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Des précisions sur les diverses églises de Venise _ en complément du « Venise à double tour » de Jean-Paul Kauffmann

01août

Mon ami Bernard,

qui lit le passionnant Venise à Double tour 

de Jean-Paul Kauffmann,

me signale un très riche site, anglais,

que voici,

pour disposer d’un aperçu un peu éclairant sur les diverses églises de Venise :

The Churches of Venice

Une mine de renseignements…

Ce jeudi 1er août 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Les exercices spirituels de Jean Clair : à l’inlassable écoute des voix du silence de quelques lieux et personnes tendrement aimés

27juil

Le 20 mai 2011, j’ai eu l’immense privilège de m’entretenir une bonne heure durant _ un de mes deux entretiens les plus extraordinaires ! Somptueux !!! _ avec le merveilleux Jean Clair à propos de deux de ses livres d’alors : Dialogue avec les morts & L’Hiver de la culture (cf mon article du 16 juillet 2011 : ).

Et ces derniers temps, je m’inquiétais un peu de ne pas avoir pu accéder ces années-ci _ depuis 2015 _ à un nouvel ouvrage de lui dans la série _ qui m’agrée tant ! et me donne, même indirectement (il est très discret), quelques petites nouvelles de lui… _ dite par lui-même des Écrits intimes :

Journal atrabilaire (2006), Lait noir de l’aube (2007), La Tourterelle et le chat-huant (2009), Dialogue avec les morts (2011), Les derniers jours (2013), La Part de l’ange (2015) :

_ ainsi le dimanche 5 mai, lors de l’inauguration à Bélus (Landes) du monument-hommage à Lucien Durosoir, à laquelle présidait son ami Benoît Duteurtre, m’enquérais-je auprès de ce dernier de la santé de Jean Clair (cf mon article du 9 mai dernier : ) ; j’appris alors qu’il allait bien ; et qu’ils s’étaient rencontrés récemment à la Fondation Singer-Polignac _ cela m’a rassuré _ ;

_ et plus récemment encore, le 3 juillet dernier, je me suis permis d’adresser à Jean Clair – le Vénitien la série des articles que je venais de consacrer à ma lecture enthousiaste du Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann :

C’est donc avec un immense plaisir que je viens de lire et relire _ trois lectures à ce jour : le sillon d’écriture de Jean Clair en ces écrits intimes est si riche que la relecture attentive en est immensément féconde ; Jean Clair fait partie de ces assez rares auteurs dont la lecture offre au lecteur authentique un réel entretien infini avec l’auteur ; à l’image d’un Montaigne, en ses Essais ; mais ces Exercices-ci de piété, puisque tel est le sous-titre de cet essai, sont à la fois des essais à la Montaigne, et des exercices spirituels, à la Ignace de Loyola !  _ ce nouveau volume d’approfondissement de ce penser sien toujours en alerte de déchiffrement des signes les plus parlants du réel _ du réel déplorable ! et à pleurer vraiment ! pour ce qu’il détruit, ce nihilisme barbare, de ce qui, civilisé, cultivé vraiment, avait consistance de présence élévatrice de l’humain vrai… ; c’est au « dernier homme » de l’admirable Prologue de l’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche que nous sommes sans cesse confrontés, même si le nom même de Nietzsche n’est que rarement prononcé… _ qu’est, aujourd’hui, son Terre natale _ Exercices de piété _ le livre est paru le 27 juin dernier.

Presque quatre ans se sont donc écoulés entre ce volume-ci, Terre natale _ Exercices de piété _ paru le 27 juin 2019 _, et le précédent de ses « écrits intimes« , La Part de l’ange _ Journal, 2012-2015, paru le 14 janvier 2016 :

probablement à cause d’une maladie qui s’est déclarée lors d’un voyage à Jérusalem _ aisément datable, celui-ci, puisque l’auteur nous dit, absolument incidemment, page 320

(et ces repères de biographie personnelle sont fort rares en cet essai qui est, on n’y insistera jamais assez, aux antipodes (exacerbés !) d’une égologie : cf à la page 292, à propos de l’effarante pandémie des selfies et de la touristification de masse: « Quand l’État interdit « l’ostentation des signes religieux », les touristes _ nous y voilà _ multiplient l’ostentation des selfies. (…) Là où l’oculaire du selfie ne fait que dérober au regard la présence _ fondamentale _ du réel« ; et, aux pages 292-293 : « Les Québécois appellent le selfie un égoportrait. L’homme des temps chrétiens, pendant un millénaire, a vécu sous le regard de Dieu. L’homme vit aujourd’hui, jour après jour, sous le regard de son selfie. Indifférencié, interchangeable, membre de l’Internationale planétaire des bataillons sans passé et sans histoire, le touriste se reconnaît de loin à ses tatouages, à sa démarche et sa tenue militaire. Il se répand partout, marée brune et bruyante, de Paris à Venise, de Florence à Madrid, et recouvre _ et noie _  peu à peu les merveilles qu’il est venu conquérir. Se sentant perdu, il saisit son selfie et, le haussant au-dessus de son front, se met à opérer une sorte de transfusion mystique entre lui et ce qui l’entoure, un sacrifice païen où ce n’est plus le pain et le vin qui se transformeront en chair et sang divin dans l’ostensoir du prêtre, pareillement élevés par-dessus son front pour qu’ils soient adorés des fidèles, mais un bout de réalité, indifférent et triste, auquel il va coller les traits de sa propre apparence, pour se donner, dans le cliché, l’illusion _ mortelle _ de se survivre. La distraction _ car ce n’était que cela _ finie _ elle n’a pris que quelques secondes _, ils se rassemblent derrière leur guide, en grand fracas, anxieux de reconnaître les ficelles, les fanions, les fétiches, les fanfreluches, les floches et les faluches noués au bout du bâton de leur accompagnateur. Le photostick coincé sous le bras, débris d’une armée déroutée« … ; cf aussi, à la page 204, ceci : « le tatouage est devenu le rituel banalisé d’une _ misérable et ridicule _ affirmation de soi et, dans l’absence de toute norme religieuse ou politique, d’un _ atterrant _ narcissisme de masse _ voilà ! _, que vient compléter la manie du selfie machinal« …)

lors d’un voyage à Jérusalem _ aisément datable puisque l’auteur nous dit, absolument incidemment, page 320 (au chapitre XIX, « Athènes et Jérusalem« ), que cet accident de santé advint au moment des obsèques de Shimon Pérès, décédé le 28 septembre 2016 : « Arrivé à Jérusalem, et dans l’urgence de devoir être hospitalisé _ voilà ! _, il me fallut rebrousser chemin, sans avoir eu le temps de pénétrer dans la vieille ville. Les funérailles de Shimon Pérès bouclaient la cité, les routes étaient fermées, il convenait de rentrer d’urgence _ le terme « urgence«  est donc répété. De Jérusalem, je ne verrais que des quartiers sans grâce, les plus récents (…). Et je n’eus pas la possibilité de vérifier que le Sépulcre existe bien« 

Et à l’instar de notre très cher Montaigne,

Jean Clair ne cesse, en ses propres « essais intimes«  _ ou/et « exercices de piété«  _, de labourer et approfondir son propre sillon musical de penser _ auquel préside, pour lui aussi, comme pour Montaigne (cf le final sublime des Essais), la grâce non servile des Muses ! ainsi, et c’est bien sûr à noter, que l’espiègle et impérieux Kairos, offreur, certes, mais aussi coupeur (au rasoir terriblement effilé) de fil, pour qui a tardé à saisir et recevoir au vol ce que généreusement, et sans compter, il offrait ;

cf à la page 181 : « la mèche qui orne l’arrière _ non : le devant : le front ! _ de la tête du Kairos, le petit dieu grec de la Fortune. Ce n’est plus alors lui qui sauve les hommes, mais les hommes qui doivent se montrer assez rapides pour saisir la Chance par les cheveux, à l’instant où elle fuit » _ non : juste avant, quand celle-ci nous croisait ; car c’est à l’instant même où celle-ci vient juste de passer que c’est, et irrémédiablement, trop tard… Sur sa nuque, Kairos est en effet complètement chauve ; et donc insaisissable… Trouver le mot, le bon mot, la parole juste, le kairos. Enfui, le mot ne se retrouvera pas, et sa dérobade _ qui nous laisse sans ressource face à ce fil coupé… _ nous rapproche un court instant de la mort, rompu le fil des mots » ; Jean Clair nous révèle ici, au chapitre La Chevelure, un des secrets (de prestesse, vivacité ; et musicalité…) de la justesse-grâce d’écriture ; j’y reviendrai ; car c’est là une des séquences les plus lumineuses (et aux conséquences éminemment pratiques !) de cet immense livre ! aux pages 354-355-356 (au chapitre La Fugue) à propos de ce qui distingue, selon Jean Clair, et c’est splendide !, l’écriture de la littérature et l’écriture de la musique… ; se reporter aussi au merveilleux passage autour de l’expression « passer le temps«  du sublime tout dernier chapitre, De l’expérience, du livre III des Essais de Montaigne :

« J’ay un dictionaire tout à part moy : je passe le temps, quand il est mauvais et incommode; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retaste, je m’y tiens. Il faut courir le mauvais, et se rassoir au bon. Cette fraze ordinaire de passe-temps, et de passer le temps represente l’usage de ces prudentes gens, qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et eschaper, de la passer, gauchir, et, autant qu’il est en eux, ignorer et fuir, comme chose de qualité ennuyeuse et desdaignable. Mais je la cognois autre, et la trouve et prisable et commode, voyre en son dernier decours, où je la tiens; et nous l’a nature mise en main, garnie de telles circonstances, et si favorables, que nous n’avons à nous plaindre qu’à nous _ voilà ! _ si elle nous presse et si elle nous eschappe inutilement. Stulti vita ingrata est, trepida est, tota in futurum fertur. Je me compose pourtant à la perdre sans regret, mais comme perdable de sa condition, non comme moleste et importune. Aussi ne sied-il proprement bien, de ne se desplaire à mourir qu’à ceux qui se plaisent à vivre. Il y a du mesnage _ voilà _ à la jouyr ; je la jouis au double des autres, car la mesure en la jouissance _ et de cela Montaigne est un immense maître ! _ depend du plus ou moins d’application, que nous y prestons. Principallement à cette heure que j’aperçoy la mienne si briefve en temps, je la veux estendre en pois ; je veux arrester la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma sesie _ voilà l’attitude à apprendre à prendre avec Kairos ! _, et par la vigueur de l’usage _ oui _ compenser la hastiveté de son escoulement ; à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine » _ :

c’est un enchantement que de nous entretenir, nous les modestes lecteurs de Montaigne et de Jean Clair _ pas trop indigents, espérons-le ! Relisons l’Adresse au lecteur des Essais _ avec leur écriture si inventive et rigoureuse, si éprise _ à l’infini : tant qu’existeront encre, papier, et souffle de vie ! _ de la plus grande justesse…


À suivre…

Ceci n’est même pas un prologue…


Ce samedi 27 juillet 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le miroir à illuminations de Venise et l’enfant de Corps-Nuds : un souvenir-écran _ une lecture du casanovien « Venise à double tour » de Jean-Paul Kauffmann

01juil

Venise, la Venise insulaire, inchangée presque complètement depuis 1800, offre _ et avec une merveilleuse profusion _ une constante (permanente) et totale immersion dans le passé _ demeuré quasiment tel quel ! _ à tout visiteur forcément ébloui, en son passage _ une fois traversé-passé-percé le rideau de légère brume de la lagune _, et son séjour, par la lumière et les échos de bruits très spéciaux et si riches ; et vierges de voitures : confinées aux vastes parkings d’entrée, l’île du Tronchetto et le grand garage de la Piazzale Roma.


Il en va bien sûr immanquablement ainsi, aussi, et à chacun de ses (nombreux et fréquents) passages, pour l’enfant de Corps-Nuds (Île-et-Vilaine) que demeure, à certains égards, Jean-Paul Kauffmann ; et qu’il se plaît à narrer, à divers endroits de ce superbe Venise à double tour : et c’en est presque un leitmotiv.
Mais il se trouve que l’extraordinaire trésor d’œuvres d’art religieux, tout spécialement, que recèlent _ et que sont architecturalement aussi, et cela jusqu’à la fin du XVIIIe siècle _ les multiples belles églises de la cité dogale, les ouvertes et, plus encore peut-être, les fermées, forme en fait ici, pour « le chasseur » qu’est le narrateur-auteur, un puissant souvenir-écran _ voilà ! _ de la mémoire (toujours partielle et à trous) qui se met en quête, comme ici, et passionnée, de retrouver-revoir ce qui a jadis très fortement touché, voire ébloui, sa sensibilité ; au point de le contraindre à retourner régulièrement à Venise, ne serait-ce que pour se replonger quelques heures ou jours en elle, à la recherche de ce qui continue de le poursuivre de son obsession primale…
C’est que le souvenir-écran sert de cache pratique et durablement efficace à d’autres souvenirs, moins évidents, moins affrontés peut-être tels quels, probablement, quoique… _ et aux sources en tout cas jusqu’ici non localisées _comme c’est en l’occurrence le cas (mais cela, nous ne l’apprendrons que comme très accessoirement et sans le moindre commentaire de l’auteurà l’ultime page du récit, en une sorte de post-scriptum quasi superfétatoire…), de fresques de Giambattista Tiepolo (Venise, 1696 – Madrid, 1770) à connotations non religieuses, mais disons à parfum érotique : la rencontre d’Antoine et Cléopâtre, de la salle de bal du Palazzo Labia.
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Des fresques réalisées au moment (1746-47) où ce palais était proche, à deux pas à peine, de ce qui était le siège de l’ambassade d’Espagne auprès de la Sérénissime République, le Palazzo Manin-Sceriman (dit aujourd’hui Palazzo Zeno) _ les Labia étaient de richissimes catalans _ ; le siège de l’ambassade de France (en 1743-44, Jean-Jacques Rousseau _ plutôt pisse-vinaigre, lui _ y fit fonction de secrétaire de l’ambassadeur, le Comte de Montaigu) ; et de 1752 à 1755, le Cardinal de Bernis _ bien plus savoureux ! _ y fut l’ambassadeur de Louis XV auprès du doge, et accessoirement grand ami de Casanova), le Palazzo Surian – Belotto, se trouvant, lui, à l’autre bout de ce Canal de Cannaregio, qui les borde tous deux ; en ce sestier de Cannaregio qui constitue le « quartier préféré » (page 56) de Jean-Paul Kauffmann _ et j’y apprécie, pour ma part, la taverne Da’ Marisa : juste passé le Pont-aux-trois-arches…
En conséquence de quoi, il me semble que le souvenir-écran de forte connotation catholique post-tridentine de cette « peinture miroitante » aperçue en 1968 ou 69, source de la quête passionnée des églises fermées de Venise où cherche à pénétrer et regarder « le chasseur », vient ici prendre le devant d’une anthropologie _ voilà _  plutôt a-religieuse, et ouvertement hédoniste, dont les références, parfaitement assumées, d’ailleurs, sont Casanova et Lacan. Sans qu’il y ait forcément une absolue contradiction entre les deux. Mais la conscience nette immédiate de cela nous aurait privés de cette découverte progressive passionnante du secret de ce qui nous rend si vivants et si prodigieusement « animés » les espaces intimes des églises, tout spécialement à Venise, tels que narrés par Jean-Paul Kauffmann en ce passionnant très réussi _ et même jubilatoire ! _  Venise à double tour. L’alacrité règne.
Une anthropologie plutôt a-religieuse, et ouvertement hédoniste : que veux-je dire par là ? Que le goût de la sensualité _ si présent dans l’art qui s’exprime, et avec un tendre éclat en permanence ré-affirmé, au long des siècles (de Giorgione et Bellini à Tiepolo, en passant par Titien et Véronèse surtout, peut-être moins Tintoret) dans la Venise marchande si friande de toute la palette des couleurs douces et non violentes, ici jamais hystérisées, de la chair… _ de Jean-Paul Kauffmann lui-même, tel qu’exprimé par ailleurs en son œuvre en faveur des vins, des cigares ou des gastronomies, comme des paysages à découvrir et explorer, s’il a peut-être eu besoin, et c’est possiblement à tort que je le dis ici au passé, pour s’assurer et se légitimer un peu à ses propres yeux, de l’abri et cadre chaleureux des bras accueillants et protecteurs de l’église _ cf page 105 : « À ce compromis permanent du péché et de la grâce, j’ai adhéré d’emblée. N’autorise-t-il pas entre autres la transgression ? » ; et page 131 : « Avec le catholicisme, on trouve toujours des arrangements. Quiconque commet une faute sait qu’il sera accueilli à bras ouverts et reconnu en tant que pécheur. La vraie indignité n’est pas d’enfreindre, mais de prétendre n’avoir pas enfreint«  _, du templum sacré de cet espace clos sur lui-même en son bâti et ses dispositifs mobiliers, mais intensément ouvert et dynamisé vers, en son sein même, quelque transcendance _ haute _ d’une puissante présence offerte en son absence même, mais très puissamment ressentie en l’irrésistible attraction de son magnétisme, et cela davantage encore en quelque sanctuaire verrouillé « à double tour »… ;
que ce goût-là _ de la sensualité _ est proprement casanovien : Casanova étant « certainement un homme selon mon cœur » _ pour reprendre les mots de l’auteur à la page 318 _, « le « grand vivant » (Cendrars), l’homme supérieurement libre, toujours gai, dépourvu de tout sentiment de culpabilité« 
Ce casanovien que fondamentalement, et peut-être à la suite de ce goût-là, est aussi Jean-Paul Kauffmann lui-même, en personne _ en et par sa personne : épanouie _, ainsi que l’attestent, et son voyage _ nécessaire alors _ à Duchcov en 1988 _ pour lui « redonner un peu de tonus«  _, et ses retours réguliers et fidèles, depuis, à Venise : « la ville de la jouvence et de l’alacrité« .
« Venise n’est pas « là- bas », mais « là-haut », selon le mot splendide de Casanova« , lit-on aussi page 15.
Alors qu’affronter directement le sans-cadre _ et sans fil auquel se tenir (et, au cas où, retenir) _ du clinanem d’Épicure et Lucrèce, serait probablement un poil plus vertigineux…
Ce lundi 1er juillet 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Approcher les secrets du « Venise à double tour » de Jean-Paul Kauffmann : une récapitulation

30juin

Voici,

pour commodité d’accès,

un récapitulatif de la suite de mes lectures du Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann,

aux dates du

jeudi 13 juin (Enfin de justes mots…),

mardi 18 juin (Le mystère de l’espace I…),

vendredi 21 juin (Le mystère de l’espace II…),

dimanche 23 juin (Le mystère de l’espace III…),

lundi 24 juin (Le mystère de l’espace IV…),

et mardi 25 juin (Le mystère de l’espace V…) :



Je compte rédiger aussi, quelque jour,
en forme de conclusion de mon regard sur ce livre passionnant,
une sorte de regard synthétique sur cette suite de lectures…
Ce dimanche 30 juin 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le mystère de l’espace toujours vivant des sanctuaires désertés : le final de l’alpha et omega des choses dans Venise, du « Venise à double tour » de Jean-Paul Kauffmann (V)

25juin

Pour le final de mes relectures du Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann,

et en conclusion de mes articles précédents :

et ,

il me reste à commenter le détail _ bref _ des cinq pages (323 à 327), très enlevées, de l’Épilogue.

Au terme de la visite des Terese _ le « test«  (le mot se trouve à la page 319) de l’ouverture de cette église absolument fermée à quiconque depuis « au moins deux ans« , dixit le sacristain de l’église voisine de San Nicolò dei Mendicoli, et détenteur de la clé (page 319 aussi) ; le « test« , donc, ayant été réussi ! _, « J’ai finalement prolongé mon séjour » _ de recherches d’autres églises à tenter de se faire ouvrir, à Venise. Ou bien saisir au vol l’opportunité (Kairos aidant) de quelque ouverture exceptionnelle, pour certaines…

Ainsi débutent (page 323) les cinq pages _ rapides ! _ de l’Épilogue l’essentiel  de ce que, au fur et à mesure de ses découvertes (et plus encore prises de conscience !) successives, s’est assigné le « chasseur«  ; l’essentiel, donc, ayant été presque accompli, mais pas complètement, nous allons le découvrir ; les termes « chasse« , « chasseur« , et « affût« , « bredouille« , « attraper« , reviennent aux pages 18, 62, 256 et 301 (et chapitres 1, 8, 37 et 43) du récit… _ :

« Mon objectif _ pas l’objectif initial et un peu rudimentaire (de retrouver et revoir « la peinture qui miroitait » en 1968 ou 69 : probablement un simple MacGuffin…), mais celui, bien plus complexe et fécond, qui, depuis la découverte (foudroyante) de l’espace intérieur de San Lorenzo, l’a puissamment remplacé : tenter de pénétrer le secret (complexe) des espaces intimes si éloquents de ces églises fermées (et livrées à l’abandon et la désolation, ou à quelque réaffectation) de Venise  _ n’a jamais été de nature arithmétique _ tel que battre un record d’ouvertures d’églises fermées. Il manquera toujours quelque chose _ de l’ordre, qui seul vraiment importe, du qualitatif (et même du métaphysique  ou du spirituel, voire du sacré…). Mais quoi ? _ cela demeure à éclaircir. Et le « chasseur«  passionnément s’y emploie, en ces stations ultimes de sa quête vénitienne.

Trois de ces églises _ les Penitenti, la Misericordia et le Soccorso,

parmi les 19 que le « chasseur » est parvenu « par recoupements _ d’appuis de relations diverses  _, par chance, par obstination aussi«  à se faire, in fine, ouvrir : soient, en reprenant l’énumération de la page 323, les Penitenti, les Zitelle, l’Ospedaletto, San Marziale, Santa Maria Mater Domini, Santa Caterina, San Giovanni Evangelisti, Sant’Agnese, San Girolamo, Santa Giustina, les Cappuccine, les Eremite, Santa Maria della Misericordia, Santa Margherita, les Catecumeni, San GalloMaddalena, San Gioacchino et le Soccorso : présentés probablement ici dans l’ordre chronologique de leur ouverture à son regard… _

m’ont permis de soulever _ un peu _ le voile qui recouvrait _ encore, après les visites, décisives déjà, de San Lorenzo, puis de Santa Maria del Pianto, et enfin des Terese : trois paliers majeurs des avancées de son approche sensitivo-méditative… _ l’objet _ commencé d’apparaître à San Lorenzo et se précisant peu à peu à chaque nouvelle étape importante _ de ma quête ;

une quatrième, restée _ obstinément _ fermée Santa Croce, sur l’île de la Giudecca _, m’a _ pourtant _ révélé _ en dépit d’avoir échoué à y mettre les pieds et regarder soi-même _ une évidence » _ et nous découvrirons (succinctement) laquelle, page 326.

C’est que juste avant que débute l’incisive réflexion-méditation de synthèse de cet Épilogue, l’essentiel de la découverte _ celle de « l’alpha et l’omega«  des choses (cette expression apparue à la page 166, au chapitre 24 (« Je suis l’alpha et l’omega«  : « Tirée de l’Apocalypse, l’inscription accompagnant la mosaïque byzantine du Christ bénissant sur la voûte de l’abside de l’église de son enfance, à Corps-Nuds (Île-et-Vilaine) _ me plongeait dans des abymes de perplexité« ), nous allons en effet la retrouver constituant, à la page 327, rien moins que le mot ultime de ce livre !), via les progrès de la lente et syncopée (par paliers, donc) élucidation du mystère de l’étrangeté (à « déchiffrer« ) de ce qui continue d’habiter presque toujours, et peut-être pour quelques moments encore, les espaces intimes de certaines au moins (sinon toutes, hélas ! puisque, pour d’autres, l’état de ruine est devenu sans remède !) de ces églises abandonnées (et inaccessibles au public) de Venise _ a quasi été accompli par le « chasseur« .

Il n’est plus nécessaire d’y consacrer des chapitres entiers ; un rapide _ mais enlevé : allegro vivace, à la Rossini ! _ coup d’œil rétrospectif suffira. Car un regard de détail trop apesanti sur ces églises exceptionnellement ouvertes, serait fastidieux et probablement répétitif _ l’auteur nous en fait donc grâce ; le livre se terminera là. Plus que jamais, en cette conclusion, c’est « l’alacrité » vénitienne (le mot est prononcé à la page 17) qui doit servir de règle : il s’agit, que diantre, du final ! _ alacrité vivaldienne aussi, mais Jean-Paul Kauffmann ne se réfère guère à Vivaldi…

Et il se trouve que c’est la modalité du paradoxe _ renversant le positif en négatif, et le négatif en positif ! _ qui caractérise chacun des quatre cas ici examinés. 

Les trois premiers cas, positifs, abordés ici _ les trois églises, Penitenti, Misericordia et Soccorso, exceptionnellement ouvertes, ont enfin pu être en détails regardées et même examinées, de même que les seize autres visitées après les Terese _ permettent de « soulever _ un peu, mais pas complètement _ le voile sur l’objet _ peu à peu précisé _ de (la) quête » (du « chasseur« ) ; mais de la frustration persiste encore _ on va le voir _ en chacun de ces cas ;

alors que le quatrième et dernier cas, négatif lui pourtant _ le « chasseur » échouant à pénétrer dans l’église interdite (car dangereuse, lui est-il opposé par un responsable administratif, mais qui l’a écouté…), Santa Croce ; il n’aura droit qu’à deux photos (de l’intérieur) qui lui parviendront (très vite) par courrier ! _, sera celui qui aura paradoxalement « révélé une évidence« , qui permettra au « chasseur« , enfin apaisé, d’en rester là de sa quête obstinément poursuivie à Venise de forçages d’églises fermées :

« la vanité de ma quête m’apparut _ alors _ dans son évidence et sa dérision _ oui. J’ai compris alors que je n’avais plus besoin _ voilà ! _ d’aller voir _ partout où c’était quasiment impossible _ de mes propres yeux » (page 326)…

Le séjour à Venise (de plusieurs mois de recherche inquiète _ le détail de son calendrier est pour l’essentiel flouté : en 2017-2018, probablement _) peut donc alors cesser.

Et on peut supposer que le prochain séjour vénitien du « chasseur » apaisé, comportera _ ou plutôt a comporté, depuis lors… _ d’autres enjeux, moins stressés, plus sereins, peut-être plus directement hédonistes, même si demeurera, pour sûr, bien de la curiosité envers d’autres trésors de la cité que ces sanctuaires à l’abandon si gravement menacés de disparaître, pour certains _ puisque c’étaient ces trésors sacrés-là que lui privilégiait… Les focalisations-attractions pouvant un peu varier d’un amoureux de Venise à l’autre…

Le secret du mystère ayant été désormais, pour l’essentiel du moins, non seulement compris, mais vérifié, exemple après exemple, en chacune des 26 églises fermées de Venise auxquelles le « chasseur » a réussi à pénétrer

_ sur les 17 « absolument fermées«  de la liste (établie en octobre 2018) donnée en appendice aux pages 331 à 333, le « chasseur«  aura réussi à en voir de ses yeux 6 (Eremite, Terese, San Lorenzo, Sant’Anna, Penitenti et Santa Maria del Pianto) ; tandis qu’il aura échoué à pénétrer en 5 autres (Santa Croce, Spirito Santo, San Beneto, San Fantin, Santa Maria Maggiore) ; restent les cas non précisés dans le récit (peut-être l’intéressaient-elles moins) de 6 autres de cette liste de « fermées ou non accessibles«  : les Convertite, Sant’Aponal, San Bartolomeo, San Teodoro, San Tomà, Santa Fosca… Mais il ne s’agissait pas d’être exhaustif en une catalogage des conquêtes…

Pour ce qui concerne le premier cas traité en cet Épilogue, celui des Penitenti _ dans le sestier de Cannareggio, juste après le Pont-aux-trois-arches, et en face de la taverne Da’ Marisa _, abordé ici aux pages 324-325,

le « chasseur » a pu y accéder deux fois, à « quelques mois » de distance _ et ces deux fois grâce à Agata Brusegan, « responsable des archives à l’IRE« , l’institution dont dépend, avec l’hospice voisin d’accueil de personnes âgées, ce sanctuaire des Penitenti _la première fois par « un jour de tempête (…), une pluie violente s’abattait sur Venise » ; et la seconde fois, par un temps splendide, « à l’occasion d’une opération portes ouvertes de l’IRE : les Penitenti avaient été déverrouillées exceptionnellement« .

Mais ces deus fois-là, l’impression produite sur notre « chasseur » passionné, a bizarrement varié du tout au tout :

la première fois, « Alma avait réussi à convaincre Agata B. (…), pourtant accaparée par mille tâches, d’ouvrir _ exceptionnellement pour eux _ le sanctuaire. Non sans difficultés, nous étions entrés _ Alma et Jean-Paul (avec peut-être Agata elle-même, et peut-être Joëlle) _ par la sacristie encombrée de chaises roulantes et de lits médicalisés, hors d’usage«  _ « juste à côté, il y a un établissement pour personnes âgées qui communique avec l’église« , avait-on pu lire page 112 ; mais « le périmètre du sanctuaire (était) tout aussi inaccessible de l’intérieur » qu’il l’était de l’extérieur, de la Fondamenta di Cannaregio, sur le bord du Canal juste avant de rejoindre la lagune _ ; « au début, on n’y voyait rien. Comme d’habitude. Et, soudain, l’illumination  _ sans plus de précision sur sa nature, ni ses causes. Ce jour-là, elle m’a terrassé _ rien moins ! Que de fois _ en d’autres églises fermées, abandonnées _, à travers les décombres, cette lumière _ terrassante ! _ s’était trouvée _ d’abord _ cachée. Il fallait la chercher _ la découvrir… _ , elle était sur le point de s’éteindre _ sans retour…
Rien de tel _ de caché, à rechercher _ aux Penitenti. Une nef unique, élégante. Les ornements, l’autel, le buffet d’orgue, les peintures, le tout intact, frais _ voilà ! _, excepté les murs en brique attaqués par le salpêtre. La grâce, le mouvement du baroque _ dansant, fusant vers le ciel _ dans sa forme la plus accomplie _ rien donc de désespérant ici. Enthousiaste, j’avais demandé à Agata _ celle-ci était donc bien présente ce jour-là ! _ : « Mais pourquoi n’ouvrez-vous pas une telle merveille ? » Elle avait simplement répondu : « C’est compliqué. Mais nous y songeons. » ».

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« Ce n’étaient pas des mots en l’air. Quelques mois plus tard, à l’occasion d’une opération portes ouvertes de l’IRE _ l’Istituto di Ricovero e Educazione _, les Penitenti avaient été déverrouillées exceptionnellement. Un dimanche, il faisait très beau. Sans qu’il y ait foule, de nombreux curieux se succédaient dans le sanctuaire, éblouis.

La porte de l’église était grande ouverte. Le soleil y entrait à profusion _ voilà. Les deux anges d’or encadrant l’autel étincelaient _ tout brille donc. Empressée, Agata faisait les honneurs de son église. Tout était à sa place, net, exemplaire. Le sanctuaire renaissait. Néanmoins, ce n’était pas une _ véritable _ réapparition _ de « l’illumination » de la première fois. Tout y était dévoilé _ au public des curieux _, mais un élément, une pièce _ cruellement _ manquait.

Alma, qui m’avait accompagné la première fois, se trouvait parmi les visiteurs. Comme moi, elle était très déçue. Ce n’était plus la même église _ tiens donc ! Le contexte du regard du sujet a toujours, il est vrai, des conséquences sur le spectacle perçu de l’objet par le sujet. Cette affluence d’un jour l’avait-elle banalisée _ probablement : ce qui est vécu comme exceptionnel joue sur le ressenti de singularité _ et rendue méconnaissable ? « Rappelez-vous, je vous disais que ces églises ont droit au secret. Ne l’avons-nous pas violé ? »«  _ est-ce à dire que ces lieux de recueillement envers la divinité ont besoin d’une qualité très spéciale (voire exceptionnelle) de silence, de paix profonde des cœurs, voire de gravité ? À méditer… La foule a bien des effets nocifs sur la contemplation aussi ; et cela se vérifie même dans un musée bondé… ; alors en un sanctuaire sacré !


Le second cas abordé ici est celui de la Misericordia, située en un des lieux les plus étranges _ et même à connotations tragiques (cf les remarques du chapitre 7, pages 52 à 60) _ de Venise, dans un autre coin du sestier de Cannaregio _ un minuscule campo au confluent du rio della Sensa et du Canal de la Misericordia.

Une grande partie (de la page 56 à la page 60) du chapitre 7, était en effet déjà consacrée aux impressions bizarres produites sur le « chasseur » par le campo dell’Abazia _ avec son puits central en pierre d’Istrie _ et les deux monuments qui l’encadrent sur deux côtés : la Scuola Vecchia di Santa Maria della Misericordia, et l’église elle-même, Santa Maria della Misericordia déconsacrée après 1969, où y avait eu lieu une dernière célébration de la messe _ :

« Je ne connais pas à Venise d’endroit à l’aspect aussi inquiétant _ à ce point ! _ que ce campo, aussi peu rassurant que la façade _ même _ du sanctuaire dont l’extraordinaire blancheur mortuaire apporte à la place une fulguration très étrange, comme si la lumière venait de l’intérieur de l’église (…) Cette place est le seul endroit de la cité où j’ai l’impression que la terre va _ carrément _ s’ouvrir. Un engloutissement pareil à celui de Don Giovanni précipité aux Enfers par l’invité de pierre » _ page 59.

Quant à l’église elle-même, Santa Maria della Misericordia, « on dirait un monument funéraire. J’ai toujours imaginé ainsi le mausolée où a été enterré le Commandeur dans Don Giovanni _ n’oublions pas que le génial Da Ponte (qui finira sa vie à New-York !), était vénitien, et ami de Casanova... Malgré leur apparence léthargique, les statues baroques _ de la façade de l’église sur le campo _ ont quelque chose de théâtral et de menaçant. Elles nous ont à l’œil comme pour nous en interdire l’accès. Il ne faut pas se fier aux deux putti au-dessus de l’entrée, ils n’ont rien de chérubin. L’un est assis sur un crâne. Non sans hypocrisie, ils font semblant d’avoir la tête ailleurs et préparent en fait l’arrivée du fantôme de pierre, il va surgir de l’intérieur de l’église pour entraîner Don Giovanni aux Enfers.« 

Abbazia della Misericordia Venezia.jpg

« La Misericordia _ donc, et je reviens au passage qui la concerne à la page 325 de l’Épilogue _, avait été ouverte pendant quelques semaines à l’occasion de la Biennale _ faisant fonction de lieu temporaire d’exposition (d’art contemporain). L’intérieur avait alors pu constater le « chasseur » _ était aussi ténébreux que le laissait deviner l’extérieur d’une blancheur funèbre. J’avais retrouvé à l’intérieur du sanctuaire la tombe du fameux prieur, Girolamo Savina, empoisonné _ le 9 juin 1611 _ après avoir bu le vin consacré. Il régnait à la Misericordia une atmosphère maléfique qui mettait mal à l’aise. L’intérieur correspondait pourtant à ces églises-salons appréciées au XVIIIe siècle par les Vénitiens. Quelque chose l’altérait. Un élément faisait défaut là aussi _ par rapport aux cas positifs, eux, quant au mystère pleinement ressenti de leur espace intérieur, de San Lorenzo, Santa Maria del Pianto et les Terese. Ce qui était offert au regard était _ ici _ en même temps retiré. Les niches où se trouvaient jadis les saints et les apôtres, abritaient _ maintenant l’incongruité d’ _ une Victoire de Samothrace _ mais oui ! _ couverte de peinture _ qui plus est ! _ et des Vénus de Milo _ au pluriel ! _ aux couleurs criardes » _ quel affront de barbarie !

Le troisième exemple positif, mais in fine déceptif lui aussi, et pour une troisième raison, est celui de l’église du Soccorso _ située sur la Fondamenta del Soccorso dans le sestier de Dorsoduro _, qu’occupe dorénavant l’atelier chic d’un architecte d’intérieur de renommée _ internationale : Umberto Branchini.

« La visite de l’église du Soccorso en compagnie du Cerf blanc, devenu un ami _ Alessandro Gaggiato _ avait achevé de me perturber. Le sanctuaire avait été transformé _voilà encore un autre de ces usages en cours de ces églises désaffectées _  en un atelier de décorateur d’intérieur. Rien à redire. La restauration de l’église avait été effectuée de main de maître _ cette fois. Au lieu de faire disparaître toute trace de son ancienne affectation, l’architecte _ Umberto Branchini, donc _  avait souligné et rafraîchi le moindre détail du sanctuaire dans des tons pastel et rose lilas. Notre hôte avait été bluffé par les informations que lui donnait le Cerf blanc sur cette salle où il travaillait. Sans malignité, mon compagnon avait renversé les rôles et faisait les honneurs du lieu à l’occupant : « Là, vous aviez une Immaculée Conception de Jacopo Amigoni. Ici, une peinture de Carlo Caliari. Elle se trouve à présent au musée du Verre à Murano. »

Au début, l’homme avait accueilli avec contentement cette série d’informations qu’il ignorait, puis son visage s’était rembruni, il découvrait qu’il ne contrôlait plus cet environnement qui lui était familier.

Le plus intrigant était l’autel. On avait veillé à n’y déposer aucun objet. Dans cette pièce encombrée de coupons de tissus rangés sur des tables à tréteaux, quelqu’un avait mis en évidence la place vide.« 

…`

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Paradoxalement, encore, c’est le cas négatif de Santa Croce _ cette église fermée de l’île de la Giudecca _ qui va se retourner en l’ultime exemple positif, pour mieux fonder l’intelligence du secret du mystère des espaces intérieurs _ porteurs d’élévation _ des églises fermées, abandonnées ou désaffectées, de Venise :


« À Santa Croce, j’ai enfin compris :

cette histoire _ de recherche obstinée, d’abord de « la peinture qui miroitait« , en 1968 ou 69 ; puis du secret à pénétrer des espaces intérieurs pouvant s’illuminer des églises fermées (abandonnées ou affectées à d’autres usages que sacrés) vénitiennes _ tournait à vide _ sans aboutir positivement. Je ne trouverai jamais ce que je cherchais _ qui n’est pas, en effet, de l’ordre, ni de l’objectité, ni de celui, non plus, de l’objectivité ; même si le processus interrogé passe par de très matériels dispositifs (d’orientation : des regards et des pensées) ; et même si ceux-ci, ces dispositifs, impliquent aussi un minimum d’adhésion des sujets à quelque croyance, de l’ordre de quelque transcendance, assez probablement, d’une présence non physiquement présente, mais, absente, convoquée, invoquée. Santa Croce est cette église de type toscan située à la Giudecca que cet ami _ ami cher, parisien et ex-soixante-huitard, amateur de gastronomie, et qui n’était jusqu’alors pas venu à Venise (page 133) : je ne l’ai pas identifié _, muni d’un pieu, avait voulu forcer _ le récit de cet épisode se trouve à la page 143 du chapitre 20. Elle a longtemps servi de réserve à une section des archives d’État. J’avais pu approcher le responsable. Il m’avait annoncé d’emblée qu’il avait peu de temps à me consacrer. J’étais parvenu à tenir près d’une demi-heure dans son bureau. Mi-amusé, mi-intrigué par ma démarche, il me posait des questions sur les églises que j’avais réussi à ouvrir. « Mais je ne peux pas vous faire entrer à Santa Croce. Trop dangereux. » Je lui avais alors proposé : « Si je ne peux y pénétrer, essayez de me dire à quoi elle ressemble. » Il avait répondu : « À rien. Elle est vide. » Je l’avais finalement convaincu de prendre lui-même des photos et de me les envoyer.

Trois jours plus tard, je recevais deux vues absolument saisissantes _ voilà _ de l’intérieur du sanctuaire. Un édifice nu, vidé de son mobilier religieux. Tout y était _ cependant _ révélé : le plafond, le maître-autel, les chapelles adjacentes. Il ne restait plus rien, mais la présence _ elle _ était là. Elle ne disparaîtrait jamais _ tant que durerait l’essentiel du dispositif lui-même, du moins. Je la voyais _ cette présence demeurée bien sensible _ comme une victoire de la vie _ qui survit _ sur la mort _ qui affecte inexorablement les vivants sexués et les choses matérielles.

La vanité de ma quête m’apparut dans son évidence et sa dérision _ aussi. j’ai compris alors que je n’avais plus besoin d’aller voir de mes propres yeux« .

La page ultime du récit nous livre aussi in extremis la solution de la question primaire :

« La peinture ne se trouvait nullement dans le demi-jour, comme je l’avais cru. Non pas un tableau, mais une série de fresques décorant la salle de bal (d’un) palais _ désormais fermé au public, lui aussi ; mais ouvert à l’occasion de quelque réception ou  fête. On était bien loin de ce que je pensais être un sanctuaire. Mais était-ce vraiment cette toile que j’avais cherchée ?

Et si Venise _ elle-même et toute entière _ n’était qu’un écho ? Une reverbération du souvenir, si fréquente dans cette ville » _ de reflets et miroirs.


« Après mon séjour _ vénitien _, pour en avoir le cœur net, je suis allé dans mon église d’Île-et-Vilaine _ de Corps-Nuds. Je viens lui rendre visite régulièrement.

Le sanctuaire comporte une seule peinture, la représentation du Dieu-Roi. Elle miroite _ tiens, tiens… _ au-dessus du maître-autel : Je suis l’alpha et l’omega » _ proclame-t-elle en gloire.

Ce mardi 25 juin, Titus Curiosus – Francis Lippa

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