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Dans et par le battement des images, les aventures du sujet (tenir bon ou céder) vers sa liberté : le livre (montanien !) « Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs » de Marie-José Mondzain

26oct

Avec son Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs, qui paraît ce mois d’octobre aux Éditions Bayard,

Marie-José Mondzain nous offre un merveilleux livre

_ même si elle se défend qu’il s’agisse là d’un « livre«  ; cf à la page 9 : « Ceci n’est pas un livre« , mais « peut-être la trace d’un parcours, en marche vers l’image« , « sans devoir nécessairement en montrer » « et sans être assurée qu’en parlant d’image, je puisse produire ce qui fait l’unité et la consistance _ dogmatique _ de ce qu’on appelle couramment un livre«  ; et précisant encore : « Cela pourrait être une série de lettres adressées à ce jeune ami aveugle avec qui j’ai entretenu plusieurs années un commerce des regards. Nous tentions de voir ensemble ce que nos yeux ne pouvaient partager« . Et aussi : « Ce pourrait être aussi un hommage singulier rendu au philosophe Jean-Toussaint Desanti, puisque c’est en sa compagnie que le commerce des mots a souvent exploré les chemins du visible«  « Je pense à ces deux amis, évoqués parmi tant d’autres, qui m’ont accompagnée, sans doute aussi parce que l’on ne peut écrire en l’absence de toute adresse (à quelque interlocuteur potentiel, et même s’il n’est plus des vivants sur la terre, ajouterais-je…) alors même que la main qui écrit voudrait, elle, disparaître« , page 10 _

un merveilleux livre, donc, montanien

_ je veux dire à la façon libre et perpétuellement (génialement) inventive, en même temps que : lucidissime !, des Essais de Montaigne ; et à poursuivre « tant qu’il y aura de l’encre et du papier«  (III, 9, début) son entretien-conversation malencontreusement interrompu (par l’accident d’une mort, telle celle survenue à Germignan près Bordeaux : au Taillan-Médoc aujourd’hui) avec, désormais, le fantôme, mais si vivant, de l’incomparable ami, La Boétie, dans le cas de Montaigne... _,

dans lequel, avec son courage et sa générosité merveilleux, elle nous offre un penser en acte magnifiquement éclairant, en ses explorations on ne peut mieux lucidement audacieuses, des aventures (battantes !) de la subjectivation (et du jeu de sa libération-liberté !) via la pratique active/passive des images (notamment _ et principalement même ici _ cinématographiques, en mouvement d’abord sur les écrans ; mais pas seulement…)

_ soit ce qui peut se nommer « opérations imageantes«  (selon l’expression des pages 45, puis 46 et 64, avec, là deux occurrences, ainsi que l’expression, aussi, de « fonctions imageantes« …) _,

entre « céder » et « tenir bon« , de l’Homo spectator : que tout un chacun (ou presque) se trouve désormais être devenu, en actes, plus que jamais aux siècles de l’omniprésence des écrans

_ à partir des films des frères Lumière : cf la filiation, en 1995, du film-(« hommage au cinéma« , pour l’anniversaire de son centenaire) de Harun Farocki, Les Travailleurs sortent de l’usine, avec celui des frères Lumière, en 1895, indiquée page 266 de cet Images (à suivre). Avec ce commentaire, à la page 270, que j’ai plaisir à citer ici : « Les sorties d’usine sont la scène primitive du cinéma à laquelle l’enfant revient toute sa vie en tant qu’éternel spectateur de la magie des images. Cet enfant centenaire, c’est chacun de nous. Mais Farocki fait aussi entendre que le geste qui fait voir n’est plus un geste pictural habité par le souci formel de son achèvement, mais un geste « imparfait » (dans le tremblé du temps même…). Parce qu’il est montage, il est fragmentaire, discontinu et en continuel désajustement _ un concept décisif ! _ de ses parties ; il est aussi en attente des énergies actives de montage par ceux à qui ces images s’adressent. Parce qu’il est adresse, il est solidaire d’un régime déceptif, fragilisé sans fin par le ratage de son but, par la fuite de son objet, par l’indétermination incontrôlable de ses effets.

Le cinéma fut inventé pour que le peuple _ auquel de fait le cinéma s’adresse _ résiste à sa disparition.« 

Vers le  final (en un ultime chapitre, le quatrième, intitulé « Suspens et carnaval » : c’est le chapitre du rebond !) de ce livre peu « livre« , donc, du moins au sens de la tradition académique la plus classique, surtout en philosophie,

Marie-José Mondzain livre une (éventuelle) filiation carnavalesque de la modalité du tempo

_ et du rire créatif : à la Chaplin « en 1938 dans Le Dictateur«  ; cf page 366 : « C’est un rire politique qui s’attaque à la terreur inspirée par l’adversaire et accroît les forces de ceux qui doivent lui résister. Ce rire de résistance _ à l’inverse du rire de connivence (ou au moins complaisance) envers les pouvoirs… _ est animé par le génie du carnaval, c’est-à-dire par la vigueur sismique _ voilà ! _ du renversement, de la réversibilité des rôles et du basculement des images. La permutation des places, la confusion des corps devient _ le sursaut d’ _une fête « idoloclaste » pour le spectateur délivré _ par le tempo même de ce rire spécifique-ci _ de l’effroi paralysant de l’inéluctable _ ennemi de tout jeu de battement, lui. Le Dictateur plaide pour un possible dont on sait aujourd’hui deux choses : l’une, c’est que le pire était imminent, l’autre, que sa défaite était pensable«  ; à l’inverse de la force renversante de ce rire chaplinien : « La Vie est belle de Begnini (cf l’analyse aux pages 134-136), ou Les Voyages de Sullivan  (de Preston Sturges : cf l’analyse aux pages 366-369 : des analyses magistrales !) traitent le spectateur en complice _ voilà ! _ d’un comique consensuel où l’épreuve du pire n’est plus qu’un épisode transformable à volonté par des fictions consolantes et des fraternités faciles« , toujours page 370… _

vers le final, donc, de ce livre peu « livre« ,

Marie-José Mondzain livre une (éventuelle) filiation carnavalesque quant à la modalité du tempo même

de son penser ici, en ce malgré tout « livre » (« en marche vers l’image« ), pages 399-400 :

« C’est la pensée romantique allemande qui mit en œuvre les prolongements paradoxaux de la pensée, du côté de l’informe et du chaos carnavalesque.

C’est en totalité que le poète et le penseur sont _ alors : au tournant des XVIIIe-XIXe siècles _ traversés par les contradictions sismiques d’une soif d’absolu, saisis par une ivresse anarchisante suscitée par les tentations du chaos, sans pour autant faire le deuil de la forme. (…) Le régime intercalaire des parenthèses utopiques inscrit la nécessité _ poïétique _ de la poursuite dans la pratique du fragment dont les romantiques allemands et Nietzsche portèrent au plus haut le flambeau. La discontinuité, la pulsation, la syncope _ facteurs du désajustement et de la création à inaugurer puis poursuivre, en d’autres désajustements _ seront les modalités souveraines des régimes disruptifs _ voilà un qualificatif parlant ! _ qui rompent avec les forces du contrôle, de la maîtrise et du repos _ qui enferment et incarcèrent, elles, dans le carcan des habitudes et addictions confortables : prévisibles et prévues, car calculées pour cela.

Ce que Patrice Loraux nomme _ fort justement _ le « tempo de la pensée » _ c’est décisif ! un clinamen dans la pluie uniforme, sinon, des atomes… _  fait entendre ensemble _ mais oui ! _ le rythme et la percussion propre à toute création _ poïein

La pensée _ en ce revigorant, joyeux, de sa pleine fraîcheur _ est un acte de naissance. Elle commence _ perpétuellement elle met (et se remet elle-même, la toute première !) en jeu… Elle fait l’épreuve de l’échec de la forme _ en l’approximation de ses propres approches essayées et tentées _ dans le don _ gracieux et généreux (pardon du pléonasme !) : il faut aussi apprendre à le recevoir et l’accueillir, ce don-ci… _ de la forme, renonçant à la paix improductive _ stérilisante et incarcérée (ou/et incarcérante) _ de ce qui continue _ selon une stricte nécessité solide : sans le moindre jeu (ou clinamen). Il n’y a pas d’œuvre qui ne soit pas travaillée _ dans le tremblé du frémissement de sa recherche _ par son impossibilité _ aventurée cependant : « Sapere aude !«  Le fragment en est la trace » _ intensive, vibrante.

Schlegel, au fragment 104 de ses Fragments critiques, avance ceci :

« Ce qu’on nomme communément raison n’en est qu’une espèce _ non unique _ mince et aqueuse. Il existe aussi une raison dense et incandescente _ de feu ! _, qui du Witz fait proprement  le Witz, et qui donne au style vierge, élasticité et électricité«  ;

ce que Marie-José Mondzain commente, page 404 : « Le Witz équivaut à une zébrure foudroyante

_ cf pages 195 à 197 une superbe analyse du jeu entre le dispositif « des cercles concentriques«  de la cible, et le schème « de la zébrure, des rayures, qu’il ne s’agit plus de saisir dans une mimétique du regard concentrique, mais dans une temporalité stroboscopique » : « la rayure est un battement du regard entre ce qui apparaît et ce qui disparaît. Le vertige stroboscopique induit par le mouvement des yeux face aux rayures, indique bien que ce qui se joue du côté de la cible renvoie sans doute à l’ordre du temps sous la figure du rythme pulsatile et de la répétition«   _

dans les ténèbres _ mais il les faut, elles aussi, ces « ténèbres«  ; et de toutes façons, nul (ni rien) ne peut prétendre y (ou ne s’en) échapper absolument : dans le recul (nécessaire, certes !), elles (ainsi que l’écart des gestes à leur égard) ne cessent, aussi, de nous nourrir et alimenter : tel le vertige du vide pour le maintien vivant de l’équilibre sur le fil du funambule ; telle est l’alchimie opératoire à laquelle il nous faut, tout un chacun, faire face, et bricoler… Dans le champ de la poursuite, il _ le witz, donc _ fait résonner la percussion de son tempo _ voilà ! _ et déjoue le pli et le repli des attentes _ seulement mécaniques : nous pouvons mesurer là ce qui sépare un art d’une technique (et de ses exploitations commerciales comptabilisées).

N’était-ce pas ainsi qu’il faut entendre chez Prokofiev le tissage _ voilà ! _ déceptif de la mélancolie, de l’ironie et de la fulguration violente d’un galop de la pensée ? _ sur ce nouage, cf les très belles analyses de l’écoute de la septième sonate pour piano (dite « de guerre« ) de Prokofiev (découverte au concert sous les doigts de Richter), aux pages 89-95. Le Witz fait appel à la puissance du sonore _ et des timbres ; cf ici ma lecture, le 3 août 2011, de ce qu’en explore superbement Martin Kaltenecker en son passionnant L’Oreille divisée _ les discours sur l’écoute musicale aux XVIIIe et XIXe siècles : comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée »  _ lorsque la création musicale ne se soumet plus aux illusions frauduleuses des enchaînements harmoniques _ trop attendus et convenus ; et Marie-José Mondzain de l’illustrer, pages 97-100, par une analyse du film impressionnant de Béla Tarr, Les Harmonies Weckmeister

La fragmentation de l’écriture déjoue les visées de l’absolu et l’absolutisme des systèmes _ totalitaires. La pensée est le règne _ paradoxal, alors _ qui abolit tous les règnes _ et empires : tétanisants ! eux… Le Witz fait appel à l’incontrôlable de la vie _ jouant, à partir du clinamen _ dans une fiction où se joue l’échec du concept et de la dialectique.

Le fragment appartient au régime de la parenthéké » _ et du battement des intermittences

A la page suivante, cette remarque à propos de la finesse de l’oreille musicale du viennois (exilé) Ludwig Wittgenstein : « Wittgenstein fut (…) un remarquable diététicien des fausses solennités« , précède ce constat que « les philosophes musiciens _ tel Wittgenstein, ou Nietzsche… _ ont souvent une grande aptitude à déjouer _ et dégeler _ la pesanteur _ plombante et plombée _ des trop fortes consistances » _ surplombantes…

Et Marie-José Mondzain d’évoquer ici l’art de l’éclat du rire de Nietzsche « pour instaurer une temporalité du retour éternel afin d’échapper pour toujours à la linéarité des trajectoires propres au monde convenu des poursuites » _ quand celles-ci sont sinistrement (mortellement ?) trop prévisibles en leurs calculs…

 

De fait, « l’ivresse est l’état carnavalesque par excellence, l’état de ceux qui vivent philosophiquement la relation de leur corps _ c’est la base _ à la vérité : ils dansent. La philosophie est chorégraphique _ voilà ! _ dans son funambulisme même« , toujours page 405 _ sur le funambulisme, cf, en plus de la citation donnée en exergue au livre, page 7, l’analyse, pages 14-15 (« Pourquoi danser ce soir ? Sauter, bondir sous les projecteurs à huit mètres du tapis, sur un fil ? C’est qu’il faut que tu te trouves«  : rien moins ! en cet appui mouvant, vital et mortel pris sur le vide…) et encore page 19, du Funambule de Jean Genet ; qui m’évoque ces deux formules de Nietzsche dans le sublime Prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra : « Je ne croirai qu’en un dieu qui sache danser«  ; et « Il faut encore porter du chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante« 


Ainsi « l’éclat du Witz n’est (-t-il) pas sans rappeler l’éclat _ voilà _ de l’image et sa temporalité éruptive _ voilà _ dans un présent intensif _ voilà, voilà _  ! Widerpost (le poète que fait parler Schlegel en un poème satirique, en 1799 : « la confession de foi épicurienne de Heinz Widerpost« ) chante l’échec spéculatif et célèbre la matière, les sens et tout le corps :

« Je ne tiens pas compte de l’invisible

Et je tiens pour seule révélation

Ce que je peux goûter, respirer et toucher

Et fouiller avec tous mes sens.« 

Et Marie-José Mondzain de conclure ce passage, pages 406-407 : « Le carnaval de la pensée a bien à voir avec ce que la pensée doit à la vie du corps

et avec ce que la vie du corps doit aux femmes » _ souvent plus ouvertes aux images, et moins agrippées à la saisie par les concepts… Cf ici mon article du 25 septembre 2011 sur le très riche livre de Martine de Gaudemar, La Voix des personnages : Le chantier de liberté par l’écoute du sensible, de Martine de Gaudemar en son justissime « La Voix des personnages »… Cf aussi la subjuguante hyper-finesse d’acuité du penser de Baldine Saint-Girons, par exemple dans la sublime séquence syracusaine ouvrant son merveilleux L’Acte esthétique

Pour ce qui est « poursuivi » en cette trajectoire suivie et syncopée _ les deux : et amoureusement (ou/et musicalement !)… _ de 419 pages, terminées par un « (À suivre)… », en cet Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs,

Marie-José Mondzain commence, en son chapitre premier, « Images suivies » (pages 9 à 124), par présenter

comment s’est formée, a bougé (et s’est « poursuivie«  !..) pour elle, en partie singulièrement, « la question de l’image«  _ car c’est d’abord, et encore au final, toujours, une « question«  qui « se poursuit«  : inépuisablement (et nourricièrement) ; même si (ou plutôt car !) la lumière s’en éclaire passablement ! en la trajectoire des 419 pages de ce travail richissime ! (cf toujours et encore Flaubert : « la bêtise, c’est de conclure« …) _,

ce qu’elle _ en sa biographie particulière, voire singulière, immergée en l’Histoire collective : je pense ici à (tout) ce qu’elle a hérité historiquement de son père (« Mon père s’appelait Mondschejn« , page 33), peintre, né en 1890 à Chelm, en une Pologne alors de l’empire du Tsar de toutes les Russies ; et maudit par son propre père pour avoir voulu devenir peintre (« après son départ de Chelm _ en 1904 : « fuyant à quatorze ans le ghetto où son _ propre _  père le destinait au rabbinat« , page 31… _, son père l’avait haï et maudit au point d’accomplir le terrible rituel du Herem à la synagogue. Condamné pour idolâtrie, mon père fut rejeté par les siens. Le rituel du Herem consistait à allumer des bougies noires et l’arche étant ouverte à faire sonner le chofar pour récuser toute filiation. On demande alors que la maladie et la ruine tombent sur le maudit, qu’il soit exclu de la communauté de façon définitive et n’ait pas le droit à être enterré religieusement.

Ayant appris _ tardivement, après 1945 _ son excommunication après la mort des siens, doublement orphelin, je crois pouvoir dire qu’il ne cessa d’être déchiré entre la grâce et la disgrâce qui marquaient sa survie _ à la Shoah. Quand la mort approcha, il se sentit comme un fils coupable appelé à comparaître devant le tribunal paternel. La transmission, et donc le droit et le devoir de suite qu’implique la filiation, pèsent très lourd dans la pensée juive et traversent les générations.

Il m’a fallu trouver les lois profanes et laïques qui mettraient fin à la poursuite d’une malédiction (…). Les images devaient trouver leur avocat, il en allait de la liberté que mon père avait conquise et de celle que je lui devais de garder« )… _

ce qu’elle y poursuit,

tout autant que ce qui l’y poursuit elle-même ;

selon la métaphore _ discrète, mais qui revient (ou « persiste« , sans lourdeur jamais : nous sommes dans la patience) _ des deux flèches du carquois du petit dieu Amour.

Cf par exemple page 125 : « les flèches d’Eros« ,

ou page 191 : « Si Cupidon a deux flèches, comme le raconte Ovide, c’est qu’il faut entendre que sa flèche est double, c’est-à-dire qu’elle indique deux directions opposées. Une flèche vise le poursuivant, l’autre le poursuivi. Cette simultanéité des trajectoires contraires fait qu’un même archer, celui de l’amour, attire et fait fuir. Ce qui nous attire nous fait fuir et nous poursuivons entre délices et frissons les figures qui nous persécutent« …


Mais déjà, page 122, esquissant, lumineusement, comme une approche de définition de ce qu’elle qualifie de sa « course« ,

et comme de son « champ » philosophique (page 120),

parmi les diverses (ou principales) formes de démarches philosophiques : celles des « penseurs de l’ordre« , celles des « penseurs critiques« , et celles des « penseurs à la cécité prophétique » qui « ont hérité de Nietzsche« , mais « Nietzsche est _ aussi _ la victime des plus grands usurpateurs d’héritage » !!!, pages 121-122,

et comme pour répondre au questionnement de son ami philosophe Patrice Loraux (« qui s’interroge précisément à ce que peut signifier la désignation d’un champ philosophique, après avoir interrogé longuement la syzygie de la philosophie avec les chimères« , page 120) :

« Il y aurait en philosophie des régimes de sensibilités particulières _ voilà : des aisthêsis !.. _ qui permettraient d’y repérer de grandes familles. Si je l’ai bien compris, elles se distingueraient ou s’opposeraient en fonction de leur disponibilité interne au vacillement _ un élément crucialissime !!! _ ou aux modes très variés de cristallisations conceptuelles » _ d’après la métaphore stendhalienne appliquée aux processus d’énamoration… _, page 120 ;

achevant ce regard panoramique (détaillé aux pages 120 à 122) déjà lui-même bien éclairant (« Les champs de la philosophie sont innombrables ; et l’on imagine bien qu’il ne me viendrait pas à l’idée d’esquisser une histoire de la philosophie en énumérant des champs ou en repérant des postures. Je ne fais que croiser ce _ ici la méditation de l’ami Patrice Loraux _ qui accompagne ma propre poursuite« , conclut-elle cette synthétique « revue » avec son humilité et auto-ironie coutumières), page 122,

Marie-José Mondzain avance ceci d’éminemment éclairant quant au dessein du travail auquel s’est adonné son livre auto-présenté dès l’abord (page 9) comme peu « livre« , car c’est surtout une « médiation » _ peut-être en abyme, et abyssale… _, et « qui se poursuit«  (page 119) :

« Ma seule ambition _ et le mot est déjà trop lourd pour définir ma course _ est de trouver _ mettre à jour et explorer _ partout la mince fissure par laquelle l’image

séculairement refoulée par la raison et l’intelligence

a poursuivi sa route, imperturbable, à travers les corps pensants, les regards désirants, les silences habités par la parole«  _ peut-être ici le cœur même de ce travail (d’une vie : « philosophique« …) dans ce qui peut faire signe au plus profond, via les images (mais via la musique aussi, ainsi que la poésie ; particulièrement en ce qui devient œuvre d’art…) _ ;

et elle conclut alors ce passage de quatre pages à propos de ce qu’opère l’image

_ ailleurs (par exemple page 45, puis page 46, ou page 64, à deux reprises), elle parle d’« opérations imageantes«  : ainsi « les opérations imageantes sont constituantes des relations d’altérité, en étant le tissu conjonctif qui noue la question d’un sujet à la réponse qu’il reçoit de tout autre« , page 46, dans la mesure où « reconnaître consiste à partager un manque et faire éclore entre nous les fleurs de la surabondance, c’est-à-dire les images. C’est parce que l’autre me manque que je lui adresse _ en gestes d’œuvres _  les signes de ma dépossession ou de ma défaillance«  _

ainsi :

« Elle _ l’image, donc _ est la présence _ vectorielle et et contextualisée, en quelque sorte, et intensive (« disruptive«  dans les liaisons-déliaisons, désajustements-ajustements, que sans cesse, et comme ludiquement, elle opère) _ de l’enfant androgyne au carquois et aux flèches dans son immanence intraitable _ voilà _ au cœur de tout mouvement de la pensée« , page 122 donc…

Voilà énoncé ce qui m’apparaît constituer le sens profond et singulièrement riche du projet philosophique poursuivi (donc !) superbement par cette recherche dense intensément lumineuse _ et éclairante ! _ en son courage et sa générosité _ sans fond, les deux : par la « fidélité« , voilà !, à ce que la vocation de la parole appelle à « tenir«  et « maintenir«  (= « poursuivre«  !), dans le jeu d’actes d’une liberté exigeante assumée… _ menée par Marie-José Mondzain.

La fin du premier chapitre (« Images suivies«  : il court de la page 9 à la page 124) revient sur la question de ce livre « peu livre » et des modalités _ montaniennes, ou nietzschéennes, me semble-t-il… _ de la « forme incertaine«  _ non dogmatique, mais ludique avec gravité (selon l’essence de l’humour) _ (page 122) de son écriture :

« Pourquoi me faut-il d’une certaine façon renoncer au livre _ comme cours dogmatique _ en écrivant sous cette forme incertaine ? Ce pourrait être étrangement à la fois monologue intime, interne ; et adresse à tout autre _ ce qui me paraît être les conditions de toute écriture vraie, courageuse, généreuse, et non servile ; j’en re-donne pour exemple les écritures de Montaigne et de Nietzsche.

A ce « tout autre«  est consacré le chapitre 3 : « Le Casting du premier venu« , (pages 281 à 371) à travers l’analyse de plusieurs grands films de cinéastes américains, de King Vidor (The Crowd, La Foule), Frank Capra (Meet John Doe, L’Homme de la rue), Elia Kazan (A Face in the crowd, L’Homme dans la foule) ; mais aussi de Robert Siodmak (en comparant Menschen am Sonntag, ou People on Sunday, en 1929, et Nachts wenn der Teufel, ou Les SS frappent la nuit, en 1957) et encore, plus récent, Le Premier venu, de Jacques Doillon…


Je m’imagine un peu comme un marin au cœur de la nuit qui cherche à faire le point sur sa position _ s’orienter (dans le penser et le sentir) ; et survivre, en menant son esquif à bon port _ entre deux étendues ténébreuses _ quand le ciel est avare de points de visibilité, dans la tempête par exemple… Le flux noir portant _ voilà ! tel le fil au-dessus du vide pour le funambule de Genet (et celui de Nietzsche)… _ l’embarcation est une masse résistante qui soutient, tant qu’elle n’engloutit pas _ du moins.

Penser  les images _ voici la tâche à accomplir ! _ est un voyage nocturne entre ciel et mer _ et non pas terrestre, par monts et par vaux, ou dans le dédale serré des villes : sur des sols grosso modo plus stables.

Les images qui _ mais il en est d’autres, un peu plus curieuses… _ prétendent se débarrasser de toutes pensées _ telles celles des logos de marques visant à induire (et à grande échelle) d’hyper-rapides réflexes (conditionnés) : celles des matraquages publicitaires et idéologiques _ occupent et dominent _ elles _ l’espace en plein jour des terres habitées _ et hyper-balisées : on n’a pas à s’y poser de questions ! sur le chemin à prendre (ou plutôt, alors, « à suivre«  ! à l’heure de l’attraction des GPS !)…

Surexposition du visible _ jusqu’à l’aveuglement des habitudes-addictions de ceux qui les reçoivent et sont dirigés (par œillères ; et par machines !) par elles _ dans l’inanité des regards morts _ puisque désactivés en ces réflexes instantanéisés, sans épaisseur vivante de durée… Là où sont les cadavres _ cf la quête de Diogène avec sa lanterne allumée en plein jour : « Je cherche un homme ! » ; et il n’en trouvait pas… _, il n’y a pas de fantômes _ apparaissant et disparaissant, eux.

Voir dans la nuit est la condition de toute pensée de l’image«  _ qui amène à aller chercher un peu plus loin que le plein (ou/et les bords) du visible d’abord et immédiatement perçu : afin de comparer « comme si« 

Commentant Homo spectator, j’ai jadis qualifié cette opération-là dimageance

Et Marie-José Mondzain de poursuivre, page 123 :

« Avant que le cinéma n’en fasse surgir le dispositif pour instaurer la vie industrielle _ selon le modèle hollywoodien _ de nos désirs _ idéologisés et markétisés, formatés (en vue de l’achat : la consommation même est surtout alors un leurre) _, l’image depuis longtemps se faisait connaître _ fort discrètement _ dans les cavernes, au fond des grottes, dans toutes les chambres noires de l’histoire, celle des choses et celle des fables.

Cérémonies des apparitions et des disparitions,

mélancolie des départs et récits des deuils,

effigies des ombres qui font jouir _ selon la fable de la fille (première dessinatrice de portrait) du potier de Corinthe, traçant, et ayant tracé et déchiffrant l’ombre de son amant s’absentant, puis absenté… _ et qui font trembler _ les bisons de Lascaux, Altamira, la grotte Chauvet… _,

l’image est là aussi insaisissable qu’insistante _ dans l’espace des distances et absences que leur ténuité cependant, et très fort, aimante…

Quand vint le cinéma, l’image trouva que cela était beau !« , pages 122-123.

Mais le cinéma lui aussi est dans la disjonction :

si « le geste imageant _ du cinéaste faisant son film _ accueille le désir de tout autre, c’est-à-dire les fictions qui le constituent _ positivement, ce « tout autre«  _ comme sujet de la croyance,

de la confiance et du crédit« ,

« le « faire faire » _ du cinéaste, donc _ désigne la capacité de reconnaître et de rendre _ = donner _ au peuple _ toujours à faire advenir ! _ des spectateurs sa puissance d’agir _ le plus souvent volée, niée, exploitée.

Le cinéma _ tel celui d’un Godard : plusieurs fois mobilisé dans cette « marche vers l’image«  _ pourrait faire en sorte _ pour sa (modeste) partie : entraînante ou inhibante _ que je puisse _ moi, spectateur du film _ devenir le sujet _ (plus) effectif _ de mon action et de l’histoire que je partage avec d’autres.

Mais le « faire faire » _ du cinéaste faiseur de films  _ peut aussi être entendu dans le sens de l’asservissement et de la passivité _ des spectateurs croisant le film. Il y a un cinéma qui inhibe la puissance active et dont le « faire faire » suspend justement la capacité de faire.

Être spectateur est une condition active chaque fois que le cinéma ou toute autre création fait le don _ par la transmission-formation de « fictions constituantes«  dans le sujet spectateur du film _ à celui à qui il s’adresse de sa puissance de faire _ un poïein libérateur et créateur, face au réel et aux autres ; relire Homo spectator. Le lien de ce geste créateur avec la fiction est fondateur, car il n’y a de communauté _ humaine non-inhumaine _ qu’à partir de ces croyances partagées _ et échangées, via des opérations (et des œuvres) , dont des paroles, des entretiens _ que j’appelle des fictions constituantes » _ pour le sujet humain non in-humain et sa liberté _, pages 284-285.

Et Marie-José Mondzain de se centrer sur le travail du documentariste, d’une part ;

mais aussi sur la place (et la fonction) du figurant dans les fictions mêmes :


« Dans un documentaire,  ce sont les corps filmés qui occupent la presque totalité du champ fictionnel. Il revient au documentariste de trouver la place la plus juste _ ajuster-désajuster _ pour accueillir_ et, par là, montrer _ ce qui constitue le régime de croyance des sujets filmés au cœur des expériences réelles qu’ils traversent« , page 285.

Quant à « la fiction«  de cinéma, son histoire est durablement marquée par l’impact de la Nouvelle Vague : celle-ci, « fraternellement liée au cinéma documentaire, accueille la fiction qui habite le corps des acteurs. On peut à la fois construire une fiction, et attendre ce qui arrive, développer une forme d’attention au monde et aux corps filmés qui donne sa place à l’autre _ en son altérité fondamentale _, donc à tout autre ; donc par cette voie au spectateur lui-même « , toujours page 285.

Et Marie-José Mondzain consacrera de superbes pages (pages 288 à 293) à la fonction très riche du figurant dans les fictions :

« La figure du figurant, comme site en apparence désubjectivé, opère en fait comme indice _ d’autant plus fort que (forcément !) discret _ de crédibilité _ voilà _ qui confère _ par contraste (d’une forme vis-à-vis d’un fond ; d’une focalisation sur ce qui est découpé et identifiable par le regard regardant à l’égard d’un fond lui flouté…) _ à la star et au récit _ du film de fiction _ leur place _ mine de rien… _ dans le tissu réel de notre histoire _ rien moins. Indice du réel, sans nom, sans gloire et sans histoire _ la caméra n’est pas focalisée sur lui : il n’est qu’un fond pour les formes d’autres : les personnages du récit ! incarnés par les acteurs _, lui seul donne peut-être à la fiction son appui _ comme le fond du vide au fil vital du funambule _, et détermine son plan d’inscription _ à cette fiction _ dans une réalité sensible, à la fois historique et filmée. La place du figurant est une place occupée par n’importe qui  _ discrétion (= quasi invisibilité) oblige ! _ faisant office de réalité des bords, à la frontière desquels se détache avec tout leur relief la figure _ = la forme repérable, elle _ de l’acteur professionnel et de la star, dans leur énergie fictionnelle _ et vecteurs notables d’identification du spectateur de cette fiction de cinéma.

La présence de celui qui n’a pas de nom _ au générique (des identifications) : il n’est nul personnage ! _ est sans doute inséparable de cette histoire du peuple auquel la Révolution a enfin rendu _ ou enfin donné (au moins en puissance) _ la dignité de son nom, sans pour autant résoudre la question de la subjectivation _ effective : devenir une « personne«  en toute sa singularité… _ de toutes les particules élémentaires qui le composent. Que figurent ces corps sans lesquels les acteurs resteraient dans une insularité presque abstraite ? C’est sans doute parce que l’écran n’est pas une scène qu’il faut que la croyance du spectateur soit soutenue par la figuration du monde comme espace doué de consistance, où les _ autres _ corps et les choses offrent l’assistance d’une continuité. Le figurant est le signifiant du hors champ dans le champ _ du récit sur lequel se focalise la caméra _, et le relais entre l’espace fictionnel _ que propose le film, et sa visée de « réalisme«  _ et l’espace réel _ censé être très évident, lui _ du spectateur.

N’ayant aucun rôle, il est tout entier dans sa fonction : se prêter au jeu de la représentation de toutes celles et de tous ceux _ dans le public des spectateurs, déjà, ainsi que les autres, dehors _qui se tiennent dans l’indétermination de leur inscription subjective. Le figurant nous demande de croire à la réalité d’où on l’a tiré quand, l’ayant quittée, il est introduit dans la fiction où on le fait opérer _ voilà _ au nom de cette réalité même.

Extrait de la foule ou du peuple, il en figure métonymiquement _ la partie pour le tout _ l’existence« , pages 289-290.

« « Figurant » est un participe présent dont la légitimité a besoin _ pour sa crédibilité anonyme _ de l’accord de tous. Le figurant devient représentant _ et Marie-José Mondzain d’analyser le devenir (symptomatique !) de certains individus quelconques (des John Doe ! selon Capra) au sein de la production cinématographique de la démocratie américaine... Ce participe présent désigne l’individu figurant, c’est-à-dire désigné comme image de tous, parce qu’il ne ressemble _ pas trop _ à personne.

L’effacement _ voilà _ de la personne implique que la subjectivation du peuple passe par la désubjectivation _ et anonymat subséquent _ de son figurant. Cette désubjectivation a son prix du côté des identifications idéales et du côté de l’effacement du peuple. (…) Le cinéma est par excellence la scène où se jouent les contradictions de cette incarnation, mais aussi où se déploient les combinaisons fictionnelles qui rendent cette incarnation possible ou impossible, digne de confiance ou frauduleuse. En ce sens, dans toute fiction, la place du figurant a une signification politique« , pages 290-291.

 

« La question du figurant entre donc en résonance avec la subjectivation du peuple et l’interrogation démocratique.

Il n’y a de figurant que dans la fiction ; le documentaire par définition ignore le figurant. Ce qui indique que le cinéma navigue nécessairement entre deux régimes fictionnels (…) ou plus précisément se situe au croisement de la trame et de la chaîne qui tissent un espace visuel commun _ réaliste, in fine. La trame serait la fiction inventée et filmée qui transporte le spectateur dans le territoire imaginaire d’un scénario. La chaîne serait l’ensemble de toutes les ressources du réel mises au service de la crédibilité du film. Le figurant serait comme la navette qui passe et repasse _ voilà _ sur le fond anonyme où il lui est demandé de faire office _ = image ! par délégation et incarnation convenue _ de réel. On demande à l’acteur de jouer et au figurant de faire « comme si ». Il est donc bien un messager chargé de faire communiquer _ à l’écran _ le réel et la fiction » _ in fine réaliste _, pages 291-292.

« Il en résulte que l’opération figurative du figurant est une opération politique qui fait advenir ensemble

le mode d’existence de toutes les foules

et, au cœur de ces foules, le mode d’existence de chaque sujet qui y trouve sa légitimité et la dignité de sa place. (…)

Le figurant figure le corps du peuple

en tant qu’il est témoin et juge de ce qui se passe en sa présence et même sous ses yeux ;

tout comme il peut incarner au cœur de la foule dont il fait partie, l’énergie politique parfaitement singularisée du peuple entier.

La place du figurant est indissociable de la place faite au spectateur. C’est en lui, pris isolément ou dans la foule, que se joue la place politique accordée au peuple« , pages 292-293

….

Voilà un des effets (disjonctifs !) du cinéma, parmi les apprentissages des divers processus de subjectivation (ou désubjectivation !) des personnes,

au sein de la « poursuite » de la vie, et des enjeux de « se trouver« , « ou pas » (= se gâcher et se perdre), d’accomplir, ou pas, ses possibles (et si possible les meilleurs, les plus épanouissants, entre continuité et suspens, et au milieu et avec les autres…

De superbes analyses concernent aussi le rapport à l’altérité et à l’accueil (ou pas !) de l’hétérogénéité _ et les dangers des fictions transcendantistes et solipsistes (des fondamentalismes)…

Quant au chapitre 2, « Chasses » (pages 125 à 280), consacré à l’analyse de la poursuite en tant que telle (au cinéma),

il nous livre, du moins particulièrement à mon goût, quatre magistrales analyses de films :

aux pages 149 à 163, celle des Oiseaux d’Alfred Hitchcock ;

aux pages 235 à 254, celle de Gerry, de Gus Van Sant ;

aux pages 271 à 280, celle de La Nuit du chasseur, le chef d’œuvre de Charles Laughton ;

et pages 208 à 217, celle, très impressionnante, de Tropical Malady, d’Apichatpong Weerasethakul :

« Dans les films de Weerasethakul, nous sommes fauves ténébreux, vache immaculée, revenant simiesque, spectre canin, poisson érotique, etc. C’est toute l’histoire de la vie et celle des espèces qui s’incarne _ = prend image ;

là-dessus cf aussi les lumineuses remarques sur l’incarnation de Jésus, et la fonction de la Vierge Marie ; la kenôsis et la sarkôsis… : « Paul de Tarse trouva les mots qui désignaient le dessein de l’image. Lorsque Dieu se fit homme, dit-il, et qu’il « condescendit » (synkatabainein) à devenir mortel, il se vida (ékénôse). La kénôse (kenôsis) fait entendre la vacuité de l’image. La Vierge est pleine de grâce car l’image dont elle est porteuse est vide de matière. La matrice est diaphane, elle aussi a la transparence des bulles«  ; et aussi : « Le « devenir image » qui fait de Dieu une figure humaine a permis l’invention d’un mot : « incarnation«  (sarkôsis). (…) Dans la pensée chrétienne, incarner signifie devenir image, image visible. Décider que l’image invisible se fait voir en gardant sa nature d’image transitant dans un corps dont il se sépare en mourant tout en gardant sa visibilité.

On gardera le mot « incarnation » pour dire que tel corps incarne à l’écran, au théâtre ou ailleurs. Ce qui ne signifie pas que ce corps personnifie. Celui qui personnifie se veut seule figure possible dans son rôle. Celui ou celle qui incarne fait vivre l’intensité d’un possible qui suscite l’infinité de tous les autres possibles« , pages 83 à 85 _

C’est toute l’histoire de la vie et celle des espèces qui s’incarne _ fait image _ dans la mémoire du monde, mémoire inscrite mystérieusement dans le corps de chacun de nous. Weerasethakul filme nos mémoires d’outre-tombe« , page 217.

Et, page 214 : « Filmer est aussi un acte de métamorphose qui s’attaque à la discursivité et à la continuité des récits pour faire advenir dans les images les figures simultanées de la contradiction, de la réversibilité du temps, de la confusion des genres, de l’immanence des spectres dans la chair des vivants, de la parole animale face au silence humain, de l’éclat lumineux de la nuit, de l’éloquence du vent.

Le cinéma viendrait-il dans la modernité de notre monde occuper la place d’un rite, pour remplir la fonction chamanique _ voilà _, et négocier dans le sombre éclat des salles obscures nos relations avec les divinités de l’amour et de la mort ?

Tout le cinéma de Weerasethakul en témoigne (…).


Le cinéma est une industrie hallucinatoire

qui ne cesse de nous faire commercer avec les morts« 

Bref, ce travail _ de tissage et dé-tissage (à la Pénélope ?) : concernant la source nourricière surabondante des « opérations imageantes« , leur suivi, leur suspens, leurs nouages _ est merveilleusement fécond !!!


Et constitue pour le lecteur une expérience (de lecture-analyse) dont il a du mal à s’arracher, tellement la méditation _ dense et toujours magnifiquement éclairante _ de Marie-José Mondzain donne encore et encore à mieux penser : à décortiquer lumineusement la complexité de nouage de nos opérations humaines,

en commençant par les « opérations imageantes » :

à suivre…

Titus Curiosus, le 26 octobre 2011

« L’Indignation, une passion morale à double sens » : un appendice à l’anthropologie politique de Michaël Foessel

08août

Mardi dernier 4 août, Michaël Foessel,

maître de conférences à l’Université de Bourgogne,

et conseiller de la direction de la Revue Esprit,

et auteur des très remarquables La Privation de l’intime _ mises en scènes politiques des sentiments, paru en octobre 2008 aux Éditions du Seuil,

et État de vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire, paru en avril 2010 aux Éditions Le Bord de l’eau,

et qu’il a présenté dans les salons Albert-Mollat le mardi 18 janvier dernier, dans le cadre de la saison 2010-2011 de la Société de Philosophie de Bordeaux _ dont voici un comte-rendu (avec podcast intégré de la conférence) : Sur un lapsus (« Espérance »/ »Responsabilité ») : le chantier (versus le naufrage) de la démocratie, selon Michaël Foessel _

vient de publier dans la rubrique Rebonds de Libération,

un excellent article,

qu’il me plaît de répercuter ici,

avec de légers _ espérons ! _ commentaires :

L’indignation, une passion morale à double sens

Le titre du best-seller de l’année 2010 (Indignez vous ! de Stéphane Hessel) est paradoxal. On s’est étonné qu’un homme parvenu à un tel âge prodigue des leçons de révolte ; en réalité, le mystère est d’abord grammatical : peut-on conjuguer la colère à l’impératif ? Parler de l’indignation comme d’un devoir, c’est oublier qu’il s’agit d’une passion et que l’on ne commande pas aux sentiments comme aux pensées. Exiger d’une personne qu’elle s’indigne apparaît aussi peu censé que de l’obliger à aimer ce qu’elle avait tenu jusqu’ici pour insignifiant.

Pourtant, d’Athènes à Madrid, c’est sous la bannière de l’«indignation» que les manifestants se sont regroupés. Que les Indignés aient investi des places publiques démontre _ au moins par l’exemple _ qu’il existe entre la politique et certains sentiments un rapport privilégié. L’indignation ne se commande pas, mais une révolution ne se décrète pas non plus, elle advient à la manière d’un événement imprévisible. Les Indignés ont montré que cet événement révolutionnaire, même lorsqu’il ne se déploie pas jusqu’à son terme, a d’abord lieu dans les consciences.

Pour que l’inédit devienne possible, il faut que le monde tel qu’il va apparaisse intolérable. Or, l’indignation est une passion morale : elle saisit sur un mode affectif la différence entre ce qui est _ selon l’ordre du fait _ et ce qui devrait être _ selon l’ordre du droit. C’est là sa supériorité sur la raison dont la tendance _ la pente native _ consiste à tout expliquer _ c’est-à-dire justifier _ : les plans d’austérité par le poids de la dette, les licenciements par les exigences de compétitivité ou les politiques sécuritaires par les risques terroristes. Les peuples s’indignent lorsque ces raisons _ alléguées _ ne suffisent plus à convaincre. Dès lors, ce n’est pas seulement la psychologie des hommes qui change, mais leur perception _ factuelle, hic et nunc _ du monde. Les excès _ = abus _ du pouvoir apparaissent _ enfin _ en plein jour et les appels à se montrer «raisonnables» sont perçus _ alors _ comme des provocations cyniques _ intolérables.

L’indignation est une manière nouvelle de regarder _ et juger _ le réel. Ceux qui éprouvent cette passion ne voient pas toujours _ au-delà de l’appréciation _ ce qu’il faudrait faire _ pratiquement _, ils perçoivent en revanche très clairement ce qui ne peut plus _ de droit _ durer. Rien de surprenant, puisqu’on entre dans le problème de la justice à partir de l’expérience _ ressentie, éprouvée _ de l’injustice. On a raison de faire de l’indignation le point de départ de la résistance : les indignés se retrouvent, sans le vouloir, dans le camp des adversaires de l’ordre établi.

Loin de tout lyrisme révolutionnaire, l’indignation constitue un critère négatif pour l’action publique _ étatique. Comme l’écrit Spinoza : «N’appartiennent pas au droit politique _ = sont illégitimes _ les mesures qui soulèvent l’indignation générale.» Rien ne permet de dire qu’une mesure politique est juste _ = légitime _ parce qu’elle est voulue par la majorité _ légale. En revanche, une loi qui suscite la réprobation de tous _ soit, le peuple ! _ est nécessairement _ le peuple étant (en droit) souverain ! _ injuste _ illégitime ! On peut _ de fait _ gouverner par la crainte ou par l’espérance _ ou encore avec l’apathie des gouvernés _, pas en transformant le peuple en une armée _ soulevée _ d’indignés _ nous en avons un exemple aujourd’hui en Syrie…

L’indignation est une passion pour notre temps. Elle correspond à une époque qui ne croit plus dans les utopies positives _ de modèles d’État-société à construire : cf Ernst Bloch, Le Principe-Espérance ; ou Cornelius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société _, mais est encore _ pour longtemps ? _ capable de se montrer sensible aux injustices les plus criantes _ quand celles-ci arrivent à être encore ressenties… Dans des démocraties désenchantées et en crise, il est devenu difficile de communier _ dynamiquement _ autour de valeurs positives. Faute d’«avenir radieux», il nous reste la certitude _ encore révoltante _ que le présent est inacceptable.

Si l’indignation désigne le sentiment d’une dignité _ voilà le terme crucial : cf Kant : les Fondements de la métaphysique des mœurs _ perdue et à reconquérir, elle demeure pourtant une passion triste _ non tournée vers l’accomplissement d’un épanouissement, selon Spinoza. Détournée de son sens _ de rétablissement de la justice contre l’injustice factuelle éprouvée et avérée _, elle mène au lynchage autant qu’à la révolution. Aux deux, parfois. On _ le quotidien (répété) de la majorité des médias à l’appui de certains pouvoirs qui y cherchent une justification _ nous somme de nous indigner devant les faits divers _ dont l’avènement médiatique fut celui de la presse du XIXe siècle _ plutôt que _ voilà l’opération de détournement _ devant les injustices collectives, au risque d’entrer dans une recherche _ de mentalité magique _ du bouc émissaire. «Indignez-vous !», c’est aussi le discours des politiciens sans scrupule qui présentent _ comme le torero au taureau la muleta _ le port de la burqa ou les fraudes aux minima sociaux comme les véritables objets du scandale _ et pas les détournements de fonds à grande échelle (surtout très opportunément légalisés ; et inscrits durablement dans les mœurs). Le citoyen d’aujourd’hui est invité quotidiennement à la révolte, mais à condition que celle-ci demeure particulière _ et pas générale, ni universelle _ pulsionnelle _ seulement _, donc antipolitique _ et sans amplitude d’effets.

La politique commence lorsque les individus sont en mesure de hiérarchiser _ en valeur _ leurs amertumes et de transformer leurs passions tristes en occasions de créer _ dynamiquement et constructivement. Pour que l’indignation devienne une passion politique, il faut donc qu’elle se distingue des petites colères du quotidien qui isolent _ voilà : chacun pour soi ; et pas de Dieu pour personne _ l’individu en le condamnant au ressentiment _ cf l’analyse qu’en fait Nietzsche _ et à la défense de ses intérêts privés. A l’inverse, l’indignation _ un sentiment de l’ordre du droit _ possède un potentiel politique parce que, ainsi que Spinoza la définit, elle désigne l’exaspération éprouvée pour _ c’est-à-dire contre _ celui qui fait du mal à un «être semblable à nous». On ne s’indigne pas du tort qui nous est fait personnellement, mais de celui qui est imposé à nos semblables _ éprouvés comme faisant partie de la catégorie d’« autrui« , en sa dignité (universelle) de « personne«  C’est seulement à ce moment que les autres cessent d’être des concurrents pour devenir des alliés _ stratégiques _ potentiels _ dans la logique utilitariste (proliférante depuis Adam Smith).

Il est donc crucial de distinguer l’indignation spontanée de la colère artificielle. La première éclaire les peuples alors que la seconde rameute les foules _ habilement (lire ici Machiavel) instrumentalisées. Autant le scandale médiatique nous fixe sur le particulier (un crime, un exemple de corruption, le comportement privé d’un homme public), autant l’indignation collective permet de saisir le général _ ou plutôt l’universel _ dans le singulier. Cette passion opère lorsque les dérives de la finance ou encore la dureté des lois sur l’immigration deviennent visibles dans la précarité d’une existence _ malmenée un peu trop visiblement. L’indignation donne corps _ via l’imageance _ aux abstractions : plutôt que de vitupérer contre les agences de notations, elle s’émeut d’un monde qui leur accorde _ au quotidien durablement institué par les habitudes installées : une seconde nature ! _ un tel pouvoir.

Sur la Porta _ Puerta, madrilène ; et non milanaise, ou romaine _ del Sol, les Indignés sont parvenus momentanément à passer de la solitude au commun _ en route vers un « peuple » ?.. Certes, l’indignation fonde une communauté de la souffrance et non une communauté de l’espérance. Mais ce «pâtir ensemble» est le préalable _ voilà _ de toute action politique sérieuse, de tout «agir ensemble» _ pour passer de l’éthique au politique… Les revendications concrètes et l’exigence de justice émergent à partir de la certitude _ cruciale _ d’appartenir au même monde _ condition d’une vraie démocratie ; à rebours des fascismes méprisants qui ont ces derniers temps le vent (mauvais) en poupe… Contre la vision _ ultra- _ libérale de la liberté _ comme licence de suivre ses pulsions : à la Calliclès, dans Gorgias de Platon _, les Indignés font l’expérience de ce que la liberté des uns commence _ voilà : c’est une construction collective pratique (forte et fragile à la fois) : elle a ses avancées et ses reculs ; rien n’est acquis ; la régression de la barbarie menace ! _ là où commence, et non pas là où s’arrête, celle des autres _ à suivre !


Michaêl Foessel

Avec les commentaires (redondants)

de Titus Curiosus en vert

Titus Curiosus, le 8 août 2011

 

 

 

Ce que j’apprends d’un blog (2) : confirmation qu’il commence enfin (!) à se dire que le roi (d' »Art ») est nu

29nov

Ce que j’apprends d’un blog (2) :

confirmation qu’il commence enfin à se dire que le roi (d' »Art ») est nu ! Cette fois-ci, il ne s’agit pas tout à fait d’un blog, mais d’une « libre opinion », exprimée, en tant que (simple) « point de vue » sur une page du Monde, et signée d’un (simple) professeur : « agrégé, plasticien et conférencier en histoire de l’art (Ecole normale supérieure-prépa HEC)« .

Ce qui change aussi, ici encore

_ je veux dire sur le site (Internet) d’un journal tel que Le Monde _,

ce sont les réponses des (« simples ») lecteurs _ même « abonnés du Monde »… _, qui commencent à oser « répondre », et autrement que par quelques « clichés » (populistes), à quelque solennelle intimidante tribune de l' »anti-conformisme » ayant « pignon sur rue » _ et « accès aux media…

D’abord, je me permettrai de citer mes propres articles de cet été, sur ce même blog-ci _ les 10 & 12 septembre _, consacrés à la brillante (de strass) expo Koons à Versailles :

_ « De Ben à l' »atelier Cézanne » à Aix, à Jeff Koons chez Louis XIV à Versailles« , le 10 septembre ;

_ « Decorum bluffant à Versailles : le miroir-aux alouettes du bling-bling« , le 12 septembre…

Conformément à ma méthode _ pas nécessairement aisée à déchiffrer, faute de telles habitudes de « mises en dialogue » _,

je me permettrai de truffer l’article de mes « commentaires » (plutôt amicaux)…

Point de vue :

Art contemporain, le triomphe des cyniques,

par Olivier Jullien

LE MONDE | 26.11.08 | 13h31  •  Mis à jour le 26.11.08 | 13h31

Jeff Koons trône au château de Versailles et en permanence _ la « durée », en effet, importe, « compte » en ces « affaires » : elle impose, au moins, l’ersatz d’autorité de l’habitude, sinon plus « haut » « fondement » _ à l’entrée de la Fondation Guggenheim de Bilbao comme au Palazzo Grazzi à Venise. Damien Hirst lui tient compagnie dans ce même palais à Venise et partout. Jan Fabre triomphe au Musée du Louvre, éléphant suspendu dans les galeries de Fontainebleau, voiture de course en marbre dans les jardins du même château. La grosse langue autrefois transgressive des Rolling Stones est tracée _ vivent les « marques » ! cf là-dessus le travail de Naomi Klein, in « No logo _ la tyrannie des marques« , en janvier 2000 (et paru en traduction française aux Editions Actes-Sud en juin 2002) _ dans les jardins du château de Chambord…

Les châteaux et les palais seraient-ils pris d’assaut par des œuvres plébéiennes ? Certains discours voudraient faire croire _ ou le triomphe aggravé, ces deniers temps-ci, de Gorgias (et de la rhétorique) sur Socrate (et l’amour-désir de la la vérité et de la justice _ que « signifie » le vocable « philo-sophie« ) _ qu’il s’agirait de cela, de confronter un art vivant _ mieux encore que « moderne » : « contemporain » !!! « up-to-date », que diable !!! _ à des galeries poussiéreuses et endormies, des institutions conservatrices et des grandeurs passées ; que les réactionnaires seraient du côté des outragés, des frileux et grincheux, soucieux de préserver la noblesse _ tout juste « patrimoniale », à l’ère de la « fin des pères », cf ce qu’annonçait Alexandre Mitscherlich, dans les années 60, en son « Vers la société sans pères » (en 1963 ; la traduction française est parue en 1969)… _ de lieux de prestige.

Homard, lapin, en forme de ballons gonflables réalisés en aluminium, toutou gigantesque garni de fleurs, comme un mauvais « rond-point » de triste « carrefour » pour Jeff Koons. Crâne gigantesque en seaux à champagne accumulés devant le Palazzo Grazzi, moulage d’un crâne humain incrusté de diamants d’une valeur de 74 millions d’euros, l’œuvre est la copie en platine d’un crâne du XVIIIe siècle parsemé de 8 601 diamants, dont l’origine a été vérifiée pour s’assurer qu’ils ne proviennent pas d’un marché de contrebande (on a la morale qu’on peut !).

Agneau recouvert d’or, citation pesante des primitifs flamands ; centaines de milliers de scarabées, urines, couteaux et sang pour Fabre, le bon à tout ; la provocation rusée garantie et la transgression spectaculaire _ comment régner sans jeux, sans spectacles, sans fêtes ? (cf ici les pistes offertes par Guy Debord : « La société du spectacle » ; ou Philippe Muray : « Festivus festivus » ; ni transgressions (cf Georges Bataille : « La Part maudite« ) ; surtout un tant soit peu « canalisées »…  _ et outrée comme système, inaugurée par la reine de Belgique ! Si Fabre est ébouriffant et même parfois pertinent et drôle, quel est réellement le propos de l’installer princièrement au Louvre ? Comment penser raisonnablement qu’un artiste _ à préciser… _ soit en mesure de dialoguer avec des siècles d’histoire et de pensée comme de pratiques complexes ?

On voit que même Picasso, de toute sa vie, n’a établi que des liens assez pauvres avec ses maîtres, des couleurs standards de Formica des années 1950 et une approche virtuose et systématique, quoi qu’en disent les médias soumis _ pour raisons d’audibilité ? _ aux principes des expos spectaculaires. Sa pratique la plus géniale, le cubisme analytique, est absente de ces confrontations au passé, car cela se joue ailleurs _ ici alors _ ; et tant mieux.

Hélas !, peu d’articles critiques et peu d’auteurs _ pas même sociologues ?… _ pour chercher à décoder cette inflation de moyens comme les principes de quantité et du spectaculaire. De même, déplorons la complaisance des « Conservateurs » _ en titre ! _ des lieux, qui ouvrent leurs palais à des faiseurs, quand ils ont le soutien des grands argentiers, Pinault par exemple.

Pourtant le message est clair. Quelques représentants omniprésents d’un art dit « contemporain » _ vivent le nominalisme ; et la tautologie : sur ce dernier point, cf le très vivifiant travail d’Alain Roger « Bréviaire de la bêtise » !.. (paru en février dernier) _ sont tous, sans exception, les nouveaux artistes pompiers et académiciens bourgeois, la naïveté en moins _ sachant en imposer en épatant avec un alliage bien efficace de puissance et componction !.. De nombreux artistes contemporains vivants et créatifs utilisent aussi l’installation, la monumentalité, et parfois les références au luxe. Il y a des innovateurs dans des domaines variés et des sculpteurs pleins d’intelligence et d’humour. Certains proposent des œuvres complexes et déroutantes, mais avec un grand humour et des bricolages inventifs.

Quelques-uns encore continuent discrètement à recouvrir des surfaces par des moyens de leurs choix ; si Dubuffet et Reyberolle sont morts dans un silence assourdissant _ des media _, il existe encore des peintres _ ou « derniers des Mohicans » ?.. _, mais je gage qu’une personne sur mille, y compris dans un milieu éclairé de classe moyenne cultivée, soit capable de nommer trois artistes peintres, contemporains de 40 à 60 ans ! Même Garouste, Blais, Cognée, Favier pour ne citer qu’eux, sont inconnus, sans parler de plus âgés, comme Fromanger, Hucleux, Télémaque, Titus-Carmel… ; et je ne cite ici que ceux résidant en France.

Pendant ce temps, tous les lieux sont envahis et réellement colonisés par des productions spectaculaires, arrogantes, réalisées dans une débauche de moyens _ facteurs d’autorité du fait ; quand manquent, ou ne sont guère audibles les instances d’appréciation du « droit de l’Art » : au moins les pairs ; mais qui les connaît ? consulte ? ou écoute ?) _, installées dans les boudoirs et les salons _ de Palais ; ou de méga-Musées _, signes non pas d’une vieille aristocratie cultivée, mais de palais dorénavant squattés _ « squatt » : voilà le terme chirurgical qui analyse le fond du dispositif (de grandiose imposture !) _ par les parvenus les plus arrogants, qui, par des fortunes et des situations conquises par la fréquentation _ et occupation prolongée, tel le droit de l’occupant que nul ne vient remplacer : on s’y fait… ; il devient « partie intégrante » du « décor » _ des milieux du pouvoir, s’en arrogent l’usage.

Ces nouveaux maîtres des lieux _ par l’argent, la fortune, ou par l’élection populaire _ s’appuient justement sur des productions artistiques absconses pour décourager quiconque de s’identifier et de se les approprier. Le peuple se sent exclu de ces allées de châteaux (est-ce l’objectif ? _ oui : d’un côté de la « rampe », ou de « l’écran », ceux qui font ; et qu’on regarde ; de l’autre, le public, cantonné à regarder rien que ce qui lui est montré) qui doivent rester des allées de pouvoir. Paradoxalement, on l’y invite _ à « voir », vite et de pas trop près ; et sans toucher _ par le tapage médiatique, la provocation et le spectaculaire, mais pour l’en exclure quant à la saisie des enjeux _ il (le peuple !) tourne autour (un peu et vite : cela ne demande ni d’être détaillé, ni d’être contemplé), impressionné surtout, comme face au gigantisme (écrasant) des Pyramides ! Quant aux « objets », ils ont le goût amusant, pour certains, de la dérision ludique du nihilisme…

Les crânes de Hirst, les voitures de sport en marbre, les gigantesques babioles de Koons, ont un sens clair et précis, celui de l’arrogance de classe _ certes ! Perversité : ce sont des messages de même nature _ of course ! _ que ceux du président, au Fouquet’s, sur son yacht ou dans les piscines que lui prêtent ses commanditaires, où la vulgarité se drape dans le luxe pour amadouer _ anesthésier (cf le très remarquable « La démocratie immunitaire«  d’Alain Brossat, à La Dispute, en septembre 2003) ; autant que séduire et complaire, avec et par l’épate et le rire (méchant) de connivence : cf les comiques engagés dans ces palais du pouvoir… : jusqu’au Vatican ! (cf ici Olivier Mongin : « De quoi rions-nous ? notre société et ses comiques » _ ce qu’ils pensent être le peuple, lui intimant par là de se taire, de fuir ces lieux la tête basse, puisque leurs nouveaux maîtres possèdent et dominent leurs références _ cf mes articles de septembre sur les dispositifs à l’égard du « peuple » au XVIIème siècle (Louis XIV d’après son parrain « baroque romain » Mazarin !)… L’idée est la même, quand Nicolas Sarkozy entraîne Bigard et Johnny, comme Clavier, pour s’approprier ce qu’il croit être la « culture populaire » ; de même, crânes, bagnoles, petits chiens, jouets, vulgarité, sont sans doute les stéréotypes, les clichés que se font des classes populaires les faiseurs contemporains.

Ce kitsch _ parfaitement : et son « triomphe » même ! _ se réfère donc pour parfaire son arrogance provocatrice à certains codes habituels des quelques signifiants des classes populaires, les « nains de jardin » et les « toutous », les objets en ballons gonflables, les méchants canevas de mercerie, les crânes, des tatouages de bidasse, la bagnole de sport, le porno (Koons et la Cicciolina), la culture pop bon marché (la langue des Rolling Stones _ rachetée récemment comme logo…).

Manière de se gausser du mauvais goût des classes dominées, manière de s’approprier leurs icônes _ étrangères à l’Art ; idéologiques seulement _ pour les abrutir _ ah ! _ encore plus et se les soumettre en les passant à la moulinette de la monumentalité et du luxe _ bravo ! _, ce que « eux » ne pourront jamais se payer, même pour valoriser leurs propres signes _ d’appartenance sociale. Il s’agit d’établir la frontière, le mur _ la rampe et l’écran, en matière de « spectacle » ; les barrières mobiles, en matière d’organisation de la circulation sur la voie publique  _, entre des mondes, destinés à ne plus se rencontrer _ rien à toucher. L’esprit, la connaissance, le goût, la sensibilité, la culture et les références n’ont plus cours dans ces œuvres _ nihilistes _ de pouvoir _ loin, loin du « Partage du sensible«  dont a le souci un Jacques Rancière. Le signe de reconnaissance est le postmodernisme luxueux _ la richesse (d’où émane un tel luxe) ne pouvant que « faire (et si aisément !) sens »… Il faudrait maintenant, en manière d’art, prendre son parti que, là aussi, il n’y a plus de sens à chercher _ ou le « nihilisme » ! _, plus d' »évolution » _ d’aventure du « génie », préfèrerais-je _, ni d’esprit de sérieux ou d’enthousiasme, ni de quête, ni d’idéal, ni bien sûr d’émotion au pays du cynisme roi _ jolie formule ! le seul jeu étant celui, social, du pouvoir : et malheur aux vaincus !..

Art de gamins blasés et de bébés rassasiés, d’enfances gâtées _ infantiles et infantilisées. Surcharges pondérales _ et c’est peu dire _ du goût. Insulte délibérée de classe, ces _ pseudo _ artistes sont complices. La complicité va encore plus loin, quand l’architecture et les institutions s’en mêlent, faisant fleurir des fondations et des musées luxueux, audacieux et architecturalement bavards, comme le Musée d’Orsay en avait montré le chemin, aux missions obscures _ toujours pyramidalement en imposer !!!

Même à Beaubourg, architecture cohérente, démocratique et lisible, qui à l’origine, en tant que musée, devait abriter, sélectionner et proposer à l’esprit des collections permanentes, permettant de réfléchir, comparer, prendre du recul, évaluer et enfin penser notre époque, c’est le tourbillon spectaculaire _ circulez ! _ des collections et des œuvres, comme au Palais de Tokyo et dans tous les musées contemporains. Même au Havre, où il est dorénavant impossible de voir des Dubuffet, constamment remplacés par des gloires éphémères _ « tout passe, tout casse, tout lasse » : ou le turn-over des gondoles de « marchandises » des modes…

Ne parlons pas des machines à monumentalité et à spectacle des grandes fondations et des musées récents dont personne n’est en mesure de dire ce qu’elles abritent, le Musée Guggenheim de Bilbao en étant le plus flagrant _ on l’a « vu » : on ne pouvait pas le manquer ; non plus que l’oublier… _  modèle. Le bilan est celui d’une époque qui ne se donne plus les moyens de réfléchir, de penser, de comparer, de prendre du recul, de voir, revoir et assimiler ; mort des musées _ et de l’« Homo spectator » de Marie-José Mondzain…

Je ne dis pas ici que les grands bourgeois aient forcément mauvais goût, les fondations, Gulbenkian de Lisbonne et Thyssen de Madrid, Saatchi à Londres, entre autres _ ou les grandes collections américaines, telle, parmi bien d’autres, la collection Frick, fondée par Henri Clay Frick (1849-1919), à New-York _, le montrent, à l’évidence, mais de même qu’un capitalisme financier repose de plus en plus sur des bulles spéculatives et des valeurs virtuelles _ on voit ce qu’elles deviennent, quand elles n’ont rien « anticipé » pour se « solidifier » un peu mieux… _, une esthétique, un art de la spéculation, de l’artifice et de l’excès _ du faux _ voient le jour _ et prospèrent.

Je dirai deux mots de ce qui me motive : enseignant et conférencier en arts plastiques et culture artistique, artiste modeste et sincère, connaissant des dizaines de compagnons et compagnes d’anonymat, comme des centaines de jeunes créateurs, destinés à former les futurs acteurs de l’art contemporain, je suis scandalisé par l’arrogance de certaines postures et de la place significative qui leur est accordée _ au sein des jeux de pouvoir socio-économico-idéologico-politiques _, je suis atterré par l’absence totale de réactions _ ou d' »offensives » ; de pas mal, au moins (sinon tous) _ des sociologues, des penseurs, des critiques, des journalistes _ existe au moins un inlassable et inintimidable Jean Clair ! _, et certainement frustré, comme des milliers d’artistes de tous horizons des inégalités _ pis encore : injustices _ de traitement médiatique et marchand _ mais une justice est-elle ici à entendre de tels « spéculateurs » ? D’où vient la « juste » reconnaissance ? D’autres que de pairs ?.. De « regardeurs » (et acheteurs, collectionneurs) mieux lucides ?


Olivier Jullien est agrégé, plasticien et conférencier en histoire de l’art (Ecole normale supérieure-prépa HEC)…Quand la « croyance » en « les habits neufs » du roi cesse, bien des règnes _ et jusqu’à des empires _ s’écroulent tout soudain… Une vraie confiance paraît, elle, se mériter mieux, et autrement, que selon les modes d’emploi pressés _ how to… en 80 leçons _ de ces manipulateurs d’illusions : en Art, en finances, comme en pouvoir politique… L’Art est objet d’amour profond et d’infinie passion, seulement ; pas de modes (changeantes autant qu’éphémères)… Et d’une vraie et durable pratique d’œuvres : qui demande une réelle disposition du temps, pour s’y livrer… Rien qui obéisse au caprice ; et au doigt et à l’œil… Sub specie æternitatis, en vérité (et en réalité), seulement…
…Cette prise de position _ d’Olivier Jullien _  n’est certes pas parfaite ; et présente _ un peu naïvement _ quelques défauts de cuirasse _ qu’on identifiera en parcourant les « réactions » de quelques lecteurs-commentateurs de l’article du Monde _, contre les dangers desquels, déjà, un fin politique tel que Disraëli aurait prévenu : « never explain, never complain« … Mais elle a le mérite minimal de mettre avec courage en lumière le degré insupportable d’outrecuidance d’impostures en matière de fondement des valeurs, de croyance (entre crédulité niaise et confiance fondée) ; en Art aussi.

Et l’Art n’est pas le pire terrain pour se former le jugement (de goût esthétique), en dépit _ et précisément à cause !!! _ de l’absence de critères quantitatifs (faciles à « suivre »)… Les malheurs des spéculations de « marché » _ et cette « heure » même de « crise » ! qui risque de durer… _ pouvant (?) re-mettre un peu (peut-être fais-je , à mon tour, preuve ici de naïveté ?) les « pendules » à l’heure : car, en Art, règne _ et très implacablement ! _ le souci de la justesse ; pour l’artiste, au premier chef, forcément ; et son « génie » créateur _ tel un Cézanne sans cesse « cherchant » ; pour les amoureux des œuvres, ensuite ; au premier rang desquels des acheteurs (et bientôt collectionneurs) saisis par l’enthousiasme des (très hautes) exigences des valeurs _ sans équivalence : d’où le « sans prix » (ou « folie », même) de leur admiration ! _ d’Art…

Que, fuyant le suicidaire miroir-aux-alouettes collectif du bling-bling, on en (re-)vienne un peu plus au vrai risque du courage et de la sagesse d’un tel mieux « juger », afin d’un peu mieux,

et « nous faire conduire », ensemble ;

et, chacun, « se conduire », soi..

En cela, le jugement esthétique de goût artistique peut être un paradigme d’honnêteté du goût,

et pour le jugement (de goût) politique démocratique,

et pour le jugement (de goût) éthique existentiel :

apprendre à mieux juger…


Titus Curiosus, ce 27 novembre 2008

Post-scriptum :

avec une sélection de réponses _ au moins significatives (au-delà de la diversité de leur qualité) _ de lecteurs-abonnés du Monde :

ROBERT C.
28.11.08 | 10h41
Ouf ! Merci Olivier Jullien. Koons, c’est le triomphe du fric et du pouvoir. Le stade Dubaï de l’Art. Il faudra trouver un mot plus fort que « snob », ou « cynique », pour décrire cet « Art » qui n’est qu’un attrape-gogo fortuné. En ce sens, ce ne serait pas grave (qu’ils payent !) ; mais hélas cette chose occupe et occulte la scène culturelle. Car ce n’est pas seulement du mauvais goût, mais un manifeste : « Mort aux pauvres ! »

la huronne
27.11.08 | 19h19
Les « instances » publiques qui proclamant que l’idée dans l’art est plus importante que l’œuvre, et montrent des homards, des veaux en gelée, font qu’une fois de plus le pékin se dit que les artistes sont décidément des farceurs ; qu’ils sont là pour causer des sensations et faire rire le bourgeois ! on ne le choque plus, le bourgeois ; et l’Art, il s’en fout.

Juliannes
27.11.08 | 19h17
L’Art contemporain est une énorme escroquerie. Ce sont des artistes du vide. Quel est leur message ? Rien. On ne devrait même pas parler d’eux.

CHARLES B.
27.11.08 | 18h24
Excellent. Comme ça fait plaisir de lire ça ! Enfin quelqu’un d’assez courageux pour dire que le roi est nu…

nicolas f.
27.11.08 | 15h44
Quelqu’un qui signe « artiste modeste et sincère« , ça fait vraiment peur ! Depuis quand juge-t-on les artistes sur leur sincérité ou leur modestie ? Mozart était-il sincère et modeste ? Charles Le Brun, le peintre de Louis XIV, était déjà un sacré opportuniste, et je crois qu’ils ont vraiment eu raison de lui associer Jeff Koons. Marre d’entendre les mêmes bêtises sur l’Art. L’Art, c’est vivant ! Si vous voulez juste adorer et vous prosterner, il faut aller à l’église, pas au musée…

Thomas Lévy Lasne
27.11.08 | 14h42
Si les « bons » artistes ne sont pas plus présents sur la scène nationale, n’est-ce pas aussi parce qu’au lieu de se regrouper, s’organiser, se créer un public, ils font la queue individuellement des FRAC, DRAC, institutions, en espérant y être, tout en jouant le jeu de la féroce concurrence ? Dire qu’il n’y a pas de bons critiques en France, c’est faux (le très consolant Olivier Céna, le très systémique Yves Michaud, le très philosophe Alain Chareyre-Méjan, le très jouisseur Hector Obalk…)

Thomas Lévy Lasne
27.11.08 | 14h40
Puisqu’il faut faire court (obligation du site) : Pierre Auguste Renoir _ dont je ne suis pas fan _ disait « qu’il ne pouvait pas y avoir de bons artistes si il n’y avait pas de bons amateurs d’art« . Son « Koons » à lui s’appelait Bonnat. Il passait beaucoup de son temps à éduquer le goût des amateurs. Sa réaction face aux institutions d’État, ce fut d’abord de se regrouper avec d’autres artistes pour créer le Salon des Impressionnistes (avec Pissarro, Monet et Degas). Pourquoi jouer encore le jeu ?

MAURICE M.
27.11.08 | 13h50
De quoi parle-t-on quand on parle d’Art aujourd’hui ? Qu’en sait-on ? Qui en a entendu parler ? En tout cas ni à l’école, ni au lycée, ni par les récents ou actuels « Ministres de la Culture » (il paraît qu’il y en a au gouvernement), ni par les media fascinés par le gigantisme, le sensationnel, le « jamais vu » ? Vous avez dit « Art » ? Disons plutôt « mauvais goût généralisé« , « kitsch universel« , « fric« , « bulle financière » et, effectivement, « triomphe des cyniques » ! Au secours, Malraux !

vincent s.
27.11.08 | 13h15
Ce que M. Jullien voit dans les œuvres de ces artistes dévoile un esprit ombrageux. Le verbe est amer et ne dénote qu’une vive réaction à l’époque. Réduire l’Art contemporain à une guéguerre entre le soldat Koons et le soldat Garouste n’est la preuve que d’une absence totale de goût. On n’affirme rien, on crache. L’Art d’aujourd’hui est plus riche et mérite mieux qu’une énième élucubration de peintre maudit. Combien de temps encore allons-nous être emmerdé avec ces débats du siècle passé ?!

Lunettes
27.11.08 | 12h28
Ah, le beau discours ! Dénoncer le complot des financiers et des snobs, démontrer que l’Art contemporain n’est qu’esbroufe et manipulation : quel succès vous aurez auprès du bon peuple. D’ailleurs, tous les commentaires renchérissent sur votre propos. Il faut arriver à la signature pour comprendre : un plasticien aigri qui n’expose nulle part, un prof qui détourne les élites intellectuelles (ENS) vers le commerce (HEC), qui dit des stupidités poujadistes sur Picasso et qui écrit « Grazzi« .

Patricia G.
27.11.08 | 12h18
MERCI !!!!!!!!!!!!!

Mais j’erre.
27.11.08 | 11h53
Versailles et Koons, la rencontre peut néanmoins être intéressante. Un art à la botte du monarque absolu, doré et prétentieux à souhait, contre un art qui pratique l’humour, la dérision, l’éphémère, le scandale. Si Versailles s’en sort mieux, c’est qu’on est peut-être vampirisé par Louis le 14°. Au fait, Louis, c’était pas ce type maquillé et perruqué, avec plein de nœud-nœuds partout, avançant une jambe provoquante, quillé sur ses hauts talons. Quel mauvais goût !

Chiara R.
27.11.08 | 09h39
Très bien. Mais le palazzo, c’est Grassi, veuillez corriger s’il vous plaît ! Aussi, au lieu de dénoncer les nouveaux pompiers, et en parler encore et toujours, il serait temps peut-être maintenant de les ignorer, pour laisser la place, dans les médias, dans les musées, dans les lieux d’expositions, aux artistes. Ceux qui font leur œuvre comme on fait une résistance.

Marc D.
27.11.08 | 09h38
Bravo! oui, un certain Art comtemporain est bien le pompiérisme de nos jours, un art de parvenus. Les riches fin XIXe recherchaient la respectabilité pompeuse ; nos riches font dans le bing-bling. Tout cela repose sur une fantastique spéculation financière (une autre bulle !). Exposer dans des musées nationaux est une publicité qui ne peut qu’augmenter la cote des « artistes »-spéculateurs. Espérons au moins que la RMN participe à la plus-value…

jojo+
27.11.08 | 08h45
Le plus grave est le mépris du public que cela révèle : on va visiter Versailles pour faire connaître Louis XIV à ses enfants ; et on vous fout Koons devant pour qu’ils n’y comprennent rien ! Cette rage de l’ « élite » contre les simples gens est véritablement répugnante.

Rodolphe I.
27.11.08 | 01h46
Picasso est fascinant, justement pour avoir réussi _ lui _ à faire réellement de l’Art avec des moyens pauvres. Mais tous ces autres !… qui épatent le bourgeois (et rien que lui), et les critiques terrorisés à l’idée de passer pour de vieux cons. Tout ça relève du terrorisme intellectuel. La bêtise a de l’avenir. Comme toujours. Je suis un fou de peinture. Mais j’ai des exigences moins puériles que Pinault. Libre, lui ? Parce que la richesse est une preuve de goût ? Il le croit probablement.

Catherine M.
26.11.08 | 22h42
Un réseau d’acteurs (du monde de l’Art) liguent leurs intérêts pour faire monter la cote d’un artiste, ils récupèrent ensuite pour leur propre compte les bénéfices (symboliques, financiers, etc….) de l’opération. La plupart des « événements » de l’Art contemporain sont obtenus par consentement du spectateur. Celui qui se rebelle est viré du système. La plupart des « événements » de l’Art contemporain sont obtenus par « fabrique du consentement » des spectateurs, c’est de la pure com’.

Artiste Lambda
26.11.08 | 21h44
D’accord à 97 % avec votre constat : juste 3 petits bémols sur la confrontation de Picasso aux maîtres anciens, Orsay et Bilbao : critiquables certes, mais ne pas jeter les bébés avec l’eau du bain…

noelle b.
26.11.08 | 20h30
Merci, il fallait que cela soit aussi bien dit. Je communique votre article à mes amis »galeristes » et collectionneurs qui s’ébaudissent devant ce mauvais goût…

@ EtLaMusiqueDonc
26.11.08 | 20h24
Que les ballons de Koons soient en acier plutôt qu’en alu, ne les rend pas plus beaux et ne rend pas plus intéressante la démarche soi-disant artistique de leur auteur. « Auteur » (entre guillemets) devrait-on dire, car sans les dizaines de graphistes et d’ingénieurs de son bureau d’études, on se demande ce que pourrait « créer » ce Koons chéri des nouveaux riches. Lesquels n’en ont rien à cirer de l’Art, qui pour eux est pure spéculation financière.

natacha
26.11.08 | 20h19
Avoir le courage de braver le complot des bien-pensants et des bureaucrates culturels pour dénoncer les foutaises de certains artistes-business avec leurs homards et autres, c’est plutôt rare. A la place de Fabre et de Koons, allez donc, puisque c’est encore ouvert, jusqu’à la fin de la semaine, visiter le Salon des Indépendants au Grand-Palais, pour découvrir qu’il existe encore une vraie création artistique, qui n’a rien à voir avec la « daube » qu’on nous impose à Versailles.

Plein des poches
26.11.08 | 18h38
Avec la crise, rien ne va plus ; et demain, ce sera encore pire. Les chefs-d’oeuvre de Pinault et consorts ne vaudront plus un clou. Dans le meilleur des cas, ils seront entassés dans des garages aux toits crevés, dans le pire, jetés à la décharge. C’est donc demain qu’il faut acheter pour pouvoir faire la culbute. Le marché de l’Art, c’est comme la Bourse, on peut gagner très gros ; et il n’existe aucune valeur objective. La seule réalité est la loi du marché.

Hum_Hum
26.11.08 | 17h25
Merci et bravo pour cet article.

Atchoum
26.11.08 | 17h06
C’est comme ça, les pompiers se font des millions, et les purs crèvent la faim. En ces temps de crise, je pense avec dégoût à toutes les centaines de millions prélevées sur les résultats des entreprises de MM Arnault et Pinault aux dépens de leurs employés et englouties dans des homards gonflables !

EtLaMusiqueDonc
26.11.08 | 16h27
Un critique qui utilise encore des clichés comme « silence assourdissant »… et qui ignore que les ballons de Koons sont en acier. C’est vrai, ça, tous ces farceurs qui ne savent même pas dessiner ! Ah, Madame, on parle de Picasso, maintenant, mais les prédécesseurs trouvaient Picasso épouvantable ! Et que dire de Duchamp ? D’ailleurs, c’est bien simple, on devrait interdire la foire de Bâle, et interner Gehry…

Mona
26.11.08 | 16h25
MERCI pour ce point de vue vivifiant ! Nous vivons une époque où plus que jamais les « monnayeurs » l’emportent sur les « créateurs », pour reprendre une distinction chère à Julien Gracq .

MARTINE D.
26.11.08 | 14h52
Vous avez dit « cynique« , et vous avez raison. Le musée Picasso a besoin d’argent pour payer les travaux. Seul intérêt que l’expo Grand Palais : quelques toiles « de maîtres » ; le reste : infâme. Rothko et Bacon à Londres, c’est autre chose. Turner était en voyage… Je n’ai pas les mêmes points de vue que Jean Clair, mais au moins il sait de quoi il parle.

ajax
26.11.08 | 13h56
Comme vous avez raison : mais le temps tranchera ; nous traversons dans l’Art l’équivalent de la bulle de la Bourse. Bientôt nous verrons un krach de cet art-baudruche.


thierry g.
26.11.08 | 13h56
On ne peut que partager ce sentiment quand on entend le porte-serviette de Pinault qui gère (présider !…hum ) Versailles dire que Koons a _ dans un galimatias digne d’une devanture de fleuriste branché _ posé le même problème que Le Nôtre et donné une réponse d’aujourd’hui à ce que faisait le Nôtre à Versailles ! On sait bien que sa formation de maitre-aux n’en fait pas un grand intellectuel, mais quand même ! à partir du moment où les bornes sont franchies, il n’y a pas de limite : D’ac, Duchamp ?



Lire chaque jour les pages du Monde _ d’El Pais, de La Repubblica, du New-York-Times, et quelques autres _ est riche de significations… Des paroles un peu moins « pré-vendues » accèdent à la possibilité de la lecture ; et du débat, grâce aux sites des journaux (et des blogs), sur Internet… Charge à chaque lecteur d’apprendre à s’y orienter, avec recherche de « justesse »… Le pire n’est pas chaque fois le plus sûr…

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