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S’entretenir d’interprétations de chefs d’oeuvre de la musique : l’oreille quasi parfaite de Jean-Charles Hoffelé en son Discophilia, à propos, ce matin, du merveilleux « Ravel Piano Concertos » d’Alexandre Tharaud et Louis Langrée, avec l’Orchestre National de France _ ou la chance de pouvoir dialoguer un peu, à la lecture, à défaut de vive voix, avec une telle oreille musicale…

16oct

Une confirmation du coup d’éclat éblouissant d’Alexandre Tharaud _ et Louis Langrée dirigeant l’Orchestre National de France : magnifiques, eux aussi… _ dans les deux merveilleux et profonds, par delà leur virtuosité, concertos pour piano et orchestre de Maurice Ravel, en le CD Erato 5054197660719 « Ravel Piano Concertos«  qui vient de paraître vendredi 13 octobre dernier,

avec, au réveil ce lundi matin 16 octobre, le très bel article « Les deux visages » de Jean-Charles Hoffelé _ à la si juste et honnête oreille ! _ sur son si précieux site Discophilia…

Une oreille juste

comme est aussi, tellement de confiance, elle aussi, celle de Vincent Dourthe, mon disquaire préféré ;

et c’est assurément bigrement précieux que de pouvoir s’entretenir un peu précisément et vraiment _ de vive voix, ou à défaut, seulement par dialogue silencieux à la seule lecture… _ avec de tels interlocuteurs sur leur perception ultra-fine, au microscope _ ou stéthoscope musical… _, des interprétations au disque des œuvres de la musique…

Et tout spécialement, bien sûr, à propos de chefs d’œuvre d’interprétations de chefs d’œuvre _ pourtant passablement courus de bien des interprètes, qui s’y affrontent, se confrontent à de tels Everests pour eux, les interprètes… _ de la musique ; comme ici ces deux somptueuses merveilles du somptueux merveilleux _ et hyper-pointilleux et exigeant déjà envers lui-même, à l’écritoire, jusqu’au supplice ! _ Maurice Ravel…

Et je renvoie ici à mon article d’avant-hier samedi 14 octobre :

 

« « …

LES DEUX VISAGES

Cette douleur dans l’assombrissement de l’Adagio assai _ voilà _ qui ira jusqu’au quasi cri _ voilà : Ravel, éminemment pudique, demeure toujours dans de la retenue… _ invite _ voilà _ dans le Concerto en sol l’univers si _ plus évidemment _ noir _ lui _ du Concerto pour la main gauche, et rappelle que les deux œuvres furent écrites _ très étroitement _ en regard _ en 1930-1931 _, et de la même encre _ absolument ! Beaucoup _ d’interprètes _ n’auront pas même perçu cette _ infra-sismique _ tension, jouant tout _ de ce concerto en sol _ dans la même ligne solaire ; Alexandre Tharaud, qui connaît son Ravel par âme, s’y souvient probablement de la vision qu’y convoquait _ en 1959Samson François _ oui : c’est en effet à lui, et à Vlado Perlemuter aussi, que, sur les remarques si fines et compétentes de mon disquaire préféré Vincent Dourthe, je me référais hier dimanche matin, en mon post-scriptum à mon article de la veille, samedi, « «  : références d’interprétations marquantes, s’il en est !  _ et ose ce glas qu’on n’entend jamais _ chez les autres interprètes de ce Concerto en sol.

Mais le Concerto en sol majeur est aussi dans ses moments Allegro cette folie _ oui _ d’un jazz en arc-en-ciel _ débridé, voilà : Ravel avait été très vivement marqué par ce qu’il avait pu percevoir de ce jazz lors de sa grande tournée récente aux États-Unis, du 4 janvier au 21 avril 1928… _ dont le pianiste ne fait qu’une bouchée, swing et échappées belles, toute une enivrante suractivité rythmique _ à la Bartok aussi, autant qu’à la Gershwin ; Maurice Ravel avait fait la connaissance de George Gershwin le 7 mars 1928, lors d’un repas organisé pour son anniversaire chez Eva Gauthier à New-York, ainsi que Ravel en témoigne à Nadia Boulanger en une lettre du lendemain 8 janvier (citée aux pages 1162-1163 de sa « Correspondance » éditée par Manuel Cornejo en 2018 : « The Biltmore New-York 8/3/28 Chère amie, voici un musicien doué des qualités les plus brillantes, les plus séduisantes, les plus profondes peut-être : George Gershwin« , et il ajoutait : « Son succès universel ne lui suffit plus : il vise plus haut. Il sait que pour cela les moyens lui manquent. En les lui apprenant, on peut l’écraser. Aurez-vous le courage, que je n’ose pas avoir, de prendre cette terrible responsabilité ? Je dois rentrer aux premiers jours de mai et irai vous entretenir à ce sujet. En attendant, trouvez ici l’expression de ma plus cordiale amitié. Maurice Ravel« ) _ que pimentent les bois du National menés avec une intense fantaisie _ voilà ! l’orchestre lui aussi brûle… _ par Louis Langrée.

Cet accord magique _ oui, oui, oui _ se renouvelle dans le Concerto pour Wittgenstein, mais dans des nuances de cauchemar _ à la ravelienne Scarbo _, le prestidigitateur s’y fait diable, artificier tragique _ Ravel avait traversé et vécu, comme infirmier, les affres de la Guerre mondiale... _ dont le théâtre est un champ de mines _ oui, qui déchire et découpe les corps, comme ici le bras droit de son commanditaire Paul Wittgenstein…  La guerre de tranchées _ qui fut donc aussi celle de Maurice Ravel _ est partout sous les doigts d’Alexandre Tharaud _ oui ! _, qui convoque _ fort justement _ des visions de charnier, fait tonner son clavier en fureur, rage des traits de mitraillette _ oui, oui, oui _, proposition fascinante _ et tellement juste ! _, suivie au cordeau par un orchestre fantasque _ oui _ aux proclamations démesurées _ oui : quel chef aussi est le magnifique Louis Langrée !

Le jazz s’invite ici aussi _ en effet, en ce concerto pour la main gauche _, mais déformé, amer, acide, osant la charge, le grotesque _ oui ; mais qu’on se souvienne aussi de la formidable viennoise ravelienne Valse de 1919-1920 !.. : une course à l’abîme… _, une parodie de Laideronette, impératrice des pagodes faisant diversion. Quel kaléidoscope ! _ voilà un trait éminemment ravélien… _, qu’Alexandre Tharaud fait tourner à toute vitesse _ telle sa propre viennoise Valse, créée le 12 décembre 1920… _ pour saisir cette folle course à l’abîme _ nous y voilà donc ! cf aussi, en sa course, le plus contenu et retenu, mais tout de même.., Bolero de 1928 _ et mieux suspendre les cadences où seul il élève son chant vers une voie lactée inquiète _ une des boussoles nocturnes de Maurice Ravel, sur son balcon en surplomb de la forêt et face à la nuit de Montfort-l’Amaury…

J’attendais _ moi aussi _ un couplage jazz, le Concerto de Gershwin comme réponse au jazz de Ravel _ certes _, mais non, ce seront les Nuits andalouses de Falla, sauvées de tant de ces lectures affadies qui les inféodent à un pâle debussysme _ voilà qui est fort bien perçu…

Alexandre Tharaud hausse leurs paysages fantasques _ oui _ à l’étiage de ceux _ fantasques eux aussi _ de Ravel, ardant leur con fuoco, tout duende, cambrant la gitane de la Danza lejana, implosant le feu d’artifices d’En los jardines de la Sierra de Córdoba dans l’orchestre flamboyant _ oui _ de Louis Langrée, faisant jeu égal avec les ardeurs osées par Alicia de Larrocha et Eduardo del Pueyo _ oui. Et c’est bien sûr qu’est très profond aussi le tropisme espagnol de Maurice Ravel… Ne serait-ce pas dans les jardins d’Aranjuez que se seraient rencontrés et fait connaissance ses parents, lors de leurs séjours madrilènes ?..

Quel disque ! _ voilà ! voilà ! _, splendidement saisi par les micros de Pierre Monteil _ et il faut en effet saluer aussi la splendide prise de son de cet éblouissant raveliennissime CD…

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)


Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, M. 83
Concerto pour piano et orchestre en ré majeur, M. 82 (Pour la main gauche)


Manuel de Falla (1876-1946)


Nuits dans les jardins d’Espagne

Alexandre Tharaud, piano
Orchestre National de France
Louis Langrée, direction

Un album du label Erato 5054197660719

Photo à la une : le pianiste Alexandre Tharaud –
Photo : © Jean-Baptiste Millotune _ _ 

Pouvoir dialoguer vraiment si peu que ce soit avec des mélomanes à l’oreille et au goût ultra-fins et ultra-exigeants, mais capables d’enthousiasmes vrais et sincères,

est plus que jamais indispensable,

eu égard à la solitude grandissante des individus que nous sommes devant la misère en expansion, le désert gagne _ cf mon « Oasis (versus désert) », in le « Dictionnaire amoureux de la librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 (celui-ci est paru aux Éditions Plon en octobre 2016) ; une contribution redonnée en mon article du 17 juin 2022 : « « , accessible ici.. _, de la plupart des médias _ le plus souvent très pragmatiquement vendus aux plus offrants… _, pour ne rien dire de pas mal des publics...

Car c’est ainsi qu’il arrive parfois un peu heureusement, telle une étape enfin rafraîchissante (et bien évidemment vitale) en une oasis verdoyante en la traversée assoiffante du désert si aride et si morne, que des œuvres de la civilisation _ ici musicale _ rencontrent un infra-minimal plus juste écho qui, en son petit retentissement, les prolonge, et surtout et aussi réanime leur flamme, en un partage irradiant de vraie joie…

Et écouter de telles interprétations de tels chefs d’œuvre de musique fait un immense bien…

Et ces tous derniers temps,

les grandes interprétations, majeures et magistrales, véritablement marquantes, qui ont vu le jour, cette année 2023,

_ celles de « L’Heure espagnole » et du « Bolero » par François-Xavier Roth et ses Siècles _ Harmonia Mundi HMM 905361 _,

_ celle du « Trio pour piano et violoncelle » de 1914 par le Linos Piano Trio _ CAvi-Music 8553526 _,

_ celles de l’intégrale de « L’Œuvre pour piano » du double album par Philippe Bianconi _ La Dolce Volta LDV109.0 _,

_ et maintenant celles du « Concerto en sol » et du « Concerto pour la main gauche » par Alexandre Tharaud, Louis Langrée et l’Orchestre National de France _ Erato 5054197660719 _,

toutes,

savent faire enfin entendre en toute sa clarté et fluidité, allègre, intense, tonique, la puissance incisive et au final impérieuse en son irradiante tendresse, jubilatoire, de Maurice Ravel compositeur…

Une force de plénitude absolument accomplie…

Ce lundi 16 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Julien Chauvin et son Concert de la Loge, décidément au sommet de l’Olympe avec leur éblouissant CD Vivaldi « Concerti per violino X Intorno a Pisendel » (Naïve OP 7546), après leur si merveilleux CD Mozart « simply Mozart » n°2 (Alpha 875)…

02nov

En nécessaire suite à mon dithyrambe du 22 octobre dernier « « 

pour le tout récent CD Mozart Alpha 875 de Julien Chauvin et son infiniment délié _ olympique ! _ Concert de la Loge,

voici ce 2 novembre un égal dithyrambe

pour le tout récent lui aussi CD Vivaldi Naïve OP 7546 « Concerti per Violino X Intorno a Pisendel  » de ce même Julien Chauvin et son Concert de La Loge,

en forme décidément supra-olympique, et pour un tout autre répertoire ;

et avec Julien Chauvin lui-même, éblouissant au violon…

Et Vivaldi et Mozart ont été rarement aussi bien servis _ et dépoussiérés d’encombrants oripeaux qui les alourdissaient _ au disque, avec une aussi suprême élégance, et autant de justesse de goût, et de sublimité de vie.

Ce mercredi 2 novembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

En une assez jolie promenade au pays du lied, « In meinem Lied », avec Helmut Deutsch et Sarah Traubel : à comparer au trésor bien heureusement conservé d’autres interprétations des mêmes oeuvres (ici de Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich-Wolfgang Korngold, Richard Strauss)…

13août

Le bien connu pianiste Helmut Deutsch, grand amoureux et praticien du lied,

vient de nous proposer

intitulé « In meinem Lied«  _ soit l’expression qui conclut le poème de Ruckert « Ich bin der Welt abhanden gekommen » du sublime lied de Gustav Malher, en ses « Ruckert Lieder » de 1902 _,

un très joli CD _ Aparté AP 288 _ comportant des Lieder de Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich Wolfgang Korngold et Richard Strauss,

nous donnant l’occasion de découvrir le timbre de voix _ et l’art, à la diction bien lisible _ de la soprano Sarah Traubel _ Helmut Deutsch faisant l’éloge de l’enthousiasme de Sarah Traubel, auquel il ne trouve de comparaison, page 21 du livret, qu’avec l’enthousiasme de Hermann Prey !.. _,

en un répertoire ou bien déjà très bien connu _ y compris en des CDs de Lieder avec Helmut Deutsch lui-même au piano _, ou bien pour beaucoup encore à découvrir…

Le pianiste Helmut Deutsch est en effet l’âme de ce CD « In meinem Lied » _ le CD Aparté AP 288 _,

dont il signe aussi la présentation en un entretien _ avec Thomas Voigt _ développé sur 5 pages du livret, intitulé « Certainement aussi une devise pour la vie« …

Et Helmut Deutsch de situer ce présent travail sur le Lied, en ce CD avec Sarah Traubel enregistré sous la direction artistique de Nicolas Bartholomée du 31 août au 4 septembre 2021 à Hohenems, en Autriche, au sein de sa très vaste discographie sur le Lied _ j’ai dénombré pas moins de 107 CDs _dont, à propos de ses enregistrements discographiques précédents des compositeurs interprétés ici, soient Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich-Wolfgang Korngold et Richard Strauss, Helmut Deutsch mentionne ses CDs de Lieder de Liszt avec Diana Damrau (« Liszt Lieder« , Virgin Classics LC 7873), en 2011 ; et Jonas Kaufmann (« Freudvoll und Leidvoll« , Sony Classical SK 19439892602) en 2021 ;

ainsi que ses CDs de Lieder de Korngold avec Angelika Kirschlager (« Debut Recital Recording« , Sony Classical SK 68344), en 1996 ; Dietrich Henschel (« E.W. Korngold Lieder« , Harmonia Mundi HMC 901780), en 2001 _ je possède ce CD _et Bo Skovhus (« Wolf -Korngold Einchendorff Lieder« , Sony Classical SK 57969), en 1993 ;

ainsi qu’il évoque, mais sans précisément les mentionner, ses deux CDs des « Quatre derniers Lieder » de Richard Strauss, avec Konrad Jarnot (« Richard Strauss« , Œhms Classics OC 518), en 2005 ; et Sumi Hwang (« Strauss Liszt Britten Songs« , Deutsche Grammophon DG 4818777), en 2019 ; deux CDs que charitablement il préfère ne pas nommer ici : « J’espère avoir fait mieux cette fois que dans mes précédents enregistrements, et je suis très reconnaissant à Sarah Traubel de m’avoir offert cette occasion« , se borne-t-il à déclarer à la page 20 de la notice de ce CD « In meinem Lied » de 2021…

Bref une étape à noter dans le parcours discographique d’accompagnateur de Lieder au piano de Helmut Deutsch.

À propos des Lieder de Liszt _ auquel je dois bien constater que jusqu’ici mon oreille s’est montrée hélas assez souvent réfractaire aux enregistrements discographiques… _,

je renvoie ici à deux excellents articles parus sur ForumOpera.com,

le premier intitulé « Mehr Liszt…« , paru le 15 février 2012, sous la plume de Hugues Schmitt, à propos du CD de Diana Damrau et Helmut Deutsch ;

et le second, intitulé « Une voix ne fait pas tout« , paru le 13 octobre 2021, sous la plume de Claude Jottrand, à propos du CD de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch.

Mehr Liszt…

CD Lieder de Liszt
Par Hugues Schmitt | mer 15 Février 2012 |

N’est-ce pas ainsi qu’il fallait comprendre les mots que porta le dernier souffle de Goethe ? Car Liszt ne composa pas plus de six Lieder sur les vers du poète de Weimar. Tout comme Schumann, tout comme Brahms. Six Lieder dont quatre (cinq si l’on compte les deux versions de « Freudvoll und Leidvoll ») sont rassemblés dans cet album, qui pris isolément du reste font apparaître de manière éclatante combien Liszt, plus que Schumann et plus que Brahms, occupe une place irremplaçable _ voilà qui est dit _ dans le Lied « germanique » romantique. Ces six Lieder sont le chaînon nécessaire _ voilà qui est réaffirmé _ qui unit les quelque soixante-dix Lieder que Schubert a consacrés à Goethe aux cinquante pièces que Wolf compose sur ses vers, à l’autre extrémité du siècle.

Plus que dans les flamboyants « Sonnets de Pétrarque », restés sans postérité véritable dans le répertoire vocal tant ils appellent les versions pour piano seul, ou plus que « Liebestraum », dont l’héritage sera plus français et italien qu’allemand, c’est dans cette petite collection de Lieder sur les vers de Goethe, mais aussi de Heine ou Lenau, que se révèlent les apports de Liszt à l’esthétique du romantisme tardif _ voilà. Schumann avait, en travaillant l’extrême grave du piano, introduit dans le Lied un monde abyssal insoupçonné ; Liszt explore l’aigu et l’extrême aigu _ voilà _, où le piano se mêle à la voix, se tresse à elle, l’enveloppe dans un voile de fines gouttelettes parfois tendres mais parfois cliquetantes et corrosives, et l’y laisse comme suspendue, sans recours possible aux solides appuis _ voilà _ des puissantes fondamentales schumaniennes ou brahmsiennes. C’est peu de dire que le piano dialogue avec la voix : il dialogue quand la main droite se fait monodique ; le reste du temps, il la colore, en altère les timbres, en diffracte la clarté. La voix passe par le piano comme la lumière traverse un vitrail. La voix ne commande pas : elle n’est pas une pure volonté, aboutissement et principe de l’ordonnancement des timbres et des registres. Elle ne commande pas _ oui _ comme, dans la célèbre analogie musicale de Schopenhauer, l’homme commande aux forces de la nature. Dans les Lieder de Liszt s’exprime une force supérieure, l’homme lutte avec l’ange _ oui.

Il serait un lieu commun de dire que Liszt importe la rhapsodie dans le Lied : c’est bien plus que cela. Liszt rompt _ voilà _ avec le mode de discours continu, unifié, organique de Beethoven et Schubert, et renoue avec un discours discontinu plus proche de Mozart : une idée apparaît, évidente et radieuse, et disparaît aussitôt ; une autre prend la place, sans lien immédiatement perceptible, et s’interrompt à son tour _ rhapsodiquement. Le propos, fantasque _ oui, à la Hoffmann… _, suit ainsi son chemin, à sauts et à gambades. Et Liszt désoriente _ oui, malmène diaboliquement _ son interprète, son auditoire, les réoriente, pour les désorienter à nouveau. Le Roi de Thulé en est l’exemple même : un début entièrement conforme au canon schubertien, bientôt interrompu… Rien n’y fait, les reprises du motif initial, loin de marquer la forme, ne servent plus qu’à souligner le décousu _ voilà _ du propos ; puis il réexpose, prépare apparemment une coda schubertienne, la brise encore, module et assombrit, effiloche le tissu pianistique, prend à peine le soin de résoudre. Wolf saura s’en souvenir _ en effet.

Mehr Liszt, donc. Car cet album n’explore qu’une facette de l’écriture de Liszt pour voix et piano. Il faut à ces Lieder adjoindre désormais, dans un second volume, les Mélodies françaises (Hugo est, avec Goethe, le second grand inspirateur de Liszt pour la voix), les Airs hongrois de la fin de sa vie, les Chansons anglaises, russes, tout ce par quoi Liszt dépasse le Lied, et montrer ainsi qu’aucun compositeur _ aussi expérimentateur _ , dans toute l’histoire de la musique, n’aura coulé ses notes, avec un égal succès, dans tant de langues et d’esthétiques diverses.
Mehr Liszt, enfin parce qu’on eût souhaité que cet enregistrement fût plus lisztien, plus charmeur, plus âpre, plus fantasque, plus sombre _ voilà. Somme toute, plus contrasté. Entendons-nous bien, la prestation est de remarquable tenue, et nulle verrue ne vient la défigurer. Diana Damrau, dont la diction ne souffre guère de reproche, montre, opportunément, de beaux élans passionnés. Malheureusement, la voix reste trop souvent monochrome, et seule l’intensité varie lorsque tout _ oui, tout _ devrait _ diaboliquement _ chavirer : timbre, débit, émission. La gageure est, vocalement, presque intenable : il faudrait malmener _ oui ! _ l’instrument – au demeurant superbe –, le pousser à bout. Car s’il est une chose que le dernier siècle d’enregistrements lisztiens nous a apprise, c’est bien que la véritable grandeur de Liszt réside davantage dans la démesure _ voilà ! _ que dans la maîtrise. Comment ne pas le reprocher, surtout _ probablement oui ! _, à Helmut Deutsch, dont le piano sans vice ni vertu est toujours _ trop _ impeccablement peigné, et qui ne quitte jamais la sage réserve de l’accompagnateur alors que tout, dans l’écriture même des parties de piano, lui crie d’ _ oser _ être soliste ? Son jeu est distant, flegmatique, glacé. Il est à côté du style, à côté du sens _ voilà. Alors qu’on songe au fougueux coursier arabe auquel Liszt comparait son piano, Helmut Deutsch nous fait l’impression d’un trotteur de Vincennes, certes trotteur de grand prix, mais trotteur quand même…
Il était question de cet album dans le dernier n° de Cave Canem, notre tribune des critiques

NB. Il ne sera pas indifférent au lecteur d’apprendre que le producteur de ce disque a nom Wilhelm Meister !

Franz Liszt

Lieder
….
Diana Damrau
Soprano

Der Fischerknabe S 292b/2
Im Rhein, im schönen Strome S 272/2
Die Lorelei S 273/2
Die Drei Zigeuner S320
Es war ein König in Thule S 278/2
Ihr Glocken von Marling S 328
Über allen Gipfeln ist Ruh S306
Der du von dem Himmel bist S 279/1
Benedetto sia’l giorno S 270a/2
Pace non trovo S 270a/1
I vidi in terra angelici costumi
Freudvoll und leidvoll (1848) S 280/1
Vergiftet sind meine Lieder S289
Freudvoll und leidvoll (1860) S 280/2
Es rauschen die Winde S294/2
Die stille Wasserrose S 321
Bist du !
Es muss ein Wunderbares sein S314
O lieb S 298/2
Helmut Deutsch, piano
Enregistré à l’August Everding Saal, Grünwald, juillet 2011

1 CD, Virgin Classics LC 7873 – 76’37

Une voix ne fait pas tout

CD Freudvoll und Leidvoll
Par Claude Jottrand | mer 13 Octobre 2021 |

Liszt n’occupe pas, dans le panthéon des compositeurs de Lieder, la place qui est dévolue aux plus grands : il n’a ni la spontanéité confondante de Schubert, ni la profondeur poétique de Schumann, ni le lyrisme intense de Brahms, ni la concision imaginative de Wolf. Ni quantitativement (guère plus de 80 Lieder), ni qualitativement il ne peut rivaliser avec ses illustres compétiteurs. Mais son œuvre comprend néanmoins quelques pages intéressantes, très peu présentes dans les programmes de récital et rarement enregistrées.

Dès lors, comme il semblait prometteur, ce nouvel enregistrement de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch ! Un duo de très grand renom cumulant une longue expérience, et qui avait déjà fait ses preuves dans le Winterreise de Schubert ou dans un autre enregistrement de Lieder romantiques intitulé Selige Stunde il y a quelques années, un répertoire sortant un peu des sentiers battus, des moyens vocaux quasi inégalés, une parfaite maîtrise pianistique dans le domaine du Lied, tout semblait réuni pour une réussite complète.

D’où vient alors que l’écoute ne tient pas toutes les promesses de l’affiche ?

Cela tient peut-être à la composition même du récital dont le fil, la trame dramatique ou poétique nous échappe _ et nous perd. Le cœur du programme est constitué des Trois Sonnets de Pétrarque (en italien, naturellement) que les deux partenaires ont souvent donnés en concert, qu’ils maîtrisent et qu’ils donnent avec beaucoup de conviction,mais pas toujours avec légèreté _ ah ! Le choix des pièces qu’ils ont réunies autour de ce cœur de programme, _ fâcheusement _ on n’en perçoit guère la logique ni la pertinence.

Cela tient peut-être aussi aux grandes disparités de ton et de caractère que le chanteur met en œuvre d’un Lied à l’autre, mais aussi au sein d’une même pièce _ ce que Hughes Schmitt caractérisait en son article du 15 février 2012 comme « typiquement lisztien«  ! _, qui rompent l’homogénéité du récital et font que les numéros s’enchaînent sans parvenir à créer l’atmosphère d’un véritable Liederabend _ probablement étranger à l’idiosyncrasie de Liszt ! _, sans créer de tension poétique durable. Le sentiment d’intimité, de chaleureuse communion _ à la Schubert… _ avec les artistes n’émerge que sporadiquement, sans cesse mis en péril par l’ampleur des moyens vocaux, évidemment considérables, mais pas nécessairement adéquats ni dispensés avec souplesse, et souvent disproportionnés par rapport aux textes ou au propos musical ; saluons cependant les efforts constants fournis par le pianiste pour établir et entretenir la trame poétique.

L’entame du disque est particulièrement étrange, tout en énergie et en force avec de très grands contrastes – que le texte ne justifie guère – mais peu de distance ou de second degré, pourtant si précieux chez Heine. On goutera bien, par petites tranches, quelques réussites ponctuelles, comme Im Rhein, im schönen Strome et Die Loreley (plages n°5 & 6), avec de belles demi-teintes et une émouvante transparence vocale, ou Die stille Wasserrose (plage 14), insuffisantes hélas à sauver l’ensemble.

Il reste bien entendu que la voix est grande, très grande – mais pas toujours très homogène ni très précise, que le piano est particulièrement soigné et intelligent, que la diction est irréprochable. Mais voilà, l’art du Lied est un des plus difficile, où le chanteur se trouve complètement à découvert, en constante quête de sens, où il doit porter le son plutôt que se laisser porter par lui, un art qui demande une très grande souplesse, une grande simplicité de ton, si différent de l’opéra…

J’gnorais jusqu’ici ces deux articles,

et tout spécialement, celui, très remarquablement lucide et éclairant sur Liszt, de Hugues Schmitt,

mais ma connaissance jusqu’ici des Lieder de Liszt ne m’avait guère prédisposé alors à l’écoute de ces deux CDs de Lieder de Liszt, parus en 2011 et 2021, interprétés par Diana Damrau et Jonas Kaufmann, avec le piano de Helmut Deutsch.

Cf toutefois, et a contrario (!), mes articles à propos de 3 CDs de Lieder de Liszt que je possède, et ai, eux, beaucoup appréciés :

mon article du 5 novembre 2019 : «  » ;

celui du 25 novembre 2019 : «  » ;

celui du 17 décembre 2019 : « « … ;

et celui du 11 mars 2020 : « « …

J’en tire cette modeste conclusion que

le talent d’exécution des interprètes, au concert comme au disque _ soient ici les chanteurs Cyrille Dubois, André Schuen, Stéphane Degout, et les pianistes qui les accompagnent dans les CDs cités, soient Tristan Raës, Daniel Heide et Simon Lepper _, a une non négligeable importance sur la réception-écoute des œuvres des compositeurs _ même les plus grands ! _, par le mélomane,

dont le goût, jamais non plus, et c’est bien sûr aussi à remarquer, ne saurait être parfaitement neutre et objectif en sa réception, toujours circonstancielle

_ ainsi que toujours révisable, mais oui !, à de nouvelles écoutes ; telles que celles qu’offrent bien opportunément, et à contre-courant du passage du temps, les CDs bien matériels et durables de nos discothèques précieusement et bien heureusement conservées…

Un trésor !

Bref, un assez joli CD

_ qu’on écoute ici par exemple son « Ich bin der West abhanden gekommen » (6′ 04) ; ou son « Im Abendrot » (6′ 57)… _

mais qui ne soulève pas vraiment _ peut-être d’abord une affaire de timbre de la voix : et c’est hélas rédhibitoire… _ mon enthousiasme de mélomane…

Ce samedi 13 août 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ecouter et ré-écouter le lumineux voyage musical d’Anne-Marie Dragosits dans le répertoire baroque allemand, en son CD « Ici schlief, da traümte mir » (2)

12oct

En écoutant et ré-écoutant, à plaisir, le splendide CD « Ici schlief, da träumte mir« 

(le CD Encelade ECL 2002),

auquel j’avais consacré l’article , le 30 août dernier,

je désire souligner ici le magnifique talent de la claveciniste autrichienne Anne-Marie Dragosits,

ici, et en ce récital autour du thème du Sommeil,

sur le superbe clavecin Zell de 1728 conservé au Musée des Arts décoratifs de Hambourg…

Son programme se centre en effet sur les variations que divers compositeurs de l’Allemagne musicale baroque,

à partir et à la suite de Lully (et son très justement célèbre Sommeil d’Atys),

ont consacrées au thème du Sommeil...

Christoph Graupner (1683 – 1764) est un compositeur que j’apprécie beaucoup _ et auquel j’ai consacré divers articles, tel, par exemple, celui du 20 septembre 2018,  _ ;

de même que Johann-Caspar Fischer (1656 – 1746),

le tout premier compositeur germanique à diffuser le style de Lully (1632 – 1687) en Allemagne _ Fischer, dont mon amie Elisabeth Joyé a donné une merveilleuse interprétation de la Suite Uranie, extraite du Musikalischer Parnassus, de 1736 (soit le CD Encelade ECL 1402, en 2015)…


Anne-Marie Dragosits a bien du talent et du goût

pour ce répertoire si vivant et si beau…

Ce mardi 12 octobre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Stéphane Degout en concert à Strasbourg…

20sept

Sous la signature de Matthieu Roc,

ResMusica nous fait part d’un très intéressant concert, à Strasbourg,  de Stéphane Degout,

accompagné par le pianiste anglais Simon Lepper,

avec lequel ce superbe baryton _ âgé de 46 ans… _ a déjà donné quelques très intéressants récitals en CDs…

Ce qui nous aide à faire un point sur l’évolution de cet impressionnant chanteur…

Stéphane Degout à Strasbourg : mélodies et Lieder au bout de la nuit

Déchiré, parfois déchirant, nocturne, onirique… le concert de Lieder et de mélodies proposé par Stéphane Degout et Simon Lepper distille avec force et talent la même angoisse et la même souffrance _ dont acte _, qu’elle soient chantées en allemand ou en français.


C’est un programme composé avec beaucoup de soin _ ce qui n’a rien de très étonnant de la part d’un tel artiste, si raffiné, et au goût très sûr… _ que nous propose Stéphane Degout. Petite salutation à Strasbourg pour commencer, avec Zu Strassburg auf der Schanz de Gustav Mahler, puis quatre corpus de Schumann, Poulenc, Berg et Fauré, entre lesquels s’interposent de rares Pfitzner. C’est peut-être encore un signe d’amitié aux Strasbourgeois puisque Pfitzner _ Moscou, 5 mai 1869 _ Salzbourg, 22 mai 1849 _ y a été directeur du conservatoire et directeur de l’opéra, mais aussi une façon de mieux faire connaître ce compositeur majeur du XXesiècle, encore relativement mal connu _ en effet _ en France.

Dès le premier Lied, le ton est donné pour tout la soirée : Stéphane Degout chante avec une ligne impeccable, une grande sobriété, mais avec un timbre noir comme une nuit sans lune ni étoiles, et dans un allemand parfaitement idiomatique. Le désespoir et l’émotion _ voilà _ éclosent immédiatement. Dans ce choix interprétatif, les Andersen Lieder de l’opus 40 de Robert Schumann sont donnés sans naïveté feinte, sans second degré narratif, là encore dans le vif du drame et de la désespérance _ dont acte. L’exécution de l’ami dans Der Soldat prend alors des accents complètement déchirants. Les sommets les plus élevés sont certainement été atteints avec les Pfitzner. Les ambiances sont toujours nocturnes, mystérieuses, tendues mais rendues avec beaucoup de tact et de lyrisme contenu _ bravo. Le piano de Simon Lepper montre là aussi son soutien sûr et scintillant aux angoisses nocturnes développées par Stéphane Degout.

On pourrait croire qu’avec les compositeurs français, l’interprétation du baryton atteindra l’idéal, mais il faut avouer une légère déception _ ah ! Certes, son français est parfait, ni ampoulé, ni édulcoré. Bien sûr, son intelligence des textes est maximale _ oui _ et leur restitution sobre et virile est d’une franchise louable. Mais pour les Poulenc – les Calligrammes – la voix est désormais trop grande _ voilà. Les irisations de l’arc-en-ciel dans La grâce exilée peinent à apparaître, et dans Aussi bien que les cigales, l’apostrophe des « Gens du Sud » prend la dimension impressionnante mais déplacée du prophète Élie s’adressant aux prêtres de Baal. Poulenc a besoin d’humour, de narquoiserie _ voilà _, ce qui n’est pas le point fort de Stéphane Degout, et encore moins à ce stade de sa carrière. Au fait… Elias de Menselsohn… est-ce une si mauvaise idée ?

Avec les Berg comme avec les Fauré, on retrouve une adéquation totale _ ouf ! _ au style de la musique et au sens des poésies. L’évidente accointance du baryton avec les personnages tourmentés ou désespérés fait merveille, aussi bien dans la décomposition comateuse de Dem Schmerz, sein Recht que dans les eaux noires et agitées de _ ce sublime _  La mer est infinie. Stéphane Degout offre encore la lecture – bien faite – de quelques très beaux textes de Rilke, Supervielle ou Büchner, et bien sûr, des bis que le public lui réclame chaleureusement. Un Alte Laute de Schumann, exquis de phrasé noble et de nuances fines, et Après un rêve de Fauré évoqué au bord de la roche tarpéienne, résument tout l’art admirable et le caractère intimement tragique _ voilà _ de Stéphane Degout.

Crédit photographique : © Jean-Baptiste Millot

Strasbourg. Opéra du Rhin, théâtre municipal de Strasbourg. 18-IX-2021.

Gustav Mahler (1860-1911) : Zu Strassburg auf der Schanz.

Hans Pfitzner (1869-1949) : Die Stille Stadt, Hussens Kerler, Abbitte, An den Mond.

Robert Schumann (1810-1856) : Lieder extraits de l’opus 40 : Märzveilchen, Muttertaum, Der Soldat, Der Spielmann.

Francis Poulenc (1899-1963) : Caligrammes.

Alban Berg (1885-1935) : Vier Gesänge op. 2.

Gabriel Fauré (1845-1924) : L’Horizon chimérique.

Stéphane Degout, baryton ; Simon Lepper, piano

Ce lundi 20 septembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

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