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A propos de l’ultime sublime CD (Mozart) qui restait à paraître du merveilleux Lars Vogt : une confirmation, et une célébration de la béatitude du vivre…

11oct

En quelque sorte en confirmation de mon article du 21 septembre dernier (2023) « « ,

ce mercredi 11 octobre, soit 21 jours plus tard,

paraît sur l’excellent site Discophilia de l’excellent Jean-Charles Hoffelé un très bel article, consacré lui aussi au miraculeux CD Ondine ODE 1414-2 « Mozart Piano Concertos N° 9 & 24 » de Lars Vogt et son Orchesstre de chambre de Paris,

intitulé, cette fois, « Mozart et l’éternité » :

MOZART ET L’ÉTERNITÉ

Ce sera l’adieu au disque _ hélas _ de Lars Vogt _ décédé à Erlangen le 5 septembre 2022  _, son retour à Mozart dont il aura gravé trop peu d’opus, trois disques de Sonates, un album de Sonates pour violon et piano avec Christian Tetzlaff, et, avec ce volume, trois disques de Concertos.

Il avait enfin trouvé avec l’Orchestre de Chambre de Paris cet alter ego en Mozart, cette fusion si nécessaire au chambriste qu’il fut toujours _ cf les nombreux superbes CDs produits à son merveilleux Festival « Spannungen« , à Heimbach… _ et que n’avaient pu lui apporter Paavo Järvi ou Ivor Bolton, cette simplicité et cette émotion _ voilà : sublimes _ diffuses au long d’un magnifique Jeunehomme solaire et nostalgique à la fois _ oui _, où son clavier rayonne jusque dans la confidence de l’Andantino. Le Rondeau sera mutin, joué sur les pointes, avec une fantaisie désarmante, et comme tout cela coule et ondoie _ oui, sans rien de forcé _, à ne rien accroire d’une mort si proche _ enregistré à Paris du 25 au 28 avril 2021 ; dans mon article du 21 septembre dernier, j’indiquais la chronologie des 21 séances d’enregistrements en moins d’une année, du 21 février 2021 au 2 février 2022 :

1) du 21 au 25 février 2021, à Brème, avec Christian et Tanja Tetzlaff, pour une partie du double CD « Schubert – Piano Trios – Notturno – Rondo – Arpeggione Sonata » (CD Ondine ODE 1394-2D) ;

2) du 25 au 28 avril 2021, à Paris, avec l’Orchestre de chambre de Paris, pour le CD « Mozart – Piano Concertos N° 9 & 24«  (CD Ondine ODE 1414-2) ;

3) du 10 et 11 juin 2021, à Brème, avec Christian et Tanja Tetzlaff, pour une autre partie du double CD « Schubert – Piano Trios – Notturno – Rondo – Arpeggione Sonata » (CD Ondine ODE 1394-2D) ;

4) du 6 au 8 octobre 2021, à Paris, avec Raphaël Sévère et l’Orchestre de chambre de Paris, pour le CD Mozart «  » (CD Mirare MIR 626) ;

5) du 2 au 5 novembre 2021, à Paris, avec l’Orchestre de chambre de Paris, pour le CD « Mendelssohn – Piano Concertos – Capriccio Brillant » (CD Ondine ODE 1400-2) ;

6) le 24 novembre 2021, à Londres, avec Ian Bostridge, pour le CD « Schubert – Schwanengesang » (CD Pentatone PTC 5186 786) ;

7) les 1er et 2 février 2022, à Paris, avec le Quatuor Modigliani, pour le CD « Mozart – Clarinet Works » (CD Mirare MIR 626)

des 5 dernières parutions discographiques (1 Mendelssohn, 2 Schubert, 2 Mozart) de Lars Vogt.

Le lever de rideau du Concerto en ut mineur fait entrer tout un théâtre, celui de Don Giovanni évidemment, mais aussi une dimension supplémentaire dès que le piano paraît, posant sa question sans réponse, chaque note déclamée ; quelle intensité sans recours _ voilà !

Fatal, jusque dans une cadence admirablement intégrée au discours dans lequel le pianiste l’a fondue. Elle pourrait être de Mozart. La romance toute simple du Larghetto fait admirer cette sonorité si naturellement lumineuse _ oui : Lars Vogt avait ce génie de la plus pure lumière _, avant que le sombre ne revienne dans un Finale étrange, refusant l’Allegretto, aux atmosphères d’orage. Et dire que c’est son dernier disque ! _ à paraître de ses 5 dernières réalisations discographiques : je l’attendais impatiemment moi aussi….

Heureusement Warner annonce un fort coffret regroupant tous ses enregistrements de jeunesse _ merci de cette bonne nouvelle. En retour Ondine serait bien inspiré de regrouper tous ses disques _ je les ai tous thésaurisés _ en une belle boîte et d’explorer _ aussi, oui ! _ la malle aux trésors des innombrables captations radiophoniques _ espérons-le vivement, maintenant que son génie d’interprète est enfin (!) universellement célébré…

LE DISQUE DU JOUR

Wolfgang Amadeus Mozart(1756-1791).


Concerto pour piano et
orchestre No. 9 en mi bémol
majeur, K. 271
« Jeunehomme »

Concerto pour piano et
orchestre No. 24 en ut mineur,
K. 491

Lars Vogt, piano, direction
Orchestre de Chambre de Paris

Un album du label Ondine ODE1414-2

Photo à la une : le pianiste Lars Vogt, à Munich, en mars 2013 –
Photo : © Michel Neumeister

Tout ou presque vient d’être dit là…

Et maintenant, à vos platines, pour saisir pleinement ce qu’a su nous faire parvenir en ses disques pour l’éternité Lars Vogt.

Et écoutez ces podcasts-ci :

_ l’Allegro ( de 10′ 37) du Concerto Jeunehomme K. 272

_ l’Andantino (de 11′ 18) du Concerto Jeunehomme K. 272

_ le Rondo Presto (de 10′ 10) du Concerto Jeunehomme K. 272

_ l’Allegro avec la cadence de Lars Vogt (de 13′ 44) du Concerto en ut mineur n°24 K. 491 

_ le Larghetto (de 6′ 38) Concerto en ut mineur n°24 K. 491


_ l’Allegretto (de 8′ 55) du Concerto en ut mineur n°24 K. 491 

Soit l’enchantement Mozart – Lars Vogt…

Cf aussi ces mots (de béatitude envers la vie) de cette ultime lettre de Wolfgang Amadeus Mozart _ il décèdera le 5 décembre 1791, à l’âge de 35 ans… _ à son père Leopold _ qui mourra le 28 mai 1787, à l’âge de 67 ans _, datée du 4 avril 1787,

face au double fait _ oxymorique _ de la mortalité et du vivre :

« Je ne me couche jamais pour dormir sans me rappeler que peut-être aussi jeune que je sois je ne serai peut-être plus là le lendemain — et assurément aucun de ceux qui me connaissent ne pourra dire que je suis maussade ou triste dans mon comportement — et pour cette béatitude je remercie tous les jours mon créateur, et je souhaite la même à tous mes semblables. Je vous ai déjà entretenu de ce point dans ma lettre à l’occasion de la triste disparition de mon plus cher et meilleur ami, le comte von Hatzfeld et fait part de ma façon de penser — il n’avait que trente et un ans, comme moi — je n’ai pas pitié de lui, mais de moi et de ceux qui l’ont connu aussi bien que moi »…

 

Ce mercredi 11 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Energie, joie, reconnaissance _ et amitiés aussi : la grâce des oeuvres et de l’Art : François Noudelmann, Gilles Tiberghien, Bruce Bégout

05avr

Où puiser son énergie _ à part la chair de la viande, veux-je dire !.. _, où ?..

Dans la joie, principalement ; quand la joie, elle-même, déjà, est l’expression du « passage à une puissance supérieure« , pour reprendre la si juste formulation de Spinoza en son « Ethique » : un must (de la voie du bonheur : « béatitude« , dit-il, quant à lui) ! Et se manifeste en une œuvre.

Sans doute existe-t-il aussi des satisfactions « mauvaises », méchantes, lubriques, sadiques, etc… ; de même que des « œuvres » du Malin… Pour ma part, j’y goûte peu, à de telles « malices », sauf en situation de survivre (par l’ironie) face aux désespoirs qui menacent (intransitivement !) de tant de bêtise, de paresse, de lâcheté, de mauvaise volonté… Quant au cynisme du mal : directement le combattre, lui !.. Fin de l’incise.

La voie de la joie, donc ; celle de l’expression des potentialités, des talents en germe (et en jachère) qui aspirent à se réaliser, à passer à (davantage de) l’effectivité : « wirklichkeit« , dit Hegel _ en sa « Phénomélogie de l’Esprit » _, un excellent lecteur de Spinoza, il faut dire… Quand les Lumières, qui viennent tant de lui _ Spinoza _, ont commencé a déjà bien (ou un peu ?) mûrir…

D’où ma satisfaction à avoir écouté vendredi dernier, avant hier (le 3 avril, de 10h à 11h, sur France-Culture), l’excellente émission de François Noudelmann, « Les Vendredis de la philosophie« , consacrée à « Adorno et la musique« , avec Anne Boissière, Marc Jimenez et Jean-Paul Olive…

Adorno est le philosophe de l’effort pour surmonter la « vie mutilée » ;

tout de lui est à lire ; en commençant peut-être par les admirables « Minima moralia«  _ dont le sous-titre est très clairement (trop ?) « Réflexions sur la vie mutilée » : une expression éditorialement un peu trop dissuasive, par les temps qui courent ?.. Un must !!!


Je comprends que François Noudelmann, auteur du passionnant et si fin « Le Toucher des philosophes _ Sartre, Nietzsche, Barthes au piano« ,
s’intéresse
, au point de s’y focaliser en une telle émission, à l’articulation entre philosophie et musique ;
comme un point particulièrement élevé
(en degrés : la lave est en fusion !..) de rencontre _ et qu’il faut de toute urgence véritablement explorer ! _ entre les voies du penser (et du concept), les voies du parler _ cf la générativité du discours par la parole dans la langue, selon Chomsky : dès l’enfance : quand l’in-fans sort, en apprenant la langue (et la culture), de sa mutité ! De Noam Chomky, cf, par exemple, tout récemment, « Le langage et la pensée » ! _ et de l’écrire (distinct du simple parler ; cf Bernard Stiegler, passim) ;

…:

et les voies de l’œuvrer artistique _ tout spécialement musical.

Car la musique va ailleurs : et que l’écriture (avec ses métaphores) ; et que les arts plastiques (avec leur mobilisation de l' »imageance » _ j’ai jadis écrit là-dessus, en prolongement à l' »Homo spectator » de Marie-José Mondzain ; et je dois aussi rédiger urgemment un article en prolongement au passionnant « Quand les images prennent position _ l’oeil de l’Histoire 1« , de Georges Didi-Huberman…

Or, Theodor Adorno médite sur cette rencontre entre philosopher et musiquer
dans une perspective, pour les deux (et philosopher, et musiquer), du plus haut (= sacré, si l’on voulait…) « service » de la vérité. Voilà l’exigence très haute d’Adorno.

Je dois donc ré-écouter cette émission, une fois podcastée ; et re-lire Adorno lui-même : les « Minima moralia » ; mais aussi les très « vivants » recueils d’article « Modèles critiques » et « Prismes _ critique de la culture et société« …

En tout cas,
le petit mot amical de François Noudelmann
à mon envoi d’articles de mon blog « En cherchant bien« 
m’a fait très plaisir.
Et c’est de lui que je retiens ce mot même d' »énergie » :


De :      Titus Curiosus
Objet :     Écriture et musique
Date :     28 mars 2009 07:48:48 HNEC
À :       François Noudelmann

Au delà du plaisir de découvrir que votre « Toucher des philosophes  » vient de se voir récompensé
du « Grand Prix des Muses« 
_ déjà un bien beau nom ! _,
je me permets de vous adresser cet article « Rebander les ressorts de l’esprit (= ressourcer l’@-tention) à l’heure d’une avancée de la mélancolie : Jean Clair »
à propos du dernier volume du « Journal » de Jean Clair
« La Tourterelle et le chat-huant« ,


car une remarque de Jean Clair fait état de l’importance pour lui
de la musique
pour s’aider à « écrire plus juste« …
J’ai conclu mon article sur cette note (et le rappel de votre livre).


Bien à vous,
Titus Curiosus

Et la réponse de François Noudelmann :

De :       François Noudelmann
Objet :     Rép :Écriture et musique
Date :     30 mars 2009 08:41:55 HAEC
À :      Titus Curiosus

Merci beaucoup pour ces informations et vos textes. Quelle énergie vous avez, c’est impressionnant ! J’aimerais avoir le secret de ces “ressorts”…
Amicalement, François

Voilà qui fait bien plaisir… Les « bouteilles » (à la mer) atteignent parfois les rivages ;
et même les courriels leurs destinataires…
C’est (presque) à ne pas en revenir !..

De même,
avec un autre correspondant (et philosophe) de très grande qualité : Gilles Tiberghien

(cf mon article du 30 juillet 2008 sur son superbe « Amitier » :

« L’acte d' »amitier » : pour une anthropologie fondamentale (du sujet actant)« ).

Jeudi dernier, 2 avril,
deux conférences en même temps (!!!) auxquelles je tenais beaucoup à assister :

d’abord _ dans l’ordre de ma prise de connaissance _ celle de Gilles Tiberghien, à 18h 30 à la Bibliothèque Municipale de Bordeaux, sur le sujet « Land Art : la nature comme hors-champ de l’Art«  ; je l’avais informé par courriel, le 28 mars, que je viendrais…
Et il en avait aimablement accusé réception le jour même…


Or,
voilà que l’ami Bruce Bégout m’adresse trois jours plus tard
_ le 31 _ le message suivant :

Chers collègues et amis

Je présente mon prochain livre « Sphex » au café-librairie « Les Mots Bleus« , rue de Ruat à Bordeaux, jeudi prochain à 18h. Je serai ravi de vous y retrouver autour d’une lecture et d’un verre de vin.
Pour les impatients, cf. sur le site de « l’Arbre vengeur« , l’éditeur, une fiction en téléchargement gratuit.
Bien à vous tous
Bruce

Je lui fais part immédiatement _ par coup de fil téléphonique _ de mon intention
de passer un moment l’écouter ce jeudi soir (à 18h)
avant de rejoindre _ illico presto ! _ la Bibliothèque municipale écouter (à 18h 30) Gilles Tiberghien ;
auquel il me demande, alors, de bien vouloir adresser ses plus amicales salutations : il était tout à fait avisé de ce malencontreux concours de circonstances ;
et le regrettait vivement
. Mais la présentation de son livre « Sphex » faisait partie des « Escales du livre » de ce week-end _ en constituant, même, comme une « ouverture »…
Il me priait donc de transmettre à Gilles Tiberghien ses plus amicales salutations, et son très vif regret de ne pas pouvoir assister à sa conférence bordelaise.

De mon passage (d’une demi-heure) aux « Mots bleus« ,
je retiens la très agréable vivacité de la conversation entre l’éditeur
(David Vincent, toujours au plus vif de son acuité !) et l’auteur (Bruce Bégout, qui ne lui cède certes rien sur ce terrain _ commun _ là de l’acuité ! : d’où le projet même de ce livre (de « nouvelles »), « Sphex » _ d’après une espèce de guêpe particulièrement ingénieuse et habile à tuer à fin de nourrir ses larves _, sur le modèle des « Contes cruels » de Villiers de l’Isle-Adam, de Barbey d’Aurevilly _ « Les Diaboliques » _, ou de Jean Lorrain _ par exemple, « Histoire de masques« …

Je remarque tout particulièrement, bien sûr, l’articulation qu’opère Bruce Bégout, entre la démarche argumentative philosophique _ « marchant sur une (seule) jambe« , dit-il… _
et la démarche littéraire _ procédant métaphoriquement, davantage que conceptuellement : « marchant sur ses deux jambes, elle« … J’apprends aussi que le projet artistique de Bruce
est très ancien et profond : ce qui ne me surprend pas, à la lecture que j’ai pu faire de ses livres
: tels « Lieu commun : le motel américain » ; « L’Éblouissement du bord des routes » ; ou « De la décence ordinaire _ court essai sur une idée fondamentale de la pensée politique de George Orwell« …

La lecture d’une des quatre nouvelles qu’a choisies _ en totale liberté _ le comédien est elle-même très réjouissante, d’autant que cette lecture est « parfaite », de la part de ce remarquable lecteur qu’est Alexandre Cardin… La nouvelle (dont le titre est « Hasard et tragédie« ) porte sur, dirais-je, le « principe de précaution » ; et ses limites : niaises… Bruce Bégout s’en donne à cœur joie dans une écriture d’une remarquable efficacité (de sobriété et justesse). Comme « c »‘est remarquablement observé (et dit) ; tout tombe implacablement droit _ pas que la chute…

Hélas, je ne peux continuer d’écouter la suite de cette « présentation » de « Sphex » ; et profite de l’entrée dans la salle de nouveaux assistants pour quitter le lieu ; et gagner dare-dare la Bibliothèque Municipale, Cours du Maréchal Juin.

Je n’aurais manqué que les dix premières minutes. La salle (vaste : l’amphithéâtre du rez-de-chaussée) est, ici encore, comble ; pas un siège de libre.
L’assistance, extrêmement attentive, regarde les nombreuses diapositives (préparées par le conférencier ; et projetées à son rythme) au milieu de l’obscurité ;
et boit les paroles du conférencier,
qui les commente
, tranquillement (en pesant ses mots ; comme en confidence ; et non sans rêverie, en sa « réflexion » sur ce qu’il est en train de « montrer »), de son ordinateur, à la tribune,
éclairé seulement d’une minuscule lampe ad hoc.
On se croirait pour un peu admis à l' »expérience » (« réservée », sinon absolument secrète) de penser en quelque studiolo de palazzo italien à la Renaissance : à Mantoue (des Gonzague), Ferrare (des Este), ou Florence (des Medicis)…

Le commentaire des œuvres (situées presque toute dans l’immense nature ; pour ne pas dire pour la plupart en plein déserts) est passionnant : non seulement le panorama, parfaitement maîtrisé sur le sujet (du « Land Art », et ses complexes nuances et variantes, avec lisières et frontières… : cf. déjà « Nature, Art, Paysage« , paru aux Éditions Actes-Sud le 30 mai 2001…), est d’une exceptionnelle précision et richesse,
mais la pensée ultra-vivante du conférencier est toujours en acte, et continue (toujours) d’avancer sa réflexion.
Une heure et demi durant ; et encore, nous aurions pu en écouter bien davantage !

Suivra une (relativement courte ; et encore…) séance de questions-réponses avec la participation d’un public qui a été sensible à la (très grande) dimension de la réflexion de Gilles Tiberghien, à dimension de la Terre (« Earth« ), bien davantage encore que du Pays ou du territoire (« Land« ) ou du simple paysage _ nous ne sommes plus à la dimension des espaces européens… Un penser philosophique très ample, à hauteur d’un certain « sublime », même, sans nul doute ; auquel nous hisse le conférencier. Le mot, même avec précaution, de « sublime » _ je l’avais sur les lèvres, lecteur féru que je suis de la formidablement généreuse philosophe qu’est Baldine Saint-Girons ; cf, entre autres, son « Sublime, de l’Antiquité à nos jours« … _ a été prononcé, avancé, essayé… Gilles Tiberghien n’est pas un simple communiquant, mais un vrai philosophe…

Voici _ sans rien, ici non plus, de « personnel » _ notre échange de courriels :

De :       Titus Curiosus
Objet :     En novembre à Bordeaux
Date :     4 avril 2009 08:01:44 HAEC
À :       Gilles Tiberghien

Bravo encore pour le style de votre conférence,
pour les nuances très fines de votre commentaire
d’un dossier que vous maîtrisez excellemment
mais qui vous donne toujours à penser.


D’avoir (un peu, si peu que ce soit) partagé ce « penser » se cherchant encore et toujours
fut un très beau cadeau que vous avez fait à ceux qui vous ont écouté…


J’ai bien noté votre venue (en projet) à Bordeaux pour le mois de novembre.
Et j’en ai (déjà) (re-)parlé (hier) à qui s’occupe des conférences à la librairie Mollat,
rencontrée (par hasard) parmi les rayons si riches de la libraire Mollat..

En remerciement au plaisir de vous avoir écouté vous confronter
à la question
(qui vous tient tant à cœur !) de l’espace _ à grandes dimensions ; cf votre « Finis terrae _ imaginaire et imaginations cartographiques« … _,
je me permets de vous adresser un autre article (pas trop chronophage j’aimerais croire)
susceptible d’intéresser votre penser sur ce « sujet »…
Il s’agit de ma lecture
de « Mégapolis
 » de Régine Robin _ qui cite, d’ailleurs, l’ami Bruce Bégout.

Ayant eu ce dernier au téléphone,
afin de m’enquérir de son regard sur sa séance de présentation de son livre (« Sphex« )
_ avec lectures de 4 des 37 « nouvelles » (de ce recueil) par un excellent comédien, sans hystérie ! _,
j’ai eu l’occasion de lui dire
que je je vous avais effectivement bien salué de sa part ;
et il s’en est réjoui…

Voici cet article à propos de « Mégapolis » : « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« …

Bien à vous,
et ravi de vous avoir (un peu) rencontré et (bien) écouté,

Titus Curiosus

Voici sa réponse _ sans rien de personnel, donc :

De :       Gilles Tiberghien
Objet :     Rép : En novembre à Bordeaux
Date :     4 avril 2009 19:25:19 HAEC
À :       Titus Curiosus

Merci pour ces compliments. J’étais content de vous rencontrer. J’ai lu votre article et du coup j’y ai trouvé des suggestions de lectures. Merci pour cela aussi.
A bientôt
Gilles T.


Ne pas adresser rien que des « bouteilles à la mer » qui mettent des années à atteindre _ si c’est jamais le cas ! _ quelque destinataire
donne ainsi un peu de joie ; et d’énergie, aussi, par conséquent.
Sans qu’on le recherche : il suffirait de le vouloir trop rigidement

pour tout briser ; ces choses-là sont fragiles, en leur force….

Bruce Bégout avait aussi, à sa conférence aux « Mots Bleus« , répondu à une question de David Vincent sur le degré de son « intérêt » pour la réception (par le public) de son écriture ;
indiquant qu’en son écrire, en tant que tel, il n’écrivait que pour lui, ou plutôt que pour l’œuvre à venir et découvrir
(par lui-même, le tout premier, seulement, en quelque sorte, en sa « primeur »…) : en se faisant, cette œuvre advenant, sous ses doigts, tous « sens » ouverts, quant à lui, seulement son « huissier » (= « ouvreur »), si j’ose le dire ainsi (ce n’est pas Bruce qui le dit) ; il insistait _ fort justement _ là-dessus : les « sens » grand ouverts… _ du moins pour un écrit non spécifiquement philosophique ; bien campé sur ses deux jambes…) ;
et non pour complaire (mécaniquement) à quelque lecteur que ce soit _ comme tant aujourd’hui d' »écrivants », surtout ceux qui se produisent à la télévision ; et je ne parle même pas de ceux qui n' »écrivent » que par « nègres » (invisibles, cachés, forcément !) interposés (dans notre monde de l’imposture satisfaite de soi) !.. A la commande du « consommateur » de « loisirs » (et d’un éditeur un peu moins soucieux d’Art …que David Vincent et les Éditions de l’Arbre vengeur)…

Etant entendu
que certains lecteurs auront une lecture mieux que pertinente : adorablement impertinente, même,
à découvrir l’insu, l’impensé, l’invoulu du texte ; sa grâce miraculeuse, non « commandée » : en surplus…


Dans une amicale acuité d’attention de lecture et de réception (active ! cultivée !) de la part du récepteur ainsi « activé » ! ;

de celle _ aussi ! d’acuité… _ qui faisait dire (écrire, en fait : le 7 décembre 1831, en un article enthousiaste de la revue « Allgemeine Musikalische Zeitung » de Leipzig) à un « jeune allemand de Cassel » (= Robert Schumann, âgé en effet d’à peine 21 ans
découvrant l’œuvre d’un (autre jeune) musicien absolument inconnu de lui jusqu’ici (= sans marque d’identification ! de réputation un peu « établie » : un dénommé « Fryderyk Franciszek Chopin« …) : « Chapeau bas, Messieurs, voici un génie !« …

Il s’agissait de ce qui est numéroté comme opus 2 : les « Variations sur (un thème de « Don Giovanni » de Mozart) : « Là ci darem la mano«  »
d’un inconnu (encore alors) au bataillon : un musicien polonais lui-même âgé aussi, à cette date de décembre 1831, de 21 ans… Frédéric François Chopin est en effet né le 22 février 1810 ; et Robert Schumann, le 8 juin, trois mois et demi plus tard exactement.

Bref,
un peu de reconnaissance témoignée
_ sans être quémandée, bien sûr _
donne une joie
énergétique à proportion du surplus de sa parfaite gratuité…


Titus Curiosus, ce 5 avril 2009


Post-Scriptum :


Dans le parfait prolongement du sujet (et questionnement) de cet article ,

Mardi 7 avril prochain, à 18h 30, au CAPC

_ Musée d’Art Contemporain de Bordeaux, Entrepôt Laîné, 7 rue Ferrère à Bordeaux _ ;

dans la salle de conférence,

la Société de Philosophie de Bordeaux

recevra pour la dernière conférence de sa saison 2008-2009

Elie During,

sur le sujet de « A quoi pense l’art contemporain ?« …

En voici l’argumentaire :

 Que l’art, cosa mentale, ait quelque chose à voir avec la pensée, et même la philosophie ; qu’il dispose des éléments sensibles en vue de faire « penser plus », comme disait Kant, nous le savons depuis longtemps. S’il y a à cet égard une spécificité du régime « contemporain » de l’art, c’est dans la manière dont il réarticule les termes du problème en faisant de la pensée son objet. C’est à tort qu’on s’imagine que la théorie est convoquée par les artistes contemporains comme un discours de surplomb censé apporter un « supplément d’âme » à des productions sans consistance : même chez les mauvais artistes, c’est d’une tout autre relation qu’il s’agit _ une relation latérale, mais effective, beaucoup plus intéressante que celle que prescrit le commentaire ou l’illustration. La théorie y est d’emblée envisagée comme partie prenante de la machine artistique et de sa puissance d’invention formelle. Il y aurait ainsi une plastique du concept, qui ne relèverait ni de l’exemplification ni de l’allégorie, ni du schème ni du symbole. Les concepts s’exposent : il faut l’entendre littéralement. La pensée a une forme, mais la forme elle-même doit se comprendre dans toute son extension, de façon à y inclure formats et dispositifs, gestes et procédés. Deux exemples historiques, Marcel Duchamp et l’art conceptuel, permettront de préciser la portée de ces remarques, avant d’en examiner les prolongements sur quelques cas plus récents.

Elie During est Maître de conférences à Paris X – Nanterre et chargé de séminaire à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Ses recherches sur les formes de l’espace-temps le conduisent à l’intersection de la philosophie des sciences, de la métaphysique et de l’esthétique. Il a consacré plusieurs articles et textes de catalogues à des artistes contemporains, mais aussi au cinéma et à la musique. Son édition critique du livre de Bergson sur la relativité, « Durée et simultanéité« , paraîtra en 2009 aux Presses Universitaires de France.

A propos de « La Nuit de Mai » de Clément Rosset : un article d’Aurélien Barrau sur les « modalités philosophiques » rossétiennes

20fév

A propos de l’analyse du désir dans « La Nuit de mai » de Clément Rosset, et en complément à mon article précédent : « Le “désir-monde” du désir face à ses pièges : Clément Rosset à la rescousse des élans de Daniel Mendelsohn et de Régine Robin« ,…

on se reportera avec grand profit à un très bel article du philosophe et physicien Aurélien Barrau : « la philosophie rêvée _ Clément Rosset et la complexité du désir« , sur l’excellent site _ quelle mine ! _ laviedesidees.fr

Des thèses du début de l’article, je n’ai rien , ou très peu, à ajouter :

« Comment convoquer, dans un très bref essai, Proust et Boulez, Balzac et Stravinsky, Dostoïevski et Berio, Michaux et Tchaïkovski, Verlaine et Ravel ? Comment croiser, en quelques pages, Lucrèce, Leibniz, Nietzsche, Marx, Freud, Cioran, Deleuze et Althusser ? Comment imposer, par les non-dits d’un écrire presque nonchalant, des réminiscences insistantes _ devenant bientôt des présences évidentes _ de tous les autres, les compositeurs, les poètes, les philosophes, les plasticiens, les romanciers qui participent d’un ineffable réseau ? Il suffit, sans doute, d’offrir à la réflexion du penseur de la singularité _ Clément Rosset _ un concept pluriel par excellence : le désir.

L’objet du désir est une multiplicité. La « machine désirante » de Deleuze et Guattari dépasse la dialectique de l’Un et du Multiple par régime associatif, couplage, synthèse productive. Elle refuse de subsumer la globalité des désirs produits sous une unité qui les réduirait et les transcenderait. Tout y fonctionne simultanément, mais les objets de la somme sont toujours partiels. C’est le cœur de la thèse que Clément Rosset défend, complète et _ dans une certaine mesure _ infléchit avec « La Nuit de mai « .

Proust comme un paradigme. La petite madeleine n’est pas seulement le souvenir de Combray. Plus exactement, l’enchantement qu’elle suscite, les délices qu’elle engendre, l’extase délicate qui l’accompagne _ ce sont les verbes qui sont importants : par ce qu’ils dynamisent ! _, ont chargé Combray d’une signification particulière : non pas d’un sens caché ou d’une profondeur à découvrir, mais d’une sorte de pouvoir totalisant _ irradiant, et positivement (!), à l’infini. Combray est devenu la totalité des joies et des désirs de Proust _ en fait « Marcel«  _ enfant. Ce qui entoure ou accompagne un objet d’amour n’est ni une « garniture », ni une valeur ajoutée : c’est une condition de possibilité pour que l’affect se déploie _ à l’infini de ses ondes irradiantes. L’émotion _ mouvante et mobilisatrice _ est une pluralité d’émotions _ en cascades, en quelque sorte : comme aux lacs (multipliés ; et sublimes) de Plitvice ; ou de la (merveilleuse aussi) rivière Krka ; les deux en Croatie : des lieux de bains éclaboussant de joie… La cohérence importe moins que la cohésion _ par contiguïté (à commencer par empirique) _ : aussi artificielles soient-elles, les ramifications _ se déployant _ de l’objet désiré sont nécessaires à son émergence en tant que lieu identifié _ à partir de son « ressenti » _ du désir. Proust ne pourrait pas aimer le souvenir de Combray si celui-ci ne convoquait simultanément une myriade _ en effet ! _ de circonstances joyeuses, d’enthousiasmes latents et de jubilations en devenir _ que de transports heureux !.. Si le souvenir n’était que partiellement heureux, il cesserait absolument de l’être. Le dramaturge latin Trabea écrivait « je suis joyeux de toutes les joies » ; autrement dit : aimer, c’est tout aimer _ sans chichiteries, ni « comptages » : cf aussi Brassens : « Tout est bon chez elle ; (il n’)y a rien à jeter«  : encore heureux !!! ; et « sur l’île déserte, il faut tout emporter«  : on ne saurait mieux (le) dire ! La joie, comme le désir, ou l’amour, est surdéterminée _ d’abondance ! _ : une diversité de causes, parfois étrangères les unes aux autres _ de pure « accointance », si je puis me permettre, circonstancielle : un bonheur de « coïncidence » ! en quelque sorte ; et tout l’alentour, aussi, en profite joyeusement ! car la joie est heureusement contagieuse ; en plus… _, doit intervenir pour qu’elle _ la joie _ émerge _ et sourde de quelque part (peu importe laquelle, ou lesquelles) de moi, qui suis en expansion, alors… : il n’y a de joie qu’à y prendre part ; si la joie vient à notre rencontre ; elle n’est, aussi (= n’existe ; ne naît), en nous, qu’à « trouver » (et « rencontrer ») en nous une joie elle-même profonde ; essentielle ; en un improbable (voire miraculeux) accord avec ce qui vient s’offrir à elle (et à soi ; ou à nous) du réel (et d’un autre) : d’une altérité, en tout cas ! C’est cet accord-là qui « se fête » par la fête même de la joie, en quelque sorte !.. Non qu’une joie isolée soit intrinsèquement impensable, mais plutôt que son instabilité _ = sa fragilité, vulnérabilité, faiblesse : non vivable… _ est telle qu’elle mène inexorablement _ de fait ! cela se constate, forcément ! _ à la chute. Chute qui met en jeu l’existence même _ en effet... _ : le déprimé déçu par une joie _ trop _ fugace _ faiblarde ! _ devient souvent suicidaire. Une jouissance unique, isolée, singulière _ sans compagnie à elle-même, cette jouissance tristounette-là _, ne peut plus devenir un objet de désir _ et est snobée… Ce dont la fin _ le terme, la cessation, l’arrêt _ est repérée, les limites identifiées, les ramifications circonscrites _ un concept important ! _, les linéaments soulignés ou l’unicité avérée, n’existe déjà plus _ pour un sujet susceptible de désirer _ en tant que bonheur latent _ faute d’infini de ses « retentissements », de ses ondes (et « harmoniques ») en propagation expansive. Un « désir-maître » _ cf « La Force majeure«  _ peut émerger, objet pensable _ parfois palpable _, mais il n’est _ nécessairement, selon l’analyse magistrale de Clément Rosset _ que le lieu d’une convergence, d’une complicité, d’une connivence » _ le conditionnant absolument (sine qua non !) ; ni plus, ni moins ; ou plutôt : il n’a lieu (= n’actualise sa potentialité) que si co-existe(nt), avec lui, et le « pousse(nt) » avec faveur (!), « une convergence« , « une complicité« , « une connivence » « bénéfiques », qui ajoute(nt) à cette joie ; et la hausse(nt) à un sentiment de bonheur, sub specie æternitatis ; en plus de la réjouissance du présent, sub specie temporalis ! Les deux coexistant et se renforçant dans l’allégresse ! Ce que le triste, pour sa part, en son isolement (de tout), de son côté (et en son « quant-à-soi »), ignore ; et n’a, probablement, même pas le moindre début d’idée ; faute d’en ressentir le plus petit début d’une émotion, ou plutôt d’un sentiment (voire d’une passion) : le malentendu est alors immense. Comment espérer jamais le combler ? Comment essayer d’initier un triste à la joie ? Comment lui faire franchir le premier petit pont (ou passerelle) ?.. la première invisible limite (ou frontière) ?..

Un peu davantage de commentaires, peut-être, pour la suite _ un peu plus abstraite, « métaphysique », sans doute, du bel article d’Aurélien Barrau :

« En marge de la complication _ complexité plutôt _ des objets du désir, Rosset esquisse une pensée de la complexité  _ c’est mieux, en effet ! _ du sujet désirant. Il est structurellement hétéronome _ se livrant à l’attractivité de son objet ! Il est pluriel _ comme l’identité  (« men » et « de« , en grec) que Daniel Mendelsohn, peu à peu, se découvre, en répondant (un peu) mieux à l’attraction de ses désirs, et au fur et à mesure des rencontres des sujets qui vont les susciter, ces désirs-là _, il se scinde, il invente le médiateur _ accélérateur et « combustible« , dit Rosset _ de son propre désir. Comme le suggérait René Girard _ notamment dans « Vérité romanesque et mensonge romantique » _, il se façonne à l’image métaphysique _ = mimétiquement _ du « modèle«  et de son rapport _ de tension jouissive par elle-même, déjà _ à l’objet _ = « jeté vers » ; = « jeté pour » (le sujet)… _ considéré.

Clément Rosset admet que l’image d’un « combustible du désir » inévitablement constitué en rhizome _ selon le schéma deleuzo-guattarien ; cf « Rhizome« , en 1976 ; repris dans « Mille plateaux« , en 1980 _ semble parfois contredite. De Rastignac à Claës, en passant par Grandet et Hulot, les héros balzaciens paraissent, au contraire, polarisés par une idée fixe, unique lieu fantasmé de leurs passions et de leurs actions. Des monomanes désirants _ en effet. L’exclusive de la quête y apparaît comme consubstantielle à l’authenticité du désir. La thèse centrale de l’ouvrage n’est néanmoins pas déconstruite par ces exemples dans la mesure où l’objet du désir, pour unique qu’il soit, n’en devient pour autant jamais isolé _ et c’est bien là le point décisif ! La complexité ramifiée du désir s’est en quelque sorte condensée, cristallisée. Elle n’en demeure pas moins prise dans l’entrelacs dense et enchevêtré _ et mouvant, dynamique _ de la trame des plaisirs visés.

Mais quel désir, précisément, a pu pousser _ en amont même de l’œuvre _ Clément Rosset _ lui-même, en tant qu’auteur se mettant à la table d’écriture _ à écrire ce si bref ouvrage dont le propos est finalement fort simple, presque évident ? _ mais glissant, en la réalité tellement mouvante ( et « in-circonscriptible !) de son objet (le désir) ; et dérangeant pour beaucoup, voire tant ! pour cette raison-là… À quels autres objets, idées, mélodies, poèmes, mythes est-il lié dans le processus symplectique du désir rossetien ? Cet essai est peut-être le moins explicitement philosophique de toute l’œuvre de Rosset : aucun plaidoyer ontologique, aucune réflexion sur la nature du réel, aucune résonance ouvertement épistémique. Pourtant, et c’est sans doute l’intérêt central de l’ouvrage, la position philosophique de l’auteur _ et c’est ce qui intéresse tout particulièrement ici Aurélien Barrau s’y décèle aisément en filigrane. Non pas cachée à la manière d’une énigme dont il faudrait découvrir la clef ; mais, bien au contraire, mise en œuvre comme une « machine errante » qui se dévoile moins par ce qui la constitue _ en amont : oui que par ce qu’elle produit _ en aval : en effet ! Il ne s’agit pas ici _ pour Clément Rosset _ d’argumenter, mais d’actualiser. On ne philosophe plus, on explore le champ des possibles au sein d’une élaboration philosophique _ parfaitement d’accord !

Les filiations lucrétienne, spinoziste et nietzschéenne _ oui ! je les ai bien notées aussi… _ de la position de Clément Rosset se lisent, à la manière d’un palimpseste, tout au long de ce petit ouvrage. Du premier, on trouve une référence explicite au quatrième livre du « De natura rerum » : « Vénus est vulgivaga, c’est une vagabonde », les objets du désir sont variables et s’organisent en multiplicité. Du second, on entrevoit le conatus comme puissance de persévérance du désir (le héros balzacien, archétypal de ce point de vue, fait, précisément, ce qu’il faut pour qu’il ne soit jamais assouvi _ c’est-à-dire « arrêté », immobilisé, annulé : il en « veut » toujours plus… _). Du troisième, on décèle la réhabilitation désinhibante qui innerve le « Crépuscule des Idoles« , œuvre centrale pour Rosset dans la mesure où Nietzsche s’y révèle déjà suffisamment en proie à la folie pour n’avoir plus besoin d’inventer d’inutiles répliques du réel, mais encore assez lucide pour être en mesure de le décrire.

Une philosophie en creux. « La Nuit de mai » est une philosophie du non-dit, du non-requis, du non-pensé _ avec « sprezzatura« … Clément Rosset n’a pas besoin d’y récuser l’existence d’un double du réel qui, depuis Socrate, constituerait la grande illusion métaphysique. Il n’a pas besoin d’y réfuter la distinction de ce qui est et de ce qui existe. Il n’a pas besoin d’y rappeler qu’aucun sens caché n’a valeur par-delà l’expérience vécue. Il n’a pas besoin d’y faire l’apologie d’une immanence paradoxalement puisée à l’aune de Parménide. Il n’a pas besoin d’y développer une ontologie _ cf « Le réel : Traité de l’idiotie«  _ de la singularité. Il lui suffit d’outrepasser les concepts jalonnant la tradition par une pratique philosophique littéralement insensée. L’affirmation du primat de la différence se lit dans un rapport insolite au réel : tout est singulier et étonnant par le seul fait d’exister. Poursuivant son rejet de toute variante de méta-question philosophique du « pourquoi » _ ce qu’on pourrait, en l’occurrence, appeler le « principe de raison » de Descartes, Leibniz ou Hegel _ Rosset ne s’intéresse pas à le genèse du désir _ en effet ; de même que François Noudelmann s’en agace, frontalement, carrément, lui, dans « Pour en finir avec la généalogie » (en 2004), et dans « Hors de moi » (en 2006) Il en analyse la modalité _ voici le principal apport de l’analyse ici du travail de Clément Rosset par Aurélien Barrau !

Il y a, chez Clément Rosset, différentes manières d’accéder à la réalité, d’y accéder dans toute l’étendue de son insignifiance (c’est-à-dire d’en percevoir simultanément la détermination et l’indétermination, les « deux visages de Janus » _ in Clément Rosset : « Le réel : Traité de l’idiotie« , Paris, Éditions de Minuit, 1997, p. 26 _ : le hasard et le nécessaire). L’ivrogne et l’amoureux éconduit, par exemple, sont sur cette voie d’existence sans essence. Ils ne veulent _ ni ne peuvent _ inventer un double fantasmatique : il sont en prise avec l’actualité vécue d’un réel remis à neuf. Or, étonnamment, Rosset prétend que « La Nuit de mai«  est la retranscription, plus ou moins exacte, d’un rêve. Sans doute _ à son insu ? _ propose-t-il ici une nouvelle voie d’accès au monde brut, non dupliqué, en devenir : le songe. Qui, mieux qu’un rêveur, pourrait faire une pure expérience de la surface, du contour, de l’apparence ?


Tout, loin s’en faut, ne va pas de soi dans la proposition de Clément Rosset. L’identité supposée des discours sur le désir, l’amour et la joie, en particulier, n’est pas sans poser de difficulté. Les arguments évoqués : « l’amour est la forme la plus intense du désir » et la référence à la phrase de La Fontaine introduisant les « Animaux malades de la peste » « Plus d’amour, partant, plus de joie« , sont pour le moins laconiques _ devrions-nous nous en plaindre ? Non.. Qu’il existe un rapport de causalité _ un fort souci du physicien _ entre le sentiment amoureux et l’émergence de certains bonheurs _ ou « joies » ?.. _ corrélatifs ne suffit certainement pas à établir _ par raison démonstrative ? _ l’identité générale des schèmes structurant ces deux ordres psychiques. La proposition demeure _ à dessein ? _ à étayer et son champ de validité à établir _ mais Clément Rosset est, en cette « Nuit de mai« , ainsi que dans la plupart de ses écrits, « dans » d’autres modalités de « parole »…

Lévi-Strauss voyait _ dans « L’Homme nu«  _ dans le « Boléro » de Ravel _ l’un des compositeurs les plus présents dans l’œuvre de Rosset _ l’exemple, fort paradoxal, d’une « fugue à plat », en tension vers l’inouïe modulation finale en Mi Majeur. C’est peut-être ainsi que pourrait se lire cet étrange opuscule : un contrepoint déplié, étiré entre la complexité de l’objet désiré et celle du sujet désirant, tendu vers une drolatique réhabilitation de l’égoïsme _ du moins dans le cas, délimité (!), de son « in-nocence » : absence de nuisance envers autrui _ en tant que capacité à ne pas nuire ! _ avec, page 39, cette « grande qualité d’être le seul à garantir à autrui qu’on le laissera tranquille en toute occasion. Vous ne serez jamais dérangé par quelqu’un qui ne s’intéresse pas à vous » ; même si Clément Rosset concède aussi, tout de même, bien qu’elliptiquement, page 40, que « ses abus peuvent être fâcheux (on l’a vu chez Balzac)« 

« La Nuit de mai«  ressemble à Clément Rosset : peu rhétorique, simple comme l’évidence, protéiforme comme le désir, étonnante comme le réel. Elle est aussi très singulière au sein de l’œuvre. Comme il se doit.« 


Ainsi, voilà aussi la seconde partie de l’article d’Aurélien Barrau.

Pour mettre un peu plus en perpective et en relief mon vagabondage sur le « désir » comme « désir-monde » chez Clément Rosset,

afin d’un mieux lire, ainsi, et L’Étreinte fugitive” de Daniel Mendelsohn, et “Mégapolis _ les derniers pas du flâneur de Régine Robin…


Titus Curiosus, ce 20 février

 

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