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Trois (belles !) curiosités musicales _ dont une au splendide catalogue Alpha : les chansons de Gustave Nadaud, par Arnaud Marzorati

27avr

En rafale,

voici trois (très belles !) « curiosités » musicales discographiques :

1) la première est à mettre au compte du splendide _ voire époustouflant ! cette saison 2010 ; cf mon article du 14 mars 2010 : « Alpha, éditeur de la “présence” (au disque) de la musique : François Lazarevitch et Yves Rechsteiner, entre Céline Frisch et Benjamin Alard _ un catalogue de merveilles !«  _ catalogue Alpha :

il s’agit du CD Alpha 160,

une nouvelle pépite de ce sourcier assez prodigieux qu’est Jean-Paul Combet :

soit le récital La Bouche et l’oreille, composé de 17 chansons, de Gustave Nadaud (1820-1893),

auteur-compositeur _ à la fois ! _ de ces petites merveilles,

qu’a su dénicher ce musicien magnifique _ je veux dire bien plus qu’un magnifique interprète-chanteur _ qu’est Arnaud Marzorati, baryton.

Celui-ci explore, en effet, très méthodiquement, depuis une dizaine d’années, le répertoire _ un peu trop en déshérence, ces derniers temps, hélas ! de quoi nous privons-nous, aussi stupidement !?! _ de la chanson française :

depuis son premier CD pour Alpha (je veux dire en tant qu’initiateur de projet _ de concert ou de disque _ ; pas en tant qu’interprète pour divers chefs…),

le CD Alpha 075 (enregistré en 2004) de chansons de Jacques Prévert (1900-1977) & Joseph Kosma (1905-1969) : Et puis après… ;

puis, le CD Alpha 111 (enregistré en 2006) de cantates françaises de Jean-Baptiste Stuck (1680-1755) : Tyrannique empire… ;

et aussi  le CD Alpha 131 (enregistré en 2007) de chansons de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) : Le Pape musulman & autres chansons

Et maintenant voici que ce CD La Bouche et l’oreille de 17 chansons (paroles & musique, s’il vous plaît !) de Gustave Nadaud

est une réussite absolue

qui nous donne à écouter et jouir de tout un (grand) art de la chanson _ davantage pour des concerts privés, dans des salons un peu (mais pas trop !) encanaillés : avec juste ce qu’il faut d’esprit !, que pour des cafés-concerts, ou des concerts publics immenses… _ ;

et quand Gustave Nadaud se dit lui-même « modéré« ,

cela donne la mesure de ce qui pouvait alors se dire, ou plutôt se chanter ! et avec quelle poésie !

d’un art qui sait être « populaire » sans être ni vulgaire, ni populiste ! et raffiné, plein d’esprit _ français, justement !

Arnaud Marzorati nous offre tout cela avec précision, subtilité et liberté, tout à la fois,

jubilatoirement accompagné qu’il est _ comme au concert ! _ de musiciens (Daniel Isoir, au piano ; Stéphanie Paulet, au violon ; Alexandre Chabod, à la clarinette ; et Paul Carlioz au violoncelle) qui savent servir ce genre (entre deux, mais avec la liberté de ses audaces !) et ce répertoire…

Combien la chanson _ et la langue, le français parlé ! _ ont « perdu » _ en finesse comme en force de percussion ! _ depuis ce temps :

en gros celui du second empire et de la troisième république !

Quel plaisir d’écouter cette langue-là servie ainsi !!!


Qu’on en juge avec la chanson d’ouverture de ce récital, « La Vie moderne« , composée en 1857 :

« Vois-tu, là-bas, le tourbillon,

Qui, dans sa course échevelée,

Trace ce flamboyant sillon

A travers mont, plaine et vallée ?

Flamme et fumée, éclat et bruit,

S’éteindront sans laisser de traces :

Sais-tu quel est le char qui fuit ?

C’est ton existence qui passe !


Oui, le temps a doublé son cours,

L’humanité se précipite

Tous les chemins deviennent courts ;

L’océan n’a plus de limites.

La vie était longue autrefois ;

Sur la pente elle est entraînée ;

Nous vivons plus en un seul mois

Que nos aïeux dans une année.


La nature avait des poisons :

Le génie humain les révèle ;

Il arrache aux vieux horizons

Une perspective nouvelle.

Il a d’invisibles moteurs,

Des agents subtils, des essences

Qui savent calmer nos douleurs

Et décupler nos jouissances.

Les fleurs n’ont plus besoin d’été ;

Les fruits n’attendent plus l’automne ;

Ce que le sol n’a pas porté,

L’industrie active le donne.

Nous avons fait de nos loisirs

La mer et le ciel tributaires ;

Nos appétits et nos plaisirs

Épuisent les deux hémisphères.


Mais à peine respirons-nous

Dans cette course haletante ;

La vapeur nous emporte tous

Debout sur la machine ardente.

L’essieu se fatigue et se rompt,

Usé, vaincu par la distance ;

Ainsi bientôt se briseront

Les ressorts de notre existence.

L’aiguille avance ; soyons prêts !

Nous mourrons vieillis avant l’âge ;

Nos fils nous suivront de plus près

Dans le vertigineux voyage.

Ils auront la vie, à leur tour,

Plus rapide encore et meilleure ;

Ce que nous usons dans un jour,

Ils l’épuiseront dans une heure.

Ô le terrible enseignement !

Songes-y, l’instant est suprême.

Où trouveras-tu le moment

De te recueillir en toi-même ?

Beau voyageur, tu vas partir :

As-tu pris soin de bien vivre,

Ou le temps de te repentir ?

Le convoi passe, il faut le suivre !


Vois-tu, là-bas, le tourbillon« …


C’est superbe ! Une « vanité » à la Paul Virilio !

Bravo les artistes !

Et bravo l’éditeur (d’Alpha : Jean-Paul Combet _ il accomplit

(« monacalement« , dit Christophe Huss, en lui rendant, lui aussi hommage ! ;

soit, replacé dans le contexte de l’article de Christophe Huss :

« Il est clair qu’Harmonia Mundi a été ces cinq dernières années le phare de l’édition phonographique classique, l’éditeur qui a offert de beaux produits et des révélations artistiques dans de nombreux domaines

(cette considération n’enlève rien au génie de Jordi Savall sur Alia Vox,

au travail monacal d’Alpha _ voilà ! « monacal« , concerne la solitude, la rigueur, la vertu, presque l’austérité ; sinon la sainteté !.. _,

aux explorations de CPO

et à la constance de Bis)…« ,

disait-il en chroniquant un concerto pour clarinette de Mozart pas terrible, produit par Harmonia Mundi USA ;

et situant ainsi ce qui se fait actuellement de mieux, artistiquement, sur le marché de l’édition discographique !..)

il (= Jean-Paul Combet) accomplit un travail rare et magnifique ;

et cette saison-ci, tout particulièrement, est quasi sans déchets !)…

Mes deux autres satisfactions de « curiosité » concernent, elles, la période (des Arts ; de la musique) dite « baroque » : mais en des versions, toutes deux _ même si très diversement ! _ toutes de finesse et de subtilité.


2) D’abord, un rare _ par les pièces choisies ! d’abord… _ CD de musique de luth française au tournant des XVII & XVIII èmes siècles :

le CD Manuscrit Vaudry de Saizenay, interprété par Claire Antonini (CD AS Productions ASM 004)

d’après un des deux manuscrits conservés à la Bibliothèque municipale de Besançon (en l’occurrence le premier des deux : cote 279.152, très exactement !), de la main et du choix de Jean Etienne Vaudry de Saizenay, seigneur de Saizenay et Poupet, en Franche-Comté (non loin de Salins).

Né le 26 septembre 1678 à Saizenay, ce conseiller au Parlement de Besançon (de 1704 à 1725, date à laquelle il résigna sa charge) _ et qui mourut à Besançon le 21 juillet 1742 _, prit, pendant ses études à Paris, des leçons des maîtres luthistes Guillaume Jacquesson et Robert de Visée.


« Il entreprit alors de noter les nombreuses pièces de luth et de théorbe qu’il avait pu recueillir, souvent même auprès de ses maîtres ou de quelques uns des plus célèbres luthistes de son temps« , nous apprend, page 6, l’excellente notice du livret de ce CD, sous la plume plus qu’experte (!) de notre Claude Chauvel bordelais !.. Et « la rédaction de ses deux livres _ les seuls de sa main qui nous soient parvenus _ s’est poursuivie pendant plusieurs années, comme en témoigne la diversité stylistique du répertoire consigné« , pages 6-7.

Mais « alors que les luthistes du XVIIème siècle ont bien souvent une vision rétrospective _ et presque mélancolique _ de leur répertoire, Vaudry, sans ignorer la tradition des Gaultier et de Du Fault, fait une large place aux œuvres de ses proches contemporains Du But le Fils, Mouton et Gallot«  _ apparaissent ainsi, aussi, les noms de Emond (noté aussi « Aymond« , ou « Hémon« ), Du Pré (dit « d’Angleterre« ), Jacquesson ; ainsi que de Hardel (le claveciniste)…  De même que « pour son instrument, il n’hésite pas à transcrire : Lully, Marin Marais, Forqueray, Couperin, les pièces de théorbe et de guitare de Visée, Corelli, voire des chansons et autres vaudevilles à la mode«  _ soit le tout-venant de ce que pratiquait alors au quotidien un luthiste : interprète pour son plaisir, et celui de ses proches…

Aussi « son livre, rédigé d’une main uniforme (excepté les premières pièces), abonde (-t-il) en détail techniques (doigtés, tenues) et en signes d’interprétation (agréments, harpégements, séparations). Source unique _ voilà ! _ pour de nombreuses pièces, il en corrige parfois le texte ou précise les attributions. »  Avec cette conséquence notable que « la meilleure connaissance que nous avons aujourd’hui du répertoire du luth en France, au XVIIème siècle, doit beaucoup _ voilà _ à la passion _ musicienne autant que musicale : elles étaient alors confondues pour l’essentiel ! la musique se pratiquait plus qu’elle ne s’écoutait seulement… _ de Vaudry, autant qu’à sa diligence.« 

Ainsi « sa seule bibliothèque musicale, riche de publications les plus récentes _ alors : « contemporaines«  (de lui), dirions-nous maintenant _, prouve suffisamment le goût et l’éclectisme du personnage.«  Et « on déplorera, malheureusement, la disparition _ provisoire ? _ de trois autres manuscrits de luth qui figuraient dans la collection » ; « et, on le présume, quelques livres gravés, dont ceux pour la guitare de Robert de Visée« , page 7 du livret.

Tout un monde pour nous est ainsi restitué ! en ce récital de ce disque, sous les doigts fins, habiles et poétiques de Claire Antonini, sur un luth à 11 chœurs (un instrument réalisé par Paul Thomson, à Bristol, en 1997)…

Nous qui avons découvert aussi, naguère, en Jean de La Fontaine, un admirateur éperdu de cette musique si merveilleusement poétique : cf par exemple son éloquente (contre le trop « bruyant » et pas assez poétique nouveau genre musical qu’était le très ambitieux, lui, opéra de Lully…) « Épître à Monsieur de Nyert« 

(et mon texte pour le livret du CD « Jean de La Fontaine : un portrait musical« , par la Simphonie du Marais et Hugo Reyne : CD EMI 7243 5 45229 2 5, en 1996 ; CD dont j’avais composé le programme avec Hugo Reyne :

pour évoquer musicalement cette incisive et nostalgique, tout à la fois, « Épître à Monsieur de Nyert » _ dans laquelle le poète, amoureux fou de musique (et authentique initiateur de la critique de réception musicale ! La Fontaine fonde cette « esthétique«  : cela ne se sait pas assez ! même de la part de ce lafontainien éminent qu’est Marx Fumaroli : cf son Le poète et le roi _ La Fontaine en son siècle, paru en 1997) citait, mêlant les instruments et les genres :

« Boesset, Gaultier, Hémon, Chambonnières, La Barre,

Tout cela seul déplaît, et n’a plus rien de rare ;

On laisse là Du But, et Lambert et Camus ;

On ne veut plus qu’Alceste, ou Thésée, ou Cadmus« _

Avait été choisie alors la courante « L’Immortelle » du Vieux Gaultier, Ennemond,

qu’interprète magiquement, au théorbe, Vincent Dumestre, en ce disque enregistré l’été 1995 en l’abbatiale de Saint-Michel-en-Thiérache : j’y étais…)…

De même que nous avons découvert, aussi, et exploré, plus avant, ce goût, ou plutôt cette passion, pour cette musique,

aujourd’hui si méconnue _ mais que nous rendent les interprètes ! quand on va les écouter ! au concert comme au disque ! _,

dans les lettres « chantantes » si savoureuses de Madame de Sévigné à sa fille : toutes deux pratiquaient (plus que passionnément : à la folie !) la musique, et l’une, le chant, l’autre, la danse…


Enfin,

3) un CD d’une virtuosité époustouflante au service de la poésie de la musique

_ si rayonnante ! à conseiller d’urgence aux neurasthéniques ! _ :

l’interprétation par le génial flûtiste à bec Maurice Steger (et The English Concert, dirigé par Laurence Cummings, du clavecin…)

de versions orchestrées par Francesco-Xavero Geminiani,

et avec des agréments (virtuosissimes !) « of severall Eminent Masters« ,

tels que les Signori Cateni & Valentini, Pietro Castrucci, Christopher Petz, ou Jacques Paisible, tous présents alors à Londres,

des Sonates opus V d’Archangelo Corelli,

telles qu’elles eurent un succès fou (et durable : tout au long du XVIIIème siècle !) à Londres et en Angleterre, et tout le Royaume-Uni !

Le CD Harmonia Mundi Mr. Corelli in London _ Recorder Concertos ; La Follia (after Corelli’s op.5) CD HMU 907523,

par Maurice Steger, The English Concert & Laurence Cummings,

est ainsi une merveille de plaisir fou : rare !

Peut-être ce CD va-t-il même parvenir à détrôner la « merveille des merveilles » qu’est le double CD des Partitas (Clavier-Übung-I) de Jean-Sébastien Bach, par l’extraordinaire Benjamin Alard, l’album Alpha 157,

qui ne quitte pas ma platine depuis plus d’un mois

_ non plus que celle de Vincent, du rayon Musique de la librairie Mollat,

ainsi qu’il me l’a confié ;

et je ne crois pas trahir là un secret ! Il le fait largement partager !..

Un CD de pur bonheur ! A passer sans se lasser en boucle…


Titus Curiosus, ce 27 avril 2010

L’invention verbale des « petites coiffeuses » : à la source du goût des livres

28oct

Post-scriptum (à « Sous la lune :  consolations des misères du temps« ) :

Arpentant les « Confins de la mémoire«  de ce même Maxime Cohen,

son premier ouvrage publié (en mars 1998, aux Éditions de Fallois), pour les avoir commandés dès mon début de lecture des « Promenades sous la lune« ,

j’en découvre ce que la Quatrième de couverture de ces « essais » énonçait très explicitement (et on ne peut plus justement !) ainsi : « Il a conté la naissance de sa passion pour les livres dans un récit _ c’est le terme adéquat ! _, « Confins de la mémoire » (Fallois, 1998)« …

Par exemple, je lis, page 146, de ce « récit » de « recherche des origines« ,

dans lequel « le narrateur essaie de _ et réussit à _ retrouver, dans ses souvenirs, le foyer de ses sentiments d’aujourd’hui.

(…) Il cherche (…) à identifier des états d’âme encore présents, et qui ne cessent de nourrir sa sensibilité« , indiquait la Quatrième de couverture de ces « Confins« -là, en 1998…

Voici ces extraits des pages 145 – 146

à propos des « trouvailles langagières«  de deux personnes assez caricaturales, les deux « petites coiffeuses » de Paray-le-Monial (et « petites protégées » de la grand-mère du narrateur) auxquelles le chapitre 12 (pages 141 à 147) est tout entier consacré ;

d’ailleurs, l’auteur remarque, pages 143-144, « par une bizarrerie que je suis incapable d’expliquer, les personnages qui peuplaient les rues de Paray(-le-Monial

_ où résidait la grand-mère maternelle particulièrement adorée de Maxime,

telle la grand-mère de Marcel, ou sa tante Léonie de « Combray« , dans le récit d’ouverture de « La Recherche » de Marcel Proust ;

et centre, ou pivot, de ce récit des « Confins de la mémoire«  ;

et qui sont aussi, et d’abord, peut-être, un « tombeau » de sa « grand’mère« ,

comme les artistes, et notamment les musiciens, en honoraient leurs amis chers défunts :

par exemple, les quatre « Tombeaux de M. de Blancrocher« , luthiste (Charles Fleury, dit Blancrocher : ca 1607 – novembre 1652),

mort, ce mois de novembre 1652, d’une chute dans un escalier : le défunt ayant expiré dans les bras de Froberger ;

« Tombeaux  » de musique « élevés » à la mémoire du luthiste par ses amis Louis Couperin (ca 1626 – 1661) et Johann-Jakob Froberger (1616 – 1667), clavecinistes ; et Denys Gaultier (1597 – 1672) et François Dufault (fl 1629 – 1669), luthistes  :

un merveilleux « concert »

construit autour de deux Suites de « pièces en la«  et « en fa » (comportant, la seconde, ce « Tombeau de M. de Blancrocher« ), de Louis Couperin

_ l’œuvre entier de Louis Couperin est peut-être, par la « profondeur » méditative, intense, infiniment tendre et grave, en son raffinement, le summum de toute la musique française !!! _,

et de « pièces » (deux d’entre elles, au moins, composées à Paris : une « allemande« , notée « fait à Paris » ; et une « gigue« , « nommée la Rusée Mazarinique« ) de Johann-Jakob Froberger

_ un très, très grand, lui-même, aussi !!! _ ;

avec la « Passacaille » (unique) de Luigi Rossi (1598 – 1653), et un « Capriccio » en sol de Girolamo Frescobaldi (1583 – 1643) ;

vient de paraître en CD par le très talentueux jeune (il est né en 1985) Benjamin Alard (dont chaque disque est une nouvelle splendide réussite : cf ses « Transcriptions pour clavecin » de Jean-Sébastien Bach, CD Hortus 050 : un enchantement, déjà !) :

il s’agit du CD « Manuscrit Bauyn« , CD Hortus 065 ; je me permets de le recommander très vivement. Fin de l’incise sur le genre (profond et magnifique) des « Tombeaux« …

les personnages qui peuplaient les rues de Paray

_ je reprends le fil de ma phrase (et de la citation de Maxime Cohen, page 143) _

ou qui venaient nous rendre visite,

ne prenaient pas en moi _ déjà, commenterai-je _ le caractère de personnes réelles.

Tous

se résumaient _ le terme est éloquent ! une personne « se résume« -t-elle ?.. _ à un tic, un mécanisme, un mot, une histoire brève : c’étaient des caricatures qui semblaient n’avoir d’épaisseur _ sinon « langagière«  _ ni dans le temps ni dans l’espace » _ soit le seul réel physique…

Et « ce jeu d’ombres chinoises _ voilà ! _ nous amusait beaucoup mon frère, ma sœur et moi.

Ma grand’mère semblait même l’encourager _ ah ! ah ! _ lorsque, venant en visite à Paris, elle nous racontait, un après-midi entier, les derniers agissements de ce peuple de fantôches _ réduits au statut de « comparses » sur la scène de ce qui compte vraiment… _

qui, pour avoir quelque chose d’irréel _ jusqu’à quel point ? et pour qui ? et par rapport à quels critères ? _, n’étaient pas moins exemplaires de la nature humaine toute entière

par l’excès même de leur schématisme.« 

Avec ce commentaire surplombant du narrateur : « C’était comme si les ombres de la caverne de Platon eussent été les patrons sur le modèle desquels tout le reste de l’humanité aurait été fabriqué, et non pas les reflets d’êtres plus réels« 

La restriction est encourageante…

Voici, après ce préalable de « présentation »,

l’extrait des pages 145 – 146 à propos des « trouvailles langagières » des deux « petites coiffeuses »

dont se repaît, encore aujourd’hui (comme en 1998), Maxime Cohen :

« Quoiqu’il ne sortît de leurs bouches que des coquecigrues

_ soit le mot même venu sous la plume de Madame de Sévigné dans sa lettre « fantasque »

(d’une « promenade sous la lune » « dans le mail » des Rochers, le « 12e juin » (de 1680) _,

elles étaient riches de trouvailles langagières que je ne me lassais pas de goûter

et que ma grand’mère épinglait plus tard, en privé,

quand nous nous remémorions en riant les conversations qu’elles nous avaient tenues.

Car il n’y a pas besoin de dire des choses intelligentes pour les dire plaisamment ;

mais les plus belles pensées, dites sans invention, tombent à plat.

Celles des coiffeuses, quoique triviales, étaient excessivement amusantes

par le ton qu’elles prenaient,

la mère surtout dont la voix haut perchée et le débit précipité la faisaient ressembler à une serinette,

et par la truculence de leurs expressions

dont ma grand’mère se demandait tout haut « où elles allaient les pêcher«  ;

Avec cette leçon, plus générale _ voire « esthétique », ou « philosophie du goût », si l’on veut… _, qu’en tire alors l’auteur _ et remarque à laquelle je veux en venir, en ce post-scriptum :

« Je m’aperçus que ce ne sont point les pensées qui créent le plus de plaisirs littéraires : elles donnent de l’étonnement, de la réflexion, du lustre 

mais c’est l’invention verbale, qui procure les agréments de la langue

_ les « plaisirs, les agréments« , voilà donc l’aune du goût, ici, de Maxime Cohen, en ces « Essais » ;

par dessus « l’étonnement« , « la réflexion« , le « lustre«  des « pensées« , même :

d’où la méfiance assez endémique de Maxime Cohen tant pour la philosophie

que pour le « réel », en tout cas « brut », lui-même… _

et les plus grands génies n’en sont pas mieux dotés _ de ce « génie » du verbe _ que les plus obscures commères

_ provinciales, telle la formidable, elle aussi, « Françoise » du narrateur de « Combray« …

Saint-Simon ne reproche-t-il pas à Louis XIV une intelligence au-dessous du médiocre,

et avec cela un don exquis pour s’exprimer,

une langue courte, nette, resserrée

_ c’est-à-dire classique : la parole du roi « devant » porter (avec puissance !)… _ ?


Lui-même _ Saint-Simon _ dépourvu des vues profondes de Montesquieu ou de Gondi _ le cardinal de Retz _, ne brille-t-il point par cette verve

à laquelle il doit plus de gloire qu’à ses prétentions nobiliaires ?

Alors, en conclusion, page 146 des « Confins de la mémoire«  :

« Les petites coiffeuses, à leur manière,

méritaient la même sorte d’éloge _ que Saint-Simon, Louis XIV (ou la « Françoise » de Proust) … _,

quoique avec des restrictions encore plus fortes » _ forcément (pour Saint-Simon, du moins)…

Et : « Ainsi, le peuple des mécaniques de Paray

vivait-il à mes yeux

dans un tourbillonnant ballet _ musical, en quelque façon, tout de même _

dont ma grand’mère _ par sa « science admirable » du contexte (local) et de « la généalogie infinie de ces personnages«  _ seule était capable de démêler tous les pas« 

« Et lorsque je m’émerveillais de la multitude des aventures qui faisaient l’objet de tant de petites histoires,

de l’incroyable variété de ces âmes et de ces mouvements qui les agitaient,

c’est sur un ton d’évidence accablée qu’elle _ Marie-Louise Couesnon, la grand’mère (de Maxime) de Paray-le-Monial _ s’exclamait :

« Mais mon pauvre enfant,

mais c’est partout pareil !« …

Soit la hiérarchie du goût, et, d’abord, de la « sensibilité » de Maxime Cohen,

ainsi que sa « philosophie des choses minuscules« 

(l’expression se trouve page 151 des « Confins de la mémoire » ;

soit son « leibnizianisme », notamment au chapitre « Sur la bibliothèque de Leibniz« , aux pages 260 à 268 des « Promenades sous la lune« ) ;

soit une affaire d’attention et de focalisations ;

convenant aussi, bien sûr, aux livres :

« En cela, les livres furent pour moi le vrai microcosme du monde.

Toutes les saveurs qu’il _ le monde _ exhale,

ils _ les livres, en plus du talent même et de l' »invention verbale » (ou du style, au « naturel ») de leurs auteurs : en leur matérialité première _ les restituent à un lecteur attentif :

et leurs coins, leurs contours et leurs renfoncements _ artisanaux, physiques _

 n’en exprimaient pas de moins inoubliables _ de ces « saveurs » on ne peut plus physiques _

que la maison de ma grand’mère ou les rues de Paray » (à la page 153 :

les deux pages consacrées à ces « saveurs » physiques des livres, pages 153 et 154, sont assez stupéfiantes, même ! :

« Dès mes premières lectures, j’y trouvai une odeur de gâteau sec dont le plus fort est à la charnière de la page, le long de la reliure. Il faut que le papier soit un peu brûlé pour que cette saveur soit bien développée. Le papier de bois est seul à la donner ; le papier de chiffon en donne une autre. Les éditeurs savent les accommoder de diverses façons, brochés, reliés, cousus, encollés, coupés ou non : tous ont une empreinte distincte » ;

« En cherchant un peu, on y respire un parfum d’antique. C’est une chose difficile à définir : ce n’est pas une odeur de fleur ni de fruit ni de rien qui ait naturellement une odeur ; on la retrouve dans certains objets _ ce qu’on nommait jadis les fruits de l’industrie humaine : vieilles demeures, vieux meubles, vieux cuirs, vieux vins, vieux chiens. Elle n’existe _ même ! _ que dans cette recension et par cette rémanence _ sans doute ici des opérations-clé ! Il y a dedans une pointe de poussière, mais seulement une pointe ; c’est d’ailleurs plutôt de l’herbe séchée ou de la sciure ou de la carcasse d’insecte. Mais la poussière est faite d’un peu tout cela. »

Et encore « L’odeur initiale de blé roussi est dominante. C’est une pâte encore moelleuse mais qui a perdu de sa mollesse. »

« L’odeur change quand on se rapproche de la tranche. Elle est moins fruitée, plus acide. Acide n’est pas le mot juste, c’est aigre qu’il faut dire.

Si l’on en vient au bois du papier, ce n’est pas du bois vert : pas assez d’amertume ; du bois mort non plus : trop de rondeur. C’est un bois qui est au point extrême de son brûlement. Cette chaleur, les feuilles la communiquent en même temps que le sens de leurs phrases : c’est d’elles qu’elles tirent un peu de la leur« .

Avec cette conclusion ouverte, page 154 :

« Mais bien vite, les saveurs se perdent, et il faut tourner la page. En voici une autre ;

et de nouveau cette puissante imprégnation et mille rumeurs venues d’ailleurs« .

Suivent encore cinq pages merveilleuses consacrées à la palette des saveurs et goûts des livres

_ découverts par le narrateur, enfant, dans le second des « deux combles en mansarde » (page 156) du grenier de la maison de la grand’mère de Paray,

dans lequel « on avait remisé tous les objets que l’usure, l’inemploi, et, cause principale de tous les abandons, la mort de leurs possesseurs _ et utilisateurs _, avaient rendu encombrants dans les lieux ordinaires de séjour. On les avait relégués _ donc, faute d’usage encore _ dans cette partie moins ostensiblement vivante d’une maison que sont les greniers et les caves » ;

et « c’est , laissés à eux-mêmes

comme des marins qu’on a débarqués sur une île

et qu’on retrouve après vingt ans, sales, hirsutes, rongés de chancres, tout à fait démodés, mais irrésistiblement attrayants et prêts _ tel le « Robinson Crusoë » de Daniel Defoe _ à faire le récit de leur extraordinaire aventure« ,

qu’ils « gisaient« , ces « vieux livres empilés, tous du second rayon« , dont se régale, ébloui, l’enfant curieux (page 157) _

pour cet étonnant chapitre 13 des « Confins de la mémoire« …

Et le narrateur de citer, « pêle-mêle » : « Danville et Piron« , « Nicole », « les dissertations de Bayle » ; les « contes de Nodier et de Xavier de Maistre,

le Théâtre de Clara Gazul, la Fanfarlo, les Lettres de la religieuse portugaise et Mimi Pinson »

_ œuvres dont les auteurs respectifs sont, comme nul ne l’ignore (!) : Prosper Mérimée, Charles Baudelaire, Gabriel-Joseph Guilleragues et Alfred de Musset !!! _,

« les œuvres légères de Fontenelle« , « un Cazotte que soutenaient philosophiquement des anecdotes du prince de Ligne » ; « les contes de Mme d’Aumont » ; « Florian » ; « Hamilton »

_ Antoine Hamilton (1646-1720), dont ont été publiés, en 1994, les « Mémoires du comte de Gramont » (son beau-frère), à « L’École des Lettres », aux Éditions du Seuil _,

« Régnard« , »Gresset ou Piron » ; « les conversations de Carmontelle« , les Essais dans le goût de Montaigne du marquis d’Argenson » et « Duclos » (pages 157 et 158)…

Avec cette petite phrase de conclusion de ce chapitre :

« C’est ainsi que (…) j’eus le bonheur d’avoir accès à tant de livres

qu’il me parut évident, et sans même y penser, que

s’il existait quelque part des gisements de plaisirs

_ on notera et retiendra la formule _

aussi inépuisables

que ceux que la nouveauté apporte tous les jours,

c’était dans les livres les plus oubliés des siècles passés. »

Soit une affaire d’attention

et de focalisations, donc,

tant dans ses « Promenades sous la lune »

que dans ses « Confins de la mémoire« …

Bref, quelque chose d’une méthode d' »attention intensive »

telle que celle à laquelle s’essaie, en toute modestie, un Titus Curiosus..


Titus Curiosus, ce 28 octobre 2008

Sous la lune : consolations des misères du temps

28oct

« Sous la lune »

(à propos des « essais » : « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, aux Éditions Grasset) :

c’est-à-dire quelque chose comme quasiment « dans la lune »
dans (les allées de) son jardin et (parmi les rayons de) sa bibliothèque
_ soit, peut-être, le « courage, fuyons ! » d’un « repli » (ou « retrait ») hédoniste _ ;

ou une lecture
_ tout à la fois « ravie »
et même tout près, assez souvent, d’être « enchantée »,
en même temps qu' »agacée »,
quelquefois, aussi, « aux entournures », « aux gencives » (au bord des dents ; pas loin de la langue et du palais) _
des « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, aux Éditions Grasset.

L’objet un peu étrange _ à identifier _ que représente l’« essai »
(« Essais » figure bien sur la page de garde ;

et Maxime Cohen en donne une belle définition, page 72, au chapitre « De quelques essayistes vus de trois quarts » :

« C’est un mélange incertain et indubitable d’érudition, d’épanchement, de poésie, d’humour, de polémiques et de bavardages étudiés, qui nous délassent en nous instruisant. Il n’est pas nécessaire qu’il soit exhaustif sur le fond, il lui suffit de s’entrouvrir sur un aspect singulier. On n’en attend aucune spéculation tonitruante mais une variation sur ce qu’on connaît déjà, aucune révolution mais une modification de l’angle ou du degré de notre vision. Les thèmes qu’il aborde se retrouvent dans d’autres livres mais pas sous cette forme. Ces dispositions attisent le goût des paradoxes, seul moyen de ranimer un sujet rebattu : un bon auteur d’essais propose les siens au public à la manière d’un médecin qui lui procurerait un remède non pas curatif mais fortifiant« 
On appréciera…).

L’objet un peu étrange que représente, donc, l' »essai »
de Maxime Cohen en ses « Promenades sous la lune » qu’éditent les Éditions Grasset _ le livre est sorti fin septembre_,

est à la fois une boîte (de 382 pages) à longs délices (en tiroirs successifs) de vagabondage _ pour le lecteur _ de culture (parfois extrêmement) poussée et raffinée (en leur contenu : peu couru, ou fréquenté, voire unique)

en même temps qu’un symptôme déjà un peu douloureux (« agaçant », viens-je de dire)
et somme toute un tantinet inquiétant des nouveaux temps
_ de barbarie

(ignorance crasse et incuriosité veule
assorties à une vulgarité et grossièreté arrogantes et agressives)
dès à présent à nos portes
(communes : tous sur un même bateau, « ivre »,
en notre « présent » partagé
, tant bien que vaille ;

alors :
comment s’en protéger, si peu que ce soit ?) :

d’où ce « versant doucement vénéneux du présent »
partagé
, en effet, par tout un chacun

Ces « essais » expriment,
du moins est-ce là ce que j’y lis, y perçois, y dé-chiffre, dessous la soie (de l’écriture de Maxime Cohen),
la tentation _ « ambiante », annonciatrice ?.. _ du repli (et retrait) hédoniste

(à l’écart de la vie partagée :
ce que Jacques Rancière nomme, dans un bien bel essai, « Le Partage du sensible« , de 2000, déjà _ à La Fabrique)

la tentation du repli (et retrait) hédoniste, donc,
sur (et en) son jardin
_ de curé, en l’occurrence, dans le cas de l’auteur :
« Maxime Cohen vit entre Paris où il est conservateur général des bibliothèques
et un petit village de Haute-Normandie où il cultive

_ « épicuriennement », commenterai-je _
un jardin de curé« , indique la « Quatrième de couverture »…) ;

sur (et en) son jardin de curé, dans le cas de l’auteur, donc,
de ces « essais »
assez rapides (alertes, véloces, « fa presto« ) :
l’auteur n’oubliant certes pas de penser _ éditorialement, en quelque sorte ; et poliment, en tout cas _
au lecteur un peu pressé (en « temps disponible » de sa part : lire en requiert, forcément ! de ce temps de « disponibilité » attentive, et un tant soit peu curieuse…)
et sans trop de réserves, non plus, de patience :

plusieurs chapitres (tels « Des manières de lire ce livre » _ page 35 _ et « Où je vous imagine » _ page 143) s’adressant fort obligeamment directement et frontalement à lui, « le lecteur » ;

en ménageant, par une certaine qualité de la brièveté de l’écriture, la patience/impatience de la lecture :

« la brièveté sobre et légère est la meilleure compagnie de notre loisir
_ dit ainsi l’auteur page 257, au chapitre « De la fatigue » _,
dans notre vie comme dans notre lecture : c’est le nombre d’or d’un ouvrage qui a la prétention d’être lu.« 

Précisant encore :
« La peine à réussir certaines de nos entreprises est souvent l’indice irréfutable de notre peu de talent pour elles. L’apologie du travail trouve là une de ses limites inexplorées. Nous ne devrions faire que ce que nous faisons facilement« ,
en lui adjoignant ce vers du grand La Fontaine (de la fable « L’âne et le petit chien » _ « Fables« , IV, 5) :
« Ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien avec grâce« 

Alors !…

Ces « essais » expriment, ainsi, la tentation du repli (et retrait, voire retirement) hédoniste
sur (et en) son jardin
ou/et sur (et en)
sa bibliothèque :


vers la consolation de (par des) fleurs
_ pour celles des allées du jardin _
et de (par des) livres
_ pour ceux des rayons de la bibliothèque _
choisis _ livres et fleurs _ ;

ainsi que,
comme renfort de satisfaction
en « nourritures terrestres« , gidiennement, quasi _ mais oui, Nathanaël !.. _,
le potager, la cuisine, le cellier, la cave à vins

_ j’adore personnellement le passage, pages 162-163, sur le vin de « Graves » :
« Lorsqu’on le porte aux lèvres, (…) le vin de Graves nous révèle ce qu’il nous avait dérobé »
(au prime abord « au nez« , en cette « sorte de grisaille » qui, venait de dire Maxime Cohen, « comme les chefs-d’œuvre, déçoivent le profane étourdi par la renommée« …) : comme c’est bien « senti » !..
« Mais dès qu’on laisse au temps le soin de décanter cette première impression ; dès que les premières atteintes d’une mémoire encore proche ont enrichi les saveurs d’une seconde gorgée en la chargeant d’une longueur et d’une complexité qu’il est laissé à la troisième d’amplifier puis aux suivantes de parfaire : alors toutes les richesses de ce vin se révêlent au goûteur le moins indulgent, dont l’espérance future de nouvelles dégustations, prometteuses de découvertes illimitées, magnifie en douceur celle qu’il est sur le point d’achever« … _ ;

et même le grenier (des choses écartées, mais tout de même conservées, pas jetées, ni détruites tout à fait ; et donc « retrouvables », un beau jour…) ;

en plus de la compagnie _ conversante _ de quelques amis ;

ainsi,
peut-être aussi, mais c’est _ volontairement _ plus flou, de la part de l’auteur (toujours assez prudent, du moins en ces pages),

ainsi que d’amours
_ « se faisant »

(c’est presque une gymnastique vivifiante, comme, par exemple, après une maladie ;
ou bien pour faire la nique aux avancées, naturelles, forcément, du vieillissement physiologique…) _

ainsi que d’amours, donc,
de passage

(l’auteur allant jusqu’à parler, ici, mais toujours fort discrètement à son propos
_ il a la sainte horreur de se mettre lui-même en scène,
jusqu’à, même, le reprocher au Montaigne de ses « Essais« ,
au « style » qualifié, page 43, de « cahoteux » (!..) ;

l’auteur allant jusqu’à parler, à propos de ces « amours se faisant »
de « plaisir« , voire d' »érotisme« ) :
cf notamment le chapitre page 105, à propos de la satisfaction offerte (dans l’Antiquité) par certaines beautés (viriles) _ ;

toute cette « consolation », donc,
vient compenser, en son « quant à soi », les peines et douleurs d’une époque rude,
sèche, rugueuse,
pas encore assez douce en son obtuse arrogante grossièreté…


D’où le choix _ sélectif, si je puis dire, pléonastiquement _ d’un certain dilettantisme
(en fait de « mode de vie », carrément ; et pas uniquement d’écriture),
consistant à s’abstraire
_ pour l’auteur-lecteur-compagnon-ami-jardinier et bibliothécaire _
le plus possible
des occasions et risques
de chagrin et peine de passion,
et peut-être même sentiment
,

pour ne « retenir », de son « tri » d’exister, que des plaisirs (d’émotions), ainsi,
« choisis », filtrés, triés sur le volet
_ et d’excellentes sortes,
particulièrement « raffinés » en effet, de la plus « haute » gamme, même, en leur rareté, et même « singularité » assez magnifique :

comme, un exemple entre mille, celui de se délecter du théâtre de Voltaire _ par exemple, « Mérope« , ou « Irène » ;
de « Mahomet« , l’auteur se contente de citer en note, page 304, la traduction par Goethe en 1802, ainsi que le fait que ce dernier « s’inspira du sujet dans un fragment dramatique éponyme, ainsi que dans des scènes de « Faust » _ ;

se délecter du théâtre de Voltaire, donc :
Voltaire ainsi, par Maxime Cohen, « réhabilité » (comme auteur magnifique) en son théâtre ;

et c’est toute la tradition « classique » _ et pas seulement la tradition dramaturgique classique _ qui peu à peu est mise en charpies _ depuis Stendhal et Victor Hugo en faveur de Shakespeare et contre Racine ! _  par ce qui, sur le marché de l’Art (et de l' »entertainment« , comme on dit à Broadway et à Hollywood), la « remplace », en l’ère du triomphe de la marchandise et du marketing (et marchandising),
via la déferlante des « Avant-gardes » (modernistes) successives depuis le début du XIXème siècle « démocratique » (et le XXème bientôt « populiste » _ ou « pipolisé » :

cf l’excellent « La Privation de l’intime _ mises en scène politiques des sentiments« , de Michaël Fœssel (aux Éditions du Seuil, ce mois d’octobre-ci…)…

alors que pas un mot, ou guère
_ me semble-t-il, du moins : je n’en ai pas souvenir ! _,
n’est consacré à l’œuvre, si brûlante (à mes sens), de Marivaux…

L’auteur prend, aussi _ ou ainsi _, un (petit) malin plaisir à cultiver _ goûteusement _ le paradoxe :
page 73, lui-même avait signalé combien les « dispositions » de l’essai, comme « genre », « attisent le goût des paradoxes« ,
ajoutant même alors, en technicien-praticien de l' »exercice » : « seul moyen de ranimer un sujet rebattu » ;

au point qu’on en vient, en lisant plus avant le livre (de 382 « riches » pages), au bord (vertigineux : il y a « gouffre ») de la question :

ne serait-ce pas là,
ce livre,
une (et assez cruelle, même !) parodie
de l’élitisme éclectique
d’un certain snobisme ?..


A deux ou trois reprises, le nom de William Thackeray, « l’auteur du « Livre des snobs« , est évoqué (quatre, en fait : aux pages 78, 141 et 224 : par deux fois) ;
quant au « Livre des snobs » lui-même, en tant qu’œuvre, veux-je dire, ce serait à vérifier :
et la réponse est oui : page 224, au chapitre « Sur l’art de traduire« ,
pour désigner, après l’évocation de la traduction de « Vanity fair » par Georges Guiffrey en 1855, « avec la bénédiction de Thackeray » lui-même,

pour désigner, donc, « l’auteur du « Livre des snobs« ,
mais sans rien en dire (ou révéler d’indicatif, cette fois : y réfléchir) davantage…

L’hypothèse prendrait même un semblant de consistance
en relevant les « réactions » éminemment favorables _ sinon « complices »,
si elles n’étaient d’absolue bonne foi, ou tout bonnement, peut-être, de premier degré, voire « naïves », si l’on préfère, de critiques _ d' »organes de presse » tels que Le Figaro (article intitulé « le gai savoir« , par Etienne Montety, le 18 septembre), ou Valeurs actuelles (article intitulé « contre les dégoûts de la vie, lisez Maxime Cohen« , le 18 septembre, aussi) ;

Patrick Kéchichian, de même, dans Le Monde (du 19 septembre), étant, lui-même, « très favorable » à ces « Promenades sous la lune« , sans être tout à fait aussi dithyrambique que ses confrères (davantage épris de « classicisme », vraisemblablement) du Figaro et de Valeurs actuelles :

j’en retiens cette phrase :

« Érudit bienveillant et universel à la manière de George Steiner (en plus souriant), de Mario Praz, d’Alberto Manguel ou encore de Borges (avec lequel il maintient une certaine distance), Maxime Cohen a écrit le plus beau livre d’heures et de raison que l’on puisse imaginer. On partage, ou non, sa philosophie, entre sophistique et scepticisme. On peut le suivre, ou non, dans ses goûts, ses choix. Aucun obstacle ne vient interrompre ces « Promenades sous la lune« . Seuls notre égoïsme et notre manque de curiosité nous empêcheraient de poursuivre l’intense conversation à laquelle Maxime Cohen nous invite. »

Excellente balance du jugement…

Bref,
son propre plaisir de lecteur,
sans ses agacements,
se voit ici
_ dois-je bien volontiers « reconnaître » _ comme croqué, singé, parodié, porté à la brûlure _ luminescente ! _ de la caricature,
au point
d’en être _ ou qu’on en soit _ piqué jusque de colère :
tant de (terriblement efficace) lucidité…


L’autorité (du travail sociologique) de « La distinction » de Pierre Bourdieu
s’en verrait « renforcée »,
en matière de qualification d' »élitisme »…

Maxime Cohen n’est cependant pas
(tout à fait) un (autre, si c’était possible !) Michel Deguy
_ dépourvu, lui (philosophe) _ et absolument ! _, de tout maniérisme, dans la sobriété (verte, de verdeur alerte) de sa parfaite (admirable) pure et simple sublime justesse (envers la vérité : quant au réel !..) ;
lire, par exemple, le très grand « Le Sens de la visite » (aux Éditions Stock, en septembre 2006) ;

ni (tout à fait), non plus _ et d’une tout autre façon, bien sûr ! _ un (autre !) Renaud Camus
_ dont on admire le courage des engagements (forts :
sans bavures, tant ils sont droits, clairs et nets)
d’écriture et d’existence ;

avec, aussi, ce qu’il en a récolté (à la tonne, pas à la petite cuillère, ni même à la louche : au tombereau…) d’éclaboussures de boue de « scandale » (en son « affaire« , le printemps et l’été 2000) :

il faut, ici, lire _ c’est un très grand « Précis de lecture« , et (forcément !) méconnu, négligé (du fait du « scandale »…) _ sa parfaite défense, à la virgule près
(telle celle _ défense, et non virgule ! _ de Socrate en l' »Apologie » reconstituée, post mortem, par Platon,
toutes proportions gardées, bien sûr, mais tout de même :
que d’injustices
de beaucoup (!) à « hurler »
_ sans avoir effectivement ce qui s’appelle « lu » ! « lu vraiment » ; et pas « en survolant » « à la va-vite » (ou/et en maniant des ciseaux ; et œillères)… _ ;

à « hurler avec la meute
« des loups,
ou des chacals) ;

il faut, ici, lire _ vraiment ; et « en vérité »… _, donc, ce très grand « Précis de lecture« ,
qu’est le « rare » (et sans majuscules sur la couverture) « corbeaux _ Journal 9 avril – 9 juillet 2000« , édité par « nouvelles impressions », et publié, dans l’urgence _ bousculée, violentée _ de sa « défense », le 8 novembre 2000 ;

bien des « parleurs » (sur les ondes ; et « écriveurs », sur le papier) « en prendraient »
_ pour si « mal » (ou si « peu ») « vraiment » lire, peut-être (si nous rêvions un peu !..) _
« de la graine »…

Fin de l’incidente à propos de Michel Deguy et de Renaud Camus ;
desquels j’ai distingué
tout en l’en rapprochant un peu, aussi,
Maxime Cohen :
qu’on en juge_ en les lisant tous trois…

Maxime Cohen offre, ainsi, une sorte de graffitti _ comme en estampes, ici _ à la Tiepolo (1696 – 1770)
sur ce que deviennent, à un tournant de pourrissement, les fruits (splendidement matures, juste avant ce « tournant » ; et succulents) d’une culture ou civilisation
_ pour Giambattista Tiepolo, c’était la Venise des Lumières :

Venise :
une cité et une civilisation qui devint, sur le tard (de sa république), putassière :
Maxime Cohen raconte ce que dit si joliment
(au très court chapitre « De la plus courte scène érotique de la littérature française« , à la page 186 de ces « Promenades sous la lune« )
le « salé » (page 203) en même temps que « de grand ton » (page 204) Président (et bourguignon) Charles de Brosses
(« au chapitre quatorze« , et à la date du 13 août 1739, de ses justement célèbres « Lettres d’Italie« )
de « la signora Bagatina, en réalité l’épouse d’un noble vénitien qui se prostitue _ elle, pas lui (du moins je le suppose) _ aux étrangers en échange d’un certain nombre de sequins »
(page 186, donc ;
pour l’édition des « Lettres d’Italie » du Président de Brosses, du Mercure de France, en 1986,
le passage se trouve à la page 195 du tome premier),

en matière de ses rencontres de courtisanes vénitiennes
_ on se souvient de l’image de celles (« Deux courtisanes« , vers 1510 – 1515) de Vittore Carpaccio (ca 1455 – 1526)_ ;

voici le passage admiré (« je ne vois rien qui puisse (à « ces quelques mots« ) être préféré chez Sade ou chez n’importe quel pornographe« , « notre président les coiffe haut la main » :

 » Enfin, s’apercevant de ce qui causait mon inquiétude, elle a eu le bon procédé de la lever elle-même au bout d’un instant, en quittant son faux nom et sa fausse décence. Elle a même eu l’air surpris de ma libéralité. »

Je relèverai seulement que Maxime Cohen a « shunté » de la lettre de de Brosses, à la suite de l’expression « fausse décence« , trois vers
de l' »Enfer » (au chapitre viii) de Dante, que voici :
« E poi che la sua mano alla mia pose
Con lieto volto, onde mi confortai,
Mi mise dintro alle segrete cose
« …

De même qu’il a coupé l’explicitation par de Brosses de sa « libéralité ; car _ poursuivait-celui-ci _ en faveur du meuble et de l’habillement, j’ai doublé les sequins, ne voulant pas avoir rien mis de médiocre dans une main ornée de diamants« …

Voilà pour la « grande manière qu’il met, en passant, à tout cela« , conclut son chapitre de trois pages
quant à Charles de Brosses en goguette « érotique » à Venise, en 1739,
page 186, Maxime Cohen.

Venise, donc,
mûre et blette
avant (ou « au tournant » de) la chute :

le premier coup de grâce _ pour l’ État de Venise _ viendra de Napoléon (en 1797 : abdication du doge Lodovico Manin ; fin de la république de Venise) ;
puis ce seront les Autrichiens qui, au Congrès de Vienne (en 1815), ramasseront (raffleront : pour un bon demi-siècle, jusqu’en 1866) le « tapis » de ce « jeu » (de dupes) ;

on en jugera par les délicieusement « vertes » aventures du « Senso » de Camillo Boito (ou le « Carnet secret de la comtesse Livia« ) ;
puis, à son tour, de Luchino Visconti, en 1954
(avec ce qu’il advient de la rencontre du bel officier autrichien _ de Stewart Granger, dans le film _ et de la plus belle encore comtesse vénitienne _ d’Alida Valli _,
après l’incident,
en ouverture (tant individuelle que collective _ bien sûr, comme toutes nos vies, elles « se tissent » serré),
des tracts (et cocardes tricolores) lancés en pluie des balcons du théâtre de la Fenice (= le Phœnix, animal sachant renaître de ses cendres : le théâtre revivant après avoir brûlé le 13 décembre 1836 ; puis le 29 janvier 1996…),
en ouverture des « hostilités » de la « révolte » : c’était le 27 mai 1866, à la fin du troisième acte du « Trovatore » de Verdi, aux cris de « Viva Verdi ! » (= « Vive Victor-Emmanuel, roi d’Italie !« )…

Bref, ces « Promenades sous la lune« 
_ l’expression est délicieusement (indirectement) empruntée à la plume de la _ tout simplement : au pied de la lettre _ charmante Madame de Sévigné (1626 – 1696), en ses « saisons » (par exemple le 12 juin 1680 ; mais déjà le 21 octobre 1671) passées en son jardin du château des Rochers,

la mère « rassurant », sur sa (propre) santé et ses humeurs (heureuses, joyeuses, facétieuses, même, en sa faconde)
par ce que qu’elle en narre (et plus encore par son art même, merveilleusement « libre », « échevelé », de le narrer : quelle « raconteuse » !) ;

« rassurant », donc, sa très chère fille, Madame de Grignan (Françoise-Marguerite _ 1646 – 1705), demeurant au loin, en Provence,
en sa nouvelle demeure _ le château de Grignan _ d’épouse
_ la troisième (le mariage a été célébré le 29 janvier 1669) :
la première (d’épouse), Angélique-Clarisse d’Angennes, est morte en 1664 ;
et la seconde, Marie-Angélique du Puy-du-Fou, en 1667 _ ;

en sa nouvelle (depuis 1669) demeure _ le château de Grignan _ d’épouse, donc,
du Gouverneur de Provence, François de Grignan (1632 – 1714), de la famille provençale des Castellane-Adhémar
_ jusqu’à leur fils (enfin !) qui est baptisé de ce double prénom (royal) de « Louis-Provence » (1671 – 1704) _ ;

qu’elle
_ marquise de Sévigné, née Marie de Rabutin-Chantal (1626 – 1696),
tout à la fois bourguignonne (par son père : Celse-Bénigne de Rabutin-Chantal _ 1596 – 1627)
et parisienne (par sa mère, Marie de Coulanges _ 1603 – 1633 _, place Royale, et au Marais) _

sait, l’âge venant, puis, bel et bien, venu, et advenu,
prendre et goûter à loisir son plaisir
(de veuve joyeusement tranquille) en son château (acquis par elle par mariage, puis _ bien vite _ veuvage, avec le marquis Henri de Sévigné, breton _ 1623 – 1651) ;

en son château et en son parc
retiré de Bretagne _ des Rochers, proche de Vitré _,
et loin d’elle, sa fille adorée :

je ne résiste pas au plaisir de citer ce merveilleux passage de la lettre « Aux Rochers, ce 12e juin (1680) »,
lettre débutant par « Comment, ma bonne ? j’ai donc fait un sermon sans y penser ? »
(page 968 du volume II de la « Correspondance«  de Madame de Sévigné, dans l’édition établie par le regretté Roger Duchêne en 1974, dans la bibliothèque de La Pléiade
_ le passage se trouve à la page 970 de ce volume II de la Pléiade ;
et pages 22 & 23 des « Promenades sous la lune« , où le cite jubilatoirement, à son tour, Maxime Cohen :

« L’autre jour, on vint me dire : « Madame, il fait chaud dans le mail, il n’y a pas un brin de vent ; la lune y fait des effets les plus brillants du monde. »
Je ne pus résister à la tentation ; je mets mon infanterie sur pied ; je mets tous les bonnets, coiffes et casaques qui n’étaient point nécessaires ; j’allai dans ce mail, dont l’air est comme celui de ma chambre ; je trouvai mille coquecigrues, des moines blancs et noirs, plusieurs religieuses grises et blanches, du linge jeté par-ci, par là, des hommes noirs, d’autres ensevelis tout droits contre des arbres, des petits hommes cachés qui ne montraient que la tête, des prêtres qui n’osaient approcher.
Après avoir ri de toutes ces figures, et nous être persuadés que voilà ce qui s’appelle des esprits

_ nous dirions, nous, « fantômes » _,
et que notre imagination en est le théâtre,
nous nous en revînmes sans nous arrêter, et sans avoir senti la moindre humidité

_ nocturne de ce mois de juin en Bretagne.
Ma chère bonne, je vous demande pardon ; je crus être obligée (…) de donner cette marque de respect à la lune. Je vous assure que je m’en porte fort bien«  :

la santé de la mère (veuve),
et plus encore celle de la fille (en âge de procréer),
entre grossesses successives, couches périlleuses, et craintes (de la part de la mère) des renouvelées velléités (et péripéties) génitrices de l’épouse de M. de Grignan, si sourcilleusement soucieux, lui, d’assurer son lignage
et d’obtenir des héritiers mâles de sa troisième épouse, Françoise-Marguerite,
les deux précédentes, Angélique-Clarisse et Marie-Angélique, étant toutes deux mortes de suites de couches ;

la santé de la mère, comme celle de la fille,
sont, donc, un sujet permanent d’inquiétude (et discours) en filigrane de cette « libre » correspondance (privée, à cœur ouvert, à fleur d’émotions et « passions ») entre Madame de Sévigné et Madame de Grignan… _

Bref
_ je reprends mon fil _,
ces délicieuses « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, ce mois de septembre 2008,
forment un « état des lieux »
ravissant et goûteux _ d’un très « haut » goût, même _
d’un « état » de civilisation peut-être mûre et blette

« au bord de la chute » : le nôtre, cette fois
_ et non plus celui d’une Venise, au tournant des xviii et xix èmes siècles _
en ce « bel aujourd’hui », blet et assez pourrissant,
de notre « présent »
commun, partagé :

les « sequins » d’aujourd’hui
« rongeant »
bel et bien,
et au galop, s’il vous plaît,
pas mal de nos « affaires »,
un peu plus visiblement que d’habitude, ces derniers temps-ci…

Aussi,

se mirer (pour le lecteur) en pareil miroir (de lecture)
est-il en même temps savoureux, délicieux, oui,
par ce que la curiosité et le goût de la justesse trouvent ici d' »aliment », et consistant,
en de très beaux et très justes chapitres
(et à mille lieues de la plus petite ombre de « lourdeur »),
tels, en butinant :

« De Cicéron et des jardins« ,
« Petit éloge des ordinateurs » (sur la prestesse de l’écrire _ et du penser),
« A propos du discours de Lorenzo Valla sur la fausse donation de Constantin »
(au pape Sylvestre _ pape de 314 à 335 _, sur le souci d’établir la vérité des « faits » en « la recherche et l’édition critique » _ page 63 _, « vers 1450« , pour ce travail de Valla _ page 64),
« Apologie personnelle de l’essai littéraire » (j’y applaudis des deux mains !),
« De la douceur bénédictine« ,
« Éloge empoisonné du barde immortel d’outre-Manche » (sur Shakespeare et ses « monstruosités »),
« Propos sur l’e muet » (capital ! sur ce qu’est le français),
« Au sujet d’Aristote » (et de son style !),
« Des vins » (le passage sur les « Graves« , pages 162-163, est d’un très avisé _ et juste ! _ palais ;
même si l’auteur indique aussi que son « faible va au bourgogne« , quand je suis bordelais !..),
« De la ponctuation » (sur le rythme ; et le souffle : essentiel !!!),
« Sur l’art de traduire« ,
« Critique amusée de Marcel Proust« ,
« Sur la bibliothèque de Leibniz » (magnifique !),
« De la conversation » (bien sûr !),
« Des maladies » (quelle belle justesse d’expérience, après celle de Montaigne),
« Sur la tragédie de l’Europe classique » et « Éloge vengeur du théâtre de Voltaire » _ frisant un peu, tout de même, le paradoxe _,
« Contre les romans » (mais oui !),
« Du juste statut de l’original et de ses copies« ,
« Sur l’imparfait du subjonctif« ,
« Adieu à la musique » et « Naufrage souriant de la culture savante« ,
« De la vieillesse » (oui !),
« Tombeau de la grande abbesse de Fontevrault » (sur l’esprit des Mortemart,
une enquête savoureuse, dans la continuation de « lièvres » déjà, mais pas assez, au goût de l’auteur, « levés » par Proust, Saint-Simon, Retz),
etc… ;

bref, ces délicieuses « Promenades sous la lune »
forment un « état des lieux » ravissant et goûteux

en même temps que, par quelque « angle de regard », écœurant et effrayant
de l’inconscience (?..) et (auto ?..) aveuglement de l’égoïsme (?) d’un tel _ peut-être celui de l’auteur (?) _ dilettantisme
(goût exclusif du plaisir, bien dé-taché, à l’écart, du moindre risque d' »ombre » seulement, même, de chagrin et de peine) ;
et, peut-être, snobisme…

refusant
_ en, semble-t-il, en repoussant a priori l’éventualité : mais est-ce bien le cas ?.. je suis peut-être injuste… _
un vrai (solidement ancré _ et pas rien que « d’encre » _ dans le réel !) amour,
une passion,
un engagement

avec les suites et conséquences (bien réelles)
qui nous requièrent
(en entier, carrément ; sans retour, sans repli, sans retrait, ni retraite) :
telle qu’un amour réel et des enfants…

C’est du moins le sentiment que j’ai retiré
de ce qui m’a paru constituer un « retrait » calculé de soi et pour soi
sur son seul « quant-à-soi »…

Je remercie vivement l’ami Patrick Sainton,
généreux de sa vie et de son art, de son œuvre,
de m’avoir donné à « rencontrer » ce livre délicieux, passionnant, si riche et si souvent tellement juste,
et effrayant, tout à la fois,

sur soi (et d’autres) : en tous cas sur ce qu’il en est
_ ou m’a, du moins, paru « être » _
de « versants doucement vénéneux »
de quelques unes des pentes
(plus ou moins douces) de notre
incertain et trouble
« présent »…


Il n’empêche :
comme nous approuvons Maxime Cohen, quand,

à propos de certaines réticences de Voltaire à l’égard de Shakespeare, au chapitre « Éloge empoisonné du barde immortel d’Outre-Manche »,
il avance, page 129 :

les arguments « de Voltaire contre Shakespeare relèvent donc moins de l’histoire du goût littéraire que d’une certaine philosophie de l’histoire »
_ vers un refus des « formes » et du « style », au profit du laisser-aller des pulsions, vannes grandes ouvertes du « monstrueux »
et de l' »inhumain »…


Ces arguments-là,
« ce n’est pas Shakespeare qu’ils visent, mais nous _ les « modernes » ! _ qui préférerions dans l’art _ on appréciera l’emploi de ce conditionnel _ ce qui dit non à l’art _ et aux « formes », et au « style » _
et par là même à l’humanité. »

Rien moins.

Ou quand l’esthétique est un enjeu « de première ligne » (« de front ») de la « civilisation »…
Merci, déjà, de cela, Maxime Cohen…


Titus Curiosus, ce 24 octobre 2008….

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