et réussir à donner à d’autres le désir de, à leur tour, lire (et éprouver une vraie joie de lire) tel ou tel livre singulier :
autant de situations
et autant d’acteurs divers d’une même chaîne diversifiée et ramifiée, et continuée,
au départ de laquelle s’est trouvé un beau livre écrit par un auteur,
avec autant de temporalités diverses,
et ayant chacune son rythme spécifique et singulier…
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Et ce n’est certes pas à un auteur tel que vous, Arnaud, qui travaillez professionnellement là-dessus, que je vais apprendre quelque chose de neuf…
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Pour ma part,
je veux dire celle d’un lecteur simplement attentif et passionné de quelques certains livres qui m’ont considérablement plu et réjoui
– et de fait mes goûts sont assez larges et assez éclectiques, tout en étant très très exigeants :
d’une façon qui, à ma place de simple lecteur, me fait, en l’occurrence, et en ces traits-là, admirer la personnalité ici, ainsi que la personne dans sa vie relationnelle, généreuse et ouverte, d’un Georges Lambrichs,
situé pourtant apparemment, je veux dire professionnellement, à une tout autre place que celle d’un simple lecteur désintéressé, amateur, au sens plein de ce mot, qui se trouve être la mienne : celle, pour lui, Georges Lambrichs, d’éditeur littéraire ;
mais Georges Lambrichs était aussi, en sa singulière façon, absolument désintéressé en sa follement généreuse passion pour la plus authentique littérature « de qualité », un tel lecteur, pour commencer –,
il se trouve qu’une de mes passions est celle de la joie – assez rare, en tous les sens de ce terme – de m’entretenir, à l’occasion – occasion qu’il me faut bien provoquer un peu par mon initiative ; car rien n’advient seulement de soi, et nul ne me l’offrira spontanément de lui-même (ou alors bien rarement ! même si cela, et il me faut le reconnaître, est quelquefois arrivé…) sur un plateau -, avec ou à propos d’auteurs que j’admire,
et en un entretien absolument ouvert, entre interlocuteurs sachant s’écouter vraiment – et cette chose aussi est assez rare –, et les voix comptent beaucoup, les attentions, les silences aussi,
afin d’aider si peu que ce soit, de la modeste place de lecteur passionné s’entretenant alors avec (ou, à défaut de l’auteur lui-même, à propos de) tel auteur qui le mérite, à partager cette – pas si fréquente que cela, mais qui comme miraculeusement advient parfois, de temps en temps, de temps à autre… – très exaltante joie de lire un livre qui paraît le mériter vraiment…
Car il y en a tant de médiocres, et même tant de faux livres, dont le temps de lecture vient voler un peu du si précieux, non infini, temps de la vie, en l’occurrence, du lecteur…
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« Indiligent lecteur, quitte ce livre ! »,
prévenait très obligeamment le merveilleux et délicieux Montaigne adoré à l’ouverture de ses très exigeants – à suivre vraiment l’entier déroulé de leurs étincelants écheveaux ramifiés de fils entrecroisés et rajoutés à ses diverses propres relectures… – magnifiques « Essais »…
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C’est donc aussi de toute petite – à sa modeste place… – contribution à la formation du goût, qu’il s’agit là…
Et plus que jamais en ce moment – de bourrages de crânes désinhibés absolument éhontés de crasse propagande…
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Voilà donc la place en laquelle je situe ce que, de ma modeste et improbable position – je ne suis pas éditeur, ni libraire, ni même journaliste : seulement simple lecteur passionné et un peu attentif de vrais livres... –, je peux – voire je dois, à mes yeux tout au moins.. – faire, agir, œuvrer, en pareille occurrence, voire urgence !, de joie, à proposer de partager, à l’occasion – Kairos un petit peu aidant –, avec d’autres.
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Les fenêtres d’opportunité pour cela – ou conjonction d’alignement des planètes… – étant assez étroites, furtives, passagères…
Une vie humaine, d’abord, n’étant pas elle-même – nous le saurions, cela n’arrive pas –, infinie…
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« But at my back I always hear
Time’s wingèd chariot hurrying near :
And yonder all before us lye
Desarts of vast Eternity »,
a dit Andrew Marvell en son sublime poème « To his coy mistress ».
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Mais le généreux temps d’une vie – reçue de nos parents et de la chaîne si peu probable au départ de nos ancêtres plus lointains : via, là aussi, une chaîne-concours d’assez improbables transmissions, tant génétiques que culturelles… – , en son cheminement même, nous ouvre aussi la porte de tels infiniment précieux moments, rien moins, d’éternité – puisqu’il n’y a d’éternité effective que dans, et par le temps de ces brèves vies, du moins quand celles-ci sont vraiment « humaines », c’est-à-dire vraiment « de qualité », je suis donc ici joyeusement spinoziste ; et proustien.
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Tel est donc le contenu du courriel que j’ai adressé ce matin à Arnaud Villanova,
l’auteur, superbe – de quelle qualité est aussi son écriture ! –, de cette passionnante et très riche enquête sur l’œuvre d’éditeur – mais pas seulement ! – ainsi que la personne même, généreuse, libre, amicale, juste et ouverte, de Georges Lambrichs (1917 – 1992),
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Ce mercredi 22 février 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa