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Au coeur du plus intime de la musique, et dont l’écoute provoque et vient toucher la part la plus secrète de notre humanité : le quatuor à cordes…

24mai

Les déclarations liminaires à l’article « Quatuors enchantés » de Jean-Pierre Rousseau _ présentant deux récents coffrets de CDs, l’un du Quatuor Cleveland, l’autre du Quatuor Cherubini _ que je découvre ce matin, vendredi 24 mai 2024 sur son blogne sont pas sans me surprendre, de la part d’un mélomane avisé et expert tel que Jean-Pierre Rousseau, et cela pour aller à rebrousse-poil de ma prédilection personnelle de mélomane passionné envers le quatuor (et la musique de chambre) :

« Je ne sais pas pourquoi, mais pendant longtemps j’ai très peu pratiqué l’écoute du quatuor _ tiens, tiens… _, tant au concert qu’au disque. Sans doute parce qu’on n’écoute pas un quatuor de Haydn, de Beethoven ou de Schubert distraitement _ justement ! Et alors ?.. Préfère-t-on privilégier des écoutes distraites ? Quel paradoxe !! _, comme on peut le faire d’une symphonie ou même d’un opéra qu’on connaît par cœur _ œuvres en effet plus composites et souvent plus bruyantes, et, pour la plupart, moins centrées sur l’essentiel (ces genres de musique s’adressant à un plus large public, ménageant, nécessairement, les capacités variables de durée et intensité d’attention-concentration de celui-ci ; là-dessus, consulter par exemple le significatif brillant pamphlet de Benedetto Marcello, paru à Venise en 1720 : « Le Théâtre à la mode« , qui visait notamment les productions opératiques ainsi qu’instrumentales d’Antonio Vivaldi – Aldiviva…) : existent aussi, bien sûr, de sublimes exceptions parmi ces symphonies et opéras… Sûrement aussi parce que c’est _ le quatuor, donc _ l’essence même de la musique _ mais oui, nous y voilà ! À dimension d’éternité, via le temps de la réalisation par les interprètes et de l’écoute attentive et hyper-concentrée de l’œuvre par l’auditeur… Est-ce alors à dire que cette essence même de la musique devrait être le moins souvent possible approchée, cultivée, et jouie ?.. _, qui s’adresse à l’intime _ voilà ! l’intime directement sollicité, et donc exposé (l’auditeur s’y exposant aussi lui-même) en cette plus intense, et souvent même brûlante, profonde et concentrée, attentive écoute _, qui provoque la part la plus secrète de notre humanité _ absolument ! Cette part-là, ainsi provoquée et touchée, doit-elle donc demeurer le plus possible préservée de notre habitus-fréquentation de mélomane ! Tout cela me surprend ! et presque me choque (j’ai même failli dire me révolte !) sous la plume d’un mélomane aussi avisé, d’expérience (et je dirais même compétent, expert), que’est Jean-Pierre Rousseau… Même si ces hyper-intenses moments d’exposition de soi au plus intime et essentiel de la musique, ne doivent certes pas non plus être galvaudés, banalisés, désensibilisés…

Ces derniers temps, j’ai de plus en plus souvent besoin _ oui, je note _ de me ressourcer _ mais oui ! la meilleure des meilleures musiques ressource en effet vraiment ! C’est là une de ses éminentes vertus… _ à l’écoute _ voilà _ de ces chefs-d’œuvre _ soit la crème la plus fine et la plus délectable du meilleur… L’effet de l’avancée en âge sans doute _ oui, bien sûr : aller désormais et de plus en plus à l’essentiel, se délester du poids finalement accablant des poussières du fatras de tout l’inessentiel ; cesser de gaspiller le temps d’écoute (ou de pratique) non infini qui nous reste ; là-dessus, cf le livre à paraître (aux PUF le 28 août prochain) de mon très avisé ami bruxellois Pascal Chabot « Un Sens à la vie _ enquête philosophique sur l’essentiel« , dont je savoure l’envoi très amical des épreuves… ; cf aussi la vidéo (de 64′) de mon entretien avec lui chez Mollat le 22 novembre 2022 à propos de son précédent excellent « Avoir le temps : essai de chronosophie« ... Avant de rencontrer Pascal Chabot lui-même en personne, et à diverses reprises (Bruxelles ne se trouvant pas tout à côté de Bordeaux), j’ai commencé ainsi à faire sa connaissance en le lisant très attentivement : à la lecture, lumineuse pour moi, à sa parution en 2013, de son lucidissime « Global burn-out«  _, la confrontation aussi avec l’évolution irréversible _ toute vie étant bien évidemment de passage (c’est-à-dire mortelle) : non infinie, toute vie (du moins pour les individus appartenant à des espèces sexuées) a eu et aura une fin _ des dégâts de la vieillesse chez ma mère _ la mienne est décédée en sa 101ème année de vie, le 27 octobre 2018 _ qui fête demain ses 97 ans _ fêter la vie est aussi un des grands pouvoirs thaumaturgiques de la musique (du moins celle qui est à son meilleur) ; cf ici mon recueil d’articles de « Musiques de joie« , rédigés au quotidien des jours du confinement du Covid, du 15 mars au 28 juin 2020, à fin précisément de ressourcement alors ainsi, et en priorité (et un ressourcement à partager éventuellement aussi avec qui me lira, puis écoutera cette musique…) : « « … La musique parlant et ressourçant vraiment très directement, oui !

Deux coffrets récents comblent mes attentes« …

Contribuer si peu que ce soit à partager, d’une manière ou d’une autre, de telles ressourçantes écoutes musicales est vraiment aussi _ et plus que jamais en ces temps disgraciés de barbarie endémique décomplexée… _ très important.

Et sur cette question qui me tient tout spécialement à cœur, de la civilisation face à la barbarie, je me permets de renvoyer à mon article « Oasis Versus désert » de 2016 pour le « Dictionnaire amoureux de la Librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 :

OASIS versus désert
Sans anticiper le réchauffement qui nous promet le climat de l’Andalousie ou celui du Sahel, et même si manquent en ses vastes espaces, lumineux, tout de plain-pied et d’équerre dans leur agencement, les palmiers-dattiers, fontaines-cascatelles et bassins à nénuphars de l’Alhambra de Grenade, l’image de l’Oasis sied admirablement à la librairie Mollat, et aux usages que j’en fais : face au désert qui gagne. Et cela, dans le style du classicisme français, en une ville dont le siècle d’accomplissement est celui des Lumières, et sur le lieu même où un temps habita Montesquieu.
Oui, la librairie Mollat est bien une luxuriante oasis de culture vivante, résistant au désert (d’absence de culture vraie)D’où mon attachement à elle, comme à la ville de Bordeaux, dont elle est le foyer irradiant de culture qui me convient le mieux : car par elle, en lecteur et mélomane toujours curieux d’œuvres essentielles, j’ai un contact tangible immédiat avec un inépuisable fonds (recelant des pépites à dénicher) d’œuvres de vraie valeur, à lire, regarder, écouter, avec lesquelles je peux travailler, m’entretenir-dialoguer dans la durée. Un peu comme Montaigne s’essayait en sa tour-librairie à ces exercices d’écriture qui feront ses Essais, par l’entretien avec les auteurs dont les voix dans les livres venaient conférer à demeure avec lui, leur lecteur, une fois qu’il fut privé de la conversation sans égale de La Boétie.
En son sens propre bio-géographique, le désert ne cesse de bouger : il avance-recule en permanence, mais si peu visiblement au regard ordinaire que la plupart de nous n’y prenons garde. Alors quand « le désert croît » (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra), l’oasis foyer de résistance à la désertification, est-elle d’un vital secours – nourricier, mais aussi succulent ! –, pour tous les vivants dont la vie (et la vie vraie, la vie de culture : à cultiver !) dépend. Contribuer à faire reculer le désert en aidant les oasis à résister, se renforcer-développer, resplendir, est l’essentielle mission de civilisation. A l’envers de (et contre) tout nihilisme, c’est à cette fin que Nietzsche appelle à ce sursaut qu’il nomme « le Sur-humain ».
Ainsi en va-t-il des mouvements d’une oasis de culture vraie – expression pléonastique : l’oasis n’existant que d’être, et inlassablement, mise en culture par une minutieuse et très entretenue, parce que fragile en sa complexité, irrigation ; la barbarie s’installe dans l’Histoire quand et chaque fois que sont détruits sans retour les systèmes d’adduction aux fontaines et jardins – comme à Rome ou Istanbul. Et ce qui vaut à l’échelle des peuples vaut à celle des personnes, en leur frêle (improbable au départ) capacité de singularité de personne-sujet, qu’il faut faire advenir contre les conformismes, et aider à s’épanouir. La singularité suscitant la rage de destruction expresse des barbares.
… 
Je parle donc ici de la culture vraie (authentique, juste, probe, vraiment humaine) face aux rouleaux-compresseurs – par réalisation algorithmique, maintenant, de réflexes conditionnés panurgiques – de la crétinisation marchande généraled’autant plus dangereuse que l’imposture réussit – par pur calcul de chiffre de profit, sans âme : les âmes, elle les stérilise et détruit – à se faire passer auprès du grand nombre pour culture démocratique ; et à caricaturer ce qui demeure – en mode oasis de résistance – de culture authentique, en misérable élitisme passéiste, minoritaire, dépassé (has been), comme le serinent les médias inféodés aux marques.
… 
Ainsi, en ma ville aimée de Bordeaux – cité classique -, la librairie Mollat – sise le long du decumanus tiré au cordeau de l’antique Burdigala – est-elle cette vitale oasis de culture vraie, tant, du moins, et pour peu qu’elle résiste assez à l’emprise des impostures des livres (et disques) faux ; et il n’en manque pas, de ces leurres jetés aux appétits formatés et panurgiques des gogos consommateurs ! Et là importe la présence effective de libraires-disquaires qui soient de vraies capacités de conseils de culture authentique, et par là, passeurs d’enthousiasmes – quand il y a lieu –, autant que de vigilants traqueurs d’imposture de produits promis à rapide et méritée obsolescence. Cette médiation-là constituant un crucial atout de la dynamique de résistance et expansion de pareille oasis de culture vraie. Mes exigences d’usager sont donc grandes.
… 
Sur un terrain plus large, celui du rayonnement plus loin et ailleurs qu’à Bordeaux, de l’Oasis Mollat, j’ai l’insigne chance de disposer, sur son site, d’un blog ami : En cherchant bien _ Carnets d’un curieux, signé Titus Curiosus, ouvert le 3 juillet 2008, où j’exprime et partage en parfaite liberté, mes enthousiasmes – l’article programmatique « le carnet d’un curieux » _ à lire ici _, qui reprenait mon courriel de réponse à Corinne Crabos me proposant d’ouvrir ce blog, n’a pas vieilli.
Parfois sur ma proposition, parfois à sa demande, la librairie m’offre de temps en temps, aussi, la joie de m’entretenir vraiment, une bonne heure durant, dans ses salons, avec des auteurs de la plus haute qualité : ce sont les arcanes de leur démarche de création, leur poïétique, qu’il me plaît là d’éclairer-explorer-mettre au jour, en toute leur singularité – dans l’esprit de ce que fut la collection (Skira) Les Sentiers de la créationPodcastables, et disponibles longtemps et dans le monde entier sur le web, ces entretiens forment une contribution patrimoniale sonore consistante qui me tient très à cœur. Pour exemples de ces échanges nourris, j’élis la magie de ceux avec Jean Clair _ lien au podcast _, Denis Kambouchner, Bernard Plossu _ en voici un lien pour l’écoute.
A raison de deux conférences-entretiens quotidiens, la librairie Mollat constitue une irremplaçable oasis-vivier d’un tel patrimoine de culture : soit une bien belle façon de faire reculer, loin de Bordeaux aussi, le désert.
 …
Voilà pour caractériser cette luxuriante Oasis rayonnante qu’est à Bordeaux et de par le monde entier, via le web, ma librairie Mollat.

Et j’ai aussi très à cœur de partager à nouveau, ici, mon enthousiaste compte-rendu de dimanche soir dernier, 19 mai, de l’extraordinaire concert « Durosoir invite Ligeti » du merveilleux Quatuor Tana, au château Mombet à Saint-Lon-les-Mines, en pays d’Orthe, au sud des Landes, pour le « Mai musical Lucien Durosoir 2024 » :

« « .

Pour un sublime moment d’éternité ressentie et partagée

par de si extraordinairement belles _ « enchantées«  !.. _ musiques de ces Quatuors de Lucien Durosoir et György Ligeti sous les doigts justissimement inspirés des Tana… 

Encore merci, merci, merci !!!

Ce vendredi 24 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

S’entretenir d’interprétations de chefs d’oeuvre de la musique : l’oreille quasi parfaite de Jean-Charles Hoffelé en son Discophilia, à propos, ce matin, du merveilleux « Ravel Piano Concertos » d’Alexandre Tharaud et Louis Langrée, avec l’Orchestre National de France _ ou la chance de pouvoir dialoguer un peu, à la lecture, à défaut de vive voix, avec une telle oreille musicale…

16oct

Une confirmation du coup d’éclat éblouissant d’Alexandre Tharaud _ et Louis Langrée dirigeant l’Orchestre National de France : magnifiques, eux aussi… _ dans les deux merveilleux et profonds, par delà leur virtuosité, concertos pour piano et orchestre de Maurice Ravel, en le CD Erato 5054197660719 « Ravel Piano Concertos«  qui vient de paraître vendredi 13 octobre dernier,

avec, au réveil ce lundi matin 16 octobre, le très bel article « Les deux visages » de Jean-Charles Hoffelé _ à la si juste et honnête oreille ! _ sur son si précieux site Discophilia…

Une oreille juste

comme est aussi, tellement de confiance, elle aussi, celle de Vincent Dourthe, mon disquaire préféré ;

et c’est assurément bigrement précieux que de pouvoir s’entretenir un peu précisément et vraiment _ de vive voix, ou à défaut, seulement par dialogue silencieux à la seule lecture… _ avec de tels interlocuteurs sur leur perception ultra-fine, au microscope _ ou stéthoscope musical… _, des interprétations au disque des œuvres de la musique…

Et tout spécialement, bien sûr, à propos de chefs d’œuvre d’interprétations de chefs d’œuvre _ pourtant passablement courus de bien des interprètes, qui s’y affrontent, se confrontent à de tels Everests pour eux, les interprètes… _ de la musique ; comme ici ces deux somptueuses merveilles du somptueux merveilleux _ et hyper-pointilleux et exigeant déjà envers lui-même, à l’écritoire, jusqu’au supplice ! _ Maurice Ravel…

Et je renvoie ici à mon article d’avant-hier samedi 14 octobre :

 

« « …

LES DEUX VISAGES

Cette douleur dans l’assombrissement de l’Adagio assai _ voilà _ qui ira jusqu’au quasi cri _ voilà : Ravel, éminemment pudique, demeure toujours dans de la retenue… _ invite _ voilà _ dans le Concerto en sol l’univers si _ plus évidemment _ noir _ lui _ du Concerto pour la main gauche, et rappelle que les deux œuvres furent écrites _ très étroitement _ en regard _ en 1930-1931 _, et de la même encre _ absolument ! Beaucoup _ d’interprètes _ n’auront pas même perçu cette _ infra-sismique _ tension, jouant tout _ de ce concerto en sol _ dans la même ligne solaire ; Alexandre Tharaud, qui connaît son Ravel par âme, s’y souvient probablement de la vision qu’y convoquait _ en 1959Samson François _ oui : c’est en effet à lui, et à Vlado Perlemuter aussi, que, sur les remarques si fines et compétentes de mon disquaire préféré Vincent Dourthe, je me référais hier dimanche matin, en mon post-scriptum à mon article de la veille, samedi, « «  : références d’interprétations marquantes, s’il en est !  _ et ose ce glas qu’on n’entend jamais _ chez les autres interprètes de ce Concerto en sol.

Mais le Concerto en sol majeur est aussi dans ses moments Allegro cette folie _ oui _ d’un jazz en arc-en-ciel _ débridé, voilà : Ravel avait été très vivement marqué par ce qu’il avait pu percevoir de ce jazz lors de sa grande tournée récente aux États-Unis, du 4 janvier au 21 avril 1928… _ dont le pianiste ne fait qu’une bouchée, swing et échappées belles, toute une enivrante suractivité rythmique _ à la Bartok aussi, autant qu’à la Gershwin ; Maurice Ravel avait fait la connaissance de George Gershwin le 7 mars 1928, lors d’un repas organisé pour son anniversaire chez Eva Gauthier à New-York, ainsi que Ravel en témoigne à Nadia Boulanger en une lettre du lendemain 8 janvier (citée aux pages 1162-1163 de sa « Correspondance » éditée par Manuel Cornejo en 2018 : « The Biltmore New-York 8/3/28 Chère amie, voici un musicien doué des qualités les plus brillantes, les plus séduisantes, les plus profondes peut-être : George Gershwin« , et il ajoutait : « Son succès universel ne lui suffit plus : il vise plus haut. Il sait que pour cela les moyens lui manquent. En les lui apprenant, on peut l’écraser. Aurez-vous le courage, que je n’ose pas avoir, de prendre cette terrible responsabilité ? Je dois rentrer aux premiers jours de mai et irai vous entretenir à ce sujet. En attendant, trouvez ici l’expression de ma plus cordiale amitié. Maurice Ravel« ) _ que pimentent les bois du National menés avec une intense fantaisie _ voilà ! l’orchestre lui aussi brûle… _ par Louis Langrée.

Cet accord magique _ oui, oui, oui _ se renouvelle dans le Concerto pour Wittgenstein, mais dans des nuances de cauchemar _ à la ravelienne Scarbo _, le prestidigitateur s’y fait diable, artificier tragique _ Ravel avait traversé et vécu, comme infirmier, les affres de la Guerre mondiale... _ dont le théâtre est un champ de mines _ oui, qui déchire et découpe les corps, comme ici le bras droit de son commanditaire Paul Wittgenstein…  La guerre de tranchées _ qui fut donc aussi celle de Maurice Ravel _ est partout sous les doigts d’Alexandre Tharaud _ oui ! _, qui convoque _ fort justement _ des visions de charnier, fait tonner son clavier en fureur, rage des traits de mitraillette _ oui, oui, oui _, proposition fascinante _ et tellement juste ! _, suivie au cordeau par un orchestre fantasque _ oui _ aux proclamations démesurées _ oui : quel chef aussi est le magnifique Louis Langrée !

Le jazz s’invite ici aussi _ en effet, en ce concerto pour la main gauche _, mais déformé, amer, acide, osant la charge, le grotesque _ oui ; mais qu’on se souvienne aussi de la formidable viennoise ravelienne Valse de 1919-1920 !.. : une course à l’abîme… _, une parodie de Laideronette, impératrice des pagodes faisant diversion. Quel kaléidoscope ! _ voilà un trait éminemment ravélien… _, qu’Alexandre Tharaud fait tourner à toute vitesse _ telle sa propre viennoise Valse, créée le 12 décembre 1920… _ pour saisir cette folle course à l’abîme _ nous y voilà donc ! cf aussi, en sa course, le plus contenu et retenu, mais tout de même.., Bolero de 1928 _ et mieux suspendre les cadences où seul il élève son chant vers une voie lactée inquiète _ une des boussoles nocturnes de Maurice Ravel, sur son balcon en surplomb de la forêt et face à la nuit de Montfort-l’Amaury…

J’attendais _ moi aussi _ un couplage jazz, le Concerto de Gershwin comme réponse au jazz de Ravel _ certes _, mais non, ce seront les Nuits andalouses de Falla, sauvées de tant de ces lectures affadies qui les inféodent à un pâle debussysme _ voilà qui est fort bien perçu…

Alexandre Tharaud hausse leurs paysages fantasques _ oui _ à l’étiage de ceux _ fantasques eux aussi _ de Ravel, ardant leur con fuoco, tout duende, cambrant la gitane de la Danza lejana, implosant le feu d’artifices d’En los jardines de la Sierra de Córdoba dans l’orchestre flamboyant _ oui _ de Louis Langrée, faisant jeu égal avec les ardeurs osées par Alicia de Larrocha et Eduardo del Pueyo _ oui. Et c’est bien sûr qu’est très profond aussi le tropisme espagnol de Maurice Ravel… Ne serait-ce pas dans les jardins d’Aranjuez que se seraient rencontrés et fait connaissance ses parents, lors de leurs séjours madrilènes ?..

Quel disque ! _ voilà ! voilà ! _, splendidement saisi par les micros de Pierre Monteil _ et il faut en effet saluer aussi la splendide prise de son de cet éblouissant raveliennissime CD…

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)


Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, M. 83
Concerto pour piano et orchestre en ré majeur, M. 82 (Pour la main gauche)


Manuel de Falla (1876-1946)


Nuits dans les jardins d’Espagne

Alexandre Tharaud, piano
Orchestre National de France
Louis Langrée, direction

Un album du label Erato 5054197660719

Photo à la une : le pianiste Alexandre Tharaud –
Photo : © Jean-Baptiste Millotune _ _ 

Pouvoir dialoguer vraiment si peu que ce soit avec des mélomanes à l’oreille et au goût ultra-fins et ultra-exigeants, mais capables d’enthousiasmes vrais et sincères,

est plus que jamais indispensable,

eu égard à la solitude grandissante des individus que nous sommes devant la misère en expansion, le désert gagne _ cf mon « Oasis (versus désert) », in le « Dictionnaire amoureux de la librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 (celui-ci est paru aux Éditions Plon en octobre 2016) ; une contribution redonnée en mon article du 17 juin 2022 : « « , accessible ici.. _, de la plupart des médias _ le plus souvent très pragmatiquement vendus aux plus offrants… _, pour ne rien dire de pas mal des publics...

Car c’est ainsi qu’il arrive parfois un peu heureusement, telle une étape enfin rafraîchissante (et bien évidemment vitale) en une oasis verdoyante en la traversée assoiffante du désert si aride et si morne, que des œuvres de la civilisation _ ici musicale _ rencontrent un infra-minimal plus juste écho qui, en son petit retentissement, les prolonge, et surtout et aussi réanime leur flamme, en un partage irradiant de vraie joie…

Et écouter de telles interprétations de tels chefs d’œuvre de musique fait un immense bien…

Et ces tous derniers temps,

les grandes interprétations, majeures et magistrales, véritablement marquantes, qui ont vu le jour, cette année 2023,

_ celles de « L’Heure espagnole » et du « Bolero » par François-Xavier Roth et ses Siècles _ Harmonia Mundi HMM 905361 _,

_ celle du « Trio pour piano et violoncelle » de 1914 par le Linos Piano Trio _ CAvi-Music 8553526 _,

_ celles de l’intégrale de « L’Œuvre pour piano » du double album par Philippe Bianconi _ La Dolce Volta LDV109.0 _,

_ et maintenant celles du « Concerto en sol » et du « Concerto pour la main gauche » par Alexandre Tharaud, Louis Langrée et l’Orchestre National de France _ Erato 5054197660719 _,

toutes,

savent faire enfin entendre en toute sa clarté et fluidité, allègre, intense, tonique, la puissance incisive et au final impérieuse en son irradiante tendresse, jubilatoire, de Maurice Ravel compositeur…

Une force de plénitude absolument accomplie…

Ce lundi 16 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Musiques de joie : la formidable jubilation musicale de la frénésie retenue, contenue, de La Valse de Ravel ; par Jean Martinon, par Martha Argerich et Nelson Freire, et par Beatrice Rana

20mai

Il y a quelque chose d’une frénésie rageuse mais retenue, contenue,

dans La Valse de Ravel,

composée dans la solitude montagneuse de Lapras, près de Lamastre, en Ardèche,
entre le tout début de décembre 1919 et le 15 avril 1920
50 pages de musique en quatre mois et demi de travail acharné : Ravel est un perfectionniste.
A Lapras, dans les Cévennes,
en la résidence secondaire de son ami André-Ferdinand Hérold,
où Ravel s’était réfugié, pour pouvoir travailler vraiment au calme dans une solitude absolue _ sans voir personne _,
au sortir de la Grande Guerre,
et marqué, aussi _ à jamais _, par la perte de sa mère, le 5 janvier 1917.
Car ce n’est qu’un peu plus tard, en janvier 1921, que Maurice Ravel achètera sa petite maison de Montfort-L’Amaury, Le Belvédère :
« C’est à son amie Georgette Marnold, fille de son ami critique musical Jean Marnold, que revient le mérite d’avoir trouvé le Belvédère en décembre 1920. Le 25 mars 1920, le musicien lui avait confié _ la lettre se trouve aux pages 688-689 de l’indispensable Intégrale de la Correspondance de Maurice Ravel réunie très efficacement par Manuel Cornejo _ la mission de lui trouver une maison en ces termes :
Je me suis si bien fait à la solitude – un peu mortelle, c’est vrai : mais ça ne me gêne pas – que je vais vous prier de vous enquérir d’une bicoque à 30 km au moins de Paris. Vous avez le temps : je ne compte pas rentrer avant fin avril. […] Je pense quelquefois à un admirable couvent, en Espagne. Mais, sans la foi, ce serait complètement idiot. Et le moyen d’y composer des valses viennoises et autres fox-trotts »…
Ravel n’avait plus rien pu composer depuis son Trio,
à Saint-Jean-de-Luz, rue Sopite, l’été 1914.
La Valse pour orchestre _ est une commande chorégraphique,
à partir d’un projet déjà ancien, 
dont Ravel réalisera d’abord par commodité pratique de composition _ une version pour piano seul ;
ainsi, ensuite, qu’une transcription _ afin d’y inscrire durablement et conserver, pour le piano aussi, quelque chose de proprement orchestral : on sait le génie ravelien de l’orchestration..pour piano à quatre mains.
L’œuvre, avant de prendre ce titre
assez archétypique : « une espèce d’apothéose de la valse viennoise
à laquelle se mêle dans mon esprit l’impression d’un tourbillon fantastique et fatal » :
le moindre mot, comme toujours chez Ravel, est capital ! Qu’on y médite !.. _
de La Valse,
fut d’abord, dans la tête de Ravel, intitulée Wien.
Et de fait, ce fut bien à Vienne, en Autriche,
que fut interprétée pour la première fois, et avec grand succès, la version pour piano à quatre mains de La Valse,
par Maurice Ravel et son ami Alfredo Casella, le 23 octobre 1920 ;
et cela pour la plus grande joie du compositeur…
Quant à l’œuvre symphonique chorégraphique
commandée dans l’optique d’un ballet (destiné au départ à Serge Diaghilev ; et qui n’en voulut hélas pas, au final : Ravel et lui se fâchant alors définitivement !..) ; 
et l’œuvre fut dédicacée, in fine, à l’amie Misia Sert _,
sa première a eu lieu à la salle Gaveau, à Paris, le 12 décembre 1920,
par l’Orchestre Lamoureux.
 En tête de la partition Ravel a écrit le descriptif _ très explicitement onirique _ suivant :
« Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir, par éclaircies, des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu : on distingue une immense salle peuplée d’une foule tournoyante. La scène s’éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au ff. Une Cour impériale, vers 1855. »
Soit une démarche à la fois fantastique et ombrée de nostalgie _ qui semble anticiper de quelques années le chef d’œuvre d’exil au Brésil, très loin de Vienne _ du pur viennois, lui, qu’était Stefan Zweig,
le merveilleux et essentiel Le Monde d’hier _ Souvenirs d’un Européen
Et on remarquera que le tapuscrit du Monde d’hier fut expédié par Zweig à son éditeur le 21 février 1942,
soit la veille même des suicides conjoints de Stefan Zweig et son épouse, à Petropolis, au Brésil, le 22 février 1942.
Soit un legs en quelque sorte testamentaire de la part du viennois. 
Pour cette rayonnante Valse orchestrale-ci de Maurice Ravel,
j’ai choisi l’interprétation _ magistrale de frénésie contenue, suprêmement élégante en la sensualité si charnelle de ses frémissements presque jusqu’à la fin retenus… ;
la personnalité complexe (et résolument tenue secrète) de Maurice Ravel, tant l’homme que le compositeur, demeure mystérieuse ;
et c’est seulement en sa musique qu’elle se laisse, encore discrètement, entrevoir… _
de Jean Martinon
à la tête du Chicago Symphony Orchestra,
enregistrée à Chicago, par Decca, le 16 mai 1967
soit le CD n° 10 du coffret RCA 88843062752.
L’écouter ici avec ce bienvenu podcast de youtube.
C’est une merveille absolue de sensualité.
Quelle intelligence de chef
si intensément ravelien !
Pour la version pour piano à 4 mains de La Valse,
j’ai déniché cette vidéo d’une interprétation brillante, forcément, de Martha Argerich et Nelson Freire en octobre 2003 à Tokyo ;
et cette autre, par les mêmes, et plus merveilleuse encore, prise vingt et un ans plus tôt, à Munich, en 1982.
Et pour la version pour piano seul,
j’aime beaucoup l’interprétation de Beatrice Rana en son récent CD Warner Classics 0190295411091, en 2019 ;
ainsi que cette vidéo prise le 3 juin 2019.
On comprend ainsi assez bien ce qui a pu conduire, ensuite, Ravel à composer, en 1928,
et sur commande de la danseuse Ida Rubinstein,
en un assez similaire projet chorégraphique,
son encore plus vertigineux Bolero.
Je remarque ainsi, au passage, le lien très profond qui unit Maurice Ravel
au plus consubstantiel, probablement, du génie de l’esprit français,
je veux dire la tendresse la plus sensuelle inscrite en la légèreté la plus aérienne de l’envol,
parfois jusqu’au vertige, mais le plus souvent, sinon toujours contenu, du moins retenu, élégant, jamais sauvage,
de la danse
_ et je pense ici, aussi, au très lucide Degas, danse, dessein du magnifiquement subtil, et très sensuel, lui aussi, Paul Valéry, publié en 1936 :
la France (les Suites pour clavecin de Louis Couperin, Rameau, Degas, Ravel, Valéry) est d’abord une civilisation… _ :
le lien très consubstantiel de cette musique française à la danse…
Et Ravel, comme Rameau, et comme Louis Couperin,
fait très profondément corps musicalement à ce génie français de la joie de la danse.
En leur si parfaite élégance sensuelle, ces trois Valses-ci de Maurice Ravel
sont superbement, et « à la française », jubilatoires…
Ce mardi 28 avril 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’entretien posthume de George Steiner avec son ami Nuccio Ordine _ ou l’éloge de la vertu de curiosité

05fév

Par El Pais, en espagnol,

je découvre ce matin

l’entretien _ expressément _ posthume que George Steiner a eu, chez lui à Cambridge, le 20 janvier 2014,

avec son ami l’essayiste italien Nuccio Ordine ;

avec la demande de ne bien vouloir le publier

que le lendemain de son décès.

La voici, d’abord en espagnol, telle que publiée dans El Pais,

sous le titre de La entrevista póstuma de George Steiner: “Me faltó valor para crear ;

puis en italien, telle que publiée par Il Corriere della Sera,

sous le titre de George Steiner, l’intervista postuma «L’Europa è un sogno che resta vivo» I motivi di questo colloquio.

La entrevista póstuma de George Steiner: “Me faltó valor para crear”


El gran crítico literario, fallecido el lunes, mantuvo una conversación a lo largo de los años con el ensayista italiano _ Nuccio Ordine _ con la condición de que las confesiones vieran la luz al día siguiente de morir


George Steiner en la puerta de su casa en Cambridge en 2016.
George Steiner en la puerta de su casa en Cambridge en 2016. ANTONIO OLMOS (CONTACTO)


NUCCIO ORDINE
El secreto de una buena vejez no es más que un pacto honesto con la soledad” ; no pude evitar pensar en esta maravillosa reflexión de Gabriel García Márquez cuando me enteré de la desaparición de George Steiner. Murió el lunes hacia las 14.00 horas, por complicaciones derivadas de una fiebre aguda, en su casa de Barrow Road, en Cambridge. La última vez que hablamos fue el sábado pasado, por teléfono, y me confió, con voz muy ronca : “Ya no soporto el cansancio de la debilidad y la enfermedad”.

Así, Steiner, uno de los críticos literarios más agudos e importantes del siglo XX, vivió los últimos años de su vida lejos del foco de atención, de los medios de comunicación, de los congresos y conferencias, de cualquier cita pública. He tenido el privilegio de estar con él también en esta última fase de aislamiento voluntario.

Después de más de veinte años de encuentros en París, Italia y otras ciudades europeas, las llamadas mensuales y la visita anual a Cambridge se habían convertido en un ritual. Pero a la última cita, fijada para el 14 de junio de 2018, no le sucedió ninguna otra : el día anterior George la canceló porque no se encontraba bien y no quería mostrarse cansado y desanimado. Fue en una de estas reuniones (el 21 de enero de 2014, hace exactamente seis años), cuando a Steiner se le ocurrió concederme una entrevista póstuma _ voilà ! _ : reunir algunas de sus reflexiones y no publicarlas hasta el día siguiente a su desaparición. Una manera discreta de romper el silencio y despedirse _ voilà _ de sus amigos, sus alumnos, sus numerosos lectores.

Volvió a este texto el año pasado, modificando algunas palabras aquí y allá y pidiéndome que volviera a escribir algunas frases. Quién sabe cuántos aspectos desconocidos de su vida y su pensamiento saldrán a la luz en 2050, cuando se puedan estudiar los cientos de “cartas autobiográficas” ahora selladas en los archivos del Churchill College de Cambridge

Ahora que ya no está –su hijo David me dio la noticia–, además del profundo dolor por la pérdida de un amigo querido y un verdadero maestro, ni siquiera cuatro meses después de la desaparición de Harold Bloom, advierto más claramente las consecuencias de ese silencio forzado y el vacío insalvable que deja entre los defensores de los clásicos y la literatura. Pienso en sus libros, en su conocimiento enciclopédico animado por una sorprendente curiosidad _ voilà. Y pienso, sobre todo, en su pasión por la enseñanza _ oui _ , en su capacidad para compartir el amor por la literatura y el conocimiento con los estudiantes y el público.


George no solo destacó en la palabra escrita. Era también un gran orador : su elegante elocuencia fue capaz de inflamar a estudiantes y colegas.


Pregunta : ¿Cuál es el secreto más importante que quiere revelar en esta entrevista póstuma?


Respuesta : Puedo decir que durante 36 años he dirigido a una interlocutora (su nombre debe continuar siendo secreto) cientos de cartas que representan mi “diario”, en el que he contado la parte más representativa de mi vida y los eventos que han marcado mi cotidianidad. En esta correspondencia he hablado sobre los encuentros que he tenido, los viajes, los libros que he leído y escrito, las conferencias y también episodios normales y corrientes. Es un “diario compartido” con mi destinataria, en el que es posible encontrar incluso mis sentimientos más íntimos y mis reflexiones estéticas y políticas. Se conservará en Cambridge, en un archivo del Churchill College, junto con otras cartas y documentos que dan testimonio de las etapas de una vida quizá demasiado larga. Estas cartas-diario, en particular, se sellarán y solo podrán consultarse después de 2050, es decir, después de la muerte de mi esposa y (quizá) de mis hijos. En resumen, se harán públicas solo cuando muchas de las personas cercanas a mí ya no estén. ¿Los leerá alguien después de tanto tiempo? No lo sé. Pero no podía hacerlo de otra manera…

P : ¿Por qué una entrevista póstuma?

R : Siempre me fascinó la idea. De algo que se hará público precisamente cuando yo ya no pueda leerlo en los periódicos. Un mensaje para los que se quedan y una manera de despedirme dejando que se oigan mis últimas palabras. Una ocasión para reflexionar y hacer balance. He llegado a una edad en que cada día más o menos normal debe considerarse un valor añadido, un regalo _ voilà _ que te da la vida.

En esta fase los recuerdos del pasado se convierten en el único y verdadero futuro interior. Es un viaje hacia atrás basado en el recuerdo lo que nos permite alimentar algunas esperanzas. No disponemos de las palabras exactas para definir el recuerdo que encierra en sí el mañana. Me encuentro en un momento de mi vida en el que el pasado, los lugares que he frecuentado, las amistades que he tenido, la imposibilidad de ver a las personas que he amado y sigo amando y hasta la relación contigo, constituyen el horizonte de mi futuro más de lo que puede ser el futuro real.

P : ¿Se reprocha algo en particular?

R : Claro. Más de una cosa. Escribí un pequeño libro, Errata, en el que hablo sobre los errores que he cometido No he conseguido captar algunos fenómenos esenciales de la modernidad. Mi educación clásica, mi temperamento y mi carrera académica no me permitieron comprender completamente la importancia de ciertos grandes movimientos modernos. No entendía, por ejemplo, que el cine, como nueva forma de expresión, pudiera revelar talentos creativos y nuevas visiones mejor que otras formas más antiguas, como la literatura o el teatro. No he entendido el movimiento contra la razón, el gran irracionalismo de la deconstrucción y, en algunos aspectos, del posestructuralismo. Debería haberme dado cuenta de que el movimiento feminista, que apoyé en Cambridge con gran convicción al reconocer la importancia del papel de la mujer, asumiría después, en la lucha por ocupar un lugar dominante en nuestra cultura, una función política y humana extraordinaria.

P : En el ámbito personal, ¿qué errores ha cometido?

R : Esencialmente, habría debido tener el valor de probarme en la literatura “creativa”. De joven escribí cuentos, y también versos. Pero no quise asumir el riesgo trascendente de experimentar algo nuevo en este ámbito, que me apasiona. Crítico, lector, erudito, profesor, son profesiones que amo profundamente y que vale la pena ejercer bien. Pero es completamente diferente a la gran aventura de la “creación”, de la poesía, de producir nuevas formas. Y, probablemente, es mejor fracasar en el intento de crear que tener cierto éxito en el papel de “parásito”, como me gusta definir al crítico que vive de espaldas a la literatura. Por supuesto, los críticos (lo he subrayado varias veces) también tienen una función importante ; he intentado lanzar, a veces con éxito, algunos trabajos y he defendido a los autores que creía que merecían mi apoyo. Pero no es lo mismo. La distancia entre quienes crean literatura y quienes la comentan es enorme _ certes _ ; una distancia ontológica (por usar una palabra pomposa), una distancia del ser. Mis colegas universitarios nunca me perdonaron que apoyara estas tesis ; muchos barones y cierta crítica estrictamente académica no aceptaron que me burlara de su presunción de ser, a veces, más importante que los autores de los que estaban hablando…

P : ¿A quién desea enviar un mensaje?

R : Pienso en algunos estudiantes, más brillantes que yo, que están completando trabajos importantes ; su éxito es una gran recompensa para mí. Pienso con profunda gratitud en algunos de mis colegas que me han acompañado en el camino académico. Y pienso, sobre todo, en personas más íntimas, como tú, que han entendido lo que he intentado hacer y gracias a quienes he podido vivir una intensa aventura intelectual y emocional. Pero, en este momento, ante todo, trato de entender por qué la distancia que me separa del irracionalismo moderno y, me atrevo a decir, de la creciente barbarie de los medios, de la vulgaridad dominante _ voilà _ , es cada vez mayor. Creo que estamos atravesando un período cada vez más difícil…

P : ¿Qué es lo que más le ha hecho sufrir?

R : Me ha hecho sufrir el ser consciente de haber publicado ensayos que me habría gustado escribir mejor. Por supuesto, hay páginas de mi trabajo que he defendido y defiendo con convicción, y también con amargura. Pero sé que probablemente no era eso lo que me habría gustado escribir. Y a menudo pienso en la injusticia del gran talento : nadie entiende cómo surgen estos dones supremos y cómo se distribuyen. Pienso en un niño de cinco años y medio que dibuja un acueducto romano cerca de Berna y luego, de repente, representa un pilar con zapatos ; desde entonces, gracias a Paul Klee, que así se llama, los acueductos caminan por todo el mundo. Nadie puede explicar las sinapsis neurológicas que pueden desencadenar en un niño este “flechazo” de la metamorfosis, esta brillante intuición que cambia la realidad. Pensé que era una injusticia que pudiéramos intentar, volver a intentar, esforzarnos de nuevo, solo para poder permanecer en la estela de los adultos, pero sin llegar a ellos, porque son diferentes a nosotros.

P : ¿Y lo que le ha hecho más feliz?

R : La felicidad de haber enseñado y vivido en muchos idiomas _ voilà. La felicidad que he tratado de cultivar todos los días, hasta el final, sacando de mi biblioteca un poema para traducirlo a mis cuatro idiomas (francés, inglés, alemán e italiano). Y aunque no lo haya traducido bien, tengo la impresión de que he dejado entrar un rayo de sol en mi cotidianidad.

P : ¿Qué deseos no ha podido cumplir?



R : Muchísimos : viajes que no me he atrevido a hacer, libros que quería escribir y que no he escrito, sobre todo encuentros cruciales que evité por falta de valor o disponibilidad o energía. Podría haber conocido, por ejemplo, a Martin Heidegger, pero no me atreví. Y creo que tenía razón. Siempre he respetado un principio : no hay necesidad de importunar a los adultos, tienen otras cosas que hacer. Y además, nunca he soportado a quienes se consideran importantes porque coleccionan citas con grandes nombres. Las personas excelentes tienen el derecho a escoger con qué interlocutores quieren “perder” su tiempo. Luego ocurre que un día, al abrir libros de memorias, se leen frases como: “Me importunó el señor X, que insistió en reunirse conmigo, pero no tenía nada interesante que decir”. Siempre me ha dado miedo caer en el error burdo. Pienso en Jean-Paul Sartre, por ejemplo, especialista en revelar circunstancias ligadas a famosos “pesados”. Y me costó mucho renunciar, en los últimos tiempos, a la compañía de un perro. Después de la muerte de Muz me di cuenta de que, a mi edad, era muy arriesgado tener otro. Adoro a estos animales, pero en el umbral de los 90 años me parece terrible ofrecerle una casa para dejarlo solo.


P : ¿Cuál es la victoria más hermosa?

R : Insistir en la idea de que Europa _ oui _ sigue siendo una necesidad importantísima, y de que, a pesar de las amenazas y los muros que se construyen, no debemos abandonar el sueño europeo. Soy antisionista (postura que me costó mucho, hasta el punto de no poder imaginar la posibilidad de vivir en Israel) y detesto el nacionalismo militante. Pero ahora que mi vida está llegando a su fin, hay momentos en que pienso : ¿quizás me equivoqué? ¿No habría sido mejor luchar contra el chovinismo y el militarismo viviendo en Jerusalén? ¿Tenía derecho a criticar, cómodamente sentado en el sofá de mi hermosa casa de Cambridge? ¿Fui arrogante cuando, desde el extranjero, intenté explicar a las personas en peligro de muerte cómo deberían haberse comportado?

P : ¿Recuerda haber llorado en su vida?

R : Desde luego. En los últimos tiempos me encuentro a menudo recordando circunstancias particulares. Pienso, por ejemplo, en grandes experiencias humanas que concluyeron sin que yo hubiera previsto el final. La repentina desaparición de algunas personas que nunca volverás a ver. O lugares que no has visitado y que ya no podrás visitar. Y también pienso en más cosas, sencillas, quizá banales : pescado y alimentos que ya no podrás probar. Y a veces, encontrar en la esquina de una calle o en un jardín la sombra de una persona que amas y que necesitas enormemente, pero que sabes que ya nunca podrás alcanzar.

P : ¿Qué importancia ha tenido la amistad en su vida?

R: Una importancia enorme. Nadie lo sabe mejor que tú. Habría vivido muy mal mis los últimos decenios sin ti y sin otros dos o tres amigos con los que he intercambiado una abundantísima correspondencia, interlocutores distinguidos con quienes he compartido una profunda intimidad afectiva. Quizá la amistad sea más valiosa que el amor. Sostengo esta tesis porque la amistad no tiene nada del egoísmo del deseo carnal. La amistad, la auténtica amistad, se basa en un principio que Montaigne, en un intento de explicar su relación con Etienne de la Boétie, condensó en una frase bellísima: « Porque era él ; porque era yo« .

P : ¿Y el amor?

R : El amor ha tenido muchísima importancia, tal vez demasiada. En primer lugar, la felicidad que me ha dado mi matrimonio y que no puedo explicar con palabras, racionalmente. Y luego uno o dos encuentros que han sido decisivos en mi vida. Creo que, en potencia, las mujeres tienen una sensibilidad superior _ oui _ a la de los hombres. He tenido el enorme privilegio de tener relaciones amorosas en diferentes lenguas (he escrito mucho sobre este tema). El donjuanismo políglota ha sido una enorme recompensa para mí, una ocasión de vivir múltiples vidas. Y es curioso que ni la psicología ni la lingüística se hayan ocupado nunca de este fenómeno apasionante. Por eso, en Después de Babel acuñé una definición original de la traducción simultánea como un buen orgasmo. Siempre he considerado el fenómeno de las palabras y los silencios en relación con el erotismo un tema capital.

P : ¿Piensa alguna vez en la muerte?

R : Continuamente. Pero no solo ahora ; también cuando era joven. Crecí a la sombra de la amenaza hitleriana, y recuerdo perfectamente que los únicos supervivientes de mi clase del instituto fuimos un compañero y yo _ voilà. Mi padre y la vida me prepararon para afrontar la pérdida y el peligro de la muerte. Ahora pienso que el encuentro con la muerte tal vez sea interesante ; quizá se revele como una manera de entender mejor muchas cosas.


P : ¿Cree que hay algo después de la muerte?


R: No. Estoy convencido de que no habrá nada _ certes. Pero el momento del paso puede ser muy interesante. Encuentro infantil la reacción de quienes, después de haber pensado siempre en la nada, en la fase final de su vida cambian y se imaginan un « mundo » ultraterrenal. Pienso que no tener miedo es una cuestión de dignidad _ oui _ ; no se debe perder el respeto a la razón, hay que llamar las cosas claramente por su nombre _ oui. Es verdad que se puede cambiar de manera de pensar. He tenido la fortuna de vivir siempre en contacto con grandes científicos, y sé que cada día se aprenden cosas nuevas y se corrigen otras. En la ciencia, esto es normal. Ahora bien, creer en una vida más allá es algo muy distinto _ oui.

P : En esta entrevista póstuma, ¿querría pedir disculpas a alguien con quien se haya peleado?

R : Sí, querría disculparme con una persona cuyo nombre no puedo decir. Creo que él también preferiría permanecer en el anonimato. Se trata de un hombre eminente, durante mucho tiempo amigo íntimo, con el que discutí por un asunto estúpido. Una frase mal escrita en una carta hizo saltar por los aires nuestra relación de años. Aprendí mucho de esa experiencia ; cómo a veces un instante insignificante puede transformarse en un hecho decisivo en la vida. Es un riesgo que corremos a menudo. Un gesto sin importancia, una simple palabra, en un solo segundo, pueden causar verdaderas tragedias. Y ahora, después de tantísimos años, me gustaría decirle a mi amigo, “ven, vamos a comer juntos y a reírnos de lo que pasó”. Pero, con gran dolor, me doy cuenta de que ya no hay tiempo. Es demasiado tarde.

P : Sin embargo, es famoso por su irascibilidad. ¿Siempre ha sido un punto débil de su carácter?

R : Sí, es verdad, pero no solo en la edad adulta. Recuerdo que cuando era niño me alteraba por cosas pequeñas, a veces sin una verdadera razón. Esta manera de comportarme me ha creado muchas enemistades. Después, con los años, tuve que aprender a moderarme. Pero también he pagado un precio por mi ironía, a menudo muy mordaz y no siempre bien recibida. Y tal vez la tristeza, fruto de la conciencia de mi mediocridad, ha incomodado no pocas veces a mis interlocutores. Por desgracia, a lo largo de tantos años he coleccionado muchas hostilidades y he roto muchas amistades. Es triste reconocerlo, pero es así.

P : ¿Le han dado algún consejo que le haya cambiado la vida?

R : Por supuesto. Sobre todo los que me dio mi madre con todo su cariño. A ella le debo que me animase a convivir de manera fructífera con mi discapacidad. Cuando era niño, para hacerme reaccionar en los momentos de desesperación, me decía que la « dificultad » era un « don » divino. Además de librarme del servicio militar, mi defecto me brindó la oportunidad de aprender a mejorar, de intentar entender que sin esfuerzo no se obtiene nada en la vida _ certes. Lo he recordado en diferentes circunstancias. Uno de los logros más bellos de mi existencia fue cuando conseguí atarme los zapatos por primera vez con la mano impedida.

© Corriere della sera

George Steiner, l’intervista postuma «L’Europa è un sogno che resta vivo»
I motivi di questo colloquio

In un colloquio con il «Corriere» da pubblicare dopo la sua morte, il grande critico raccontava le sue passioni e i suoi errori. «Mi preoccupa l’irrazionalismo dilagante»

George Steiner, l'intervista postuma «L'Europa è un sogno che resta vivo» I motivi di questo colloquio
George Steiner (Bertrand Guay/Afp)

Il grande critico George Steiner è morto il 3 febbraio 2020 nella sua casa di Cambridge. Questa intervista venne rilasciata dallo stesso Steiner a Nuccio Ordine il 21 gennaio 2014 (e poi in parte rivista successivamente) con l’intesa che sarebbe stata pubblicata solo dopo la sua scomparsa.

Qual è il segreto più importante che vuoi svelare in questa intervista postuma?


«Posso dirti che per 36 anni ho indirizzato a una interlocutrice (il suo nome deve restare ancora segreto) centinaia di lettere che rappresentano il mio “diario”, in cui ho raccontato la parte più rappresentativa della mia vita e gli avvenimenti più significativi che hanno marcato la mia quotidianità. In questa corrispondenza ho parlato degli incontri che ho fatto, dei viaggi, dei libri che ho letto e scritto, delle conferenze e anche di episodi semplici e banali. Si tratta di un “diario condiviso” con la mia destinataria, in cui è possibile ritrovare anche i miei sentimenti più intimi e le mie riflessioni estetiche e politiche. Saranno conservate a Cambridge, in un archivio del Churchill College con altri carteggi e documenti che testimoniano le tappe di una vita, forse troppo lunga. Queste lettere-diario, in particolare, saranno sigillate e potranno essere consultate solo dopo il 2050, cioè dopo la morte di mia moglie e (forse) dei miei figli. Saranno rese pubbliche, insomma, solo quando molte delle persone a me vicine non ci saranno più. Qualcuno le leggerà dopo tanto tempo? Non lo so. Ma non potevo fare diversamente…».

Perché un’intervista postuma?

«Mi ha sempre affascinato l’idea dell’intervista postuma. Di qualcosa che dovrà essere resa pubblica proprio nel momento in cui io non potrò più leggerla sui giornali. Un messaggio per coloro che restano e una maniera per congedarmi facendo sentire l’ultima mia parola. Un’occasione per riflettere e abbozzare bilanci. Ho raggiunto un’età in cui ogni giorno, più o meno normale, è da considerarsi come un valore aggiunto, come un bonus che la vita ti regala. In questa fase, sono i ricordi del passato che diventano l’unico e vero futuro interiore. È un viaggio all’indietro fondato sulla rimembranza che ci permette di coltivare alcune speranze. Non abbiamo le parole esatte per indicare il ricordo che racchiude in sé il domani. Mi trovo in un momento della mia vita in cui il passato, i luoghi che ho frequentato, le amicizie che ho intrattenuto, l’impossibilità di rivedere persone che ho amato e continuo ad amare e la stessa relazione con te costituiscono l’orizzonte del mio futuro più di quanto possa esserlo il futuro reale».


Ti rimproveri qualcosa in particolare?


«Certo. Più di una cosa. Ho scritto un piccolo libro, Errata, in cui ho parlato degli errori che ho commesso. Non sono riuscito a cogliere alcuni fenomeni essenziali della modernità. La mia educazione classica, il temperamento, la carriera accademica non mi hanno permesso di comprendere a pieno l’importanza di certi grandi movimenti del modernismo. Non ho capito, per esempio, che il cinema, in quanto nuova forma espressiva, avrebbe potuto svelare talenti creativi e nuove visioni meglio di altre forme più antiche, come letteratura o teatro. Non ho capito il movimento contro la ragione, il grande irrazionalismo della decostruzione e, per certi aspetti, del post-strutturalismo. Avrei dovuto rendermi conto che il movimento femminista, che appoggiai a Cambridge con grande convinzione riconoscendo l’importanza del ruolo delle donne, avrebbe poi assunto, nella lotta per occupare un posto dominante nella nostra cultura, una funzione politica e umana straordinaria».

Sul piano più strettamente personale, quali sono gli errori che hai commesso?


«Avrei dovuto, essenzialmente, avere il coraggio di cimentarmi nella letteratura “creativa”. Ho scritto racconti e da giovane anche versi. Ma non ho voluto mai assumere il rischio trascendente di sperimentare qualcosa di nuovo in quest’ambito che mi appassiona molto. Il critico, il lettore, l’erudito, il professore sono mestieri che amo profondamente e che vale la pena di esercitare bene. Però è tutt’altra cosa rispetto alla grande avventura della “creazione”, della poeisis, del produrre nuove forme. E, probabilmente, è meglio fallire nel tentativo di creare che avere un certo successo nel ruolo di “parassita”, come mi piace definire il critico che vive alle spalle della letteratura. Certo, anche i critici (l’ho sottolineato più volte) hanno una funzione importante: ho cercato di lanciare, talvolta con successo, alcune opere e ho difeso autori che ritenevo meritevoli di sostegno. Ma non è la stessa cosa. La distanza tra chi crea letteratura e chi la commenta è enorme: una distanza (per usare una parola pomposa) ontologica, una distanza dell’essere. I miei colleghi universitari non mi hanno mai perdonato l’aver sostenuto queste tesi: molti baroni e una certa critica strettamente accademica non hanno visto di buon occhio che io prendessi in giro la loro presunzione di essere, talvolta, più importanti degli autori di cui parlavano…».


A chi vuoi indirizzare un messaggio in questa intervista postuma?


«Penso ad alcuni allievi, più brillanti di me, che stanno portando a termine lavori importanti: il loro successo è per me una ricompensa enorme. Penso, con una profonda gratitudine, ad alcuni miei colleghi che mi hanno accompagnato lungo il cammino accademico. E penso soprattutto a persone più intime, come te, che hanno compreso ciò che ho cercato di fare e grazie alle quali ho potuto vivere un’intensa avventura intellettuale e affettiva. Ma, in questo momento, cerco in primo luogo di capire perché sta crescendo sempre di più la distanza tra me e l’irrazionalismo moderno e, oso dire, la crescente barbarie dei media, la volgarità dominante. Credo che stiamo attraversando un periodo che si fa sempre più difficile…».


Qual è la cosa che ti ha fatto più soffrire?



«Mi ha fatto soffrire la coscienza di aver pubblicato saggi che avrei desiderato scrivere meglio. Certo: ci sono pagine della mia opera che ho difeso e difendo con convinzione, e anche aspramente. Però so che probabilmente non è ciò che io avrei desiderato di scrivere. E penso spesso all’ingiustizia del grande talento: nessuno capisce come abbiano origine e come siano distribuiti questi doni supremi. Penso a un fanciullo di 5 anni e mezzo che disegna un acquedotto romano vicino Berna e poi, improvvisamente, raffigura un pilastro con delle scarpe: da allora grazie a Paul Klee, questo è il suo nome, gli acquedotti camminano nel mondo intero. Nessuno può spiegare le sinapsi neurologiche che possono scatenare in un ragazzino questo “colpo di fulmine” della metamorfosi, quest’intuizione geniale che cambia la realtà. Ho pensato che sia un’ingiustizia il fatto che noi possiamo provare, riprovare, sforzarci ancora, per riuscire solo a restare sulla scia dei grandi, ma senza raggiungerli, perché loro sono diversi da noi».


E la cosa che ti ha fatto più piacere?


«La felicità di aver insegnato e di aver vissuto in molte lingue. Felicità che ho cercato di coltivare ogni giorno fino all’ultimo, tirando fuori dalla mia biblioteca un poema per tradurlo nelle mie 4 lingue (francese, inglese, tedesco e italiano). E anche se non l’ho tradotto bene, ho comunque avuto l’impressione di aver aperto una finestra per far entrare un raggio di sole nella mia quotidianità».


Quali desideri non hai potuto realizzare?


«Tantissimi: viaggi che non ho avuto l’audacia di fare, libri che avrei voluto scrivere e che non ho scritto, soprattutto incontri cruciali che ho evitato per mancanza di coraggio o disponibilità o energia. Avrei potuto, per esempio, incontrare Martin Heidegger: ma non ho osato. E credo di aver avuto ragione. Ho sempre rispettato un principio: non bisogna importunare i grandi, hanno altro da fare. E poi non ho mai sopportato coloro che si rendono importanti collezionando appuntamenti con grandi nomi. Le persone eccellenti hanno il diritto di scegliere gli interlocutori con cui vogliono “perdere” il loro tempo. Poi accade che un giorno, aprendo i libri di memorie, si leggano frasi del tipo: “Sono stato importunato dal signor X che ha insistito per incontrarmi, ma non aveva niente da dire”. Ho sempre temuto di poter scivolare in un errore così grossolano. Penso a Jean-Paul Sartre, per esempio, specialista nel rivelare circostanze legate a famosi “scocciatori”. E mi è costato molto rinunciare, negli ultimi tempi, alla compagnia di un cane. Dopo la morte di Muz, ho capito che alla mia età era molto rischioso prenderne un altro. Amo questi animali, ma alla soglia dei novant’anni mi sembrava terribile offrirgli una casa per poi lasciarlo solo…».


Qual è la vittoria più bella?



«Quella di aver insistito sull’idea che l’Europa continua a essere una necessità importantissima e che, nonostante le minacce e i muri che si costruiscono, non bisogna abbandonare il sogno europeo. Sono antisionista (posizione che mi è costata molto, fino al punto di non riuscire a immaginare la possibilità di vivere in Israele) e detesto il nazionalismo militante. Ma adesso che la mia vita volge al tramonto, ci sono momenti in cui ho qualche vivo rimpianto: forse mi sono sbagliato? Non era meglio lottare contro lo sciovinismo e il militarismo vivendo a Gerusalemme? Avevo il diritto di criticare, comodamente seduto sul divano della mia bella casa a Cambridge? Sono stato arrogante quando, dall’esterno, ho cercato di spiegare a persone in pericolo di morte come avrebbero dovuto comportarsi?».

Ti ricordi di aver pianto nella tua vita?



«Certo. In questi ultimi tempi mi capita spesso di ricordare particolari circostanze. Penso, per esempio, a grandi esperienze umane che si sono concluse senza che io ne avessi previsto la fine. La scomparsa improvvisa di alcune persone che non potrai più rivedere. O luoghi che hai frequentato e che non potrai più frequentare. E penso anche a cose più semplici, forse banali: pesci e cibi che hai gustato in alcuni posti magici e che non potrai più gustare. E, talvolta, incontrare nell’angolo di una strada o in un giardino l’ombra di una persona che ami, e di cui hai un enorme bisogno, ma che sai di non poter più raggiungere».

Che peso ha avuto l’amicizia nella tua vita?


«Un peso enorme. E nessuno meglio di te può saperlo. Avrei vissuto malissimo questi ultimi decenni della mia vita senza di te e senza altri due o tre amici, con cui ho intrecciato una fittissima corrispondenza. Interlocutori privilegiati, con cui ho condiviso una profonda intimità affettiva. Forse l’amicizia è più preziosa dell’amore. Difendo questa tesi, perché nell’amicizia non c’è nessun egoismo del desiderio carnale. L’amicizia, quella autentica, si fonda su un mistero che Montaigne (nel tentativo di spiegare la sua amicizia con Étienne de la Boétie) ha racchiuso in una bellissima frase: “Perché era lui; perché ero io”».

E l’amore?


«L’amore ha avuto un peso grandissimo, forse troppo, troppo grande. In primo luogo, la felicità che mi ha dato il mio matrimonio, che non posso spiegare con parole, in maniera razionale. E poi uno o due altri incontri che sono stati decisivi nella mia vita. Penso che le donne abbiano una sensibilità potenziale superiore a quella degli uomini. Ho avuto l’enorme privilegio di fare l’amore parlando diverse lingue (ho scritto molto su questo tema): il dongiovannismo poliglotta è stato per me una grande ricompensa, un’occasione per vivere molteplici vite. Ed è curioso che né la psicologia né la linguistica, si siano mai occupate di questo appassionante fenomeno. Ecco perché in Dopo Babele ho coniato una definizione originale della traduzione simultanea: è un orgasmo ben riuscito. Il fenomeno delle parole e dei silenzi in relazione all’eros è sempre stato per me un tema capitale…».


Ti capita di pensare alla morte…


«Continuamente. Ma non solo ora. Anche quando ero giovane mi capitava. Sono cresciuto all’ombra della minaccia hitleriana e ricordo bene che nella mia classe di liceo solo io e un altro compagno siamo riusciti a sopravvivere. Papà e la vita mi hanno preparato ad affrontare i temi della perdita e del pericolo della morte. Adesso penso che il confronto con la morte possa essere interessante, possa rivelarsi una maniera per capire meglio tante cose…».


Pensi che ci sia qualcosa dopo la morte?


«No… Sono convinto che non ci sarà niente. Però il momento del passaggio potrà essere molto interessante. Mi pare infantile la reazione di coloro che, dopo aver pensato sempre al nulla, nella fase finale della loro vita cambiano idea, immaginando un “mondo” ultraterreno. Credo che sia un fatto di dignità il non avere paura: non bisogna perdere il rispetto della ragione e le cose vanno chiamate chiaramente con il loro nome. Certo, si può cambiare idea. Ho avuto la fortuna di vivere sempre a contatto con grandi scienziati e so che ogni giorno si imparano nuove cose e se ne correggono altre. Ma questo è normale nella scienza. Credere in una vita altrove, invece, è ben altro affare…».


In questa intervista postuma, vorresti scusarti con qualcuno con cui hai litigato?



«Sì, vorrei scusarmi con una persona di cui non posso dire il nome. Penso che lui stesso preferirebbe restare anonimo. Si tratta di un uomo eminente, per lungo periodo amico intimo, con cui ho litigato per una stupida questione: una frase mal scritta in una lettera ha finito per mandare in frantumi la nostra antica relazione. Ho imparato tanto da questa esperienza: come, talvolta, un attimo insignificante possa trasformarsi in qualcosa di decisivo nella tua vita. Corriamo spesso questo rischio: un gesto irrilevante o una semplice parola, in un solo secondo, possono provocare vere e proprie tragedie. E adesso, dopo tantissimi anni, vorrei dire a questo mio amico: vieni, pranziamo insieme e ridiamoci sopra. Però, con molto rimpianto, mi rendo conto che ormai non c’è più tempo. È troppo tardi…».


Ma la tua irascibilità è famosa. È stato sempre un punto debole del tuo carattere?



«È vero. Ma non solo da adulto. Ricordo che da ragazzo andavo in escandescenza per piccole cose e, talvolta, senza vere ragioni. Questi comportamenti hanno creato molte inimicizie. Poi con gli anni ho dovuto imparare a moderarmi. Ma ho anche pagato per la mia ironia, spesso molto tagliente e non sempre gradita. E forse la tristezza, frutto della coscienza della mia mediocrità, ha messo non poche volte a disagio alcuni miei interlocutori. In tanti anni ho collezionato, purtroppo, molte ostilità e ho rotto tante amicizie. È triste riconoscerlo. Ma è così…».


Un consiglio ricevuto che ti ha cambiato la vita?



«Eccome: soprattutto quelli che, con grande affetto, ho avuto dalla mia mamma. Debbo a lei gli incoraggiamenti a una fruttuosa convivenza con il mio handicap. Da piccolo, per scuotermi nei momenti di sconforto, mi diceva che la “difficoltà” era un “dono” divino: oltre ad avermi salvato dal servizio militare, infatti, mi aveva anche offerto l’occasione per imparare a fare meglio. Per cercare di capire che senza sforzo non si ottiene nulla nella vita. L’ho ricordato in diverse circostanze: uno dei traguardi più belli della mia esistenza è stato quando, per la prima volta, sono riuscito ad allacciare le scarpe con la mano offesa…».

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Ce mercredi 5 février 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

En hommage à George Steiner _ contemporain essentiel ! _, décédé hier 3 février, écouter en boucle le « Tombeau sur la mort de M. Comte de Losy », de Silvius Leopold Weiss

04fév

En hommage au très grand George Steiner

qui vient de décéder hier 3 février 2020,

chez lui à Cambridge

_ il était né le 23 avril 1929 à Neuilly-Sur-Seine _,

et qui est _ pour jamais _ un des auteurs essentiels du XXème siècle

_ j’ai lu presque tout son œuvre entier :

de Tolstoï ou Dostoïevkï (en 1963, au Seuil)

à Fragments (un peu roussis) (en 2012, chez Pierre-Guillaume de Roux),

en passant par Après Babel, ou une poétique du dire et de la traduction (chez Albin Michel, en 1978 : le livre qui me l’a fait découvrir !),

Réelles présences _ les arts du sens (chez Gallimard, en 1991),

et Errata, récit d’une pensée (chez Gallimard, en 1998),

etc. _,

j’écoute en boucle

le sublime _ merveilleusement paisible ! _ Tombeau de M. Comte de Logy, de Silvius Leopold Weiss

(composé en 1721)

dans l’admirable CD de Jakob Lindberg Silvius Weiss Lute Music II (CD Bis 1534)

_ cf mon article d’hier : 

Et cette interprétion de Jakob Lindberg, je viens de la comparer avec plusieurs autres, est au-dessus de tout éloge !!! _,

au cœur, lui aussi, de la civilisation européenne.

Ce mardi 4 février 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

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