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« Découvrir un auteur dont la sensibilité résonne fort à l’oreille » : ce qui débouche d’avoir assisté à un entretien avec François Noudelmann à la Station Ausone, suivi de la lecture de ses « Enfants de Cadillac »…

12jan

En réponse à mon envoi de la vidéo de l’entretien de mardi dernier 9 janvier avec François Noudelmann à la Station Ausone,

d’une spectatrice de l’entretien qui m’avait dit son émotion au moment de la signature par François Noudelmann de ses livres exposés, et qui m’avait alors communiqué son adresse-mail, 

je reçois ce jour ce mot qui forcément me touche :

« Je viens de finir Les enfants de Cadillac avec une émotion inédite.
C’est un texte extraordinaire ! Je vais maintenant commander les œuvres philosophiques. 
Merci pour votre travail de présentation, 
J’ai découvert un auteur dont la sensibilité résonne fort à mon oreille.« 

Très simplement, merci !!

Recevoir pareil double témoignage fait plaisir…

Et qu’avoir assisté à un entretien vivant débouche sur un pareil désir de connaître de plus près tout l’œuvre philosophique d’un auteur,

est tout simplement merveilleux.

Et en plus de mon article d’avant-hier mercredi 11 janvier « « ,

voir aussi mon article d’hier jeudi 12 janvier :

« « ...

Ce vendredi 12 janvier 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Découvrir Mathieu Pordoy merveilleux de poésie aussi au piano, en son CD avec Marina Rebeka, « Voyage » _ et tout particulièrement en son jeu éblouissant dans « La Flûte enchantée » de Maurice Ravel…

22juin

Désirant découvrir aussi, au disque, la personnalité de Mathieu Pordoy cette fois au piano _ et pas seulement en son merveilleux travail décisif, mais discret, « dans l’ombre« , de chef de chant ; cf mon enthousiaste article d’hier : « «  _

je me suis procuré son CD, avec la magnifique soprano Marina Rebeka _ le CD Prima Classic PRIMA014, paru le 16 septembre 2022 _, « Voyage« …

Et le merveilleux _ oui ! _ de ce que Mathieu Pordoy a su obtenir des chanteurs qu’il a « coachés« dans la si délicate à « attraper » et vraiment vraiment réussir « Heure espagnole » de Maurice Ravel _ j’en reviens une fois encore au transcendant miracle des 3′ 26 de la vidéo (dansante !) de l’enregistrement, les 24 et 25 mars 2021, du quintette vocal final sous la direction proprement magique de François-Xavier Roth, avec ses merveilleux Siècles ; à comparer avec les 3′ 06 du podcast de l’enregistrement Maazel, en 1965, avec pourtant rien moins que les talents magnifiques de Jane Berbié, Michel Sénéchal, Jean Giraudeau, Gabriel Bacquié et José Van Dam ; c’est dire le degré de hauteur du défi qu’a permis de relever et si merveilleusement réussir le chef de chant Mathieu Pordoy, aux talents supérieurs de comédiens-chanteurs extraordinaires qu’ils sont, eux aussi, d’Isabelle Druet, Julien Behr, Thomas Dolié et Jean Teitgen : chapeau, les artistes !.. Quelle performance d’intelligence et sensibilité du chant ! Quelle compréhension supérieure du génie si fin et malicieux de Ravel… C’est un enchantement dont on n’arrive décidément pas à se lasser… _,

eh ! bien!, il n’est que d’écouter tout ce que réalise au piano dans cet hyper-sensuel « Voyage » avec Marina Rebeka Mathieu Pordoy pour le retrouver, cette fois dans l’art de servir au plus haut l’art de la mélodie ;

et tout spécialement dans « La Flûte enchantée » (extraite de la « Shéhérazade » de Maurice Ravel et Tristan Klingsor) dont Mathieu Pordoy tire des sonorités musicales absolument magiques, inouïes jusqu’ici…

Je n’ai hélas pas découvert jusqu’ici de podcast ou de vidéo qui m’aurait permis de le faire écouter ici…

Mais voici trois très pertinents articles de commentaires de ce CD, sous les plumes

de Matthieu Roc, sur le site de ResMusica, le 11 octobre 2022 : « Beau voyage aux frontières de la mélodie française avec Marina Rebeka » ;

de Charles Sigel, sur le site de forumopera.com, le 16 octobre 2022 : « Voyage en douce » ;

et de Laurent Bury, sur le site de premiereloge-opera.com, le 21 octobre 2022 : « Voyage, le nouveau disque de Marina Rebeka _ Plus loin que la nuit et le jour« .

C’est une bonne idée du Palazzetto Bru Zane _ l’ami Étienne Jardin signe la présentation du livret du CD… _ de parrainer ce disque co-produit par Marine Rebeka et , et d’explorer un florilège de mélodies dont le caractère français est soit ambigu, soit partagé avec d’autres identités nationales.

Sur le thème du voyage, ce disque rassemble quelques items connus et évoquant un Orient fantasmé (Duparc, Ravel, Fauré, Saint-Saëns, Widor), mais surtout, il nous permet de découvrir des pièces de Gounod écrites en Angleterre sur des textes italiens, d’autres de Pauline Viardot écrites en Allemagne sur des textes russes, ou encore de l’alsacienne Marie Jaëll dont on ne saurait dire s’il s’agit de Lieder ou de mélodies françaises. Ce n’est pas seulement le rêve d’ailleurs qui est exploré, mais aussi la transnationalité _ en effet, c’est très bien vu… L’ensemble fait _ déjà _ un programme « border-line » tout à fait captivant _ absolument…

Si on prend pour jauge l’Invitation au voyage de Duparc _ et Baudelaire _ et La flûte enchantée de Ravel _ et Klingsor _, et si on affirme qu’à côté de ces merveilles, aucun des morceaux choisis ne pâlit ou ne démérite, on prend la mesure _ voilà ! _ de la qualité des mélodies _ en effet. Ceux de Marie Jaëll sont particulièrement intéressants. On découvre dans Rêverie une mise en musique admirable des vers de Victor Hugo (Orientales), avec une étonnante mise en évidence du désir d’absolu ou du rêve d’un Eden sur terre, qui sous-tend toutes ces poésies évoquant un ailleurs inatteignable. Le cycle des « Quatre mélodies » a cette particularité d’avoir été d’abord cinq Lieder… Marie Jaëll (née Trautmann) a dû s’habituer en 1870 (à 24 ans), à être Allemande et à publier en allemand des pièces qui seront créées plus tard en français, quitte à en supprimer une au passage. Ont-elles été pensées en français ou en allemand ? Sont-ce des mélodies ou des Lieder ? Peu importe : Dein est bouleversant de tendresse, Der Sturm très efficace dans la description de l’orage en reflet des mouvements de l’âme, Die Vöglein d’une beauté très raffinée. Die Wang ist blass achève de distiller une tristesse à la fois élégante et profonde. Les mélodies de Pauline Viardot, soit en italien, soit en russe (de son ami Tourgueniev) montrent aussi une belle variété de caractères, de sentiments, de paysages, avec sans doute plus de sérénité que Marie Jaëll, mais sans aucune superficialité. A côté de ces deux compositrices qui font plus de la moitié du programme, on se délecte encore de deux savoureux Saint-Saëns _ Désir de l’Orient et La madonna col bambino _, une pittoresque Chanson slave de Cécile Chaminade (qui fait fortement penser à Lalo ou Bizet), d’une charmante Chanson indienne de Charles-Marie Widor, ainsi que d’autres mélodies plus fréquentées.

Chanter des mélodies dans toutes ces langues (français, allemand, italien, toscan, russe…) relève de la gageure _ oui _, et Marina Rebeka semblait à même de la relever. La voix est superbe _ oui ! _, robuste, homogène dans toute son étendue et elle est manifestement polyglotte, tous les idiomes étant honorablement _ voilà… _ articulés. Le problème _ que relève ici Matthieu Roc _ est celui de beaucoup de ces voix athlétiques, gutturales et hypervibrantes, dont l’émission compromet l’intelligibilité des mots, ceux-ci manquant de projection dans le masque _ voilà. On reconnait les syllabes, mais pas les phrases _ et là est bien sûr le fâcheux…, que ce soit en français, allemand ou italien, cela ampute les pièces de la dimension poétique du texte _ un indispensable de l’art de la mélodie _, nous prive d’une bonne part de l’émotion, et fait plafonner le plaisir au niveau de l’esthétisme. Sans doute conscient du problème _ oui _, Matthieu Pordoy déploie sur un piano somptueux _ oui _ des merveilles _ absolument ! _ de sensibilité et d’inventivité _ et d’intelligence, des textes comme de la musique… Ses phrases _ au piano _ sont magnifiques, ses dynamiques _ en leur galbe et leur élan superbes _, ses petites intentions _ que Mathieu Pordoy sait rendre au millimètre près : tout cela, très finement entendu, est très juste _ prouvent une compréhension intime _ oui ! Mathieu Pordoy possède le génie de l’intimité… _ des poésies _ ce qui est absolument indispensable à l’art d’interpréter la mélodie… Le prélude de la mélodie de Widor est particulièrement réussi. Il arrive à sauver _ mieux que çà : il les sublime… _ le Duparc et le Ravel _ qu’il ne faut surtout pa manquer : ce qu’y fait, au piano, Mathieu Pordoy, est sublime… _ en les jouant comme un nocturne de Fauré, prenant entièrement à sa charge l’aura poétique _ oui, oui, oui _ des morceaux, la soprano faisant du beau son, et l’auditeur qui connait son texte par cœur faisant le reste. Pour les autres, surtout Jaëll et Viardot, la curiosité, le plaisir de découvrir du peu ou du pas connu rachète la prononciation _ l’élocution, et surtout essentiel l’élan des phrases…

En somme, c’est effectivement un beau voyage auquel nous invitent Marina Rebeka et Mathieu Pordoy. L’itinéraire est passionnant, le wagon luxueux, la compagnie distinguée, les paysages magnifiques… mais au bout de quelques étapes, la frustration gagne _ un peu _, et on a envie de briser la glace pour sentir enfin la réalité _ en toutes ses infra-dimensions de poésie _ de toutes ces merveilles qui nous sont données à voir ou à entendre. Un disque de découverte, donc, mais d’attente.

Henri Duparc (1848-1933) : L’Invitation au voyage. Cécile Chaminade (1857-1944) : Chanson slave. Maurice Ravel (1875-1937) : La Flûte enchantée. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Désir de l’Orient ; La Madonna col bambino ; Alla riva del Tebro. Charles-Marie Widor (1844-1937) : Chanson indienne. Gabriel Fauré (1845-1924) : Les Roses d’Ispahan. Charles Gounod (1818-1893) : Perché piangi ? ; Oh ! Dille tu !. Marie Jaëll (1846-1925) : Rêverie ; Dein ; Der Sturm ; Die Vöglein ; Ewige Liebe ; Die Wang’ ist blass. Pauline Viardot (1821-1910) : L’innamorata ; La Mésange ; Le Saule ; Sérénade ; La Fleur ; Soupir… ; Invocation.

Marina Rebeka, soprano ; Mathieu Pordoy, piano.

1 CD Prima Classic.

Enregistré en mai 2021 au Latvian Radio Studio à Riga, Lettonie.

Texte de présentation en français et anglais, poèmes donnés dans leur langue originelle et traduits en anglais.

Durée : 74:13

16 octobre 2022

Le titre « Voyage » est un peu bateau (pardon !), mais le programme l’est moins _ oui : il sait voyager en terres pas trop fréquentées jusqu’ici ; et hors des clichés (touristiques !) rebattus… On peut imaginer qu’il reflète la collaboration entre Marina Rebeka et Alexandre Dratwicki, directeur artistique du Palazzetto Bru Zane à qui rien du répertoire français du 19e siècle n’est _ en effet _ inconnu _ merci Alexandre ! Merci Etienne Jardin… Mais on y sent aussi _ et beaucoup ! _ la patte _ voilà ! _ d’un magnifique pianiste _ ô combien ! _, Mathieu Pordoy, qui fait respirer _ pleinement et si intelligemment _ la musique, et celle d’un producteur/ingénieur du son, Edgardo Vertanessian, souvent dans l’ombre de Marina Rebeka _ pour leur label Prima Classic _, et qui fait des merveilles : trouver l’équilibre juste entre une voix aussi puissante et un piano, d’ailleurs superbe _ oui _, dont on entend _ scintiller _ toute la palette de sons, et être le premier auditeur, celui qui conseille _ Mathieu est aussi chef de chant _, c’est essentiel dans la réussite d’un disque.

Marie Jaëll : découverte

La révélation (pas seulement pour nous j’imagine), ce sont les six mélodies de Marie Jaëll (1846-1925). Cette Alsacienne, née Marie Trautmann, fut une pianiste virtuose, à qui Liszt avait promis une grande carrière, qu’elle accomplit d’ailleurs conjointement avec son mari Alfred Jaëll, célèbre en son temps. Ses deux concertos pour piano ont été donnés et enregistrés et son œuvre entier pour piano existe au disque (par Cora Irsen). Amie de Saint-Saëns et de Fauré, autrice de beaucoup de musique de chambre, elle s’intéressa intensément à la pédagogie du piano, notamment au toucher, et ses écrits théoriques sur la psychophysiologie montrent un esprit pionnier.


Personnage d’une énergie folle, désireuse avant tout de créer, contemporaine de Louise Farrenc ou de Mel Bonis, on la redécouvre (un peu) de nos jours après un long oubli. Schéma connu.


Marie Jaëll © Bibliothèque de Strasbourg

D’abord on sera intrigué par le très insolite Rêverie sur un poème de Victor Hugo, qui semble errer dans une incertitude tonale, sur les arpèges très éthérés du piano, et non moins surpris par ses cinq mélodies en allemand, d’une puissance insensée _ c’est vrai _, sur des poèmes écrits par elle.


Elles furent éditées en Allemagne en 1880. D’un romantisme tardif, dans la ligne de Brahms ou de Liszt, elles font appel à de grands moyens vocaux (Marina Rebeka les a) et à une tessiture d’une longueur redoutable. L’effusion amoureuse de Dein, l’intensité et la violence de Der Sturm, la légèreté puis la mélancolie de Die Vöglein, l’élan à la Schumann d’Ewige Liebe, le désespoir de Die Wang’ ist blass, toute cette aventure intérieure, qu’on peut penser autobiographique, Marie Jaëll la transpose puissamment, sans sensiblerie. Et Marina Rebeka la transmet avec noblesse, parfois avec virulence, parfois en suspendant le temps : souffle inépuisable, sûreté de la ligne vocale, limpidité du timbre, magnifiques pianissimi et jamais de sensiblerie… _ en effet.

La Russie de Viardot

Les six mélodies russes de Pauline Viardot qui viennent ensuite ont des ambitions plus modestes, mais beaucoup de charme. Sans doute composées pendant le long exil à Baden-Baden du couple Viardot, et pour le public de leurs amis, elles mettent en musique des poèmes de Pouchkine, de Fet ou du cher Tourgueniev, ami tendre de Pauline, qui l’introduisit à la poésie russe. Ces romances, Maria Rebeka y met une délicatesse teintée de nostalgie. Et surtout cette voix d’une pureté lumineuse _ oui.  Elle sait plier ses grands moyens à l’intimité d’une confidence de salon. Mais c’est toute sa puissance qu’elle retrouve dans Invocation sur un poème de Pouchkine, et là Viardot atteint à une grandeur pathétique et à une ampleur dignes de tous ceux qu’elle a servis et du grand personnage qu’elle fut, elle qui créa la Rhapsodie pour alto de Brahms.


Pauline Viardot © D.R.

Exotisme Troisième République

On avouera que certaines des mélodies choisies semblent d’un intérêt plus anecdotique ou pittoresque. Mais quel chic dans la Chanson slave de Cécile Chaminade, et quel soin à tirer le meilleur d’autres partitions, d’un orientalisme d’époque, tel Désir de l’Orient (1871) de Saint-Saëns (le texte est de lui, qui mélange la terre chinoise, une sultane enivrée et de blancs minarets), Saint-Saëns qui à vingt ans rêvait d’Italie, assez banalement d’ailleurs (La Madonna col bambino, sur un texte de saint Alphonse de Liguori), et poursuivait son retour à une Italie fantasmée avec Alla riva del Tebro, nettement plus inspirée.

Quant à Gounod, c’est dans une période de dèche à Londres, où il s’était exilé après la capitulation de Sedan, qu’il composa  pour se renflouer Perché piangi et Oh ! Dille tu. Il fallait plaire au public victorien en lui offrant un exotisme sans trop d’inattendu. Rebeka soutient ces partitions aimables avec panache.

Cela dit, malgré tout le talent qu’elle y met, la mélodie de Widor reste un pensum…

Passages obligés

Mais ç’aurait été dommage de se passer de quelques mélodies fameuses, sous prétexte qu’elles le sont.
L’Invitation au voyage (Baudelaire/Duparc) devient une pièce aérienne, se perchant sur les sommets de la voix. Marina Rebeka prend le parti d’en faire une grande chose, quasi un air d’opéra, vaste et radieux, et le toucher liquide _ oui _ de Mathieu Pordoy suggère à merveille les flots des canaux où flottent les vaisseaux…

La Flûte enchantée, deuxième mélodie de Shéhérézade (Klingsor/Ravel), rayonne _ oui, comme jamais _ de sensualité et de transparence _ absolument… La voix dorée s’alanguit, portée par un souffle inépuisable. Les couleurs du piano, tout aussi voluptueuses _ oui ! _, sont à l’unisson.

Les Roses d’Ispahan (Leconte de Lisle/Fauré) est d’un charme irrésistible _ oui _ et vaudrait le voyage à elle seule. La ligne serpentine de la mélodie, évoquant la silhouette de Leïla, la clarté du timbre, la diction distillée et impeccable (on ne perd pas un mot), le plaisir à séduire, les arabesques 1900, tout concourt à un plaisir teinté de mélancolie.

Qu’en est-il aujourd’hui de cet Orient-là ?

voilà.

D’abord mozartienne, puis belcantiste, Marina Rebeka s’illustre depuis peu _ au contact de Mathieu Pordoy ?.. _ dans la musique française. Il y eut Thaïs à Monte-Carlo en janvier 2021, plus récemment La Vestale au Théâtre des Champs-Elysées, avec à paraître un enregistrement estampillé Palazzetto Bru Zane. Au disque, il y avait eu au printemps 2020 Elle, tout entier consacré à l’opéra français. Et voilà que le nouveau disque que la soprano lettone revient, toujours sous son label Prima Classic, dans un répertoire où l’on ne l’attendait pas forcément : la mélodie française _ voilà. Et pas avec orchestre, mais avec piano, et accompagnée par rien moins _ mazette ! _ que Mathieu Pordoy. Surtout, le programme ne se contente pas de parcourir tous les lieux communs et passages obligés, mais propose au contraire d’explorer des pages inconnues de la plupart des mélomanes _ oui ! Rien d’étonnant à cela si l’on sait que le choix des pièces a été guidé par les conseils avisés du susdit PBZ _ Palazzetto Bru-Zane… Il est heureux qu’une artiste du calibre de Marina Rebeka ait le courage de s’aventurer au beau pays des raretés, et jamais audace ne se sera avérée aussi fructueuse, puisque Voyage offre son lot de vraies révélations.

La thématique de l’exotisme n’est certes pas d’une originalité folle, mais chacun conviendra qu’en dehors des « Roses d’Ispahan » et de l’incontournable « Invitation au voyage », à peu près tout de ce que l’on entend ici sort des sentiers battus _ en effet ; et c’est très très bien ! Même « La flûte enchantée », extraite de la Shéhérazade de Ravel, n’est pas si courante _ en effet _ dans sa version avec piano _ elle est absolument resplendissante. Et si le programme inclut un peu plus d’œuvres de compositrices que de compositeurs (14 plages sur 23), ce n’est pas simplement pour être dans l’air du temps. Le « Chant slave » de Cécile Chaminade est plein de caractère et de sauvagerie, et les mélodies de Pauline Viardot sur des poèmes russes dégagent un charme irrésistible. Quant à Marie Jaëll, à qui le Palazzetto avait consacré un alléchant livre-disque en 2016, le recueil de cinq Lieder qu’elle publia en 1880 sur ses propres textes en allemand est un authentique chef-d’œuvre _ oui _, une partition ambitieuse qui mériterait amplement de figurer aux côtés des plus belles réussites des maîtres du genre, et sa « Rêverie » n’est pas moins impressionnante, digne de voisiner avec Duparc. On l’aura compris, le programme inclut des mélodies en langue étrangère par des compositeurs français, Gounod et Saint-Saëns écrivant sur des paroles en italien (émouvant « Perchè piangi ? » du premier, superbe « Alla riva del Tebro » du second).

L’auditeur sera d’abord surpris _ dés la première plage du CD, en effet… _ par les tempos très étirés adoptés sur ce disque : superposant son timbre au jeu scintillant _ oui !!! _ de Mathieu Pordoy, Marina Rebeka s’exprime dans un français de grande qualité, et la relative lenteur choisie pour certaines mélodies (le Duparc introductif, notamment _ oui : il surprend, en effet _, ou même « Désir d’Orient » de Saint-Saëns, dont on entend mieux que jamais la pulsation « arabe ») permet à sa voix de se déployer avec une grande sensualité _ oui. La soprano possède des ressources telles qu’elle parvient à conférer la fraîcheur nécessaire aux mélodies russes ou à « L’innamorata » de Pauline Viardot, aussi bien que leur caractère dramatique aux lieder de Marie Jaëll, d’une inventivité constante, et d’une ampleur quasi-wagnérienne en ce qui concerne le tumultueux « Der Strum ». Marina Rebeka s’y livre sans retenue et manifeste une expressivité et un dramatisme particulièrement remarquables _ oui. Heureux ceux et celles qu’une telle artiste a choisi de défendre : une nouvelle postérité leur appartient.

Un très beau récital, donc.

Et la découverte du formidable talent au piano aussi _ quelle poésie ! _ de Mathieu Pordoy. 

Ce qui vient excellemment éclairer aussi _ et réciproquement _ sa magistrale réussite en tant que chef de chant auprès des chanteurs.

Ainsi _ et j’y reviens encore ; tant j’ai de mal à m’en détacher présentement… _ que cela s’admire en ce final proprement miraculeux de sens _ intelligence et sensibilité admirablement réunies _ et de vie _ cf à nouveau la vidéo de l’enregistrement au mois de mars 2021_, où tous, y compris, et d’abord, le chef, dansent, et dans le plus juste tempo, si merveilleusement, de « L’Heure espagnole » de Maurice Ravel et Franc-Nohain, sous la formidable baguette de François-Xavier Roth dirigeant ses somptueux Siècles _ sur magnifiques instruments de l’époque de la création, en 1911…

Bravissimo !

Ce jeudi 22 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pour conclure sur le parcours présent de rétrospection (provisoire…) de François Noudelmann, enfant rétrospectif du cimetière bouleversé et rénové de Cadillac, en 2020 : le sentiment d’ « à part – tenance » et le désir d’ « a – s- similation » – intégration – « a – grégation » – « incorporation » à la France, en ses filiations chahutées par l’Histoire ; et les « modalités et intensités » et « harmonieuse complicité » d’affinités adventices heureuses, de François Noudelmann…

27mai

Ce samedi 27 mai,

je conclus l’élan des commentaires de ma lecture du splendide et profond « Les enfants de Cadillac » de François Noudelmann, à la suite de mes 6 articles précédents :

_ du dimanche 21 mai : « « 

_ lundi 22 mai : « « 

_ mardi 23 mai :  « « 

_ mercredi 24 mai : « « 

_ jeudi 25 mai : « « 

_ et du vendredi 26 mai : « « 

Sur le complexe et difficile « sentiment d’appartenance« , dans lequel s’entend nécessairement, comme une sorte d’implacable répétitif destin, et en même temps, un très tenace sentiment d’ « à part – tenance » _ à sa « francité« , du fait de la « judéité«  héritée de sa marquante branche familiale paternelle (par son histoire personnelle de fils très très proche, par « cette vie avec mon père, plus conjugale que familiale » (l’expression se trouve à la page 174 des « Enfants de Cadillac« …), un bon bout de temps seuls, et isolés, tous les deux, à Lyon, « pendant notre vie commune » (l’expression se trouve à la page 59), entre les huit ans et les treize ans du petit François, de 1967 à 1972) ; et de génération en génération, comme répétivement, chez ces Noudelmann-ci, le lien à la mère (et a fortiori aux branches maternelles) est soit carrément rompu, coupé, tranché vif, soit extrêmement distendu et lache… _ de François Noudelmann,

on retiendra pas mal de lucidissimes expressions sur le fait d' »en être » ou « ne pas en être » vraiment, de cette « francité » par « a – s -similation » si ardemment désirée par son père et, avant, son grand-père, en leur difficile, et in fine tragique, parcours de vie (en Lithuanie, 1891 – Cadillac, 1941), pour Chaïm _ mort de cachexie, c’est-à-dire de faim, en un asile de fous, sous le régime de Vichy, en 1941 _, et Paris 18e, 1916 – Limoges, 1998, pour Albert _ avec un passage ultra-violent de « cinq années allemandes », en Silésie, entre 1940 et 1945 ; et in fine suicidé, alors qu’il n’avait aucune maladie, avec un pistolet à grenaille _)… 

Ce sont donc ces très belles expressions-là, sous la plume de François Noudelmann, en ce profond et lucidissime « Les enfants de Cadillac« , que je tiens ici et maintenant, et en forme de conclusion provisoire à mes lectures et relectures, à la loupe, le plus possible attentives aux plus infimes détails dans lesquels se niche et se tient caché, comme c’est bien connu, le diable, l’essentiel du message crypté, d’abord à lui-même, bien sûr _ mais c’est le travail patient et inspiré (= d’« imageance« ) d’écriture qui vient porter à la conscience de l’auteur, qui va l’assumer, point après point, jour après jour, détail (et mot prononcé) advenu par détail (et mot prononcé) advenu, et avec l’expérience de l’âge, le sens ainsi porté à un peu plus et un peu mieux de lumière ; et c’est bien cela seul qui fait advenir une œuvre vraie, véridique et véritable, et pas un simple produit de marketing, promis à obsolescence rapide, tel qu’un « roman«  divertissant, à consommer juste pour le fun, et très vite digérer… : « Je hais les oisifs qui lisent« , s’exclame Nietzsche en le magnifique « Lire et écrire » de son indispensable « Ainsi parlait Zarathoustra«  _, ce qu’il y a apprendre vraiment des vies, à commencer par la sienne propre, et celles de ses proches, et d’abord ceux auxquels nous sommes généalogiquement affiliés comme fils ou fille, petit-fils ou petite-fille, arrière-petit-fils ou arrière-petite-fille, etc. : nous n’y échappons – coupons pas…

Voici donc ce qu’ici, ce samedi 27 mai, et en forme de conclusion provisoire à mes lectures suivies, je me permets de retenir des expressions de François Noudelmann sur le feuilletage de ses doubles liens personnels, et plus ou moins hérités de sa filiation paternelle, à la « francité » et à la « judéïté » _ avec, aussi, l’appoint de mes farcissures de commentaire, en vert _ :

Pages 164-165 :

« Je lui _ Albert, le père bien aimé _ ai longtemps tourné _ en pensée, surtout après son suicide (à Limoges, le 16 juillet 1998) et la cérémonie de la dispersion de ses cendres en un ruisseau du Limousin, et jusqu’à ce jour qui a suivi le choc de l’expérience du cimetière de Cadillac, le 19 septembre 2020… _ le dos, avant de réfléchir _ ce fut « au moment _ à la toute fin, donc, de l’été 2020 _ où j’avais pris mes résolutions, où j’avais établi les réglages _ tant géographiques que mentaux _ entre ma vie de Français à l’étranger _ résidant désormais, probablement depuis 2019, à New-York ; là-dessus, de même que sur la précision des dates, François Noudelmann demeure très discret… _ et mon pays de naissance _ la France, donc : François Noudelmann est né à Paris, à l’hôpital Rothschild, le 20 décembre 1958 _ que la mémoire familiale se rappella à moi, de manière inattendue, alors que le monde s’était figé dans ses frontières à cause de la pandémie de covid. (…) Voilà que je fus invité dans le cimetière français qui avait retrouvé la trace de mon grand-père Chaïm. (…) Ce fut donc pour assister _ à Cadillac, en Gironde _ à la rénovation d’un cimetière abandonné que je revins _ ce fut le 19 septembre 2020, je le répète ici _ sur les traces funéraires de mon fou grand paternel « , lit-on page 223 _ au défaut _ répété, peut-être endémique… _ de transmission, dans ma lignée, des pères aux fils. Refusant d’hériter du moindre bien qui me rappellerait le corps paternel _ le corps de ce père, Albert, dont François avait été pourtant (mais justement…) si physiquement proche de 1967 à 1972, quand ils vivaient, et c’était même une « vie, avec mon père, plus conjugale que familiale« , lit-on page 174 ; et page 172 : « Depuis mon jeune âge, j’avais pris en effet l’habitude de dormir avec lui et de chercher son contact, restant sur ses genoux après le déjeuner, reniflant l’odeur de son pyjama dans le lit. Il faut dire aux lecteurs suspicieux qu’un père juif est souvent une mère normale« …) _, je ne revins jamais sur ses traces, son absence de tombe _ les cendres d’Albert ayant été dispersées, selon sa volonté expresse, dans un ruisseau du Limousin… _ facilitant le détachement de tout lieu. Il m’a fallu la mémoire _ après la cérémonie au cimetière des fous de Cadillac, le 19 septembre 2020 _ de son propre père _ Chaïm Noudelmann _ pour le retrouver _ lui, Albert _ et tenter de comprendre ce que succéder veut dire _ et cela, en toutes ses acceptions _, si cette notion doit être maintenue. Entre Chaïm et Albert, un récit a bégayé, celui de l’assimilation des Juifs, le fils _ Albert _ oubliant son père _ Chaïm, interné comme fou : d’abord à Sainte-Anne, puis en 1929 à Cadillac _ et poursuivant _ pourtant, malgré cet oubli-refoulement de la figure paternelle _ le même désir _ que celui de son père _ de fuir ses origines juives _ voilà ! _ et de s’incorporer _ le mot est très puissant _ à la France, quitte à recevoir son passé _ autour de son histoire personnelle, avec la place qu’y ont occupé les marques les plus sensibles de sa judéité : la prononciation bien sonore de son nom, et le signe corporel bien visible, une fois mis à nu, de sa circoncision… _ en pleine face, comme un boomerang _ en 1940, sur minable antisémite dénonciation… La superposition de leurs histoires, l’une _ incurablement _ sans parole, l’autre confiée _ un jour unique de 1980, et dix heures durant, à un enregistrement sur un petit magnétophone… _, redouble le paradoxe de ces vies tragiques, le destin _ du retour à l’Est des pogroms quitté très jeune par Chaïm _ se réalisant par le souhait même d’y échapper _ en devenant, pour Albert, un soldat français passant cinq années de prisonnier-esclave juif des Nazis en Silésie… Mais de Chaïm et d’Albert à moi François _que s’est-il transmis de leur judéité et de leur francité ? _ telle est là la question de fond de ce très grand livre… En décidant d’exhumer _ par le travail de recherche et de penser _ le premier _ Chaïm (1891 – 1991) _ de la fosse commune de Cadillac, en écrivant la confidence _ enregistrée sur le magnétophone, en 1980 _ du second _ Albert (1916 – 1998) _ sur ses cinq années allemandes mai 1940 – février 1945 _, j’ai l’intuition qu’être français doit _ beaucoup, pour François _ à  leurs souffrances et désillusions _ aussi : tout cela est inextricablement mêlé…. Même si nos vies demeurent _ de fait _ incomparables car je n’ai connu ni la guerre ni la relégation. Né en France, n’ayant jamais été menacé, je ne saurais porter ni revendiquer cette mémoire sans imposture« …

Page 166 :

_ « L’histoire de nombreux Juifs venus d’Europe de l’Est est sans doute _ et c’est certes là plus qu’un euphémisme ! _ marquée par leur désir d’intégration _ voilà ! _ et leur éloignement _ assez souvent radical _ de la tradition _ liée à bien trop de tragédies et malheurs… _, au point qu’ils donnèrent volontiers des prénoms français à leurs enfants _ ainsi, moi-même  ai-je reçu le prénom de Francis… _, et le mien, François, remplit au mieux cette condition. (…) François, je porte le prénom de mon pays« .

Page 174 :

_ « Parmi les questions posées à un individu sur son identité, on lui demande d’où il est, car il est censé connaître ses origines, sa famille, sa ville, sa région ou son pays. La difficulté que j’ai toujours éprouvée, et que j’éprouve encore aujourd’hui, à définir ces affiliations, et le recours à des périphrases pour y répondre bien que je sois français, doivent sans doute à cette vie avec mon père _ à Lyon, de 1967 à 1972 _ plus conjugale que familiale j’y reviens ici encore, car cela fut en effet crucial pour la formation de l’idiosyncrasie de François Noudelmann. Lui seul _ Albert _ fut ma patrie, celle qui a fait de moi un fils et un compatriote«  _ en ces années sensibles de sortie de l’enfance et entrée dans l’adolescence, entre les huit et treize ans du petit François.

Page 175 :

_ « La paternité ne se réduit pas au partage des gènes et elle repose sur un élan _ affectif, affectueux même _ réciproque de l’enfant et du père. Le mien m’a reconnu deux fois, à la naissance _ le 20 décembre 1958 _ puis en obtenant ma garde juridique _ lors du prononcé du jugement de divorce d’avec la mère de François, en 1967 ; et page 184, François Noudelmann ajoutera ceci : « J’ai dit qu’il m’a reconnu deux fois, mais il m’aura quitté deux fois aussi, en se (re-) mariant _ en 1972 _ puis en se suicidant » _ le 16 juillet 1998. Les recompositions familiales qui s’ensuivirent _ à commencer par le malencontreux remariage d’Albert avec sa troisième épouse en 1972, et le déménagement consécutif du couple formé par le père Albert et son fils François, de Lyon à Limoges _ modifièrent toutefois mon sentiment de l’appartenance _ et de l’« à part -tenance«  _ comme l’éprouvent les enfants dont les racines se troublent à mesure que leurs foyers se fracturent et se transforment _ se recomposent, comme cela se dit maintenant. Cette expérience de vie dans des mondes différents leur enseigne le relativisme, que j’appris très tôt » _ dès les âges de huit et treize ans, par conséquent.

Pages 191-192 :

_ « La fréquentation des universités me conduisit à devenir docteur, non en médecine comme l’auraient compris mes parents, mais en philosophie _ ce fut le 11 juillet 1995, à l’université Paris 4. Cependant la charge symbolique de ma réussite vint _ un peu plus tôt _ du concours  qui, visant simplement à recruter des professeurs, me rendit « agrégé de français » _ de Lettres modernes… _, ainsi que je l’annonçai fièrement à mon père qui n’avait aucune idée de cette promotion. Si je devenais le premier fonctionnaire de la famille, toutes branches comprises, je pouvais surtout afficher qu’en moi s’étaient agglomérés, agglutinés assez de savoirs pour être un français « agrégé », ayant la densité _ rassurante _ d’une molécule. Cette agrégation à la française signait le parachèvement d’un désir _ familial des Noudelmann, depuis Chaïm, venu à Paris, non sans difficultés, « à l’âge de dix-huit ans«  (page 16), en 1909 donc, en carriole à cheval, de Lithuanie… _ de France, commencé avec la naturalisation _ »par décret du 16 juin 1927″ (comme indiqué page 25) _ de mon grand-père _ Chaïm _, juif _ de nationalité _ russe, et confirmé cinquante ans plus tard _ j’en ignore la date précise _ par celui dont le nom figurait désormais au tableau de ceux qui « apprendraient le français » aux jeunes Français. L’étude du latin m’avait même permis de repérer dans le mot d’agrégé la racine étymologique de grégaire, grex, le troupeau. Ainsi avais-je rejoint la troupe des Français, non pour y tenir un fusil, comme Chaïm _ entré dans l’armée française en 1911 (lit-on page 16) _, mais comme passeur de la langue et de sa culture. Ce résultat marquait aussi une fin, l’effacement des origines s’étant réalisé _ principalement _ grâce aux parentés adoptives _ ce serait à préciser, du moins eu égard à cette date de l’agrégation de français… _ qui m’avaient embarqué dans leurs mondes parallèles où les histoires de shtetl, de génocides – on ne disait pas encore Shoah – n’étaient pas déterminantes. Ce passé tragique faisait partie de l’Histoire universelle et ne définissait pas mon identité, d’autant moins que les témoins ne souhaitaient pas en parler. L’assimilation _ a- s -similation… _ au pays ne pouvait être mieux prouvée que par l’entrée dans un corps d’État« .

Page 221-222 :

_ « Bien que j’abbhorre les identifications _ mensongèrement réductrices _, lorsque je suis à l’étranger _ hors de France, par conséquent _, c’est le mot de Français qui me vient en premier. Comme pour tous les exilés – un terme que je préfère à celui d’expatrié -, des événements politiques et culturels ravivent de temps à autre l’appartenance au pays natal, quand bien même on a décidé de ne plus lire les journaux ni de regarder les télévisions françaises. (…) Avec l’éloignement, et dans la langue qui ordonnera _ et c’est fondamental _ pour toujours mon rapport au monde, bien que je découvre des émotions inédites _ et enrichissantes… _ en moi grâce aux images, aux sensations et aux idées recelées dans une autre langue, je m’interroge sur ce qui me fait _ de fait, si, tellement _ français, et ce sont moins des fromages ou des terroirs que des œuvres _ voilà ! _ qui surgissent _ avec une joyeuse vivacité. Lorsque je lis Montaigne ou Marivaux _ deux de mes auteurs absolument préférés à moi aussi ! _, leurs tournures de phrase _ voilà ! _ agissent sur mes poumons et mes nerfs, et elles déclenchent, par le rire, la raison et les sons, une harmonieuse complicité _ ou connivence radieuse, nous y sommes en plein… Plus encore que toute configuration langagière _ mais oui ! Et comment ! _, la musique _ si délicate, fine, et si subtile en son plus parfait naturel dépourvu d’affectation : tempérée… _ de Fauré, de Debussy et de Ravel me dit, sans les mots _ mais oui ! _ que je suis français, même si je peux pleurer _ en effet _ avec des compositeurs italiens, allemands, russes ou espagnols. J’y reconnais mes modalités et intensité » _ voilà le secret magnifiquement dégagé ici par François Noudelmann : des modalités et des intensités sonores idiosyncrasiques partagées au plus intime, crucial et essentiel de soi…

Toute une philosophie fondamentale se trouve ainsi merveilleusement exprimée là, en sa rétrospection _ provisoire : mais qu’est-ce donc qui ne l’est pas ? du moins tant qu’existe de l’encre et du papier, ainsi que de la vie (et de la lucidité), pour penser et écrire, et éventuellement ré-écrire et retoucher… _ de trois parcours géographico-sentimentaux, plus ou moins désirés, plus ou moins bousculés, et parfois violemment chahutés par l’Histoire, de trois générations _ Chaïm (1891 – 1941), Albert (1916 – 1998), François (1958) _ de Noudelmann,

entre Lithuanie et New-York, et surtout un attachement français peut-être indéfectible, viscéral, à la France _ en sa culture, si sensible et si fine, de climat idéalement doux et tempéré : sa littérature et sa musique tout spécialement, en tout cas en premier, pour le petit-fils de Chaïm et fils d’Albert, François… _, par François Noudelmann,

lui qui a l’oreille si fine _ et je viens de me procurer, je l’avais commandé, son « Penser avec les oreilles« , paru le 29 août 2019, un an avant l’expérience renversante du 19 septembre 2020 à Cadillac, et l’admirable rétrospection dont celle-ci a été la source nourricière féconde de mémoire et de recherche, et de penser, encore et toujours…

Ce samedi 27 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et écouter le grand Christian Tetzlaff dans le « Concerto à la mémoire d’un ange » de Gustav Mahler…

09fév

Parmi les violonistes absolument majeurs d’aujourd’hui : Christian Tetzlaff _ Hambourg, 23 avril 1966.

Qui vient de nous donner, au CD _ le CD Ondine ODE 1410-2, avec le chef Robin Ticciati dirigeant le Deutsches Symphony-Orchester Berlin, en un enregistrement au Studio Nalepastrasse à Berlin, les 28 et 29 septembre 2021 _, une interprétation sublimissime de justesse _ d’incarnation (dénuée du moindre larmoyant pathos ou de kitsch) des sentiments abyssaux qui s’y expriment... _ du sublimissime Concerto pour violon « À la mémoire d’un ange«  (de 1935 _ l’œuvre est achevée le 12 août _) d’Alban Berg (Vienne, 9 février 1885 – Vienne, 24 décembre 1935) dont voici ici de quoi écouter et l’Andante – Allegretto (de 11’12), et l’Allegro – Adagio (de 15’19)… _ ;

que Christian Tetzlaff a tenu tout spécialement à coupler ici _ et il s’en explique en détails en une passionnante présentation, de sa plume, en tête de la notice, aux pages 3 à 6, en anglais, et 14 à 17, en allemand, du livret (sans traduction hélas en français !) : l’œuvre de Brahms, en 1878, constituant ici un rien moins qu’un contrepoint au chef d’œuvre testamentaire de Berg, en 1935 : pour Christian Tetzlaff, en effet, « ce morceau est un regard rétrospectif sur sa vie«  _ au Concerto pour violon Op. 77 (de 1878) de Johannes Brahms (Hambourg, 7 mai 1833 – Vienne, 3 avril 1897).

C’est donc le Berg, tout de sobriété tendue et tendre, qui constitue la pièce majeure _ et indispensable ! _ de cet admirable stupéfiant CD, 

à propos duquel j’ai trouvé bien peu de commentaires en français jusqu’ici, sinon ce « Vie et mort » de Jean-Charles Hoffelé, sur son site Discophilia, en date du 29 septembre 2022 :

VIE ET MORT

Le couplage n’est pas si courant – les violonistes ont préféré dans la discographie récente mesurer Berg à l’aune de Beethoven – mais pourtant absolument évident, Brahms refermant avec son Concerto en 1878 l’âge d’or du violon romantique, Alban Berg infusant dans la même Vienne cinquante-cinq années plus tard la musique d’une autre planète _ d’éternité, cette fois, par un adieu rétrospectif à la vie.

Robin Ticciati fouette l’orchestre de Brahms, l’allège et l’envole, l’archet de Christian Tetzlaff faisant assaut de fantaisie, d’une liberté d’accents, d’une alacrité rythmique qui resserrent l’Allegro, piaffe un Finale irrésistible et change drastiquement le visage de l’Adagio, pris andante, et animé dans chaque détail, ajoutant une fluidité à son ton de pastorale ; l’ensemble offre une lecture d’une prodigieuse vitalité.

Le même allégement sauve le Concerto de Berg de tout malhérisme _ probablement _, l’éclaire même dans la furia de l’Allegro, une quasi danse des morts d’une précision aveuglante ; les transparences de l’orchestre, la mobilité expressive du soliste, la fusion fulgurante _ oui, en sa sobriété d’émotions contenues à la limite de l’impossible _ de l’ensemble étonnent _ et stupéfient _ dès l’entre chien et loup de l’Andante _ parfaitement…

La coda atteint au sublime _ oui ! nous y voici… _, détachement aérien, violon flûtant à la chanterelle, l’orchestre ouvrant et refermant le bref arc-en-ciel. Magique musique de l’au-delà _ oui, oui, oui, d’une étreignante profondeur en sa sobriété, loin de tout dolorisme auto-complaisant et mielleux… _ assurément une des versions majeures _ que oui ! _ d’une œuvre que tous les violonistes ont à cœur d’enregistrer. L’analyse et les notes d’intention du violoniste sur le Concerto de Berg _ sur lequel le couplage de ce CD est en effet focalisé _ sont _ absolument !!! _ passionnantes.

LE DISQUE DU JOUR

Johannes Brahms(1833-1897)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 77


Alban Berg(1885-1935)
Concerto pour violon et orchestre « À la mémoire d’un ange »

Christian Tetzlaff, violon
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Robin Ticciati, direction

Un album du label Ondine ODE14102

Photo à la une : le violoniste Christian Tetzlaff – Photo : © Giorgia Bertazzi

Une réalisation majeure, donc, de ce musicien si magnifiquement intelligent et merveilleusement sensible qu’est Christian Tetzlaff !
Un must !

Ce jeudi 9 février 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

En revenant méditer, avec un peu de recul, sur le passionnant, très riche et très fluide, entretien que j’ai eu la chance de mener le 25 mars dernier avec un interlocuteur de la qualité d’intelligence, de sensibilité et de culture tel que Karol Beffa…

10avr

Le visionnage attentif, à diverses reprises, du passionnant très riche et très fluide entretien que j’ai eu, sans public présent le 25 mars dernier, entre 13 et 14h sur la scène éclairée de la très vaste salle de la Station Ausone, obscure et très calme pour l’occasion, avec Karol Beffa, à propos de son déjà lui-même très riche et très clair livre de réflexion-méditation _ et commentaires extrêmement judicieux… _ « L’Autre XXe siècle musical » (aux Éditions Buchet-Chastel),

m’apporte, par divers _ et chaque fois plus nombreux _ infra-détails, qui, peu à peu, et uns à uns, adviennent ainsi, par surprise advenant _ par la grâce de l’incisif, généreux et tranchant, Kairos _ au regardeur-écouteur à chaque attentive nouvelle vision de la vidéo, à une prise de conscience, de nouveaux éléments de paroles _ mais aussi expressions du visage _ de Karol Beffa, qui viennent enrichir chaque fois un peu davantage ma propre réflexion _ in progress _ de regardeur, après avoir été un interlocuteur _ comme ce que vient offrir, aussi, au lecteur attentif la lecture attentionnée et méditative de la succession des lignes et pages d’un livre… _ ;

et c’est bien sûr là un des multiples avantages et ressources  _ et pas les moindres _ d’une telle archive vidéo ou podcastée, à consulter, en sa disponibilité présente, là, et conservée, afin de pouvoir, tout à loisir, y revenir méditer et approfondir, au calme fécond du silence propice à la méditation du chez soi, peu, ou un peu plus longtemps, après le feu d’artifice exaltant de l’échange improvisé sur le champ et à vif des paroles de l’exaltant entretien-conversation que nous avons eu ce 25 mars là en cette Station Ausone bordelaise…

Depuis cet entretien du 25 mars dernier

_ et auparavant, déjà, au fil de mes lectures et relectures successives de ce petit trésor judicieux que constitue ce si riche et très clair « L’Autre XXe siècle musical« ,

le 6 mars, à propos de l’admirable mélodie « Hôtel«  de Francis Poulenc, telle que la commente Karol Beffa, cet article-ci :  ;

puis le 22 mars, à propos de tout l’œuvre de Reynaldo Hahn abordée par le regard affuté, tant analytique que synthétique, de Karol Beffa, cet article-la : _,

j’ai déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises déjà, de livrer, sur ce blog quotidien « En cherchant bien » dont en toute liberté je dispose, diverses infra-réflexions, dont voici les liens d’accès :

_ le 26 mars : 

_ le 27 mars : 

_ le 28 mars : 

_ le 30 mars : 

_ le 1er avril : 

_ et le 7 avril, afin de donner le lien à la vidéo de l’Entretien publiée et désormais accessible : 

Il me semble donc que la présente réflexion à mener sur ce que viennent m’apporter, sur le fond, les successifs visionnages de cette riche vidéo de notre Entretien du 25 mars dernier, doivent démarrer sur ce qui me semble constituer le projet de base de ce livre, « L’Autre XXe siècle musical« , de Karol Beffa, soit sa signification même, qui  me paraît être de lever urgemment quelques obstacles fâcheusement inhibiteurs d’une création musicale contemporaine bien plus ouverte et joyeuse, et heureuse ;

ainsi que le public auquel ce livre me semble destiné d’abord en priorité : celui de nouvelles générations de compositeurs jeunes, à encourager, stimuler dans (et à) la joie, et ouvrir à des créations bien plus ouvertes et décomplexées ; le public des mélomanes curieux et ouverts (et hédonistes), lui, venant immédiatement en second…

Il s’agissait donc pour Karol Beffa, et c’est parfaitement explicite, de corriger la partialité, le sectarisme et les terribles injustices de la doxa dominante en matière d’histoire de la musique du XXe siècle _ cf le « La Musique du XXe siècle » publié en 1992, et constamment republié depuis, dont Karol Beffa a eu entre les mains un exemplaire en 1997, à l’âge de 24 ans… _, caractérisée par une conception adornienne de l’Histoire même _ héritée par Adorno de Hegel _et de la discipline qui en rend compte _ ici pour la musique _, l’histoire d’un irréversible et nécessaire uniforme progrès _ ici en l’occurrence musical… _, qui, par ses accents péremptoires _ pire qu’intimidants : carrément castrateurs ! _, rejette impitoyablement aux poubelle de l’Histoire tout ce qui ose s’écarter de la voie magistrale impériale _  et voie unique de l’Avenir _ vers toujours davantage de la radicalité idéale affirmée triomphante par ces idéologues sectateurs, coupant sans pitié les moindres rejets s’écartant du tronc unique, comme constituant de vaines pièces stériles, hors de la voie unique de la glorieuse postérité à venir…

Et c’est donc aussi en tant que lui-même compositeur en voie d’oser créer sa propre musique, œuvre après œuvre, comme improvisation après improvisation, à la recherche de sa propre singularité musicale, qui apprend à oser aussi faire son miel _ par naturelle hybridation joyeuse _, via un formidable appétit de curiosité et ouverture à toutes les musiques disponibles, de très multiples et très divers riches éléments de compositeurs très variés, dans le passé comme dans le présent de la musique, et ici et là, de par le monde, par tranfiguration de tout cela, ludiquement et joyeusement _ à la façon de l’évidence la plus naturelle et bondissante d’un Mozart… _, que s’adresse aussi à lui-même ici Karol Beffa, de tels encouragements à oser créer avec toujours plus d’ouverture et plus de confiance et de joie…

 

Et il me semble que, à cet égard, le chapitre consacré à Nadia Boulanger _ aux pages 93 à 123 _ fonctionne dans le livre comme l’avertissement d’un écueil _ démesurément et à tort intimidant et carrément castrateur, au final, dans le cas malheureux de Nadia Boulanger, qui cessa de composer en 1920, elle n’avait pas 32 ans…  _ à éviter et surmonter pour ne pas se laisser abattre par un Idéal du Moi – Sur-Moi par trop inhibiteur d’œuvre propre et singulière _ vaillance et courage (versus paresse et lâcheté) étant les conditions nécessaires de la sortie, même une fois devenu adulte par l’âge, de l’état de minorité réductrice, ainsi que l’affirmait splendidement Kant en ouverture de son indispensable « Qu’est-ce que les Lumières ?« 

Tout créateur _ y compris de (et en) sa propre existence d’humain, au quotidien des jours _ doit, outre la vaillance au travail et son patient artisanat _ à la Ravel _ apprendre le courage d’oser !

De même, inversement, le chapitre consacré aux Minimalistes américains, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass, John Adams _ aux pages 161 à 180 _, ainsi que, plus spécifiquement encore, celui, très détaillé _ aux pages 181 à 200 _, consacré à ce chef d’œuvre qu’est l' »El Dorado » de John Adams (en 1991), présentent des exemples pleinement positifs de créations _ américaines, donc, d’abord _ parfaitement et très heureusement décomplexées, et donc tout à fait encourageants, d’ouverture et d’hédonisme heureusement débridé et joyeux, pour sa propre œuvre à venir oser laisser naître, enfanter et former, et donner à partager, pour Karol Beffa lui-même en tant que compositeur, comme, aussi et surtout, pour les jeunes futurs compositeurs de l’assistance auxquels ses « Leçons » à l’École Normale Supérieure s’adressaient au départ _ et c’est sur la pirouette rieuse de cette note heureuse de joie musicale de création osée réaliser, qu’a été conclue, au montage, la vidéo de notre Entretien…

Et à plusieurs reprises j’ai pu percevoir ainsi, à divers re-visionnages de la vidéo, certains sourires rieurs de Karol Beffa…

À suivre…

Ce dimanche 10 avril 2022, Titus Curiosus, Francis Lippa

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