Sur un excellent article : « Patience et battons les cartes ! » sur le riche et stimulant (pour la « curiosité ») blog « La République des livres » de Pierre Assouline, sur le site du quotidien Le Monde, ce 21 août 2008.
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« 21 août 2008
Patience et battons les cartes !
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Unamuno, ça ne se refuse pas. Surtout si c’est un inédit, en français du moins, au sein d’un ensemble de textes ainsi assemblés, dans une traduction historique relue par l’auteur même, sous la couverture lie-de-vin d’une petite maison arlésienne qui aime le travail bien fait et publie de jolis livres à l’enseigne énigmatique des « Fondeurs de Briques ». De toute façon, avec un titre aussi alléchant que « Comment on fait un roman« (« Como se hace una novela« , traduit de l’espagnol par Jean Cassou, 91 pages, 12 euros), on ne peut faire l’impasse : on se précipite. Notez bien l’usage de “faire” en lieu et place d’”écrire”. Le texte donnant son titre au recueil datant de 1927, il est précédé d’un portrait de Miguel de Unamuno écrit par son traducteur quelques mois avant. On y perçoit une belle complicité entre un créateur et son interprète, souterraine aussi bien que souveraine ; quelque chose d’à la fois chaleureux et respectueux. Au passage, Cassou s’offre même le luxe d’un “cogniscible” et d’un “conceptisme” qui produisent un certain effet. Il en use au moment de donner sa définition du nihilisme espagnol à travers ce qu’Unamuno exprime lorsqu’il en touche le fond : à savoir que “ce monde relève à tel point du songe qu’il ne mérite même point d’être rêvé sous une forme systématique”.
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C’est un portrait admiratif, mais comme celui qui le brosse juge que, tout ce qu’écrit le philosophe de Salamanque relève au fond du commentaire, celui-ci prend la mouche. Dans une note intitulée…”Commentaire”, il se récrie. « Commentaires« , mes romans et mes drames ? Commentaires, mes essais historiques et ma poésie ? Mais alors tout est commentaire ! à commencer par « L’Iliade« , commentaire d’un moment de la guerre de Troie et en poursuivant avec « La Divine comédie« , commentaire des luttes entre la Papauté et l’Empire. Puis il en vient au cœur du problème : comment on fait un roman. Un mot d’abord en souvenir de la proscription auquel le voua le régime dictatorial de Primo de Rivera, à l’île de Fuerteventura, son Guernesey à lui, puis à Paris et à Hendaye, un mot sur la notion d’”exil” qui se dit « destierro » en espagnol et que son traducteur entraîne même du côté du “déterrement” et du “décielement”. Après quoi il prend la bête par les cornes, non pour faire de la littérature une tauromachie à la Leiris (voir sa dénonciation de l’élevage des taureaux de combat dans « Écrits sur les taureaux » qui vient de paraître chez le même éditeur) mais pour expliquer que toute œuvre de fiction est autobiographique puisqu’avant de créer un personnage, on le fait sien. Madame Bovary, c’est Flaubert, mais M. Homais, Bouvard et Pécuchet tout autant. Est-ce ainsi qu’on fait un roman ? Un instant.
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D’abord considérer que Valéry Larbaud avait tort de tenir la lecture pour un « vice impuni » : c’est un vice puni de mort continue, car il empêche l’écrivain d’écrire, il le love dans d’autres univers que le sien et le distrait de son travail, la page blanche est son châtiment. Ensuite observer l’étymologie du mot “problème” au cœur de l’invention romanesque : voyons, « proballein« , c’est à dire “jeter”, “mettre devant”, “présenter”, équivalent du latin « proiicere« donc “projeter”, ce qui revient à dire que “problème” équivaut à “projet”, sous-entendu projet d’action. Donc on résout en faisant. CQFD. Unamuno se regarde au miroir de Cassou, il examine les lieux communs qui lui collent à la peau : paradoxal ? certainement ; gueux d’helleniste ? cela lui permet de se rappeler qu’”hypocrite” signifie “acteur” ; ce qu’il cherche en écrivant ? comme les autres, fuir la mort qui se présente. Voilà pourquoi il est impératif de laisser un roman inachevé : “L’achevé, le parfait, c’est la mort, et la vie ne saurait mourir. Le lecteur, qui cherche des romans achevés, ne mérite pas d’être mon lecteur : il est lui-même déjà achevé avant que de m’avoir lu“. Est-on plus avancé quant à la fabrication du roman ? Pas vraiment. On l’aura compris, Miguel de Unamuno, l’auteur fondamental du « Sentiment tragique de la vie », l’inoubliable, fier et courageux recteur de Salamanque qui défia seul les fascistes qui assistaient médusés à son fracassant discours, avait moins l’intention de nous le révéler que de partager ses tourments métapolitiques et religieux et d’évoquer quelques menus détails de sa vie intérieure. Celui-ci par exemple : le bridge est la meilleure école de vie et de pensée, foi d’un ancien pilier du Grand Café d’Hendaye. “Patience et battons les cartes !” Voilà bien une sagesse de moraliste. C’est Montesinos qui le dit dans le « Quichotte« , c’est donc vrai. Savoir tendre la main au hasard, tout le problème est là. Qui a compris cela sait faire un roman. Ne lui reste plus alors qu’à l’écrire. »
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Lire,
de même, en suite, qu’écrire,
demande, au-delà d’un minimum de temps disponible
_ et à donner, gaspiller et perdre (à fonds perdus si l’on veut…) _ ;
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lire demande
un minimum de vertu : celle de « patience », en effet
_ compagne des vertus
déjà un peu abordées sur ce blog-ci
de « vaillance », et de « courage » ;
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mais sur le versant, ici (et « pentu »…) éminemment crucial
(en une vie fondamentalement temporelle, bien sûr, elle aussi, et elle d’abord
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_ que fait donc un être humain,
et pas tout à fait encore « in-humain » (cf Bernard Stiegler : « Prendre soin« )
de « son temps » ?
pour si peu que ce temps
offert par le simple fait de la vie, et du « vivre »
_ de peu d’effort, et de peu de mérite, lui, du moins a priori ;
après (= a posteriori), il s’agit de « durer », de « demeurer », de « survivre » … _ ;
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pour si peu que ce temps-là
soit,
bien (ou même « très » !) effectivement,
un peu « saisi »
et un peu « mis à profit » ;
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en un « agir » (par « actes »)
qui ne soit pas seulement réflexe
_ selon la logique du
(précieux _ et vendable ; et vendu, en espèces bien sonnantes et trébuchantes, elles ; du moins d’un compte bancaire à un autre
_ pas seulement symboliquement, donc :
d’où la relative « réalité » d’un certain « pouvoir » d’action, en ce monde tant soit peu partagé (un minimum) -ci… _ ;
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selon la logique _ impériale ! _ donc du « temps de cerveau disponible« de l' »Homo Télé-spectator »
consommateur
(= « sommé de » « consommer » !)
des « produits » « de marque » du marché (cf ici Dany-Robert Dufour : « Le Divin marché« )
à laquelle (« logique », donc) ces temps-ci est en train de se « rétrécir » la persistante (persévérante, voire « résistante ») _ pour combien de temps encore » _ « espèce humaine »
selon la belle appellation -« invocation » _ c’est surtout un « appel » !!! _ de Robert Antelme (« L’Espèce Humaine« )
au retour « des camps« , en 1945…
Tout se tiendrait-il donc ?…
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sur le versant, ici (et « pentu »…) éminemment crucial, donc,
du temps « à vivre », donc…
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Il y a ici quelque chose de l’ordre de l’alarme et de l' »appel »,
chez Unamuno, en 1936,
chez Jean Cassou (même date) ;
ainsi que chez leurs éditeurs d’aujourd’hui _ 2008 _ ;
ainsi que dans l’article, en son remarquable blog, de Pierre Assouline :
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au fait,
il ne faudra pas manquer
la « rencontre » avec Pierre Assouline le jeudi 18 septembre à 18 h dans les salons Albert Mollat :
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Pierre Assouline,
un remarquable « passeur » de littérature, pour s’orienter (un peu ; un peu mieux) dans le lire,
parmi la foule (effrayante par les dimensions mêmes de sa prolifération) des livres _ jusqu’à constituer,
ainsi que le « revendique » _ c’est un peu mieux que « rêver » _
le beau titre de son blog : « La République des livres » : tout un programme !
« Encore, un effort, Français,
pour être (ou enfin « devenir » ?
quand ? comment ? où ?) républicains« …
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Même si on pourrait, aussi, le titiller un peu
sur une (petite) propension à s’attarder un peu trop sur une dimension « mondaine » (et parisienne, voire germano-pratine)
du livre (et des écrivains),
au détriment de la qualité véritablement « littéraire » (ou artistique) des œuvres ;
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à donner un peu trop dans ce que le si lucide Michel Deguy _ un contemporain vraiment majeur, lui ! _
qualifie très justement, acidement, de « culturel » _ c’est-à-dire social, sociologique, et même religieux :
de fonction grégaire… Tout à rebours d’un Nietzsche…
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Un exemple (de cette propension « mondaine » au détriment de l’Art » même !),
ici même _ et si le lecteur veut bien m’y autoriser
(en m’accordant le temps précieux de sa lecture) :
sur la foi d’un des remarquables articles de Pierre Assouline : « Enquêtes sur nos parts d’ombre«
_ en me permettant de mettre en gras certaines de ses expressions ou phrases :
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« 04 juin 2008
Enquêtes sur nos parts d’ombre
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Qu’est-ce qui pousse un homme à un retour sur soi qui lui impose d’enquêter sans relâche sur la part d’ombre de ses proches ? Quelque chose d’indicible que l’écrivain s’obstine à creuser. Il est hanté par l’enquête,
obsession que l’on retrouve au coeur de deux premiers textes particulièrement réussis, un roman et un récit.
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Dans « Les Bains de Kiraly« (133 pages, 17 euros, Sabine Wespieser), Jean Mattern nous mène sur les traces des siens de Bar-sur-Aube et du cimetière de Proverville aux confins de la Hongrie en passant par le Londres de Golders Green. La religion envahit le narrateur, quand bien même se réduirait-elle à sa plus sobre expression à l’instant où l’âme se dissocie du corps (« Dieu a donné, Dieu a repris« ). Il rend bien ces regards “comme si la vie était trop lourde à porter” avec des mots justes et fins. Mais au-delà de cette quête, il se livre à une belle méditation sur la langue. Lui qui avait achevé ses études avec une thèse sur Thomas Mann, il entre dans la vie active en obtenant d’une prestigieuse maison d’édition la commande d’une nouvelle traduction du « Docteur Faustus« . Et c’est en participant à Budapest à un congrès de traducteurs de “cet allemand si sophistiqué” de Mann, en confrontant les difficultés qu’ils ont à restituer “les couches superposées de sa rhétorique germanique et de ses phrases à embranchements multiples”, qu’il comprend où le mène son roman des origines.
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Son impérieuse nécessité de mettre à nu les mensonges familiaux, l’achat d’une conversion comme on s’achète une conduite, même si c’est un peu vain : ”La découverte d’une histoire vieille de plus d’un siècle ne peut pas me tenir lieu d’identité aujourd’hui. Une épiphanie ne peut effacer l’homme que je suis devenu”. Cette absolue volonté de savoir qui étaient au juste ses grands-parents, d’où ils venaient, et pourquoi leur héritage n’était précédé d’aucun testament.
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Mais aussi loin que ses pas le porteront, il sera toujours le frère de la morte. Il sait désormais qu’à tous les âges de sa vie, il restera à jamais l’enfant de dix ans privé de sa sœur, la nuque brisée dans un accident de la route, un soir d’octobre, sur le bas-côté d’une route champenoise. On n’échappe pas à ses fantômes, surtout lorsqu’ils sont encore là, tout près. On ne leur échappe pas, fut-ce aux bains de Kiraly, à défaut des bains de l’hôtel Gellert. La rencontre d’un aristocrate, assez décati et vaguement onaniste,“pas si insensé lorsqu’il compare les masturbateurs compulsifs aux traducteurs obsessionnels“, lui fait saisir la réalité dissimulée derrière le grand meccano des mots où il fait bon s’abriter lorsqu’on est traducteur et qu’on aime jouer aux échecs avec des dictionnaires. Le déclic lui viendra de biais, dans une traduction anglaise du « Jérémie » de Franz Werfel trouvée par hasard chez un bouquiniste. Il restera à jamais prisonnier d’une absence, quand bien même aurait-il vécu, ce qui s’appelle vivre, beaucoup plus longtemps sans elle qu’avec elle. Mais à quoi bon retrouver ces ombres du passé si l’on ne sait plus quoi en faire ?
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Aussi réussi que le roman de Jean Mattern, le livre de Jean-Marie Borzeix « Jeudi saint » (183 pages, 16 euros, Stock) s’articule sur un même canevas. Sauf que le spectre de l’Occupation y rôde à toutes les pages. Dès les citations placées en épigraphe, il invite à ne pas se résigner à la défaite que constitue l’oubli, et à ne pas se laisser envahir par le présent à l’exclusion de la suite des années. Le village de l’Échameil en Haute-Corrèze est le théâtre intime de cette chronique des jours passés, elle aussi gouvernée par une enquête agitée de rumeurs et de murmures. Ca s’est passé en avril 1944 dans la journée du jeudi saint. C’était le temps des rafles et des otages. Le narrateur de ce récit, qui ne cherche pas à se draper dans les habits de cérémonie du roman, veut se faire l’attentif historien de cette journée particulière dans ce minuscule coin de France. Écartelé entre le crédit à accorder aux souvenirs des témoins et la totale confiance généralement donnée aux documents d’archives, il navigue entre les petites lâchetés et le courage ordinaires de personnes que sa quête élève au statut de personnages. Tout cela pour retracer le destin d’une poignée d’étrangers échoués là à seule fin de s’y cacher, des “parmi nous” comme on dirait des “malgré nous”. Jamais le plateau limousin n’avait été aussi cosmopolite. Un drame s’est joué là, à l’ombre des bals clandestins, forme de résistance qui connut une vogue considérable à la fin de l’Occupation. L’auteur, né par là à cette époque-là, a voulu comprendre comment s’étaient superposées la déportation des dizaines de Juifs planqués dans des communes du plateau de Millevaches et l’exécution de quatre paysans pris en otages. Soudain, des gens que ceux du cru avaient fini par connaître s’évanouissent dans la nature.
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Il faudra le travail du temps et l’obstination d’un seul qui n’avait “rien à voir avec cette histoire” pour que l’on sache ce qui était véritablement advenu. Et pour cause : “Ce n’est pas un pogrom sauvage, c’est une série d’arrestations tranquilles, une sorte de banal contrôle administratif”. L’histoire s’achève sur le télescopage de deux dates : celle du 6 avril 1944 quelque part en France avec celle du 7 avril 1994 quelque part en Afrique : “Ce jour-là commence le dernier génocide du XXème au siècle au Rwanda. Un génocide préparé de longue date et monstrueusement artisanal”.
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P.S. L’été approche, les critiques reçoivent les livres de la rentrée parfois mélangés à ceux, plus rares il est vrai, de la saison. Bref, je n’ai pas vu que le roman de Jean Mattern ne sortait que le 25 août. Dont acte. Retenez-le, c’est aussi bien. »
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Voilà pour cet article, en lui-même, déjà, bien « intéressant », de Pierre Assouline.
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Pour en venir, maintenant, si on le veut bien, à ma (petite) critique : de « mondanité » germano-pratine…
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Je veux dire :
à un exemple de propension à s’attarder sur une dimension « mondaine » (de l’édition)
au détriment de la qualité véritablement « littéraire » (ou artistique)
des œuvres, donc
_ je reprends le fil de mon raisonnement ainsi que de ma phrase _,
sur la foi d’un de ses remarquables articles : « Enquêtes sur nos parts d’ombre » (du 4 juin dernier),
après avoir lu
_ avec tant de plaisir
que j’ai moi-même rédigé deux articles
(ou « études critiques« , selon l’expression de Jean-Marie Borzeix) : « Ombres dans le paysages : pays, Histoire et filiation » et « Lacunes dans l’histoire » _ ;
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après avoir lu « Jeudi saint« ,
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j’ai lu dès sa sortie
_ le livre est court : 133 pages _
« Les Bains de Kiraly« , de Jean Mattern
(« qui travaille dans l’édition« , signale la Quatrième de couverture),
aux Éditions Sabine Wespieser, ce mois d’août 2008…
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Eh bien, c’est une belle déception que ce livre bâclé (hélas ! à mon jugement ;
et je le regrette beaucoup… ;
car le « sujet » « abordé » _ la très dure pesanteur des « silences » de la « filiation » _,
moi aussi _ comme Pierre Assouline… _
me passionne !) :
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tout au plus, et à peine, une « idée » _ étique, sans souffle ; ni chair ; ni « tripes » _ « de livre » ;
mais dépourvu(e), ici, dans ce cas-ci, de ce qui fait le grouillement _ fantasque… _ de la vie,
car « sans nécessité » à l’intérieur (de la vie palpitante : attendue par le lecteur !) des phrases
_ est-ce donc si difficile à « trouver » (pour un auteur), que de telles phrases,
vibrantes ?.. _ ;
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rien que des « thèmes », des « pistes »,
qui, en effet, tiennent visiblement à cœur à l’auteur, Jean Mattern
(autour _ probablement _ de sa propre « histoire familiale », en Hongrie, à Budapest
(d’où ces « Bains (de Kiraly« )-là ; à la place, en fait, de ceux, mieux connus _ « Bains » ! _, de l’Hôtel Gellert) ;
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mais seulement « évoqués », ces dits « thèmes » et « pistes »,
au travers de personnages eux-mêmes trop pauvrement schématiques,
« pantins » artificiels, alors, sans chair, sans peau, sans tripes, sans sang ; sans vraie « voix »…
_ à commencer par le fantômatique narrateur « Gabriel« , mais qui aurait « dû » s’appeler, d’après le prénom d’un cousin aimé ou admiré de sa mère, « Thomas » ;
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et sa triste (double _ et combien peu crédible !) trahison
et de son épouse, « Laura« , d’abord et surtout
_ au moment où elle tombe enceinte de lui, et va offrir un enfant
(un garçon, que « Gabriel« , par sa fuite, ne connaîtra jamais)
à leur mariage _ ;
et de son meilleur ami _ et « double » spéculaire _, « Léo« …
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Le nom du superbe romancier (1900-1989) Sándor Márai est bien cité
_ le narrateur achetant (page 111) en livre de poche un _ ou plutôt « deux » _ des romans de ce dernier
au moment de s’envoler de l’aéroport de Londres pour celui de Budapest
_ et « une centaine de pages plus loin« , de lecture du narrateur, celui-ci : « je m’endormis dans l’avion, et me réveillai seulement au moment de l’atterrissage« … : encore un de ses (décidément nombreux) actes manqués ? _ ;
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mais ici trop peu demeure hélas des magnifiques et flamboyantes ambiguïtés des si beaux livres du « grand » Sándor Márai :
à commencer par l’admirable « Les Braises« , et leurs histoires _ tellement terrifiantes, elles _ de trahison d’amour et d’amitié ;
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je pense aussi, à ce propos, à l’œuvre _ bouleversante, elle aussi ! _, aujourd’hui _ que Márai n’est plus _ d’un autre très « grand » hongrois, Péter Nádas : « Le livre des mémoires, aux Éditions Plon, en septembre 1998…
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Même s’il s’agit, déjà pour le narrateur (page 19 des « Bains de Kiraly« ) _ pour ne rien dire de l’auteur lui-même, Jean Mattern _ de « remplir les blancs d’une histoire »
_ cf mon article « Lacunes dans l’histoire » _
« que je ne voulais pas me raconter à moi-même« (au passé, dans le récit de ce narrateur victime _ mais aussi complice des « dénis » _ de ses « complexes » familiaux _ serait-ce un pléonasme ? _, donc, page 19, au « démarrage-amorce » de l’intrigue…),
et qui va torturer ce narrateur
au point de « se l’infliger »,
ce récit d' »enquête » des racines tues
(et en quelque sorte « volées », « dérobées »,
qu’on avait voulu nier et « anéantir » : pour l’en protéger !) ;
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au point de « se l’infliger », ce récit d' »enquête » des racines tues, donc,
_ et nous, via l’écriture de l’auteur, avec _
en ces « Bains de Kiraly« -là…
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Mais en demeurant _ un peu trop _ sur notre faim, hélas, tant font défaut ici le souffle et la vie (et les « braises » !) des détails
d’au-delà d’une simple « idée » _ ou « schème », exsangue… _ « de livre »…
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Deux clés de cette intrigue familiale-là
sont deux (lourds) silences parentaux :
l’un, sur la mort d’une sœur aînée, Marianne, victime d’un accident stupide sur une route champenoise
(du côté de Proverville _ où celle-ci est enterrée : le détail est donné dès la seconde page du roman, page 12) : désormais, il est « entendu », en cette famille-là, qu’on ne parlera plus jamais d’elle !.. ;
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et l’autre, à propos de la tombe d’un grand-père maternel, « Karel Roth« , au cimetière (à Pest) de « Kerepesi Temetö » (pages 66-67) :
_ « La colère avait cédé la place à la lassitude lorsque je remarquai que nous nous trouvions dans la partie juive du cimetière. J’essayai de me repérer, sans écouter les commentaires incessants de notre jeune guide : nous nous étions dirigés vers l’est. Au milieu des tombes que je regardais presque malgré moi, honteux de mon voyeurisme _ mais je ne pouvais m’empêcher de trouver belles certaines stèles d’inspiration Art nouveau _, son nom se détacha, accrocha mon regard, me cloua sur place. Karel Roth. Le nom de mon grand-père. Une étoile de David, deux dates. « On avance », me lança le guide«
de ce « passage obligé
du programme touristique
_ qu’était le cimetière pestois de « Kerepesi » (avec « les tombes des grands héros magyars, Lajos Kossut, Ferenc Deák et Lujza Blaha« , et « la division 2, où sont enterrés les martyrs de l’insurrection de 1956« ) _
pour notre petit groupe de traducteurs,
avant le transfert en car au bord du lac Balaton » (page 66),
où se tient le colloque autour de la traduction de l’œuvre de Thomas Mann, pour lequel le-dit « Gabriel » a accompli ce (premier) voyage-là en Hongrie… ;
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« Ce n’était pas la tombe de mon grand-père que je venais de voir«
_ énonce alors le « Gabriel » narrateur de ces « Bains de Kiraly » _ ;
Un homonyme sans doute. Mon grand-père était enterré en Autriche, dans un petit cimetière à Klagenfurt,
muni des sacrements de l’église,
comme ma mère avait pris soin de faire préciser
sur le faire-part de décès » (de son père, « Karel Roth« , donc), est-il signalé par le narrateur à ce moment de son récit censément autobiographique (à la page 67).
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Ensuite,
et suite à une confidence du malheureux narrateur (à propos de sa « filiation » hongroise), le traducteur _ et onaniste, à l’occasion… _ de Thomas Mann en hongrois, « Janos Almassy« , passant « par Londres« , intervient dans l’intrigue (aux pages 98-99) :
« »Voilà ce que j’ai trouvé ». Trois actes de baptême, délivrés par le curé de Sopron
_ non loin du château d’Esterháza où composa la plus grande partie de son œuvre Joseph Haydn, pour les princes Esterházy
(cf mon article « Articles en souffrance, un inventaire à la Prévert« , à propos de ce si beau CD « Trios pour Nikolaus Esterházy » par Rincontro _ CD Alpha 128 _,
en date du 15 avril 1896. Le premier au nom de mon grand-père, âgé de trois mois.
Les deux autres mentionnaient des noms que je voyais pour la première fois : Alma Rosalia Roth, née Biro, et Michaël Baruch Roth. Mes arrière-grands-parents ?« ;
en effet, oui…
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Suivi, encore de cette phrase (du narrateur « Gabriel » : sur le « devenir, ou pas, juif »…) :
« Mais tout cela m’importe peu aujourd’hui. On ne devient pas juif par trois certificats de baptême _ chrétien ! Et on n’efface pas
tant d’années de mensonges et de secrets _ de ses propres parents _ par vingt-cinq heures de jeûne » _ pour Yom Kippour, en une synagogue londonienne (de « Golders Green » : située dans la rue qui « porte ce nom étrange, The Exchange« , est-il indiqué à la toute dernière page, juste avant les mots _ trois courtes phrases _ de la fin, page 133,
que je donne ainsi :
« M’est-il permis d’échanger une autre vie contre la mienne ? Ouvrir une nouvelle porte,
et trouver un autre chemin ?
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Un pas devant l’autre« : soit, pour « finir », presque le titre suédois (« pas à pas ») pour « Être sans destin » d’un autre « grand » _ et juif _ hongrois, l’immense Imre Kertész
(cf mes deux articles : « Kertész /”Dachau” : la bourde du politique (et la non-lecture des “lecteurs”)« et « pourquoi il ne parle pas des camps » : tout, décidément, se tient !!!) …
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Bref, un « squelette » de roman, sans assez de « corps » :
en dépit de quelques belles expressions, tout de même,
telle ce beau « Je suis prisonnier de mon absence« (à moi-même), afin de « désigner » le malaise de langueur, à ce point
si extrême, ici,
qu’il apparaît au lecteur vraiment « trop » invraisemblable ; voilà le « défaut » principiel du dispositif fictionnel ici ! pour ma lecture, du moins… ;
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langueur à ce point, donc,
paralysante, du personnage du narrateur « Gabriel« , à la page 123
_ ce qui fait, au final, l’objet même de ce livre de Jean Mattern ;
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bref, un « squelette » de roman, donc _ j’y arrive _, que ces « Bains de Kiraly » de Jean Mattern
pour un magnifique sujet, et passionnant, tant pour Pierre Assouline que _ humblement _ pour moi-même :
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le « sujet » de « comment sortir de la langueur de tonitruants silences »
« sur-ajoutés », si j’ose dire,
« à la douleur », déjà, étouffante (asphyxiante), elle,
« des pertes »
« et des absences » (physiques) pesantes
« en résultant »…
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Ou « comment réintégrer », en sa vie, « la voix »
_ vraiment « parlante » : ce n’est pas un pléonasme (cf page 103 : l’oncle « Joszef _ mort (« trop jeune, comme ma sœur Marianne » (page 104) trop tôt pour le narrateur, « Gabriel » _ m’avait juste dit _ en accompagnement du cadeau de « sa vieille édition » « de « Jérémie » de Franz Werfel » _ : « Tu comprends que « suivre sa voie » peut aussi s’écrire avec un x« ) ;
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et « si Joszef avait vécu plus longtemps, ma vie aurait-elle pris une tournure différente ?« , lit-on aussi, page 104 ; « Il est sans doute vain de se demander cela, mais aurait-il pu, ou voulu, me parler _ lui, l’oncle célibataire de Montpellier _ de la famille, de mon grand-père, catholique ou juif converti, de leur fuite vers l’Autriche et du cousin Janos mort trop jeune.« Donc « Aucune confidence, donc, ni sur sa propre vie, ni sur celle de sa sœur. En lieu et place de tout ce que j’aurais aimé entendre de sa bouche, ce livre de Franz Werfel _ « Jérémie » _, quelques partitions, beaucoup de questions, et quelques regrets« (pages 104 et 105 : un passage-clé de ce livre) ;
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ou comment réintégrer, en sa vie, la voix
« de chers disparus »
_ « devenant », pour lors, à la perte,
« les chers fantômes restant _ oui ! avec obstination _ à nous hanter »…
C’est que le lien (avec eux) doit _ et impérativement ! _ être « (r-)établi » !..
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Car tel est, en effet, le beau « sujet » ! de ce roman-ci
_ tellement intéressant comme « sujet »,
et frustrant, donc _ proportionnellement au désir et à l’attente ainsi suscités _ dans sa « réalisation » (et chair _ d’écriture même) romanesque(s)… ;
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Bref, un « squelette » de roman, sans assez de « corps » _ maintenant, j’y suis ! _,
le métier d’éditeur
(qui est celui de Jean Mattern, « éditeur » de littérature étrangère aux Éditions Gallimard…)
n’est pas nécessairement « en prise » _ et a fortiori « en prise directe » _ avec l’acte _ plus « fou », lui (en son « battement »…) _ d’écrire même ;
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acte si éclairant (pour notre temps) de la part de l’artiste, lui,
dans le silence criant (de vérité, alors) de pareille écriture !..
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Je re-trouve ici l’intuition-thèse lumineuse de Michel Deguy distinguant sans façons,
abruptement,
_ et comment et combien ! a-t-il raison, sur ce point-ci, aussi, comme sur tant d’autres ! cf son très beau, et si éclairant pour nos temps décidément un peu (trop) « brouillés » (à force d’être « lisses » et « plains »), « Le Sens de la visite » par exemple _ ;
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Michel Deguy distinguant, donc,
abruptement _ il le faut ! _
la dite et vantée _ sur tous les tons _ « culture« et l’Art lui-même
(en la solitude, ou « exception » _ « pauvre » ! et loin des « projecteurs » si peu subtils des medias _, plus « rocailleuse » des artistes ;
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cf aussi, sur la singularité et « anomie » de l’artiste, Philippe Sollers : « Théorie des exceptions« )…
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Voilà pour « trier » un peu _ selon l’étymologie de « krisis« , le crible _ ce que peut apporter la richesse _ tellement stimulante _ du blog de Pierre Assouline…
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Titus Curiosus, ce 25 août 2008
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