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Le délectable « Saint-Jean-de-Luz de A à Z _ Confidences et souvenirs de Mari Kutzu » de Jacques Ospital…

02sept

Lors de mon dernier passage à Saint-Jean-de-Luz,

je me suis procuré le délicieux « Saint-Jean-de-Luz de A à Z _ Confidences et souvenirs de Mari Kutzu » de Jacques Ospital, tout récemment paru, aux Éditions Arteaz:

Inquiet de voir Saint-Jean-de-Luz perdre son identité, tandis que les résidences secondaires y fleurissent, l’auteur est parti à la rencontre de Mari Kutzu, une _ fictive, mais fort bien renseignée… _ Luzienne d’un âge avancé qui lui a raconté ses souvenirs _ parmi bien d’autres affleurant, en concurrence, et fort pittoresques : des suites de ce premier volume sont ainsi attendues… _ de cette cité, entre descriptions, morceaux de poésie et coups de gueule. ©Electre 2024

Ce lundi 2 septembre 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Question : lesquels des « Tirages Fresson » de Bernard Plossu, sont ceux que je préfère ?.. Avec un court répertoire des images nouvelles et des déjà montrées… Episode 2.

04nov

Avant de présenter mon _ très _ modeste choix personnel _ forcément subjectif… _

d’images _ de tirages Fresson couleurs _

qui me bouleversent, enchantent et fascinent,

de l’ami Bernard Plossu,

je désire noter d’abord,

dans la comparaison des trois albums de « tirages Fresson couleur » que je connais à ce jour,

quelles sont,

parmi les images que je préfère,

celles qui me paraissent _ eu égard à ma connaissance, plus que probablement incomplète de la très généreusement profuse œuvre-Plossu _ inédites par rapport

au « Plossu Couleurs Fresson » de l’exposition de Nice, au Théâtre de la photographie et de l’image, en 2007 ;

et au « Couleurs Plossu » de l’album paru aux Éditions Hazan, en 2013.

Entre les 80 images du « Tirages Fresson » de 2020 (aux Éditions Textuel)

et les 97 images du « Plossu Couleurs Fresson » de 2007 (dans le catalogue de l’exposition de Nice),

je remarque, ainsi, que sont co-présentes _ Bernard Plossu tient donc particulièrement à elles, pour une raison, ou une autre _ 20 images

_ sommairement légendées d’un lieu, suivi d’une année, sans autre précision,

aux pages 95 (de l’opus de 2020) et 33 (de l’opus de 2007) : « Mexique, 1966«  ;

76 et 35 : « Mexique, 1966«  ;

77 et 59 : « Guanajato, 1966« 

36 et 65 : « Paris, 1968«  ;

69 et 80 : « Sud du Nouveau Mexique, 1980«  ;

86 et 86 : « Santa Fé, 1982«  ;

61 et 95 : « le sofa rouge de Carlos Serrano, Madrid, 1980«  ;

28 et 98 : « le jus d’orange, États-Unis, 1980«  ;

60 et 99 : « Grenoble, 1974«  ;

96 et 100 : « Californie, 1974«  ;

40-41 et 105 : « Taos, 1979«  ;

67 et 106 : « Ranchos de Taos, 1977«  ;

15 et 108 : « Taos, 1978«  ;

24 et 109 : « Nouveau-Mexique, 1978«  ;

87 et 111 : « Mexique, 1981«  ;

54-55 et 114 : « Grenoble, 1988«  ;

29 et 115 : « Californie, 1977«  ;

70 et 118 : « Nijar, 2003«  ;

6 et 130 : « Mexico, 1966«  ;

et enfin 47 et 131 : « Françoise, Paris, 1986« .

Entre les 80 images du présent « Tirages Fresson » de 2020

et les 143 images du « Couleurs Plossu _ séquences photographiques 1956 – 2013 » de 2013 (aux Editions Hazan),

sont co-présentes 24 images

_ aux pages 36 (de l’opus de 2020) et 27 (de l’opus de 2013) : « Foire du Trône, Paris, 1968«  ;

67 et 53 : « Ranchos de Tao, 1977«  ;

87 et 56 : « Nord Mexique, 1981«  ;

24 et 59 : « Taos, 1978«  ;

95 et 65 : « Mexico, 1966«  ;

76 et 66 : « Mexico, 1966«  ;

74 et 73 : « Molène, 2008«  ;

98 et 79 : « Ventotene, 2010«  ;

37 et 81 : « Mer du Nord, 1970«  ;

54-55 et 82 : « Grenoble, 1988«  ;

97 et 94 : « Palerme, 2008«  ;

44 et 97 : « en train, en Italie, 2008«  ;

28 et 101 :« Californie, 1980«  ;

58 et 102 : « San Francisco, 1966«  ;

60 et 104 : « Grenoble, 1974«  ;

61 et 105 : « le sofa rouge de Carlos Serrano, Madrid, 1975«  ;

38 et 106 : « Italie, 2009«  ;

57 et 108 : « Milan, 2008«  ;

86 et 116 : « Santa-Fé, 1982«  ;

18 et 117 : « Palerme, 2008«  ;

77 et 118 : « Guanajato, 1966«  ;

85 et 121 : « Paris, Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, 2007«  ;

46 et 122 : « Mexico, 1966«  ;

et 47 et 122 : « Françoise, Paris, 1986« .

parmi lesquelles 15 d’entre elles sont co-présentes dans les trois albums de 2007, 2013 et 2020

_ aux pages 36 (de l’opus de 2020), 27 (de l’opus de 2013) et 65 (de l’opus de 2007 ) : « Foire du Trône, Paris, 1968«  ;

67, 53 et 106 : « Ranchos de Tao, 1977«  ;

87, 56 et 111 : « Nord Mexique, 1981«  ;

24, 59 et 109 : « Taos, 1978«  ;

95, 65 et 33 : « Mexico, 1966«  ;

76, 66 et 35 : « Mexico, 1966«  ;

54-55, 82 et 114 : « Grenoble, 1988«   ;

28, 101 et 98 : « Californie, 1980«  ;

58, 102 et 29 : « San Francisco, 1966«  ;

60, 104 et 99 : « Grenoble, 1974«  ;

61, 105 et 95 : « le sofa rouge de Carlos Serrano, Madrid, 1975«  ;

86, 116 et 86 : « Santa-Fé, 1982«  ;

77, 118 et 59 : « Guanajato, 1966«  ;

46, 122 et 130 : « Mexico, 1966«  ;

et enfin 47, 122 et 131 : « Françoise, Paris, 1986«  .

Pas mal d’annotations de lieux demeurent ainsi vagues,

car l’important,

pour Bernard Plossu à l’adresse de son public,

n’est jamais _ disons bien jamais _ la localisation géographique de cette partie de réel que son image a saisie ;

et ces annotations de lieux, pays et d’années dénotent aussi, assez souvent, que le vague de la localisation du lieu de la prise de cette image, à la volée,

n’exprime qu’un travail postérieur approximatif _ mais bien suffisant pour sa fonction purement pragmatique _ de repérage par _ et à destination de _ la mémoire

_ de la part de l’auteur de ces images exposées ; et à la seule destination de lui-même… _,

qui n’a pas besoin de localisation géographique précise pour légender, a minima, cette image :

un pays, une province, et une année, ça _ lui _ suffit largement _ pour ses propres repères d’archivage mémoriel _ ;

 

pas mal de vues, aussi, ont été prises _ au vol _ depuis la fenêtre d’un train, d’une voiture ou d’un autobus _ en marche _ ;

et beaucoup, encore, en chemin _ le saisisseur de l’image, lui-même cheminant… _,

au cours de longues randonnées, à l’aventure, souvent dans des zones peu habitées _ de montagnes, plateaux, plus rarement savane ou jungle _ ou carrément désertiques…

Dénuée, surtout, de tout pittoresque et anecdotique _ ainsi que de visée esthétisante séductrice, en un désir malvenu de plaire… _c’est la force même _ en quelque sorte brute et immédiate, quasi totalement décontextualisée… _ de l’image elle-même _ en une sorte, pour l’instant au moins, de quasi auto-suffisance à soi, à elle, l’image ; même si ce ne peut être, bien sûr, jamais absolument le cas : les images, comme le langage, ou l’expérience vécue, se renvoyant, elles aussi (afin de faire sens), les unes aux autres… _,

qui nous attache _ nous, leurs simples regardeurset enflamme _ en une presque pure douce jouissance _ à sa contemplation :

car les images de Bernard Plossu ne sont jamais _ j’y reviendrai ! _ totalement abstraites _ même quand, c’est-à-dire toujours !, les sous-tend quelque « abstraction invisible » ; cf l’important livre de ce nom, « L’Abstraction invisible« , aux Éditions Textuel, en 2013 ; de même que mon passionnant et très riche entretien avec Bernard Plossu, le 31  janvier 2014, dans les salons Albert Mollat, à Bordeaux, à propos de ce très important témoignage de Bernard Plossu sur son parcours photographique : … ; un article qui comporte un très commode lien au podcast (d’une durée de 60′) de ce très éclairant entretien dans lequel Bernard Plossu s’explique et livre de passionnantes clés à tout son travail…  _ ;

ces images entretiennent toutes et toujours un vivant (et très riche) rapport avec le réel _ perçu originaire : source de l’émotion matricielle d’où viendra sourdre l’image précise saisie sur  la photo _ qui a suscité le geste photographique de leur auteur, et dont _ ce réel déclencheur _ elles sont consubstantiellement, justement, une image, une vue, issues aussi du regard _ cadré dans la fulgurance de la volée _ de leur auteur…

Ces images proviennent ainsi tout à la fois du réél rencontré _ inspirateur matriciel du geste photographique _ et du regard photographique singulier _ inspiré et respiré _ de leur auteur, en l’occurrence le fantastique bonhomme Plossu…

Et d’ailleurs, dans ses expositions photographiques, Bernard Plossu choisit de ne surtout pas légender ses « images » _ ce qui risquerait, à ses yeux, de détourner, de l’image elle-même, au profit, parasite, de l’anecdotique du cartouche-légende, le regard présent du visiteur-regardeur, qui doit tout au contraire se plonger absolument en cette image ; et ici le grain succulent, mais pudique, des tirages Fresson est d’un très grand secours…

Pas plus que le livre dont on tourne les pages,

l’exposition que l’on parcourt ne doit constituer une sorte de témoignage-reportage _ touristico-géographique _ sur quelque lieu qu’il s’agirait de visiter ;

même si pas mal de l’âme des personnes _ très rarement saisies frontalement _ et des lieux, nous est aussi indirectement et pudiquement livré par ce qu’a su en percevoir et donner à partager avec une extrême acuité de sensibilité l’œil photographique de Bernard Plossu, en ses fascinantes merveilleuses images du réel le plus vrai…

Alors que la mémoire photographique de Bernard Plossu, elle, est formidablement infaillible,

en sa capacité de se faire un chemin assuré parmi le labyrinthe extraordinairement riche et foisonnant de ses milliers de pellicules et planches-contact, soigneusement conservées et classées :

il s’y repère quasi immédiatement, tel l’animal en son terrier-tanière aux milliers de couloirs, niches et cases… Il y est foncièrement chez lui, en son monde…

Alors, je réserve à demain l’expression de mon choix de préférences un peu personnelles

parmi ce florilège somptueux d’images saisies au vol par l’ami Plossu tout le long de sa vie de photographe voyageur et marcheur

hyper-attentif aux détails et paysages enchanteurs _ cadrés au vol par sa prise de vue _ du réel rencontré _ à saisir : c’est son jeu… _  par son fabuleux merveilleux œil photographique.

Ce mercredi 4 novembre 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

Lieux communs (ou pas) romains : entre peinture et photographie au XIXème siècle

22mai

Un petit dossier sur une partie d’Histoire du regard étranger sur Rome,

au XIXème siècle, quand, dans les débuts de la photographie,

les photographes viennent mettre leurs pas dans ceux des peintres

et sur leurs « platebandes »…

D’abord, cet échange de courriels avec l’ami Plossu :

De :   Titus Curiosus

Objet : « Photographie et peinture dans l’Italie du XIXème siécle »
Date : 11 mai 2009 18:13:17 HAEC
À :   Bernard Plossu

Cc :   Michèle Cohen

« Photographie et peinture dans l’Italie du XIXème siécle » !

Il s’agit du catalogue d’une expo qui devrait vous intéresser
, Bernard, Michèle, au Musée d’Orsay (jusqu’au 19 juillet 2009),
dont le titre officiel,
d’après un mot de Gœthe à propos de Naples (dans son « Journal » de « Voyage en Italie« )
mais pas du meilleur goût,
est « Voir l’Italie et mourir« 

Passionnant pour certaines photos :

une (de Giorgio Sommer, pages 2-3) du quai de Messine avant le tremblement de terre ;
d’autres _ superbes ! page 186 : le théâtre de Marcellus ! _ d’un nommé Robert Mac Pherson,
très actif à Rome entre 1957 et 1871 ;

comme ont pu l’être les frères Alinari à Florence ;
et bien d’autres encore : à Venise, à Naples ; et ailleurs…

Sur la peinture,
si l’œuvre du gallois Thomas Jones (un génie ! à découvrir !!!) est bien évoquée
(pages 38-39),
un choix beaucoup trop limité sur les peintres : Granet ou Fabre ne sont même pas mentionnés ;
Jean-Antoine Constantin, juste évoqué
(page 43)

Le livre de l’expo (sur une idée d’Ulrich Pohlmann et de Guy Cogeval)
est édité par Flammarion : « Voir l’Italie et mourir » ; et vaut 39 Euros…

Passionnant !

Titus

Ensuite, en réponse à un message d’invitation au vernissage de son expo lot-et-garonnaise :

De :   Bernard Plossu

Objet : Re : « Photographie et peinture dans l’Italie du XIXème siécle »
Date : 11 mai 2009 18:33:27 HAEC
À :  Titus Curiosus

Merci du tuyau !

Je rentre de LUCCA, une merveille !

et de Sovana, et de PITIGLIANO, superbe village, et de Carrara !

el B

Tu penses venir au vernissage de Musée de Gajac, jeudi 14 à 18h, à Villeneuve sur Lot ? Je sais que ce n’est pas à  coté…

l ‘expo est : les photos de « Avant l’âge de raison » et « Hirondelles andalouses« …

De :   Titus Curiosus

Objet : Vernissage à Villeneuve/Lot demain à 18h + Lucca
Date : 13 mai 2009 06:08:16 HAEC
À :   Bernard Plossu

Je ne pourrai pas venir demain à Villeneuve/Lot
(au vernissage du Musée de Gajac, à 18h),
étant pris trop tard dans l’après-midi à mon travail.
Je le regrette bien.

Pour le livre sur la photo en Italie au XIXème siècle,
il est très intéressant ; même si un peu frustrant
parce ce qu’il laisse deviner qui n’a pas été montré…

Tu verras toi-même.
Il y a sans doute des recherches à mener à partir de là…
Par exemple, sur ce photographe Robert Mac Pherson à Rome…


Sur Lucca,
il y a un excellent roman de Charles Morgan
« Sparkenboke« 
qui se passe à Lucques…
je l’ai lu il y a longemps ;
mais je me souviens encore des remparts de Lucques comme il en parlait…
Il y a longtemps que je n’y suis passé… A re-découvrir, en effet !

Titus

Ensuite,

sur cette expo parisienne,

ce papier aujourd’hui dans Le Monde,

avec quelques commentaires miens, au passage :

« L’Italie en peintures et en photographies : sujets communs, lieux communs« 

LE MONDE | 22.05.09 | 17h32  •  Mis à jour le 22.05.09 | 17h32

Les relations entre peinture et photographie au XIXe siècle : sujet classique de réflexion en histoire de l’art _ classique et épineux. Sa difficulté se vérifie tout au long de l’exposition du Musée d’Orsay « Voir l’Italie et mourir« , qui centre la démonstration sur un seul pays et quelques « motifs » : les paysages italiens, les monuments et ruines, les populations, sont d’excellents « sujets » pour les praticiens du daguerréotype ou du tirage papier, comme pour ceux de l’huile sur toile _ cf mon article sur l’expo Granet de l’été 2008 au Musée Granet d’Aix-en-Provence : « François-Marius Granet, admirable tremblement du temps, Aix, Paris, Rome« 

Ajoutons les relevés et projets réalisés par des architectes français au cours du même siècle, présentés à quelques pas de l’exposition, et ce sont plusieurs centaines de pièces qui sont proposées. C’est considérable, peut-être trop. Et c’est logique, car l’Italie a été le principal séjour des artistes et savants européens aux XVIIIe et XIXe siècles. Combien de voyageurs érudits, collectionneurs plus ou moins scrupuleux, élèves des Beaux-Arts en quête de modèles et écrivains se sont-ils succédé à Rome, Florence et Venise ? Allemands, Anglais, Français, Nordiques, Russes : l’Europe se donnait rendez-vous sur les escaliers de la Trinité-des-Monts et devant la basilique Saint-Marc _ assurément ! pour le « grand tour«  d’avant les vrais débuts dans la vie (sérieuse)

UN RAPPORT AU TEMPS DIFFÉRENT

Le résultat, qui privilégie donc les artistes étrangers aux Italiens, est un peu répétitif, plus à même de satisfaire un public de passionnés _ dont je suis pour ce qui concerne, pour commencer, Rome ! Les photographies dominent _ oui : et c’est tant mieux : pour des découvertes ; le champ de la peinture étant, lui, beaucoup mieux « balisé«  _, alors que les peintures semblent là pour ponctuer le parcours, donner un contrepoint coloré, inviter à comparer _ oui : trop de lacunes graves de ce côté-là…

Du peintre au photographe, la motivation est similaire _ pour le principal, en effet… Dès les années 1840, les premiers praticiens de la photographie se précipitent à leur tour à Rome, Pompéi, Sienne, partout en somme. L’inventaire photographique de l’Italie n’est qu’un épisode d’une « chronique » _ oui !!! _ qui a commencé à la Renaissance _ sinon plus tôt _ cf le journal de voyage de Pausanias dans la Grèce antique : « Description de la Grèce« 

L’exposition s’ouvre de façon emblématique sur des toiles magnifiques _ c’est très vrai !!! mais peu nombreuses (et déjà bien connues)… _ de Valenciennes, Jones et Corot. Dans la continuité, les portiques, pins, collines, bergères, tombeaux, le Colisée, les thermes de Caracalla sont photographiés selon des angles que les peintres connaissent depuis longtemps _ certes ! La composition _ oui ! _ ressemble de façon criante à celle des études à l’huile. Les mêmes stéréotypes _ oui ! le plus souvent ; mais pas toujours… _ s’imposent : l’église, la basilique, la brune mélancolique, le gueux héroïque, les feuilles d’acanthe des chapiteaux corinthiens, le marbre exalté par le soleil. Imperturbable, l’accrochage énumère les sujets communs _ dans tous les sens du terme.

Il y a des photos et des peintures remarquables _ oui ! _ dans « Voir l’Italie et mourir« . Mais que démontre leur rapprochement ? L’antériorité de la peinture sur la photo ? C’est un truisme. La similitude des « motifs » ? Il ne pourrait en être autrement. Il n’y a pas mille façons de regarder, à Rome, le château Saint-Ange depuis la rive opposée du Tibre.

En fait, et on l’avait constaté dans les rares expositions qui avaient déjà adopté ce principe, le rapprochement au mur de la peinture et de la photographie d’une église ou d’un paysage appauvrit plus qu’il n’enrichit. Parce qu’il incite à ne voir dans les œuvres que des « motifs », des « sujets », alors que l’essentiel est ailleurs _ voyons voir… _, du moins pour les œuvres d’importance, qui échappent au constat.

Prenons le rapport au temps. Ce qui fascine dans la photographie, c’est ce que le peintre n’a pas le temps de peindre _ tiens donc ! une contrainte féconde : et l’occasion fait alors le larron… C’est le cas pour des événements _ ponctuels ; éphémères… _ : l’éruption du Vésuve demi-heure par demi-heure (Giorgio Sommer), le bombardement de Rome en 1849 (Stefano Lecchi), les combats de Garibaldi et des siens à Palerme en 1860 (Le Gray). Mais c’est vrai aussi, et c’est plus intime, pour la silhouette furtive du touriste, les draps qui sèchent sur le Forum romain _ page 191 ! _, le regard du modèle costumé qui est las de poser en brigand d’opérette. C’est la peinture qu’il faut oublier, ici, pour saisir le sentiment _ sans doute ! _ de ces images.


« Voir l’Italie et mourir« ,au Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, Paris-7e. RER Musée-d’Orsay. Tous les jours, de 9 h 30 à 18 heures ; jeudi jusqu’à 21 h 45 ; fermé le lundi. De 5,50 € à 8 €. Jusqu’au 19 juillet. Catalogue « Voir l’Italie et mourir« , textes collectifs, éd. Musée d’Orsay/Skira-Flammarion, 39 €….

 

Philippe Dagen et Michel Guerrin

Article paru dans l’édition du 23.05.09

Je suis d’accord sur l’essentiel de l’article,

comme l’indiquaient déjà mes rapides messages à Bernard Plossu…

La photo permet parfois de nouveaux regards,

qui ne soient pas des clichés !

Hein, Bernard ?!?

Titus Curiosus, ce 22 mai 2009

L’invention verbale des « petites coiffeuses » : à la source du goût des livres

28oct

Post-scriptum (à « Sous la lune :  consolations des misères du temps« ) :

Arpentant les « Confins de la mémoire«  de ce même Maxime Cohen,

son premier ouvrage publié (en mars 1998, aux Éditions de Fallois), pour les avoir commandés dès mon début de lecture des « Promenades sous la lune« ,

j’en découvre ce que la Quatrième de couverture de ces « essais » énonçait très explicitement (et on ne peut plus justement !) ainsi : « Il a conté la naissance de sa passion pour les livres dans un récit _ c’est le terme adéquat ! _, « Confins de la mémoire » (Fallois, 1998)« …

Par exemple, je lis, page 146, de ce « récit » de « recherche des origines« ,

dans lequel « le narrateur essaie de _ et réussit à _ retrouver, dans ses souvenirs, le foyer de ses sentiments d’aujourd’hui.

(…) Il cherche (…) à identifier des états d’âme encore présents, et qui ne cessent de nourrir sa sensibilité« , indiquait la Quatrième de couverture de ces « Confins« -là, en 1998…

Voici ces extraits des pages 145 – 146

à propos des « trouvailles langagières«  de deux personnes assez caricaturales, les deux « petites coiffeuses » de Paray-le-Monial (et « petites protégées » de la grand-mère du narrateur) auxquelles le chapitre 12 (pages 141 à 147) est tout entier consacré ;

d’ailleurs, l’auteur remarque, pages 143-144, « par une bizarrerie que je suis incapable d’expliquer, les personnages qui peuplaient les rues de Paray(-le-Monial

_ où résidait la grand-mère maternelle particulièrement adorée de Maxime,

telle la grand-mère de Marcel, ou sa tante Léonie de « Combray« , dans le récit d’ouverture de « La Recherche » de Marcel Proust ;

et centre, ou pivot, de ce récit des « Confins de la mémoire«  ;

et qui sont aussi, et d’abord, peut-être, un « tombeau » de sa « grand’mère« ,

comme les artistes, et notamment les musiciens, en honoraient leurs amis chers défunts :

par exemple, les quatre « Tombeaux de M. de Blancrocher« , luthiste (Charles Fleury, dit Blancrocher : ca 1607 – novembre 1652),

mort, ce mois de novembre 1652, d’une chute dans un escalier : le défunt ayant expiré dans les bras de Froberger ;

« Tombeaux  » de musique « élevés » à la mémoire du luthiste par ses amis Louis Couperin (ca 1626 – 1661) et Johann-Jakob Froberger (1616 – 1667), clavecinistes ; et Denys Gaultier (1597 – 1672) et François Dufault (fl 1629 – 1669), luthistes  :

un merveilleux « concert »

construit autour de deux Suites de « pièces en la«  et « en fa » (comportant, la seconde, ce « Tombeau de M. de Blancrocher« ), de Louis Couperin

_ l’œuvre entier de Louis Couperin est peut-être, par la « profondeur » méditative, intense, infiniment tendre et grave, en son raffinement, le summum de toute la musique française !!! _,

et de « pièces » (deux d’entre elles, au moins, composées à Paris : une « allemande« , notée « fait à Paris » ; et une « gigue« , « nommée la Rusée Mazarinique« ) de Johann-Jakob Froberger

_ un très, très grand, lui-même, aussi !!! _ ;

avec la « Passacaille » (unique) de Luigi Rossi (1598 – 1653), et un « Capriccio » en sol de Girolamo Frescobaldi (1583 – 1643) ;

vient de paraître en CD par le très talentueux jeune (il est né en 1985) Benjamin Alard (dont chaque disque est une nouvelle splendide réussite : cf ses « Transcriptions pour clavecin » de Jean-Sébastien Bach, CD Hortus 050 : un enchantement, déjà !) :

il s’agit du CD « Manuscrit Bauyn« , CD Hortus 065 ; je me permets de le recommander très vivement. Fin de l’incise sur le genre (profond et magnifique) des « Tombeaux« …

les personnages qui peuplaient les rues de Paray

_ je reprends le fil de ma phrase (et de la citation de Maxime Cohen, page 143) _

ou qui venaient nous rendre visite,

ne prenaient pas en moi _ déjà, commenterai-je _ le caractère de personnes réelles.

Tous

se résumaient _ le terme est éloquent ! une personne « se résume« -t-elle ?.. _ à un tic, un mécanisme, un mot, une histoire brève : c’étaient des caricatures qui semblaient n’avoir d’épaisseur _ sinon « langagière«  _ ni dans le temps ni dans l’espace » _ soit le seul réel physique…

Et « ce jeu d’ombres chinoises _ voilà ! _ nous amusait beaucoup mon frère, ma sœur et moi.

Ma grand’mère semblait même l’encourager _ ah ! ah ! _ lorsque, venant en visite à Paris, elle nous racontait, un après-midi entier, les derniers agissements de ce peuple de fantôches _ réduits au statut de « comparses » sur la scène de ce qui compte vraiment… _

qui, pour avoir quelque chose d’irréel _ jusqu’à quel point ? et pour qui ? et par rapport à quels critères ? _, n’étaient pas moins exemplaires de la nature humaine toute entière

par l’excès même de leur schématisme.« 

Avec ce commentaire surplombant du narrateur : « C’était comme si les ombres de la caverne de Platon eussent été les patrons sur le modèle desquels tout le reste de l’humanité aurait été fabriqué, et non pas les reflets d’êtres plus réels« 

La restriction est encourageante…

Voici, après ce préalable de « présentation »,

l’extrait des pages 145 – 146 à propos des « trouvailles langagières » des deux « petites coiffeuses »

dont se repaît, encore aujourd’hui (comme en 1998), Maxime Cohen :

« Quoiqu’il ne sortît de leurs bouches que des coquecigrues

_ soit le mot même venu sous la plume de Madame de Sévigné dans sa lettre « fantasque »

(d’une « promenade sous la lune » « dans le mail » des Rochers, le « 12e juin » (de 1680) _,

elles étaient riches de trouvailles langagières que je ne me lassais pas de goûter

et que ma grand’mère épinglait plus tard, en privé,

quand nous nous remémorions en riant les conversations qu’elles nous avaient tenues.

Car il n’y a pas besoin de dire des choses intelligentes pour les dire plaisamment ;

mais les plus belles pensées, dites sans invention, tombent à plat.

Celles des coiffeuses, quoique triviales, étaient excessivement amusantes

par le ton qu’elles prenaient,

la mère surtout dont la voix haut perchée et le débit précipité la faisaient ressembler à une serinette,

et par la truculence de leurs expressions

dont ma grand’mère se demandait tout haut « où elles allaient les pêcher«  ;

Avec cette leçon, plus générale _ voire « esthétique », ou « philosophie du goût », si l’on veut… _, qu’en tire alors l’auteur _ et remarque à laquelle je veux en venir, en ce post-scriptum :

« Je m’aperçus que ce ne sont point les pensées qui créent le plus de plaisirs littéraires : elles donnent de l’étonnement, de la réflexion, du lustre 

mais c’est l’invention verbale, qui procure les agréments de la langue

_ les « plaisirs, les agréments« , voilà donc l’aune du goût, ici, de Maxime Cohen, en ces « Essais » ;

par dessus « l’étonnement« , « la réflexion« , le « lustre«  des « pensées« , même :

d’où la méfiance assez endémique de Maxime Cohen tant pour la philosophie

que pour le « réel », en tout cas « brut », lui-même… _

et les plus grands génies n’en sont pas mieux dotés _ de ce « génie » du verbe _ que les plus obscures commères

_ provinciales, telle la formidable, elle aussi, « Françoise » du narrateur de « Combray« …

Saint-Simon ne reproche-t-il pas à Louis XIV une intelligence au-dessous du médiocre,

et avec cela un don exquis pour s’exprimer,

une langue courte, nette, resserrée

_ c’est-à-dire classique : la parole du roi « devant » porter (avec puissance !)… _ ?


Lui-même _ Saint-Simon _ dépourvu des vues profondes de Montesquieu ou de Gondi _ le cardinal de Retz _, ne brille-t-il point par cette verve

à laquelle il doit plus de gloire qu’à ses prétentions nobiliaires ?

Alors, en conclusion, page 146 des « Confins de la mémoire«  :

« Les petites coiffeuses, à leur manière,

méritaient la même sorte d’éloge _ que Saint-Simon, Louis XIV (ou la « Françoise » de Proust) … _,

quoique avec des restrictions encore plus fortes » _ forcément (pour Saint-Simon, du moins)…

Et : « Ainsi, le peuple des mécaniques de Paray

vivait-il à mes yeux

dans un tourbillonnant ballet _ musical, en quelque façon, tout de même _

dont ma grand’mère _ par sa « science admirable » du contexte (local) et de « la généalogie infinie de ces personnages«  _ seule était capable de démêler tous les pas« 

« Et lorsque je m’émerveillais de la multitude des aventures qui faisaient l’objet de tant de petites histoires,

de l’incroyable variété de ces âmes et de ces mouvements qui les agitaient,

c’est sur un ton d’évidence accablée qu’elle _ Marie-Louise Couesnon, la grand’mère (de Maxime) de Paray-le-Monial _ s’exclamait :

« Mais mon pauvre enfant,

mais c’est partout pareil !« …

Soit la hiérarchie du goût, et, d’abord, de la « sensibilité » de Maxime Cohen,

ainsi que sa « philosophie des choses minuscules« 

(l’expression se trouve page 151 des « Confins de la mémoire » ;

soit son « leibnizianisme », notamment au chapitre « Sur la bibliothèque de Leibniz« , aux pages 260 à 268 des « Promenades sous la lune« ) ;

soit une affaire d’attention et de focalisations ;

convenant aussi, bien sûr, aux livres :

« En cela, les livres furent pour moi le vrai microcosme du monde.

Toutes les saveurs qu’il _ le monde _ exhale,

ils _ les livres, en plus du talent même et de l' »invention verbale » (ou du style, au « naturel ») de leurs auteurs : en leur matérialité première _ les restituent à un lecteur attentif :

et leurs coins, leurs contours et leurs renfoncements _ artisanaux, physiques _

 n’en exprimaient pas de moins inoubliables _ de ces « saveurs » on ne peut plus physiques _

que la maison de ma grand’mère ou les rues de Paray » (à la page 153 :

les deux pages consacrées à ces « saveurs » physiques des livres, pages 153 et 154, sont assez stupéfiantes, même ! :

« Dès mes premières lectures, j’y trouvai une odeur de gâteau sec dont le plus fort est à la charnière de la page, le long de la reliure. Il faut que le papier soit un peu brûlé pour que cette saveur soit bien développée. Le papier de bois est seul à la donner ; le papier de chiffon en donne une autre. Les éditeurs savent les accommoder de diverses façons, brochés, reliés, cousus, encollés, coupés ou non : tous ont une empreinte distincte » ;

« En cherchant un peu, on y respire un parfum d’antique. C’est une chose difficile à définir : ce n’est pas une odeur de fleur ni de fruit ni de rien qui ait naturellement une odeur ; on la retrouve dans certains objets _ ce qu’on nommait jadis les fruits de l’industrie humaine : vieilles demeures, vieux meubles, vieux cuirs, vieux vins, vieux chiens. Elle n’existe _ même ! _ que dans cette recension et par cette rémanence _ sans doute ici des opérations-clé ! Il y a dedans une pointe de poussière, mais seulement une pointe ; c’est d’ailleurs plutôt de l’herbe séchée ou de la sciure ou de la carcasse d’insecte. Mais la poussière est faite d’un peu tout cela. »

Et encore « L’odeur initiale de blé roussi est dominante. C’est une pâte encore moelleuse mais qui a perdu de sa mollesse. »

« L’odeur change quand on se rapproche de la tranche. Elle est moins fruitée, plus acide. Acide n’est pas le mot juste, c’est aigre qu’il faut dire.

Si l’on en vient au bois du papier, ce n’est pas du bois vert : pas assez d’amertume ; du bois mort non plus : trop de rondeur. C’est un bois qui est au point extrême de son brûlement. Cette chaleur, les feuilles la communiquent en même temps que le sens de leurs phrases : c’est d’elles qu’elles tirent un peu de la leur« .

Avec cette conclusion ouverte, page 154 :

« Mais bien vite, les saveurs se perdent, et il faut tourner la page. En voici une autre ;

et de nouveau cette puissante imprégnation et mille rumeurs venues d’ailleurs« .

Suivent encore cinq pages merveilleuses consacrées à la palette des saveurs et goûts des livres

_ découverts par le narrateur, enfant, dans le second des « deux combles en mansarde » (page 156) du grenier de la maison de la grand’mère de Paray,

dans lequel « on avait remisé tous les objets que l’usure, l’inemploi, et, cause principale de tous les abandons, la mort de leurs possesseurs _ et utilisateurs _, avaient rendu encombrants dans les lieux ordinaires de séjour. On les avait relégués _ donc, faute d’usage encore _ dans cette partie moins ostensiblement vivante d’une maison que sont les greniers et les caves » ;

et « c’est , laissés à eux-mêmes

comme des marins qu’on a débarqués sur une île

et qu’on retrouve après vingt ans, sales, hirsutes, rongés de chancres, tout à fait démodés, mais irrésistiblement attrayants et prêts _ tel le « Robinson Crusoë » de Daniel Defoe _ à faire le récit de leur extraordinaire aventure« ,

qu’ils « gisaient« , ces « vieux livres empilés, tous du second rayon« , dont se régale, ébloui, l’enfant curieux (page 157) _

pour cet étonnant chapitre 13 des « Confins de la mémoire« …

Et le narrateur de citer, « pêle-mêle » : « Danville et Piron« , « Nicole », « les dissertations de Bayle » ; les « contes de Nodier et de Xavier de Maistre,

le Théâtre de Clara Gazul, la Fanfarlo, les Lettres de la religieuse portugaise et Mimi Pinson »

_ œuvres dont les auteurs respectifs sont, comme nul ne l’ignore (!) : Prosper Mérimée, Charles Baudelaire, Gabriel-Joseph Guilleragues et Alfred de Musset !!! _,

« les œuvres légères de Fontenelle« , « un Cazotte que soutenaient philosophiquement des anecdotes du prince de Ligne » ; « les contes de Mme d’Aumont » ; « Florian » ; « Hamilton »

_ Antoine Hamilton (1646-1720), dont ont été publiés, en 1994, les « Mémoires du comte de Gramont » (son beau-frère), à « L’École des Lettres », aux Éditions du Seuil _,

« Régnard« , »Gresset ou Piron » ; « les conversations de Carmontelle« , les Essais dans le goût de Montaigne du marquis d’Argenson » et « Duclos » (pages 157 et 158)…

Avec cette petite phrase de conclusion de ce chapitre :

« C’est ainsi que (…) j’eus le bonheur d’avoir accès à tant de livres

qu’il me parut évident, et sans même y penser, que

s’il existait quelque part des gisements de plaisirs

_ on notera et retiendra la formule _

aussi inépuisables

que ceux que la nouveauté apporte tous les jours,

c’était dans les livres les plus oubliés des siècles passés. »

Soit une affaire d’attention

et de focalisations, donc,

tant dans ses « Promenades sous la lune »

que dans ses « Confins de la mémoire« …

Bref, quelque chose d’une méthode d' »attention intensive »

telle que celle à laquelle s’essaie, en toute modestie, un Titus Curiosus..


Titus Curiosus, ce 28 octobre 2008

Sous la lune : consolations des misères du temps

28oct

« Sous la lune »

(à propos des « essais » : « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, aux Éditions Grasset) :

c’est-à-dire quelque chose comme quasiment « dans la lune »
dans (les allées de) son jardin et (parmi les rayons de) sa bibliothèque
_ soit, peut-être, le « courage, fuyons ! » d’un « repli » (ou « retrait ») hédoniste _ ;

ou une lecture
_ tout à la fois « ravie »
et même tout près, assez souvent, d’être « enchantée »,
en même temps qu' »agacée »,
quelquefois, aussi, « aux entournures », « aux gencives » (au bord des dents ; pas loin de la langue et du palais) _
des « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, aux Éditions Grasset.

L’objet un peu étrange _ à identifier _ que représente l’« essai »
(« Essais » figure bien sur la page de garde ;

et Maxime Cohen en donne une belle définition, page 72, au chapitre « De quelques essayistes vus de trois quarts » :

« C’est un mélange incertain et indubitable d’érudition, d’épanchement, de poésie, d’humour, de polémiques et de bavardages étudiés, qui nous délassent en nous instruisant. Il n’est pas nécessaire qu’il soit exhaustif sur le fond, il lui suffit de s’entrouvrir sur un aspect singulier. On n’en attend aucune spéculation tonitruante mais une variation sur ce qu’on connaît déjà, aucune révolution mais une modification de l’angle ou du degré de notre vision. Les thèmes qu’il aborde se retrouvent dans d’autres livres mais pas sous cette forme. Ces dispositions attisent le goût des paradoxes, seul moyen de ranimer un sujet rebattu : un bon auteur d’essais propose les siens au public à la manière d’un médecin qui lui procurerait un remède non pas curatif mais fortifiant« 
On appréciera…).

L’objet un peu étrange que représente, donc, l' »essai »
de Maxime Cohen en ses « Promenades sous la lune » qu’éditent les Éditions Grasset _ le livre est sorti fin septembre_,

est à la fois une boîte (de 382 pages) à longs délices (en tiroirs successifs) de vagabondage _ pour le lecteur _ de culture (parfois extrêmement) poussée et raffinée (en leur contenu : peu couru, ou fréquenté, voire unique)

en même temps qu’un symptôme déjà un peu douloureux (« agaçant », viens-je de dire)
et somme toute un tantinet inquiétant des nouveaux temps
_ de barbarie

(ignorance crasse et incuriosité veule
assorties à une vulgarité et grossièreté arrogantes et agressives)
dès à présent à nos portes
(communes : tous sur un même bateau, « ivre »,
en notre « présent » partagé
, tant bien que vaille ;

alors :
comment s’en protéger, si peu que ce soit ?) :

d’où ce « versant doucement vénéneux du présent »
partagé
, en effet, par tout un chacun

Ces « essais » expriment,
du moins est-ce là ce que j’y lis, y perçois, y dé-chiffre, dessous la soie (de l’écriture de Maxime Cohen),
la tentation _ « ambiante », annonciatrice ?.. _ du repli (et retrait) hédoniste

(à l’écart de la vie partagée :
ce que Jacques Rancière nomme, dans un bien bel essai, « Le Partage du sensible« , de 2000, déjà _ à La Fabrique)

la tentation du repli (et retrait) hédoniste, donc,
sur (et en) son jardin
_ de curé, en l’occurrence, dans le cas de l’auteur :
« Maxime Cohen vit entre Paris où il est conservateur général des bibliothèques
et un petit village de Haute-Normandie où il cultive

_ « épicuriennement », commenterai-je _
un jardin de curé« , indique la « Quatrième de couverture »…) ;

sur (et en) son jardin de curé, dans le cas de l’auteur, donc,
de ces « essais »
assez rapides (alertes, véloces, « fa presto« ) :
l’auteur n’oubliant certes pas de penser _ éditorialement, en quelque sorte ; et poliment, en tout cas _
au lecteur un peu pressé (en « temps disponible » de sa part : lire en requiert, forcément ! de ce temps de « disponibilité » attentive, et un tant soit peu curieuse…)
et sans trop de réserves, non plus, de patience :

plusieurs chapitres (tels « Des manières de lire ce livre » _ page 35 _ et « Où je vous imagine » _ page 143) s’adressant fort obligeamment directement et frontalement à lui, « le lecteur » ;

en ménageant, par une certaine qualité de la brièveté de l’écriture, la patience/impatience de la lecture :

« la brièveté sobre et légère est la meilleure compagnie de notre loisir
_ dit ainsi l’auteur page 257, au chapitre « De la fatigue » _,
dans notre vie comme dans notre lecture : c’est le nombre d’or d’un ouvrage qui a la prétention d’être lu.« 

Précisant encore :
« La peine à réussir certaines de nos entreprises est souvent l’indice irréfutable de notre peu de talent pour elles. L’apologie du travail trouve là une de ses limites inexplorées. Nous ne devrions faire que ce que nous faisons facilement« ,
en lui adjoignant ce vers du grand La Fontaine (de la fable « L’âne et le petit chien » _ « Fables« , IV, 5) :
« Ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien avec grâce« 

Alors !…

Ces « essais » expriment, ainsi, la tentation du repli (et retrait, voire retirement) hédoniste
sur (et en) son jardin
ou/et sur (et en)
sa bibliothèque :


vers la consolation de (par des) fleurs
_ pour celles des allées du jardin _
et de (par des) livres
_ pour ceux des rayons de la bibliothèque _
choisis _ livres et fleurs _ ;

ainsi que,
comme renfort de satisfaction
en « nourritures terrestres« , gidiennement, quasi _ mais oui, Nathanaël !.. _,
le potager, la cuisine, le cellier, la cave à vins

_ j’adore personnellement le passage, pages 162-163, sur le vin de « Graves » :
« Lorsqu’on le porte aux lèvres, (…) le vin de Graves nous révèle ce qu’il nous avait dérobé »
(au prime abord « au nez« , en cette « sorte de grisaille » qui, venait de dire Maxime Cohen, « comme les chefs-d’œuvre, déçoivent le profane étourdi par la renommée« …) : comme c’est bien « senti » !..
« Mais dès qu’on laisse au temps le soin de décanter cette première impression ; dès que les premières atteintes d’une mémoire encore proche ont enrichi les saveurs d’une seconde gorgée en la chargeant d’une longueur et d’une complexité qu’il est laissé à la troisième d’amplifier puis aux suivantes de parfaire : alors toutes les richesses de ce vin se révêlent au goûteur le moins indulgent, dont l’espérance future de nouvelles dégustations, prometteuses de découvertes illimitées, magnifie en douceur celle qu’il est sur le point d’achever« … _ ;

et même le grenier (des choses écartées, mais tout de même conservées, pas jetées, ni détruites tout à fait ; et donc « retrouvables », un beau jour…) ;

en plus de la compagnie _ conversante _ de quelques amis ;

ainsi,
peut-être aussi, mais c’est _ volontairement _ plus flou, de la part de l’auteur (toujours assez prudent, du moins en ces pages),

ainsi que d’amours
_ « se faisant »

(c’est presque une gymnastique vivifiante, comme, par exemple, après une maladie ;
ou bien pour faire la nique aux avancées, naturelles, forcément, du vieillissement physiologique…) _

ainsi que d’amours, donc,
de passage

(l’auteur allant jusqu’à parler, ici, mais toujours fort discrètement à son propos
_ il a la sainte horreur de se mettre lui-même en scène,
jusqu’à, même, le reprocher au Montaigne de ses « Essais« ,
au « style » qualifié, page 43, de « cahoteux » (!..) ;

l’auteur allant jusqu’à parler, à propos de ces « amours se faisant »
de « plaisir« , voire d' »érotisme« ) :
cf notamment le chapitre page 105, à propos de la satisfaction offerte (dans l’Antiquité) par certaines beautés (viriles) _ ;

toute cette « consolation », donc,
vient compenser, en son « quant à soi », les peines et douleurs d’une époque rude,
sèche, rugueuse,
pas encore assez douce en son obtuse arrogante grossièreté…


D’où le choix _ sélectif, si je puis dire, pléonastiquement _ d’un certain dilettantisme
(en fait de « mode de vie », carrément ; et pas uniquement d’écriture),
consistant à s’abstraire
_ pour l’auteur-lecteur-compagnon-ami-jardinier et bibliothécaire _
le plus possible
des occasions et risques
de chagrin et peine de passion,
et peut-être même sentiment
,

pour ne « retenir », de son « tri » d’exister, que des plaisirs (d’émotions), ainsi,
« choisis », filtrés, triés sur le volet
_ et d’excellentes sortes,
particulièrement « raffinés » en effet, de la plus « haute » gamme, même, en leur rareté, et même « singularité » assez magnifique :

comme, un exemple entre mille, celui de se délecter du théâtre de Voltaire _ par exemple, « Mérope« , ou « Irène » ;
de « Mahomet« , l’auteur se contente de citer en note, page 304, la traduction par Goethe en 1802, ainsi que le fait que ce dernier « s’inspira du sujet dans un fragment dramatique éponyme, ainsi que dans des scènes de « Faust » _ ;

se délecter du théâtre de Voltaire, donc :
Voltaire ainsi, par Maxime Cohen, « réhabilité » (comme auteur magnifique) en son théâtre ;

et c’est toute la tradition « classique » _ et pas seulement la tradition dramaturgique classique _ qui peu à peu est mise en charpies _ depuis Stendhal et Victor Hugo en faveur de Shakespeare et contre Racine ! _  par ce qui, sur le marché de l’Art (et de l' »entertainment« , comme on dit à Broadway et à Hollywood), la « remplace », en l’ère du triomphe de la marchandise et du marketing (et marchandising),
via la déferlante des « Avant-gardes » (modernistes) successives depuis le début du XIXème siècle « démocratique » (et le XXème bientôt « populiste » _ ou « pipolisé » :

cf l’excellent « La Privation de l’intime _ mises en scène politiques des sentiments« , de Michaël Fœssel (aux Éditions du Seuil, ce mois d’octobre-ci…)…

alors que pas un mot, ou guère
_ me semble-t-il, du moins : je n’en ai pas souvenir ! _,
n’est consacré à l’œuvre, si brûlante (à mes sens), de Marivaux…

L’auteur prend, aussi _ ou ainsi _, un (petit) malin plaisir à cultiver _ goûteusement _ le paradoxe :
page 73, lui-même avait signalé combien les « dispositions » de l’essai, comme « genre », « attisent le goût des paradoxes« ,
ajoutant même alors, en technicien-praticien de l' »exercice » : « seul moyen de ranimer un sujet rebattu » ;

au point qu’on en vient, en lisant plus avant le livre (de 382 « riches » pages), au bord (vertigineux : il y a « gouffre ») de la question :

ne serait-ce pas là,
ce livre,
une (et assez cruelle, même !) parodie
de l’élitisme éclectique
d’un certain snobisme ?..


A deux ou trois reprises, le nom de William Thackeray, « l’auteur du « Livre des snobs« , est évoqué (quatre, en fait : aux pages 78, 141 et 224 : par deux fois) ;
quant au « Livre des snobs » lui-même, en tant qu’œuvre, veux-je dire, ce serait à vérifier :
et la réponse est oui : page 224, au chapitre « Sur l’art de traduire« ,
pour désigner, après l’évocation de la traduction de « Vanity fair » par Georges Guiffrey en 1855, « avec la bénédiction de Thackeray » lui-même,

pour désigner, donc, « l’auteur du « Livre des snobs« ,
mais sans rien en dire (ou révéler d’indicatif, cette fois : y réfléchir) davantage…

L’hypothèse prendrait même un semblant de consistance
en relevant les « réactions » éminemment favorables _ sinon « complices »,
si elles n’étaient d’absolue bonne foi, ou tout bonnement, peut-être, de premier degré, voire « naïves », si l’on préfère, de critiques _ d' »organes de presse » tels que Le Figaro (article intitulé « le gai savoir« , par Etienne Montety, le 18 septembre), ou Valeurs actuelles (article intitulé « contre les dégoûts de la vie, lisez Maxime Cohen« , le 18 septembre, aussi) ;

Patrick Kéchichian, de même, dans Le Monde (du 19 septembre), étant, lui-même, « très favorable » à ces « Promenades sous la lune« , sans être tout à fait aussi dithyrambique que ses confrères (davantage épris de « classicisme », vraisemblablement) du Figaro et de Valeurs actuelles :

j’en retiens cette phrase :

« Érudit bienveillant et universel à la manière de George Steiner (en plus souriant), de Mario Praz, d’Alberto Manguel ou encore de Borges (avec lequel il maintient une certaine distance), Maxime Cohen a écrit le plus beau livre d’heures et de raison que l’on puisse imaginer. On partage, ou non, sa philosophie, entre sophistique et scepticisme. On peut le suivre, ou non, dans ses goûts, ses choix. Aucun obstacle ne vient interrompre ces « Promenades sous la lune« . Seuls notre égoïsme et notre manque de curiosité nous empêcheraient de poursuivre l’intense conversation à laquelle Maxime Cohen nous invite. »

Excellente balance du jugement…

Bref,
son propre plaisir de lecteur,
sans ses agacements,
se voit ici
_ dois-je bien volontiers « reconnaître » _ comme croqué, singé, parodié, porté à la brûlure _ luminescente ! _ de la caricature,
au point
d’en être _ ou qu’on en soit _ piqué jusque de colère :
tant de (terriblement efficace) lucidité…


L’autorité (du travail sociologique) de « La distinction » de Pierre Bourdieu
s’en verrait « renforcée »,
en matière de qualification d' »élitisme »…

Maxime Cohen n’est cependant pas
(tout à fait) un (autre, si c’était possible !) Michel Deguy
_ dépourvu, lui (philosophe) _ et absolument ! _, de tout maniérisme, dans la sobriété (verte, de verdeur alerte) de sa parfaite (admirable) pure et simple sublime justesse (envers la vérité : quant au réel !..) ;
lire, par exemple, le très grand « Le Sens de la visite » (aux Éditions Stock, en septembre 2006) ;

ni (tout à fait), non plus _ et d’une tout autre façon, bien sûr ! _ un (autre !) Renaud Camus
_ dont on admire le courage des engagements (forts :
sans bavures, tant ils sont droits, clairs et nets)
d’écriture et d’existence ;

avec, aussi, ce qu’il en a récolté (à la tonne, pas à la petite cuillère, ni même à la louche : au tombereau…) d’éclaboussures de boue de « scandale » (en son « affaire« , le printemps et l’été 2000) :

il faut, ici, lire _ c’est un très grand « Précis de lecture« , et (forcément !) méconnu, négligé (du fait du « scandale »…) _ sa parfaite défense, à la virgule près
(telle celle _ défense, et non virgule ! _ de Socrate en l' »Apologie » reconstituée, post mortem, par Platon,
toutes proportions gardées, bien sûr, mais tout de même :
que d’injustices
de beaucoup (!) à « hurler »
_ sans avoir effectivement ce qui s’appelle « lu » ! « lu vraiment » ; et pas « en survolant » « à la va-vite » (ou/et en maniant des ciseaux ; et œillères)… _ ;

à « hurler avec la meute
« des loups,
ou des chacals) ;

il faut, ici, lire _ vraiment ; et « en vérité »… _, donc, ce très grand « Précis de lecture« ,
qu’est le « rare » (et sans majuscules sur la couverture) « corbeaux _ Journal 9 avril – 9 juillet 2000« , édité par « nouvelles impressions », et publié, dans l’urgence _ bousculée, violentée _ de sa « défense », le 8 novembre 2000 ;

bien des « parleurs » (sur les ondes ; et « écriveurs », sur le papier) « en prendraient »
_ pour si « mal » (ou si « peu ») « vraiment » lire, peut-être (si nous rêvions un peu !..) _
« de la graine »…

Fin de l’incidente à propos de Michel Deguy et de Renaud Camus ;
desquels j’ai distingué
tout en l’en rapprochant un peu, aussi,
Maxime Cohen :
qu’on en juge_ en les lisant tous trois…

Maxime Cohen offre, ainsi, une sorte de graffitti _ comme en estampes, ici _ à la Tiepolo (1696 – 1770)
sur ce que deviennent, à un tournant de pourrissement, les fruits (splendidement matures, juste avant ce « tournant » ; et succulents) d’une culture ou civilisation
_ pour Giambattista Tiepolo, c’était la Venise des Lumières :

Venise :
une cité et une civilisation qui devint, sur le tard (de sa république), putassière :
Maxime Cohen raconte ce que dit si joliment
(au très court chapitre « De la plus courte scène érotique de la littérature française« , à la page 186 de ces « Promenades sous la lune« )
le « salé » (page 203) en même temps que « de grand ton » (page 204) Président (et bourguignon) Charles de Brosses
(« au chapitre quatorze« , et à la date du 13 août 1739, de ses justement célèbres « Lettres d’Italie« )
de « la signora Bagatina, en réalité l’épouse d’un noble vénitien qui se prostitue _ elle, pas lui (du moins je le suppose) _ aux étrangers en échange d’un certain nombre de sequins »
(page 186, donc ;
pour l’édition des « Lettres d’Italie » du Président de Brosses, du Mercure de France, en 1986,
le passage se trouve à la page 195 du tome premier),

en matière de ses rencontres de courtisanes vénitiennes
_ on se souvient de l’image de celles (« Deux courtisanes« , vers 1510 – 1515) de Vittore Carpaccio (ca 1455 – 1526)_ ;

voici le passage admiré (« je ne vois rien qui puisse (à « ces quelques mots« ) être préféré chez Sade ou chez n’importe quel pornographe« , « notre président les coiffe haut la main » :

 » Enfin, s’apercevant de ce qui causait mon inquiétude, elle a eu le bon procédé de la lever elle-même au bout d’un instant, en quittant son faux nom et sa fausse décence. Elle a même eu l’air surpris de ma libéralité. »

Je relèverai seulement que Maxime Cohen a « shunté » de la lettre de de Brosses, à la suite de l’expression « fausse décence« , trois vers
de l' »Enfer » (au chapitre viii) de Dante, que voici :
« E poi che la sua mano alla mia pose
Con lieto volto, onde mi confortai,
Mi mise dintro alle segrete cose
« …

De même qu’il a coupé l’explicitation par de Brosses de sa « libéralité ; car _ poursuivait-celui-ci _ en faveur du meuble et de l’habillement, j’ai doublé les sequins, ne voulant pas avoir rien mis de médiocre dans une main ornée de diamants« …

Voilà pour la « grande manière qu’il met, en passant, à tout cela« , conclut son chapitre de trois pages
quant à Charles de Brosses en goguette « érotique » à Venise, en 1739,
page 186, Maxime Cohen.

Venise, donc,
mûre et blette
avant (ou « au tournant » de) la chute :

le premier coup de grâce _ pour l’ État de Venise _ viendra de Napoléon (en 1797 : abdication du doge Lodovico Manin ; fin de la république de Venise) ;
puis ce seront les Autrichiens qui, au Congrès de Vienne (en 1815), ramasseront (raffleront : pour un bon demi-siècle, jusqu’en 1866) le « tapis » de ce « jeu » (de dupes) ;

on en jugera par les délicieusement « vertes » aventures du « Senso » de Camillo Boito (ou le « Carnet secret de la comtesse Livia« ) ;
puis, à son tour, de Luchino Visconti, en 1954
(avec ce qu’il advient de la rencontre du bel officier autrichien _ de Stewart Granger, dans le film _ et de la plus belle encore comtesse vénitienne _ d’Alida Valli _,
après l’incident,
en ouverture (tant individuelle que collective _ bien sûr, comme toutes nos vies, elles « se tissent » serré),
des tracts (et cocardes tricolores) lancés en pluie des balcons du théâtre de la Fenice (= le Phœnix, animal sachant renaître de ses cendres : le théâtre revivant après avoir brûlé le 13 décembre 1836 ; puis le 29 janvier 1996…),
en ouverture des « hostilités » de la « révolte » : c’était le 27 mai 1866, à la fin du troisième acte du « Trovatore » de Verdi, aux cris de « Viva Verdi ! » (= « Vive Victor-Emmanuel, roi d’Italie !« )…

Bref, ces « Promenades sous la lune« 
_ l’expression est délicieusement (indirectement) empruntée à la plume de la _ tout simplement : au pied de la lettre _ charmante Madame de Sévigné (1626 – 1696), en ses « saisons » (par exemple le 12 juin 1680 ; mais déjà le 21 octobre 1671) passées en son jardin du château des Rochers,

la mère « rassurant », sur sa (propre) santé et ses humeurs (heureuses, joyeuses, facétieuses, même, en sa faconde)
par ce que qu’elle en narre (et plus encore par son art même, merveilleusement « libre », « échevelé », de le narrer : quelle « raconteuse » !) ;

« rassurant », donc, sa très chère fille, Madame de Grignan (Françoise-Marguerite _ 1646 – 1705), demeurant au loin, en Provence,
en sa nouvelle demeure _ le château de Grignan _ d’épouse
_ la troisième (le mariage a été célébré le 29 janvier 1669) :
la première (d’épouse), Angélique-Clarisse d’Angennes, est morte en 1664 ;
et la seconde, Marie-Angélique du Puy-du-Fou, en 1667 _ ;

en sa nouvelle (depuis 1669) demeure _ le château de Grignan _ d’épouse, donc,
du Gouverneur de Provence, François de Grignan (1632 – 1714), de la famille provençale des Castellane-Adhémar
_ jusqu’à leur fils (enfin !) qui est baptisé de ce double prénom (royal) de « Louis-Provence » (1671 – 1704) _ ;

qu’elle
_ marquise de Sévigné, née Marie de Rabutin-Chantal (1626 – 1696),
tout à la fois bourguignonne (par son père : Celse-Bénigne de Rabutin-Chantal _ 1596 – 1627)
et parisienne (par sa mère, Marie de Coulanges _ 1603 – 1633 _, place Royale, et au Marais) _

sait, l’âge venant, puis, bel et bien, venu, et advenu,
prendre et goûter à loisir son plaisir
(de veuve joyeusement tranquille) en son château (acquis par elle par mariage, puis _ bien vite _ veuvage, avec le marquis Henri de Sévigné, breton _ 1623 – 1651) ;

en son château et en son parc
retiré de Bretagne _ des Rochers, proche de Vitré _,
et loin d’elle, sa fille adorée :

je ne résiste pas au plaisir de citer ce merveilleux passage de la lettre « Aux Rochers, ce 12e juin (1680) »,
lettre débutant par « Comment, ma bonne ? j’ai donc fait un sermon sans y penser ? »
(page 968 du volume II de la « Correspondance«  de Madame de Sévigné, dans l’édition établie par le regretté Roger Duchêne en 1974, dans la bibliothèque de La Pléiade
_ le passage se trouve à la page 970 de ce volume II de la Pléiade ;
et pages 22 & 23 des « Promenades sous la lune« , où le cite jubilatoirement, à son tour, Maxime Cohen :

« L’autre jour, on vint me dire : « Madame, il fait chaud dans le mail, il n’y a pas un brin de vent ; la lune y fait des effets les plus brillants du monde. »
Je ne pus résister à la tentation ; je mets mon infanterie sur pied ; je mets tous les bonnets, coiffes et casaques qui n’étaient point nécessaires ; j’allai dans ce mail, dont l’air est comme celui de ma chambre ; je trouvai mille coquecigrues, des moines blancs et noirs, plusieurs religieuses grises et blanches, du linge jeté par-ci, par là, des hommes noirs, d’autres ensevelis tout droits contre des arbres, des petits hommes cachés qui ne montraient que la tête, des prêtres qui n’osaient approcher.
Après avoir ri de toutes ces figures, et nous être persuadés que voilà ce qui s’appelle des esprits

_ nous dirions, nous, « fantômes » _,
et que notre imagination en est le théâtre,
nous nous en revînmes sans nous arrêter, et sans avoir senti la moindre humidité

_ nocturne de ce mois de juin en Bretagne.
Ma chère bonne, je vous demande pardon ; je crus être obligée (…) de donner cette marque de respect à la lune. Je vous assure que je m’en porte fort bien«  :

la santé de la mère (veuve),
et plus encore celle de la fille (en âge de procréer),
entre grossesses successives, couches périlleuses, et craintes (de la part de la mère) des renouvelées velléités (et péripéties) génitrices de l’épouse de M. de Grignan, si sourcilleusement soucieux, lui, d’assurer son lignage
et d’obtenir des héritiers mâles de sa troisième épouse, Françoise-Marguerite,
les deux précédentes, Angélique-Clarisse et Marie-Angélique, étant toutes deux mortes de suites de couches ;

la santé de la mère, comme celle de la fille,
sont, donc, un sujet permanent d’inquiétude (et discours) en filigrane de cette « libre » correspondance (privée, à cœur ouvert, à fleur d’émotions et « passions ») entre Madame de Sévigné et Madame de Grignan… _

Bref
_ je reprends mon fil _,
ces délicieuses « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, ce mois de septembre 2008,
forment un « état des lieux »
ravissant et goûteux _ d’un très « haut » goût, même _
d’un « état » de civilisation peut-être mûre et blette

« au bord de la chute » : le nôtre, cette fois
_ et non plus celui d’une Venise, au tournant des xviii et xix èmes siècles _
en ce « bel aujourd’hui », blet et assez pourrissant,
de notre « présent »
commun, partagé :

les « sequins » d’aujourd’hui
« rongeant »
bel et bien,
et au galop, s’il vous plaît,
pas mal de nos « affaires »,
un peu plus visiblement que d’habitude, ces derniers temps-ci…

Aussi,

se mirer (pour le lecteur) en pareil miroir (de lecture)
est-il en même temps savoureux, délicieux, oui,
par ce que la curiosité et le goût de la justesse trouvent ici d' »aliment », et consistant,
en de très beaux et très justes chapitres
(et à mille lieues de la plus petite ombre de « lourdeur »),
tels, en butinant :

« De Cicéron et des jardins« ,
« Petit éloge des ordinateurs » (sur la prestesse de l’écrire _ et du penser),
« A propos du discours de Lorenzo Valla sur la fausse donation de Constantin »
(au pape Sylvestre _ pape de 314 à 335 _, sur le souci d’établir la vérité des « faits » en « la recherche et l’édition critique » _ page 63 _, « vers 1450« , pour ce travail de Valla _ page 64),
« Apologie personnelle de l’essai littéraire » (j’y applaudis des deux mains !),
« De la douceur bénédictine« ,
« Éloge empoisonné du barde immortel d’outre-Manche » (sur Shakespeare et ses « monstruosités »),
« Propos sur l’e muet » (capital ! sur ce qu’est le français),
« Au sujet d’Aristote » (et de son style !),
« Des vins » (le passage sur les « Graves« , pages 162-163, est d’un très avisé _ et juste ! _ palais ;
même si l’auteur indique aussi que son « faible va au bourgogne« , quand je suis bordelais !..),
« De la ponctuation » (sur le rythme ; et le souffle : essentiel !!!),
« Sur l’art de traduire« ,
« Critique amusée de Marcel Proust« ,
« Sur la bibliothèque de Leibniz » (magnifique !),
« De la conversation » (bien sûr !),
« Des maladies » (quelle belle justesse d’expérience, après celle de Montaigne),
« Sur la tragédie de l’Europe classique » et « Éloge vengeur du théâtre de Voltaire » _ frisant un peu, tout de même, le paradoxe _,
« Contre les romans » (mais oui !),
« Du juste statut de l’original et de ses copies« ,
« Sur l’imparfait du subjonctif« ,
« Adieu à la musique » et « Naufrage souriant de la culture savante« ,
« De la vieillesse » (oui !),
« Tombeau de la grande abbesse de Fontevrault » (sur l’esprit des Mortemart,
une enquête savoureuse, dans la continuation de « lièvres » déjà, mais pas assez, au goût de l’auteur, « levés » par Proust, Saint-Simon, Retz),
etc… ;

bref, ces délicieuses « Promenades sous la lune »
forment un « état des lieux » ravissant et goûteux

en même temps que, par quelque « angle de regard », écœurant et effrayant
de l’inconscience (?..) et (auto ?..) aveuglement de l’égoïsme (?) d’un tel _ peut-être celui de l’auteur (?) _ dilettantisme
(goût exclusif du plaisir, bien dé-taché, à l’écart, du moindre risque d' »ombre » seulement, même, de chagrin et de peine) ;
et, peut-être, snobisme…

refusant
_ en, semble-t-il, en repoussant a priori l’éventualité : mais est-ce bien le cas ?.. je suis peut-être injuste… _
un vrai (solidement ancré _ et pas rien que « d’encre » _ dans le réel !) amour,
une passion,
un engagement

avec les suites et conséquences (bien réelles)
qui nous requièrent
(en entier, carrément ; sans retour, sans repli, sans retrait, ni retraite) :
telle qu’un amour réel et des enfants…

C’est du moins le sentiment que j’ai retiré
de ce qui m’a paru constituer un « retrait » calculé de soi et pour soi
sur son seul « quant-à-soi »…

Je remercie vivement l’ami Patrick Sainton,
généreux de sa vie et de son art, de son œuvre,
de m’avoir donné à « rencontrer » ce livre délicieux, passionnant, si riche et si souvent tellement juste,
et effrayant, tout à la fois,

sur soi (et d’autres) : en tous cas sur ce qu’il en est
_ ou m’a, du moins, paru « être » _
de « versants doucement vénéneux »
de quelques unes des pentes
(plus ou moins douces) de notre
incertain et trouble
« présent »…


Il n’empêche :
comme nous approuvons Maxime Cohen, quand,

à propos de certaines réticences de Voltaire à l’égard de Shakespeare, au chapitre « Éloge empoisonné du barde immortel d’Outre-Manche »,
il avance, page 129 :

les arguments « de Voltaire contre Shakespeare relèvent donc moins de l’histoire du goût littéraire que d’une certaine philosophie de l’histoire »
_ vers un refus des « formes » et du « style », au profit du laisser-aller des pulsions, vannes grandes ouvertes du « monstrueux »
et de l' »inhumain »…


Ces arguments-là,
« ce n’est pas Shakespeare qu’ils visent, mais nous _ les « modernes » ! _ qui préférerions dans l’art _ on appréciera l’emploi de ce conditionnel _ ce qui dit non à l’art _ et aux « formes », et au « style » _
et par là même à l’humanité. »

Rien moins.

Ou quand l’esthétique est un enjeu « de première ligne » (« de front ») de la « civilisation »…
Merci, déjà, de cela, Maxime Cohen…


Titus Curiosus, ce 24 octobre 2008….

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