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L’admirable engagement du ténor Michael Spyres : deux passionnants entretiens sur l’humanité splendide de son parcours pas seulement musical

19déc

En écoutant le très beau récital Espoir _ soit le CD Opera Rara ORR251 _

du ténor américain Michael Spyres

_ né en 1980 à Mansfield (Missouri) _,

admirable tout spécialement tant dans le répertoire rossinien que dans Berlioz

ainsi que l’opéra français,

je découvre un  très bel _ et très attachant : quelle humanité splendide éclaire et fait rayonner cet artiste !!!entretien, en 2018, de celui-ci

avec Emmanuelle Giuliani.

Le voici _ avec mes farcissures.

Entretien avec Michael Spyres

 

 

 

 

 

Afin de préparer un portrait, à paraître dans La Croix (publié ce vendredi 5 octobre, veille de la représentation, samedi 6, de Fidelio au Théâtre des Champs-Élysées où le ténor américain incarne Florestan), j’ai eu la chance _ oui ! _ de recueillir cet entretien avec Michael Spyres.

Il est long mais si éclairant sur la personnalité et l’engagement de ce formidable artiste que je vous le propose dans son intégralité. Non sans remercier chaleureusement ma collègue Célestine Albert qui en a assuré la traduction, bien mieux que je ne l’aurais fait.

Bonne lecture et à très bientôt !


 Vous interprétez prochainement à Paris le rôle de Florestan dans Fidelio de Beethoven. Comment abordez-ce personnage ? Comment le décrire musicalement et psychologiquement ? Quelle sont les difficultés du rôle.

Michael Spyres : Je pense que la meilleure façon d’aborder le personnage de Florestan est de le faire à travers le prisme des Lumières _ en effet. Il faut comprendre _ bien sûr ! _ la densité et la profondeur des personnages typiques de cette période. L’allégorie de la grotte de Platon est très présente dans le livret et l’on doit voir Florestan comme l’incarnation de l’injustice ou, en des termes qui correspondent davantage à la philosophie jungienne, de l’animal piégé dans une forme humaine.

Le personnage de Florestan représente la condition humaine et la lutte intérieure qu’un homme éprouve dans sa quête d’espoir et de liberté _ une thématique qui résonne puissamment dans la personnalité même de Michael Spyres, et son parcours existentiel, au-delà de son parcours professionnel. Beethoven, comme Mozart avant lui, était bien conscient de ces mythes ancrés dans la tradition maçonnique (il n’y a certes toujours pas de preuve irréfutable que Beethoven ait été lui-même Franc-maçon, mais il avait de nombreux amis qui l’étaient). En fait, le parcours et la dualité de Florestan et Leonore sont à mettre en parallèle avec ceux de Pamina et Tamino, dans la Flûte enchantée. L’objectif est de réaliser que nous devons œuvrer ensemble à trouver une harmonie intérieure, au sein du monde physique. Nous devons tous aspirer à être justes et courageux _ un idéal en perte de vitesse à l’heure du narcissisme égocentré d’un utilitarisme de très courte vue… _, afin de donner un sens à ce monde. Tous les personnages et thèmes évoqués mettent en perspective les désirs du public de l’époque de se libérer de gouvernements tyranniques _ oui.

Face à l’étendue de ces sujets, je dirais que la plus grande difficulté dans l’interprétation du rôle de Florestan est de rester dans la technique et de ne pas se laisser emporter par l’émotion en chantant…

 Votre répertoire est extrêmement vaste. Est-ce important pour vous de chanter des œuvres si variées, de Mozart à Gounod en passant par Berlioz ? Comment abordez-vous un nouveau personnage ? Y en a-t-il que vous savez que vous allez abandonner avec l’évolution de votre voix ? Est-ce difficile ?

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Michael Spyres : C’est amusant que vous me demandiez cela, car j’ai fait énormément de recherche sur les répertoires des chanteurs passés _ et pas seulement des compositeurs : voilà qui est passionnant. Florestan sera mon 77e rôle dans, au total, 70 opéras différents. Placido Domingo est le seul ténor contemporain ayant interprété plus de rôles que moi, et j’ai bon espoir de rattraper son total de 150 rôles ! Je ne dis pas cela pour me vanter, mais plutôt pour que les gens prennent conscience qu’il n’est pas si rare qu’un chanteur ait une carrière aussi variée _ un point notable _ que la mienne, même au XXe siècle _ voilà qui élargit considérablement les focales… Si l’on s’intéresse _ culturellement _ aux grands ténors du passé, tels que Jean de Reszke, Mario Tiberini, Manuel Garcia, Giovanni David ou, le plus grand d’entre tous, son père Giacomo David, on constate à quel point les répertoires de ces chanteurs légendaires étaient vastes. Leur carrière _ et ce qui en découle pour l’interprétation _ est devenue pour moi une réelle obsession. Si eux l’avaient fait, j’en étais capable aussi _ voici le défi que se donne Michael Spyres pour ses propres interprétations…

Au fil de mon parcours, j’ai appris quelque chose d’absolument essentiel, que peu de gens ont la chance d’intégrer : la voix et la technique ont besoin de ces variations _ de répertoire _ pour rester performantes, ne pas devenir rigides _ voilà. Je dois avouer qu’il est de plus en plus difficile _ physiquement, pour la voix, en son évolution _ de maintenir certains rôles à mon répertoire, comme les Rossini les plus légers, mais je chanterai toujours du Rossini et du Mozart, tout en continuant, dans les années à venir, à m’essayer aux répertoires plus lourds : Verdi, Wagner et le grand opéra français.

Au Met à la fin des années 1800, De Reszke chantait Roméo, Tristan et Almaviva dans la même semaine, ce qui nous semble insensé aujourd’hui. Très peu de personnes sont prêtes à sortir de leur zone de confort, mais c’est pourtant précisément ce qui m’a permis d’acquérir l’expérience _ voilà _ et la technique _ aussi _ qui en découle _ tout se tient… _, pour survivre dans cette folle profession !

De plus en plus, vous devenez un grand interprète de l’opéra français. Est-ce un répertoire que vous aimez particulièrement ? Pourquoi ? Et comment avez-vous travaillé votre diction pour parvenir à ce point de perfection ? 

Michael Spyres : J’aime le répertoire français dans toute sa splendeur _ c’est dit. La musique et les sujets abordés _ qui importent donc à Michael Spyres _ sont d’un génie inégalé. Les idéaux fondamentaux de la Renaissance et de la Révolution sont au cœur même du Grand Opéra français _ voilà _ et il n’y a pas de forme d’art plus élevée qu’une pièce comme Les Troyens de Berlioz _ en effet !

J’ai grandi en pensant que j’aimais l’opéra italien, puisque c’est l’une des seules formes d’opéra populaire aux Etats-Unis. Mais dès que j’ai commencé à étudier l’opéra sérieusement, le style français a pris possession de mon cœur et mon âme _ voilà une affinité essentielle qu’a ainsi découverte Michael Spyres. Si les grandes questions de la vie vous importent _ voilà _ et que vous lui cherchez un sens _ au-delà des utilités fonctionnelles de circonstance… _, comment ne pas être en admiration face aux accomplissements de la France _ et du génie français, voilà _, depuis l’époque Baroque _ dès le début du XVIIe siècle et le gallicanisme des rois Bourbon _ et jusqu’au XXe siècle ? La France était le centre névralgique de tous les idéaux occidentaux _ oui _ et il n’est pas étonnant que Rossini, Donizetti, Meyerbeer et Verdi soient tous allés chercher leur liberté artistique _ voilà le concept _ en France.

Quant à mes capacités linguistiques en Français, je suis totalement autodidacte. J’ai toujours été assez entêté, mais je crois aussi que, comparé à d’autres, j’ai un don pour imiter les sons _ les phonèmes _ parfaitement, parce que je suis obsédé par la conception même des sons. Pour tout vous avouer, mon objectif dans la vie était de devenir doubleur de dessins animés, et c’est d’ailleurs ainsi que je me suis mis au chant. Honnêtement, le français est la langue que j’ai eu le plus de mal à maîtriser à cause de  son incroyable manque de logique en termes de voyelles ! Ce n’est pas du tout une critique, mais tout comme avec l’anglais, il est très difficile pour une personne dont le français n’est pas la langue maternelle d’en maîtriser toutes les exceptions…

Quelle est votre relation avec votre voix ? Est-ce toujours une amie, devez-vous parfois lutter avec elle? Devez-vous penser à la ménager ou au contraire à repousser ses limites ?

Michael Spyres : Je peux sincèrement dire que ma vie est le chant. J’ai commencé à chanter avant même de savoir parler. Je viens d’une famille qui vit en musique, dans laquelle chaque personne sait chanter et a toujours chanté. Ma mère _ Terry Spyres _ et mon père _ Eric Spyres _ étaient tous deux professeurs de chant _ voilà _ et nous chantions en famille à chaque mariage, enterrement, ou événement de notre enfance. Ma sœur _ Erica Spyres _ est aujourd’hui à Broadway, et mon frère _ Sean Spyres _ et moi tenons la compagnie d’opéra _ the Springfield Regional Opera _ de notre ville natale _ Springfield, Missouri, est en effet la grande ville proche de sa petite ville natale, Mansfield, Missouri. Ma femme _ Tara Stafford-Spyres _ est également chanteuse et, en avril dernier, nous avons produit ma version et traduction de Die Zauberflöte. Ma femme chantait la Reine de la nuit, ma mère _ Terry _ s’est chargée des costumes, mon père _ Eric _ a fabriqué le décor et mon frère _ Sean _ interprétait Tamino en plus d’être assistant metteur en scène. Comme vous pouvez le constater, je ne suis jamais seul dans mon voyage musical et je peux toujours compter sur ma famille lorsque j’ai besoin d’aide.

Je crois qu’il est nécessaire de repousser ses limites en tant que chanteur pour comprendre _ voilà _ son instrument. J’ai le sentiment que très peu de personnes explorent réellement leur voix _ l’authentique curiosité est bien rare ! _ et, du coup, très peu savent la maîtriser. J’ai eu la chance d’avoir assez tôt deux professeurs de musique en l’espace de trois ans. Ils m’ont appris les bases d’une bonne technique lyrique, mais j’ai abandonné les études à 21 ans pour prendre une direction radicale. J’ai constaté que la seule façon pour moi de prendre le contrôle de ma vie et de réussir dans le monde de l’opéra était d’apprendre de mon côté _ de manière autonome _ à contrôler cet instrument qui est en moi. Le chemin pour devenir ténor a été long et plein d’épreuves mais, finalement, le chant doit être un accord organique entre vous et votre voix, sans influence extérieure _ « Vademecum, vadetecum« , telle est la juste devise des éducateurs libérateurs… Les professeurs et livres de technique ont un rôle inestimable mais, si vous n’avez pas une confiance absolue dans vos propres axiomes et votre structure, vous êtes voué à l’échec _ oui. L’apprentissage cultivé (à bonne école) de son autonomie est en effet fondamental.

Il y a peu de ténors, c’est une voix qui fascine le public, et on imagine que vous subissez une grande pression de la part du monde musical. Comment y résistez-vous ? Comment refusez-vous les propositions qui ne vous conviennent pas ou ne vous plaisent pas ?

Michael Spyres : Pour être tout à fait honnête, je n’arrive pas vraiment à dire non, et c’est quelque chose que j’essaye d’apprendre avec l’âge _ oui, cela aussi s’apprend, et toujours à son corps défendant ; en apprenant, peu à peu, à toujours un peu mieux résister. L’an dernier _ en 2017, donc _, je suis arrivé à un stade de ma carrière assez crucial, parce qu’ il y a dix ans, je m’étais fixé comme objectif  d’explorer un maximum de répertoires, et je m’épanouis dans les « challenges » _ les défis à soi-même. Mais j’ai été confronté à mes limites physiques et au vieillissement. Au cours de la saison 2017-2018, j’ai joué dans 8 productions, fait 7 concerts dans 8 pays différents et j’ai fini par devoir, pour la première fois, annuler un concert et une représentation parce que j’étais malade. Au cours de cette dernière année _ 2017 _, mes opportunités de carrière ont vraiment pris un tournant et je suis dans la position merveilleuse _ oui, à l’âge de 38 ans en 2018 _ de pouvoir choisir ou décliner une proposition.

La plupart des gens considèrent que le chanteur est seul responsable de son parcours, mais vers 20 ans, j’ai constaté que l’image que l’on se fait de sa propre voix n’est pas forcément celle que se font les autres. L’une des principales raisons qui m’a poussé à varier autant mon répertoire venait aussi du constat que chaque pays avait sa propre opinion _ réception _ de ma voix _ toujours en fonction d’un contexte culturel particulier… J’ai découvert que, pour réussir _ professionnellement : obtenir des contrats _, il fallait trouver un compromis entre ce que vous voulez faire et les besoins de l’industrie et du marché musicaux. Je fais _ donc désormais _ partie d’un groupe très restreint de chanteurs qui peuvent dire non. Mais le plus important dans ma prise de décision est de savoir si le rôle me correspond _ vocalement et culturellement _et s’il fait évoluer _ positivement : progresser _ ma carrière _ selon l’idéal que Michael Spyres se donne.

Je n’ai que récemment atteint un niveau qui me permet de choisir un rôle. Je me demande alors : « cette œuvre a-t-elle une bonne raison d’exister ? » _ en elle-même, et indépendamment du contexte des circonstances où  elle a pu voir le jour… La plupart des gens n’aiment pas l’avouer mais de nombreux opéras ont été composés simplement dans une recherche _ très circonstancielle _ de profit ou par pur narcissisme _ de son créateur _, et, de ce fait, me semblent n’avoir guère ou même aucune de raison d’être _ maintenant, et à l’aune de l’éternité _ interprétés.

Je ne me prononce pas sur les différentes productions, intellectuelles ou non, mais je suis vraiment heureux de pouvoir désormais choisir sans avoir à dire oui à tout. Je veux aller de l’avant _ artistiquement et culturellement : voilà ! _ et je consacre ma carrière à promouvoir les opéras les plus bouleversants et les plus importants, ceux qui ont été composés pour élever l’humanité _ culturellement _ à un plus haut niveau de conscience en nous forçant à l’introspection et à l’éveil de notre esprit _ cette prise de position est donc à bien remarquer.

Quels sont les interprètes actuels ou passés, chanteurs ou instrumentistes (ou même comédiens, écrivains, peintres…) qui vous inspirent et enrichissent votre propre travail d’artiste ?

Michael Spyres : La liste est longue mais je dirais que les personnes qui m’ont le plus influencé sont, toutes catégories confondues _ on remarquera ici que Michaël Spyres commence par citer des peintres, bien avant des chanteurs, des chefs d’orchestre (un seul : John Eliot Gardiner) et des compositeurs (deux : Rossini et Berlioz) _  : Wassily Kandinsky, Francisco Goya, René Magritte, Hieronymus Bosch, Michael Cheval, Norman Rockwell, Harry Clarke, Thomas Hart Benton, Jan Saudek, Hundertwasser, Alphonse Mucha, Jordan Peterson, Jonathan Haidt, Thomas Sowell, Michio Kaku, Stephen Pinker, Camille Paglia, Mario Lanza, Nicolai Gedda, Roger Miller, Nick Drake, Tom Waits, Air, Andrew Bird, Harry Nilsson, Kishi Bashi, Sleepwalkers, J Roddy Walston and the Business, Vulfpeck, Maria Bamford, Hans Teeuwen, Norm Macdonald, Reggie Watts, Thaddeus Strassberger,  Le Shlemil Theatre, John Eliot Gardiner, Wes Anderson, Terry Gilliam, Alejandro Jodorowsky, Rossini, Berlioz, et surtout, ma famille.

Comment avez-vous décidé de consacrer votre vie au chant ? Avez-vous parfois douté ? Comment, aux Etats-Unis, la musique classique (et, plus particulièrement l’opéra) est-elle considérée dans la société ? Est-ce un art populaire ou au contraire plutôt élitiste ?

Michael Spyres : Comme je vous le disais, la musique coule dans les veines de ma famille, mais je ne me suis mis à envisager cette carrière qu’à 21 ans. Mon rêve était de devenir le futur Mel Blanc (la voix _ le fait est très remarquable _ qui doublait tous les dessins animés d’antan) et d’entrer dans ce milieu de l’animation, si possible en devenant acteur pour Les Simpson. Après une période de réflexion, j’ai compris que si je ne tentais pas une carrière dans la musique _ et pas seulement la diction _  et plus particulièrement, l’opéra, je le regretterais.

Je suis l’homonyme de mon oncle Michael. Son rêve était de devenir chanteur d’opéra mais il est décédé d’un cancer de la gorge à l’âge de 38 ans, alors que je n’étais qu’un bébé. J’ai grandi dans l’ombre de cette histoire, en sentant que mon destin était au moins d’essayer d’embrasser la carrière qu’il n’avait jamais pu avoir.

Bien-sûr, j’ai eu des doutes, toute ma « vingtaine » a été remplie de doutes… Mais quand j’ai eu trente ans, j’ai su avec certitude que je pouvais faire carrière dans l’opéra.

La musique classique, et l’opéra en particulier, sont considérés comme une forme d’art élitiste aux Etats-Unis, mais cette perception est en train de changer avec les plus jeunes générations qui découvrent la joie et les messages profonds _ c’est donc fondamental pour Michael Spyres _ véhiculés par la musique. Mais soyons honnêtes, l’opéra et la musique classique ont, en effet, toujours été une forme d’art élitiste, tout simplement parce qu’il faut beaucoup d’argent et de temps _ bien sûr _ aux artistes pour arriver au niveau de compétence _ artisanale _ nécessaire _ oui ! _ à cette profession. Pour réussir quelque chose d’aussi beau que le classique ou l’opéra, l’élitisme est et a toujours été une force. Même si je pense que tout le monde peut apprécier cet art, il reste dominé par un petit groupe d’artistes et de philanthropes.

Je peux dire toutefois que l’opéra et la musique classique me semblent bien plus démocratiques aux Etats-Unis qu’en Europe où une grande partie du budget est subventionné par l’Etat. Chez nous, les gens sont très fiers d’apporter leur soutien et nos budgets sont presque entièrement financés par des personnes privées.

Êtes-vous engagé sur le plan social, éducatif, voire politique ? Être un artiste donne-t-il selon vous des responsabilités dans la société ?

Michael Spyres : Je suis très investi dans le monde des arts et je crois de tout mon cœur qu’il est de notre devoir en tant qu’artistes d’enseigner _ oui ! _ et de donner son temps à la communauté et à la société au sens large _ c’est là une mission civilisationnelle. L’enseignement est aussi dans mon ADN, puisque tous les membres de ma famille ont été professeurs à un moment ou un autre.

J’ai, en outre, la chance de pouvoir changer la vie de beaucoup de personnes à travers mon rôle de directeur artistique de la compagnie d’opéra de ma ville natale : l’opéra régional de Springfield _ Missouri. Mon frère _ Sean _, ma mère _ Terry _ et moi avons réalisé des projets ensemble, ils ont notamment écrit deux opéras pour enfants _ dont Voix de ville. Nous avons tourné dans les écoles les plus pauvres de notre région avec ces deux créations originales et, à travers l’opéra, nous avons réussi à transmettre des leçons importantes sur la vérité et la responsabilité.

Je crois que beaucoup d’artistes oublient qu’il est de leur devoir de mettre en lumière certains problèmes de la société. Éduquer le public au sens large est primordial _ et c’est fondamental : face à la crétinisation galopante des esprits. Mon père, comme professeur de musique, m’a appris que cet art était une forme de méta-éducation et qu’à travers elle, on pouvait enseigner une grande variété de sujets _ bien sûr. Qu’est-ce qu’une éducation qui n’est pas artistique !?! Avec une simple chanson, vous pouvez apprendre une langue, des maths, de la géographie, de la sociologie, de la philosophie… La musique est un point d’entrée vers la compréhension de l’humanité _ oui _ et, en tant qu’artistes, nous sommes en possession d’un outil de transmission _ et plus encore formation-libération _ très puissant, qui connecte _ de manière désintéessée et généreuse _ les gens _ pour le meilleur, et pas pour le pire.

Lorsque vous voyagez pour vos concerts, avez-vous le sentiment que, depuis l’élection de Donald Trump, l’Amérique est vue différemment dans le monde ?

Michael Spyres : Je suis sûr que certaines personnes perçoivent désormais les Etats-Unis différemment, mais cela n’a jamais été un problème pour moi. Ayant vécu 17 ans en Europe, dans six pays différents, j’ai pu voir des aspects à la fois merveilleux et terribles dans chacun d’entre eux, y compris le mien.

Mais j’ai fini par comprendre qu’il ne fallait pas s’attarder sur les effets que la pensée ou la projection collective d’une nation toute entière peuvent avoir sur vous. Je crois en la souveraineté individuelle _ de la personne ayant conquis son autonomie _ et à l’éveil intellectuel _ et culturel : seul vraiment épanouissant _ et j’essaye de vivre et d’avancer en fonction de cela.

L’un des plus beaux moments de ma vie a été de chanter en duo avec ma femme _ Tara _ à Moscou, à un moment où la relation avec les Etats-Unis était assez compliquée… Après le concert, deux hommes sont venus nous parler dans un anglais parfait pour nous dire à quel point cela les avait touchés de m’entendre chanter dans leur langue natale et combien ils pensaient que notre concert avait apaisé les tensions. Certaines personnes se sont mises à pleurer lorsque j’ai chanté « Kuda, kuda… » _ l’admirable air de Lenskidans Eugène Oneguine et il n’y a pas de sentiment plus grand, ni de façon plus douce, d’apaiser les mœurs que par la musique.

J’ai l’impression que, trop souvent, les gens se laissent dominer par des tendances naturelles « tribales », mais un grand air ou lied peut transcender tout cela _ vers l’universel _ et aider au bien commun de l’humanité, dans la lutte, la joie, le deuil ou l’amour.

En dehors du chant, quelles sont les arts ou les activités qui vous sont nécessaires, qui nourrissent votre esprit et votre émotion ? Comment parvenez-vous à garder votre équilibre de vie avec un métier si exigeant et si prenant ?

Michael Spyres : J’ai très peu de hobbies parce que ma vie est principalement partagée entre ma carrière de chanteur, ma compagnie d’opéra et mon rôle de père. Je joue de la guitare et du piano quand j’en ai l’occasion, chez moi, et j’aime emmener mes fils explorer les bois de notre ferme. Mais honnêtement, quand je ne travaille pas, je passe une grande partie de mon temps à lire des livres de philosophie, de psychologie, d’économie et de sciences _ des livres d’humanités.

Quant à la recherche d’un certain équilibre, c’est vraiment le défi le plus difficile à mes yeux, parce que lorsque vous adorez votre job et que vous aimez travailler autant que moi, vous devez constamment vous forcer à faire des pauses _ certes. Le fait d’avoir mes deux fils et ma femme m’aide à rester ancré dans la réalité _ oui _ et je dirais que le plus dur avec cet emploi du temps de plus en plus chargé est de trouver l’équilibre entre mon temps de travail et ma famille.

J’ai beaucoup de chance d’avoir cette carrière et je n’ai pas encore trouvé beaucoup d’aspects négatifs liés au succès, outre la pression grandissante que je m’impose pour me donner à 100% _ bien sûr. J’ai eu beaucoup d’emplois différents dans ma vie, gardien, jardinier, professeur, serveur, ouvrier du bâtiment, et je suis vraiment heureux de pouvoir gagner ma vie en rendant les gens heureux… Qu’y a-t-il de plus gratifiant ?

Une nouvelle saison musicale commence, vous préparez bien sûr les prochaines… quels sont les projets mais aussi les envies qui vous tiennent le plus à cœur : nouveaux rôles, nouveaux chefs, metteurs en scène ou partenaires, nouveaux pays ?

Michael Spyres : Comme l’an passé, je suis incroyablement pris mais j’ai évidemment hâte de jouer dans Fidelio et ensuite, de retourner au Carnegie Hall avec John Eliot Gardiner _ que Michael Spyres apprécie tout particulièrement. En octobre _ 2018 _, je ferai mes débuts au Concertgebouw d’Amsterdam, et juste après _ le 6 novembre 2018 _, j’interprèterai mon premier récital _ intitulé Foreign Affairs (avec le merveilleux À Chloris, de Reynaldo Hahn)_ avec Mathieu Pordoy _ au piano _, à Bordeaux _ au Grand-Théâtre. Au début de l’année 2019, je jouerai pour la première fois au Teatro Carlo Felice de Gênes à l’occasion d’un récital avec ma chère amie Jessica Pratt, puis je me rendrai au Wiener Staatsoper !

Après Vienne, je ferai mes débuts à Genève, aux côtés de ma collègue Marina Rebeka, pour une Le Pirate de Bellini que nous enregistrerons également. En avril _ du 30 mars au 9 avril _, j’aurai le privilège de jouer le fameux rôle de Chapelou dans la production de Michel Fau _ merveilleux metteur en scène _ du Postillon de Longjumeau _ d’Adolphe Adam _, qui sera présenté pour la première fois depuis 1894 à l’Opéra-Comique _ bravo ! Fin avril, j’aurai la chance de réaliser un nouveau rêve en m’associant avec de fantastiques collègues, Joyce Didonato et John Nelson, dans l’interprétation et l’enregistrement pour Erato de mon rôle préféré : Faust dans La Damnation de Faust, de Berlioz

_ cf mes articles des 13  et 14 décembre derniers :  et

En mai 2019, je reviens une fois de plus à Paris en tant que soliste du Lelio de Berlioz, avec François Xavier-Roth. Je ferai également mes débuts en tant que Pollione dans Norma de Bellini, et le mois sera marqué par mon retour à l’Opernhaus de Zurich. Entre ces deux performances, je retournerai à l’Oper Frankfurt dans le cadre d’une tournée en récital. Je terminerai la saison en jouant le rôle principal dans l’opéra épique Fervaal, de Vincent D’Indy, au Festival de Radio France Occitanie, à Montpellier.

Souhaitez-moi bonne chance et… une bonne santé ! _ certes !

Emmanuelle Giuliani

Voici encore un autre très intéressant entretien _ en anglais cette fois, en janvier 2016, et avec Rose Marthis _ avec Michaël Spyres, et à propos de son engagement très actif auprès du Springfield Regional Opera,

chez lui, dans le Missouri :

SIX QUESTIONS WITH MICHAEL SPYRES

The Mansfield native has performed in operas all over the world, and is now artistic director of Springfield Regional Opera.


BY ROSE MARTHIS

Jan 2016

Michael Spyres of the Springfield Regional Opera

Photo by Kevin O’Riley

Michael Spyres spent his childhood in Mansfield _ Missouri _ singing at every town wedding and funeral with his musically-inclined family. He became interested in opera because he was named after an uncle who aspired to be an opera singer but died at a young age _ 38 ans _ from throat cancer. His mother _ Terry _ and father _ Eric _ were both music teachers, and he grew up on stage. After landing his first role at the Springfield Regional Opera when he was 18 years old, Spyres found his way to Europe at age 24. Now, in addition to his singing career, he has come back to take over the artistic direction of the opera company that gave him a shot—and he’s bringing innovations that could usher in a new era in opera.

… 

417 Magazine : Why did you decide to come back to SRO _ Springfield Regional Opera _ while continuing your career in Europe?


Michael Spyres : The big reason I wanted to come back was to help out the company that gave me the first chance _ voilà. I wouldn’t be in this position without having had the opportunities that I had in Springfield. By the time I was 22 years old, I had already done six roles in a real opera company with an orchestra. Most of my colleagues and friends when I was in these other programs were 22 but they had never even gotten to sing with orchestras. Because Springfield was such a perfect place for me to learn, I got to grow with this company. I just thought it was a perfect time in my career for me to come back and teach the next generation of people _ voilà : donner (avec reconnaissance) comme l’on a reçu _ and give them what has been lacking in the last few years. Give some of these wonderful talented kids from our Ozarks area _ son terroir natal _ a direction and show them that it is absolutely possible and you can achieve your dreams _ oui : « Deviens ce que tu es » !.. _ and do exactly what I did.  I’m from the smallest town you can think of where people have never even heard of opera, but now they know what opera is because I sing all over the world. And I did it from the Ozarks.

…  

417 : Did you make any connections in Europe that can help you in your new role?


M.S. : I have some really good friends in France, Italy and Austria that I’ve kind of recruited and have talked to them about my vision for the opera company. They have all agreed to come to Springfield for very little money and help me with my vision to turn Springfield into an internationally known regional company that does innovative things _ bravo !

… 

417 : Tell us about your vision for SRO.


M.S. : One of the big things that we’re going to be doing is streaming our operas live on YouTube and Facebook. The technology has been around for a couple years but no one has ever done it. Most of my friends who are well known directors, they are going to be coming to Springfield and will be bringing a completely international flair to Springfield by putting on their productions. We’ll be using local talent for singers, and a few of my other friends who are bigger names will come in and be able to sing with our company while teaching at the same time. I want it to be a training grounds _ quel projet  magnifique !

417 : How do you want opera to influence the arts scene in 417-land?


M.S. : I love Springfield but it does seem that a lot of the arts organizations think that there’s a competition going on, but there isn’t. There’s enough public, there’s enough money in the art scene for it to all go around, and it all helps if we bring each other in and we help each other. That’s one of the big things that Christopher Koch, the new music director, and I have been talking about a lot. It’s the inclusion and taking everybody from the theater, and the symphony and the ballet to come together for a project. The opera is a very, very important art form because it’s the first and only one that includes everybody _ oui _ : actors, singers, dancers, composers, directors, lighting people, sound tech, everything is all in one. That’s what opera was originally conceived to do, to be a conglomeration of all the arts _ oui _, where everyone was working together. One of our biggest goals is to always have a project that connects either the symphonies or ballet or street actors or circus performers.

417 : How do you want to partner with the other local arts organizations?

I don’t want to give too much away, but we do have the next three years planned. In opera, we don’t use amplification of the voice;  it’s the natural human voice that has to project over the orchestra. That’s why opera is such a different art form than musicals. Traditional musicals were like that, and they are now sometimes, but for the most part everyone’s miked, which takes away, for me, some of the art and the craft. We are definitely going to be showing people what the power of the human voice can be and how incredible it is _ voilà. To go, wow are they going to get through and be able to sing it ? You know, make it a spectator sport.

… 

417 : What do you want people here to learn about opera?


M.S. : The big thing that I want to do in these next years is educate people about what opera actually is and what it isn’t _ voilà. Everyone has these preconceived notions about what opera is. You say “opera” and they all think, “Oh yeah, fat lady with horns.” And they just think Wagner _ oui. It’s just so not that. Once you understand the origins of what opera is you start to realize, oh my gosh, that’s what influenced everything. Musicals and movies and everything was composed after opera _ oui. Opera was the base for everyone to come together with ideas. Movies would have never happened without opera _ c’est dit.

Five Tips for Opera Novices

Springfield Regional Opera artistic director Michael Spyres shares what you need to know about opera.

1. Opera was conceived as an art form that was the first of its kind in an attempt bring together all of the various art forms into one performance. Opera was born out of the Renaissance period and the etymology of the word actually means “to work”. The Italians chose this word for their new art form in order to symbolize the message of this new art form. Opera was truly conceived to be a transformative art form both for performers and the public as it sought to enlighten and inspire change in society _ l’opera est en effet conçu comme ouvert à un large public : à Venise d’abord.

2. Not all Opera is in Italian ! While it is true that many Operas are composed in Italian, Operas have been written in virtually every language. Generally speaking they are categorized into Italian, German, French, Russian and English genre operas. In the last 150 years new operas have been and are still being composed in various languages spanning entire globe. Again, Opera is a transformative and reflective art form that most always seeks to hold up a mirror to society in order to provoke change _ oui _ and so it is no wonder that Opera is being composed in almost every language worldwide!

3. Opera is an art form, but also as a collaboration, a partnership of people and community. There is no grander form of live entertainment (with the exception of live television.) Depending on the size of production an Opera will bring together anywhere from a hand full to more than 300 participants working simultaneously backstage as well as in the orchestra and on stage _ oui : l’entreprise est collective. You can see why many people consider Opera to be a living art form in that massive amounts of people come together for a common cause and every performance is different. In fact, if Opera had not laid out this massively collaborative art form we would surely not have our beloved art forms of musicals or even movies.

4. Don’t worry if you don’t speak the language that it is in. Supertititles (Translation to a screen above) are the norm in most opera houses. Even if there are no supertitles if you just pay attention and enjoy the art form that is in front of you, you will easily understand what is going on onstage. A good rule of thumb is to do just a little bit of research online before coming to the Opera _ par exemple _ ; so you can get a good framework of the storyline. After all most of us don’t go blindly to a movie without researching beforehand and opera is no different.

5. Don’t be afraid of Opera. We all have preconceived notions about what Opera is (large people yelling in funny hats often comes to mind) but if you have never been to an Opera you really are missing out. If you ask yourself “why is this artform still around after over 400 years ?” you are on the right track. The answer to this question I would propose is because of its intoxicating potion of complexity. Opera is an evolving artform that is tailored to evoke thought and change within _ voilà. It is true that some opera was conceived to just have a good time and entertain like most Hollywood box office films, but the majority of opera is composed in essence like folk music in that there is a reason and strong story behind the subject matter. Love, anger, reverence, and awe are just some of the emotions that are within us ; and Opera provides a beautiful art form in which to celebrate and transform the human condition. Don’t just take my word for it, come see for yourself!

L’admirable degré d’humanité _ et engagement de terrain _ de Michael Spyres

est splendide !

Ce jeudi 19 décembre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un entretien entre Marie-José Mondzain, Jacques Rancière et Emmanuel Burdeau, le 13 juin 2014 : Pourquoi éduquer à l’image

11jan

 

 

Mondzain-Rancière : pourquoi éduquer à l’image.

En cliquant sur ce lien ci-dessus,

nous obtenons les 7 vidéos de cet entretien du 13 juin 2014 entre Marie-José Mondzain, Jacques Rancière, et Emmanuel Burdeau, faisant office de modérateur.

Les titres de ces 7 vidéos apparaissent un peu plus bas ci-dessous…

11 AOÛT 2014 PAR EMMANUEL BURDEAU BLOG : LE BLOG D’ EMMANUEL BURDEAU


J’ai assuré _ c’est Emmanuel Burdeau qui parle _ vendredi 13 juin dernier _ 2014 _ la modération d’un débat organisé par Périphérie, association dédiée à la pratique et à la transmission du cinéma documentaire, et se tenant dans le cadre de la 23e édition du Festival Côté Court à Pantin. Intitulé « Education à l’image : pourquoi faire ? », celui-ci réunissait deux philosophes, Marie-José Mondzain et Jacques Rancière.

Directrice de recherche au CNRS,

Marie-José Mondzain a consacré plusieurs ouvrages aux origines et à l’histoire de l’image. Dans un livre paru en 2008, Qu’est-ce que tu vois ? (Gallimard Jeunesse), elle relate son expérience de vision et de partage des images avec des élèves et des classes rencontrés dans toute la France.

Professeur émérite à l’Université de Paris VIII,

Jacques Rancière est – notamment – l’auteur de nombreux ouvrages sur le cinéma, ainsi que de Le Maître ignorant – Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, paru en 1987 et consacré à l’enseignement de Joseph Jacotot, mais dont l’influence n’a cessé de croître avec les années.

Le débat (dont l’essentiel peut être regardé dans les vidéos ci-dessous _ ci-dessus, en fait, ici _) eut plusieurs temps.

Mondzain et Rancière ont d’abord raconté comment eut lieu leur propre éducation à l’image en général et au cinéma en particulier.

Ils ont ensuite évoqué leur expérience respective d’« éducateurs ».

Puis la conversation a roulé sur la place de l’image aujourd’hui,

sur le statut du mot « éducation » dans l’expression « éducation à l’image »

et sur la nécessité d’en trouver un autre, fût-ce simplement parce que l’image étant quelque chose que chacun connaît voire pratique, vouloir y éduquer pourrait tenir du contre-sens, ou de l’erreur de méthode.

Plusieurs extraits de films ont été projetés au cours de l’après-midi.

Les premières minutes de L’Esprit de la ruche (1973) de Victor Erice, où l’on voit un cinéma ambulant arriver dans un village espagnol pour une projection du Frankenstein (1931) de James Whale, ont ouvert le débat.

A cause de leur admiration pour le film, de la place qu’y tient le cinéma – y compris comme mauvais objet, objet dangereux… – et du scénario d’ensemble, où l’émancipation a sa place, Mondzain et Rancière se sont souvent référés, par la suite, au chef d’œuvre d’Erice.

Riches, les échanges se sont clos par des questions venues de la salle.

Un grand merci à Béatrice Guyot, Julien Pornet et Philippe Troyon pour la préparation du débat et la captation de ces vidéos.

1- Introduction

(1/7) Marie-José Mondzain et Jacques Rancière : Education à l’image, pour quoi faire ? © Mediapart
2- Philosophie et image

(2/7) Marie-José Mondzain et Jacques Rancière : Education à l’image, pour quoi faire ? © Mediapart
3- L’émancipation

(3/7) Marie-José Mondzain et Jacques Rancière : Education à l’image, pour quoi faire ? © Mediapart
4- Dire ce qu’on voit

(4/7) Marie-José Mondzain et Jacques Rancière : Education à l’image, pour quoi faire ? © Mediapart
5- Le renversement

(5/7) Marie-José Mondzain et Jacques Rancière : Education à l’image, pour quoi faire ? © Mediapart
6- Voir et croire

(6/7) Marie-José Mondzain et Jacques Rancière : Education à l’image, pour quoi faire ? © Mediapart

 

Vidéo de
7- Extraits des questions de la salle

(7/7) Marie-José Mondzain et Jacques Rancière : Education à l’image, pour quoi faire ? © Mediapart


https://blogs.mediapart.fr/emmanuel-burdeau/blog/110814/mondzain-ranciere-pourquoi-eduquer-limage
https://www.babelio.com/auteur/Jacques-Ranciere/2029

Voilà.

Ceci est une contribution aux 3 Débats publics de cette saison 2017-2018 au Théâtre-du-Port-de-la-Lune, autour de la question : « Vous savez, le peuple manque« …

Ce jeudi 11 janvier 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Avec le rappel de la vidéo de mon entretien du 7 novembre dernier avec Marie-José Mondzain,

au Théâtre du Port-de-la-Lune (Salle Vitez) :
https://www.youtube.com/watch?v=12MADK3oRfE

Vidéo de

Crétinisation versus « apprendre à vivre » : comment former, à l’école et ailleurs, à l’essentiel ?

14mai

Une interview opportune et urgente d’Edgar Morin sur la « crise » de la « formation » des personnes, des personnalités, des citoyens _ = « crise de l’éducation » _, afin qu’ils soient _ = nous soyons ! _ de « vrais humains » (se dépassant eux-mêmes, en permanence), au lieu de n’être que de la « ressource » disponible (sur un marché : concurrentiel) en « moyens«  (pour « services » de « ressources humaines » en mal d' »efficacité » à court terme _ en attendant « la chute« …),

dans Le Monde du 13 mai 2009 :

« Edgar Morin : « On devrait instaurer une année propédeutique de culture générale obligatoire »…« 

Opposé au cloisonnement des savoirs, le sociologue et philosophe Edgar Morin, qui a élaboré la théorie de la « pensée complexe« , défend ici l’idée d’une culture qui relie _ du latin « religare« , et en français « relier«  _ nos connaissances éparses.

Qu’est-ce que la culture générale et à quoi sert-elle ?

C’est ce qui, à partir des écrits, des arts, de la pensée, aide à s’orienter dans la vie et à affronter les problèmes de sa propre vie. La lecture de Montaigne, La Bruyère, Pascal, Diderot ou Rousseau nourrit notre esprit pour nous aider à résoudre nos problèmes de vie.

Autrement dit, c’est vital.

Non seulement on ne peut pas s’en passer, mais il faut la régénérer _ en ce moment se tient aussi, à Grenoble, à l’initiative de « la république des idées« , un colloque sur la question de « rénover la démocratie«  _, parce qu’elle est elle-même victime du mal principal qui frappe les connaissances, c’est-à-dire la compartimentation et la fermeture. Si, comme on l’a toujours fait _ enfin, presque… _, on veut réfléchir sur l’être humain, la nature, la réalité et l’univers, on a besoin d’incorporer les acquis qui viennent des sciences. Je crois qu’il faut régénérer _ est-ce plus précis et plus juste que « rénover » ?.. probablement… _ la culture générale parce que chacun a besoin, pour savoir ce qu’il est en tant qu’être humain, de se référer à sa situation dans le monde.

Comment la régénérer ?

J’ai fait des propositions pour des réformes de l’enseignement radicales _ prises à la racine. L’enseignement fournit _ entre « fourguer » et « gaver«  _ des connaissances séparées, cloisonnées et dispersées, qui deviennent affaire d’experts fonctionnant sur des problèmes particuliers, mais incapables de voir les problèmes fondamentaux et capitaux.

Dans « Les Sept Savoirs nécessaires à l’éducation du futur » (Seuil, 2000), je donne des thèmes _ ou pistes ? _ de réflexion. Par exemple : qu’est-ce que l’être humain ? Cela n’est enseigné nulle part _ la question « Qu’est-ce l’homme ? » est la principale de tout enseignement-questionnement philosophique, tout de même, selon Kant !.. _, car tout ce qui concerne l’être humain est dispersé. Pas seulement dans la biologie ou les sciences humaines et la philosophie _ !!! _, mais aussi dans la poésie et la littérature, qui sont des sources de connaissance de l’humain, mais sont considérées _ par certains, beaucoup, trop… _ comme des luxes _ ou « suppléments d’âme«  _ esthétiques, et non pas des sources de connaissances.

Une sorte de méta-savoir ?

Plutôt une façon de faire communiquer _ activement, en les dynamisant _ les savoirs et de les rendre nourriciers _ voilà ! et à foison… _ pour l’esprit de chacun. De plus, la culture ne peut pas se réduire aux savoirs transmis par le langage _ articulé, en la langue. La musique, par exemple, nous transmet des messages affectifs que nous traduisons très mal en mots. Mais il y a une pensée derrière la musique. Il y a une pensée derrière les œuvres de Beethoven. Il y a aussi une pensée derrière Rembrandt et Michel-Ange _ voir la (scandaleuse !) misère de l’initiation artistique au lycée (et au collège). Quant à la poésie, elle emploie les mots non pas dans un sens de dénotation instrumentale, mais dans un sens d’évocation que le langage dénotatif ne peut pas dire _ ou la palette ouverte d’un style. La culture inclut tous les arts _ et comment !!!

La pensée complexe, qui est au cœur de votre travail, n’est-elle pas l’illustration de cette culture qui relie les savoirs ?

On nous enseigne l’analyse et la séparation. Très bien ; mais on ne nous enseigne ni la synthèse ni la liaison. J’ai voulu montrer quelles sont les méthodes _ cf le très important « La Méthode«  _ qui permettent de relier. Dans « L’Homme et la mort » (Seuil, 1951), j’ai fait appel à l’ethnographie, à la préhistoire, aux sciences religieuses, à la poésie, à la littérature… Mon problème était de ne pas juxtaposer ni empiler ces connaissances, mais de les relier en leur donnant un sens.

Tout le contraire des disciplines scolaires bien séparées.

Les savoirs fermés et séparés doivent être ouverts et reliés. On devrait instaurer une année propédeutique de culture générale obligatoire pour tous, en fin de lycée ou en première année de fac. Et puis, il faudrait former ou réformer les formateurs. Je l’ai appliqué ces dernières années au Mexique, au Brésil et au Pérou, où j’ai fourni les éléments des « sept savoirs capitaux » à développer. Je leur enseigne ce qu’est la rationalité, la complexité. J’introduis les problèmes de notre civilisation ignorés dans les cours d’économie ou de sociologie. Par exemple, sur la fabrication des médias, le consumérisme des classes moyennes, l’intoxication publicitaire ou automobile. Ça fait partie de la culture générale. Dans « Emile ou de l’Education« , quand Jean-Jacques Rousseau demande à l’éducateur ce qu’il veut faire, celui-ci répond : « Je veux lui apprendre à vivre. »

D’où l’importance aussi de « La Princesse de Clèves » ?

Je fais des critiques politiques au président Sarkozy, mais je ne l’attaquerai pas sur le plan de la culture. Je ne le critique pas de ne pas connaître « La Princesse de Clèves« . Je le critique s’il propose de nous en détourner.

N’est-il pas contradictoire de dire que nous sommes dans une société de la connaissance tout en tournant le dos à la culture ?

On n’est pas dans une société de la connaissance. On est dans une société des connaissances séparées _ et pratiquées instrumentalement pour une utilité technicienne à courte vue. Le vrai problème, c’est qu’il faut tout réformer. Mais on ne fait que des « réformettes » ; le secondaire occulte le principal ; et l’urgence occulte l’essentiel ; alors que l’essentiel est devenu urgent _ formules capitales ! assassinées par la pseudo-« culture«  de l’évaluation comptable (dite « du résultat » ; cf mon article du 28 avril : « de quelques symptômes de maux postmodernes : 2) “l’inculture du résultat”, selon Michel Feher « ) : c’est si commode…

Si la culture relie les savoirs, ne s’en prend-on pas aux savoirs en jugeant la culture superflue ?

On relègue les savoirs dans les mains de spécialistes ; et on dépossède tous les autres. Par ailleurs, on est complètement ignorant sur les qualités vitales de la culture générale.

Ne croire qu’en des spécialités, c’est ne croire qu’en une vision de l’être humain borné et incapable de se poser des problèmes _ clé de l’intelligence (ouverte et ouvrante) du réel (en sa complexité). C’est du crétinisme. De plus, c’est une illusion ; car, aujourd’hui, dans certaines entreprises, au lieu de recruter des polytechniciens, on recrute _ de fait : on ne peut plus « réalistement« , comme ils pensent… _ des normaliens. On cherche des gens ayant des aptitudes « tous terrains » plutôt qu’une aptitude limitée _ obtuse _ à un seul terrain. Il est démontré que le développement des aptitudes de l’esprit humain à traiter des problèmes généraux leur facilite le traitement _ inventif, créatif, « avec génie« _ des problèmes particuliers.

Propos recueillis par Ma. D.

Article paru dans l’édition du 13.05.09

Mais qui veut vraiment cela

parmi ceux qui « occupent«  les manettes ? En lieu et place de fructueusement (pour eux !) « faire affaire«  avec ceux qui « vendent du temps de cerveau humain disponible » ?..

Titus Curiosus, ce 14 mai 2009

Science et littérature faisant chambre commune : pénétrer l’acte mémoriel

16juil

Ou,
titre alternatif :
L’activité mémorielle : Scientifiques « attentifs intensivement » à l’œuvre de Proust

Lecture d’un passionnant article (de Hervé Morin)
sur les métamorphoses de la mémoire : « L’Hippocampe de Proust« 
dans le Monde le 14 juillet (16h 13), édition du 15 juillet

http://www.lemonde.fr/sciences-et-environnement/article/2008/07/14/metamorphoses-de-la-memoire-1-6-l-hippocampe-de-proust_1073179_3244.html

Sans commentaire, même « philosophique »
_ Bergson, Janet, Halbwachs, et même Théodule Ribot (à re-découvrir), pour débroussailler le terrain _
je me contenterai de « lire »,
en pratiquant,
en « exercice », en quelque sorte,
ma méthode « attentive intensive« ,
un remarquable article de Hervé Morin (« L’Hippocampe de Proust«  dans Le Monde, édition du 15 juillet 2008)
sur la mise à profit
par des chercheurs scientifiques
(de par le monde)
de l’analyse « poïétique« 
(active-créatrice,
« plastique » en le travail d' »écriture » de ses phrases « labyrinthiques »)
de Proust, en sa « Recherche » à lui,

à propos de la « ré-activation » du souvenir
(déjà lui-même richement « machiné« ),
dans les allées à ramifications prodigieuses
de la mémoire personnelle sédimentée après ses avancées  exploratoires si fécondes

en réseau neuronal synaptique « labyrinthique » :

lisons donc tout simplement,
mais un peu plus « attentivement intensivement »
que d’habitude
,
pour ce qu’on peut demander à de l' »information« -« communication »
_ simplificatrice… _, veux-je dire…

Bien sûr, lire (« attentivement intensivement« ) Proust lui-même
_ sa « Recherche » : quel monde !!!

nécessitant toute une panoplie de « focales », du « télescope » au microscope », ainsi que lui-même le dit, l’écrit _
irait beaucoup plus loin probablement…
Mais, à six heures du matin,
voilà déjà une potable « mise en jambes »
de l’activité cérérébrale synaptique, neuronale,
etc…

Voici cet article simplement re-découpé, et avec des gras:

Longtemps, science et littérature ont fait chambre à part.
Marcel Proust les a réconciliées.

Outre la montagne d’exégèses qu’a suscitée son oeuvre,
le « phénomène proustien » a engendré une foule d’analyses psychologiques et neurobiologiques.
Ce « phénomène« ,
c’est bien sûr celui attaché à l’épisode de la madeleine, relaté au début d' »A la recherche du temps perdu » :
le narrateur, goûtant chez sa mère un biscuit trempé dans du thé,
est soudain assailli par une vive émotion.

Intrigué, il cherche en lui-même
et découvre la cause de ce trouble.
Le voilà transporté des années en arrière, le dimanche matin à Combray,
lorsque sa tante Léonie lui offrait un morceau de madeleine trempé dans son infusion de thé.

Souvenir en apparence ténu, anodin.
« Mais, écrit Proust, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses,
seules,
plus frêles mais plus vivaces
,
plus immatérielles,
plus persistantes, plus fidèles,
l’odeur et la saveur restent encore longtemps,
comme des âmes,
à se rappeler, à attendre, à espérer,
sur la ruine de tout le reste,
à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable,
l’édifice immense du souvenir.
 »

« J’ai tout un dossier d’articles qui tentent de réinterpréter scientifiquement cet épisode« ,
témoigne la neurobiologiste Pascale Gisquet (CNRS – université Paris-Sud),
qui a bien voulu mettre ses archives à notre disposition.
« J’ai moi-même été très inspirée par Proust« , confesse-t-elle.
Etrange attrait…
Le premier réflexe des scientifiques est de se défier d’un témoignage subjectif.
Mais Proust fascine les spécialistes de la mémoire.
Sans doute
, avance le neuropsychologue Francis Eustache (Inserm-université de Caen),
parce que « ce visionnaire a eu
bien avant nous
l’intuition
que la mémoire est au centre du psychisme :
elle permet cette rencontre intime avec soi
et avec l’autre,
présent ou absent
« .
Peut-être aussi parce que chacun de nous, un jour,
a cru mordre dans sa « madeleine« …

Qu’a donc découvert la science
de ce qui, dans la tête d’un Proust
,
mais aussi sous nos crânes,
abrite les souvenirs,
les entretient
et les ressuscite ?

« On sait des choses,
mais on en ignore plus encore
, prévient Serge Laroche,
du laboratoire de neurobiologie de l’apprentissage, de la mémoire et de la communication (CNRS-Paris-Sud).
La science de la mémoire est très jeune
et porte sur un organe longtemps resté inaccessible,
le cerveau.
 »
Depuis un siècle, les scientifiques ont compris que
celui-ci est organisé en ensembles interconnectés,
et que son unité cellulaire de base est le neurone.

Le neuroanatomiste espagnol Santiago Ramon y Cajal (1852-1934)
avait supposé que les modifications de « protubérances » neuronales
étaient responsables de la mémorisation.

Ses successeurs lui ont donné raison.

Chaque neurone est en effet
capable de
transmettre de l’information,
sous la forme d’influx électrochimiques
et de synthèses moléculaires
,
et d’entrer en contact avec des milliers d’autres.
Ces points de contact,
les « protubérances » de Cajal,
ce sont les synapses.

Les études sur l’animal ont montré que leur activité
peut être renforcée
,
voire qu’elles peuvent se multiplier
au fil de l’apprentissage,
et ce de façon durable.
Leur remodelage à long terme
implique des cascades complexes de gènes.

« Sur des souris mutantes,
on en a déjà identifié 165
qui jouent un rôle dans le fonctionnement synaptique
« ,
dit Serge Laroche.

Avec un milliard de millions de connexions,
la combinatoire de ces réseaux est hallucinante !
Qu’est-ce donc qu’un souvenir,
dans cette jungle neuronale ?
« Il serait un motif particulier
d’activation cellulaire de réseaux neuronaux
« 
,
répond Serge Laroche.
Concrètement, chacun des sens du jeune Marcel
entraîne l’activation d’une portion du cerveau.
Tout un réseau neuronal est impliqué.
Les n
œuds de ce réseau,

les synapses,
sont renforcés par ces perceptions.
« A chaque souvenir
correspond un réseau
qu’il faut activer
pour se le remémorer
« 
,
avance Serge Laroche.

« Pour ce qui est de la mémoire simple,
comme modifier des réflexes d’évitement d’un organisme basique
tel que l’aplysie,
un escargot de mer que j’ai étudié,
nous comprenons très bien ce qui se passe
,
dit l’Américain Eric Kandel, Prix Nobel de médecine en 2000.
Mais pour des choses plus complexes
comme l’odorat,
modalité sensorielle très vaste,
combinée parfois avec la perception visuelle,
c’est plus compliqué.
Nous ne comprenons pas exactement
comment tout cela est traité
au niveau de l’hippocampe.
 »
L’hippocampe !
Depuis un demi-siècle,
cette structure profonde du cerveau
fait l’objet de tous les soins des spécialistes de la mémoire.
Comme souvent,
c’est un cas clinique qui a tout déclenché.
En l’occurrence,
H. M., un jeune Américain épileptique
qui a subi en 1953 une ablation de l’hippocampe
et d’une portion des lobes temporaux
,
censée mettre fin à ses crises.
Depuis lors,
H. M. est prisonnier du temps :
ses souvenirs, dégradés,
se sont figés
à la période précédant son opération.

Ses capacités intellectuelles sont intactes,
mais il est incapable de retenir
une information nouvelle
plus de quelques secondes.
Sans mémoire, impossible de construire l’avenir.

La psychologue Brenda Milner
a pu montrer que son amnésie
n’était pas absolue :
H. M. a bien enregistré
que ses parents étaient morts,
et que Kennedy avait été assassiné,
sans doute en raison de la charge émotionnelle de ces événements.

Il a aussi pu
apprendre à recopier un motif
en le regardant dans un miroir,
un savoir qui mobilise la mémoire inconsciente.
Mais après des décennies de consultations,
il ignore toujours qui est Brenda Milner !

Grâce à H. M.,
grâce aussi aux psychologues expérimentaux,
les sciences cognitives
distinguent plusieurs types de mémoires,
reliées par des passerelles cérébrales
qui restent à identifier.
D’un côté, la mémoire à court terme, ou de travail,
de l’autre celle à long terme.
Celle-ci peut être implicite,
ou procédurale.

Elle nous permet de faire du vélo « inconsciemment »
ou à H. M. de dessiner dans un miroir.
La mémoire à long terme
peut aussi être explicite (consciente)
.
Raffinement supplémentaire,
on ne confond pas dans cette dernière
ce qui est sémantique

(connaissance : Combray n’est pas éloigné de Guermantes)
et ce qui est épisodique
(histoire personnelle : « J’allais voir tante Léonie le dimanche matin« ).

Pour mieux cerner cette mémoire autobiographique,
l’équipe de Francis Eustache a interrogé des femmes de 65 ans
sur leur passé.
« Quelle que soit l’ancienneté du souvenir évoqué,
la période de vie concernée,
c’était bien l’hippocampe
qui était activé
« ,
indique le chercheur.
Et la madeleine,
quel est son rôle ?
C’est la clé
sans laquelle le passé serait resté perdu :
« 
Il dépend du hasard que nous le rencontrions
avant de mourir,
ou
que nous ne le rencontrions pas
« ,
écrit Proust.
Son narrateur eut plusieurs fois la chance
de tourner cette clé :
à (l’Hôtel de) Guermantes,
un pavé disjoint
le projette en pensée
sur les dalles inégales de la place Saint-Marc, à Venise.
Ou le tintement d’une cuillère
le transporte
vers un sous-bois, où son train avait stoppé jadis.

Les chercheurs ont préféré s’intéresser aux odeurs.
Celles-ci sont supposées
souveraines pour ouvrir
« ces vases disposés sur toute la hauteur de nos années« 
,
comme l’écrit Proust,
où sont encloses
autant de sensations passées.

L’aromachologie (la psychologie de l’olfaction)
tente de déterminer leur rôle
dans la ressuscitation des souvenirs anciens
.
En laboratoire, les odeurs ne sont pas un indice très puissant
dans des tests de mémorisation
où elles sont associées à des chiffres, des images ou des actions.
Au point que le psychologue expérimental Alain Lieury (Rennes-II)
soupçonne que
plus que l’odeur,
« c’est peut-être la vue
de la madeleine
qui fut efficace
« .

Une expérience conduite par John Aggleton et Louise Waskett (université de Cardiff)
autour d’un musée de la ville de York consacré aux Vikings
montre pourtant leur puissance d’évocation.
L’exposition associait une fragrance particulière
à chaque scène présentée
– terre, bois brûlé, viande…
Un interrogatoire, auquel ont été soumis des visiteurs six ans après l’avoir parcourue,
a montré qu’en présence de ces odeurs,
ils étaient capables de se souvenir de détails plus nombreux (+ 20%)
que lorsqu’on les aspergeait – ou non – d’autres parfums.

De telles observations
ne cernent pas réellement le « phénomène proustien« ,
qui implique l’évocation, chargée d’émotion,
de souvenirs forts anciens.

Simon Chu et John Downes, de l’université de Liverpool,
ont exposé des sexagénaires
à des odeurs
ou à des indices verbaux,
et leur ont demandé de
décrire
les expériences passées
qui leur venaient
.
Alors que les mots évoquaient
des souvenirs datant de la période
où les « cobayes » avaient de 11 à 25 ans,
les réminiscences induites par les odeurs
remontaient à leur petite enfance
,
à l’âge où l’on se voit offrir des madeleines.

Récapitulons :
le jeune Marcel
– en faisant l’hypothèse que Proust s’est inspiré d’événements réels –
va le dimanche grignoter une madeleine chez sa tante.
Cette expérience multisensorielle renouvelée
se traduit dans son cerveau
par une poussée de connexions neuronales,
impliquant des phénomènes
à la fois électrochimiques
et la production de protéines,
qui stimule et renforce durablement certains circuits.
Ceux-ci
vont constituer
un souvenir,
« stocké » dans l’hippocampe.
Des décennies plus tard,
une saveur oubliée
réactive
ce réseau délaissé,
d’abord
sous la forme d’une émotion sans objet,
qui
dans l’écheveau des neurones
finit – miracle ! –
par trouver
son origine,
faisant le pont
entre l’affection
toujours présente
de sa mère
et celle,
retrouvée,
de sa tante disparue.

Le reste est littérature :
« Tout Combray et ses environs,
tout cela qui prend forme et solidité,
est sorti,
ville et jardins,
de ma tasse de thé
« …

Bibliographie :
« A la recherche du temps perdu« , Marcel Proust, Gallimard.
« Le sens de la mémoire« , Jean-Yves et Marc Tadié, Gallimard, 1999.
Sites Internet :
Sur Proust : le temps retrouvé
Sur les controverses scientifiques suscitées par Proust : une contribution publiée dans la revue Chemical senses (en anglais)

Prochain article : « Cet étrange sentiment de déjà-vu« .

Hervé Morin
Article paru dans l’édition du 15.07.08.

Dans mon article d' »ouverture » de ce blog « En cherchant bien…« , « le carnet d’un curieux« ,
j’ai « oublié » une lecture basique fondamentale
de mon rapport au monde disons « culturel » _ pardon Michel Deguy ! je veux dire une lecture « de référence » formatrice, éducative fondamentale _,
à côté de Montaigne, et de Shakespeare, surtout
_ j’en ai passé bien d’autres, certes, sous silence, tel Marivaux, par exemple : si incroyablement fin… _,
bref, j’ai passé grièvement sous silence Proust : bien à tort ; mea culpa
Délaisser _ reporter à plus tard, veux-je dire _ bien des autres, mais lire pour commencer, et y revenir souvent, la « Recherche« …

Philosophiquement, on progressera notablement en se reportant aux travaux de Catherine Malabou autour de la « plasticité«  _ en commençant par exemple par son « Que faire de notre cerveau ?« , paru aux Editions Bayard en avril 2004…

Mais des lecteurs peut-être nous ferons « avancer » en pareil balisage de ce chantier d’analyse de « l’activité mémorielle » si riche de complexité…

Le « génie »
(humain :
en est-il d’autre ?
entre Dieu, la bête, la plante, le rocher, l’ange, le diable,
et qui _ ou quoi _ d’autre encore ?) ;

et non-inhumain _ merci (et après Kant : « Critique de la faculté de juger« ), Bernard Stiegler (« Prendre Soin« ) _

est passionnant en ce qu’il donne à « se repérer » et « avancer »
en terra incognita

Et que nous cultivons si mal, ce « génie« ,
si déplorablement
en France, en particulier ;
et à l’école

d’abord.

Qu’on se penche un peu sur la misère laissée
(ministre après ministre :
qu’ils se soucient un peu moins de leur « image » auprès des électeurs,
« tenus » bien mal informés, eux _ ou plutôt les « citoyens » qu’ils sont pas seulement les jours de vôte !!! _, du « réel » ;
et un peu plus de la vérité du terrain, du réel lui-même ;
de ce qu’advient le « génie » des « humains » en formation
(= les « élèves » qu’il faudrait, et faut, « élever » _ comme y insiste Alain !!!),
quand prolifèrent ce qui s’intitule _ assez peu « humainement« , eh oui ! _ « département des ressources humaines » :
merveille de la novlangue
_ relire aussi, souvent, « 1984 » de George Orwell !!!

qu’on considère sérieusement et avec gravité
_ car « c’est Mozart » et Einstein « qu’on assassine » ainsi _
la misère abandonnée à la pratique artistique
créatrice
_ il faut lui mettre le pied à l’étrier ! _
à l’école,
au collège,
au lycée ;
et en dépit des efforts de tant de « maîtres »
qui n’en peuvent mais
et s’essoufflent parfois
de lutter contre les conditions qu’on
_ système interposé :
mais il y a toujours des responsabilités
et des responsables,
même si c’est à des degrés divers ;
ce qui facilite la dé-responsabilisation,
quand elle est diluée _ ;

et en dépit des efforts de tant de « maîtres » qui n’en peuvent mais et s’essoufflent parfois de lutter contre les conditions qu’on
impose à leur pratique
(quand elle n’est pas, cette pratique-là,
carrément supprimée
d’un trait de plume
_ « économie » obligeant,
qu’on nous assène ! _) ;

en horaires, en coefficients, en budget,
comme en considération en retour ! _ ;

au détriment de la plasticité
créatrice et féconde _ en oeuvres _ ;
quand entend règner
impérialement
en pratiquant la politique de la terre brûlée :
la fielleuse flexibilité

Voilà bien une priorité pédagogique :
agir contre l’incuriosité (qui en arrange tant),
cultiver positivement et joyeusement la curiosité !

Et qu' »acteur  et système » _ pour reprendre l’expression du livre de Michel Crozier et Erhard Friedberg en 1977 (aux Editions du Seuil) _
conduisent le génie des personnes humaines (non-in-humaines)
à se former :
est-ce trop cher à payer donc ?…

Titus Curiosus, le 16 juillet 2008

P.S. : en commentaire musical à l’expression d’Hervé Morin « Longtemps, science et littérature ont fait chambre à part« ,

je propose l’interprétation (d’un raffinement _ viennois _ à se pâmer) par Elisabeth Schwartzkopf de la délicieuse mélodie viennoise elle-même « Im chambres séparées » (CD EMI CDC 7 47284 2)…

im-chambres-separees.jpg

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