! cf par exemple son somptueux William Shakespeare _ qui l’a mise sur le chemin de l’écriture), ses recherches sur le langage, ses cours à l’Université de Vincennes, puis de Saint-Denis, la création d’une chaire d’Etudes féminines, ont élaboré une figure _ certes _ d’auteur « difficile », en réalité éloignée _ mais oui ! _ de la personne vibrante et passionnée _ voilà ! _ que ses publications dévoilent _ et donnent merveilleusement à ressentir : pour ma part, seule celle-ci m’intéresse. Exigeante et disciplinée, certainement. Tant dans la construction de ses livres que dans l’organisation de sa vie intellectuelle, strictement partagée entre le théâtre, l’enseignement et l’écriture, et sur un mode plus discret, l’activité politique en faveur des populations déplacées. Mais aussi curieuse, spontanée, attentive, affective _ dont acte : l’essentiel est dit là. L’amitié _ sans nul doute _ détermine ses engagements, comme elle le rappelle dès qu’on l’interroge sur son parcours.

Parce que Tours promises (Galilée, 266p.  26€) se réfère, plus encore que les précédents ouvrages, à la part d’autobiographie réinventée _ tiens donc ! mais où passe ici la frontière entre le réel et le vécu effectivement advenus, et l’« autobiographie réinventée«  ? Est-ce aisé à repérer ? Est-ce même assignable ?.. Nul doute que nous avons affaire, ici aussi, à un jeu malicieux (mais déjà actif dans le moindre travail de mémoire de quiconque) entre souvenirs et fiction… _ que comportent ses fictions _ le terme est parfaitement clairement annoncé ! et donc assumé… _, on est tenté, à partir de cette parution, de proposer un bilan _ René de Ceccatty, lecteur merveilleux et magnifiquement scrupuleux, le peut, en 2004 ; moi-même, pas ; du moins pas encore, en 2018. Si la destruction des Twin Towers _ le 11 septembre 2001 _ est évoquée, c’est d’une autre tour qu’il est _ surtout, très concrètement, et d’abord (mais pas seulement elle, cette tour aimée là…) _ question : celle _ merveilleusement exemplaire : le modèle même (et vénéré !) de toute chambre porteuse d’écriture ! _ du château de Montaigne ; et à travers elle _ en effet _ l’amitié passionnée de l’auteur des Essais et de la Boétie _ et leur conversation sans égale. C’est sur le terrible manque (et son effort de « remplacement« ) éprouvés par Montaigne, qu’ont dû s’élaborer et s’ajouter (et ré-écrire, rectifier par précisions permanentes : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier au monde« …) les essais, eux-mêmes merveilleusement plurivoques ; et même à plusieurs encres dans leur ajoûts à la relecture et à la re-pensée. Cf là-dessus le magnifique livre d’Alain Legros (à propos du dialogue de Montaigne avec ses inscriptions latines et grecques sur les poutres de sa librairie) Essai sur poutres ; et aussi, du même Alain Legros, Montaigne manuscrit ; et cf mon article du 30 septembre 2011 :  L’amitié, la passion _ oui _ : toutes deux constamment présentes _ absolument ! Chez Hélène Cixous comme chez Montaigne. Et ici je me permets de renvoyer à l’article inaugural de mon blog En cherchant bien _ le carnet d’un curieux, rédigé en quelque sorte programmatiquement au mois de mai 2008, il y a exactement dix ans : Le Carnet d’un curieux. On y lira ce qui me lie personnellement, moi aussi, et à Montaigne, l’auteur des Essais, et à sa tour (et sa magique librairie). Puisque j’ai vécu toute mon enfance dans le voisinage et la proximité de cette toute simple et en même temps si humaine tour, pouvant m’y rendre à pied dans la journée. Et c’est avec ferveur que j’y ai souvent conduit des amis.

Le frère d’Hélène _ Pierre, son cadet d’une année, et médecin à Bordeaux _ a longtemps accompagné la rédaction des livres. Comme Eve, la mère, le frère médecin apparaissait, donnant une tonalité souvent gaie et décalée _ oui : très plaisante ! _ au récit. Et voilà _ suite à une vexation à propos du terme de « versatilité » employé (à l’oral et à l’écrit) par sa sœur pour le caractériser ! Alors qu’à la page 199 de son Photos de racines, Hélène Cixous a écrit on ne peut plus positivement à propos de ce mot même de « versatilité« , ceci : « Peut-être que la virtuosité ou la versatilité verbale qu’il y a dans mon écriture, je la tiens de mon père : comme s’il m’avait fait cadeau de clés ou des linguistiques  » ; ce « cadeau » (de richesse de verbalisation), son frère Pierre l’a donc lui aussi reçu !.. _ qu’il ne veut plus être un personnage _ voilà _ des livres de sa sœur _ et à ces rapports entre personne et personnage René de Ceccatty est d’autant plus sensible que c’est le titre même (Personnes et personnages) qu’il a choisi de donner à sa toute première publication, aux Éditions de la Différence, en 1979… Et, plus encore, qu’il s’agit là d’un lien (entre personnes et personnages) qui continue, lui auteur, de le travailler ; cf mon article du 12 décembre 2017 sur son magnifique Enfance, dernier chapitre : … Comment le remplacer _ ce personnage de frère _ et, du reste, est-il remplaçable ? L’écrivain _ et nous lecteurs, à sa suite ! _ va être surpris par le destin, qui lui offre sur-le-champ un substitut _ qualifié de « semifrère«  _, en la personne de François Tremblay, un ami d’enfance _ à Alger _ qui resurgit _ en effet, page 212 : au Canada  _ cinquante ans plus tard. Devenu photographe au Canada _ page 248 _, il ressuscite _ qu’en penser ? est-ce bien là réalité ? ou fiction ?.. Nous hésitons. François Tremblay, photographe canadien, existe bien ! _ une part obscure de la vie du père d’Hélène Cixous _ peu avant son mariage (le 15 avril 1936, à Oran) avec Eve Klein _ : il se serait fiancé avec la sœur aînée de François, qui s’appelait Albertine _ page 196. Comme l’Albertine disparue de Proust. Le livre tout entier devient _ et c’est un point capital ! _ une méditation sur la disparition et le remplacement _ en effet : « J’écris un livre sur le remplacement. C’est maintenant que je mesure l’immensité rusée du sujet« , écrit on ne peut plus clairement Hélène Cixous page 167. Un processus présent tant dans le travail du rêve que dans les dynamiques de la fiction poiétique…

Stendhal, Proust, Kafka, Montaigne _ eux, mais aussi bien leurs personnages de fiction _ accompagnent les « promenades crépusculaires », qui rythment _ successivement _ cette enquête intérieure, où se dégagent des figures ou, comme préfère le dire Hélène Cixous, des « trans-figures » fraternelles et amicales _ qui sont les interlocuteurs privilégiés et probablement nécessaires de l’auteur (ainsi en dialogue) qu’est Hélène Cixous ; de même que de telles « trans-figures fraternelles et amicales«  étaient nécessaires aux méditations de conversation en absence… de Montaigne lui-même s’essayant en la librairie de sa tour chérie à ce qui, plume à la main, et avec encre et papier, devient, feuillet après feuillet, le jeu abouté de ses essais. Peu à peu, sans doute depuis les lettres retrouvées qui ont inspiré Or (Editions des femmes, 1997), l’œuvre s’est centrée _ mais simplement exemplairement _ sur l’histoire familiale : « J’ai toujours écrit à partir du matériel _ de base _ de la littérature, de la scène primitive _ voilà _ de toute littérature, qui est une scène de famille _ le concept, bien sûr, est freudien. On pourrait le dire d’Eschyle… Ce n’est pas une façon de tout ramener à ma famille, mais de considérer que c’est une famille qui peut avoir valeur universelle _ voilà _, si j’ai le regard suffisamment analytique ou poétique _ les deux ! Et la poiesis, bien sûr, est en l’affaire capitale ! _ pour en dépasser l’écorce _ platement et conventionnellement _ réaliste _ voilà : une simple affaire de capacité d’exemplarité, donc ; un exemple comme un autre, mais présent, là, et disponible, à proximité. A part mon « avant-premier livre », si je puis dire, Prénom  de Dieu,  que je laisse dans la préhistoire, dans la caverne, parce que c’est une chose, j’appelle ça une « chose », une larve, qui m’a toujours fait peur, qui venait des profondeurs, qui était hallucinatoire, et qui m’a même menacée. D’ailleurs j’étais, il faut le dire, dans une période de grande folie. Il me semblait que j’avais là la preuve de ma folie. J’ai tenu cette chose à distance, et c’est resté, cette chose-là. A part donc ce  recueil de nouvelles, de mythes éruptifs, des laves et des larves,  dès que j’ai écrit Dedans, j’ai eu honte qu’on prenne ce que j’avais écrit pour un livre : c’était simplement pour moi la _ simple _ manifestation littéraire _ comme il peut en exister bien d’autres manifestations _ d’une tragédie qui était pour moi primitive _ Hélène avait dix ans et cesse alors de n’être qu’une enfant _, c’est-à-dire la mort de mon père. Dedans ne commençait pas et ne finissait pas _ comme est censé le faire un livre _, enfin il explosait, eh bien là, c’était déjà, la scène de famille, mais transposée _ simplement. Je crois que ma signature, c’est la transposition » _ pleinement assumée.

Des amitiés _ de fait peu fréquentes : exceptionnelles, donc ; aujourd’hui, a contrario, se dit là-dessus n’importe quoi… _, Hélène Cixous parle comme de « miracles » _ elle n’a pas tort : l’amitié vraie rompt la chaîne de l’utilitarisme égocentré cyniquement triomphant dans le relationnel aux autres : chez les puissants, et les malheureux qui, médias et propagandes aidant, en sont contaminés. Le premier, ce fut donc la rencontre de Jacques Derrida, en deux temps. La première fois, en 1955, où, à peine arrivée en France _ pour accomplir sa khâgne au lycée Lakanal _, elle assiste _ à la Sorbonne _ à une « leçon » d’agrégation _ sur la pensée de la mort, se souvient-elle _,  comme elle le raconte _ page 47 _ dans ces Tours promises. La deuxième fois, sept années plus tard _ toujours page 47 _, où elle lui donne à lire son premier texte. « J’ai rencontré, juste au moment où j’aurais pu ne pas écrire, Derrida.. J’ai un sentiment de reconnaissance _ voilà _ à l’égard de la vie, figurez-vous… _ le sentiment de gratitude profonde et radieuse de Montaigne, et que Montaigne sublime en l’écriture jubilatoire de son sublime ultime essai L’angoisse s’est déplacée. L’angoisse _ terrible _ de mon enfance et de ma jeunesse était dans un coin de la pièce, très proche de moi : j’avais du mal à me tenir à l’écart de cette angoisse qui provenait des événements tragiques _ atrocement subis par sa famille ; et pas seulement en Allemagne hitlérienne. D’avoir vu, d’avoir été témoin _ en Algérie, enfant, déjà, puis adolescente _ de l’horreur de la guerre. De savoir, sans aucune hésitation possible, sans aucun voile, ce qui se produisait pendant la guerre. Je savais, je savais ce qui se passait dans ma famille _ même ; et pas seulement les Jonas _, je savais ce qu’était un camp de concentration _ et d’extermination. Je n’avais pas du tout de marge d’illusion _ dont acte à elle. Là-dessus, donc, des enchaînements tragiques dans mon existence, très vite, les uns après les autres _ oui. Et ensuite, inversement _ en un contraste puissant _, avec un peu de temps, j’ai eu la possibilité de mesurer la grâce _ voilà : elle existe.  Et la grâce, c’est d’avoir auprès de moi des gens d’une immense probité _ oui ! Et inconditionnelle. J’aurais pu ne pas avoir rencontré _ certes _ les êtres que j’aime, que je vénère ou avec qui je partage des choses essentielles _ sur ce phénomène de la rencontre, cf ma propre célébration :  J’aurais pu ne pas parler ma langue _ sa langue conquise d’auteur. Or, je peux parler ma langue _ celle, tout à fait sienne, conquise, qui apparaît d’abord peut-être dans l’écriture ; mais pas seulement l’écriture : qu’on l’écoute parler !!! _ avec quelques personnes _ qui savent l’entendre et la lire ; et échanger avec, bien sûr. Ça m’a permis de donner une part de ma scène intérieure _ voilà : celle qu’elle développe en ses livres _ à des états d’âme légers, heureux, joyeux, comiques _ bien présents, en effet, dans les livres ; et on partage la réjouissance de leur souffle joyeux. Je crois que le rire qu’il y a dans mes textes _ mais oui ! et presque tout le temps : on l’entend parfaitement… _ et qui n’est pas toujours perçu _ par les indiligents lecteurs dont voulait se préserver Montaigne dans le merveilleux Avant-Propos de ses Essais : « Indiligent lecteur, quitte ce livre !«  _, exprime cette gratitude _ voilà ! et c’est fondamental _ à l’égard de ce que la vie peut accorder » _ et qui se trouve être le dernier mot (testamentaire : le legs le plus heureux !) du sublime dernier chapitre des Essais : De l’expérience (livre III, chapitre 13).

René de Ceccatty

Voilà donc pour continuer cette exploration mienne du continent Cixous

par un dialogue de lecture redoublé,

et avec l’auteur Hélène Cixous elle-même,

via la succession de mes lectures successives de quelques livres marquants d’elle,

et avec notre ami à tous deux, René de Ceccatty,

via la succession de mes lectures et commentaires de quelques articles déjà bien fouillés de lui à propos de ses lectures lucides des livres successifs d’Hélène Cixous :

quel sublime concours de chances ! _ et à portée de toutes simples lectures attentives, du moins pour commencer… Avant de nous parler en creusant plus encore peut-être en profondeur.

Ce mercredi 9 mai 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur