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Penser une révolution qualitariste : une étape du très sagace cheminement du penser philosophique de Pascal Chabot, et son très bienvenu « Discours de la Méthode » pour le XXIe siècle…

27mai

Avec le « Traité des libres qualités » de Pascal Chabot, un ouvrage paru aux PUF le 4 septembre 2019,

nous tenons un passionnant très riche « Discours de la méthode«  _ « pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences« , et même un peu plus loin que « dans les sciences«  : pour comprendre aussi, voire surtout, en la finesse des liens qui la marquent, voire la constituent, la vie contemporaine en toute la très riche complexité de sa plus quotidienne quotidienneté… _ de notre XXIème siècle…

Déjà,

afin d’entrer un peu précisément dans le propos de ce livre majeur,

et, en plus de lire attentivement, bien sûr, les 9 pages de l’ « Introduction » de ce livre (aux pages 15 à 23) _ constituée d’un très éclairant important avant-propos méthodologique intitulé « Puissances de l’abstrait« , suivi du programme de ce travail, baptisé, lui, « Carte de navigation » : au sein de la profuse complexité qualitative dont il faut démêler les entrelacs (de divers enchevêtrements de liens) encore bien trop confus pour nos esprits… _,

on peut également commencer par accéder à  la vidéo (de 32′ 46) du passionnant entretien, pour France-Culture, le 11 septembre 2019, de Pascal Chabot avec Olivia Gesbert : « Pour une révolution qualitariste » ;

ainsi qu’au texte de l’entretien qu’a eu Pascal Chabot avec Nicolas Celnik (publié dans le Libération du 15 septembre 2019) : « Il faut penser la qualité comme une nouvelle figure du bien« …

 

Ce vendredi 27 mai 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

La question de la justesse d’une croyance, selon Pascal Engel, dans « Les vices du savoir »

10juil

En un article paru sur le site de laviedesidees le 30 octobre 2019,

intitulé Qu’est-ce qu’une croyance juste ?,

Angélique Thébert chronique de façon passionnante

le livre de Pascal Engel Les Vices du savoir _ Essai d’éthique intellectuelle,

publié aux Editions Agone.

Voici ce qu’elle en dit.

Recension Philosophie

Qu’est-ce qu’une croyance juste ?

À propos de : Pascal Engel, Les vices du savoir, Essai d’éthique intellectuelle, Marseille, Agone


par Angélique Thébert , le 30 octobre 2019

Imaginons un monde dans lequel l’ultime pied-de-nez à l’autoritarisme intellectuel consisterait à boycotter les normes du vrai, du savoir et de la preuve. Dans un tel monde, pourrions-nous encore avoir des croyances ? Certainement pas, répond Pascal Engel.

Construit comme une dystopie philosophique, Les vices du savoir présente les tenants et les aboutissants des manières de croire, aussi bien individuelles et collectives, qui cherchent à rompre avec certaines normes de la croyance, comme celle de vérité, jugées trop restrictives. Mais peut-on vraiment faire sauter les verrous d’une pensée correcte par la seule force de notre vouloir ? Notre esprit est-il véritablement corseté dans un moule normatif d’un autre âge ? Afin de montrer que ces tentatives pour libérer la pensée manquent leur but et pensent mal leur objet, P. Engel commence par cartographier le terrain conceptuel. Fidèle à la démarche analytique, il s’attache dans un premier temps à circonscrire le concept de croyance. Tel est l’intérêt de l’ouvrage. La condamnation des « pratiques doxastiques vicieuses », c’est-à-dire des dispositions à croire (acquises ou non) qui font fi des normes inhérentes à la croyance, ne repose pas seulement sur une description des mécanismes de telles pratiques et sur l’anticipation des conséquences désastreuses que leur généralisation pourrait avoir sur la démocratie. À certains égards, George Orwell l’a déjà fait dans 1984. La méthode de P. Engel est différente : elle consiste d’abord en une clarification conceptuelle. Ainsi, avant de faire défiler les portraits d’agents intellectuellement vicieux (le bullshitter, le snob, le sot, etc.), il convient de se mettre d’accord sur ce qu’est une croyance en général.

Les normes de la croyance

Une partie substantielle de l’analyse est consacrée à la mise au jour des normes de la croyance. Ce travail constitue « l’éthique première de la croyance ». Première non pas parce qu’elle consiste à énoncer des règles particulières que nous devrions suivre pour croire comme il faut (comme les règles de la méthode de Descartes). Les normes de la croyance ne sont pas des directives ou des impératifs précis, auxquels nous devrions nous efforcer de nous soumettre pour obtenir une croyance correcte. Il s’agit de normes intrinsèques à la croyance, qui définissent de façon tout à fait abstraite ce qu’est une croyance correcte. Autrement dit, il ne s’agit pas de normes régulatives, prescriptives, mais il s’agit de normes constitutives de la croyance en général (p. 117).

Ces normes propres à la croyance sont la norme de vérité (« une croyance est correcte si et seulement si elle est vraie »), la norme des raisons suffisantes (« une croyance est correcte si et seulement si elle est basée sur des raisons suffisantes »), qui sont elles-mêmes soumises à une norme encore plus forte, la norme du savoir (« une croyance que P est correcte si et seulement si on sait que P »). P. Engel baptise l’ensemble de ces normes du nom d’« évidentialisme normatif ».

Toutefois, nous voyons poindre une objection : si la croyance est à ce point normée, s’ensuit-il que nous ne pouvons pas croire ce que nous voulons ? Engel accueille la conséquence à bras ouverts. Mobilisant divers arguments, il montre que si nous croyons que P (par exemple qu’ « il y a eu un incendie à Rouen le 26 septembre 2019), ce n’est qu’en réponse à des raisons épistémiques (qui mobilisent des faits ou des états du monde, constituant autant de preuves ou de justifications), raisons qui ne dépendent pas de nous (de nos désirs, de nos affects ou de nos intentions). Tel est le réquisit conceptuel propre à toute croyance en général. Si nous pouvons bien vouloir croire que P pour des motifs non épistémiques (par exemple, nous pouvons vouloir croire que « Dieu existe » parce que cette croyance nous rassure), ce que nous voulons alors, ce n’est pas le contenu ou l’objet de la croyance, mais simplement les effets (psychologiques, moraux) de cette attitude qu’est la croyance. Par conséquent, ne confondons pas les raisons épistémiques de croire et les raisons pratiques de vouloir croire. La croyance a ses raisons que le cœur ne connaît pas.

Mais si en droit la croyance est rétive à toute considération liée à nos préférences, cela ne compromet-il pas le développement d’une éthique de la croyance ? Si nous ne pouvons pas croire ce que nous voulons, dans quelle mesure sommes-nous responsables de nos croyances ? P. Engel montre que le problème disparaît si nous dénouons le lien que nous établissons intuitivement entre la responsabilité et le contrôle volontaire. Le fait que nous ne puissions pas contrôler volontairement nos croyances n’implique pas qu’il n’y a pas un sens dans lequel nous sommes responsables de nos croyances. Nous sommes responsables de nos croyances au moins en ce sens que nous sommes « capable[s] de répondre ou d’être sensible[s] aux raisons et aux normes qui les régissent » (p. 140).

Des normes aux vertus

C’est à ce niveau que s’effectue l’articulation avec l’éthique seconde de la croyance. Alors que l’éthique première énonce les normes épistémiques qui sont inscrites dans le concept de croyance et qui ne sont pas soumises à notre libre appréciation, l’éthique seconde de la croyance étudie les manières dont – de fait – nous mettons en œuvre ces normes épistémiques, et recommande des manières de les appliquer. Nous entrons alors de plain-pied dans l’éthique de la croyance : : celle-ci consiste d’une part dans la mise au jour de nos pratiques doxastiques, c’est-à-dire dans la description des manières dont nous appliquons les normes de la croyance dans notre vie intellectuelle, et d’autre part dans la recommandation de manières de croire correctes. Les manières dont nous mettons effectivement en œuvre les normes épistémiques se dévoilent au cours de l’enquête, c’est-à-dire quand nous sommes en position d’acquérir, de maintenir ou de réviser nos croyances.

C’est dans cette perspective que P. Engel dégage des types de comportement intellectuel et analyse la « politique doxastique » qui guide chaque type de croyant (celle du curieux, celle de l’impertinent, celle du snob, celle du sot, etc.). Dans les trois derniers chapitres, il présente une galerie de portraits de différents types de croyants. Pour chacun d’eux, il se demande : appliquent-ils les normes ou les méprisent-ils ouvertement ? Ensuite, s’ils les appliquent, le font-ils correctement ou non ? C’est-à-dire, les appliquent-ils pour le bon type de raison ou pour le mauvais type de raison ? Ces manières dont les normes épistémiques sont (plus ou moins bien) prises en charge correspondent chez les agents à des vertus et à des vices intellectuels. Alors que l’agent vertueux intellectuellement possède des dispositions cognitives fiables et est guidé dans son enquête par la prise en compte des normes épistémiques, les aptitudes cognitives fiables font défaut à l’agent vicieux intellectuellement (il est doté d’une perception, d’une mémoire ou d’un intellect déficients), ou (plus grave encore) un tel agent néglige, voire bafoue sciemment les normes épistémiques. C’est le cas du baratineur, dont les paroles sont totalement détachées du souci de dire le vrai (on dit de lui, de façon mi-critique mi-valorisante, qu’ « il a la tchatche »).

Les vices intellectuels : une vie intellectuelle hors-norme

Penchons-nous sur le second type de vice intellectuel. Il s’agit de vices d’autant plus « profonds » que, à ce niveau, la motivation a sa place. En effet, l’agent vicieux intellectuellement rompt sciemment avec les normes de la croyance et cultive volontairement une conduite intellectuelle qui prend le large avec ces réquisits. Nous sélectionnerons deux types de vices intellectuels. Le premier tient à « une indifférence ou un refus actif des normes épistémiques » (p. 539). Il correspond à l’acrasie épistémique. Bien que conscient des normes et des valeurs qui doivent gouverner la vie intellectuelle (rappelons-les : les normes de la vérité et de la justification, elles-mêmes adossés à cet idéal qu’est le savoir), l’agent les méprise intentionnellement. Cette attitude anomique est le mal du siècle. Portée par des individus qui sont parfois en position de leadership, favorisée par des pratiques numériques qui démultiplient rapidement l’audience d’informations qui circulent sans filtre, elle a pour conséquence immédiate une diminution des vérités dans la sphère des échanges intellectuels. Surtout, elle encourage l’idée selon laquelle les normes du discours ne sont plus la vérité et la subordination aux faits, mais le culot de celui qui l’énonce (Trump est dans le collimateur).

Le second type de vice intellectuel qui mérite notre attention caractérise l’attitude de l’agent qui applique les normes épistémiques, mais qui ne le fait pas pour le bon type de raison. Cette analyse est intéressante car elle permet d’exploiter un enseignement de l’éthique première de la croyance. On a vu que nous ne pouvons pas croire à volonté. Si nous pouvons vouloir croire que P (« je vais gagner au Loto »), ce n’est certainement pas du fait de la volonté que nous croyons que P. De même, c’est en voulant être vertueux intellectuellement que nous échouons à l’être, car ce que nous voulons alors, ce n’est pas tant développer une attitude qui serait guidée par la seule considération de raisons épistémiques, mais c’est afficher le comportement vertueux afin d’en récolter les gerbes sociales (comme la considération publique). C’est ce qui se produit quand des agents prennent la pose de l’intellectuel prudent, réfléchi ou engagé. Ce qui les motive à appliquer les normes de la croyance, ce n’est pas la considération de la nature de cette attitude qu’est la croyance, c’est la considération des effets de cette attitude.

Le poseur a un cousin : le snob. Dans l’échelle des vices épistémiques, le snobisme est encore plus incorrect. En effet, le snob veut le comportement sans les normes. Ce qui le guide, c’est simplement le prestige qu’il associe à la classe sociale qui adopte telle ou telle croyance. Mais de même que celui qui veut croire que P est frappé d’incohérence puisqu’il ne croit pas véritablement ce qu’il veut croire, le snob est un être scindé : d’un côté il sait ce dont il doit disposer pour que sa croyance soit correcte, mais d’un autre côté il désire avoir l’attitude de la croyance sans se soucier du contenu de celle-ci. L’attitude du snob n’est donc pas conforme à l’essence de l’attitude de la croyance. Ce n’est pas une attitude doxastique en bonne et due forme. C’est pourquoi elle est condamnable.

Engel, moraliste du XXIe siècle ?

Bien évidemment, P. Engel ne pouvait pas manquer de se confronter à l’accusation de moraliser l’épistémologie en particulier et la vie intellectuelle en général. Après tout, enrôler la croyance dans une éthique intellectuelle, n’est-ce pas faire de l’épistémologie un simple chapitre de l’éthique ? Faire haro sur les vices intellectuels, cela n’a-t-il pas des relents de catéchisme ? Les vices du savoir, est-ce la profession de foi du vicaire Engel ?

On pourrait également émettre le reproche selon lequel la réflexion paraît n’être guidée que par des passions tristes, en l’occurrence le dépit de voir la vérité malmenée, et la colère à l’encontre de ceux qui font éclater les coutures du concept de croyance. L’exaspération est telle que, par moments, elle emporte tout sur son passage et vise, pêle-mêle, les pragmatistes et les néo-pragmatistes, les humiens et les néo-humiens, les relativistes, les nihilistes, les situationnistes, les fictionnalistes, les suspicionnistes, etc., sans qu’on sache toujours si ces qualificatifs se recoupent ou non (Foucault étant l’arbre qui cache la forêt).

P. Engel en convient : il ne propose pas de théorie positive des vertus intellectuelles (p. 541). C’est que l’urgence est ailleurs. Il s’agit d’épingler les vices intellectuels les plus répandus, d’en exposer les principes de fonctionnement et de rappeler en quel sens toutes nos croyances – quelles qu’elles soient – obéissent à des normes. Si pour ce faire l’argumentation emprunte beaucoup aux moralistes, elle ne moralise pas pour autant. Ce qui doit nous inquiéter, ce n’est pas qu’il y ait des normes épistémiques, c’est le fait que ces normes constitutives soient de plus en plus violées sans que personne ne s’en inquiète. Et si la cible semble nébuleuse, c’est parce que le dédain pour le vrai étend sa toile (chez l’homme du commun comme chez les philosophes). La notion d’ « indifférence intellectuelle » saisit bien le défaut partagé par l’ensemble de ces agents vicieux intellectuellement, aussi divers soient-ils : tous ont tendance à ne plus considérer la vérité, la justification et la connaissance comme des valeurs cognitives fondamentales de la vie intellectuelle.


L’accusation de moralisme levée, une autre difficulté apparaît : comment articuler l’éthique première et l’éthique seconde de la croyance ? En effet, à force d’insister sur le fait que les normes épistémiques ne sont pas des normes morales, à force de rappeler que les raisons épistémiques sont incommensurables aux raisons pratiques, et à force de rendre l’éthique première de la croyance imperméable à toute considération pragmatiste, il est par la suite difficile de comprendre comment s’effectue le passage de l’éthique constitutive à l’éthique régulative. P. Engel s’efforce de combler le fossé en situant l’éthique intellectuelle à la croisée des chemins : elle correspond au « recoupement » et à la « corrélation » de ces deux domaines indépendants que sont l’épistémologie et l’éthique. Les réflexions sur le concept de connaissance d’une part et sur nos pratiques doxastiques d’autre part se croisent, mais ne fusionnent pas. « Les deux niveaux sont distincts, bien que complémentaires » (p. 46).

Mais la question reste pendante : qu’est-ce qui nous motive à mettre en œuvre les normes épistémiques ? Peut-on encore avoir confiance en l’appétence humaine pour le vrai ? Notre soif de vérité est-elle vouée à s’émousser, éconduits que nous sommes par ces breuvages plus sucrés que sont les informations qui font le buzz ? La réponse tient visiblement dans une éducation de notre volonté. C’est elle qui, fréquemment, est la maîtresse d’erreur et de fausseté et nous égare hors des sentiers des normes de la croyance. Comme l’avait déjà remarqué Locke, cette éducation de notre vouloir passe par la revivification de notre amour pour le vrai, trop souvent écrasé par d’autres passions. « Celui qui voudrait se mettre sérieusement à la recherche de la vérité devrait en premier lieu se préparer l’esprit par l’amour de la vérité ; car celui qui ne l’aime pas ne fera pas grand effort pour l’acquérir et ne sera pas trop inquiet si elle lui fait défaut » (Essai sur l’entendement humain, IV, 19, § 1). Nul doute que cet ouvrage contribue grandement à revigorer notre amour du vrai.

Pascal Engel, Les vices du savoir, Essai d’éthique intellectuelle, Marseille, Agone, 2019, 612 p., 26 €.


par Angélique Thébert, le 30 octobre 2019

De ce même Les vices du savoir _ Essai d’éthique intellectuelle,

et cette fois sur le site d’En attendant Nadeau,

Alain Policar propose, le 10 septembre 2019, une autre recension très intéressante,

sous le titre La Vérité, norme et idéal

Le voici :

La vérité, norme et idéal

Dans un grand livre sur l’éthique de la pensée, Pascal Engel se demande ce qu’il faut de plus au croire pour savoir. Il montre que les vices intellectuels consistent à ne pas reconnaître nos raisons et nos normes épistémiques, lesquelles sont autonomes par rapport aux raisons pratiques.


Pascal Engel, Les vices du savoir. Essai d’éthique intellectuelle. Agone, 616 p., 26 €


Dans le premier de ses grands livres consacrés à la logique ou, plus précisément, à la philosophie de la logique, La norme du vrai, il y a exactement trente ans, Pascal Engel accordait aux notions de vérité et de signification une place centrale. Il ne se contentait pas alors d’inventorier des formes, il se préoccupait avant tout d’analyser leurs conditions d’application au langage, à la pensée et à la réalité. Il n’est pas inexact, je crois, de dire que son nouvel ouvrage, d’une exceptionnelle densité et d’une admirable érudition, représente l’achèvement, certes provisoire, d’un programme de travail exploré dans d’autres travaux – notamment dans une importante synthèse, La vérité (1998), dans son dialogue avec Richard Rorty, À quoi bon la vérité ? (2005), dans sa ferme réfutation d’une épistémologie contextualiste et relativiste, Va savoir ! De la connaissance en général (2007), dans la savoureuse introduction aux principaux problèmes de la philosophie des sciences, Épistémologie pour une marquise (2011), et, enfin, dans Les lois de l’esprit (2012), qui, à travers une analyse des engagements fondamentaux de Julien Benda, proposait un riche portrait en creux de Pascal Engel.

Si Les vices du savoir poursuit donc un projet d’une rare cohérence, on aurait cependant grandement tort de ne pas mesurer sa radicale nouveauté – nouveauté qui accentue le regret de l’absence d’un index nominum, dont l’auteur n’est évidemment pas responsable. Cette nouveauté réside dans l’élaboration des principes d’une éthique intellectuelle, autrement dit de normes pour la pensée, dont l’indépendance au regard de l’éthique en général et de l’épistémologie est fortement dégagée. Au-delà de cette construction théorique, Pascal Engel montre que s’opposer à la domination des puissants implique, pour la démocratie, une défense intransigeante de la notion de vérité.

Normes et raisons du croire : l’éthique première de la croyance

Si l’autonomie de l’éthique intellectuelle constitue l’affirmation centrale du livre, la distinction entre ses deux niveaux est particulièrement heuristique. Le premier définit les conditions de la conformité et de la correction de la croyance. Pascal Engel défend l’évidentialisme, c’est-à-dire, dans la perspective de William Clifford, la thèse selon laquelle on doit toujours croire sur la base des preuves ou des données disponibles. Si l’auteur s’éloigne de la coloration moralisatrice que Clifford attachait à sa maxime, il ne refuse pas pour autant l’idée que certaines évaluations épistémiques ont une dimension éthique. Sa position défend conjointement l’idée de normes et de valeurs partiellement communes entre épistémologie et éthique et le refus de l’inclusion de la première dans la seconde. C’est l’un des enjeux de ce livre que de montrer la possibilité de la corrélation entre des domaines néanmoins indépendants. Pascal Engel refuse à la fois la coupure radicale entre éthique et épistémologie que propose le positivisme (d’un côté la recherche du vrai, de l’autre celle du bonheur et du bien) et l’unification des deux que proposent des conceptions eudémoniques, dont les conceptions aristotélicienne et chrétienne.

Cette éthique première doit surmonter trois défis : le problème normatif, le problème du volontarisme et le problème de la justification. Le premier porte sur la question de savoir si les évaluations dans le domaine cognitif doivent être envisagées en termes déontiques (c’est-à-dire d’obligations) ou en termes téléologiques (c’est-à-dire de buts). Le deuxième, crucial à n’en pas douter, consiste à se demander si nous pouvons croire volontairement (auquel cas nous serions responsables de nos croyances). Enfin, le troisième concerne les modalités de la justification épistémique (peut-elle emprunter d’autres voies que celle des preuves ou des données qui l’étayent ?).

Pascal Engel, Les vices du savoir. Essai d’éthique intellectuelle.

Pascal Engel rejette l’idée qu’il puisse exister une acrasie épistémique (une faiblesse de la volonté : je crois ce que je ne devrais pas croire) et défend corrélativement l’argument de la transparence, socle de l’évidentialisme normatif, selon lequel « quand on se demande si l’on croit que P, on cherche spontanément à savoir si P est le cas », argument lié à deux propriétés de nos croyances, « leur rationalité et l’autorité que nous avons sur la question de savoir quelles sont nos propres croyances ». En d’autres termes, la norme de vérité est la meilleure explication de cette transparence de la croyance à la vérité.

Quant à la possible existence d’obligations épistémiques, malgré de nombreuses objections, soigneusement examinées, elle est dictée par la manière dont les normes régulent la délibération sur des croyances, même si ces obligations ne peuvent être assimilées à des prescriptions. Dès lors, la justification épistémique, quoi que puissent en penser les pragmatistes, ne peut faire l’économie de l’affirmation de normes épistémiques, telles que celles de vérité et de savoir. Il s’agit de normes constitutives qui déterminent donc un idéal, autrement dit « ce que la croyance devrait être pour tout individu rationnel capable d’en avoir le concept ».

Les croyances religieuses échappent-elles à ces contraintes ? Pascal Engel estime que l’on ne comprend pas la nature de la croyance si on est obnubilé par la question de la religion. Et, corrélativement, que l’on ne comprend pas bien la nature de la croyance religieuse si on la détache des divers modes et opérations de notre faculté doxastique. L’évidentialisme peut-il s’appliquer à ces contraintes ? Deux types d’objections peuvent être soulevés. Le premier, que Pascal Engel nomme différentialisme, consiste à affirmer que la croyance religieuse est distincte des croyances ordinaires (qu’elles soient quotidiennes ou scientifiques). Le second, assimilationniste, soutient au contraire qu’il y a bien des choses en commun entre ces croyances mais, le plus souvent, refuse le mode de justification propre aux croyances ordinaires (même si la variété des positions n’autorise guère cette généralisation).

L’auteur s’intéresse essentiellement à cette seconde objection : se soumet-elle vraiment à l’évidentialisme ? Dans la mesure où ce dernier est fondé sur le principe de transparence et de cohérence de la croyance, il défend l’exclusivité (par rapport aux raisons pratiques) des raisons épistémiques de croire : on ne peut pas, au sens normatif, croire pour des raisons autres qu’épistémiques. En outre, il refuse la commensurabilité des raisons pratiques et épistémiques. Or l’assimilationniste fait appel à la confiance (il se réfère souvent à des « certitudes primitives »), laquelle recourt légitimement à la raison pratique.

Cette perspective doit beaucoup à la sociologie durkheimienne, qui relègue les croyances au second plan pour privilégier les pratiques. On ne saurait dès lors considérer qu’elle se soumet aux critères de l’évidentialisme puisqu’elle se soustrait à l’exigence de preuves et ne vise pas à déterminer en quoi nos croyances peuvent être des connaissances. Les raisons pratiques de croire, notamment fondées sur l’espoir ou la consolation, ne sont pas de « bonnes » raisons et, en réalité, ne sont pas, du point de vue évidentialiste, des raisons du tout.

À l’évidentialisme normatif, sorte de métaphysique des mœurs, pour utiliser un vocabulaire kantien, Engel adjoint une doctrine de la vertu, soit une éthique seconde de la croyance. Il faut souligner la distance entre l’idée aristotélicienne de vertu intellectuelle et cette éthique seconde, qui met en avant les notions stoïciennes de raison et de normes.

Une théorie des vertus intellectuelles : l’éthique seconde de la croyance

L’évidentialisme normatif est compatible, selon l’auteur, avec l’idée qu’il peut y avoir « une forme d’agir épistémique qui ne nous rende pas complètement irresponsables de nos croyances ». Reste à déterminer comment nous pouvons avoir une connaissance des normes, et des raisons de les accepter ou non. En d’autres termes, quelles peuvent être nos raisons de croire et quel lien entretiennent-elles avec nos raisons d’agir ?

Le point de vue de Pascal Engel se construit contre le pragmatisme, du moins une certaine conception de celui-ci (qui épargne Peirce), dont les thèses principales sont les suivantes :

1. Une raison de croire peut être un motif pour une action (thèse de la commensurabilité selon laquelle on est fondé à comparer les raisons de croire et les raisons d’agir et, corrélativement, à accepter que des raisons pratiques puissent l’emporter sur des raisons théoriques).

2. Les raisons d’agir étant fondamentalement constituées par des désirs, les croyances sont des instruments en vue d’une fin pratique.

3.  Les normes et les valeurs sont des expressions de nos désirs et de nos buts.

4.  Il ne peut exister de justification qui soit exclusivement épistémique.

5.  La rationalité de nos actions comme de nos croyances est essentiellement déterminée par nos buts.

6.  Croyances et jugements sont exclusivement des dispositions à l’action.

7.  La vérité est une notion mince et non une notion métaphysique substantielle.

À de nombreux égards, nous venons ci-dessus de résumer la vulgate philosophique dominante. Engel lui oppose une éthique dite seconde qui se préoccupe du passage des normes de la croyance à leur régulation dans l’enquête : « Être vertueux […] épistémiquement, c’est d’abord être respectueux des raisons et c’est ensuite être gouverné par les normes épistémiques dans ses enquêtes ».


Pascal Engel, Les vices du savoir. Essai d’éthique intellectuelle.

Il faut insister sur la conception de l’enquête défendue par l’auteur. Celui-ci a récemment, ici même [1], souligné la différence entre savoir et enquêter. Le pragmatisme privilégie l’enquête ou, plus précisément, le savoir comme enquête. Pour lui, la connaissance est apprentissage, processus, révision par l’expérience. Aucune certitude n’est ainsi à l’abri des révisions. Il existe pourtant une légitimité de l’enquête, dont on trouve le paradigme chez Descartes, qui ne sacrifie pas les normes à la description de la pratique : il s’agit alors de donner des principes absolument certains et infaillibles sur lesquels fonder la science (voir le chapitre consacré à Descartes). Pascal Engel l’écrivait dans son livre sur Benda : « La valeur de la science n’est pas dans ses résultats, lesquels peuvent faire le jeu du pire immoralisme, mais dans sa méthode, précisément parce qu’elle enseigne l’exercice de la raison au mépris de tout intérêt pratique [2] ». On ne peut donc accepter que les normes qui gouvernent nos descriptions du monde soient évaluées à l’aune de leur utilité sociale et non de leur relation à la vérité.

C’est dans la perspective de cette recommandation que l’auteur se livre à un exercice réjouissant : l’inventaire des vices intellectuels – dans le prologue, il se livre à un pastiche de Dante destiné à nous avertir qu’il va bel et bien parler de cet Enfer. Le vice épistémique peut être défini comme une insensibilité aux raisons ou aux normes. La liste est longue (même si chacun des vices répertoriés ne subit pas le même sort) : la curiosité, la « foutaise », le snobisme, le « penser faux », la bêtise. On peut s’étonner de rencontrer la curiosité dans cet inventaire. Pourtant, elle peut être un vice lorsqu’elle « oriente le désir de savoir et l’intérêt en dehors de tout objectif cognitif épistémique de connaissance, mais aussi quand le curieux n’a aucune idée de ce qu’il cherche ni de ce qu’il est important de chercher ».

Il faut s’arrêter un instant sur la place réservée à la « foutaise » (ou bullshit). Si le menteur respecte la vérité et en observe les règles, le bullshitter n’en a cure. Il dit n’importe quoi, sans se soucier de savoir si c’est vrai ou faux. Donald Trump en est le parfait exemple, comme l’a montré Engel dans un travail antérieur [3]. Mais, au-delà, en nommant fake news toute vérité qui lui déplaît, Trump applique « le critère pragmatiste de la vérité combiné au relativisme : “Est vrai ce qui me plaît, faux ce qui me déplaît, mais vous êtes en droit de dire de même” [4] ». Ce cynisme est celui du postmodernisme pour lequel la vérité n’est qu’un mot et le savoir ne peut prétendre à l’objectivité. En renonçant aux idéaux de vérité, de justification et de connaissance objective, « on se met directement entre les mains de ceux pour qui la vérité n’est plus qu’un colifichet inutile [5]”.

Quant à la bêtise, Pascal Engel en distingue deux niveaux. Un niveau de base, portant sur les compétences et la rationalité (ou plutôt l’absence de compétence et de rationalité de l’agent stupide), qui consiste en des dispositions cognitives n’étant pas sous le contrôle de l’agent (ici déficientes), et un second niveau, réflexif, largement sous le contrôle de l’agent. Comme l’ont décrit des épistémologues de la vertu comme Ernest Sosa et John Greco, ce double niveau se reproduit pour toutes les vertus et les vices. C’est au second niveau qu’appartient le véritable vice intellectuel.


On peut se demander si la sociologie des sciences contemporaines n’illustre pas à la perfection la plupart de ces vices. Mais nous aurions tort de minimiser la responsabilité de Michel Foucault, lequel entend bâtir une éthique de la vérité sans la vérité et une généalogie du savoir sans le savoir. Cette remarque critique est l’occasion de souligner que, contrairement à Foucault qui s’intéressait avant tout au savoir dans les sciences, tout particulièrement dans les sciences de l’homme, Pascal Engel, comme il l’avait fait dans Les lois de l’esprit, accorde à la littérature une importance déterminante dans l’ordre cognitif.

Contre le constructivisme de la justification

Héritière de Kuhn et de Feyerabend, la sociologie des sciences contemporaine attribue, dans l’explication des résultats scientifiques, une place prépondérante, pour ne pas dire unique, aux critères externes, c’est-à-dire au poids des logiques financières, politiques et technologiques. Elle adhère implicitement à l’idée que le chercheur est animé, pour l’essentiel, par des intérêts professionnels. S’il ne fait guère de doute que les scientifiques recherchent une rétribution de leurs travaux, il est plus difficile d’admettre qu’ils construisent une réalité en fonction de leurs convictions personnelles. Si seuls les facteurs de détermination externe jouaient un rôle, il serait difficile de décider quelles observations sont susceptibles de départager des théories scientifiques rivales. On en viendrait ainsi inéluctablement à identifier la vérité au consensus.


Il est, au contraire, nécessaire de défendre l’idée que la vérité est une norme : « Elle est ce que visent nos enquêtes et elle est liée, conceptuellement, de manière essentielle à des notions aussi fondamentales que celles de croyance et de connaissance [6] ». Il est « impossible de fournir une théorie de la justification de nos croyances sans faire appel à la notion de vérité, qui est par conséquent une norme épistémique inéliminable [7] ». Pourtant, la position sceptique, qui menace « la notion même de valeur épistémique », est, sous l’influence des philosophes du soupçon, la philosophie spontanée de notre temps. La responsabilité de Foucault dans cette funeste orientation n’est pas douteuse.

Pascal Engel, Les vices du savoir. Essai d’éthique intellectuelle.

S’il convient de ne pas sous-estimer l’apport de ce dernier dans le domaine de l’archéologie des connaissances, c’est-à-dire dans celui des conditions de production des discours sur la sexualité, la folie ou la prison, on ne doit précisément pas confondre ces questions des conditions d’existence du savoir avec celles, spécifiques à l’épistémologie, qui en déterminent les conditions de vérité. Dans un entretien de 1977, Foucault affirme que « la “vérité” est liée circulairement à des systèmes de pouvoir qui la produisent et la soutiennent, et à des effets de pouvoir qu’elle induit et qui la reconduisent. “Régime” de la vérité[8] ». Dès lors, ce ne sont pas les faits qui nous contraignent mais le « régime de vérité » de la société à laquelle nous appartenons. Ce raisonnement est idéal-typique du constructivisme de la justification.

Dans l’« épistémologie » de Foucault, il n’existe aucune place pour la distinction entre être vrai et être tenu pour vrai. Il est pourtant essentiel de ne pas confondre, comme le souligne Jacques Bouveresse, le caractère historiquement déterminé des moyens dont nous disposons pour décider si une proposition est vraie ou fausse avec « la vérité ou la fausseté de la proposition, qui peut très bien être déterminée sans que nous y soyons pour quelque chose [9] ». Nous sommes donc pleinement d’accord avec Engel lorsque, contre la notion de « régime de vérité », il évoque le triangle assertion-vérité-croyance, qui, précise-t-il, « n’est pas une configuration sociale particulière, produit de conventions, mais la situation de base, celle qui détermine les autres et en est la condition ». Il poursuit : « Les usages de ce triangle peuvent changer : les gens peuvent désirer la vérité et la connaissance, ou la mépriser. […] Mais quoi qu’ils fassent, ce système est en place ».

Engel l’avait rappelé dans un ouvrage antérieur : « Valoriser la vérité, ce n’est pas vouloir croire ce qu’il est utile ou intéressant de croire, c’est valoriser une norme qui est capable de transcender ces intérêts [10] ». Il n’existe cependant nulle obligation de dire ou de croire ce qui est vrai. Ce qui est exigé ne relève pas de la morale. Il s’agit seulement d’accepter, mais c’est essentiel, que « le vrai puisse être la norme de nos pratiques discursives, aussi bien dans la vie quotidienne que dans les sciences [11] ». Il est certainement plus aisé de défendre les valeurs de solidarité, de tolérance ou de liberté si l’on attribue à la vérité, plutôt qu’une valeur instrumentale, une valeur substantielle. On pourrait même craindre que l’abandon de la distinction entre justification et vérité conduise inéluctablement à la disparition de cette dernière. On voit mal ce que la démocratie aurait à y gagner. En revanche, nous voyons parfaitement l’immense intérêt de ce livre décisif.


  1. Pascal Engel, « Savoir et enquêter », En attendant Nadeau, juillet 2019.
  2. Pascal Engel, Les lois de l’esprit, Ithaque, 2012, p. 136-137.
  3. Pascal Engel, « La leçon de philosophie du président Trump », AOC, 8-1-2019 https://aoc.media/analyse/2019/01/09/lecon-de-philosophie-president-trump/
  4. Ibid.
  5. Entretien avec Pascal Engel à lire en suivant ce lien.
  6. Pascal Engel, La vérité, Hatier, 1998, p. 75.
  7. Ibid., p. 78.
  8. « Entretien avec Michel Foucault », in Dits et écrits, Gallimard, 1994-2001, p. 160. Un « régime de vérité » est constitué par un système épistémique (les règles de justification des énoncés) et par les dispositifs de pouvoir dans lesquels il s’inscrit.
  9. Jacques Bouveresse, « L’objectivité, la connaissance et le pouvoir » in Didier Éribon (dir.), L’infréquentable Michel Foucault, EPEL, 2001, p. 141.
  10. Pascal Engel, La vérité, op. cit., p. 78.
  11. Pascal Engel et Richard Rorty, À quoi bon la vérité ?, Grasset, 2005, p. 42.

Une question vraiment passionnante.

Ce vendredi 10 juillet 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner

24fév

Avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

_ avec une magnifique patience et probité, en son acuité (rare à ce degré-là !) du regard d’analyse ;

cf à la fin de l’ouvrage, pages 340-341, le tableau parfaitement scrupuleux de l’« Origine des chapitres » : si quatre d’entre les onze chapitres, « La culture scolaire et après« , « Les principes d’une école juste« , « Rousseau et le temps des livres » et « Durkheim et la crise des humanités« , sont qualifiés dans l’absolu et in fine d’« inédits« , tous les onze ont été, de 2004 pour le premier, « L’Enseignement selon Foucault« , à 2012 pour trois (« Les principes d’une école juste« , « Rousseau et le temps des livres » et « Retrouver en soi l’enfant (Repuescere) : réflexions sur un précepte classique« ) et 2013 pour un ultime, « Durkheim et la crise des humanités« , purement et simplement « inédit« , lui ;

tous les onze chapitres, donc, de ce très beau (très probe et très patient parce que très précis) travail ont été repris, revus et peaufinés in fine avec une merveilleuse exigence de précision et une admirable finesse de nuances (les cas particuliers sont tout particulièrement magnifiquement distingués de généralités observées et relevées), selon les critères éminemment cartésiens de « clarté et distinction » (Denis Kambouchner est l’auteur des remarqués L’Homme des passions _ commentaire sur Descartes et Descartes et la philosophie morale), et je détache aussi au passage, cette citation de Locke, page 220 : « Bien distinguer nos idées, c’est ce qui contribue à faire le plus qu’elles soient claires et déterminées »… ;

en toute la palette et l’impeccable nuancier des micro-précisions-déterminations-distinctions de l’analyser constamment (= potentiellement à l’infini…) à l’œuvre, apportées inlassablement, depuis leur « origine » et « première version » (de ces étapes de l’enquête livrée ici, que sont ces onze chapitres, de 2004 à 2013 : le long de dix années…) donnée précédemment en conférence ou publiée en article ou Acte de colloque, marquant à un rare degré de perfection (très précieux pour le « débat » qui doit en résulter et auquel Denis Kambouchner, par sa « contribution« -ci, expressément nous « invite » à entrer et participer nous aussi, en « un vaste concours d’intelligences et de compétences« , page 10), ce qui se trouve si magnifiquement construit au final livré ici, et donnant lieu à onze « chapitres » d’un travail admirablement cohérent et fouillé, en une lumineuse rétrospection-reprise avec peaufinage (et présentée en son Avant-Propos, pages 9 à 20) ;

Denis Kambouchner ne manquant pas d’indiquer encore, page 20, tout ce que ce travail d’affinage doit aussi, in fine, au « regard le plus empathique et le plus aigu » qui soit, qu’y a « porté sur le fond comme sur le style«  Florence Dumora ;

Florence Dumora qu’il se trouve que je connais depuis son année en classe de Première, quand j’enseignais moi-même (à philosopher) en Terminale en son lycée ; l’année suivante, ce fut le regretté Christian Delacampagne (1949-2007) qui l’initia à la philosophie, ou au philosopher… _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

_ et d’une lumineuse clarté de « débrouillage » des (de fait passablement complexes) questions abordées et réellement traitées, face aux jeux (trop complaisamment installés et entretenus) des confusions idéologiques, comme des emportements partisans, qui continuent, les uns comme les autres, de brouiller le regard collectif sur le sens et les enjeux (de démocratie vraie !) de ce qu’est aujourd’hui d’une part la situation (délabrée et se délabrant encore : certains pensant y avoir intérêt !) de l’école, et d’autre part ce que doit être (toujours et plus que jamais !) en sa puissante « vocation » humaine l’école, avec son ineffaçable « horizon«  « transcendant » de culture authentique véritable (et cela en toute son extension : la culture étant loin de se réduire à la seule culture des « humanités« ) : j’y viendrai, forcément, bien sûr, puisque c’est là l’essentiel !..

Et Denis Kambouchner de nous proposer ainsi ici toute une « cartographie«  subtile et en relief de ce paysage (et scolaire et culturel : avec « Horizons«  et « Arrière-plans« ) où se forme (et évolue, bouge) sans cesse historico-culturellement, en de complexes métamorphoses jamais strictement uniformes, l’humanité en construction jamais finie, mais toujours ouverte (et à peaufiner…), de notre espèce (humaine) tout à la fois très fragile et éminemment exaltante… ; avec les devoirs impérieux d’éducation ainsi que de culture (les deux étant fondamentalement liées) que cela, à chacun et à tous, nous impose envers chacun (soi et les autres) et tous, contre vents et marées d’intérêts et calculs de toutes sortes…

Cf ainsi, page 210, la merveilleuse phrase de conclusion du chapitre 6, « Éclaircissements sur « la culture »«  :

« Du point de vue pratique et dans les registres dont il s’agit _ dans la pratique au quotidien permanente, instant après instant, au présent de l’agir, de l’enseigner à l’école _, l’essentiel restera _ du côté et de la part de ce que doit offrir l’institution bien comprise, comme du côté et de la part de ce qu’a à faire, et au mieux, le maître en cette opération avec ses élèves, d’enseigner _ de multiplier autant que possible _ pour l’élève _ les occasions d’expérience _ à faire advenir et aider à constituer et bâtir (contribuer à faire s’élever), avec richesse et consistance, chez les humains qu’il s’agit d’aider à se former à s’accomplir vraiment, via l’impulsion donnée en et par cet enseignement à l’école… _, autrement dit les rencontres _ voilà ! avec des œuvres tout particulièrement : afin d’aider chacun et tous à construire et peaufiner, grâce à de tels apports, via les œuvres, d’autres personnes (de qualité : les auteurs de ces œuvres), une identité personnelle toujours plus riche et toujours ouverte, et tant soit peu consistante aussi, et en laquelle puisse se découvrir et reconnaître (et accomplir chacun toute sa vie durant) un vrai soi, pour la personne en formation de l’élève : un soi nourri de ces apports de vraie culture _ ; ce qui revient à faire valoir, contre l’idole _ malsaine et agressive _ de l’identité culturelle _ fermée et réductrice, et hostile, pleine de ressentiment… _, que la justice bien entendue _ à l’échelle des grands ensembles (de populations) _ n’est possible qu’avec _ voilà ! et par _ la connaissance _ incorporée (peu à peu) très substantiellement (et même consubstantiellement !) en sa personne : peut-être in fine singulière… _, et qu’elle se réalisera dans une civilisation _ partagée _ qui n’est l’apanage _ contre d’autres qui en seraient privés et exclus, eux _ de personne, parce qu’elle est toujours _ en chantier exaltant, cette « civilisation« -là _ devant nous«  : à réaliser, chacun et tous, en l’élévation d’œuvres à accomplir, une à une et au quotidien de chacun nos actes, toute notre vie durant… _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

_ soient les onze « chapitres » de ce travail si remarquablement « un« , au final de la « composition » que réalise le livre, eux-mêmes répartis en deux grandes « parties« ,

intitulées,

la première « Horizons » (1 « L’éducation, question première«  ; 2 « Crise de l’enseignement et critique de la culture » ; 3 « L’autorité pédagogique et le sens des savoirs scolaires«  ; 4 « La culture scolaire et après » et 5 « Les principes d’une école juste« ) : centrée sur la tâche de construire l’aujourd’hui et le demain civilisationnellement crucial ! de l’école (et de la culture !), au sein de l’acte même d’enseigner,

et la seconde « Arrière-plans » (6 « Éclaircissements sur la « culture » » ; 7 « Rousseau et le temps des livres«  ; 8 « Diderot et la question des classiques » ; 9 « Durkheim et la crise des humanités » ; 10 « L’Enseignement selon Foucault » et 11 « Retrouver en soi l’enfant (Repuescere) : réflexions sur un précepte classique« ) : centrée sur une rétrospection éclairante des brouillages (à dés-embrouiller et dé-brouiller !) de notre aujourd’hui scolaire grâce à l’intelligence très remarquablement éclaircie de son inscription historique et de son héritage, à mieux assumer… _

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d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin

_ mais ce chantier ne peut pas (ni ne saurait) être, jamais, « fini » !..  ; et du fait que  » les problèmes philosophiques relatifs à l’école ne sont en aucun cas l’apanage _ voilà ! _ des philosophes de profession« , « le traitement de ces problèmes implique _ très effectivement _ un vaste concours _ très effectivement démocratique et le plus richement possible nourri _ d’intelligences et de compétences, dont l’essentiel n’est pas qu’il parvienne _ jamais _ à une doctrine  _ enfin et une fois pour toutes ! _ unifiée _ tel quelque indéfectible catéchisme doctrinaire _, mais qu’il installe _ en esprit, et entretienne _ une vraie effervescence _ créative _ d’idées _ justes et infiniment nuancées : souples en même temps que fortes _ là où règnent encore l’aphasie ou les stéréotypes » (« et qu’il change à proportion l’atmosphère et les conditions de la formation des maîtres » : une condition éminemment cruciale !!!), page 10, en quasi ouverture de l’Avant-propos de ce livre, L’École, question philosophique _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin

le devenir de l’école

_ en son actualité cruciale de « crise »

(l’emploi de ce terme de « crise » est bien sûr spécialement travaillé par Denis Kambouchner, notamment en son chapitre 2 « Crise de l’enseignement et critique de la culture », alors autour des thèses de Bourdieu, et d’une façon plus globale en même temps que spécialement cruciale (cf la référence à La Crise de la culture de Hannah Arendt, parue en traduction française en 1972, mais rédigée en 1954, sous le titre The Crisis in Education) à l’horizon de ce que l’on peut rattacher au travail récent (Denis Kambouchner le cite en son Avant-Propos, page 12) de Myriam Revault d’Allonnes (auteur que notre Société de Philosophie de Bordeaux recevra, dans les salons Albert-Mollat, le 20 mars prochain précisément, pour ce livre important sur le concept et les usages et mésusages « modernes » du mot « crise« ) : La Crise sans fin _ essai sur l’expérience moderne du temps) ; les premières versions, présentée en conférence, puis publiée en revue, de ce chapitre 2 datent de février et septembre 2006),

par rapport à l’« horizon«  civilisationnel de la vraie culture (entendue en sa plus large acception : en y intégrant une initiation suffisante aux diverses épistémologies des démarches de recherche du penser scientifique, notamment…) ; ainsi que, plus largement, le devenir de toute l’éducation, et lui aussi par rapport à l’« horizon«  d’une telle vraie culture (c’est-à-dire, soyons bien clair, celle du « meilleur«  ; cf ce mot décisif d’Érasme cité page 139 : « Rien ne s’apprend plus facilement que ce qui est le meilleur« …), qui doit être construite, soutenue, encouragée et diffusée à l’école comme dans les différents processus d’éducation, le plus largement et le mieux possible, face aux impostures (cf le livre de Roland Gori, La Fabrique des imposteurs, ainsi que mon précédent article du 25 janvier dernier à propos de ce livre : Créer versus s’adapter : l’urgence du comment contrer la logique mortifère du totalitarisme des normes d’existence, selon Roland Gori dans son si juste « La Fabrique des imposteurs ») en tous genres (et l’« entertaintityment« ) que certains, et les institutions qu’impérialement ils occupent, s’emploient à longueur de temps et avec quel succès !, à nous faire, et en masse, agréablement avaler… _,

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée, d’une série patiente et admirablement probe de onze contributions consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin le devenir de l’école,

L’École, question philosophique de Denis Kambouchner

nous aide à dés-embrouiller la situation passablement encalminée depuis bien trop longtemps _ « près de quarante ans« , page 12 : c’est-à-dire lors de l’institution du collège unique, en 1974… _ de cette décisive institution _ anthropologique ! et civilisationnelle ! _ qu’est l’école,

en veillant à très distinctement préciser,

et donc le plus clairement possible déterminer par le travail du penser

ce qui fait fondamentalement son sens ;


ce que sont, et ce que doivent être, et respectivement, ses fins et ses moyens _ tout spécialement dans le contexte socio-économique et politique qui est au départ, puis assez durablement

(depuis les XVIIe et XVIIIe siècles ; mais pour combien de temps ?.. à l’heure des de plus en plus pressants calculs de rentabilité des dites « ressources humaines » et des réductions de budget de la dite « saine gouvernance » ultra-libérale, qui n’ont cessé de monter en puissance ces quarante dernières années…),

tout spécialement dans le contexte socio-économique et politique qui est le nôtre ;

et auquel, forcément, nous avons à lucidement (et courageusement) faire face ! en même temps que, d’abord et surtout, faire avec… _,

ainsi que l' »horizon » de sens (avec ce que celui-ci doit nécessairement comporter de « transcendance » par rapport aux objets déterminés de savoir, mais aussi de penser, qu’il offre, aux premiers plans des regards et autres vues de l’esprit , aux sujets en voie de subjectivation permanente que sont les élèves _ et bientôt adultes _ au sein de cette école… _ le processus de subjectivation, lui non plus, n’a pas de fin ; la bêtise étant, ici comme ailleurs, « de conclure«  _ ; qu’il offre, donc, à tous et à chacun, à appréhender, saisir et faire siens…)

et l' »univers » _ = la culture _ que cet « horizon » de sens permet _ à la fois immédiatement et progressivement, et très concrètement, hic et nunc, dans le cursus scolaire envisagé dans un sens qui soit à la fois déterminé et précis en même temps que profond, large et ouvert : c’est un processus au long cours ; et  qui ne saurait se borner jamais à quelques commodes résumés simplificateurs rapides... _ d’aborder, esquisser, dessiner et se représenter

afin de peu à peu l’explorer et connaître, et « incorporer« , de manière tant soit peu cohérente et consistante, au sein du processus de la subjectivation en devenir et formation de la personne ;

mais aussi en certains de ses aspects et c’est très important ! _ créer… ;

en même temps que ce que cet « horizon » de sens doit « offrir » _ très concrètement _ de « perspective » _ et de relief ! _ toujours _ fondamentalement ! en ses lignes « de fuite » pour le regard qui sont rien moins que des lignes de création pleinement effective pour l’ingenium de chacun… _ ouverte _ jamais fermée, ni directement instrumentalisable _ aux objets déterminés, eux, qui vont être donnés _ par le maître _ à _ très concrètement _ cerner _ au premier plan sur ce fond d’« horizon«  _ et faire culturellement siens _ par l’élève _, dans le travail d’échange _ à vif _ des processus _ via la parole et l’écoute, et des échanges (ouverts et si possible joyeux !) de réponses offertes et données, par exemple via l’accès à des « œuvres » qui en valent vraiment la peine (et qui ne soient pas forcément, non plus, des passages obligés, en forme de pénible et rébarbatif « pont aux ânes«  ; et cela dans les diverses disciplines, pas seulement dans la culture littéraire et humaniste…)… ; cf à ce propos la superbe note consacrée, page 254, « aux pages étincelantes d’Italo Calvino sur la littérature, dans Pourquoi lire les classiques ? »  _ de l’enseigner, éduquer, et surtout _ mais est-ce fondamentalement différent ? Non ! _ cultiver ! ;

et l' »univers« , donc,

de « culture » vraie _ et le plus possible vivante ! _

qui doit _ absolument _ être _ objectivement et fondamentalement _ le sien _ = celui de l’école ! _,

ainsi que celui de ses divers acteurs :

les enseignés, leurs parents, les enseignants _ ce sont eux qui ont à charge de diriger-piloter la manœuvre dans l’aventure (ouverte !) de leurs cours vivants ! et qui ont la responsabilité dernière et première, hic et nunc, de la barre (= à la manœuvre) de ce qui va être enseigné ! et de facto advient alors à titre d’objets déterminés du penser (de leur penser) dans la conscience des élèves… _, les personnels d’encadrement, comme les administrants :

« La crise française de l’école peut s’appréhender en termes de dérèglement et de dysharmonie interne à l’institution _ en conséquence de quoi c’est elle qu’il faut d’urgence réformer !

Ce dérèglement est né, il y a près de quarante ans _ soit la réforme Haby en 1974 _, du peu de sérieux avec lequel a été préparée une opération capitale, l’unification du système d’enseignement (« collège unique »)« , page 12

_ cf les très utiles distinctions proposées page 146 (in le chapitre « les principes d’une école juste« ) : « l’unification du système d’enseignement ne permettait de réaliser, selon les termes d’Antoine Prost, qu’une « démocratisation de la sélection », prenant la suite d’une « démocratisation de la fréquentation scolaire » ; mais ce n’était pas encore là ce vers quoi il convenait de se diriger, à savoir une « démocratie de la réussite » » (effective désirée et attendue par et pour tous) ;

et c’est de cette impasse encalminée des tentatives mal pensées (et encore plus mal assumées) de réalisation de cette « éducation de la réussite » que nous (l’école, l’éducation, la culture, la civilisation, via les processus d’acculturation de chaque nouvelle génération d’individus et personnes) souffrons cruellement aujourd’hui…


« Parmi les nombreux symptômes de cette crise, dont le premier est appelé « l’échec scolaire », il faut compter le blocage du débat public et le dérèglement de la parole institutionnelle _ sur le terrain directement politique de la démocratie (malmenée) : avec le brouillage qui en résulte (et demeure endémiquement) dans la plupart des esprits, même les mieux intentionnés.

Blocage du débat, avec l’opposition relancée jusqu’à la lassitude, sans que jamais soit donnée une chance _ suffisante pour donner lieu à une issue satisfaisante _ à la recherche d’un arbitrage _ qui soit enfin tant soit peu « équilibré«  (le camaïeu subtil des nuances important tout particulièrement ici considérablement !) ; cf a contrario de ce « blocage (malsain) du débat« , les efforts de rapprochement réussis des positions de Denis Kambouchner et Philippe Meirieu, par exemple in le récent (janvier 2012) L’École, le numérique et la société qui vient (avec aussi l’ami Bernard Stiegler) _, entre les tenants _ tel un Denis Kambouchner lui-même, au départ _ d’une « instruction » à la fois exigeante et émancipatrice, et ceux d’une action pédagogique en forme de monitorat, aidant l’enfant à « construire ses propres savoirs«  _ tel un Philippe Meirieu, au départ, aussi : avec des efforts persistants (et réussis) d’analyse et d’écoute réciproque, on peut donc rapprocher très positivement les positions de fond en réduisant les crispations rhétoriques de forme…

Dérèglement de la parole institutionnelle, avec l’espèce d’obligation _ qu’il faudrait assurément commenter : car c’est du devenir (et de la vérité même !) des démocraties effectives qu’il s’agit ! sur le terrain proprement politique _ faite aux politiques et aux responsables de couvrir _ hypocritement (= avec imposture !) _ la confusion régnante, et l’impossibilité apparente d’un discours rigoureux, affrontant avec mesure _ voilà ! _, des problèmes précis«  _ qu’il faut « déterminer«  par des distinctions elles-mêmes précises, subtiles et nuancées (équilibrées au cordeau, et à ajuster sans cesse avec souplesse « sur le terrain« , dans le jeu mouvant ultra-fin de leurs applications « sur le champ«  de l’enseigner effectif), adéquates… _, page 13.

Et « le malheur moderne a voulu que ce processus intervienne exactement au moment _ dans la décennie des années 70 du XXe siècle _ où, en France, en Europe de l’Ouest et dans d’autres régions encore, une pensée hypercritique à l’égard des institutions _ et de leurs procédures disciplinaires (cf ici les analyses de Foucault à ce moment des années 70…)  _ connaisse une sorte d’acmé », page 14 _ cf par exemple le Une Société sans école d’Ivan Illich (Deschooling Society, paru en 1971)… Sur l’importance et les modalités du fonctionnement du jeu des acteurs et des institutions, relire aussi le travail lucide de Michel Crozier et Erhard Friedberg L’Acteur et le système, paru en 1977…

Page 324, et à propos de ce que Denis Kambouchner nomme « une nouvelle difficulté (de Michel Foucault « après Surveiller et punir« , qui paraît en 1975) à faire des livres », l’auteur renvoie en note à la superbe (oui !!!) présentation par Jean Terrel et Guillaume Le Blanc, en 2003, des Actes du colloque Foucault au Collège de France : un itinéraire ; voici cette note : « Sur les transformations de l’œuvre de Foucault avec les cours du Collège de France, voir la riche (en effet !) introduction des éditeurs, Guillaume Le Blanc et Jean Terrel, à l’ouvrage Foucault au Collège de France : un itinéraire, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003, p. 7-26«  ; et l’article (magnifique !) « L’enseignement selon Foucault« , aux pages 301 à 329 de L’École, question philosophique constitue d’ailleurs un des sommets de ce grand livre sur les arcanes de l’enseigner ;

et là-dessus tout spécialement, cf les admirables pages consacrées, pages 51 à 55, au « fait du bon professeur » ; et il faudrait citer in extenso ces magistrales pages de Denis Kambouchner…

« Il n’est que temps de se défaire des antinomies convenues _ paresseusement binaires _ pour se poser la seule question cruciale : celle des conditions dans lesquelles, à l’échelle de toute une société _ qui soit vraiment démocratique ! _, avec de hautes exigences _ celles, précisément de l’idée même de démocratie : relire là-dessus les très fortes analyses d’Alain… Cf aussi le concept kantien d’« idée régulatrice«  _ tant pour le niveau général de la formation _ des maîtres _ que pour l’adéquation aux besoins _ vrais _ des enfants, l’école pourrait (…) devenir au-delà de ce qu’elle a jamais été, une institution efficace et dynamique » _ les deux, et ensemble, sont très importants ! _, page 14.

« En dernière analyse, il s’agit de savoir _ plus clairement et mieux distinctement ! _ ce dont nous-mêmes sommes en quête _ mais oui ! _ et ce que nous sommes prêts _ par accommodation à un certain réalisme pragmatique conjoncturel _ à accepter«  _ en forme de compromis (qui soit acceptable sans ruiner l’essentiel) avec les forces des intérêts puissants et leurs considérables pressions socio-politico-économiques.

Soit « réexaminer les relations cardinales de l’éducation scolaire (entre les élèves, les enseignants, les savoirs et l’environnement _ en l’occurrence ce contexte et cette situation historique socio-politico-économique… _ )

et définir pour elles de nouveaux _ bien meilleurs ! _ équilibres _ le terme est très important ; et désigne quelque chose de non seulement extrêmement nuancé, en sa grande complexité culturelle et humaine, mais de forcément toujours mouvant dans la délicatesse nécessaire de ses applications à ces très fragiles « objets«  que sont les « sujets«  humains dans leur processus ô combien délicat et complexe de subjectivation personnelle métamorphique, que sont les élèves : quand on ne réduit pas les personnes à de la simple « ressource«  utilitaire, en terme de calcul de coût et de rentabilité pour l’entreprise et ses profits (ou l’État et la réduction de sa dette), bien sûr… ; là-dessus, relire La Théorie politique de l’individualisme possessif _ de Hobbes à Locke de C. B. Macpherson, ouvrage publié en 1962… _,

c’est ce à quoi ce livre voudrait contribuer« , page 15 ;

sachant qu' »il est vital que l’on _ c’est-à-dire nous tous, ne serait-ce qu’en tant que citoyens de nos démocraties (en proie à divers mouvements browniens)… _ sache distinguer entre les problèmes effectifs _ à effectivement traiter et résoudre _ et cruciaux _ voilà ! _ et ceux qui n’ont de réalité qu’idéologique«  _ à dissoudre ! Et tel est l’objectif (de « débrouillage« ) auquel essaie de viser principalement ce grand livre _, pages 15-16.


D’abord, « Il faudrait se demander comment l’on pourrait s’arranger pour que le désir d’apprendre _ ou vive curiosité, voire enthousiasme jubilatoire, à son meilleur… _ qui est celui des enfants _ en effet ! cf la magnifique double expression de Montaigne en direction du maître eu égard à cette enthousiaste curiosité-là de l’élève : « allécher l’appétit et l’affection » (Essais, I, 26, in fine), citée page 50 _ ne se décourage pas _ là étant probablement le principal gâchis ! et c’est un double gâchis d’humanité : tant personnel pour le Soi des individus envisagés en leur singularité de personne, que civilisationnel pour la collectivité à l’échelle du devenir historico-culturel commun, celui des contenus et œuvres de la civilisation (à la fois à cultiver et entretenir, maintenir vivant et raviver ; mais aussi compléter encore et toujours par de nouvelles vivifiantes recherches et créations)… _ peu à peu« ,

étant entendu aussi que « les systèmes éducatifs les plus performants _ dans leur pratique globale _ sont ceux dans lesquels il y a consensus _ un consensus relatif, forcément, et qui soit vivant et souple : en réduisant surtout le plus et mieux possible les divers dogmatismes (se figeant) ; et en évitant les fossilisations en trop d’académismes, aussi… : l’ouverture et la réactivation de la créativité interdit en effet la fossilisation en catéchismes fermés auxquels obéir aveuglément, à la lettre (et contre l’esprit) _ à la fois sur la nature des savoirs à acquérir _ les meilleurs ! et en toutes les disciplines… _ et sur les moyens _ les plus vivants et souples : avec toujours une dimension festive joyeuse de jeu improvisé (qui est aussi, en amont celle de la recherche et de l’invention, par le chercheur !) dans l’apprentissage à offrir (à l’élève) par le maître : ce qu’Érasme baptise magnifiquement « repuescere » ! Montaigne parlant, lui, est-il indiqué page 339, d' »un haut degré d’éjouissance«  : « les maîtres qu’il nous faut (…) sont ceux chez qui (ou de la part de qui) le plus grand sérieux et la clarté la plus parfaite sont toujours allés de pair avec un haut degré d' »éjouissance » (c’est le mot de Montaigne)«  (in Essais I, 26).

Et on trouve aussi chez Foucault cette dimension « érotique«  et du savoir (à constituer par la recherche, en la mobilisation vive et efficace de la curiosité), et de l’enseigner-partager, aussi (du moins quand celui conserve quelque chose de l’érotisme de la recherche…).

Et Denis Kambouchner de citer pages 312-313, des extraits d’un très significatif entretien radiophonique de Michel Foucault, avec Jacques Chancel (pour l’émission Radioscopie), le 3 octobre 1975 (in Dits et écrits, volume 1, page 1655) :

_ Jacques Chancel : « En principe, à l’école, on oblige à apprendre ; et l’école devrait être une fête ; on devrait être content d’y aller, car c’est vraiment le terrain de la curiosité _ remarque déjà magnifique de la part de Jacques Chancel !.. Il doit donc y avoir des choses essentielles à apprendre. Quelles sont ces choses ? En dehors de l’orthographe, de l’arithmétique, de la lecture ?…« 

_ Michel Foucault : « Je dirais que la première chose qu’on devrait apprendre _ si ça a un sens d’apprendre quelque chose comme ça _, c’est que le savoir _ en acte, dans le processus délicieux de l’apprendre, découvrir… _ est tout de même profondément lié au plaisir _ mais oui ! et comment !!! _, qu’il y a certainement une façon d’érotiser le savoir, de rendre le savoir hautement agréable _ dans l’acte d’enseigner ; et d’initier à ce processus d’apprentissage-découverte, et même (et peut-être surtout !) création, les élèves, pour le professeur s’adressant à, pour les y initier, ses élèves… Que l’enseignement ne soit pas capable même de révéler cela, que l’enseignement ait presque pour fonction de montrer combien le savoir est déplaisant, triste, gris, peu érotique, je trouve que c’est un tour de force _ moi aussi ! Mais ce tour de force a certainement sa raison d’être _ probablement ! Il faudrait savoir pourquoi notre société a tellement d’intérêt à montrer que le savoir _ comme passage, sas ou entrée, à un pouvoir : à réserver à une minorité seulement… _ est triste. Peut-être précisément à cause du nombre de gens qui sont exclus _ c’est-à-dire à exclure, en fait _ de ce savoir. »

J. C. : _ « Imaginez déjà ce que pèse le mot « savoir ».« 

M. F. : _ « Oui.« 

J. C. : _ « Lorsqu’on dit « savoir », c’est joli. Mais lorsqu’on dit « LE savoir »… » _ Jacques Chancel, ce Gascon bigourdan, ne manque décidément pas de finesse…

Et Michel Foucault de répondre magnifiquement alors : « Oui, c’est ça. Imaginez que les gens aient une frénésie de savoir comme une frénésie de faire l’amour. Vous imaginez le nombre de gens qui se bousculeraient à la porte des écoles. Mais ça serait un désastre social total  » _ pour le partage des bénéfices (financiers) des pouvoirs déjà en place ; pour ce que deviendraient les privilèges… Qui veut vraiment la vraie démocratie des épanouissements des compétences (et en tous genres) ?..

Et il poursuit (mais Denis Kambouchner ne poursuit pas ici la citation), très explicitement : « Il faut bien, si l’on veut, restreindre au minimum _ voilà ! _ le nombre de gens qui ont accès au savoir, le présenter sous cette forme parfaitement rébarbative, et ne contraindre les gens au savoir que par des gratifications annexes ou sociales _ et pas directement, ni en substance (comme c’est le cas de toute véritable découverte !), « érotiques«  _ qui sont précisément la concurrence, ou les hauts salaires en fin de course _ de jouissance sadique, cette fois ! Mais je crois qu’il y a un plaisir intrinsèque _ absolument ! _ au savoir, une libido sciendi _ voilà ! _, comme disent les gens savants, dont je ne suis pas » _ et qui se révèle aussi dans l’acte même d’enseigner, ajouterais-je, pour ma part, si j’ose ici me permettre un tel ajout à la parole sur le vif de l’interview de Michel Foucault, en 1975…

Mais Denis Kambouchner dit encore, page 313 : « Depuis Platon (…) cette érotisation est connue _ mais oui ! _ pour être un des plus puissants facteurs _ absolument ! _ de la culture intellectuelle et du perfectionnement de soi ; et sans doute a-t-elle lieu à quelques degrés toutes les fois _ mais oui ! j’en témoigne à mon tour ! _ qu’un professeur a fait cours entouré de ses élèves, au lieu de les avoir face à lui dans une salle de classe » _ mais cela est aussi une affaire de disposition des tables et des chaises ; ainsi que de la mise en scène de la prise (par chacun et tous) de la parole dans l’interaction vivante entre professeur et élèves !.. Et pour Foucault, sinon toujours enseigner, du moins « la recherche est érotique par essence, elle ne fait qu’un avec le mouvement de la vie et de la pensée » ; car « c’est s’aventurer, provoquer, faire événement« , signale Denis Kambouchner page 325 ; alors que pour Denis Kambouchner (et je l’en approuve et y applaudis de toutes mes mains !), il est « pratiquement impossible d’enseigner sans chercher«  _ et c’est fondamental !

Sur la personnalité de l’individu Michel Foucault, lire le témoignage magnifique de Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire ; ainsi que mon article du 14 janvier 2011 : Les apprentissages d’amour versus les filiations, ou la lumière des rencontres heureuses d’une vie de Mathieu Lindon

Et avec des moyens (d’enseigner-partager-susciter la curiosité) qui soient adaptés à la diversité elle-même vivante (et enrichissante, quand elle est bien conduite ; et c’est parfois acrobatique…) des élèves dans la diversité elle-même vivante (ni trop éclatée, ni trop uniforme) du groupe-classe (lui-même pas trop nombreux : existent des seuils de faisabilité !..) : groupe-classe que l’on dissout de plus en plus (les individus sont dispatchés en d’autres assemblages, dissolvant les liens se constituant du groupe-classe…), pour des raisons de coût de la masse salariale des enseignants et rentabilité de la « ressource humaine«  que ces enseignants constituent aux égards de la comptabilité… _ ;

étant entendu aussi _ et je reprends ici la fin de ma phrase interrompue par cette longue incise sur l’érotisation du savoir, à la fois en tant qu’apprendre-découvrir et que chercher, et peut-être aussi de l’enseigner, selon Foucault (et Denis Kambouchner) _ que « les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux dans lesquels il y a consensus à la fois sur la nature des savoirs à acquérir

et sur les moyens de cette acquisition _ par les élèves.

Par contraste, l’apparente impossibilité _ plus ou moins hystérisée _ de s’accorder sur le type de culture que l’école devrait dispenser

fait une partie de la faiblesse relative mais préoccupante du système français _ encore travaillé cependant (mais pour combien de temps ?) par un assez haut niveau (de tradition persistante républicaine, en dépit des réalismes de plus en plus ouvertement cyniquement décomplexés de certains…) d’exigence de démocratie et justice, de la part d’un nombre assez important de professeurs. Ici, les choix sont clairement directement et immédiatement politiques.

L’histoire de ce dissentiment est lié à l’étonnante longévité d’un système d’éducation des élites hérité du XVIe siècle et qui a perduré, à travers le lycée du XIXe siècle _ via diverses alliances successives dont Denis Kambouchner fait précisément l’historique _, jusqu’au début des années 1960.

Cette longévité a eu sa contrepartie, avec les difficultés spécifiques d’une unification-massification-démocratisation qui n’a ni remplacé clairement ce système par un autre, ni adapté ses éléments à de nouvelles conditions démographiques et socioculturelles, ni perfectionné les voies alternatives de manière à contrebalancer le poids des classements sociaux« , page 16.

« De là aussi la persistance d’une _ nocive _ division des cultures enseignantes _ parmi les professeurs, au premier chef (ainsi que leurs pratiques pédagogiques) _, que la polarisation du débat public a en quelque sorte transposée, et qui laisse encore quelques uns _ bien fautivement… _ imaginer qu’entre la passion _ et l’enthousiasme joyeux _ du savoir _ et de la culture _ et le souci des élèves, de leur progrès et de leur devenir _ matériels et concrets _, il serait nécessaire de choisir : idée navrante, à tous égards contre-productive ô combien ! _, et qu’il faudrait _ on ne saurait assez insister dessus ! _ songer à répudier une fois pour toutes » _ j’y insiste à mon tour… _, page 16 toujours.

D’autre part, « en matière pédagogique, les trois siècles écoulés ont été l’âge des théories » _ successives et frappées très vite d’obsolescence, mais non sans avoir très vite aussi entraîné d’immenses dégâts.

Et « depuis les années 1970 jusqu’à une date fort récente, les textes régissant l’éducation scolaire et même les programmes des divers niveaux et matières ont été en France saturés de théorie« .

Mais « il vaudrait beaucoup mieux que, à l’égard des théories discutées, les textes régissant les institutions restent _ plus prudemment et avec davantage de sérénité, face à la versatilité des modes en ces matières : jusqu’à l’inconsistance et l’incohérence ! on ne les connaît (et subit) que trop « sur le terrain«  ; de même que l’on essaie, aussi, tant bien que mal de s’en protéger… _ neutres et impartiaux _ un peu plus réfléchis et mieux responsables : indépendamment du cynisme de fait de quelques carriéristes « bouffant à tous les rateliers«  qui se succèdent et se remplacent ; la « conscience«  de ceux-là, puisqu’ayant disparu, ne pouvant pas en être (jamais, ni si peu que ce soit) affectée le moins du monde : tournez manèges et passez muscade !..

Cela ne revient pas à demander qu’ils _ ces textes régisseurs des fonctionnements de l’école _ évitent tout concept, mais qu’ils ne contiennent rien qui ne soit véritablement _ tant soit peu, un minimum _ éprouvé, c’est-à-dire passé au crible _ temporel aussi, et donc pris sur davantage de durée ; et d’« expérience«  un peu honnête effectivement partagée… _ de toutes sortes d’objections«  _ un peu sereinement examinées.

Car « il n’y a pas de démocratie au sens fort sans l’idée d’une rationalité _ qui soit vraiment tant soit peu, un minimum _ partagée _ un peu à distance de la pression et des urgences à courte vue, et qui plus est versatiles, des lobbies tirant à hue et à dia en fonction de leurs urgences (bien peu pédagogiques, et encore moins culturelles, celles-là)… _ à laquelle la parole publique et institutionnelle _ vraiment démocratique _ a précisément pour charge _ morale et politique _ de donner corps« , pages 16-17.

La troisième « conviction«  (page 15) forte sur laquelle met l’accent la présentation des objectifs de la recherche de Denis Kambouchner en son Avant-Propos,

est celle de la « dimension humaine de l’éducation scolaire«  _ l’« humanité«  propre (non-inhumaine !) des « sujets«  à aider à advenir et s’accomplir (à l’échelle de leur vie entière), étant envisagée par Denis Kambouchner comme la fin essentielle que doit mettre en valeur son travail d’analyse, et cela supérieurement à toute considération (seulement servile) de moyens, à destination de quelque employabilité (au titre de « ressources humaines« ) que ce soit… _ (pages 15-16) :

« Il n’existe pas et n’existera pas _ numériquement… _ de professeur virtuel _ pas plus, serait-on tenté de dire, que de parent virtuel _ l’éducation n’étant en rien mécanique ; et doit impliquer fondamentalement une vraie affection (parentale ici) pour l’autonomie vraie du sujet à aider à faire advenir en vue de de s’accomplir vraiment, en l’enfant qu’il est encore à ces âges de minorité effective.

Parmi les besoins premiers _ et fondamentaux ! _ des enfants, des adolescents, des jeunes gens, il faut compter le contact direct _ vivant, interactif et nominal (élève par élève = personne par personne) ; et pas par l’astuce (commode et attractivement moins coûteuse financièrement…) de dispositifs de visio-conférences ; mais aussi chaleureusement affectif ! Que fait un « pédagogue qui n’aime pas les enfants« , pour reprendre l’expression du livre éponyme de Henri Roorda, sinon bien des dégâts ?! _ avec une parole adulte _ cf aussi le concept de « bon objet » de Mélanie Klein, dans la cruciale formation du « Soi«  de l’enfant, avec ses conditions affectives et d’échange ultra-personnel… _ qui ne soit ni préfabriquée ni programmée _ formatée _, mais formée _ au plus vivant et vif de l’interlocution interactive (et aimante) hic et nunc : c’est capital ! _ exprès pour eux (cet ajustement spécifique _ et nominatif à l’égard de chacun ! au sein du groupe-classe _ et comme tel imaginatif _ et joyeusement ludique en sa réponse toujours improvisée, en même temps que savante, précise et substantielle, à l’imprévu joyeusement surprenant, au moins en partie, du questionnement (sur le vif !) des élèves ! _ étant d’ailleurs au principe _ et comment !!! _ de toute efficacité pédagogique).« 

« Ils ont besoin en premier lieu d’une parole qui non seulement fixe des règles _ oui, mais non sans souplesse ; pas mécaniquement ! _ et réponde _ vraiment : substantiellement ! _ à leurs questions les plus immédiates _ sur le vif, donc, et en confiance réciproque : une confiance qu’il faut vraiment installer, coudre-construire au fil des échanges, et ne pas trop décevoir ; et cela sans démagogie aucune ! _,

mais les incite à aller voir _ avec une joyeuse très effective curiosité ! à susciter, entretenir et faire rebondir chaque fois que nécessaire ! celle du professeur servant d’exemple ludique et festif, davantage que de modèle (à dupliquer servilement ; cf le mot de Nietzsche, « Vademecum, vadetecum« …), à la curiosité à titiller de ses élèves _ ce qu’ils n’ont pas vu _ en classe : qui est toujours, et forcément, partiel ; et le champ de curiosité étant toujours ouvert, lui, et à l’infini du questionnement et de la méditation éventuelle à nourrir… _,

fasse appel à leur jugement _ toujours ! sur l’importance du juger, cf l’ultime important travail de Hannah Arendt, Juger _,

et d’abord représente auprès d’eux _ en exemple (d’élan, et enthousiaste) plus encore qu’en modèle (à copier, servilement) _ un jugement

à la fois bienveillant _ malheur au « pédagogue qui n’aime pas les enfants« , pour se référer (nous y revoilà !) à l’ouvrage d’Henri Roorda, en 1917 : Le pédagogue n’aime pas les enfants, dont est extrait le premier exergue au livre, page 7 : « Hélas ! l’école ne rend pas fertiles _ soit un but qui devrait être davantage même qu’éminent : prioritaire ! _ les esprits qu’elle cultive _ et ce devrait être en profondeur aussi, et pas superficiellement. Pour cela, il faudrait les remuer plus profondément et leur donner des aliments meilleurs«  ; l’essentiel est dit là ! : « les remuer plus profondément » et « leur donner des aliments meilleurs«  _

et d’abord représente auprès d’eux _ je reprends l’élan de la phrase _ un jugement à la fois bienveillant

et exact«  _ et qui, par l’exemple le plus vivant possible qu’il soit, en l’échange, encourage ainsi vraiment à l’effort (tout à la fois et d’un même mouvement exigeant et heureux) vers la plus grande finesse-justesse (peu à peu munie et étayée de culture) de leur propre permanent penser-juger-évaluer : à aider ainsi à faire advenir (former avec précision et souplesse, les deux à la fois, puis consolider et élargir, toujours, et essayer d’approfondir), en enseignant à ne pas craindre ni l’erreur de la première réponse-esquisse, ni l’effort de sa reprise-correction, afin d’améliorer (et pousser toujours plus loin) ce penser-juger-évaluer, qui sera toujours lui-même en mouvement à jamais ;

Cf Alain : « Quiconque pense commence toujours par se tromper. L’esprit juste se trompe tout autant qu’un autre _ l’esprit faux : non désireux de sa propre justesse _ : son travail propre est de revenir, de ne point s’obstiner, de corriger selon l’objet la première esquisse _ à fin de son amélioration présente et future. Mais il faut une première esquisse _ et oser, en confiance, accomplir cet effort premier : avec le double courage de l’effort de penser, et celui de l’exigence de la justesse ! _ ; il faut un contour fermé _ qui seul permet le nécessaire travail (c’est une dynamique…) de focalisation progressive de l’esprit. L’abstrait est défini par là » ;

pour en déduire : « Selon mon opinion, un sot n’est point tant un homme qui se trompe _ en cherchant à juger-penser-évaluer : et c’est à chaque instant de la vie ! _, qu’un homme qui répète _ mécaniquement, sans être en mesure d’en rendre compte et les justifier vraiment, des formules-solutions toutes prêtes : tel un perroquet ou un ordinateur ! Faute d’oser se lancer dans la dynamique créative féconde du « penser-juger«  : avec vaillance et courage ; cf ici le sublime début du Qu’est-ce que les Lumières ? de Kant… _

qu’un homme qui répète des vérités, sans s’être trompé d’abord comme ont _ de fait ! _ fait ceux qui les ont trouvées » ; « Instruire, c’est former le jugement« , disait on ne peut plus fondamentalement Montaigne de cette mission première du maître à l’égard de l’élève…

« Or, pour être exacte et compréhensive _ les deux à la fois _, ferme et ouverte _ en même temps _, attentive, rigoureuse et modulée _ ensemble et à l’instant, au plus vif de l’ici et maintenant ! _,

la parole adulte doit être _ en effet ! _ instruite _ elle-même et déjà : et c’est un processus lui aussi (et très joyeusement !) infini : il se poursuit toujours… _ à un haut degré« 

_ et cela se façonne (artisanalement) tout au long de l’exercice (large et permanent) d’exister d’une vie, et pas seulement de la vie strictement professionnelle, pour un professeur ; et cela, à la façon dont « se fait » aussi (= se bricole : c’est, sur soi-même, une praxis) le savoir créateur toujours plus expérimenté en même temps que plus créatif (= poïétique) de l’artiste lui-même apprenant à s’accomplir (en cette praxis, acte par acte) en créant (en sa poiesis, œuvre par œuvre) ; et c’est aussi un art ! qu’enseigner ; et pas une technique (mécanique)… ; lire (et relire à plaisir !) les sublimes analyses de Spinoza en son Éthique sur la nature et le processus même de la joie, comme expression affective de l’accomplissement des potentialités (personnelles) ; cf aussi le très beau livre de Jean-Louis Chrétien, en 2007 : La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation _, page 18.

« Le fond de cette relation de parole _ de sujet à sujet ; d’un humain adulte à l’humain qu’il s’agit d’aider à devenir et s’accomplir, en l’enfant, chacun et tous ; à commencer dans le processus vivant et irremplaçable de la classe ; et Denis Kambouchner en traite aussi très précisément… _ a été parfaitement décrit voici cinq siècles par les écrivains humanistes, parmi lesquels Érasme, en compagnie de qui ce livre se terminera _ aux pages de l’ultime et magnifique chapitre, pages 331 à 340.

Érasme dit aussi _ exactement à l’inverse de ce que soutiendra le décidément toujours sinistrement paradoxal Rousseau en son Émile (cf ici l’avis fort pertinent du très fin Denis Diderot sur cet incurablement caractériel et incurablement malheureux de Jean-Jacques !) contre les livres… _

que l’esprit malléable du jeune enfant doit être d’emblée nourri _ voilà ! _ de ce qu’il y a de meilleur dans les meilleurs auteurs _ cf Alain : « Toute pensée est donc entre plusieurs et objet d’échange. Apprendre à penser, c’est donc apprendre à s’accorder ; apprendre à bien penser, c’est s’accorder avec les hommes les plus éminents, par les meilleurs signes«  ; et cela sans esprit de conformisme ; mais seulement d’émulation d’élévation… _ ;

que, pour l’initier _ c’est une dynamique au long cours et qui passe par de l’affectivité : de la joie… _ aux lettres (et aux sciences _ en leur processus joyeusement excitants de construction-création : à la suite des travaux de mon amie Marie-José Mondzain, dont Homo spectator, j’aime parler ici de la fécondité du processus créatif d’« imageance«  ; cf aussi, bien sûr, Gaston Bachelard… _), il ne faut surtout pas attendre, dès lors qu’il sait parler et qu’il est apte à l’instruction morale ;

qu’il n’y a rien à quoi son jeune âge puisse être employé plus utilement ;

qu’il n’y a pas de connaissance des choses sans connaissance des mots _ cf Alain, encore, en ce même texte d’Éléments de philosophie : « Leçons de choses, toujours prématurées ; leçons de signes, lire, écrire, réciter, bien plus urgentes«  ; ni non plus « sans connaissance de phrases«  (c’est-à-dire de « structures syntaxiques«  à apprendre à mettre en œuvre : cf ici la générativité du discours (en une langue) par la parole vivante, telle que l’analyse magnifiquement Noam Chomsky) _ ;

et que les enfants, moins fatigables que les adultes, supportent _ avec mieux que de l’endurance, avec le plaisir d’une passion s’incarnant physiquement en une activité consistante et cohérente suivie et poursuivie _ quantité d’exercices, pourvu qu’ils en sentent l’intérêt _ c’est-à-dire le sens, en un suivi qui demande toujours (et de la part du maître comme de la part de l’élève, en leur échange vivant) un minimum de patience, accompagnant l’effort joyeux de l’exercice ; et qui sera réinvesti ailleurs et plus tard, par l’adulte que l’élève est appelé à devenir, selon les sollicitations de son propre exister… _ et qu’il y entre une dimension de jeu«  _ relire ici, sur l’importance et l’efficacité du playing, l’excellentissime Donald Winnicott… Et comparer avec ce que les coaches sportifs sont capables, sur le terrain et dans le « faire«  effectif, d’obtenir d’efforts très intensifs et prolongés lors des séances (fréquentes) d’entraînement des jeunes qui pratiquent durablement et passionnément un sport… La salle de classe doit être le lieu de cet effort (ludique) de l’exercice joyeux (voire jubilatoire !) du penser-juger ; je ne reviens pas sur les remarques plus haut de Michel Foucault à Jacques Chancel, le 3 octobre 1975 (Denis Kambouchner qualifie, page 328, la « lecture«  des Dits et écrits de Michel Foucault d’« expérience comparable à celle des Essais de Montaigne«  : rien moins !!!…

« Ces textes _ d’Érasme donc _ n’ont rien perdu de leur puissance d’interpellation _ certes ! Et c’est bien une telle interpellation citoyenne qu’aspire à réaliser auprès du lectorat le questionnement philosophique de ce magnifique travail sur le fond qu’est L’École, question philosophique

Dûment médités _ et c’est bien là, avec tout ce que cela implique de durée, d’exigence patiente de penser-juger et de qualité d’attention d’analyse dynamiquement questionnante et réflexive, un exercice spécifiquement philosophique, en effet ; cf le sens de cette action de « méditer«  in les Méditations métaphysiques de Descartes… _,

il se pourrait même qu’ils définissent, ou aident encore à définir _ face à la confusion idéologique tristement endémique qui persiste à régner, dans l’opinion comme dans les sphères dirigeantes : c’est qu’il en existe beaucoup que pareille confusion endémique arrange ! _,

l’essentiel de ce qu’il nous faut, et de ce qu’il faut à tous les enfants, à l’âge du numérique et de l’exigence démocratique d’une « réussite de tous »«  _ cf aussi, ainsi, les très notables avancées de compréhension mutuelle auxquelles sont parvenus un Philippe Meirieu et un Denis Kambouchner lui-même (avec l’ami Bernard Stiegler), dans le récent L’École, le numérique et la société qui vient, aux Éditions Mille et une nuits, en janvier 2012 ; à confronter avec l’état des lieux du débat par Denis Kambouchner en son précédent Une école contre l’autre, aux PUF, en 2000 : il y a treize ans _, pages 18-19.

Cf aussi cette magnifique expression de Stefan Zweig que je trouve en son Érasme, paru en 1934 _ la date est d’importance ! au moment de l’installation au pouvoir d’Hitler… ; d’où le sous-titre donné par Zweig : Grandeur et décadence d’une idée _ :

« Ce qui fera la gloire d’Érasme _ 1469-1536 _,

vaincu _ bientôt et au fil des siècles qui vont suivre, face aux avancées du machiavélisme (Le Prince de Machiavel a été écrit en 1513) dans la modernité qui s’ouvrait alors, en cette Renaissance, puis bientôt cet Âge classique, avec les progrès en suivant du pragmatisme et de l’utilitarisme, appuyés sur la très habile exploitation socio-économique organisée assez rapidement et à grande échelle (cf John Locke, un des premiers, puis Adam Smith, avant bien d’autres) des progrès (au départ assez innocents peut-être, et séparés) des sciences comme des technologies ; Descartes lui-même a très vite l’intuition de la puissance d’efficacité de ce nouage (au moins technico-scientifique, sinon économico-techno-scientifique : « se rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature« , dit-il… ; cf aussi la bien connue métaphore de « l’arbre de la philosophie«  dans sa Lettre-Préface aux Principes de la philosophie) ; mais Denis Kambouchner est mieux qu’un très avisé expert en la matière ; consulter son Descartes et la philosophie morale, aux Éditions Hermann, en 2008… _

ce qui fera la gloire d’Érasme, vaincu dans le domaine des faits _ socio-économiques à l’échelle de l’Histoire longue de notre modernité : mais celle-ci n’est pas finie ! _,

sera d’avoir littérairement frayé la voie à l’idée _ au sens kantien d’idée régulatrice _ humanitaire,

à cette idée très simple et même temps éternelle

que le devoir suprême _ = souverain _ de l’humanité est de devenir toujours plus humaine _ quelle magnifique expression ! _,

toujours plus spirituelle, toujours plus compréhensive«  _ au lieu de devenir « plus inhumaine« 

« Devenir toujours plus humaine » !

Quatre-vingts ans après 1933 et l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne,

c’est toujours, en 2013, un formidable impérieux pari (et inlassable combat à mener) en faveur de cette « voie » de toujours davantage d' »humanisation » de l’humanité,

face aux forces (se voulant _ et proclamant haut et fort _ très réalistes, elles…) du pragmatisme utilitariste (socio-économique) _ plus ou moins discrètement ou ouvertement cynique, ici où là…

« Bien faire l’homme« , dit Montaigne en son ultime (= testamentaire !) chapitre des Essais : De l’expérience  (Essais, III, 13), un chapitre tout bonnement sublime ! ; pour conclure son livre-testament (à destination de ceux qui voudraient bien se souvenir de lui au plus vrai de ce qu’il a pu être et faire (et en témoigner en son écrire et ré-écrire…), grâce à ce que le livre conserve des efforts inlassables de cet écrire vrai, « tant qu’existerait de l’encre et du papier« …) ;

pour conclure son livre-testament, donc, sur l’invocation (essentielle !) d’Apollon et ses Muses… Et tant qu’existeront, aussi, des lecteurs et des re-lecteurs de telles vraies œuvres…

Et ce pari civilisationnel de fond

quant à ce qu’est, et ce que doit être, l’humanité _ ainsi que quant aux valeurs (de l’agir et de l’exister) à hiérarchiser, en conséquence… _

participe aussi, et même pour beaucoup (= fondamentalement !!!) ,

des finalités entre lesquelles choisir, tant collectivement _ pour les décideurs politiques (mais aussi pour les électeurs-citoyens, en amont, lors des élections, que nous sommes encore…) dans les démocraties _ que personnellement _ pour qui y enseigne _,

pour ce qui concerne le fonctionnement même, au quotidien le plus vivant, de l’école.


Que l’on se demande in fine, conclut ainsi son Avant-Propos Denis Kambouchner,

« si une éducation

qui tournerait tout à fait _ la nuance est d’importance : c’est d’abord une affaire d’échelle et de degrés ; ou encore d‘ »équilibre«  et de « proportions«  (et ces termes sont tout simplement capitaux !..), par rapport aux pressions des très puissants (de fait) intérêts socio-économiques, voire de « gouvernance » comptable… : à rebours de leurs propensions impérialistes, voire totalitaires… _

le dos

à la leçon et à la mémoire des humanistes _ et de leur considération « de droit » à propos de ce que doit être l’humanité (cf aussi l’opposition en la seconde moitié du XXe siècle entre les partisans, à la Ernst Bloch, du Principe Espérance et les partisans, à la Hans Jonas, du Principe Responsabilité ; et aussi, tout récemment, le point sur la question de Frédéric Gros, en son Principe Sécurité…)… _,

et qui accepterait de cantonner _ en un « parc«  fermé (ô mânes d’Emmanuel Kant ! ô esprit actif de Peter Sloterdijk !) pour des raisons d’« inutilité » du niveau de main-d’œuvre qualifiée attendu statistiquement sur le marché du travail, et des calculs de coût (de formation) passant ainsi le seuil de l’estimé supportable à nos finances, selon les experts auto-proclamés et assez grassement stipendiés de nos marchés d’affaires privées et publiques… ; cf ici le très joli travail de Nuccio Ordine L’Utilité de l’inutile, aux Belles Lettres, ce mois de janvier 2013 _

le grand nombre des élèves _ à part de la petite minorité devenant seule utile et rentable désormais, à réellement former, elle : et si possible pour les seules tâches dont on (= les actionnaires des entreprises) escompte avoir réellement besoin ;

cf les analyses de Florent Brayard sur le pragmatisme (et l’hyper-méfiance, voire paranoia, l’accompagnant…) de la division des tâches dans l’organigramme du régime nazi, selon ce qui peut se deviner-déduire des intentions d’Hitler, in Auschwitz _ enquête sur un complot nazi ; l’hyper-fragmentation de l’organisation bureaucratique constituant ici un modèle de modernité de « gouvernance«  efficace… _

dans la périphérie _ la plus étroitement utilitaire (sur le marché du travail), et sans nul autre « horizon » ni « perspectives » que le misérable fun convenu et formaté, et hyper-soigné en terme de fonctionnalité efficace (de crétinisation !) des divertissements de masse des industries ad hoc ; relire ici Theodor Adorno, par exemple en ses superbes et plus que jamais actuelles Minima moralia, sous-titrées Réflexions sur la vie mutilée ; un tel game pré-formaté (et fermé) allant à l’inverse du playing (ouvert) dont fait l’éloge Donald Winnicott ; cf aussi là-dessus les très pertinentes analyses de Roland Gori en La Fabrique des imposteurs _

du savoir _ = de la culture _,

pourrait faire autre chose

que son propre malheur«  _ civilisationnel, et à très court terme… _, page 19.

Alors, réfléchissons un peu au choix par Denis Kambouchner de ce titre : L’École, question philosophique

Titus Curiosus, ce 24 février 2013

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