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Balance de « l’humain » au stade gazeux du luxe : le diagnostic d’Yves Michaud

31déc

Pour continuer à réfléchir sur l’état présent de l' »humain« , tel que le présentent des phénoménes d' »aisthesis »  comme ceux qu’analyse Yves Michaud en son blog de Libération « Traverses« ,

et poursuivant lui-même sa réflexion de son opus de 2003 : « L’Art à l’état gazeux _ Essai sur le triomphe de l’esthétique« ,

voici

ces réflexions-ci,

en réponse à certains des « commentateurs« 

de son tout récent article « Le Luxe à l’état gazeux« , in Libération, en date du 29 décembre dernier, avant-hier :

Le luxe à l’état gazeux

Luxe et art ont une signification qui se recoupe(nt) sur certains points intéressants. Le luxe renvoie à l’idée d’abondance, de profusion, mais aussi de décoration et d’ornement, avec une connotation ambivalente de louange et de dénonciation. « Luxe » et « luxure » sont des doublets.

Il y a aussi, dans l’idée de luxe, celle d’un écart par rapport à la règle et à la ligne droite: le mot « luxation » vaut pour les articulations abimées et a la même étymologie. Or l’art et l’ornement ont aussi une origine étymologique indo-européenne qui en fait un écart et un ajout par rapport à la nature : l’art est ce qui se superpose et s’articule à la nature. C’est sur ce point qu’art et luxe se rejoignent : le luxe et l’art sont des ajouts décoratifs ou ornementaux, qui ne sont ni naturels ni indispensables, qui impliquent une déviation par rapport au naturel ; et souvent même un excès, avec la dépense somptuaire qui va de pair. Toutes les cultures associent art, dépense, artifice et excès non naturel.

De fait, toujours et partout l’art a été un luxe : non seulement parce qu’il va au delà du nécessaire, mais aussi parce qu’il met en œuvre des matériaux précieux, des habiletés techniques rares et coûteuses ; et qu’il est destiné à des usages précieux, qu’ils soient religieux ou séculiers. La fameuse « Salière » de Benvenuto Cellini fabriquée en 1542-1543 pour François Ier, coûta à l’époque 1000 écus d’or. On n’est pas très loin du crâne en platine de Damien Hirst (« For the Love of God« ) de 2007, avec ses 8601 diamants, vendu pour 74 millions d’euros.

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Ce lien d’excès et d’artifice entre art et luxe persiste aujourd’hui avec la corrélation entre nouvelles formes de l’art et nouvelles formes du luxe.

Pour ce qui est de l’art (au sens des arts visuels), il consiste de moins en moins en « œuvres« , pour  la bonne raison que se sont généralisées les stratégies « à la Duchamp » de production de ready-mades ; et que tout peut faire œuvre, y compris l’infime ou l’invisible. L’art consiste _ avec ou sans insister ? _, en fait _ c’est le cas de le dire ! _, de plus en plus, en expérience _ voilà : et de la part de qui ? de l’artiste qui le propose ? du public qui en fait l’« expérience » ?.. _ d’environnements et d’effets multi-sensoriels où sont réunis stimuli visuels, sonores, odeurs, ambiances et atmosphères dans des installations _ d’artistes (affirmés tels)…

Dans le même temps, la hiérarchie _ reconnue, grosso modo, socialement _ des arts a changé, avec un retour au premier plan de l’architecture, un développement du design, y compris comme design sonore, et le succès grandissant d’arts mineurs comme la cuisine, les parfums, la mode, le maquillage. L’art est devenu _ sociétalement ; sinon sociologiquement… _ un art d’environnement ou encore « ambiantal« .

Ces changements vont de pair avec une nouvelle forme d’expérience de l’art _ voilà ! _, distraite et flottante _ de la part du public, cette fois ; mais s’agit-il ici d’un « Homo spectator » (selon Marie-José Mondzain) ? et en un « Acte esthétique » (selon Baldine Saint-Girons) ?.. L’empirisme d’analyse d’Yves ici s’amuse, vraiment, beaucoup ! J’entends d’ici son rire empiriste ! La valeur principale au cœur de l’art est désormais _ sociétalement et sociologiquement : Pierre Bourdieu, l’inénarrable analyste de « La distinction _ critique sociale du jugement« , en 1979, éclate lui aussi de rire de dessous la tombe ! _ celle du divertissement _ « entertainment » ! dans le vocabulaire des entrepreneurs des studios de Hollywood, chaînes de télévision en pagaille, et autres vendeurs de « temps de cerveau humain » disponible… _ et du plaisir _ l’appât minimal et basique ; jusque dans le commerce de la pornographie… _ réunis dans un hédonisme _ voilà la philosophie qui a le vent en poupe : le plaisir est bien son carburant ! _ sans engagement _ surtout pas ! car alors, adieu Berthe !..  _ ni moral ni politique ; ou alors tellement léger _ quelques secondes : pas trop de temps à perdre, non plus, quand même… just for the fun _ qu’il n’est plus un engagement. L’expérience est celle d’une cénesthésie (complexe de sensations) débouchant éventuellement sur des partages _ tout de même : un minimum de connivences (langagières) comme « autorisation« , de fait, d’un minimum, cependant, de « légitimité » de l’éprouvé, même aussi « léger » et aussi peu « engageant » : les autres partagent-ils mon point de vue ? ouf ! me voilà rassuré ! la solitude (de l’éprouvé), ou « a-normalité« ,  étant rien moins que terrifiante : « monstrueuse«  !.. _ d’émotions. L’expérience esthétique contemporaine est une expérience diffuse, l’expérience d’un environnement saisi de manière inattentive et distraite, perçu _ juste _ « en passant«  _ dans la rue, par exemple ; et si possible « passante« , « passagère », la rue : sinon, pas de vérificateur (de conformisme) ! Quel effroi ! et quelle inutilité, aussi… Elle est fortement dépendante de moyens technologiques très avancés _ vive (et vivement, aussi !) la caution du « moderne« , de l’« up-to-date » ! _ et largement répandus, avec une base de production industrielle évidente _ l’invisibilité, la non-exhibition, n’ayant pas la moindre fonctionnalité ; et les exemples (les dits « people » : ils ont tellement besoin du regard populaire ! ainsi que de l’audimat : sinon ils seraient plus nus que nus…) venant de haut !

De ce point de vue, il devient difficile de faire la différence entre œuvre à proprement parler _ en dur ? durable ? et par quels facteurs, donc ?.. on doit se le demander aussi… _, décoration, environnement et expérience de consommation commerciale. Ceci va de pair dans nos sociétés de consommation et de plaisir avec une esthétisation _ soft, très soft… _ de la vie qui touche de plus en plus de domaines : la mode, le design, l’esthétique corporelle, la cuisine, la culture physique, la chirurgie esthétique, le secteur du luxe et jusqu’aux beaux sentiments _ affichés, sinon ça n’en mérite pas la peine ! _ qui sont devenus obligatoires sous peine d’incorrection politique ou morale _ car voilà le nouveau standard (d’intégration/exclusion) !

Dans l’idée courante, l’industrie du luxe produit sous des noms _ magiques ! _ de marque prestigieux des objets _ de prix d’achat conséquent ! _ faits de riches matériaux travaillés par des artisans exceptionnels pour des élites _ mais qui « le valent bien » vraiment, elles ! Pas seulement au niveau du slogan à l’adresse de tout un chacun acheteur de produits seulement « dérivés« , selon le slogan (efficace !) de l’Oréal, la marque de Liliane Béttencourt… Il faut déjà réfléchir qu’une somme _ réunie, rassemblée, pas seulement amassée _ d’objets fait un décor et un décor une ambiance, comme celle que l’on trouve quand on visite les demeures des « grands collectionneurs«  _ type Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent…

Les industriels du luxe poursuivent cette production, notamment à destination de leurs nouveaux marchés, ceux qui ont le mieux résisté à la crise, les marchés des pays émergents d’Extrême-Orient ou des Émirats arabes.

Il y a cependant un écueil très dangereux _ de banalisation ! _ pour les firmes comme pour les consommateurs, celui de la production industrielle de produits de luxe, qui deviennent en réalité ce qu’on appelle des « produits dérivés » et donc des produits de grande consommation _ la plus large possible : chiffre de vente oblige ! _, même si demeure le fétichisme _ sinon, pas d’achat ! _ de la marque.

Le secteur des parfums est, à cet égard, exemplaire, puisque les parfums sont pour la plupart produits par des maisons prestigieuses de haute couture dont les produits propres _ les vêtements _ sont inabordables _ of course ! et off course_ pour le consommateur moyen : la femme qui achète un parfum Saint-Laurent ne s’habille en général pas _ c’est ici un euphémisme _ de robes originales Saint-Laurent _ vivent (et prospèrent) les conduites magiques de « participation » imaginative…

Comme variante de cet écueil, il y a cet autre danger _ pour les finances des détenteurs de droit des « marques » ! pas pour ceux qui se parent des ersatz… _ qu’est la contrefaçon : elle se répand elle aussi de manière industrielle _ appât des gains obligent ! _ au même rythme que la production originale ; et elle ne peut guère être combattue qu’au nom de principes juridiques dès lors que tous les produits dérivés se rapprochent les uns des autres au point de se confondre _ aïe ! _ pour des raisons de production de masse _ il faut donc maintenir soigneusement les « distinctions » marquées dûment autorisées, labélisées…

Des enquêtes récentes sur les produits que les personnes de revenus supérieurs associent _ imaginativement sociétalement _ avec le luxe aux USA, en France et au Japon témoignent d’un changement significatif de la perception _ sociétale _ du luxe, et qui s’accorde avec ceux à l’œuvre dans les arts visuels _ dûment estampillés, eux, probablement, du moins : le doute s’y insinuerait-il donc ?..


Certes les Français comme les Américains associent encore l’idée du luxe à des objets comme les voitures, les bijoux, les œuvres d’art, les vêtements, les montres, mais ils associent aussi le luxe avec avions privés, yachts, hôtels, villas, voyages, parfums, clubs réservés, toutes choses qui renvoient à des expériences _ voilà ! _ comme celles du voyage, du tourisme, de l’évasion rapide et rare _ et chère. Le luxe, c’est en ce sens l’expérience de la vie légère et rêvée _ exotiquement _, une qualité d’expérience rare réservée à des happy few _ pouvant se les payer (ou faire offrir) ; jusqu’à en faire étalage ; cf le bling-bling des people au pouvoir dans ce que sont devenues nos malheureuses démocraties ! _, en échappant _ ouf ! vive la « distinction«  bourdieusienne… _ aux objets banals produits en masse pour les masses. La plupart des industriels du luxe confirment cette évolution : face à l’industrialisation de produits qui sont au bout du compte très proches, qui sont de toute manière banalisés et n’ont plus de luxe que la marque _ aïe ! _, il leur faut désormais soit vendre ces produits comme des expériences _ subtiles ! _ particulières, soit vendre des expériences luxueuses tout court.

La publicité du marketing expérientiel _ un concept bien intéressant ! _vend non pas des parfums pour parfumer, mais des expériences de parfums Dior, ou Saint-Laurent, ou Prada _ mazette !

On n’a pas été assez attentif à certains comportements en apparence seulement bizarres ou excentriques qui font entrer dans le monde de l’expérience tout court _ mais une expérience rare _ difficile d’accès _ considérée comme nouveau luxe, par exemple les premiers balbutiements du tourisme spatial. Seules quelques personnes peuvent s’offrir (et songent pour le moment à s’offrir) ces voyages en orbite qui coûtent des dizaines de millions de dollars. Le luxe ici, c’est celui d’une expérience réservée à quelques-uns seulement, comme dans le temps on s’achetait un « baptême de l’air » en avion ou en hélicoptère, voire, il n’y a pas si longtemps, une escapade en Concorde menant de Paris à Paris via le survol aussi rapide qu’absurde de la côte atlantique de la France.

La fascination pour les privilèges _ voilà : l’inverse de l’égalitaire ; cf le « Qu’est-ce que le mérite ? » d’Yves Michaud ; et mon entretien avec lui dans les salons Albert-Mollat le 13 octobre dernier ; ou mon article sur tout cela : « Où va la fragile non-inhumanité des humains ?«  _, pour les « listes« , pour les carrés réservés, les clubs exclusifs _ fermés aux autres ! renvoyés à leurs misérables pénates de ploucs ! _, pour les traitements différenciés des consommateurs selon leur pouvoir d’achat _ au niveau même des cartes bancaires _ relèvent aussi de ce transfert de la qualité de luxe sur des expériences rares et réservées _ qui en leur fond _ voilà un critère assez intéressant… _ peuvent être aussi inintéressantes _ tiens-donc : selon quels critères ? et quels « fondements » ?.. ah ! ah ! _ que l’expérience ordinaire _ trop « commune » ; pas assez « branchée«  _ ouverte à tous, mais dont la condition de rareté exclusive fait toute la précieuse différence _ rien que structurelle ; de comparaison strictement « idéelle«  : sans contenu ; et sans fond ! Voilà l’authentique misère se pavanant en transports et résidences « de luxe« … Quand ces rois-là _ cf le magnifique conte d’Andersen « Les Habits neufs du roi«  _ sont plus nus que nus !!!

Toujours selon ces enquêtes, les Japonais demeurent, en revanche, étonnamment traditionalistes, puisqu’ils continuent d’associer prioritairement le luxe aux montres, aux sacs à main, aux automobiles, aux bijoux, aux habits et aux chaussures. Il faudrait cependant prendre en compte qu’ils ont une conception de l’art et des expériences esthétiques fortement différente des nôtres, faisant depuis bien longtemps place à des qualités sensibles qui ne sont pas des qualités d’objets _ en dur _, mais d’expériences _ justement… _ et d’environnements (le vieux, le fragile, la beauté de l’âme intérieure ou celle de la nature en train de changer) _ de l’homo spectator ; et de l’actus aestheticus, si je puis dire ; en un contexte plus prégnant, in fine, que le seul objet envisagé en lui-même…

Au fond, de même que l’art est devenu gazeux, le luxe aussi se transforme ou, mieux, se vaporise en expériences _ gazeuses… Le parfum, si central dans l’esthétique de Baudelaire _ certes ! _, mérite de retrouver aujourd’hui la place pivot qu’il devrait tenir dans toute conception de l’expérience esthétique en général _ y compris authentique ; je renvoie ici aux œuvres-maîtresses de mes amies Baldine Saint-Girons, « L’Acte esthétique« , et Marie-José Mondzain, « Homo spectator » : des must !

Même si la formule est à l’emporte-pièce, on peut dire : «Finis les objets _ en dur _, bienvenue aux expériences _ gazeuses _ _ soit le statut de privilège du « singulier » jusque dans la sensation la plus évanescente : soigneusement présentée (à acheter : cher !) comme « hors-normes« 

Photo © AFP (La Salière de Benvenuto Cellini)
Photo © Reuters (Crâne de diamants de Damien Hirst)

Rédigé le 29/12/2009 à 12:34 dans Arts

Commentaires

« L’expérience » une fois morte et nous avec, il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte, comme la question de la dérive le proposait et l’engage, mais à une fuite en avant dans le calculable que l’on thésaurise, avec l’avidité de celui qui toujours inquiet de ce qu’il risquerait de manquer reste étanche aux effets de présences qui s’offrent à lui, dans le plus simple appareil et d’un splendide dénuement.

Rédigé par : bénito | 30/12/2009 à 14:03

C’est ce très remarquable « commentaire« -ci, de Bénito, que je souhaiterai « commenter » un peu en détail ici même, maintenant :

«  »L’expérience » une fois morte, et nous avec » : devons-nous nous résigner à ce « constat«   ? Que Georges Didi-Huberman qualifierait sans doute d’« agambien » ; mais estimerait d’un pessimisme excessif : « à mieux gérer« , selon une autre expression, encore, après celle de « destruction de l’expérience« , de Walter Benjamin, que cite Didi-Huberman.

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide _ = un symptôme de nihilisme ! parfaitement !!! et gravissime… _ dans la recherche de différenciation _ si dérisoirement vaines !

et il faut en effet, et très énergiquement, en éclater de rire !!! montrer le degré astronomique : kakfaïen (cf son immense  « Journal« ) ! bernhardien (cf son autobiographie si géniale, ainsi que le magnifique opus ultimum « Extinction«  ) ! kertészien (cf  ce chef d’œuvre absolu qu’est « Liquidation« ) ! de leur « ridicule«  ! _

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation

des zombies _ oui : il faut le proclamer sans cesse ; jusqu’à courir le crier sur tous les toits de la planète : ce ne sont rien que des « zombies« , ces pauvres fantôches qui se pavanent à « faire« , aux micros et devant les caméras des journalistes (complices pour la grande majorité d’entre eux ! des « chiens de garde« , dirait Nizan…), « les importants » ! _

des zombies 

parallèles _ qui ne se rencontrent jamais ; même et surtout en des fantômes de rapports amoureux ; cf le lacanien : « il n’y a pas de rapports sexuels » ; cf aussi le judicieux et très clair « Éloge de l’amour » d’Alain Badiou, ainsi que mon article récent sur cette conférence (donnée à Avignon, avec Nicolas Truong, le 14 juillet 2008), le 9 décembre dernier : « Un éclairage plus qu’utile (aujourd’hui) sur ce qu’est (et n’est pas) l’amour (vrai) : “L’Eloge de l’amour” d’Alain Badiou«  _

que nous sommes » :

que nous sommes, sinon déjà devenus,

du moins en train de devenir, bel et bien, en effet ; si nous n’y résistons pas si peu que ce soit ! un peu plus, davantage, en tout cas, que nous ne le faisons, bien trop mollement, pour la plupart d’entre nous !..

A preuve,

cette incise :

hier même, à mon envoi de l’article commentant la belle et forte indignation de Henri Gaudin quant à l’indigne, en effet, « restauration » qui menace un des plus sublimes hôtels parisiens du règne de Louis-le-Juste (en 1640, ou 42), à l’étrave si belle de l’Île Saint-Louis : « Le courage d’intervenir d’un grand architecte, Henri Gaudin : le devenir de l’Hôtel Lambert dans une société veule« , que voici :

De :   Titus Curiosus

Objet : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 28 décembre 2009 17:28:12 HNEC
À :   Barocco

Voici l’article
en hommage à l’Art du siècle de Louis XIII :
http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/
Titus

Ps :
voici aussi _ il n’y a là rien de vraiment « personnel«  (à éviter de rendre public sur le blog)…  _ le mot que je viens de recevoir de Marie-José Mondzain _ à laquelle j’avais adressé ce même article _ :

merci cher Titus
grâce à vous je lis des livres que je ne penserais jamais à lire
j’écoute des musiques que je n’aurais jamais connues sans vous
oui je lis vos longues phrases et je m’y retrouve très bien !
plein de  vœux chaleureux et d’amitié fidèle

mjm

un ami,

très remarquable entrepreneur de produits artistiques de la plus haute qualité _ il s’agit de ce qui se fait de mieux aujourd’hui dans l’offre musicale _, a répondu ceci à l’envoi de cet article à propos de l’Hôtel Lambert » :

De :   Barocco

Objet : Rép : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 30 décembre 2009 15:02:07 HNEC
À :   Titus Curiosus

Cher Titus,
Merci de ton envoi, toujours pertinent et impertinent. On y voit que tu n’as pas perdu l’espoir, ce qui n’est pas mon cas…
Le dicton de saison : meilleurs vœux !
Amitiés,

Barocco

Nous en sommes donc là en notre belle France… Fin de l’incise ;

et retour au commentaire mien du « commentaire » par bénito de l’article d’Yves Michaud !

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes,

à travers le culte _ voilà _ de qualités d’expériences

_ des individus les ressentant, fugitivement, en leur subjectivité, seulement : ce qui fait le fond, rien moins de la thèse d’Yves Michaud _

qui ne doivent rien _ ni ces « expériences« -ci, ni leurs « qualités« -là… _ à l’attention que l’on y porte

_ et c’est là, ce point-ci de l’« attention«  !, tout le point décisif de l’analyse très fine de bénito ! _ ;

comme la question de la dérive _ qui intéresse Bénito sur son propre blog… _ le proposait

_ en marquant l’affaiblissement, précisément, de cette « attention« -ci en question : fuie ! esquivée ! voire anesthésiée, carrément, dès qu’elle engage à si peu que ce soit :

de l’ordre de ce qu’une Baldine Saint-Girons qualifie si justement d’un « acte » proprement « esthétique » !.. ;

et donneur, lui, « l’acte esthétique«  vrai,

non pas de « plaisir« ,

mais, proprement

_ à mille lieux de l’hédonisme et du dilettantisme (que dénonçait le grand Étienne Borne _ 1907 – 1993 _, en son lumineux « Problème du mal« , en 1963, aux Presses Universitaires de France… _,

donneur de « joie » :

« joie » où s’exprime, se déploie et s’épanouit, aussi _ et c’est même essentiel ! pour l’« humanité«  même de la personne !!! _, quelque chose des qualités propres (en expansion alors) du sujet singulier qui les vit, qui les sent et ressent (et les « expérimente« , ainsi que l’exprime superbement la langue précise et éclairante de Spinoza :

en ces occurrences, un peu rares, certes, là, mais il nous revient de le « découvrir » personnellement, et de l’« apprendre« , et « cultiver » _ cf ici aussi l’immense Montaigne, en ses « Essais« , tout spécialement le dernier, qui ne s’intitule pas tout à fait pour rien « de l’expérience« , au chapitre 13 de son livre III !… _ « découvrir« , « apprendre » et « cultiver » par nous-même : « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels«  ;

en ces « joies« -là ! où nous passons, on ne peut plus et on ne peut mieux effectivement, à une puissance supérieure ; ainsi que le détaille Spinoza en son « Éthique » (V, 23)…) ;

car c’est du « déploiement » même de nos « qualités » propres et singulières qu’il s’agit bien à l’occasion des joies de ces « expériences » épanouissantes de « rencontres« -là !  » ;

fin de l’incise sur la « joie » même de l’« acte esthétique«  _,

Je reprends donc le fil de la phrase de Bénito :

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte

comme la question de la dérive le proposait

et l’engage _ on ne peut plus concrètement ; empiriquement _,

mais à une fuite en avant _ oui ! infinie… et pour rien… : dans la pure vanité du vide... _

dans le calculable que l’on thésaurise » _ voilà la fausse-piste et l’impasse proposée par la pseudo modernité capitalistique ; là-dessus lire Locke, qui, en père-fondateur de la « pensée libérale«  moderne, en « crache » carrément, et noir sur blanc, le morceau (en son « Essai sur l’entendement humain« , en 1689) à propos des astuces pour faire « travailler » (d’autres que soi) en (les) faisant « désirer » (quelque hypothétique, seulement fantasmée, « consommation«  du pseudo « objet du désir« ) en perpétuelle « pure perte« , ou insatisfaction empirique ! Lire donc un peu (et/ou un peu mieux) les philosophes pour comprendre mieux notre présent ; plutôt que bien des économistes qui vous embrouillent tout, au jeu du bonneteau… _,

« avec l’avidité de celui qui

toujours _ mais mal _ inquiet de ce qu’il risquerait de manquer _ c’est là le leurre du piège même si bien décrit par Locke _

reste étanche _ l’adjectif est superbe, bénito ! _ aux effets de présences _ mais, oui : cf ici le magnifique travail, en 1991, de George Steiner : « Réelles présences _ les arts du sens« … ; mais cf aussi les travaux de Georges Didi-Huberman sur la scintillance vibrante des images pour nous _ qui s’offrent à lui,

dans le plus simple appareil

et d’un splendide dénuement« 

_ c’est absolument superbe de justesse ; et me rappelle le plus éclairant des analyses les plus récentes de Georges Didi-Huberman, justement, tant dans « Quand les images prennent position« , à propos de Brecht, que dans « Survivance des lucioles« , que je viens juste de terminer de lire : à propos de Pasolini, notamment, outre Walter Benjamin et Giorgio Agamben _ Pasolini suivi tout au long du parcours de son œuvre, et d’écrivain comme de cinéaste. Un livre très intéressant en la finesse précise de ses éclairages !..

Voilà qui en une phrase unique dégage l’essentiel _ à mes yeux du moins : c’est cette position-ci  que j’estime (et à un rare point de perfection, même !) juste ; et partage !

Le reste des « commentaires » va probablement un peu moins, ou un peu moins bien, à l' »essentiel » !

Les voici, néanmoins :

Excellent !

Rédigé par : Newsluxe | 29/12/2009 à 19:19

Sur la tension « luxe » (gazeux) / « œuvre » (dure), cf mon article « http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/ »

Titus Curiosus

Rédigé par : Titus Curiosus | 29/12/2009 à 18:09

A relier avec le concept de « destruction de l’expérience » chez Walter Benjamin ; puis Giorgio Agamben ;
ainsi que la « réplique » à cette expression _ en fait des « nuances« , plutôt… _ de la part de Georges Didi-Huberman en son tout récent « Survivance des lucioles » : afin d' »organiser le pessimisme« , comme il le présente…
Pour ma part, je « résiste » (à ces « faits de société« , sinon « de mode » ! de l’ordre du « gazeux« , cher Yves !) sur la « ligne« , voire la « pierre de touche« , plus « dure » _ est-ce là une illusion idéaliste ?.. _ de l’œuvre…
Suis-je en cela hors « empirisme » ?..
En tout cas, je renâcle…

Titus Curiosus

Rédigé par: Titus Curiosus | 29/12/2009 à 17:52

Intéressant. Je ne trouve guère toutefois d’allusion, dans cette longue réflexion, à l’art musical _ et donc au luxe musical, puisque selon YM les deux notions entretiennent des liens assez étroits.

Rédigé par : Sessyl | 29/12/2009 à 17:41

le luxembourg a surement la même racine.

Rédigé par : Salade | 29/12/2009 à 16:32

bravo! pour le texte, le luxe c’est surtout un mélange de style et d’intelligence, surtout d’intelligence

Rédigé par : romain | 29/12/2009 à 15:54

J’ai l’impression que les commentaires sur ce blog seraient un luxe : du simple fait de leur rareté.
La fosse d’aisance d’un bidonville suburbain serait-elle de l’art, un ready made ?

Rédigé par : JPL | 29/12/2009 à 14:10


Voilà !

Voilà de quoi méditer sur et le devenir des Arts, et le devenir de l’expérience esthétique _ en ses acceptions contradictoires, même !


Titus Curiosus, ce 31 décembre 2009

Désir et fuite _ ou l’élusion de l’autre (dans le « getting-off » d’un orgasme) : « L’Etreinte fugitive » de Daniel Mendelsohn

08fév

Un grand beau livre _ et socio-historiquement significatif (sinon important !) _, que cette « Étreinte fugitive« , par Daniel Mendelsohn,
qui paraît cette fin janvier 2009 aux Éditions Flammarion,

traduit de l’américain « The Elusive Embrace«  _ dont le sous-titre, curieusement in-apparent ici (?), en son édition originale (« by Alfred A. Knopf« ) le 24 mars 1999, était « Desire and the Riddle of Identity » :

une clé, pourtant ! car c’est bien à cette « énigme de l’identité » (personnelle) que se confronte l’enquête éminemment personnelle _ et passionnante _ de Daniel Mendelsohn, qui n’est pas tout à fait un essai philosophique, ni une enquête socio-psychologique, voire psychanalytique à visée générale, mais bien le récit d’une quête existentielle personnelle, celle de l’individu Daniel Mendelsohn, né en 1960 dans une banlieue de New-York (sur l’île de Long Island)…

En un fort utile « Au lecteur français » (de novembre 2008), l’auteur présente ce « livre« , « L’Étreinte fugitive« , comme le premier « panneau d’une entreprise que je me suis toujours _ dès l’origine, donc ! en amont même de sa mise à l’écriture même !!! _ représentée comme un triptyque«  : afin de clairement remettre en sa perspective originelle le livre paru en France le 29 août 2007, dans une traduction de Pierre Guglielmina, et qui connaît un immense succès _ mérité : un chef d’œuvre !!! _ international : « Les Disparus« , paru initialement aux Éditions Harper Collins, le 19 septembre 2006. En fait, « The Lost«  signifie « Le Perdu«  ; par contraste avec « The Found« , « Le Trouvé« , ou même « Le Retrouvé«  : comme pour Proust, en sa « Recherche« 

et le troisième et dernier« panneau » du « tryptique« , demeurant, lui, à écrire _ et à écrire en France, maintenant, en cette année 2009, ai-je cru comprendre ; même si Daniel Mendelsohn sera aussi l’hôte de Rome et de l’Italie, en cette année 2009…

Car « à première vue, les lecteurs familiers des « Disparus« 
_ sur lequel on lira avec un immense profit le très beau compte-rendu qu’en fit, très tôt (le 30 octobre 2007), et d’un point de vue plutôt historien, Ivan Jablonka sur le site (si riche !) de laviedesidees.fr : « Comment raconter la Shoah ? _ à propos des « Disparus » de Daniel Mendelsohn » _

pourraient être tentés de penser que le sujet de ce « nouveau » livre

_ qu’est pour un lecteur francophone « L’Étreinte fugitive« , donc… _,
qui est une méditation approfondie sur la nature et le sens de ce qu’il y a de plus intime dans la vie de chacun

(les hommes et les femmes
_ et pas les « garçons« , comme il en fera la distinction d’avec les « hommes«  ; ni les « filles« , d’avec les « femmes » _
les pères et les fils
_ le chapitre « Paternité« , pages 135 à 217, étant peut-être la clé du « puzzle«  de l’« énigme«  (« riddle« ) de l’« identité » personnelle… _,
la sexualité
_ qui nous traverse tous, et d’amont en aval, et réciproquement, en de multiples pistes _),

n’a pas grand chose à voir avec le sujet de mon « précédent » livre

_ pour le lectorat francophone, donc : « Les Disparus » _
(l’histoire familiale
_ du côté maternel, les Jäger (et du côté de Bolechow, en Galicie),
bien davantage, pour ne pas dire exclusivement, que du côté paternel, celui des Mendelsohn (guère loquaces en fait d' »histoires« , à commencer par la leur, quant à eux ;
pas plus que riches en « photos » (prises et/ou conservées), non plus !
_,

la culture juive, les événements de la Seconde Guerre mondiale).

Mais, comme je l’ai souvent dit
_ et certains d’entre vous
_ Français _ m’ont peut-être entendu _ à Paris même, ou via les ondes de la radio _ le dire dans ce français que _ professeur de littérature « classique » formé au Grec et au Latin en ses études à l’Université de Virginie (à Charlottesville) et à Princeton _ je parle avec ferveur, à défaut de le parler bien _ Daniel Mendelsohn n’est-il pas aussi un très éminent lecteur d’« A la recherche du temps perdu » et de tout l’œuvre de Marcel Proust ?.. _,

je n’ai jamais conçu « Les Disparus _ « The Lost : A Search of Six of Six Million » : cette fois encore, le titre originel, non plus que le sous-titre, ne fut pas retranscrit en français par l’éditeur, Flammarion… _
comme « un livre sur la Shoah ».

Pour moi, c’est un livre qui parle _ oui ! _ de la relation angoissée, mais enrichissante, que le présent noue avec le passé
_ avec les « voix » (et regards des visages, aussi, via des photos) duquel, passé, se « re-brancher » est si nourrissant et libérateur (du présent _ polysémiquement !..) _ ;

que le moi noue
_ mais en sachant aussi s’en mettre un peu
(et pas que géographiquement :
« Géographie » est le titre, important, lui aussi, du chapitre premier de « L’Étreinte fugitive« , pages 15 à 66)
à distance
_

que le moi noue _ donc… _ avec la famille et ses traditions,
une relation que le moi a, en réalité, avec une tradition culturelle beaucoup plus vaste

_ sujets qui intéressent tout un chacun, ai-je tendance à penser _ commente au passage Daniel Mendelsohn, page 12 de ce « Au lecteur français« .

Cela n’a guère de sens, néanmoins, de réfléchir
_ ce que fait très effectivement Daniel Mendelsohn en ces « essais » d’engagement aussi très « personnels » ; et magnifiquement ! _
à ces relations cruciales
_ oui ! c’est le mot on ne peut plus juste :
à la croisée des voies et d’amont et d’aval, tant biologiquement que culturellement, bien sûr !
_

_ ne parlons pas des responsabilités intellectuelles, psychologiques et éthiques que cela implique _ et ô combien ! commente lui-même Daniel Mendelsohn _ _

sans s’être auparavant penché sur le moi qui est au centre _ du réseau vibrant _ de ces relations,
qui est le sujet de cette réflexion
_ qu’est « L’Étreinte fugitive« . Cet examen
_ oui ! et passionnant, de longue venue, pour l’auteur, et en temps comme en espace _
est, précisément le fil rouge de « L’Étreinte fugitive » : parfaitement !


Daniel Mendelsohn le précise :

« De fait, dès que vous commencerez à lire ce livre, vous verrez que si les questions qui le sous-tendent sont d’un ordre très intime

_ sur l’intime, lire Michaël Foessel : « La Privation de l’intime » (cf mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » ; et lire Roland Barthes : des « Fragments d’un discours amoureux » et du « Roland Barthes par lui-même » au tout récemment publié, le 5 février 2009, « Journal de deuil« , en passant par « La Chambre claire« , et d’autres _

(qui suis-je ? quelle est mon identité ? qu’est-ce que l’« identité » au bout du compte ? est-elle faite d’une seule pièce ou de plusieurs
_ suis-je une seule chose
_ « chose » ? non… _ seulement, ou davantage ? le « cœur » _ nourrissant, irriguant _ de mon identité est-il non mélangé, indépendant _ non : « nul n’est une île !«  _ du monde extérieur ; ou est-il tributaire des relations _ oui ! et redevable… _ que j’ai avec les autres _
auquel cas
_ qu’examine l’important, lui aussi, chapitre « Multiplicité« , des pages 67 à 134 _
lesquelles sont les plus déterminantes _ et selon quelle « échelle » ? _ pour établir « qui je suis » : celles que j’ai avec mes parents ? mes enfants ? les gens avec qui j’ai des relations sexuelles ? ceux dont je suis amoureux ?) _

vous verrez _ et, en effet, nous le découvrirons ! _ que si ces questions sont d’un ordre très intime _ reprend le fil, ou film, de sa phrase, après son incise, lui aussi (!), Daniel Mendelsohn _,

elles présagent tout simplement celles qui devaient nourrir
_ oui ! et combien richement et bellement ! « Les Disparus » est un chef d’œuvre somptueux !!! à lire toutes affaires cessantes ! (et il vient de paraître en édition de poche en collection « J’ai lu« , ce mois de février-ci…) _

le livre suivant _ « Les Disparus« , donc _
(qui sont les gens de ma famille ? qui sont vraiment _ l’adverbe est très important _ mes parents _ Marlène, née Jäger (en 1931) ; et Jay Mendelsohn (né en 1929) _ et mes frères _ Andrew (l’aîné, né en 1957), Matthew (le photographe, né en 1962, qui suit Daniel dans la fratrie : Daniel, lui est né en 1690), Eric (né en 1964) _ et sœurs ? _ Jennifer (née en 1968) _

quelle est ma relation _ complexe et riche _ à leur histoire _ au double sens, d’ailleurs, et de l’histoire réelle, et du récit qui affirme la narrer ! _ quelle est ma relation au passé, de manière générale, et à l’Histoire elle-même _ en remontant aux Grecs et aux Hébreux _ ?). »

Et aussi :

« De même, les grands voyages _ en Galicie, en Ukraine, en Pologne, en Israël, en Suède et jusqu’en Australie _ que j’ai décrits dans ce dernier livre  _ « Les Disparus » _ par-delà les océans et les continents,
n’auraient jamais eu lieu si je n’avais auparavant accompli ces trajets plus réduits
_ au sein des Etats-Unis ; et vers « le Sud », la Virginie ; ou dans New-York… _ dont parle mon premier livre _ « L’Étreinte fugitive » _ :

les promenades quotidiennes que je faisais lorsque j’habitais un certain quartier de New-Yor
k

_ légérement au nord de Chelsea, 25ème rue ouest : Chelsea s’étendant de la 14ème rue à la 23ème… D’où l’importance de consulter des cartes (maps) un peu précises…
cf page 51 :

« c’est pas vraiment chelsea. chelsea finit à la 23e
au-dessus de la 23e ça devient clinton t’es nulle part en fait
« ,
comme le lui avait écrit

« un type
avec qui j’avais discuté un moment
 » « alors que je participais à un chat sur Internet » ;
« comme c’était quelqu’un dont le profil en ligne et la photo
_ là-dessus lire mon article du 22 décembre « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne) » à propos de « E-Love_ petit marketing de la rencontre » de Dominique Baqué _

me plaisaient beaucoup _ pour ce qu’il en avait à faire cette nuit-là, du moins... _
je lui ai donné mon adresse. » C’est ainsi que « au bout d’un moment un message est apparu dans un coin de mon écran » (page 50) : celui selon lequel, en logeant dans la 25e rue ouest de Manhattan, entre Chelsea et Clinton, on n’est, comme en Pologne _ selon le mot bien connu d’Alfred Jarry dans « Ubu roi » : « En Pologne, c’est-à-dire nulle part ! » _, « nulle part, en fait » !!!..

Fin de l’incise à propos des « promenades quotidiennes«  en « un certain quartier de New-York » ;

je reprends : « ces trajets :

le train que je prenais, et que je prends chaque semaine encore aujourd’hui, pour aller de Manhattan à une capitale de province qui est à une heure de là
_ où résident
celle
_ « une amie proche » _ qu’il a choisi d’« appeler Rose » et « qui est hétéro et célibataire«  (page 138),
et son fils « Nicholas«  ;

si importants, tous deux _ et c’est un euphémisme ! _ dans le devenir récent, depuis la naissance de Nicholas, une nuit d’août 1995 :

« après la naissance du fils de Rose, Nicholas, quelque chose d’étrange _ en effet ! _ s’est produit : je me suis retrouvé très profondément impliqué _ et tous ces mots sont décisifs ! je les relis, ces mots de la page 138 : « je me suis retrouvé très profondément impliqué«  ! Car sans pareille « très profonde implication« , on ne « se trouve » pas ; jamais !!!  _ dans la vie de Nicholas, qui a maintenant trois ans _ en 1998-99, lors de la rédaction de « L’Étreinte fugitive » ; il a aujourd’hui treize ans _ et dont je suis devenu le parrain le jour de son baptême, quand il avait trois mois. C’est arrivé _ oui ! _ petit à petit _ en effet _, et, en même temps, j’ai été pris par surprise

_ « pris par surprise« , page 139 : cela ne se recherche pas ! encore moins s’instrumentalise !!! ;

« pris par surprise« , je le répète ! :

Voilà : comme en tout amour véritable ; et non par quelque « calcul » de drague et d’orgasme (« getting off« , dit très explicitement un partenaire _ circonstanciel, occasionnel : « de passage » _ de ces jeux, page 118) simplement « escompté »…

Ce qui a commencé comme un jeu
_ les mots « ludique » et « elusive » (= « élusif » ou « élusive ») ont la même étymologie :
du latin « eludere« , constitué à partir du préfixe « ex » (= « hors de ») et du radical « ludere » (= « jouer »),
« éluder » signifie « esquiver », « éviter », « tromper » :
c’est même, selon l’excellente définition de la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française,

« éviter avec adresse et désir de se dérober« 

ce qui a commencé comme un jeu
de rôle
pseudo parental

_ puisque Rose et Daniel ne sont ni mariés, ni le « couple parental biologique » de l’enfant (« je ne peux pas m’empêcher de penser _ par exemple « au moment où Rose allaite ; ou quand Nicholas est enveloppé dans les courbes de son corps«  _ à quel point il doit être électrisant _ oui ! _ pour des gens qui sont amants de devenir les parents d’un enfant« , confie, comme avec regret _ c’était en 1999 _, Daniel Mendelsohn, page 168) :

« j’avais toujours pensé qu’elle
_ « j’ai rencontré la mère de Nicholas en septembre 1990, lorsque j’ai commencé _ à l’âge de trente ans _ à travailler à mi-temps dans la société où elle est employée. Une partie de son travail consiste à faire des évaluations statistiques compliquées« , précisera la page 165 de « L’Étreinte fugitive » _

« j’avais toujours pensé _ un peu abstraitement ! hors contexte existentiel, en quelque sorte _ qu’elle
ferait
_ plus concrètement, alors, forcément !.. _ une mère formidable ;
et je le lui avais dit en plusieurs occasions
_ comme quoi, les effets « de longue distance » de simple paroles…

Mais elle me demandait _ très ponctuellement, ce jour-là, au début de l’année 1995 _ à présent _ donc ! _
si je pouvais l’aider _ si je pourrais
_ et cela, en plusieurs sens du terme : possiblement, d’une part ; mais aussi si j’acceptais de (ou voulais bien), amicalement, y consentir… _

si je pourrais être un « modèle masculin »,
pas exactement un père,
mais un homme qui serait présent dans la vie de cet enfant. Un
« oncle » _ en quelque sorte.


A la différence de la fois précédente
_ « près de deux ans«  auparavant, « en 1993″ : « une femme que je connais m’a invité à boire un café et demandé d’être le père de l’enfant qu’elle projetait d’avoir« , vient d’évoquer Daniel Mendelsohn à la page précédente, page 137. « Et j’ai dit non« . Alors « je ne pouvais envisager d’être responsable _ soit « répondre de » _ de qui que ce soit d’autre que moi _ certainement pas d’un enfant« …

A la différence de la fois précédente, cette requête _ de « Rose« , donc : au tout début de 1995 _ m’a plu,
je ne me suis pas senti trop impliqué
_ une affaire de nuance (ou de « dosage ») dans l’implication d’une responsabilité ! _ pour autant _ mais est-ce faute de le « re(s)sentir » alors assez, seulement ?.. _,
et j’ai donc accepté
_ en une parole néanmoins « engageante », toutefois…

Et c’est alors que vient la réflexion _ essentielle : c’est le tournant décisif ! _ reportée un peu plus haut
à propos du processus d’
« implication » dans lequel « petit à petit » s’est trouvé « pris« , et « par surprise »
_ faute d’avoir assez « mesuré » auparavant ce à quoi sa « parole » amicale , et non matrimoniale (sans parler de l’absence de tout engendrement, ou même de rapport sexuel, entre « Rose » et lui) _
Daniel Mendelsohn… :

je peux alors terminer la phrase _ demeurée en suspens !.. _, page 139

« Ce qui a commencé comme un jeu
de rôle
pseudo parental

un peu ironique _ un mode d' »être » devenu presque consubstantiel, par auto-protection, pour le gay, quasi en permanence « sur ses gardes », qu’est Daniel Mendelsohn _

est devenu une partie très importante de ma vie. »


Avec ce très joli passage, de découverte _ et naïf (le mot provient directement de « neuf »), si l’on veut ! _, page 139 :

« C’est à cause de Nicholas _ un vrai « garçon »
_ à la différence, peut-être, de ces en quelque sorte « garçons attardés » (adolescents prolongés ; voire « adulescents », selon le mot-valise qu’a proposé je ne sais quel psychologue italien, au départ), que sont ceux qui se conçoivent maintenant comme « gays«  _

c’est à cause de Nicholas _ un vrai « garçon » _ que je divise à présent
_ en 1999 ; mais le temps passe ; et les « gays » eux aussi (comme tout un chacun de vivant-mortel sexué) vieillissent _

que je divise à présent mon temps
_ de disponible, dans l’organisation, notamment, du « travail », mais aussi des « loisirs » (dont des opérations de « rencontres » _ sexuelles : exclusivement, semble-t-il… : dans le quartier de New-York qui leur est dévolu, Chelsea, juste au sud de Clinton, et (assez) au nord de Wall Street… _

entre New-York avec ses autre garçons _ jusqu’à quel âge le sont-ils donc ?.. _
et la banlieue où vivent Rose et Nicholas.

Tous les deux ont été absorbés _ inclus, sans difficultés _ dans ma grande famille _ et fratrie _ ; et Nicholas est traité comme un neveu et comme un petit-fils
_ quant à Rose, elle est, eh bien, une sorte de belle-fille, belle sœur.
« 


Avec cette conclusion-ci, encore, toujours page 139, de ce passage-ci, pour « introduire » le très intéressant chapitre 3 :  » Paternité » (pages 135 à 217) :

« Ce que vous apprenez _ ici sans avoir rien fait (de facto, si je ne crains pas trop la redondance pléonastique…) en matière d’engendrement ; puis « par surprise« , au fil des jours et de l’évolution de ses rapports avec l’enfant, qui n’est d’abord qu’un tout petit bébé : à travers l’échange des regards !!! _ avec la présence _ prenante ! _ d’un enfant dans votre vie _ au quotidien : rien d’élusif ici !!! ; et si « étreinte » il y a bien, de facto, dans la tenue du bébé, et dans les soins qu’on lui prodigue, elle n’a rien, ici, d’orgasmique ! _, c’est ceci : oubliez tout ce à quoi vous vous attendiez.« 


Autrement dit, rien à voir avec les répétitives _ fermées _ séquences de « baise », ou de « getting-off«  :
cf la remarque tellement signifiante, page 118 :

« ce genre de soulagement s’appelle le « getting-off »,
expression qui véhicule assez bien l’impulsion
_ qu’il faudrait mieux, cher auteur de l’essai, analyser !!! _ qui sous-tend ces rencontres, l’envie de se débarrasser _ « vider les vases », disait Montaigne… _ de quelque chose d’urgent,
d’une certaine quantité de sperme.

Plus d’une fois, après un « getting off » de ce genre, un type _ le terme est déjà bien significatif _ m’a dit, en ne plaisantant qu’à moitié, au moment de quitter mon appartement où il venait de passer son heure de déjeuner, « Bon, je vais pouvoir me concentrer sur mon travail, maintenant » ;
et en refermant la porte
_ le plus important, probablement ! « Out ! »_ je me suis aperçu que j’étais dans le même état d’esprit. »

Avec cet ultime commentaire de Daniel Mendelsohn, encore, pour ce passage à propos du « getting-off« , page 118 :

« Mais naturellement l’urgence _ « pressante » du besoin, confondu ici avec le désir (!) _ revient bien assez vite ; et la recherche _ volontariste et compulsionnelle : dépourvue de disponibilité à une authentique altérité d’un autre, d’une personne, d’un visage, et sans lunettes noires de soleil Armani (cf l’anecdote page 122) ; d’un visage qui soit celui, infini, et « vrai », lui, de quelqu’un qu’on aime… ; et avec le regard de cet autre que soi… _ d’un nouveau partenaire _ objet seulement ! _ recommence. »

Dispositif (de recherche = « drague ») volontariste et compulsionnel _ j’y reviens donc _ auquel Daniel Mendelsohn avoue lui aussi _ est-ce toujours le cas aujourd’hui ? pas mal d’eau ayant coulé depuis lors sous le pont (de Brooklyn)… _ se plaire (ou complaire) en la répétitivité, partenaire d’un soir après le partenaire du soir précédent _ et surtout pas le partenaire du soir prochain ! du lendemain ! « pas de futur » de ce côté-là ; rien que de l' »élusion »… _,

ainsi qu’il le décrit en un « charmant » portrait, non dépourvu d’une touche de condescendance amère _ et vengeresse, aussi (page 127) _ d’un de ses amis gay : ou « Don Juan gay » :

le passage (pages 125 à 128) succède à celui de « l’absence de regard (pages 122, puis 123 !)  _ « impossible de voir à quoi ses yeux ressemblent » (page 122, sept lignes et trois phrases plus haut que la première occurrence d’« absence de regard«  !) _ du mannequin Armani«  (la narration de l’épisode de cette photo du « garçon Armani » (page 124) se déroulant des pages 122 à 124…).

« La répétition n’est pas le problème, mais le but de toute cette affaire« , formule excellemment la chose, Daniel Mendelsohn, page 121.

Ou :

« le plaisir en soi

_ comment interpréter la traduction ? le français est ici, involontairement (probablement !) délicieusement équivoque : à côté, et au-dessous, du sens obvie d' »à lui tout seul », vient en effet se glisser cette autre piste d’un « exclusivement à l’intérieur d’un soi » (qui serait comme une « forteresse »)… _

est séparable de l’amour. »


« Au-dessus » du « bureau » de Daniel Mendelsohn, « se trouve _ en effet, encore _ une autre photo qui m’a donné l’impression de provoquer un écho en moi, à l’époque où je l’ai vue _ pour la première fois : en page d’un magazine. C’est une publicité pour des lunettes de soleil Armani ; et elle montre un jeune homme si parfait _ en l’image ! _ que, la première fois que je suis tombé dessus _ cela ne se recherche pas _, j’ai cessé de feuilleter le gros magazine que je tenais, le coin inférieur droit de la page serré dans ma main droite, et je me suis mis à la fixer. Comme il porte des lunettes de soleil, il est impossible de voir à quoi ses yeux ressemblent. Ça ne me dérange pas vraiment » _ remarque Daniel Mendelsohn, page 122…

Et il compare cela, page 123, avec le fait qu’« on ne voit pas les yeux sur la plupart des nombreuses photos qui sont postées sur les chats d’AOL (…). Ces photos ne montrent _ exposent, exhibent _ souvent qu’un torse, ou un corps  _ tronqué ; ou plutôt étêté ! _ depuis le cou jusqu’aux pieds ; ou parfois simplement le pénis en érection _ sont-ils photogéniques ? Le caractère incomplet de ces photos s’explique en partie par un désir de discrétion : certaines des personnes qui postent ces photos sont (…) bien connues dans les cercles étonnamment réduits qui constituent la société gay des grandes villes ; et, pour la plupart des hommes, l’embarras éventuel de se voir associé _ ah ! _ à la photo en ligne d’un corps exhibant une érection ne vaut pas une « séance de sexe », même géniale (sic). Ce qui m’intéresse _ et nous, lecteurs, à la suite de l’essayeur _ dans ces photos incomplètes (…), c’est le fait qu’elles ne semblent pas _ au « regardeur » _ vraiment incomplètes _ elles me paraissent parfaitement naturelles _ dit l’auteur, toujours page 123 _, comme est naturelle l’absence de regard du mannequin Armani » (sic).

Nous approchons ici du principal de l’analyse…

« Les visages _ poursuit-il _ m’ont l’air superflus ici : ce sont les corps _ les corps seuls, ajouterai-je, pléonastiquement ; des corps sans regards, ni visages : soit la pure et simple pornographie, rien moins… _ qui excitent _ soit une forme assez spécifique de « photogénie »… _ ;

les corps que, grâce à un entraînement _ exigeant et performant _ assidu, nous pouvons _ instrumentalement : telles des poupées ! ou des mannequins, en effet ! des professions à succès !.. _ façonner _ ce qui ne peut se faire (en rien !) de qui on aime (vraiment) !.. _ pour qu’ils se rapprochent d’une image _ de corps _ idéalisée,

bien mieux que nous le ferions avec nos visages _ qu’en est-il, cependant, des prouesses de la chirurgie esthétique ? sinon des techniques les plus sophistiquées (cf « Gorgias«  de Platon : 464 b465 c) du maquillage ? _ et leur idiosyncrasies _ singulières, donc _ récalcitrantes, faites de narines, de joues et de mâchoires. »

Avec ces inférences, page 124 :

« En lorgnant le garçon Armani sans regard _ because les lunettes noires (Armani !) _ et en passant tout à coup aux photos sans tête _ ni marques _ d’AOL,
je me rends compte que le premier
_ le garçon sur la photo _,
qui cherche à provoquer une sublimation
_ avec « déplacement« , dirait Freud _ (« Achète ces lunettes, c’est comme une baise fantastique »),
est aussi gay dans son essence
que les autres
_ exhibés sur AOL _,
avec leurs promesses sans ambiguïté de gratification sexuelle immédiate (
« Appelle-moi, je te promets une baise fantastique »).
 »

Et ce en quoi il est « aussi gay«  _ sur l’écran d’Internet (chez soi) _ « que les autres« , selon Daniel Mendelsohn,
« ce sont les lunettes de soleil, je m’en aperçois _ en y réfléchissant _ ;

l’absence de regard chez lui. »

Car
« sans le regard,
il ne peut être un sujet ;

pas même le sujet de son propre regard désirant ;

il ne peut être _ donc, ou en conséquence d’un tel dispositif photographique (publicitaire) _ qu’un objet  _ ce qui peut et « reposer », et « amuser » (telle une absence ; ou un voyage-crochet _ ou « tourisme » _ auprès du désert du rien…) ; « qu’un objet«  de convoitise _ pour le désir des autres. »

Il se prête (ou s’expose : très momentanément !) au désir des autres _ et surtout sans jamais s’y donner ! ni durer…

Et Daniel Mendelsohn poursuit son analyse sur « la contenance » (froide) que se donnent ces provocateurs de désir, ou du moins d’érection :

« puisque c’est cette contenance que nous _ les gays _ adoptons, comme un masque _ en effet, et en permanence similaire, en ce « jeu » érotique _ quand nous allons dans des bars ou des boîtes :

un égocentrisme _ exclusivement tourné sur soi _

tel qu’il n’exige rien de vous _ là c’est du « spectateur » « à attirer » (voire du lecteur qui participe à l’analyse par sa lecture) qu’il s’agit… _,
si ce n’est que vous le regardiez. »

Et, cette « contenance » froide
_ pour ne pas dire frigide (en même temps que « brûlante » pour qui s’y laisse prendre et entraîner : à « désirer ») _,

« c’est l’expression qui vous permet de ne pas être le sujet, celui qui désire, l’incomplet (!) qui regarde en silence
_ nous ne sommes certes pas dans la version spinoziste, ou deleuzienne, du désir ; mais dans la version « désastreuse » platonicienne (du « Banquet »


_ sur les « désastres«  du désir, lire aussi le beau passage, par la professeur de Grec à Princeton, page 100, montrant « une longue liste établie par elle, alors qu’elle écrivait un article sur la manière dont les Grecs se représentaient Eros, le désir. La liste est un catalogue d’images du désastre : maladie, mort, douleurs, refroidissements, flammes, souffrances de l’esprit et du corps, pestes littérales et figurées, armes, conflagrations, flèches, poisons déluges, batailles, défaites. Ce sont les images que ces païens de Grecs invoquaient quand ils pensaient à Eros. Dans l’imaginaire hellénique de la haute période classique, l’amour est toujours une affliction«  _ qui dépossède de soi) _ ;

mais au contraire l’objet _ celui qui est parfait _ auto-suffisant _ et désiré _ par de malheureux désirants, page 124, donc.

Voilà qui me rappelle les étonnements de ma lecture, il y a plus de vingt ans, du très riche (et courageux !) « Journal romain (1985-1986) » de Renaud Camus (aux Éditions POL, en novembre 1987), en « découvrant » ses séances _ qui me paraissaient tellement répétitives _ de « baise » (homosexuelle) à Rome ; et qui retardaient tant la lecture _ délicieuse, elle, et désirée, recherchée (je suis un passionné des « trésors » de Rome !)des pages de « découverte » ravie des merveilles singulières, elles, des beautés sises, voire même (assez souvent) cachées, tout particulièrement, même si ce n’est pas exclusivement, dans des églises et des musées romains, aux horaires d’ouverture, les unes comme les autres, si anarchiques et peu prévisibles, que pouvoir pénétrer une (unique) fois en leurs antres (par exemple, lors d’une cérémonie de mariage ; ou de funérailles) faisait ainsi figure, sinon de « miracle », du moins de « grâce »…

Quant au passage (pages 125 à 128) sur le « Don Juan » gay, « un beau jeune homme _ et plus un « garçon » ! _ à l’esprit agile et à la carrière professionnelle brillante, qui couche avec un inconnu différent chaque soir, si possible » _ et cela l’est presque chaque fois _, il est encore plus significatif que celui de la photo du « mannequin Armani » :

« Ce pour quoi il vit _ mais oui ! on a bien lu ! _, ce qui _ lui _ rend le sexe intéressant et même fascinant _ et inlassablement _,
c’est la nouveauté
_ absolument nécessaire !!! _ de chaque partenaire _ si l’on veut : pour un objet ! pour un pur réceptacle de la matière du « getting off«  ! _, l’excitation _ idéelle ; idéaliste _ qu’il ressent une fois _ l’événement de ce savoir « dure »-t-il ? _ qu’il sait _ voilà ! le plaisir pur de se figurer !.. _ qu’il a séduit » _ non seulement qu’il a « eu » ou « possédé » (par son phallus) l’autre, mais qu’il le « tient » par le désir de l’autre de « revenir », voire de « rester »…

Et Daniel Mendelsohn d’ajouter, page 126 :

« Je pense souvent à ces hommes qui quittent son _ très bel _ appartement, ruisselants d’espoir ;

et lorsque j’y pense,

ce que je vois,
c’est le regard étincelant d’excitation
_ sadique, d’abord _ de mon ami _ si élégant : « délicat, intelligent, beau et doué » (page 125) _,

le scintillement de la certitude  _ jouissive (avec une part de sadisme, donc) _ infaillible qu’il les possède plus surement encore _ désormais, ainsi _ qu’au moment
où il était sur eux,
derrière eux,
à côté d’eux,

en eux » _ page 126 : Don Juan, vous dis-je ;
le dilettante, par excellence.


Cela m’évoque « Le Problème du mal » d’Étienne Borne _ livre paru en 1958, et ré-édité aux « Presses Universitaires de France« , en janvier 2001 _, considérant le dilettantisme, l’avarice et le fanatisme comme « les trois figures essentielles du mal humain« , par le refus _ sévère, inexorable, impitoyable _ de la passion, cette « épreuve continue _ et infinie, elle !.. _ d’une vulnérabilité à autrui« , quand l’autre est vraiment réellement (= à cœur perdu ; c’est-à-dire donné ; sans rien de retenu et de gardé seulement pour soi) aimé _ car c’est comme cela que cela s’appelle ! _, comme l’analyse magnifiquement Etienne Borne, là…

Daniel Mendelsohn sait bien _ il le dit page 127 _ que « nous _ et il parle des gays, d’abord _ avons tous fait ce qu’il _ l’ami don juanesque _ fait : l’excitation de la séduction, le plaisir absolu, bref, certes, mais entêtant, de savoir qu’on vous veut« ,
suivi _ immédiatement : à la minute ! _ de la fuite, du couper court (« to elude« ) ! :

« Il faudrait que je fasse le compte des garçons que j’ai moi-même fuis après les avoir possédés » _ et Daniel Mendelsohn d’en énumérer, non sans un brin de remords, quelques uns…

Car, « une fois que c’est fait _ le « getting off » ; l’orgasme, avec sa « chute » (de tension) post coïtum _, vous avez besoin _ voilà le seul terme adéquat, et non « désir » ! _ d’en avoir _ au sens qu’on interprètera _ un autre _ « au suivant ! » _ ;

quelqu’un d’autre, quelqu’un de différent _ tous sauf le(s) même(s) ! _ ;

et vous devez donc _ en un tel dispositif de fonctionnement : comparable aux parcours indéfiniment répétables (et répétés) des longueurs de bassin de la piscine ! _ supprimer _ le mot est terrible : de la liste des partenaires (-objets) possibles _ le garçon précédent,
celui que vous mouriez d’envie d’avoir
_ c’est fait ! et n’est ainsi plus « à faire » ! au lit ! _ la veille ;

vous devez
le faire disparaître

parce que si vous le re-voyez _ et avez « r-affaire » à lui _,
il sera un garçon particulier _ une personne singulière _,

et non pas simplement Le Garçon _ une idée, une image mentale, une fiction,

même si (nécessairement : « getting-off » oblige !) bien charnelle _,

pas simplement CE qui _ pas quelqu’un ; mais un quelque chose : un leurre du désir _ vous fait rester dehors toute la nuit, ou réveillé toute la nuit, ou en ligne toute la nuit
dans l’espoir
_ réaliste (= pragmatique), et qui s' »avèrera » (= passera au stade de « réalisé »), en effet, le plus souvent, en un tel « jeu » (de manège)… _ que lui, comme tant d’autres, passera dans votre petit appartement _ et votre lit, et vos bras _ où le désir _ en ce « chez vous » _ ne concerne que « vous » _ et pas lui, ni quiconque : c’est dit noir sur blanc, page 128 _,

quelque chose _ et non pas quelqu’un, une personne, avec un visage _
que vous contrôlez _ voilà : par votre intelligence et votre volonté ; votre habileté, votre ruse _,

quelque chose qui n’a rien à voir, en fin de compte

_ le terme (de la traduction française, au moins !) est parfaitement adéquat ! _
avec la personne

_ où diantre se cache(-rait ici) pareil animal-là ?

et nonobstant (ou en dépit de) la présence apparente (et tenable : charnue) de son corps... _

qui se trouve là, pour l’heure, dans la chambre. »

« Out ! »

and « Off ! » ; « Away ! »

La page  juste avant celle (page 121) sur la répétition _ j’y reviens _,
page 120, donc,

l’auteur avait émis cette thèse-ci :


« Pour beaucoup d’hommes gay _ et par conséquent pour les hommes en général, puisque la culture gay n’est rien d’autre qu’un laboratoire _ décomplexé, probablement _ où observer ce que devient la masculinité sans les contraintes imposées _ nous y voilà ! _ par les femmes :

le sexe, pour les hommes, est finalement _ « par nature », biologiquement, en quelque sorte, par un bien beau retour de l’idéologie « naturaliste » : « chassez le naturel, il revient au galop !«  _ séparable de l’affect.

Trios, cuir, orgies, jeux de rôles _ « jeux » : pour les gays, le sexe peut être séparé _ c’est tout l’art (du « Don Juan » : schizé !!!) ! _ du moi, du sujet.

Distancié, objectivé, il peut devenir en fin de compte esthétique

_ ou une nouvelle légitimation idéologique.

Sur cette « esthétisation », lire avec profit l’excellent Yves Michaud : « L’Art à l’état gazeux _ essai sur le triomphe de l’esthétique« 

Sur le plaisir de la répétitivité, cette remarque encore, à propos de l’exercice de la natation en piscine _ pas dans l’océan, forcément : comment y « compter » quoi que ce soit ? _, pages 131-132 :

« Il y a quelque chose de profond et d’une familiarité inconsciente dans le plaisir de nager _ en piscine ! _ : le plaisir d’enchaîner _ oui ; avec « compteur » ! _ les longueurs de bassin » (…) ; soit « quelque chose qui ressemble à un mouvement, mais qui en fait ne va nulle part _ ce que, pour ma part et tout personnellement, si je puis me permettre de m’immiscer idiosyncrasiquement en ce commentaire, j’exècre et abomine !!! le comble de l’ennui… _ ; et c’est le plaisir de savoir _ plutôt que ressentir _ que les distances que vous parcourez _ en ce (petit) bassin géométrique _ peuvent toujours _ ad nauseam même, si cela nous « chante » _ être comptées en petites unités stables _ le prototype du cauchemar et de l’horreur pour moi ! _ à la répétition constante et réconfortante _ pour qui aime « compter », comme Daniel Mendelsohn (alors), dont le père, comme l’amie (« Rose ») sont, certes, mathématiciens !

« Le désir est un mouvement plutôt qu’un lieu« , énonce fort bien Daniel Mendelsohn, page 44. Mais ce mouvement-là poursuit souvent une chimère du passé ; dont l’auteur s’efforce ici de re-tracer en quelque sorte (« en amont ») l’archéologie _ de « garçon«  en « garçon« , en quelque sorte _, depuis un premier aimé et désiré _ P. : nous n’en connaitrons ici que l’initiale _ ; et qui l’a fui irrémédiablement, quelques années (d' »amitié adolescente ») plus tard. Et P. était champion de natation… Mais P., aimé, était-il seulement un « garçon« , lui, le premier (et « modèle » de la « série » des « garçons«  ne l' »équivalant », aucun, jamais…) ?..

« Quand il a atteint l’âge de quatorze ans _ en 1974 par conséquent _ « le garçon » qu’est lui-même le jeune Daniel Mendelsohn « écrit«  dans le « journal » qu’il « tient » « en cachette« , page 91 : « J’ai rencontré P. aujourd’hui, je crois _ ajoute-t-il immédiatement _ que nous pourrions devenir amis » ;

et, environ six mois plus tard, quand il souffre sévèrement de ce qu’il n’a pas encore identifié comme l’amour _ c’est dit _ : « Je refuse de croire que mon idée d’avoir un ami parfait soit, comme le dit Papa, de la « merde« . »

Mais aussi, page 101 :

« Dès que j’ai posé les yeux sur P., j’ai _ en effet, immédiatement _ su _ simultanément _ que c’était sans espoir (sic) ; que quel que fût l’endroit _ à l’autre bout du monde… _ où m’emportait mon désir, je n’y trouverais jamais (!) accomplissement ni bonheur... »

« Cela _ avec P. _ a _ cependant _ duré plusieurs années, jusqu’au début de la Terminale _ page 102 _ ; je me suis insinué _ le désir amoureux est puissant : il donne des ailes… _ dans sa vie, je connaissais ses amis, son emploi du temps _ les longueurs de bassin de piscine _, ses parents; comme si le fait de posséder ce savoir, de tout connaître de lui, me permettait d’en faire une reconstitution, de me l’approprier _ l’amour n’a pas de limites. Un jour, alors que je devais passer la nuit chez lui, je me suis soûlé ; et, comme nous parlions de ce dont parlent les adolescents quand ils dorment chez l’un ou chez l’autre, j’ai compris que je voulais lui faire violence, d’une manière ou d’une autre, que je voulais que l’intensité de mon désir pour lui, transperce _ enfin _ ou abatte les murs de son… de son quoi ? De son « moi », de son identité _ pas assez poreuse _, de ce qu’il était inévitablement et répétitivement. Mais, bien sûr, ça n’a pas marché. Il est demeuré toujours _ voire plus que jamais _ lui-même, distant et parfait _ sans moi… _ en quelque sorte ; comme si le fait d’être désiré était un accomplissement, une fin en soi _ pour lui _ ; et je suis devenu toujours plus moi-même _ = désirant ; et passionnément _ à force de le désirer.


Je pense que les choses auraient pu durer _ ainsi _ indéfiniment, mais il a commencé par sortir avec une fille que je connaissais bien. Je les observais en silence ; et même si mes yeux ne se voilaient pas, si mon ouïe ne se détraquait pas, si la sueur ne coulait pas sur mon corps pendant que je les regardais _ selon le modèle plus tard découvert du sublime « poème 31″ de Sappho _, même si je ne devenais pas plus vert que l’herbe _ idem _, je m’affaiblissais, je me renfermais sur moi-même ; j’étais de moins en moins capable d’être dans le monde _ celui qui est partagé ; et commun ; sous le regard des autres.

Il est venu me voir un jour et m’a dit que les choses devenaient _ par l’effet de contrastes nouveaux _ trop intenses ; qu’il ne me verrait plus jamais ; qu’il ne me parlerait plus jamais ;


et fidèle à sa promesse, il ne l’a _ très effectivement _ plus jamais fait ;

se détournait _ jusque là _ de moi quand il me voyait dans les couloirs, les salles de classe ou les cafétérias,

avec une maladresse si transparente et si brutale

qu’elle en tournait presque _ eh ! oui! _ à l’inverse, la tendresse _ que d’émois brûlants ! Et il s’en allait.

A ce moment-là, je me suis laissé aller à le détester ;

ce qui faisait du bien,

dans la mesure où l’aimer publiquement avait été interdit ;

et le détester publiquement _ ou la part si puissante des autres (cf le chœur antique) en ces divers processus _ était tout à fait acceptable.

Je tournais en dérision ses intérêts, la natation _ la revoilà _, ses amis, ses cheveux _ blonds paille, décolorés par le chlore des piscines _,

et j’amusais _ de ma carapace d’« ironie«  (à la Oscar Wilde) _ mes amis, auxquels j’étais désormais revenu,

avec des récits _ de « connivence » retrouvée : à quel prix ! _ de mon séjour chez les barbares _ page 103.

Page 104 : « Le premier homme avec qui j’ai couché  _ « ce devait être pendant la semaine qui a précédé mon vingt-et-unième anniversaire, au début du printemps 1981 » _ en Virginie _ avait le même prénom que lui _ P..

Et nous savons depuis la page 31, à l’occasion d’une confidence : « la première fois que j’ai fait l’expérience de désirer un autre homme dont je savais qu’il me désirait aussi _ voici la nouveauté ! par rapport à P., au lycée de la banlieue de Long Island _, c’était à l’université. (…) Nous avions tous les deux dix-neuf ans _ c’était donc en 1979. (…) C’était dans une université du Sud _ à Charlottesville, en Virginie, page 30. (…) J’étais venu là , à l’université nichée dans les contreforts du Blue Ridge, parce que j’avais aimé, au lycée, un garçon _ P., donc _ qui venait de cet Etat, un garçon qui m’avait rejeté lorsqu’il avait compris _ ou après _ que je le désirais ; je pensais qu’en allant là-bas, à l’endroit d’où il venait, je pourrais le retrouver _ le mot est capital : « re-trouver le « perdu » (« the lost«  !) _, d’une certaine façon, absorber _ en soi _ une partie de lui. Je pensais qu’être dans _ déjà _ cet endroit, avec ses collines et ses élevages de chevaux, et la crête bleutée et brumeuse de la chaîne de montagnes au loin, me permettrait de découvrir _ thaumaturgiquement _ qui était ce garçon _ ce qui est une façon tout à fait profonde d’aimer ; page 31. Mais ce jour-là de 1979, la séquence n’aboutira pas (la rencontre sexuelle sera, par timidité encore, « éludée ») : ce n’est que deux ans plus tard, en 1981 donc, que Daniel Mendelsohn va (enfin ! et toujours en ce même campus de Virginie…) « coucher avec un homme« , prénommé, lui aussi, P.

Mais, page 111 :

« Il est possible de tomber amoureux _ par le processus que Freud nomme « déplacement«  _ de quelqu’un  parce qu’il a les cheveux _ blonds _, le prénom _ P. _ ou l’ascendance _ être de Virginie _ qui conviennent _ mais pas pour longtemps. La structure du fantasme que votre désir _ votre Inconscient (peut-être névrotique) _ impose _ alors, par « projection »/ »introjection » _ à cette personne,

est vouée, à la fin, à exploser,

puisque son identité réelle _ car elle existe bel et bien ; et résiste aux seuls fantasmes ! _ va finir par remonter à la surface et venir troubler l’image _ illusoire, cf Freud : « L’Avenir d’une illusion« … _ que vous vouliez _ ou plutôt que lui, votre désir fantasmatique, ici, « voulait » ! _ y voir.

Pour la plupart des gens, le fait que l’être aimé soit différent, le fait qu’il soit lui _ en son idiosyncrasie, peut-être _,

est riche de possibilités ;

pour les autres _ comme l’auteur, semble-t-il, ici _, ce n’est pas le cas. Mais pour les autres, il y a _ toutefois _ des plaisirs différents,

les plaisirs d’une profonde connaissance _ peu à peu _ de soi _ faute que ce soit de l’autre… _,

la vision intérieure _ par la méditation intensive et suivie _ qui est plus claire _ oui ! _ que celle des _ seuls _ yeux,

la capacité de capter _ grâce à la « focalisation » ; et la méditation intense et réfléchie (« critique ») _ le son émis _ et les paroles _ par les statues qui parlent.

J’ai couché avec beaucoup d’hommes _ dit alors Daniel Mendelsohn, page 111. La plupart d’entre eux ont une apparence _ physique _ bien déterminée _ un certain « type ». Ils sont de taille moyenne et ont tendance à être plutôt jolis _ plaisants à regarder. Ils auront probablement _ statistiquement _ les yeux bleus. Ils ont l’air, vus dans la rue, ou depuis l’autre côté de la pièce, un peu solennels.

Lorsque je les tiens dans mes bras,

c’est comme si je tombais _ et littéralement _ à travers un reflet

sur mon _ propre _ désir _ seulement _,

sur la chose qui me définit,

sur mon moi _ page 112 ;

et pas « dans » eux, ces « hommes« …

Un peu plus haut _ pages 110-111 _, parce que « il y a eu une période, à l’université, avant que je ne commence la marche et la chasse _ liées par Daniel Mendelsohn à l’homosexualité _, où j’ai eu des rapports sexuels avec des femmes, assez souvent » ;

de ces accouplements _ coïts _, je me souviens de ceci :

lorsque les hommes ont des rapports sexuels avec des femmes, ils tombent dans la femme. Elle est la chose qu’ils désirent, ou parfois redoutent ; mais en tout cas elle est le point final, l’endroit où ils vont _ to come = jouir…

Les hommes gay, eux, tombent, pendant le sexe, à travers leurs partenaires,

jusqu’à eux-mêmes, inéluctablement » _ page 111.


Un livre courageux et passionnant ; même si on peut s’irriter _ contre qui ? le Destin (l’Anankè) ? _ de voir le narrateur-auteur

si peu

rencontrer vraiment

un autre : du moins avant la survenue de l’enfant Nicholas…

Sans négliger, non plus, un aussi puissant que discret

formidable humour, sous cette plume, en cette voix

de Daniel Mendelsohn… :

c’est donc non sans une certaine impatience

que nous attendons de le lire à nouveau, l’écouter, le rencontrer nous parler…


Titus Curiosus, ce 8 février 2009

Sur la part des désirs (d' »amateurs » d’oeuvres) dans la vie (et l’Histoire) des Arts

10jan

Tout spécialement pour Michèle Cohen

Un très intéressant _ par la précision de ses détails, comme par la vigueur et la pertinence de ses focalisations _ travail d' »Histoire de l’Art » : « Les Amateurs d’Art à Paris au XVIIIe siècle« , par Charlotte Guichard, dans la collection « Époques » aux Éditions Champ Vallon

_ l’ouvrage paru en septembre 2008 est assez tardivement « apparu » dans la chronique de livres des journaux : dans le cas de ma « découverte », c’est grâce à l’article « Profession : amateur«  (avec pour sous-titre « le rôle de l’Académie royale au XVIIIe siècle« ) de Jean-Yves Grenier, en page du cahier « Livres » de Libération, jeudi 8 janvier dernier…

L’article étant accompagné de cette phrase le « signalant » au lecteur (peut-être parfois un peu trop pressé) : « Parlementaire, financier, mais aussi membre de l’élite politique » (…) « l’amateur doit faire preuve d’un goût sûr et éclairé, à la différence d’un simple curieux« …

Le distinguo « amateur« / »curieux » m’ayant particulièrement « accroché »…

D’autant que l’article de Jean-Yves Grenier, en ce cahier « Livres » de Libération, en « suivait » un autre consacré, lui aussi, à la « réception » des Arts (et à la « constitution » des « publics« ) :

un article de Dominique Kalifa « L’Europe en scènes«  (sous-titré « La Somme de Christophe Charle sur l’essor du spectacle« ), consacré au livre « Théâtres en capitales _ Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne« , aux Éditions Albin Michel..


Or ces questions de la « réception » des œuvres, ainsi que de l’existence même d’une « vie _ et d’abord d’une « réalité » même « artistique » ! _ artistique« , donc, sont à la source même (et « inspiration », ou « souffle ») de ce blog

_ qui ne s’appelle pas pour rien « Carnets d’un curieux«  ; et encore « En cherchant bien » ; et de la part de qui se nomme et signe Titus Curiosus !!!

Ainsi l’Art « existe »-t-il bel et bien, en dehors (et en aval) de l’acte (de la création) même _ au jour le jour, en quelques moments (plus) intenses (que d’autres) _ de l’artiste ; ainsi qu’en des œuvres qui vont (un peu ; et plus ou moins… ; d’une certaine façon, en tout cas, et qui leur est propre) demeurer (et durer un peu) ; s’offrant, un moment (plus ou moins bref, ou prolongé…), à quelque « rencontre » et « contemplation » (plus ou moins jubilatoire, voire extatique ! mais oui !!!) d’un autre (= autrui) qui s’y livre, s’y donne, s’y adonne peut-être, si peu que ce soit… ;

ainsi, donc

(en conséquence de cette « chaîne » d’activités _ créatrices et æsthétiques _ là…)

l’Art « existe »-t-il aussi sous le regard

_ et les (divers) sens (= complémentaires les uns des autres), tous plus ou moins convoqués _ d’un « amateur« , et d’un « public« , qui s’en enchante ; et le valorise _ y applaudit ; au point de parfois même (voire souvent, voire toujours) payer un prix fou (!) pour en jouir ; et, dans certains cas, « acquérir » lœuvre _ si et quand « œuvre » il y a bien… _, en devenir le « possesseur », qui s’en assure une permanence _ et/ou exclusivité _ de « jouissance » (et peut devenir, aussi, alors _ « en suite »… _, un « collectionneur » d’œuvres d’Art…)…


Bref, un « sujet » qui m' »intéresse » passionnément ;

car l’Art même est menacé en sa « vie » même

_ et en sa plus élémentaire matérialité ; et économique ! _

de n’être pas ;

et, à sa suite, encore plus menacé, lui, le « goût » _ qui serait alors rien que « mort-né » !.. _ de l’Art ;

menacé de, tout bonnement, n’être pas

_ quel terrible paradoxe ! pour tant de générosité de joie prodiguée !!! _

un peu largement partagé : au-delà de ce que l’on, en son corps, ressent soi ;

et sur cette question

éminemment cruciale _ à mes yeux _,

on se reportera toujours avec le plus grand profit de compréhension

_ et parmi quelques autres,

tel l’essentiel, lui aussi, « Homo spectator » de Marie-José Mondzain ;

ainsi que le si merveilleux « L’acte esthétique » de Baldine Saint-Girons ; j’y reviens toujours !!! _,

au livre très remarquable de Jacques Rancière « Le Partage du sensible« , paru en avril 2000, aux Éditions La Fabrique…


Fin de l’incise.

Je reviens dare-dare aux enjeux des distinctions entre curiosité (à propos des « curieux« ), amour (à propos des « amateurs« ), et connaissance (à propos des « connaisseurs«  _ et bientôt « experts«  : au siècle suivant, plus « lourd » ; et dominé, lui, par les « marchands », à un moment d’expansion, bientôt « irrésistible » (?) de la « marchandisation »…) ès Arts…

La première phrase de « conclusion » _ page 339 du livre de Charlotte Guichard, « Les Amateurs d’Art à Paris au XVIIIe siècle » _ le dégage on ne peut plus clairement,

et plus largement encore

et que « à Paris »

et que « au XVIIIe siècle » :

« Le XVIIIe siècle est l’âge d’or de l’amateur, entre l’apogée du mécène au XVIIe siècle et celui du collectionneur au XIXe siècle.« 

Mais Charlotte Guichard précise tout aussitôt : « Loin d’être une figure universelle de l’amour de l’art _ une expression capitale ! _, l’amateur au siècle des Lumières _ et surtout à Paris ; à la différence de Londres, de Berlin ou de Dresde, ou de Rome (exemples choisis par cet auteur) !.. _ est un acteur important du système monarchique _ en France : à Versailles et à Paris, pour l’essentiel… _ des arts. Son essor est lié _ voilà le principal acquis de ce travail-livre _ à la réforme académique qui se met en place dans les années 1740 _ le roi Louis XV, né le 15 février 1710, abordant tout juste alors sa trentaine _ : le modèle de l’amateur, théorisé par le comte de Caylus en 1748, est une réponse de l’Académie royale de peinture à l’ouverture de l’espace artistique _ un concept assez intéressant ; et à creuser-explorer… _ à l’espace public de la critique et du marché«  _ deux facteurs qui deviennent ici et alors décisifs !

Charlotte Guichard synthétise les acquis de sa recherche : « Associé à l’institution académique à travers le statut d' »honoraire », l’amateur est défini par l’exercice du goût, que la connaissance visuelle _ dans le cas, bien évidemment, des arts plastiques, et au premier chef desquels se trouve la peinture ; mais l’analyse peut s’appliquer à d’autres Arts, à commencer par la musique ! _ des œuvres, la pratique artistique en amateur _ et c’est un des apports très concrets de son travail ici que de l’avoir révélé et très bien mis en valeur _, et les relations de sociabilité avec les artistes _ qui, de fait, se développent alors (par exemple en la fréquentation de « salons », à la Ville…) _ doivent perfectionner.

Face à la publicité nouvelle du jugement de goût _ à la Ville (= Paris), par rapport à la Cour (de Versailles) ; dans les salons (parisiens, donc) ; mais aussi dans la presse qui va très vite se développer et prendre de l’ampleur _, l’Académie royale propose donc une alliance _ « politico-culturelle », pourrait-on dire, si l’on ne craignait le pléonasme ; en un « milieu » plus ouvert et plus large que le milieu de cour ; auquel Louis XIV, fort habilement cornaqué par son parrain romain, le plus que judicieux Jules Mazarin (né à Pescina dans les Abruzzes le 14 juillet 1602, formé auprès du pape Urbain VIII Barberini, à Rome, et décédé au Château de Vincennes le 9 mars 1661…), avait consacré son effort _ ;

une alliance entre les artistes et les amateurs, dont le rôle de conseil est rendu légitime par leur position de médiateurs _ le terme est bien intéressant ! _ entre l’espace de l’atelier et l’espace des sociabilités, où se recrutent les commanditaires.

Les amateurs sont donc au cœur d’une conception académique _ la chose est directement issue de Rome (et des « académies » romaines !!! ; après Florence ; et, en amont, via Venise, la Constantinople byzantine d’avant 1453…) _ du public, qui promeut des communautés de goût _ un concept diablement intéressant ! lui aussi !.. _ associées au système monarchique des arts,

comme le montrent les écrits du comte de Caylus

_ Anne-Claude-Philippe de Tubières-Grimoard de Pestels Levieux de Lévis, comte de Caylus, marquis d’Esternay, baron de Bransac, né à Paris le 31 octobre 1692 et mort le 5 septembre 1765 ;

et fils de Madame de Caylus (1673-1729 _ lire ses très intéressants « Souvenirs« , dans l’édition du Mercure de France), nièce (chérie et tout spécialement « élevée » par elle) de Madame de Maintenon… ;

sur Caylus, lire : « Le Comte de Caylus : les Arts et les Lettres« , études réunies et présentées par Nicholas Cronk & Kris Peeters, aux Éditions Rodopi, en 2004 ; et « Caylus, mécène du roi : collectionner les antiquités au XVIIIème siècle« , sous la direction d’Irène Aghion & Mathilde Avisseau-Broustet, à l’Institut National de l’Histoire de l’Art, en décembre 2002 _

et, avant lui, ceux de l’abbé Du Bos

né en décembre 1670 à Beauvais et mort le 23 mars 1742 à Paris : existe une édition récente, à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, en 1993 (mais hélas non disponible : épuisée !), de ses « Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture » (dont la toute première édition est de 1719 _ par Pierre-Jean Mariette) ;

on pourrait y joindre utilement aussi les écrits  _ « Abecedario de P.-J. Mariette, et autres notes inédites de cet amateur sur les arts et les artistes, ouvrage publié par MM. Ph. de Chennevières et A. de Montaiglon » _ de Pierre-Jean Mariette lui-même (né à Paris en 1694 et mort à Paris en 1774)…

Juste le temps, encore, de quelques brèves précisions qu’apporte Charlotte Guichard, pages 15 à 17, aux distinctions quant à quelques uns des « médiateurs« 

qui _ écrit-elle, page 15 _ « ne sont pas dans une relation secondaire par rapport à l’œuvre : ils participent activement _ oui ! _ à sa création _ rien moins ! en effet… _, à sa reconnaissance et à sa réception, grâce aux relations d’interdépendance qui structurent _ aujourd’hui comme alors ! comme cela est (tragiquement ; cruellement ; suicidairement !) méconnu ; et pis encore, négligé, hélas !!! _ les « mondes de l’art » ! :

une expression dont il faut mesurer avec soin toute la portée (et les « exclusions ») !!!


Je lis, page 15 : « Mentionné pour la première fois dans le dictionnaire de l’Académie française _ dont c’était la toute première édition _ en 1694, le terme d' »amateur » est alors rapporté au domaine des objets, en particulier des productions savantes, littéraires ou artistiques :

« Qui aime. Il ne se dit que pour marquer l’affection qu’on a pour les choses, & non celle qu’on a pour les personnes. Amateur de la vertu, de la gloire, des lettres, des arts, amateur des bons livres, des tableaux. »

Un peu plus bas, pages 15 et 16 :

« En France, la littérature artistique spécialisée confirme la stabilisation du lien entre le terme d' »amateur » et la peinture au milieu du XVIIIe siècle »

_ en 1746, 57 & 59 ;

attestant « la spécialisation picturale du terme »

et résumant « la définition autour du « goût », devenu l’attribut essentiel de l' »amateur ». »

Charlotte Guichard synthétise :

« l' »amateur » est défini dans un rapport de prédilection, mais aussi de discernement et de compétence :

l’opposition avec la figure du professionnel apparaît pour la première fois

_ en 1759, dans le « Dictionnaire portatif des Beaux-Arts« , de Lacombe de Prézel…

L’amateur s’inscrit donc dans la sphère de l’otium et des loisirs cultivés.


Surtout, Charlotte Guichard note, et marque, que « dans « L’Encyclopédie », la figure de l' »amateur » est construite au sein d’un champ sémantique plus large : un intense souci taxinomique travaille les définitions, qui spécifient les figures du « curieux », de l' »amateur » et du « connaisseur » ; et  les inscrivent dans des hiérarchies de valeur.

Soit la définition du « curieux » par Paul Landois :

« CURIEUX. Un « curieux en peinture« , est un homme qui amasse des dessins, des tableaux, des estampes, des marbres, des bronzes, des médailles, des vases, &c. ce goût s’appelle « curiosité« . Tous ceux qui s’en occupent ne sont pas connaisseurs ; et c’est ce qui les rend souvent ridicules, comme le seront toujours ceux qui parlent de ce qu’ils n’entendent pas. Cependant la curiosité, cette envie de posséder qui n’a presque jamais de bornes, dérange presque toujours la fortune ; & c’est en cela qu’elle est dangereuse. Voyez AMATEUR. »


L’auteur _ Paul Landois, commente Charlotte Guichard, page 15 _ définit le « curieux » par la pratique de l’accumulation (il « amasse »), et non par l’exercice du goût. Il le distingue du « connaisseur », mais le renvoie à l' »amateur », confortant l’hypothèse d’un champ sémantique large.


La définition du « connoisseur » dans l’« Encyclopédie » confirme cet effort taxinomique :

« CONNOISSEUR. N’est pas la même chose qu’amateur. Exemple. Connaisseur, en fait d’ouvrages de Peinture, ou autres qui ont le dessin pour base, renferme moins l’idée d’un goût décidé pour cet art, qu’un discernement certain pour en juger. L’on n’est jamais parfait connaisseur en peinture, sans être peintre ; il s’en faut même beaucoup que tous les Peintres soient bons connoisseurs. »

Le « connaisseur » _ commente Charlotte Guichard, page 16 _ est défini par son savoir (« discernement ») et sa compétence à juger les œuvres. Il se distingue de l' »amateur », qui, lui, est défini par son « goût » : « Il se dit de tous ceux qui aiment cet art, & qui ont un goût décidé pour les tableaux. »

Le souci de spécifier ces différentes figures en établissant un jeu de renvois et d’oppositions révèle la volonté d’organiser un ordre légitime des pratiques du goût. Cette opération de définition _ en déduit Charlotte Guichard, page 17 _ fait donc surgir une hiérarchie de valeurs associées à ces expériences _ ainsi distinguées  _ de l’objet.

La critique du « curieux » est définitive : ainsi, l’effacement du terme au XVIIIe siècle renvoie à la condamnation de l’accumulation, parallèlement au déclin de la culture de la curiosité.

Krzysztof Pomian _ en son « Collectionneurs, amateurs et curieux » (en 1987) _ a bien montré que les définitions du « curieux » sont construites autour du « désir de totalité ». Dans l’organisation du champ sémantique, ce type de disposition laisse place au goût _ associé à l' »amateur » _ et aux compétences artistiques _ associées au « connaisseur », caractérisé par son « discernement », ses « connaisances » et ses « lumières ».


Ceci annonce _ propose, dès cette page 17 de l’« Introduction » à son travail, Charlotte Guichard _ le triomphe d’un régime d’expertise dans les mondes _ divers ; y compris ce qui se situe à son extérieur ! _ de l’art.


Le marchand d’art Gersaint _ et cette référence est passionnante ! _ inscrit ainsi _ en 1744, en son « Catalogue de Quentin de Lorengère » : note 2, page 17 _ ces figures dans une hiérarchie stable de valeurs : il distingue « les Curieux de Tableaux & les Amateurs de la Peinture ». Seuls ces derniers sont susceptibles d’acquérir les compétences techniques en « admir(ant) le mérite et les talents de chaque _ en sa singularitéMaître » : « par gradation, on acquiert la qualité de connoisseur« .

En 1792, le « Dictionnaire des arts de la peinture » résume cette hiérarchie des valeurs associées aux pratiques de la prédilection : « On est connoisseur par étude, amateur par goût, & curieux par vanité. »

Il est vrai que la pente du second XVIIIe siècle, celle qui a mené au régime de la guillottine sous la Terreur, a été le commandement de « toujours plus de vertu  » !..


Pendant ce temps, les « affaires » _ exclusivement marchandes ?!.. _ n’en « tournent » que mieux…

Et bientôt, dès le XVIIIème siècle, la « place » de Londres concurrence, sinon supplante déjà, « celle » (commerciale) de Paris…

Mais, à trop effacer, et la « curiosité » (des « curieux ») et l’amour (des « amateurs ») au seul profit de l’expertise _ mais de qui ? et de quels « connaisseurs » ? Est-elle technique ? est-elle artistique ? est-elle marchande (et exclusivement marchande)  ?.. cette dite « connaissance »-« expertise »-là ?.. _, ne jette-t-on pas Bébé (« Art ») avec l’eau de son bain (les « mondes des Arts ») ?..

En Art, Désir et Amour _ et chance des rencontres ! _ sont indispensables ;

et n’obéissent _ certes pas ! _ au doigt et à l’œil, non plus qu’à la commande _ de quelque ordre qu’ils ou qu’elle(s) soi(en)t…

Il y faut aussi pas mal d’empathie

_ et peut-être encore, au delà des œuvres elles-mêmes, stricto sensu, avec les artistes, en personne (et en chair et en os) !.. _ ;

et _ loin du calcul, exclusivement « spéculatif » _ de la générosité…


Titus Curiosus, le 10 janvier 2009

L’invention verbale des « petites coiffeuses » : à la source du goût des livres

28oct

Post-scriptum (à « Sous la lune :  consolations des misères du temps« ) :

Arpentant les « Confins de la mémoire«  de ce même Maxime Cohen,

son premier ouvrage publié (en mars 1998, aux Éditions de Fallois), pour les avoir commandés dès mon début de lecture des « Promenades sous la lune« ,

j’en découvre ce que la Quatrième de couverture de ces « essais » énonçait très explicitement (et on ne peut plus justement !) ainsi : « Il a conté la naissance de sa passion pour les livres dans un récit _ c’est le terme adéquat ! _, « Confins de la mémoire » (Fallois, 1998)« …

Par exemple, je lis, page 146, de ce « récit » de « recherche des origines« ,

dans lequel « le narrateur essaie de _ et réussit à _ retrouver, dans ses souvenirs, le foyer de ses sentiments d’aujourd’hui.

(…) Il cherche (…) à identifier des états d’âme encore présents, et qui ne cessent de nourrir sa sensibilité« , indiquait la Quatrième de couverture de ces « Confins« -là, en 1998…

Voici ces extraits des pages 145 – 146

à propos des « trouvailles langagières«  de deux personnes assez caricaturales, les deux « petites coiffeuses » de Paray-le-Monial (et « petites protégées » de la grand-mère du narrateur) auxquelles le chapitre 12 (pages 141 à 147) est tout entier consacré ;

d’ailleurs, l’auteur remarque, pages 143-144, « par une bizarrerie que je suis incapable d’expliquer, les personnages qui peuplaient les rues de Paray(-le-Monial

_ où résidait la grand-mère maternelle particulièrement adorée de Maxime,

telle la grand-mère de Marcel, ou sa tante Léonie de « Combray« , dans le récit d’ouverture de « La Recherche » de Marcel Proust ;

et centre, ou pivot, de ce récit des « Confins de la mémoire«  ;

et qui sont aussi, et d’abord, peut-être, un « tombeau » de sa « grand’mère« ,

comme les artistes, et notamment les musiciens, en honoraient leurs amis chers défunts :

par exemple, les quatre « Tombeaux de M. de Blancrocher« , luthiste (Charles Fleury, dit Blancrocher : ca 1607 – novembre 1652),

mort, ce mois de novembre 1652, d’une chute dans un escalier : le défunt ayant expiré dans les bras de Froberger ;

« Tombeaux  » de musique « élevés » à la mémoire du luthiste par ses amis Louis Couperin (ca 1626 – 1661) et Johann-Jakob Froberger (1616 – 1667), clavecinistes ; et Denys Gaultier (1597 – 1672) et François Dufault (fl 1629 – 1669), luthistes  :

un merveilleux « concert »

construit autour de deux Suites de « pièces en la«  et « en fa » (comportant, la seconde, ce « Tombeau de M. de Blancrocher« ), de Louis Couperin

_ l’œuvre entier de Louis Couperin est peut-être, par la « profondeur » méditative, intense, infiniment tendre et grave, en son raffinement, le summum de toute la musique française !!! _,

et de « pièces » (deux d’entre elles, au moins, composées à Paris : une « allemande« , notée « fait à Paris » ; et une « gigue« , « nommée la Rusée Mazarinique« ) de Johann-Jakob Froberger

_ un très, très grand, lui-même, aussi !!! _ ;

avec la « Passacaille » (unique) de Luigi Rossi (1598 – 1653), et un « Capriccio » en sol de Girolamo Frescobaldi (1583 – 1643) ;

vient de paraître en CD par le très talentueux jeune (il est né en 1985) Benjamin Alard (dont chaque disque est une nouvelle splendide réussite : cf ses « Transcriptions pour clavecin » de Jean-Sébastien Bach, CD Hortus 050 : un enchantement, déjà !) :

il s’agit du CD « Manuscrit Bauyn« , CD Hortus 065 ; je me permets de le recommander très vivement. Fin de l’incise sur le genre (profond et magnifique) des « Tombeaux« …

les personnages qui peuplaient les rues de Paray

_ je reprends le fil de ma phrase (et de la citation de Maxime Cohen, page 143) _

ou qui venaient nous rendre visite,

ne prenaient pas en moi _ déjà, commenterai-je _ le caractère de personnes réelles.

Tous

se résumaient _ le terme est éloquent ! une personne « se résume« -t-elle ?.. _ à un tic, un mécanisme, un mot, une histoire brève : c’étaient des caricatures qui semblaient n’avoir d’épaisseur _ sinon « langagière«  _ ni dans le temps ni dans l’espace » _ soit le seul réel physique…

Et « ce jeu d’ombres chinoises _ voilà ! _ nous amusait beaucoup mon frère, ma sœur et moi.

Ma grand’mère semblait même l’encourager _ ah ! ah ! _ lorsque, venant en visite à Paris, elle nous racontait, un après-midi entier, les derniers agissements de ce peuple de fantôches _ réduits au statut de « comparses » sur la scène de ce qui compte vraiment… _

qui, pour avoir quelque chose d’irréel _ jusqu’à quel point ? et pour qui ? et par rapport à quels critères ? _, n’étaient pas moins exemplaires de la nature humaine toute entière

par l’excès même de leur schématisme.« 

Avec ce commentaire surplombant du narrateur : « C’était comme si les ombres de la caverne de Platon eussent été les patrons sur le modèle desquels tout le reste de l’humanité aurait été fabriqué, et non pas les reflets d’êtres plus réels« 

La restriction est encourageante…

Voici, après ce préalable de « présentation »,

l’extrait des pages 145 – 146 à propos des « trouvailles langagières » des deux « petites coiffeuses »

dont se repaît, encore aujourd’hui (comme en 1998), Maxime Cohen :

« Quoiqu’il ne sortît de leurs bouches que des coquecigrues

_ soit le mot même venu sous la plume de Madame de Sévigné dans sa lettre « fantasque »

(d’une « promenade sous la lune » « dans le mail » des Rochers, le « 12e juin » (de 1680) _,

elles étaient riches de trouvailles langagières que je ne me lassais pas de goûter

et que ma grand’mère épinglait plus tard, en privé,

quand nous nous remémorions en riant les conversations qu’elles nous avaient tenues.

Car il n’y a pas besoin de dire des choses intelligentes pour les dire plaisamment ;

mais les plus belles pensées, dites sans invention, tombent à plat.

Celles des coiffeuses, quoique triviales, étaient excessivement amusantes

par le ton qu’elles prenaient,

la mère surtout dont la voix haut perchée et le débit précipité la faisaient ressembler à une serinette,

et par la truculence de leurs expressions

dont ma grand’mère se demandait tout haut « où elles allaient les pêcher«  ;

Avec cette leçon, plus générale _ voire « esthétique », ou « philosophie du goût », si l’on veut… _, qu’en tire alors l’auteur _ et remarque à laquelle je veux en venir, en ce post-scriptum :

« Je m’aperçus que ce ne sont point les pensées qui créent le plus de plaisirs littéraires : elles donnent de l’étonnement, de la réflexion, du lustre 

mais c’est l’invention verbale, qui procure les agréments de la langue

_ les « plaisirs, les agréments« , voilà donc l’aune du goût, ici, de Maxime Cohen, en ces « Essais » ;

par dessus « l’étonnement« , « la réflexion« , le « lustre«  des « pensées« , même :

d’où la méfiance assez endémique de Maxime Cohen tant pour la philosophie

que pour le « réel », en tout cas « brut », lui-même… _

et les plus grands génies n’en sont pas mieux dotés _ de ce « génie » du verbe _ que les plus obscures commères

_ provinciales, telle la formidable, elle aussi, « Françoise » du narrateur de « Combray« …

Saint-Simon ne reproche-t-il pas à Louis XIV une intelligence au-dessous du médiocre,

et avec cela un don exquis pour s’exprimer,

une langue courte, nette, resserrée

_ c’est-à-dire classique : la parole du roi « devant » porter (avec puissance !)… _ ?


Lui-même _ Saint-Simon _ dépourvu des vues profondes de Montesquieu ou de Gondi _ le cardinal de Retz _, ne brille-t-il point par cette verve

à laquelle il doit plus de gloire qu’à ses prétentions nobiliaires ?

Alors, en conclusion, page 146 des « Confins de la mémoire«  :

« Les petites coiffeuses, à leur manière,

méritaient la même sorte d’éloge _ que Saint-Simon, Louis XIV (ou la « Françoise » de Proust) … _,

quoique avec des restrictions encore plus fortes » _ forcément (pour Saint-Simon, du moins)…

Et : « Ainsi, le peuple des mécaniques de Paray

vivait-il à mes yeux

dans un tourbillonnant ballet _ musical, en quelque façon, tout de même _

dont ma grand’mère _ par sa « science admirable » du contexte (local) et de « la généalogie infinie de ces personnages«  _ seule était capable de démêler tous les pas« 

« Et lorsque je m’émerveillais de la multitude des aventures qui faisaient l’objet de tant de petites histoires,

de l’incroyable variété de ces âmes et de ces mouvements qui les agitaient,

c’est sur un ton d’évidence accablée qu’elle _ Marie-Louise Couesnon, la grand’mère (de Maxime) de Paray-le-Monial _ s’exclamait :

« Mais mon pauvre enfant,

mais c’est partout pareil !« …

Soit la hiérarchie du goût, et, d’abord, de la « sensibilité » de Maxime Cohen,

ainsi que sa « philosophie des choses minuscules« 

(l’expression se trouve page 151 des « Confins de la mémoire » ;

soit son « leibnizianisme », notamment au chapitre « Sur la bibliothèque de Leibniz« , aux pages 260 à 268 des « Promenades sous la lune« ) ;

soit une affaire d’attention et de focalisations ;

convenant aussi, bien sûr, aux livres :

« En cela, les livres furent pour moi le vrai microcosme du monde.

Toutes les saveurs qu’il _ le monde _ exhale,

ils _ les livres, en plus du talent même et de l' »invention verbale » (ou du style, au « naturel ») de leurs auteurs : en leur matérialité première _ les restituent à un lecteur attentif :

et leurs coins, leurs contours et leurs renfoncements _ artisanaux, physiques _

 n’en exprimaient pas de moins inoubliables _ de ces « saveurs » on ne peut plus physiques _

que la maison de ma grand’mère ou les rues de Paray » (à la page 153 :

les deux pages consacrées à ces « saveurs » physiques des livres, pages 153 et 154, sont assez stupéfiantes, même ! :

« Dès mes premières lectures, j’y trouvai une odeur de gâteau sec dont le plus fort est à la charnière de la page, le long de la reliure. Il faut que le papier soit un peu brûlé pour que cette saveur soit bien développée. Le papier de bois est seul à la donner ; le papier de chiffon en donne une autre. Les éditeurs savent les accommoder de diverses façons, brochés, reliés, cousus, encollés, coupés ou non : tous ont une empreinte distincte » ;

« En cherchant un peu, on y respire un parfum d’antique. C’est une chose difficile à définir : ce n’est pas une odeur de fleur ni de fruit ni de rien qui ait naturellement une odeur ; on la retrouve dans certains objets _ ce qu’on nommait jadis les fruits de l’industrie humaine : vieilles demeures, vieux meubles, vieux cuirs, vieux vins, vieux chiens. Elle n’existe _ même ! _ que dans cette recension et par cette rémanence _ sans doute ici des opérations-clé ! Il y a dedans une pointe de poussière, mais seulement une pointe ; c’est d’ailleurs plutôt de l’herbe séchée ou de la sciure ou de la carcasse d’insecte. Mais la poussière est faite d’un peu tout cela. »

Et encore « L’odeur initiale de blé roussi est dominante. C’est une pâte encore moelleuse mais qui a perdu de sa mollesse. »

« L’odeur change quand on se rapproche de la tranche. Elle est moins fruitée, plus acide. Acide n’est pas le mot juste, c’est aigre qu’il faut dire.

Si l’on en vient au bois du papier, ce n’est pas du bois vert : pas assez d’amertume ; du bois mort non plus : trop de rondeur. C’est un bois qui est au point extrême de son brûlement. Cette chaleur, les feuilles la communiquent en même temps que le sens de leurs phrases : c’est d’elles qu’elles tirent un peu de la leur« .

Avec cette conclusion ouverte, page 154 :

« Mais bien vite, les saveurs se perdent, et il faut tourner la page. En voici une autre ;

et de nouveau cette puissante imprégnation et mille rumeurs venues d’ailleurs« .

Suivent encore cinq pages merveilleuses consacrées à la palette des saveurs et goûts des livres

_ découverts par le narrateur, enfant, dans le second des « deux combles en mansarde » (page 156) du grenier de la maison de la grand’mère de Paray,

dans lequel « on avait remisé tous les objets que l’usure, l’inemploi, et, cause principale de tous les abandons, la mort de leurs possesseurs _ et utilisateurs _, avaient rendu encombrants dans les lieux ordinaires de séjour. On les avait relégués _ donc, faute d’usage encore _ dans cette partie moins ostensiblement vivante d’une maison que sont les greniers et les caves » ;

et « c’est , laissés à eux-mêmes

comme des marins qu’on a débarqués sur une île

et qu’on retrouve après vingt ans, sales, hirsutes, rongés de chancres, tout à fait démodés, mais irrésistiblement attrayants et prêts _ tel le « Robinson Crusoë » de Daniel Defoe _ à faire le récit de leur extraordinaire aventure« ,

qu’ils « gisaient« , ces « vieux livres empilés, tous du second rayon« , dont se régale, ébloui, l’enfant curieux (page 157) _

pour cet étonnant chapitre 13 des « Confins de la mémoire« …

Et le narrateur de citer, « pêle-mêle » : « Danville et Piron« , « Nicole », « les dissertations de Bayle » ; les « contes de Nodier et de Xavier de Maistre,

le Théâtre de Clara Gazul, la Fanfarlo, les Lettres de la religieuse portugaise et Mimi Pinson »

_ œuvres dont les auteurs respectifs sont, comme nul ne l’ignore (!) : Prosper Mérimée, Charles Baudelaire, Gabriel-Joseph Guilleragues et Alfred de Musset !!! _,

« les œuvres légères de Fontenelle« , « un Cazotte que soutenaient philosophiquement des anecdotes du prince de Ligne » ; « les contes de Mme d’Aumont » ; « Florian » ; « Hamilton »

_ Antoine Hamilton (1646-1720), dont ont été publiés, en 1994, les « Mémoires du comte de Gramont » (son beau-frère), à « L’École des Lettres », aux Éditions du Seuil _,

« Régnard« , »Gresset ou Piron » ; « les conversations de Carmontelle« , les Essais dans le goût de Montaigne du marquis d’Argenson » et « Duclos » (pages 157 et 158)…

Avec cette petite phrase de conclusion de ce chapitre :

« C’est ainsi que (…) j’eus le bonheur d’avoir accès à tant de livres

qu’il me parut évident, et sans même y penser, que

s’il existait quelque part des gisements de plaisirs

_ on notera et retiendra la formule _

aussi inépuisables

que ceux que la nouveauté apporte tous les jours,

c’était dans les livres les plus oubliés des siècles passés. »

Soit une affaire d’attention

et de focalisations, donc,

tant dans ses « Promenades sous la lune »

que dans ses « Confins de la mémoire« …

Bref, quelque chose d’une méthode d' »attention intensive »

telle que celle à laquelle s’essaie, en toute modestie, un Titus Curiosus..


Titus Curiosus, ce 28 octobre 2008

Sous la lune : consolations des misères du temps

28oct

« Sous la lune »

(à propos des « essais » : « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, aux Éditions Grasset) :

c’est-à-dire quelque chose comme quasiment « dans la lune »
dans (les allées de) son jardin et (parmi les rayons de) sa bibliothèque
_ soit, peut-être, le « courage, fuyons ! » d’un « repli » (ou « retrait ») hédoniste _ ;

ou une lecture
_ tout à la fois « ravie »
et même tout près, assez souvent, d’être « enchantée »,
en même temps qu' »agacée »,
quelquefois, aussi, « aux entournures », « aux gencives » (au bord des dents ; pas loin de la langue et du palais) _
des « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, aux Éditions Grasset.

L’objet un peu étrange _ à identifier _ que représente l’« essai »
(« Essais » figure bien sur la page de garde ;

et Maxime Cohen en donne une belle définition, page 72, au chapitre « De quelques essayistes vus de trois quarts » :

« C’est un mélange incertain et indubitable d’érudition, d’épanchement, de poésie, d’humour, de polémiques et de bavardages étudiés, qui nous délassent en nous instruisant. Il n’est pas nécessaire qu’il soit exhaustif sur le fond, il lui suffit de s’entrouvrir sur un aspect singulier. On n’en attend aucune spéculation tonitruante mais une variation sur ce qu’on connaît déjà, aucune révolution mais une modification de l’angle ou du degré de notre vision. Les thèmes qu’il aborde se retrouvent dans d’autres livres mais pas sous cette forme. Ces dispositions attisent le goût des paradoxes, seul moyen de ranimer un sujet rebattu : un bon auteur d’essais propose les siens au public à la manière d’un médecin qui lui procurerait un remède non pas curatif mais fortifiant« 
On appréciera…).

L’objet un peu étrange que représente, donc, l' »essai »
de Maxime Cohen en ses « Promenades sous la lune » qu’éditent les Éditions Grasset _ le livre est sorti fin septembre_,

est à la fois une boîte (de 382 pages) à longs délices (en tiroirs successifs) de vagabondage _ pour le lecteur _ de culture (parfois extrêmement) poussée et raffinée (en leur contenu : peu couru, ou fréquenté, voire unique)

en même temps qu’un symptôme déjà un peu douloureux (« agaçant », viens-je de dire)
et somme toute un tantinet inquiétant des nouveaux temps
_ de barbarie

(ignorance crasse et incuriosité veule
assorties à une vulgarité et grossièreté arrogantes et agressives)
dès à présent à nos portes
(communes : tous sur un même bateau, « ivre »,
en notre « présent » partagé
, tant bien que vaille ;

alors :
comment s’en protéger, si peu que ce soit ?) :

d’où ce « versant doucement vénéneux du présent »
partagé
, en effet, par tout un chacun

Ces « essais » expriment,
du moins est-ce là ce que j’y lis, y perçois, y dé-chiffre, dessous la soie (de l’écriture de Maxime Cohen),
la tentation _ « ambiante », annonciatrice ?.. _ du repli (et retrait) hédoniste

(à l’écart de la vie partagée :
ce que Jacques Rancière nomme, dans un bien bel essai, « Le Partage du sensible« , de 2000, déjà _ à La Fabrique)

la tentation du repli (et retrait) hédoniste, donc,
sur (et en) son jardin
_ de curé, en l’occurrence, dans le cas de l’auteur :
« Maxime Cohen vit entre Paris où il est conservateur général des bibliothèques
et un petit village de Haute-Normandie où il cultive

_ « épicuriennement », commenterai-je _
un jardin de curé« , indique la « Quatrième de couverture »…) ;

sur (et en) son jardin de curé, dans le cas de l’auteur, donc,
de ces « essais »
assez rapides (alertes, véloces, « fa presto« ) :
l’auteur n’oubliant certes pas de penser _ éditorialement, en quelque sorte ; et poliment, en tout cas _
au lecteur un peu pressé (en « temps disponible » de sa part : lire en requiert, forcément ! de ce temps de « disponibilité » attentive, et un tant soit peu curieuse…)
et sans trop de réserves, non plus, de patience :

plusieurs chapitres (tels « Des manières de lire ce livre » _ page 35 _ et « Où je vous imagine » _ page 143) s’adressant fort obligeamment directement et frontalement à lui, « le lecteur » ;

en ménageant, par une certaine qualité de la brièveté de l’écriture, la patience/impatience de la lecture :

« la brièveté sobre et légère est la meilleure compagnie de notre loisir
_ dit ainsi l’auteur page 257, au chapitre « De la fatigue » _,
dans notre vie comme dans notre lecture : c’est le nombre d’or d’un ouvrage qui a la prétention d’être lu.« 

Précisant encore :
« La peine à réussir certaines de nos entreprises est souvent l’indice irréfutable de notre peu de talent pour elles. L’apologie du travail trouve là une de ses limites inexplorées. Nous ne devrions faire que ce que nous faisons facilement« ,
en lui adjoignant ce vers du grand La Fontaine (de la fable « L’âne et le petit chien » _ « Fables« , IV, 5) :
« Ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien avec grâce« 

Alors !…

Ces « essais » expriment, ainsi, la tentation du repli (et retrait, voire retirement) hédoniste
sur (et en) son jardin
ou/et sur (et en)
sa bibliothèque :


vers la consolation de (par des) fleurs
_ pour celles des allées du jardin _
et de (par des) livres
_ pour ceux des rayons de la bibliothèque _
choisis _ livres et fleurs _ ;

ainsi que,
comme renfort de satisfaction
en « nourritures terrestres« , gidiennement, quasi _ mais oui, Nathanaël !.. _,
le potager, la cuisine, le cellier, la cave à vins

_ j’adore personnellement le passage, pages 162-163, sur le vin de « Graves » :
« Lorsqu’on le porte aux lèvres, (…) le vin de Graves nous révèle ce qu’il nous avait dérobé »
(au prime abord « au nez« , en cette « sorte de grisaille » qui, venait de dire Maxime Cohen, « comme les chefs-d’œuvre, déçoivent le profane étourdi par la renommée« …) : comme c’est bien « senti » !..
« Mais dès qu’on laisse au temps le soin de décanter cette première impression ; dès que les premières atteintes d’une mémoire encore proche ont enrichi les saveurs d’une seconde gorgée en la chargeant d’une longueur et d’une complexité qu’il est laissé à la troisième d’amplifier puis aux suivantes de parfaire : alors toutes les richesses de ce vin se révêlent au goûteur le moins indulgent, dont l’espérance future de nouvelles dégustations, prometteuses de découvertes illimitées, magnifie en douceur celle qu’il est sur le point d’achever« … _ ;

et même le grenier (des choses écartées, mais tout de même conservées, pas jetées, ni détruites tout à fait ; et donc « retrouvables », un beau jour…) ;

en plus de la compagnie _ conversante _ de quelques amis ;

ainsi,
peut-être aussi, mais c’est _ volontairement _ plus flou, de la part de l’auteur (toujours assez prudent, du moins en ces pages),

ainsi que d’amours
_ « se faisant »

(c’est presque une gymnastique vivifiante, comme, par exemple, après une maladie ;
ou bien pour faire la nique aux avancées, naturelles, forcément, du vieillissement physiologique…) _

ainsi que d’amours, donc,
de passage

(l’auteur allant jusqu’à parler, ici, mais toujours fort discrètement à son propos
_ il a la sainte horreur de se mettre lui-même en scène,
jusqu’à, même, le reprocher au Montaigne de ses « Essais« ,
au « style » qualifié, page 43, de « cahoteux » (!..) ;

l’auteur allant jusqu’à parler, à propos de ces « amours se faisant »
de « plaisir« , voire d' »érotisme« ) :
cf notamment le chapitre page 105, à propos de la satisfaction offerte (dans l’Antiquité) par certaines beautés (viriles) _ ;

toute cette « consolation », donc,
vient compenser, en son « quant à soi », les peines et douleurs d’une époque rude,
sèche, rugueuse,
pas encore assez douce en son obtuse arrogante grossièreté…


D’où le choix _ sélectif, si je puis dire, pléonastiquement _ d’un certain dilettantisme
(en fait de « mode de vie », carrément ; et pas uniquement d’écriture),
consistant à s’abstraire
_ pour l’auteur-lecteur-compagnon-ami-jardinier et bibliothécaire _
le plus possible
des occasions et risques
de chagrin et peine de passion,
et peut-être même sentiment
,

pour ne « retenir », de son « tri » d’exister, que des plaisirs (d’émotions), ainsi,
« choisis », filtrés, triés sur le volet
_ et d’excellentes sortes,
particulièrement « raffinés » en effet, de la plus « haute » gamme, même, en leur rareté, et même « singularité » assez magnifique :

comme, un exemple entre mille, celui de se délecter du théâtre de Voltaire _ par exemple, « Mérope« , ou « Irène » ;
de « Mahomet« , l’auteur se contente de citer en note, page 304, la traduction par Goethe en 1802, ainsi que le fait que ce dernier « s’inspira du sujet dans un fragment dramatique éponyme, ainsi que dans des scènes de « Faust » _ ;

se délecter du théâtre de Voltaire, donc :
Voltaire ainsi, par Maxime Cohen, « réhabilité » (comme auteur magnifique) en son théâtre ;

et c’est toute la tradition « classique » _ et pas seulement la tradition dramaturgique classique _ qui peu à peu est mise en charpies _ depuis Stendhal et Victor Hugo en faveur de Shakespeare et contre Racine ! _  par ce qui, sur le marché de l’Art (et de l' »entertainment« , comme on dit à Broadway et à Hollywood), la « remplace », en l’ère du triomphe de la marchandise et du marketing (et marchandising),
via la déferlante des « Avant-gardes » (modernistes) successives depuis le début du XIXème siècle « démocratique » (et le XXème bientôt « populiste » _ ou « pipolisé » :

cf l’excellent « La Privation de l’intime _ mises en scène politiques des sentiments« , de Michaël Fœssel (aux Éditions du Seuil, ce mois d’octobre-ci…)…

alors que pas un mot, ou guère
_ me semble-t-il, du moins : je n’en ai pas souvenir ! _,
n’est consacré à l’œuvre, si brûlante (à mes sens), de Marivaux…

L’auteur prend, aussi _ ou ainsi _, un (petit) malin plaisir à cultiver _ goûteusement _ le paradoxe :
page 73, lui-même avait signalé combien les « dispositions » de l’essai, comme « genre », « attisent le goût des paradoxes« ,
ajoutant même alors, en technicien-praticien de l' »exercice » : « seul moyen de ranimer un sujet rebattu » ;

au point qu’on en vient, en lisant plus avant le livre (de 382 « riches » pages), au bord (vertigineux : il y a « gouffre ») de la question :

ne serait-ce pas là,
ce livre,
une (et assez cruelle, même !) parodie
de l’élitisme éclectique
d’un certain snobisme ?..


A deux ou trois reprises, le nom de William Thackeray, « l’auteur du « Livre des snobs« , est évoqué (quatre, en fait : aux pages 78, 141 et 224 : par deux fois) ;
quant au « Livre des snobs » lui-même, en tant qu’œuvre, veux-je dire, ce serait à vérifier :
et la réponse est oui : page 224, au chapitre « Sur l’art de traduire« ,
pour désigner, après l’évocation de la traduction de « Vanity fair » par Georges Guiffrey en 1855, « avec la bénédiction de Thackeray » lui-même,

pour désigner, donc, « l’auteur du « Livre des snobs« ,
mais sans rien en dire (ou révéler d’indicatif, cette fois : y réfléchir) davantage…

L’hypothèse prendrait même un semblant de consistance
en relevant les « réactions » éminemment favorables _ sinon « complices »,
si elles n’étaient d’absolue bonne foi, ou tout bonnement, peut-être, de premier degré, voire « naïves », si l’on préfère, de critiques _ d' »organes de presse » tels que Le Figaro (article intitulé « le gai savoir« , par Etienne Montety, le 18 septembre), ou Valeurs actuelles (article intitulé « contre les dégoûts de la vie, lisez Maxime Cohen« , le 18 septembre, aussi) ;

Patrick Kéchichian, de même, dans Le Monde (du 19 septembre), étant, lui-même, « très favorable » à ces « Promenades sous la lune« , sans être tout à fait aussi dithyrambique que ses confrères (davantage épris de « classicisme », vraisemblablement) du Figaro et de Valeurs actuelles :

j’en retiens cette phrase :

« Érudit bienveillant et universel à la manière de George Steiner (en plus souriant), de Mario Praz, d’Alberto Manguel ou encore de Borges (avec lequel il maintient une certaine distance), Maxime Cohen a écrit le plus beau livre d’heures et de raison que l’on puisse imaginer. On partage, ou non, sa philosophie, entre sophistique et scepticisme. On peut le suivre, ou non, dans ses goûts, ses choix. Aucun obstacle ne vient interrompre ces « Promenades sous la lune« . Seuls notre égoïsme et notre manque de curiosité nous empêcheraient de poursuivre l’intense conversation à laquelle Maxime Cohen nous invite. »

Excellente balance du jugement…

Bref,
son propre plaisir de lecteur,
sans ses agacements,
se voit ici
_ dois-je bien volontiers « reconnaître » _ comme croqué, singé, parodié, porté à la brûlure _ luminescente ! _ de la caricature,
au point
d’en être _ ou qu’on en soit _ piqué jusque de colère :
tant de (terriblement efficace) lucidité…


L’autorité (du travail sociologique) de « La distinction » de Pierre Bourdieu
s’en verrait « renforcée »,
en matière de qualification d' »élitisme »…

Maxime Cohen n’est cependant pas
(tout à fait) un (autre, si c’était possible !) Michel Deguy
_ dépourvu, lui (philosophe) _ et absolument ! _, de tout maniérisme, dans la sobriété (verte, de verdeur alerte) de sa parfaite (admirable) pure et simple sublime justesse (envers la vérité : quant au réel !..) ;
lire, par exemple, le très grand « Le Sens de la visite » (aux Éditions Stock, en septembre 2006) ;

ni (tout à fait), non plus _ et d’une tout autre façon, bien sûr ! _ un (autre !) Renaud Camus
_ dont on admire le courage des engagements (forts :
sans bavures, tant ils sont droits, clairs et nets)
d’écriture et d’existence ;

avec, aussi, ce qu’il en a récolté (à la tonne, pas à la petite cuillère, ni même à la louche : au tombereau…) d’éclaboussures de boue de « scandale » (en son « affaire« , le printemps et l’été 2000) :

il faut, ici, lire _ c’est un très grand « Précis de lecture« , et (forcément !) méconnu, négligé (du fait du « scandale »…) _ sa parfaite défense, à la virgule près
(telle celle _ défense, et non virgule ! _ de Socrate en l' »Apologie » reconstituée, post mortem, par Platon,
toutes proportions gardées, bien sûr, mais tout de même :
que d’injustices
de beaucoup (!) à « hurler »
_ sans avoir effectivement ce qui s’appelle « lu » ! « lu vraiment » ; et pas « en survolant » « à la va-vite » (ou/et en maniant des ciseaux ; et œillères)… _ ;

à « hurler avec la meute
« des loups,
ou des chacals) ;

il faut, ici, lire _ vraiment ; et « en vérité »… _, donc, ce très grand « Précis de lecture« ,
qu’est le « rare » (et sans majuscules sur la couverture) « corbeaux _ Journal 9 avril – 9 juillet 2000« , édité par « nouvelles impressions », et publié, dans l’urgence _ bousculée, violentée _ de sa « défense », le 8 novembre 2000 ;

bien des « parleurs » (sur les ondes ; et « écriveurs », sur le papier) « en prendraient »
_ pour si « mal » (ou si « peu ») « vraiment » lire, peut-être (si nous rêvions un peu !..) _
« de la graine »…

Fin de l’incidente à propos de Michel Deguy et de Renaud Camus ;
desquels j’ai distingué
tout en l’en rapprochant un peu, aussi,
Maxime Cohen :
qu’on en juge_ en les lisant tous trois…

Maxime Cohen offre, ainsi, une sorte de graffitti _ comme en estampes, ici _ à la Tiepolo (1696 – 1770)
sur ce que deviennent, à un tournant de pourrissement, les fruits (splendidement matures, juste avant ce « tournant » ; et succulents) d’une culture ou civilisation
_ pour Giambattista Tiepolo, c’était la Venise des Lumières :

Venise :
une cité et une civilisation qui devint, sur le tard (de sa république), putassière :
Maxime Cohen raconte ce que dit si joliment
(au très court chapitre « De la plus courte scène érotique de la littérature française« , à la page 186 de ces « Promenades sous la lune« )
le « salé » (page 203) en même temps que « de grand ton » (page 204) Président (et bourguignon) Charles de Brosses
(« au chapitre quatorze« , et à la date du 13 août 1739, de ses justement célèbres « Lettres d’Italie« )
de « la signora Bagatina, en réalité l’épouse d’un noble vénitien qui se prostitue _ elle, pas lui (du moins je le suppose) _ aux étrangers en échange d’un certain nombre de sequins »
(page 186, donc ;
pour l’édition des « Lettres d’Italie » du Président de Brosses, du Mercure de France, en 1986,
le passage se trouve à la page 195 du tome premier),

en matière de ses rencontres de courtisanes vénitiennes
_ on se souvient de l’image de celles (« Deux courtisanes« , vers 1510 – 1515) de Vittore Carpaccio (ca 1455 – 1526)_ ;

voici le passage admiré (« je ne vois rien qui puisse (à « ces quelques mots« ) être préféré chez Sade ou chez n’importe quel pornographe« , « notre président les coiffe haut la main » :

 » Enfin, s’apercevant de ce qui causait mon inquiétude, elle a eu le bon procédé de la lever elle-même au bout d’un instant, en quittant son faux nom et sa fausse décence. Elle a même eu l’air surpris de ma libéralité. »

Je relèverai seulement que Maxime Cohen a « shunté » de la lettre de de Brosses, à la suite de l’expression « fausse décence« , trois vers
de l' »Enfer » (au chapitre viii) de Dante, que voici :
« E poi che la sua mano alla mia pose
Con lieto volto, onde mi confortai,
Mi mise dintro alle segrete cose
« …

De même qu’il a coupé l’explicitation par de Brosses de sa « libéralité ; car _ poursuivait-celui-ci _ en faveur du meuble et de l’habillement, j’ai doublé les sequins, ne voulant pas avoir rien mis de médiocre dans une main ornée de diamants« …

Voilà pour la « grande manière qu’il met, en passant, à tout cela« , conclut son chapitre de trois pages
quant à Charles de Brosses en goguette « érotique » à Venise, en 1739,
page 186, Maxime Cohen.

Venise, donc,
mûre et blette
avant (ou « au tournant » de) la chute :

le premier coup de grâce _ pour l’ État de Venise _ viendra de Napoléon (en 1797 : abdication du doge Lodovico Manin ; fin de la république de Venise) ;
puis ce seront les Autrichiens qui, au Congrès de Vienne (en 1815), ramasseront (raffleront : pour un bon demi-siècle, jusqu’en 1866) le « tapis » de ce « jeu » (de dupes) ;

on en jugera par les délicieusement « vertes » aventures du « Senso » de Camillo Boito (ou le « Carnet secret de la comtesse Livia« ) ;
puis, à son tour, de Luchino Visconti, en 1954
(avec ce qu’il advient de la rencontre du bel officier autrichien _ de Stewart Granger, dans le film _ et de la plus belle encore comtesse vénitienne _ d’Alida Valli _,
après l’incident,
en ouverture (tant individuelle que collective _ bien sûr, comme toutes nos vies, elles « se tissent » serré),
des tracts (et cocardes tricolores) lancés en pluie des balcons du théâtre de la Fenice (= le Phœnix, animal sachant renaître de ses cendres : le théâtre revivant après avoir brûlé le 13 décembre 1836 ; puis le 29 janvier 1996…),
en ouverture des « hostilités » de la « révolte » : c’était le 27 mai 1866, à la fin du troisième acte du « Trovatore » de Verdi, aux cris de « Viva Verdi ! » (= « Vive Victor-Emmanuel, roi d’Italie !« )…

Bref, ces « Promenades sous la lune« 
_ l’expression est délicieusement (indirectement) empruntée à la plume de la _ tout simplement : au pied de la lettre _ charmante Madame de Sévigné (1626 – 1696), en ses « saisons » (par exemple le 12 juin 1680 ; mais déjà le 21 octobre 1671) passées en son jardin du château des Rochers,

la mère « rassurant », sur sa (propre) santé et ses humeurs (heureuses, joyeuses, facétieuses, même, en sa faconde)
par ce que qu’elle en narre (et plus encore par son art même, merveilleusement « libre », « échevelé », de le narrer : quelle « raconteuse » !) ;

« rassurant », donc, sa très chère fille, Madame de Grignan (Françoise-Marguerite _ 1646 – 1705), demeurant au loin, en Provence,
en sa nouvelle demeure _ le château de Grignan _ d’épouse
_ la troisième (le mariage a été célébré le 29 janvier 1669) :
la première (d’épouse), Angélique-Clarisse d’Angennes, est morte en 1664 ;
et la seconde, Marie-Angélique du Puy-du-Fou, en 1667 _ ;

en sa nouvelle (depuis 1669) demeure _ le château de Grignan _ d’épouse, donc,
du Gouverneur de Provence, François de Grignan (1632 – 1714), de la famille provençale des Castellane-Adhémar
_ jusqu’à leur fils (enfin !) qui est baptisé de ce double prénom (royal) de « Louis-Provence » (1671 – 1704) _ ;

qu’elle
_ marquise de Sévigné, née Marie de Rabutin-Chantal (1626 – 1696),
tout à la fois bourguignonne (par son père : Celse-Bénigne de Rabutin-Chantal _ 1596 – 1627)
et parisienne (par sa mère, Marie de Coulanges _ 1603 – 1633 _, place Royale, et au Marais) _

sait, l’âge venant, puis, bel et bien, venu, et advenu,
prendre et goûter à loisir son plaisir
(de veuve joyeusement tranquille) en son château (acquis par elle par mariage, puis _ bien vite _ veuvage, avec le marquis Henri de Sévigné, breton _ 1623 – 1651) ;

en son château et en son parc
retiré de Bretagne _ des Rochers, proche de Vitré _,
et loin d’elle, sa fille adorée :

je ne résiste pas au plaisir de citer ce merveilleux passage de la lettre « Aux Rochers, ce 12e juin (1680) »,
lettre débutant par « Comment, ma bonne ? j’ai donc fait un sermon sans y penser ? »
(page 968 du volume II de la « Correspondance«  de Madame de Sévigné, dans l’édition établie par le regretté Roger Duchêne en 1974, dans la bibliothèque de La Pléiade
_ le passage se trouve à la page 970 de ce volume II de la Pléiade ;
et pages 22 & 23 des « Promenades sous la lune« , où le cite jubilatoirement, à son tour, Maxime Cohen :

« L’autre jour, on vint me dire : « Madame, il fait chaud dans le mail, il n’y a pas un brin de vent ; la lune y fait des effets les plus brillants du monde. »
Je ne pus résister à la tentation ; je mets mon infanterie sur pied ; je mets tous les bonnets, coiffes et casaques qui n’étaient point nécessaires ; j’allai dans ce mail, dont l’air est comme celui de ma chambre ; je trouvai mille coquecigrues, des moines blancs et noirs, plusieurs religieuses grises et blanches, du linge jeté par-ci, par là, des hommes noirs, d’autres ensevelis tout droits contre des arbres, des petits hommes cachés qui ne montraient que la tête, des prêtres qui n’osaient approcher.
Après avoir ri de toutes ces figures, et nous être persuadés que voilà ce qui s’appelle des esprits

_ nous dirions, nous, « fantômes » _,
et que notre imagination en est le théâtre,
nous nous en revînmes sans nous arrêter, et sans avoir senti la moindre humidité

_ nocturne de ce mois de juin en Bretagne.
Ma chère bonne, je vous demande pardon ; je crus être obligée (…) de donner cette marque de respect à la lune. Je vous assure que je m’en porte fort bien«  :

la santé de la mère (veuve),
et plus encore celle de la fille (en âge de procréer),
entre grossesses successives, couches périlleuses, et craintes (de la part de la mère) des renouvelées velléités (et péripéties) génitrices de l’épouse de M. de Grignan, si sourcilleusement soucieux, lui, d’assurer son lignage
et d’obtenir des héritiers mâles de sa troisième épouse, Françoise-Marguerite,
les deux précédentes, Angélique-Clarisse et Marie-Angélique, étant toutes deux mortes de suites de couches ;

la santé de la mère, comme celle de la fille,
sont, donc, un sujet permanent d’inquiétude (et discours) en filigrane de cette « libre » correspondance (privée, à cœur ouvert, à fleur d’émotions et « passions ») entre Madame de Sévigné et Madame de Grignan… _

Bref
_ je reprends mon fil _,
ces délicieuses « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen, ce mois de septembre 2008,
forment un « état des lieux »
ravissant et goûteux _ d’un très « haut » goût, même _
d’un « état » de civilisation peut-être mûre et blette

« au bord de la chute » : le nôtre, cette fois
_ et non plus celui d’une Venise, au tournant des xviii et xix èmes siècles _
en ce « bel aujourd’hui », blet et assez pourrissant,
de notre « présent »
commun, partagé :

les « sequins » d’aujourd’hui
« rongeant »
bel et bien,
et au galop, s’il vous plaît,
pas mal de nos « affaires »,
un peu plus visiblement que d’habitude, ces derniers temps-ci…

Aussi,

se mirer (pour le lecteur) en pareil miroir (de lecture)
est-il en même temps savoureux, délicieux, oui,
par ce que la curiosité et le goût de la justesse trouvent ici d' »aliment », et consistant,
en de très beaux et très justes chapitres
(et à mille lieues de la plus petite ombre de « lourdeur »),
tels, en butinant :

« De Cicéron et des jardins« ,
« Petit éloge des ordinateurs » (sur la prestesse de l’écrire _ et du penser),
« A propos du discours de Lorenzo Valla sur la fausse donation de Constantin »
(au pape Sylvestre _ pape de 314 à 335 _, sur le souci d’établir la vérité des « faits » en « la recherche et l’édition critique » _ page 63 _, « vers 1450« , pour ce travail de Valla _ page 64),
« Apologie personnelle de l’essai littéraire » (j’y applaudis des deux mains !),
« De la douceur bénédictine« ,
« Éloge empoisonné du barde immortel d’outre-Manche » (sur Shakespeare et ses « monstruosités »),
« Propos sur l’e muet » (capital ! sur ce qu’est le français),
« Au sujet d’Aristote » (et de son style !),
« Des vins » (le passage sur les « Graves« , pages 162-163, est d’un très avisé _ et juste ! _ palais ;
même si l’auteur indique aussi que son « faible va au bourgogne« , quand je suis bordelais !..),
« De la ponctuation » (sur le rythme ; et le souffle : essentiel !!!),
« Sur l’art de traduire« ,
« Critique amusée de Marcel Proust« ,
« Sur la bibliothèque de Leibniz » (magnifique !),
« De la conversation » (bien sûr !),
« Des maladies » (quelle belle justesse d’expérience, après celle de Montaigne),
« Sur la tragédie de l’Europe classique » et « Éloge vengeur du théâtre de Voltaire » _ frisant un peu, tout de même, le paradoxe _,
« Contre les romans » (mais oui !),
« Du juste statut de l’original et de ses copies« ,
« Sur l’imparfait du subjonctif« ,
« Adieu à la musique » et « Naufrage souriant de la culture savante« ,
« De la vieillesse » (oui !),
« Tombeau de la grande abbesse de Fontevrault » (sur l’esprit des Mortemart,
une enquête savoureuse, dans la continuation de « lièvres » déjà, mais pas assez, au goût de l’auteur, « levés » par Proust, Saint-Simon, Retz),
etc… ;

bref, ces délicieuses « Promenades sous la lune »
forment un « état des lieux » ravissant et goûteux

en même temps que, par quelque « angle de regard », écœurant et effrayant
de l’inconscience (?..) et (auto ?..) aveuglement de l’égoïsme (?) d’un tel _ peut-être celui de l’auteur (?) _ dilettantisme
(goût exclusif du plaisir, bien dé-taché, à l’écart, du moindre risque d' »ombre » seulement, même, de chagrin et de peine) ;
et, peut-être, snobisme…

refusant
_ en, semble-t-il, en repoussant a priori l’éventualité : mais est-ce bien le cas ?.. je suis peut-être injuste… _
un vrai (solidement ancré _ et pas rien que « d’encre » _ dans le réel !) amour,
une passion,
un engagement

avec les suites et conséquences (bien réelles)
qui nous requièrent
(en entier, carrément ; sans retour, sans repli, sans retrait, ni retraite) :
telle qu’un amour réel et des enfants…

C’est du moins le sentiment que j’ai retiré
de ce qui m’a paru constituer un « retrait » calculé de soi et pour soi
sur son seul « quant-à-soi »…

Je remercie vivement l’ami Patrick Sainton,
généreux de sa vie et de son art, de son œuvre,
de m’avoir donné à « rencontrer » ce livre délicieux, passionnant, si riche et si souvent tellement juste,
et effrayant, tout à la fois,

sur soi (et d’autres) : en tous cas sur ce qu’il en est
_ ou m’a, du moins, paru « être » _
de « versants doucement vénéneux »
de quelques unes des pentes
(plus ou moins douces) de notre
incertain et trouble
« présent »…


Il n’empêche :
comme nous approuvons Maxime Cohen, quand,

à propos de certaines réticences de Voltaire à l’égard de Shakespeare, au chapitre « Éloge empoisonné du barde immortel d’Outre-Manche »,
il avance, page 129 :

les arguments « de Voltaire contre Shakespeare relèvent donc moins de l’histoire du goût littéraire que d’une certaine philosophie de l’histoire »
_ vers un refus des « formes » et du « style », au profit du laisser-aller des pulsions, vannes grandes ouvertes du « monstrueux »
et de l' »inhumain »…


Ces arguments-là,
« ce n’est pas Shakespeare qu’ils visent, mais nous _ les « modernes » ! _ qui préférerions dans l’art _ on appréciera l’emploi de ce conditionnel _ ce qui dit non à l’art _ et aux « formes », et au « style » _
et par là même à l’humanité. »

Rien moins.

Ou quand l’esthétique est un enjeu « de première ligne » (« de front ») de la « civilisation »…
Merci, déjà, de cela, Maxime Cohen…


Titus Curiosus, ce 24 octobre 2008….

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