Archives du mois de janvier 2018

William Marx et le concept dangereux d' »identité sexuelle »

31jan

L’entretien, hier soir mardi 30 janvier 2018, au Studio Ausone, de William Marx, récent auteur d’Un Savoir gai (aux Éditions de Minuit) avec son collègue universitaire Jean-Michel Devésa _ un peu trop doctoral en son ton à mon goût, et pas assez libre (ou libéré) : surtout en pareil sujet… _
m’a laissé sur ma faim,
en n’interrogeant jamais, si peu que ce soit, l’évidence d’une « identité sexuelle »
_ qui est un très dangereux cliché selon moi, encourageant, volens nolens, les violences tellement sures d’elles-mêmes (et férocement décomplexées en leur déchaînement) de l’homophobie : mais oui ! _
évidence trop bien partagée dans l’idéologie dominante,
et thèse proclamée aussi d’un bout à l’autre des discours des deux intervenants, hier soir, sans la moindre analyse un tant soit peu auto-réflexive de leur part… ;

en n’interrogeant jamais, donc, l’évidence
de leur commune thèse
d’une « identité sexuelle », hétérosexuelle comme homosexuelle, et massive _ sinon universelle.


Les trois sobres (et très courtes) questions du troisième intervenant dans le public _ et que je ne connais pas _,
au terme des longs échanges entre William Marx et Jean-Michel Devésa,
furent, pour moi, en leur directe et frontale pertinence, la contribution la plus lucide de toute la soirée !


Allant d’emblée, et enfin, questionner l’essentiel :

l’identité (ou pas) sexuelle, la bi-sexualité (etc.), le quid du top et bottom de la pénétration coïtale…


Mais Jean-Michel Devésa _ pas assez questionnant _ n’a guère aidé William Marx sur cette voie de l’interrogation-analyse d’une « identité sexuelle »
que j’aurais personnellement apprécié de voir et entendre vraiment _ et sérieusement _ explorer…


Et je ne vois même pas non plus, hélas,

ce que la spécialité « littéraire » de Jean-Michel Devésa a pu apporter, sur ce pourtant bien intéressant et riche plan littéraire-là, aussi, à l’échange :
rien
(ou si peu : la très rapide mention seulement du Tricks de Renaud Camus : paru en 1979, et pas en 1988, date de sa re-publication seulement ; et les dates importent fichtrement !!!)
sur les regards des écrivains assumant plus ouvertement leur orientation homosexuelle, dominante ou pas, exclusive ou pas : ces nuances, capitales, n’ont quasiment pas été abordées, affrontées…


Et cela, alors même que, sans paraître en avoir vraiment conscience, les deux intervenants étaient proches, l’un comme l’autre, vers la fin,
de se contredire _ mais oui ! _,

quant à cette thèse d’une « identité sexuelle »,


en envisageant _ enfin ! _ davantage de plasticité et de nuances et ouvertures

dans l’histoire

(singulière pour chacun ; et pas seulement grossièrement collective ; et surtout massivement idéologique…)

des pulsions et désirs sexuels,
eux-mêmes mal distingués d’ailleurs, et par les deux intervenants, des élans affectifs et amoureux :


comme si nous pouvions passer sans difficultés et instantanément des uns _ pulsions et désirs sexuels _ aux autres _ élans affectis et amoureux _,
c’est-à-dire du sexuel à l’affectif :


cela méritait au moins examen, et un peu précis et attentif,

tant dans l’entretien d’hier soir,

que dans le petit essai de William Marx, aussi et surtout…


L’amour a paru ainsi passer à la trappe
au profit du batifolant libertinage…


Même si, par ailleurs et d’autre part, William Marx distingue bien clairement et très justement, cette fois, les fantasmes et les actes.

Dont acte.



La sexualité _ toujours singulière en l’histoire souvent un peu complexe de chacun _ est bien plus complexe elle-même et variée qu’une affaire d’identité massive et fermée une fois pour toutes !!!


Et native, probablement, dans ces représentations-là,

qui courent tant les rues.
Et qui font les dégâts que l’on sait ; et d’autres que l’on ne sait pas.


Classer comme être classé est le plus souvent faussement rassurant.

Panurgique.


Il suffit, déjà, de lire Freud pour mesurer, de la sexualité, bien des enjeux existentiels, à l’aune de toute une longue vie déployée :
depuis ce que Freud nomme les « stades » de la « sexualité infantile »,
et en abordant très précisément ce que celle-là devient en ses, parfois riches, parfois pauvres _ par fixations névrotiques surtout, mais aussi, parfois, perversions forcées _, métamorphoses adultes…


Dans le petit aparté post-conférence que j’ai pu avoir avec William Marx,
je lui ai reproché, avec sans doute un peu d’excès, de ne pas assez nous livrer, en son essai, d’éclairages sur l’histoire de son propre devenir sexuel, et en sa singularité (si elle existe) :

si William Marx parle, en effet, et de manière tout à fait intéressante et précise, détaillée ici,

de sa lente et tardive
_ « Tu ne découvris en effet la masturbation que vers la fin _ soit en 1983 ou 84 _ de ta dix-septième année », page 140 _
prise de conscience, eu égard aux normes alors en cours, de l’éclosion de ses pulsions sexuelles

(et homosexuelles : et cela par contraste frontal avec deux coïts avec une femme :
« A l’âge de vingt-deux ans _ en 1988 donc _, pour en avoir le cœur net, tu voulais voir ce que donnerait l’amour _ ou plutôt le sexe ! l’expression, déjà paraît un peu curieuse… _ avec une femme : l’acte _ coïtal _ fut accompli, et par deux fois même, mais sans désir et sans plaisir particulier _ mais est-ce là vraiment significatif ? A la différence du libertinage, un vrai désir, a fortiori un amour authentique et véritable, ne se décrète pas, ni ne s’improvise ainsi. Ce fut la preuve _ mais que vaut celle-là ? Est-elle, aussi partielle, réellement probante ? _ que tu attendais : tu n’aimais et ne désirerais jamais que des hommes, et tu en pris ton parti. Tu crus enfin en ton désir. Ta vision du monde en fut changée. Quelques semaines plus tard, tu déclaras ta flamme _ mais est-ce tout à fait du même ordre ? _ à celui _ Erwann ? William Marx reste flou là-dessus… _ qui deviendrait le compagnon de ton existence _ là il nous livre une confidence _, et autour duquel tu tournais _ voilà ! _ depuis de longs mois déjà », pages 140-141 : amour et coït font, au moins tout d’abord, deux ! _) ;

il s’en tient, toutefois, en ce petit essai, à cette pour ainsi dire « pré-histoire » de sa sexualité réalisée _ il aura 52 ans cette année 2018 _ ;
il n’aborde jamais le vécu même de ses relations homosexuelles effectives _ il évoque seulement sa déclaration à Erwann (s’agissait-il de lui ? son nom apparaîtra à la page 154 de l’essai) : « celui qui deviendrait le compagnon de ton existence », vient-il d’écrire à la page 141 _,
comme ont pu le faire, de manière très détaillée (et passionnante, et chacune en son genre spécifique),

Renaud Camus en ses Journaux
_ je l’ai découvert, pour ma part, en 1987, à partir de mon très vif goût de Rome, en son Journal romain (1987) : la répétition hyper-compulsive de ses échanges sexuels (bien peu réciproques, il est vrai) m’a alors beaucoup surpris et étonné ! et informé, aussi, sur des pratiques sexuelles que j’ignorais du tout au tout… _,

et surtout René de Ceccatty en ses admirables Jardins et rues des capitales (1980), puis Une Fin (2004),
à propos de ses (assez courts, au final) épisodes de frénésie sexuelle en sa vie, lors de sévères _ et tragiques, même _ déserts amoureux…


Jardins et rues des capitales est un chef d’œuvre absolu, en ses trois admirables et époustouflantes parties : Hugues, Jacques ; Samuel en Samantha ; et Roma-Fanfilù
Je recommande très vivement sa lecture !

Le terme de « savoir » dans le titre de ce petit essai qu’est ce Un Savoir gai
me paraît, tout de même, assez excessif ;
participant de cette envahissante manie des calembours qui a colonisé depuis près de quarante ans les médias,
et qui est susceptible d’attirer les chalands aux yeux des éditeurs calculant leurs potentiels chiffres de vente…


Car ce n’est pas d’un vrai savoir qu’il s’agit là ;
seulement de représentations _ voilà : d’opinions _, plus ou moins répandues, et plus ou moins à tort ou raison…

Bref, nous restons sur notre faim…

Déjà, cet essai devrait être bien plus étoffé ; et du côté des expériences vraiment personnelles et singulières de l’auteur…


Sinon,

comme phénomène, voire symptôme, d’ordre social et idéologique,

et à tel moment donné _ comme aujourd’hui _ de l’Histoire,


le panurgique, si commun _ mais en même temps si contagieux et dangereux ! _, est bien moins riche et intéressant à décrypter :

il est à seulement à démonter, déconstruire et radicalement _ si c’est possible ! _ détruire ;

en tout cas affaiblir,

ou ridiculiser…

Même si _ ou parce que _ une des fonctions principales de l’idée de « nature », telle du moins qu’elle fonctionne dans les idéologies,

est de renforcer la représentation (humaine, culturelle) d’une immutabilité et universalité plus ou moins de fait _ ses rares exceptions, très minoritaires, forcément, constituant alors de simples anomalies monstrueuses, des ratés… _,

et de lui octroyer, en surplomb _ et la renforçant encore, si jamais besoin s’en faisait sentir à certains… _ un fondement « sacré » qui vienne comme pleinement _ et sans contestation aucune _ la légitimer, de droit absolu.

Au détriment de la variété et des créations de la fantaisie et de la liberté.


Ce mercredi 31 janvier 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une flamboyante année Debussy : à partager…

23jan

L’année-anniversaire des cent ans de la mort de Debussy _ décédé à Paris le 25 mars 1918 _ s’avère flamboyante !

Avec ce début discographique merveilleux qu’est le fabuleux et confondant CD Images, L’isle joyeuse, Estampes, Masques, Children’s Corner, D’un cahier d’esquisses, que nous offre l’hyper-transportant Steven Osborne, au remarquable catalogue Hyperion (CDA68161)

_ qui nous promet aussi (un CD Hyperion CDA67267) à venir ces jours-ci sur un quasi semblable programme Debussy (Estampes,  Images, Children’s Corner, La plus que lente, L’Isle joyeuse) un autre magnifique pianiste britannique, Stephen Hough…

Sans compter le CD Debussy, très récemment paru, ce mois de décembre-ci, de Seong-Jin Cho chez Deutsche Grammophon, sur un programme aussi très voisin : Children’s Corner, Images, L’Isle joyeuse, Suite bergamasque.

Voir ici l’excellent article que consacre sur son site l’excellent Jean-Charles Hoffelé à ce CD proprement magique de Steven Osborne :

MAINTENANT DEBUSSY

Auteur d’une des plus parfaites intégrales _ oui ! _ du piano de Ravel, Steven Osborne est vraiment chez lui chez nous _ absolument ! Déjà en 2005, ses Préludes de Debussy, voluptueux et solaires, marquaient sa différence _ et sa justesse ! _ dans une discographie pléthorique ; plus de dix ans après, le voici qui nous offre un disque dont le sujet est, au fond, même s’il manque Pour le piano, la série de triptyques où Debussy radicalise _ voilà ! _, au début du XXe siècle, sa langue et sa syntaxe _ sur cet important (et trop souvent mésusé) terme « radicaliser« , cf le passionnant podcast de mon entretien avec Marie-José Mondzain, magnifique !, le 7 novembre dernier au Théâtre du Port-de-la-Lune, à Bordeaux ; et mes articles des 15 et 18 mars 2017 sur son très important Confiscation _ des mots, des images et du temps : pour une autre radicalité, d’abord celui du 15 mars : Le superbe « Nettoyer une expression » de Marie José Mondzain en son « Confiscation des mots, des images et du temps » ; et puis, en abordant aussi les merveilleuses analyses, à propos de leur concept partagé de semblance, de Michel Deguy (en son La Vie subite, ainsi qu’en notre époustouflant entretien du 9 mars 2017 à la Station Ausone), celui du 18 mars : A propos du « nominalisme radical » de Michel Deguy et de la « confiscation » du mot « radical » selon Marie-José Mondzain _, bien plus que dans les Préludes qui cherchaient le sujet et en déduisaient le vocabulaire, avec un renversement pour le Deuxième Livre qui revenait à l’absolutisme sensuel des Images.

Le magicien Osborne joue ses Images larges, en timbres pleins _ oui ! _, avec ce clavier si profus _ oui ! _ qui nous donnerait demain s’il voulait une Iberia d’anthologie. De la sensualité partout _ oui ! _, que couronne le grand rire qui gifle _ oui _ la fin de L’Isle joyeuse, emblème du disque. Masques ondoie et mord, fabuleux _ on ne saurait mieux dire ! _, puis l’estompe de D’un cahier d’esquisses paraît, et l’espace harmonique se creuse, sinistre soudain. Car dans ces voluptés, rode toujours _ oui _ l’ombre _ sarcastique _ de la mort : écoutez seulement comment il phrase dans l’harmonie ce tombeau _ voilà _ qu’est l’Hommage à Rameau.

Ailleurs le Faune reprend sa flûte, fait du piano un orchestre, et un orchestre qui jouerait son Debussy sensuel _ voilà, voilà _ à la façon d’Ingelbrecht ou Cluytens, les timbres et les couleurs à fleur de lèvres _ oui _, mêmes les Estampes soudain sont plus fauves _ oui, oui _ que japonaises. Et Children’s Corner n’est vraiment pas pour les enfants, quasi érotique _ oui _ de phrasés, d’accents, d’humour de corps de garde, c’est que Debussy sait persifler même dans la tendresse _ absolument.

Et ces moyens ! jouer du piano comme cela, ce n’est _ probablement _ pas permis _ avec pareille audace rayonnante et triomphante. Steven Osborne nous fera un jour les Etudes, je crains qu’après les siennes, on puisse jeter toutes les autres. Bon prince, Hypérion annonce pour l’an nouveau quasi le même programme avec … Stephen Hough !

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy (1862-1918)
Masques, L. 105
D’un cahier d’esquisses, L. 99
L’isle joyeuse, L. 106
Images, Livre I, L. 110
Images, Livre II, L. 111
Estampes, L. 100
Children’s Corner, L.113

Steven Osborne, piano

Un album du label Hypérion CDA68161

Photo à la une : © DR

Titus Curiosus – Francis Lippa, ce mardi 23 janvier 2018

P. s. :

Voici tout d’abord l’article de présentation par le même Jean-Charles Hoffelé de ce merveilleux CD Debussy de Steven Osborne :

Debussy Piano Music _ Steven Osborne :

DEBUSSY Piano Music – Steven Osborne

Author:
Patrick Rucker
CDA68161. DEBUSSY Piano Music - Steven OsborneDEBUSSY Piano Music – Steven Osborne

DEBUSSY Piano Music – Steven Osborne

  • Masques
  • D’un cahier d’esquisses (Equisse)
  • (L’) Isle joyeuse
  • (6) Images
  • (3) Estampes
  • Children’s Corner

French music is indispensable _ sure ! _ to any pianist’s training. Nearly all professionals maintain, at the very least, a few ‘speciality’ pieces in their active repertories, and appropriately so. Since the 16th century, the French have contributed decisively _ of course ! _ to the history of keyboard music – as composers, performers and, no less significantly, instrument makers (think Blanchet, Érard, Cavaillé-Coll). Yet at any given moment, pianists born outside France who are convincingly identified with this very specific repertory are relatively few. Steven Osborne, from the outset of his career, has been among them _ yes indeed.

The latest demonstration of Osborne’s way with the French is this splendid _ yes ! _ new Hyperion release, presenting a bouquet of mature Debussy works. A viscerally exciting _ yes ! yes !Masques combines with a subtly understated … d’un cahier d’esquisses to create an overture to L’isle joyeuse, in a performance that is both bracingly original and scrupulously adherent _ yes indeed _ to Debussy’s score. Protean, fleet, sparse of pedal and drawing on a seemingly infinite arsenal of touch and dynamics, it conjures an isle where irresistible pleasures border on delirium.

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The classical restraint and chaste proportions of the two books of Images come as an almost startling contrast. Whether in the gentle chimes and gongs of ‘Et la lune descend sur le temple qui fut’ or the spinning kinetic exuberance of ‘Mouvement’, the darting about of ‘Poissons d’or’ observed by a scientific eye or the oracular reverence of ‘Hommage à Rameau’, each piece is strikingly apt and fairly bursts with evocative detail. Osborne shapes the six Images, composed over several years, into a cohesive entity that satisfies both emotionally and intellectually.

No less remarkable are the three Estampes. At the outset of their centrepiece, ‘La soirée dans Grenade’, an ancient muezzin’s call to prayer is heard before disparate rhythmic and harmonic elements coalesce into the throbbing habanera. It is typical of the ease and clarity with which Osborne teases musical allusion from Debussy’s richly layered textures. Even the forthright simplicity of Children’s Corner cannot disguise its vivid imagery. An exquisitely magical atmosphere is created by ‘Snow is Dancing’, while in ‘Golliwogg’s Cakewalk’ we counter some real high steppin’ when the white folks aren’t around.

Osborne traverses this well-known repertory with obvious relish, relying on immense musical and technical resources to reveal fresh, unexpected perspectives on music we all thought we knew. Intimacies of disarming candour are whispered into the ear by conjuring dozens of pianissimos from the instrument that leave you marvelling at their quality and variety, and admiring the Hyperion engineers who captured them so adroitly. This is music-making of great subtlety and finesse which neither lovers of Debussy and French music nor those who value piano-playing on the highest artistic level will want to miss.

Voici ensuite l’article de présentation par Jean-Charles Hoffelé, sur son site, du CD Debussy à paraître imminemment _ et qui attise mon impatience debussyste… _ chez Hyperion de Steven Hough, Mystère Debussy :

MYSTÈRE DEBUSSY

Voici peu, Hypérion offrait à Steven Osborne quasi le même programme (voir ici), disque opulent où le pianiste anglais osait un Debussy fils des Fauvistes plutôt que des Impressionnistes.

À son envers total, Stephen Hough, de son clavier ductile, nous fait son Debussy sur les pointes des timbres, danseur subtil qui dans les Images, dans les magiques Estampes suggère, ne souligne rien, laisse émaner ces mystères sonores avec une grâce, une élégance, quelque chose d’absolument mélancolique qui culmine en un Children’s Corner désarmant de pudeur, si légèrement effleuré qu’il n’est que rêve : écoutez seulement comment la neige danse sous ses doigts.

À force d’entendre le piano de Debussy comme un manifeste du modernisme, on en aura aiguisé les angles, et épaissi les couleurs, tout ici retrouve le secret de cette langue qui se souvient plus de Couperin que de Rameau (même dans l’Hommage au dernier) : l’art de la suggestion. Si bien que le disque refermé (par une Isle joyeusequi capture les vibrations d’un soleil marin), je me prends à rêver de ce que ce piano impondérable ferait des Préludes.

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy(1862-1918)
Estampes, L. 108
Images – Livre I, L. 105
Images – Livre II, L. 120
Children’s Corner, L. 119
La plus que lente, L. 128
L’Isle joyeuse, L. 109

Stephen Hough, piano

Un album du label Hypérion CDA68139

Photo à la une : © Sim Canetty-Clarke

Et voici enfin l’article Debussy Piano Music (Hough ; Cho) que le magazine Gramophone vient de consacrer à ces nouveaux CDs Debussy de Stephen Hough et Seong-Jin Cho :

DEBUSSY Piano Music (Hough; Cho)

Author:
Harriet Smith
CDA68139. DEBUSSY Piano Music (Hough)DEBUSSY Piano Music (Hough)
479 8308GH. DEBUSSY Children’s Corner. Images. L’isle joyeuse. Suite bergamasqueDEBUSSY Children’s Corner. Images. L’isle joyeuse. Suite bergamasque

DEBUSSY Piano Music (Hough)

  • (3) Estampes
  • (6) Images
  • Children’s Corner
  • (La) Plus que lente
  • (L’) Isle joyeuse
  • Children’s Corner
  • (6) Images
  • (L’) Isle joyeuse
  • Suite bergamasque

Hyperion has been keeping Roger Nichols particularly busy of late, writing the notes for Steven Osborne’s Debussy recital (enthusiastically reviewed by Patrick Rucker – 10/17) and again for this recital from Stephen Hough. The overlap is quite considerable (both books of Images, Children’s Corner and L’isle joyeuse) and it was a bold move to release the discs so close together. They make for fascinating comparison, as does a new disc from the 23-year-old South Korean pianist Seong Jin Cho, who won the 2015 Chopin Competition. His programme is nearly identical to Hough’s, presenting the Suite bergamasque instead of the Estampes.

Where to start? Children’s Corner is always revealing. Stephen Hough’s ‘Doctor Gradus’ is full of sensitive phrasing and favours a relatively hazy sound world, compared to which Seong-Jin Cho has a degree more clarity and a striking sense of intimacy. How to pace ‘Jimbo’ ? Cho is a little slow, which can turn his lullaby into a dirge; no risk of that with Hough, who is positively flighty. Nelson Freire (Decca, 4/09) seems especially attuned to this particular elephant, to charmingly naive effect. The eponymous doll in the following Serenade is a knowing creature in Hough’s reading, while in ‘The snow is dancing’ he conjures a veiled landscape, whereas Cho opts for more clear-cut semiquavers at the outset. But turn to Osborne and be astounded by the way he finds as many shadings as there are Inuit words for snow. In the final number, the ‘Golliwog’s Cakewalk’, Cho goes at it with a will, finding plenty of charm too, but Hough really does seem to misjudge things here – it sounds arch and curiously under-energised. Turn to the wondrously colourful Freire or the anarchically punchy Osborne for the full effect.

Suite bergamasque suits Cho’s delicate pianism particularly well, and he brings charm to the ‘Prélude’ and a piquant exuberance to the ‘Menuet’, his upward-rushing scales suitably crystalline. He makes ‘Clair de lune’ individual without recourse to exaggeration and the final ‘Passepied’ wraps things up with a winsome delicacy.

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Hough begins his disc with the Estampes, a vivid reminder that Debussy loved art as much as music, and Hough similarly paints as well as plays. His ‘Pagodes’ sets the scene with just the right degree of blurring of the lines, motifs emerging and then receding once more, all combining to ethereal effect. In the closing ‘Jardins’ his pacing is spot-on and we get hints of the obsessive qualities that prefigure the Études, which give it a pleasing edginess. But I was less convinced by ‘La soirée dans Grenade’, which, though beautifully finished, sounds just too languorous, lacking a certain earthiness that Bavouzet conveys so effortlessly.

And so to the Images. Hough seems to me most successful in the slower numbers – the opening ‘Reflets dans l’eau’ is coloured with great subtlety and refinement. In the last of Book 1, ‘Mouvement’, Hough is pristine but a little slow for my taste, especially compared to Bavouzet, who finds tremendous clarity but also fullness at the climax around the minute mark. Cho here is a little on the hazy side though I much like his gradations of softness as he ascends to the top of the keyboard at the close of the piece. ‘Cloches à travers les feuilles’ is another interesting point of comparison: the interplay of the lines is limpid in Cho’s hands, Hough opting for a more haloed effect – preference will be down to personal taste. But then sample Osborne and you find more risk-taking in the quietness, an unmistakable sense of dolour that pierces the heart. In the following ‘Et la lune’, again it’s Osborne who really gets to the heart of the matter, leaving the readings by Hough and Cho seeming slightly workaday.

I have reservations when it comes to ‘Poissons d’or’ too. Here Cho and Hough seem too slow: the inspiration may have been a Japanese lacquer plaque hanging on the composer’s wall but these are sluggish, slightly dull golden fishes, where they should glisten. By comparison, Osborne brings them to life, glinting and wriggling; so does Bavouzet, to gleeful effect.

Finally to L’isle joyeuse. Again I find Hough a little bit steady – every phrase has clearly been considered but it doesn’t propel you forwards as Cho does and both are relatively pale affairs compared to the exultant reading of Bavouzet _ wonderful, I agree… _, who brings to it a Lisztian brilliance filtered through a French lens.

 

Pour décrypter ce que peut être « un savoir gai » : un travail d’exploration de William Marx

15jan

Pour explorer et décrypter ce que peut être, en sa spécificité et son étrangement  _ qui est ici un substantif _, l’être-au-monde _ toujours en décalage et toujours au moins en léger déport de situation et vision _ d’un homosexuel _ lambda _,

par rapport à la situation et vision majoritaire et dominante des hétérosexuels _ si tant est que généraliser ait du sens : un peu, au moins, probablement ; et aboutisse à ce qui peut, au-delà de l’expression nietzschéenne de « gai savoir« , se nommer authentiquement un « savoir » un tant soit peu efficace et utile _,

vient à point, ce mois de janvier 2018, aux Éditions de Minuit,

Un savoir gai, de William Marx,

en 33 courts et vifs et alertes _ et ardents militants de la cause… _  chapitres, classés par ordre alphabétique (Altérité, Cabinet secret, Communauté _ voilà _, Communion virile, Contingence, Couples, Désastre, Égalité Liberté, Espérance de vie, Esthétique, Étrangement, Évangile, Fascination, Faux départs, Hypersexualisation _ certes ! _, Invisibilité, Libido sciendi, Littératures, Mathématiques, Mimétisme, Modèles, Pédophilie, Permutabilité, Prostitution, Refuges, Scepticisme, Signes et symétrie, Surface/profondeur, Taille _ du pénis _, Terreur, Urgence _ oui ! _, X, Zeus),

et un Préambule _ tout à fait judicieux, et intitulé, lui, Sexe et pensée.

« La sexualité informe ton esprit : elle lui donne forme.

Elle contribue à la singularité _ voilà _ de ton point de vue sur le monde«  ;

Avec encore cette précision informative sur la perspective de ce livre, page 9 :

« Ce n’est pas tout le sexe qui sera pensé ici, ni tout le sexe qui pensera.

Plutôt la partie désir _ voilà _ de la vie sexuelle,

la façon dont elle informe _ et forme aussi, en le dé-conformant du modèle majoritaire dominant _ l’individu, et dont elle l’informe sur le monde. Sur la culture et sur la société en particulier.

La sexualité implique un rapport particulier au vrai, au beau, au bien ;

autrement dit une épistémè, une esthétique, une éthique, une politique« .

… 

Avec pour conséquence que, page 10 :

« cette différence _ celle qui « t’a fait naître ou devenir amant de ceux de ton propre sexe » et qui « te sépare du plus grand nombre« est le levier _ voilà _ par lequel tu mettras en évidence l’imbrication _ oui _ du sexuel et de l’intellectuel. Toute connaissance _ et tout « savoir« , donc _ t’arrive transformée par cette orientation différente«  ;

si bien que, « à tout prendre, tu prétends davantage expliquer _ ici même _ aux hétérosexuels l’hétérosexualité _ qui, bien trop évidente, leur demeure impensée _ par le simple jeu des différences : on ne se connaît singulier que par la comparaison.

Le monde autour de soi est tellement univoque que les hétérosexuels n’ont guère l’occasion _ quant à eux _, à moins de la chercher, de se confronter à l’altérité« .

Et, page 11 :

« pour _ enfin un peu _ savoir il fallait d’abord ignorer, être perdu, désorienté _ et s’en apercevoir, le découvrir, en prendre peu à peu ou soudain conscience.

La note fondamentale de ton expérience, c’est _ donc _ l’étrangement »…

Et qui, pour le lecteur que je suis,

vient prolonger _ mais sur un tout autre mode d’écriture : analytique et disons sociologique, ici ; assez loin d’une investigation de la singularité idiosyncrasique (et littéraire) de l’auteur ! _ ce que j’ai pu découvrir et apprendre ces six derniers mois, en parcourant de fond en comble l’œuvre autobiographique passionnant à décrypter de René de Ceccatty,

à commencer, tout particulièrement, par cet extraordinaire et sidérant récit très détaillé, publié en septembre 1980 aux Éditions de la Différence, qu’est Jardins et rues des capitales, dont les trois chapitres s’intitulent respectivement : Hugues, Jacques ; Samuel en Samantha ; et Roma-Fanfilù _ une entreprise probe et courageuse de lucidité comme il en existe bien peu. Un chef d’œuvre !!!

Voir là-dessus mon article de synthèse, le 12 décembre dernier, sur Enfance, dernier chapitre : Lire, vraiment lire, ce chef d’œuvre qu’est « Enfance , dernier chapitre », de René de Ceccatty (et au-delà : à propos de tout l’œuvre autobiographique de René de Ceccatty) ;

et écouter le podcast de notre entretien sur ce merveilleux livre, tout de singularité, ainsi que sur la traduction de la Divine Comédie de Dante. 

L’entreprise, ici, de William Marx, a en effet d’abord et surtout, me semble-t-il,  une visée défensive de ce que je nommerai la communauté homosexuelle,

et cela en un temps d’offensives virulentes d’homophobie _ par exemple de la part de la-dite « manif’ pour tous«  à l’égard de ce qui a été nommé « le mariage pour tous« 

William Marx n’aborde pas frontalement ses expériences personnelles _ car tel n’est pas l’objet de son livre _ même s’il lui arrive, à l’occasion, de le faire : quand il s’agit de prendre des exemples précis…

En son important et fort intéressant chapitre « Scepticisme » (pages 139 à 142),

qui débute par ces phrases :

« Longtemps tu n’as pas su que tu étais gai.

Du moins en as-tu douté voilà _, alors même que tu as toujours été attiré par les jeunes gens un peu plus âgés que toi. Tu voulais les imiter dans leur façon de s’habiller. Tu cherchais les occasions de voir des corps masculins nus. Leurs organes sexuels te fascinaient. Par ailleurs, tu n’éprouvais aucun de ces sentiments à l’égard des jeunes filles et des femmes, qui te laissaient indifférent.

Pour autant, tu ne croyais pas _ voilà _ que ton attirance pour les hommes et les jeunes gens fût en rien sexuelle _ mais seulement pré-sexuelle, en quelque sorte. A tes yeux _ voilà _, cette attirance montrait justement que tu n’étais pas encore entré dans le monde _ actif et pragmatique _ de la sexualité, avec ses désirs et ses besoins _ efficients _ propres«  ;

et d’ajouter même, à la page 140 :

« Il n’est pas impossible que cette conviction ait _ carrément _ freiné l’épanouissement de ta sexualité physiologique. Tu ne découvris en effet la masturbation que vers la fin de ta dix-septième année _ en 1983 _, bien que tu en connusses l’existence théorique _ livresque seulement _ justement par ce livre d’éducation sexuelle _ que ses parents lui avaient en effet offert « vers l’âge de onze ou douze ans », soit dès 1977 ou 78. Mais tu ne savais pas comment procéder _ dans la pratique effective de la chose _ malgré tes efforts (…), et puis sans doute ce besoin organique ne se manifestait-il pas avec suffisamment de force pour t’obliger à trouver la solution ; celle-ci ne t’apparut que fort tard, donc » ;

au point même d’avoir cru « que ce retard _ physiologique _ était dû à ta suractivité intellectuelle, au fait que ta vie disparaissait tout entière dans les livres que tu lisais avec boulimie, arrêtant ainsi _ rien moins ! _ ton développement physiologique. »

Et ce n’est qu' »une fois découvert _ un peu plus tard _ le plaisir sexuel » que « tu sus alors fort bien que ton désir te portait vers ceux de ton sexe, puisque c’étaient les seuls _ par contre-épreuve _ qui excitassent ta sensualité. Mais longtemps _ encore _ tu n’osas croire à la réalité et au caractère définitif _ voilà le principal point d’incertitude alors _ de ton propre désir. (…) Tu pensas longtemps _ encore, par conséquent _ que ton développement sexuel _ normal, attendu : selon les normes du manuel de sexualité qui faisait autorité ! _ ne se terminerait pas là et que tu finirais par aimer les femmes. »

en son important et trés intéressant chapitre « Scepticisme« ,

William Marx narre, en effet, alors, page 140-141, un épisode charnière de sa vie affective et sexuelle, survenu en 1988, alors qu’il avait 22 ans, et qui allait asseoir enfin la conviction de son orientation sexuelle :

« A l’âge de vingt-deux ans _ en 1988, donc _, je voulus voir ce que donnerait l’amour avec une femme : l’acte fut accompli, at par deux fois même, mais sans désir et sans plaisir particulier.

Ce fut la preuve que tu attendais : tu n’aimais et n’aimerais jamais que des hommes, et tu en pris ton parti. Tu crus enfin en ton désir _ au-delà de ce qui pouvait n’apparaître que comme un pur et simple fantasme.

Ta vision du monde en fut _ totalement _ changée. Quelques semaines plus tard _ en 1988, donc _, tu déclaras ta flamme à celui _ Erwann ? _ qui deviendrait le compagnon de ton existence _ pour un moment ? pour jamais ? l’auteur ne le précise pas _ et autour duquel tu tournais depuis de longs mois déjà.« 

Avec ces bien intéressantes déductions, à la page 141 :

« Pour toi, l’apprentissage de la sexualité gaie coïncida avec celui d’un scepticisme généralisé. 

Scepticisme à l’égard de mon propre désir, d’abord, auquel tu n’osais pas accorder ta confiance.

Scepticisme à l’égard des discours, ensuite. De tous les discours, de tous les maîtres, même les plus autorisés ou, plus exactement, surtout ceux-là, c’est-à-dire ceux qui prétendent dicter ta vie : maîtres et discours politiques, religieux, philosophiques, scientifiques, dont, même si certains peuvent t’attirer, tu te sens toujours séparé, comme par une cloison mince quoique infranchissable. A la base de tout discours sur le monde, tu perçois _ du fait de cet étrangement de cette homosexualité hors normes dominantes ? _ une illégitimité. Tu te méfies des autorités. Tu te méfies des théories, de toutes les théories.

Mais tu te méfies également de toi-même, de ce que tu peux penser _ réduit ainsi à l’incertitude foncière et sans fond et sans fin du croire : sans jamais parvenir à la légitimité d’un savoir objectivement assuré.

Tu n’es pas certain de détenir une vérité.

A chaque phrase que tu écris, tu voudrais apporter un correctif, une concession _ à la Montaigne (« tant qu’il y aura de l’encre et du papier au monde« ), à la Proust, à la Shakespeare _,

parfois même écrire la phrase inverse.

Ecrire, c’est s’engager dans une instabilité profonde : tu dois croire au moins un instant à ce que tu penses pour pouvoir l’écrire.

Or pour toi le moteur de l’écriture réside au contraire dans la méfiance _ oui : le doute actif _ à l’égard de ce qui est jeté sur le papier, dans le besoin d’ajouter _ voilà ! _ pour corriger et compléter _ les deux !! _ ; et ainsi avance _ en effet ! _ le texte _ la ligne, la phrase, la page _, parce que, tu en as le sentiment profond, aucune phrase ne dit jamais _ à elle seule _ la vérité _ même celle-ci.« 

Je veux aussi m’arrêter aux remarques du chapitre « Terreur » (aux pages 153 à 155),

rédigées à l’occasion d’un rêve, ou plutôt un cauchemar, la nuit du 29 novembre 2015 :

« la date importe« , souligne William Marx en ouverture du chapitre, page 153 _ rappelant, à la page suivante, les « terroristes du 13 novembre 2015, quinze jours plus tôt » que ce cauchemar : « les terroristes de novembre ont pris ton inconscient en otage : tu découvres qu’il y a, tapie au fond de toi, la peur d’être visé en tant que gai, parce que gai«  _ ;

en voici le détail :

« Rêve cette nuit (29 novembre 2015 _ la date importe). Dans un paquebot, avec les officiers du commandement. (…) Tu te rends compte que tout l’équipage est gai. Un sentiment de familiarité _ communautaire, William Marx y revient à d’autres reprises, notamment à propos des sentiments (à la fois rassurants et euphorisants) que suscite en lui la Gay Pride, en son chapitre « Communauté«  (pages 27 à 30) _, de connivence, de joie tendre, d’excitation t’envahit.

Mais tu n’as pas le temps de profiter de ce bonheur. Tout à coup, les lumières s’éteignent au fond de la salle, puis de plus en plus près de toi, comme si des rangées de néon étaient mises successivement hors circuit. Tu entends des cris angoissants. L’ombre s’avance vers toi.  Elle va bientôt tout recouvrir. Au dernier moment, sur le point d’être atteint par la nappe d’obscurité, tu vois dans le noir une silhouette masquée poignarder _ voilà _ chaque participant à la fête, l’un après l’autre. Elle se précipite sur le nouveau commandant et son copain, les assassine, avance vers toi et te donne un coup de couteau dans le ventre. Tu te réveilles.

Le récit de ce rêve, que tu te lis, te terrorise encore.


Tu y trouves beaucoup d’échos
_ en tant que « restes diurnes » du rêve… _ de la journée précédente, où tu avais écrit un texte comparant la Cité radieuse de Le Corbusier _ à Marseille : ville portuaire… _ à un paquebot sans commandement ni équipage ; tu y évoquais le souvenir d’un bal masqué organisé sur le toit-terrasse. La veille au soir, tu avais également aperçu au théâtre _ à Marseille, aussi ? _ le beau Tancrède avec son copain, assis juste derrière toi. Tout ce vécu du jour d’avant explique parfaitement le rêve _ jusqu’à la scène finale exclusivement.

A partir de ce moment,

le rêve a associé spontanément la vie gaie _ ainsi donc raisonne, en cet essai, William Marx ; à la différence, me semble-t-il, de René de Ceccatty, en ses récits autobiographiques ; qui sont en permanence seulement au singulier, eux ; à l’exclusion de considérations communautaristes de quelque sorte que ce soit, y compris sexuelles… _

à la menace homophobe _ très vivement ressentie par William Marx _,

aux terroristes du 13 novembre 2015, quinze jours plus tôt,

à la Troisième Intifada (celle des couteaux),

et il a tourné instantanément au cauchemar.

La perception d’un bonheur gai idéal a créé d’elle-même son négatif, cédant la place à un sentiment de terreur.

Ce songe effrayant te révèle une peur que tu croyais ignorer : sans que tu t’en rendes compte, tu as assimilé confusément l’idée d’une menace _ générale _ planant sur les gais _ pris en tant que communauté. La terreur a gagné à ton insu. Le sentiment d’insécurité triomphe alors même que tu ne te savais pas en danger. Les terroristes de novembre ont pris ton inconscient en otage : tu découvres qu’il y a, tapie au fond de toi, la peur d’être visé en tant que gai, parce que gai.

Tu te souviens d’un soir dans ton quartier _ je suppose à Paris, cette fois, et non plus à Marseille _, il y a quelques années, où tu rentrais du cinéma en compagnie d’Erwann _ le compagnon de William Marx. Il était tard, il n’y avait personne, croyiez-vous, et vous vous teniez par la main. Tout d’un coup, dans le noir, des cris, des insultes : c’était un groupe de jeunes au fond de la rue, que vous n’aviez pas vus. Vous vous êtes lâché la main, vous avez pressé le pas, vous vous êtes demandé s’ils allaient vous poursuivre. C’était en plein Paris _ voilà.

Il y a toujours pour les gais _ du moins identifiés et repérés comme tels : sortis du placard… _, dans le noir, une menace _ de mort ! _ qui rôde, invisible, prête à surgir au dernier moment, à l’instant où ils s’y attendent le moins« …

Avec ces remarques de conclusion du chapitre, page 155 :

« Au cas où vous l’oublieriez, il se trouve toujours des gens de haute moralité _ et d’extrême et totale et parfaite bonne conscience d’eux-mêmes, et d’un déchaînement de haine proprement hallucinant : les haineux sauvages bon chic bon genre de la manif pour tous ! Jamais je n’avais vu dans des regards et entendu proférer dans des cris tant de haine qu’en croisant, par hasard, leur manifestation, place Gambetta, à Bordeaux ! Cf aussi le merveilleux portrait du Tartuffe de Molière… _ pour vous rappeler que vous vivez sous un régime d’excessive _ pour la parfaite suffisance fermée de leur absolue bonne conscience ! _ tolérance : ils défilent parfois sous des bannières à la gloire de la famille dite traditionnelle.

Tu as presque hont d’écrire cela en France aujourd’hui, dans cette ville et ce pays où deux hommes ou bien deux femmes peuvent se marier devant madame ou monsieur le maire, où chacun peut vivre sa sexualité plus librement que presque partout ailleurs dans le monde. Tu l’écris comme soulagé d’avoir échappé _ provisoirement du moins ; mais le limes ressenti demeure ineffaçable : il fonctionne comme avertissentent envers la menace des haineux : ah les excellents paroissiens ! _ à la traque, avec l’espoir que le cauchemar ne reste qu’un cauchemar.

A ta grande surprise la peur t’a rattrapé« .

Un regard assurément très intéressant.

Je dois cependant encore un peu affiner, compléter, corriger à la marge mon commentaire de ce très intéressant essai de William Marx ;

notamment commenter son excellente expression de « myriade de décalages », à propos de ce qu’il nomme « l’existence gaie », aux pages 27 -28 (dans la rubrique « Communauté ») :
pour lui, « un gai » n’est pas « qu’un homme qui aime les hommes en lieu et place des femmes, et rien de plus. Comme si cette différence était du même ordre qu’une préférence alimentaire ou esthétique. (…) Comme si cela n’engageait pas une myriade de décalages _ voilà _ qui font de cette vie tout autre chose que la vie d’un amateur de polars, de jaune canari ou de poires conférence ».
 
Ainsi, élargissant son éloge du jour de la Gay Pride, dit-il aussi, et là je tique un peu : « Tu ne diras jamais assez l’importance des amis gais. Tu en as d’hétérosexuels, bien sûr, et qui savent que tu es gai. Pourtant la communion _ voilà un terme qui me gêne _ ne sera jamais aussi complète _ quel étrange idéal ! _ qu’avec des gais, quand les sous-entendus et les implicites partagés autorisent la compréhension parfaite _ tiens donc ! _, celle qui n’a pas besoin de mots _ halte là ! _ et se contente d’un rire ou d’un regard complice _ c’est commode, mais c’est aussi assez superficiel, et ce peut être lourd de mé-compréhensions : pour ma part, je me méfie beaucoup de ce qui prétend faire l’économie du dicible et faire l’éloge de l’ineffable. Toute zone d’ombre a alors disparu : vous vivez alors, le temps d’une soirée, dans une transparence nouvelle _ vraiment ? _, celle-là même dont vous avez soif _ vraiment ? cette idée ne m’agrée pas du tout : ni l’amour vrai, ni l’amitié vraie n’ont pour but la transparence ou la fusion : seulement l’entente profonde de l’autre en son altérité (aimée et respectée, et en partie, mais dans la différence de l’altérité (aimée) de l’autre, partagée) _ le reste du jour et de la semaine. Ces moments-là sont délicieux. Les amis ont beau t’être chers, ce ne sont que des amis _ ah ! bon ! _, peu nombreux, triés sur le volet _ comme si faire nombre était ce qui importait ici à l’affaire ! Non ! La Gay pride, c’est la société tout entière. Elle en donne du moins l’illusion _ ici un éclair de lucidité… (…) Ce jour-là et lui seul, tu fais corps _ tiens donc ! _ avec autrui _ quelle illusion ! _, simplement, directement, totalement, comme le font _ tiens donc ! _ sans le savoir _ qu’est ce que cela peut-il donc être ? _ les hétérosexuels. (…) La vraie joie (…) est celle d’avoir aboli le limes qui te séparait du mondeComme s’il s’agissait d’être majoritaire… Cela me rappelle l’expérience forte et inoubliable (tout, et partout, dansait !!!) des fêtes de Pampelune (au terme de ma première année d’enseignement à Bayonne, au mois de juillet 1972, avec un ami basque, décédé depuis) : un très gai luron ! Sur la fête, lire les percutants et décapants Essais de Philippe Muray.
D’autre part, cette « myriade de décalages » de la part des écrivains qui me plaisent tout spécialement, et que je trouve chez certains écrivains ouvertement homosexuels, tels un Christopher Isherwood (par exemple en Un Homme au singulier) ou un E. M. Forster (par exemple en Maurice) ;  je la trouve aussi chez certains _ mais pas tous _écrivains juifs, tel un Joseph Roth (par exemple en La Marche de Radetsky ou La Crypte des Capucins), ou un Philip Roth (par exemple en Patrimoine, ou  Ma vie d’homme) ; et chez certains écrivains noirs, tel un Percival Everett (en Blessés ou Effacement). En chacun de ces regards d’écrivains, c’est la singularité de ces « myriades de décalages » qui est proprement irremplaçable à suivre et découvrir, et passionnante à partager…

Titus Curiosus – Francis Lippa, ce lundi 15 janvier 2018

le Festival Spannungen : le Marlboro européen, et le génie du Mendelssohn de quatorze ans

13jan

Les chroniques quotidiennes de Jean-Charles Hoffelé sur le site d’Artalinna, me sont un très précieux guide discographique _ parmi la désolation du triste désert médiatique de la presse écrite, comme de l’édition, en cette matière depuis une dizaine d’années au moins ! Cette carence de relais médiatiques écrits fiables, étant bien sûr et fortement catastrophique ! Comment aider à se former un public musical authentiquement cultivé ? Au secours, Madame la Ministre !!! Heureusement que résiste encore un peu pour le moment le service public de Radio-France (France-Musique et France-Culture).

Par exemple ce matin, le très judicieux article intitulé Grand Sextuor que l’excellent critique consacre au CD Mendelssohn – Penderecki (CD CAVI LC15080) du magnifique Festival Spannungen _ que dirige l’excellent pianiste Lars Vogt _,

et dans lequel Jean-Charles Hoffelé souligne la merveille d’inventivité, de force et de grâce  juvénile _ éminemment contagieuses ! c’est-à-dires inspirantes !!! _ d’un Mendelssohn de quatorze ans, héritier, par ses maîtres berlinois, du génie de Carl-Philipp-Emanuel Bach et de l’esprit Sturm und Drang.

Cela fait des années que je suis avec la plus grande attention cette discographie, avec un bonheur d’écoute chaque fois renouvelé ! Quelle vie dans ces très inspirées interprétations live !

Et mes disquaires de la librairie Mollat m’accompagnant dans cette jubilation…

GRAND SEXTUOR

Le Festival de Spannungen, invention de Lars Vogt, serait-il en passe _ et c’est encore trop peu dire ! _ de devenir le Marlboro européen ? Les éditions se suivent _ annuellement _, agrégeant progressivement la fine fleur _ oui ! _ des instrumentistes de la nouvelle génération.

Cette fois, c’est autour d’Aaron Pilsan, dont j’avais tant aimé le récital de début chez Naive (sa Wanderer-Fantasie !) que s’assemblent cinq instruments à cordes pour une des merveilles les moins courues de la musique de chambre

_ tellement magnifique : de Mendelssohn, que l’on commence par l’écoute de son génialissime Octuor ! et si possible dans l’interprétation, au Festival Spannungen,

Mendelssohn & Enescu - Octets for Strings Product Image

par Christian Tetzlaff, Isabelle Faust, Antje Weithaas, Lisa Batiashvili, Kathrine Gowers (violins), Rachel Roberts, Ori Kam, Antoine Tamestit (violas) & Tanja Tetzlaff, Quirine Viersen, Gustav Rivinius (cellos), dans le merveilleux CD C AVI 8553163 _

de Mendelssohn, le Sextuor, pour piano et quintette de cordes à deux altos, qu’il écrivit dans sa quinzième année _ voilà. L’ouvrage expose toute la syntaxe _ oui _ qui fera le miel _ mais oui ! _ de sa musique de chambre, entre classicisme formel _ mozartien _ et invention harmonique romantique héritée de Carl Maria von Weber.

Tous les enjeux de cette partition à la Janus, où la trame médiane est prépondérante – les deux altos y veillent colorant le tout d’une lumière subtile – sont compris ici à la perfection, le piano du jeune Autrichien entraînant le petit orchestre de cordes avec lequel il mène une joute joyeuse _ un terme clé pour tout l’œuvre de Mendelssohn ! _, dispensant un giocoso _ voilà ! _ où le souvenir du sourire de Mozart _ absolument ! _ n’est jamais très loin _ en effet ! Mais la fougue tempêtueuse de CPE Bach, non plus !!!

En complément, le Sextuor de Penderecki, œuvre longuette qui me tombe des mains et où ne paraît pas Aaron Pilsan. Pour cette partition rare du jeune Mendelssohn, si finement rendue _ oui _ , l’album est imbattable _ oui ! _, et qui sait !, vous aimerez peut-être l’opus du Polonais.

LE DISQUE DU JOUR

Felix Mendelssohn (1809-1847)
Sextuor pour piano, violon,
2 altos, violoncelle et contrebasse
en ré majeur, Op. 110

Krzysztof Penderecki
(né en 1933)
Sextuor pour clarinette, cor,
violon, alto, violoncelle
et piano*

Aaron Pilsan, piano
*Danae Dörken, piano
*Jean Johnson, clarinette
Anna Reszniak, *Byol Kang, violon
Elisabeth Kufferath, alto
*Maya Meron, alto
Gustav Rivinius, violoncelle
*Gabriel Schwabe, violoncelle
Edicson Ruiz, contrebasse
*Marie-Luise Neunecker, cor

Un album du label CAVI LC15080

Photo à la une : Le pianiste Aaron Pilsan – Photo : © DR

Très chaudement recommandé !

De même que tous les CDs live émanant de ce très électrique Festival Spannungen…

Et en particulier le miraculeux coffret de 14 CDs intitulé Spannungen : Musik im Kraftwerk Heimbach – Chambers Music, par Lars Vogt & Friends (Live Recordings 1999-2006) :

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cf mon article du 14 novembre 2009 : «

Titus Curiosus – Francis Lippa, ce samedi 13 janvier 2018

La recension italienne par Carlo Ossola de la traduction en français de la Divine Comédie de Dante par René de Ceccatty

12jan

« La traduzione in francese di René de Ceccatty volge l’endecasillabo dantesco in ottonari :

ne resulta un testo dinamico, incisivo, danzante, teso ai fini ultimi ».

« Un Dante europeo, contemporaneo, filosofo dei destini universali più che poeta ristretto ai riti dell’amor cortese, « suggerisce » speso a Ceccatty soluzione che portano all’essenziale« .

Je suis très heureux que Carlo Ossola _ outre le très riche détail de son magnifique article _ trouve pour ta traduction de Dante
les adjectifs mêmes que j’ai relevés de ton merveilleux (mais oui !) Enfance, dernier chapitre,
et tout spécialement le « dansant » dont tu parles à propos des regards sur toi écrivant de tes deux parents, ton père comme ta mère,
qui eux deux aussi « dansaient »…

C’est cette liberté et beauté de la circulation dynamique de ton penser-écrire sur lesquels j’ai voulu aussi mettre l’accent dans ces articles successifs de mon blog à propos de ton style.
J’ y retrouve mon Nietzsche, et son « danseur de corde » (au Prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra)
Et son « Je ne croirai qu’en un dieu qui sache danser »…

Oui, et c’est de ce « dansant » -là dont j’ai tant de mal me déprendre _ me sevrer _ comme lecteur, en passant à la lecture d’autres livres que les tiens,
tel celui de Magris _ Classé sans suite _, par exemple.
La musique, aussi, il est vrai, m’aide : elle peut mettre en mouvement et donner des ailes.

Et je comprends aussi et surtout la difficulté respiratoire (la crainte) que toi-même, comme auteur, dois éprouver à te re-lancer (sans filet !) dans pareille écriture autobiographique
(et de très profonde nécessité !),
en te réfugiant provisoirement, pour reprendre des forces (et du courage, aussi), en quelque sorte,
dans l’écriture de traductions, d’articles, de biographies, etc.
qui impliquent bien moins de tels sauts de l’ange (mais bien terrestres et bien corporés, pas angéliques !) qui sont au cœur de l’écriture autobiographique véridique.
Mais le courage implique forcément une certaine peur : la peur qu’il nous faut surmonter et vaincre, dépasser, pour ne pas être lâche, ou encalminé, plombé, arrêté, figé.

Vive la vie, cher René !

Francis


C’est par ce courriel que j’ai répondu à René de Ceccatty _ commentant lui-même, avec son essentielle humilité, cette très bonne et profonde recension de Carlo Ossola, jusqu’à la trouver « peut-être trop élogieuse«  ; de même qu’il avait trouvé imméritées mes appréciations enthousiastes de son Enfance dernier chapitre _, en le remerciant de son envoi de l’article que Carlo Ossola vient de consacrer, dans le supplément dominical Il sole 24 Ore du 7 janvier 2018, à sa traduction française (en Points-Seuil) de La Divine Comédie de Dante.

 

«La Comédie»: Dante al ritmo del XXI secolo
– di Carlo Ossola


9 gennaio 2018


Dante è, sempre più, un autore del XXI secolo, e classico che ogni editore francese ha in catalogo; la lista delle versioni della Divina Commedia è impressionante: oltre alle classiche traduzioni di Jacqueline Risset (Flammarion), di André Pézard (nella Pléiade), di Marc Scialom (La Pochothèque), dovremmo almeno evocare quelle di Lucienne Portier (Cerf), di Jean-Charles Vegliante (Imprimerie Nationale), di Alexandre Masseron (Albin Michel), di Didier Marc Garin (Éditions de la Différence), di Alain Delorme (Édilivre), di Claude Dandréa (Orizons), senza contare le traduzioni in corso di Danièle Robert (Actes Sud: è apparso l’Enfer, 2016) e di Michel Orcel.

Su tutte spicca, per la novità della impostazione, quella di René de Ceccatty, La Divine Comédie, apparsa nell’autunno 2017 da Points. L’autore è ben noto per i suoi saggi su Pasolini, su Leopardi, per i suoi romanzi, e rielaborazioni per il teatro. Qui egli sceglie di volgere l’endecasillabo dantesco in ottonari; decisione coraggiosa e ardua, che può lasciar perplessi, sapendo che il poema dantesco, già così stringato, “perde” così, ad ogni terzina, quasi un verso. «Perché scegliere l’ottonario – s’interroga l’autore stesso- che aggiunge un obbligo di concentrazione, allorquando i miei predecessori hanno preferito l’alessandrino, l’endecasillabo o il decasillabo? Il ritmo musicale e flessibile di otto piedi non obbliga il versificatore (al contrario dell’alessandrino) alla cesura mediana che inchioda il corso del verso, e rende il testo più dinamico, danzante, meno cadenzato come un pendolo». Segue, in questo, l’osservazione di Mandel’štam, il quale riconosceva nella Commedia «una vera fame di fendere lo spazio», «ogni vocabolo ha fretta di esplodere, volar via dalle labbra, fuggire, lasciare il campo ad altre parole», per concludere: «Nel parlare di Dante, è più giusto riferirsi alla creazione di slanci, anziché alla creazione delle forme […] Una scienza che abbia per tema Dante punterà, così io spero, allo studio del rapporto di subordinazione fra slancio e testo» (Conversazione su Dante).

Presa questa via, il ritmo diventa precipite, necessitato da una teleologia del fine ultimo, che non lascia requie né pausa; si prenda allora la clausola – possente – di Inferno XXXI quando Anteo afferra Virgilio e Dante e li posa al fondo della terribile ghiaccia infernale: «e come albero in nave si levò» (XXXI, 145): ebbene Ceccatty contrae ancora, ed eleva: «Il se redressa comme un mât» (essendo scontato che mât è per antonomasia l’albero della nave). O si scelga un momento ancor più solenne quale il discorso di Virgilio che incorona Dante, al sommo del Purgatorio, sovrano del proprio libero arbitrio: «Non aspettar mio dir più né mio cenno; / libero, dritto e sano è tuo arbitrio, / […] / perch’io te sovra te corono e mitrio» (XXVII, 139-142). Sappiamo che la dittologia finale «corono e mitrio» risale all’incoronazione medievale dell’imperatore, come ci testimonia una cronaca del primo Duecento per l’elezione di Ottone IV: «Oddo coronatus Imperator […] mitratus et coronatus ivit cum domino Papa usque ad portam Romae», ma lo sappiamo non da Dante bensì dai commenti (qui di Anna Maria Chiavacci Leonardi); insomma intendiamo il valore del verso dantesco alla lettura seconda, mentre l’ottonario di Ceccatty va dritto all’essenza di ciò che è promulgato: «Je n’en dirai, ferai pas plus. / Ton libre arbitre est droit et sain:/ […] / Je te déclare souverain». Si perde il riferimento all’allusione imperiale, alla dignitas aulica della dittologia, ma si erge – umanisticamente – l’idea di sovranità dell’uomo su se stesso.

È un Dante che elude le spire del tempo e aguzza la freccia dell’eternità. Per questo ancora, Ceccatty privilegia – come già Giovanni Getto – la cantica del Paradiso: «La grande austerità stilistica del Paradiso discende ad un tempo dal contenuto teologico e dalla topografia (si è abbandonata la geografia familiare della Terra, per passare a un’astronomia più astratta) […]. Dante non cammina più con le sue guide, ma vola con una traiettoria immediata che elide le descrizioni, al contrario della discesa agli Inferi e alla salita al Purgatorio. I dialoghi così con gli spiriti beati o con Beatrice hanno una eccezionale forza luminosa e la fluidità del canto più ancora s’accentua» (così nell’ampia Introduzione che è un acuto saggio di esegesi dantesca). Accentrarsi sull’essenziale vuol dire –per l’autore – prendere la Commedia «come un manuale di meditazione e un libro d’avventure»: l’ottonario facilita certo il secondo (il testo corre, balza di ripa in ripa e si sale vertiginosamente da un ordine all’altro delle anime purganti, e dei pianeti celesti). Ben più difficile era tenere il punctum del saliente meditativo: Dante stesso ci avverte, nel cuore del Paradiso: «ché ’l piacer santo non è qui dischiuso, / perché si fa, montando, più sincero» (XIV, 138-139); ecco allora il traduttore eludere la forma indiretta e concentrarsi sull’affermazione del principio: «Car le saint plaisir est latent, // De ciel en ciel, plus authentique».

C’è quasi una pedagogia di spoglia serenità cistercense, in questo Paradiso, che ogni tanto va oltre il compiaciuto indugio dantesco: «Affetto al suo piacer, quel contemplante / libero officio di dottore assunse, / e cominciò queste parole sante» (Par., XXXII, 1-3); è un san Bernardo al quale Ceccatty toglie ogni divagazione sul “piacer” dell’affisarsi: «Saisi par sa contemplation, / Spontanément il m’expliqua / Dévotement notre vision». Avevo iniziato la lettura pensando a un Dante ridotto alle misure ansanti dei nostri tempi frettolosi, a un ottonario di mera urgenza. A percorso ultimato, rimane ben più di questo: e si deve convenire, con l’autore, che con felice esito egli abbia più obbedito all’ “esprit de finesse” del senso ultimo che a quello di “géometrie” della costruzione locale. Si sente quella sobrietà drammatica, di fronte ai destini dell’umanità, che fece di Marx (come ho mostrato lo scorso 30 aprile 2017, presso la Casa di Dante in Roma, e ho ripreso nel mio volume Europa ritrovata) uno strenuo lettore, e consenziente, della Divina Commedia; e come ancora lo fu Walter Benjamin secondo la serrata analisi che Pier Mario Vescovo propone – facendo giustizia di fantasiose recenti attribuzioni – nell’imminente fascicolo della rivista «Lettere Italiane».

Un Dante europeo, compreso come filosofo dei fini universali più che poeta ristretto ai riti dell’amor cortese. E la sete di questo “fine ultimo”, e necessariamente da porre per primo alla percezione d’un mondo distratto, detta spesso a Ceccatty soluzioni dirette rispetto alle studiate posposizioni dantesche: «Guardando nel suo Figlio con l’Amore / che l’uno e l’altro etternalmente spira, / lo primo e ineffabile Valore…» (Par., X, 1-3) : «La Valeur suprême, indicible / regardant son fils avec l’Amour / Éternel que tous deux s’inspirent»; una Trinità, dunque, dichiarata e presente.

In questo XXI secolo un poema luminosamente frontale ci attende.

 

 

Titus Curiosus – Francis Lippa, ce vendredi 12 janvier 2018

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