En mon article « Approfondir le piano de Florian Noack via sa discographie, en commençant par ses très beaux Lyapunov… » du 15 avril dernier, je faisais un peu étrangement l’impasse sur l’apport propre de son tout dernier très beau CD « Florian Noack – I tanna be like you – The Pianos Transcriptions« , le très remarquable CD La Dolce Volta LDV 121 _ enregisré à Mons du 3 au 6 janvier 2023 _ dont m’avait tout spécialement littéralement enchanté la transcription _ de Florian Noack, comme pour toutes les pièces proposées en ce CD… _ de la « Schéhérazade » Op. 35 de Nikolai Rimsky-Korsakov, au point que j’étais allé dénicher en ma discothèque personne l’interprétation, assez époustouflante, déjà, de Fritz Reiner…
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Aussi la lecture hier 24 avril de l’enthousiaste article de Jean-Charles Hoffelé, intitulé « Cauchemars et rêves« , consacré au tout récent CD « Rimsky-Korsakov – Shéhérazade – Mussorgsky – Night on Bald Mountain – Original versions of 1867 & 1880« , soit le CD Warner Classics 5054097933691 _ enregistré à Rome aux mois d’octobre 2014, mai 2019 et août 2022 _, m’a-t-elle très vivement incité à aller y jeter un peu plus qu’une oreille…
Claudio Abbado le premier réfuta l’efficace vêture dont Rimski-Korsakov avait assagi la vision de Moussorgski _ en « La Nuit sur le Mont Chauve« … Fatalement, Antonio Pappano se sera souvenu de cet acte fondateur, est-ce trop d’écrire qu’il y surclasse _ tiens, tiens ! _ son glorieux ainé ?
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Non, ce sabbat est simplement inouï _ voilà _, tout le génie du compositeur de Khovanchtchina y éclate sous cette baguette hallucinée _ voilà _, les Romains se surpassant pour la précision, l’élan, le caractère _ voilà _ : écoutez comme les pupitres attaquent, comment les timbres fusent, écoutez la précision des rythmes, l’échelle dynamique si variée.
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Antonio Pappano arde cette première version, et grave à sa suite la scène de l’Acte II de La Foire de Sorotchintsi, l’ultime opéra resté inachevé et orchestré avec brio par Vissarion Chebaline : Gritsko y voit en rêve le Sabbat infernal mené par Tchernobog, idéalement incarné par Dejan Vatchkov, Dieu noir tonitruant qui préside aux déchaînements sataniques menés grand train par les chœurs romains….
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Dans ce tumulte, Antonio Pappano parvient à faire entendre l’inspiration fantasque des nouvelles ukrainiennes de Nicolas Gogol, tour de force qui se prolongera au long d’une splendide lecture de Schéhérazade _ de Rimsky-Korsakov, en 1888 _ où le sous-texte des Mille et une nuits transparaît dans le violon diseur de Carlo Maria Parazzoli, dans l’orchestre empli de paysages et d’actions mené grand train, capté par une prise de son d’anthologie _ et ce n’est pas là un simple point de détail, bien entendu…
Spectaculaire _ c’est le mot !
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LE DISQUE DU JOUR
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Nikolai Rimski-Korsakov
(1844-1908)
… Schéhérazade, Op. 35*
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Modeste Mussorgski
(1839-1881)
… Une nuit sur le mont Chauve (version originale, 1867)
… Une nuit sur le mont Chauve (version 1880, adaptée en 1930 par Vissarion Shebalin, avec basse et chœur, d’après une scène de « La Foire de Sorotchintsi »*)..;
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*Carlo Maria Parazzoli, violon solo **Dejan Vatchkov, basse **Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia
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Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia Antonio Pappano, direction
Je ne suis pas un familier de la musique russe, et ce n’est pas non plus au répertoire de la musique symphonique que va ma prédilection, mais à une musique un peu plus intimiste…
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… Et c’est ainsi que, assez étrangement pour la plupart des mélomanes, ma préférence va décidément à la transposition pour piano seul _ de Florian Noack lui-même _ de cette « Schéhérazade » Op. 35 de Nikolaï Rimsky-Korsakov si merveilleuseent distillée _ et avec quelle divine sensualité ! _ par le piano subtil de Florian Noack _sur ce stupéfiant CD-ci de Florian Noack, jeter ce coup d’œil-ci à l’article« Madeleines » de Jean-Charles Hoffelé en date du 5 avril dernier ; et voici ce que celui-ci disait de cette « Schéhérazade« de Florian Noack : « Paul Gilson avait brillamment transcrit la Schéhérazade de Rimski-Korsakov. Qu’à cela ne tienne, Florian Noack affiche crânement sa propre lecture, débordée de couleurs, et emplie d’un érotisme qui fait entrer l’imaginaire de l’orchestre dans l’admirable Steinway – aigus sans clairon, medium argenté, basses toutes en timbres – si bien capté par Martin Rust« …
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Bien sûr c’est là, cette préférence _ et je l’admets fort bien _, une position très paradoxale, qui juge d’abord et surtout mon goût…
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Ce jeudi 25 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa
Les bien belles sorties discographiques présentes des CDs « Ravel – The Complete Works for Solo Piano Vol. 1 » (Avie Records AV2623) de Vincent Larderet et « Liszt » (Alpha 1036) de Nelson Goerner_ regarder cette passionnante vidéo(de 5′ 09) de présentation de ce CD « Liszt« par Nelson Goerner lui-même, formidable interprète, ici à son domicile, à Cologny, au bord du Lac Léman… _,
m’ont amené à commander dare-dare à mon disquaire préféré le précédent double album « Liszt- Between Light & Darkness » (Piano Classics PCL10201) de Vincent Larderetn que, en dépit d’un article « Deux nuances de sombre » _ le lire ici _ de Jean-Charles Hoffelé, paru en date du 26 janvier 2021, je n’avais pas vu passer _ et que d’ailleurs le magasin n’avait jamais eu non plus… _ ;
ce qui a fait que ce même jour, hier samedi 13 avril, j’ai pu me procurer et écouter sur ma platine ces trois CDs Liszt par Vincent Larderet et Nelson Goerner…
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Je dois confesser que, à la différence de Jean-Charles Hoffelé qui a beaucoup apprécié ce double album « Liszt- Between Light & Darkness » de Vincent Larderet, je n’y ai hélas pas du tout accroché…
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A contrario,
le jeu de Nelson Goerner, éminemment poétique dans les « 3 Sonetti di Petrarca » S. 270 _ écoutez ceci_, et sensible et nuancé dans la majestueuse grande « Sonate en Si mineur » S. 178, m’a, lui, en revanche, comblé…
avec rappels de précédents articles consacrés à ces divers CDs lisztiens de Francesco Piemontesi…
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Il n’empêche, le voyage de Ravel en Liszt représente pour moi, très subjectivement, hélas, une forme de redescente musicale, eu égard à mes réticences indurées envers le romantisme _ et son pathos confus souvent, sinon en général ; mais cela dépend aussi, bien sûr, des interprètes et de leurs interprétations : il y a aussi de bienheureuses exceptions !.. _, et surtout ma passion pour la lisibilité-clarté-fluidité du goût français, à son acmé dans Ravel _ en sa filiation assumée avec les Couperin par exemple…
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Toute écoute de musique, d’un disque ou d’un concert, a lieu en un moment et un contexte nécéssairement particuliers, qui ainsi, forcément, la relativisent, et qui obligent à revenir, ici ou ailleurs, ré-écouter et l’œuvre et l’interprétation de tel ou tel artiste qui nous en donne une médiation sienne, à laquelle nous-mêmes prêterons une plus ou moins ouverte et juste attention, à cet autre moment-là :
telle est la situation de ce jeu mélomaniaque ouvert à focales croisées et recroisées, indéfiniment in progress…
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Ce dimanche 14 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa
et à nouveau consacré au CD SACD Bis 2657 « Stravinsky – Bartok – Martinu » du splendide violoniste Frank-Peter Zimmermann, accompagné du Bamberger Symphoniker sous la direction de Jakub Hrusa,
cet article-ci très sobrement intitulé « Bohuslav« , de Jean-Charles Hoffelé sur son très fiable site Discophilia :
Revenu à Paris après ce qui sera (mais il ne le sait pas encore) son ultime séjour en Bohème, Bohuslav Martinů s’attela à la « Suite de danse » qu’il avait promise à Samuel Dushkin : on était en août 1938. Une année plus tard, Martinů quittait Paris dans la débâcle, trouvant refuge en en zone libre.
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Entre temps la « Suite de danses », commencée par une Toccata assez jazzy, très dans la verve des musiciens de l’École de Paris (tous des immigrés d’Europe centrale _ en effet ! _) sera devenue cette Suite concertanteque le compositeur finira par orchestrer en 1941, ayant perdu tout espoir de revoir jamais sa Bohème. Une nostalgie prégnante s’est installée dans la grand déploiement de l’Andante, mais la suractivité rythmique des années parisiennes endiable un Scherzo un brin méphistophélique, et fait flamboyer un Final virtuose qui siérait à merveille pour un grand concerto : écriture échevelée, orchestre solaire _ voilà, voilà _, que Frank Peter Zimmermann, Jakub Hrůša et ses Bamberger magnifient _ voilà ! Cf aussi cette très émouvante vidéo(de 23′ 28) de Frank-Peter Zimmermann en cette même superbe œuvre-ci de Martinu, mais cette fois avec l’Elbphilharmonie Orchester placé sous la direction de Manfred Honeck, le 18 novembre 2021… _, ajout majeur à leur album _ précédent, en 2020 _ des deux Concertos pour violon et orchestrede Martinu _ le très beau CD SACD Bis 2457 ; cf mon article « Le violon plus-que-parfait de Frank-Peter Zimmermann : à explorer en toute sa palette avec délectation… » en date du 28 janvier 2023…
Son impeccable lecture du Concerto de Stravinski (une redite, il l’avait enregistré jeune homme avec Gianluigi Gelmetti _ soit le CD 17 du coffret Warner Classics « Frank-Peter Zimmermann – The Complete Warner Recordings » de 40 CDs, que je possède : un CD enregistré en 1990… _), ses Rhapsodies de Bartók si tenues, plus pensées que jouées, se font voler la vedette par cette Méditation que Martinů composa en 1945 et qui devait prendre place dans la version définitive de la Suite : un requiem de six minutes
_ avec, j’ajoute ici, ces utiles précisions-ci de la musicologue Rebecca Schmid, telles que mentionnées à la page 24 du livret de ce CD : « En plus de la Suite(H 276 II) telle qu’elle a été achevée en 1945, cet enregistrement propose le troisième mouvement de cette deuxième version (H 276 I), intitulé Méditation. Cette courte pièce(de 6′ 08) met en valeur le soliste, avec une écriture lyrique qui se manifeste par des effets subtils de l’orchestre. Lorsque le violon s’élève dans la stratosphère, la musique devient une réflexion spirituelle ou une méditation, comme l’indique le titre. Bien que le mouvement soit tonalement clair, Martinu introduit également ses cadences moraves caractéristiques« …
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LE DISQUE DU JOUR
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Igor Stravinski (1882-1971)
… Concerto pour violon et orchestre en ré majeur,
K053
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… Béla Bartók (1881-1945)
… Rhapsodie pour violon No. 1, Sz. 87, BB 94 (version orchestrale) Rhapsodie pour violon No. 2, Sz. 90, BB 96 (version orchestrale)
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… Bohuslav Martinů
(1890-1959)
… Suite concertante en ré majeur, H. 276a
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Frank Peter Zimmermann, violon Bamberger Symphoniker Jakub Hrůša, direction
Après un précédent enregistrementréunissant l’Orchestre Victor Hugo, son chef Jean-François Verdier et Sandrine Piau en soliste, cette équipe récidive dans un répertoire de mélodies avec orchestre. On retrouvera avec plaisir une continuité artistique entre les deux sorties _ de ces CDs « Reflet » et « Clair-Obscur« , pour le label Alpha 1019 et 727… _, avec toutefois une différence de taille pour les oreilles françaises.
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On ne peut que se féliciter dans un premier temps de la continuité artistique telle que nous la proposent les interprètes. En effet, le travail de fond mené depuis des années par _ l’excellent _ Jean-François Verdier à la tête de l’Orchestre Victor Hugo _ de Besançon _ paye : une partie de cette formation a été renouvelée depuis son arrivée en 2010, ce qui a permis une ouverture du répertoire et un décloisonnement indéniable vers d’autres publics et d’autres manifestations musicales non plus strictement classiques. Les multiples rencontres avec des artistes de renom enrichit considérablement les contenus des prestations données, bien au-delà de la Franche-Comté. Jean-François Verdier est un chef qui sait mêler dans ses programmes la tradition du grand répertoire (ici Berlioz, Duparc, Ravel et Debussy) avec des œuvres moins connues du grand public (celles de Koechlin, Britten, les orchestrations de Caplet ou d’Ansermet pour Debussy).
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Autre performance de l’orchestre : l’effectif parfois considérable demandé par les auteurs ne vient _ en effet ! _ jamais submerger la voix soliste, pas davantage qu’il ne s’efface _ non plus _ à son profit. Un jeu d’équilibriste des plus subtils _ voilà _ qui permet de tout entendre sans se mettre en avant _ ni l’orchestre, ni la chanteuse : bravo ! _, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Faire sonner un orchestre symphonique comme un grand ensemble chambriste, sans gros effets, voilà qui est _ tout à fait _ remarquable _ en effet.
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Les années ne semblent pas affecter _ du tout _ la voix de Sandrine Piau, toujours bien timbrée et colorée _ oui, oui. Les graves sont ronds et bien galbés, le medium soutenu et les aigus menés avec agilité et grande souplesse. La tenue des sons est linéaire et très agréable _ à l’écoute : c’est en effet le cas. Et pourtant, il est _ trois fois hélas !!! _ quasiment impossible de comprendre _ entendre les sons : oui : comprendre les mots ou les phrases : non _les paroles des poèmes chantés sans les suivre sur le livret _ et c’est hélas rédhibitoire !!! Par moment on saisit un mot ou une partie de phrase, avec effort, jamais un vers complet _ voilà… Pour un auditeur non francophone, tout paraîtra certainement très beau. Mais ne pas pouvoir comprendre les poèmes de Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Mallarmé ou Victor Hugo laisse _ plus que _ dubitatif. Quel dommage ! _ snif ! snif !
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Hector Berlioz (1803-1869) : Le spectre de la rose.
Henri Duparc (1848-1933) : Chanson triste ; l’invitation au voyage.
Charles Koechlin (1867-1950) : Pleine eau ; aux temps des fées ; épiphanie.
Claude Debussy (1862-1918) : Clair de lune; épigraphe antique n°6.
Maurice Ravel (1875-1937) : 3 poèmes de Mallarmé.
Benjamin Britten (1913-1976) : 4 chansons françaises.
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Sandrine Piau, soprano ; Orchestre Victor Hugo, direction : Jean-François Verdier.
1 CD Alpha classics. Enregistré en novembre 2022 à l’Auditorium de la Cité des Arts, Besançon.
Notice de présentation en français, anglais et allemand.
Durée : 57:05
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C’est tout de même bien dommage !!!
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Ce dimanche 7 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa
Qu’est devenu le ténor de la tragédie lyrique au _ moment du _ Romantisme ? De son saisissant_ oh que oui ! _ baryténor (allez, formons le « registre » !), Michael Spyres répond _ plus que superbement ! _ avec le grand air du Joseph de Méhul : l’héroïsme vocal _ voilà : solaire !Beethoven le teindra vite d’ombres, et comment ne pas saisir dans l’élan, l’articulation, la primauté du mot de théâtre sur l’émotion de la note de ce « Gott ! » ce qui, au sein même d’une révolution (et sans lendemain : Fidelio n’aura pas de postérité, ovni !), dit assez de cette Pangée née en France, et y rester.
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Le continent lyrique va virer à l’héroïque _ en effet. À ce titre, regret : chez Wagner, que Michael Spyres n’ait pas poussé jusqu’à Siegmund _ il y viendra bientôt, est-il annoncé à Bayreuth… _, même hors cadre _ choisi pour ce CD _ de ces années de l’apogée du Romantisme qu’illustre si justement le _ superbe lui aussi _ Leicester rossinien (chanté ici avec un art de l’émotion si rare _ oui ! _), ou le Masaniello d’Auber _ lui aussi magnifique ! _ face à l’horreur du massacre.
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Polyglotte parfait, chanteur stylé _ et comment ! _ avant même d’être ce phénomène vocal qui ressuscite un continent perdu _ oui, oui, oui _, Michael Spyres peut adosser son art à celui des Talens Lyriques et de Christophe Rousset : ils arpentent, de Charles Gounod à Louise Bertin, cet autre âge d’or, sachant tout ce qui, d’un autre monde, s’y mire encore.
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LE DISQUE DU JOUR
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In the Shadows
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Airs d’Étienne Méhul (1763-1817), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Gioacchino Rossini (1792-1868), Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Carl Maria von Weber (1786-1826), Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871), Gaspare Spontini (1774-1851), Vincenzo Bellini (1801-1835), Heinrich Marschner (1795-1861) et Richard Wagner (1813-1883)
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Michael Spyres, ténor Jeune Chœur de Paris Les Talens Lyriques Christophe Rousset, direction
Œuvres de : Méhul, Beethoven, Rossini, Meyerbeer, Von Weber, Auber, Spontini, Bellini, Marshner, Wagner.
Michael Spyres, ténor ; Les Talens Lyriques, direction : Christophe Rousset.
2024.84.49.
Livret en allemand, français, anglais Textes en langue originale.
Erato 5054197879821
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« Dans les Ténèbres ». Ce nouvel enregistrement du ténor américain, Michaël Spyres, propose de remonter aux sources de l’inspiration de Richard Wagner _ tel est le sens de ce CD. Compte tenu du tempérament exalté, de l’insatiable curiosité littéraire, musicale, politique du compositeur de Tristan, le défi _ déjà musicologique _ est immense _ oui.
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Sait-on qu’en 1832, à dix-neuf ans, passant par Vienne en pleine épidémie de choléra, il _ Richard Wagner _ parvint à surmonter sa panique, sortir de sa chambre et suivre chaque jour les foules enflammées par le « démon de la valse », Johann Strauss père ? Exemple parmi beaucoup d’autres.
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Il s’agira donc ici beaucoup plus d’une incursion _ mais déjà très significative ! _ parmi les œuvres et compositeurs contemporains de la jeunesse du compositeur de Rienzi que d’une vision exhaustive, ce qui n’enlève rien _ pour sûr ! _ à l’intérêt _ tant performatif de la part du chanteur que musicologique _ de ce parcours.
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C’est l’opéra biblique « Joseph » du Français Méhul, daté de 1807 _ et bien trop méconnu de nous _, qui introduit le récital. Après un détour par des extraits de Rossini, de Meyerbeer en italien et de Weber et Spontini en allemand, la langue française réapparaît avec La Muette de Portici de Daniel Auber _ créée en 1828 _ avant que l’air de Pollione (Norma) de Bellini n’introduise quatre pages en allemand, l’une de Marschner, trois de Richard Wagner se terminant par Mein lieber Schwan ! (Lohengrin).
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Or cette période qui s’étend des années 1807 à 1848 correspond à une fracture majeure _ voilà ! _ dans l’histoire de l’Occident européen en général, dans celle de l’opéra et de l’art du chant en particulier. Devenue une entreprise commerciale, La Grande Boutique c’est à dire l’Opéra _ de Paris _, sous la direction du Docteur Véron, va complaire au goût pour le sensationnel et le romantisme matérialiste tandis que l’école de la vocalité rossinienne, de la sensibilité et de la noblesse d’expression va être éclipsée _ voilà _ par des machines avec profusion de chanteurs, de costumes et de décors. La musicalité, l’art des demi-teintes, le magnétisme d’une Maria Malibran, Cornélie Falcon ou du plus grand ténor des années 1826 – 1836, Adolphe Nourrit, créateur du rôle de Masaniello interprété ici, vont céder la place aux effets sonores dont l’ut de poitrine rapporté d’Italie par Gilbert Duprez _ tout cela est bien sûr capital ici.
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C’est dire combien les compositeurs présentés ici sollicitent des techniques et des esthétiques extrêmement disparates _ voilà ! Michael Spyres se joue magistralement de toutes ces difficultés _ oui ! _ pour deux raisons : ses qualités belcantistes d’abord, qui privilégient l’expressivité _ voilà ! _ avant tout ; l’évolution de sa voix, ensuite _ mais oui _, plus sombre et plus large, tout en ayant conservé souplesse, dynamique, maîtrise des sons mixés comme des demi-teintes _ tout cela est parfaitement vu.
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Parmi les découvertes _ mais oui _ qu’il nous offre, la merveilleuse sérénade funèbre avec harpe de Meyerbeer _ dans « Il crociato in Egitto » _ resplendit saturée de lumière. Contraste saisissant avec le lyrisme agité, la course à l’abîme de Max dans le Freischütz de Weber. L’air de Masaniello (la Muette de Portici), d’Auber souffre de cette proximité et les teintes sombres, parfois lourdes à l’orchestre, ne mettent pas le compositeur en valeur.
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En revanche, les vocalises, le contre-chant orchestral, les ponctuations instrumentales et la sensation d’une texture toujours en mouvement sous la ligne vocale, culminent dans l’air Der Strom wälzt ruhig seine dunklen Wogen (premier enregistrement mondial en allemand) extrait d’Agnès von Hohenstaufen de Gaspare Spontini _ une des slendeurs éclatantes de ce CD. L’orchestre Les Talens Lyriques sous la baguette avisée de Christophe Rousset y déploient une progression dramatique des plus efficaces.
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Pollione martial, l’engagement de l’interprète de Norma forme un contraste à nouveau très réussi avec la ferveur et la douceur de l’extrait de Konrad Marscher dans son rare Hans Heiling.
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Parmi les trois extraits des premières œuvres du maître de Bayreuth, Die Feen et Rienzi, tout d’élans et de passion, conduisent au poétique adieu au cygne de Lohengrin, rôle que le ténor vient d’inscrire brillamment à son répertoire _ à l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg, ce mois de mars 2024.
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En dépit d’un point de départ un peu spécieux -le thème des sources de Wagner méritant un traitement _ du moins musicologique _ d’une autre envergure- ce programme longuement médité innove et séduit par son intelligence, sa beauté _ oui _ et son interprétation de très haute volée _ absolument. Contrairement au titre lugubre, beaucoup de lumière _ ici _ dans les ténèbres.
tous les deux à propos du merveilleux CD « Michael Spyres – In the Shadows – Wagner« , le CD Erato 5054197879821, enregistré à Paris en décembre 2022, et sous la direction de Christophe Rousset,
en aval historique dans la carrière de chanteur de Michael Spyres,
en amont de ce passionnant cheminement du chanteur de Michael Spyres,
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voici que je m’extasie à nouveau,
après aussi les CDs « Baritenor« , soit le CD Erato 0190295156664, enregistré à Strasbourg en août et octobre 2020, et sous la direction de Marko Letonja,
et « Michael Spyres – Contratenor« , soit le CD Erato 5054197293467, enregistré à Lonigo en septembre 2020, et sous la direction de Francesco Corti,
sur l’extraordinaire étendue, une fois de plus constatée, du répertoire _ et avec quelles formidables perfections de style ! _ de ce prodigieux interprète à tous égards (incarnation des rôles, et beauté des interprétations, pour commencer) qu’est Michael Spyres
la prise du rôle en ce moment même par Michael Spyres, du rôle de Lohengrin, dans l’opéra éponyme de Richard Wagner, sur la scène de l’Opéra national du Rhin à Strasbourg…
À l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg, Michael Spyres incarne un Lohengrin somptueux d’élégance.
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Crédit photo : Klara Beck.
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Il y avait deux formidables raisons de courir _ vite _ à Strasbourg pour écouter et voir Lohengrin : la prise du rôle du chevalier au cygne par le ténor américain Michael Spyres qui chante ici, hors le Steuermann et Erik _ du récent, lui aussi, « Vaisseau fantôme« , à Hambourg, en décembre 2023… _ , son premier grand rôle wagnérien à la scène _ voilà ! _, et la direction musicale du chef ouzbek Aziz Shokhakimov, le patron de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, déjà fort remarqué dans Les Oiseaux de Braunfels voici deux ans.
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Côté scène, si Florent Siaud ouvre des perspectives sociétales dans le programme de salle, il est bien en peine de les porter sur le plateau. Sa production en reste classiquement à l’opposition du bien et du mal, dans une société post-romantique en ruines, et sous la coupe du sabre et du goupillon, avec chambre nuptiale-chœur d’église dont le fond s’ouvre sur le monde du Graal, sans le moindre cygne, hors un anneau qui en figure le lien magique.
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Sans proposition marquante
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Un beau décor unique à variables signé Romain Fabre, inspiré de Caspar David Friedrich, mais sans son génie atmosphérique, et des éclairages lunaires de Nicolas Descoteaux, rehaussent une direction d’acteurs plate et trop embarrassée des chœurs (ONR et Angers-Nantes, excellents par ailleurs) mais ne font pas une proposition marquante. Comme la distribution, inégale qui souffre du forfait d’Anaïk Morel, remplacée en Ortrud par Martina Serafin tout juste débarquée pour la générale, et qui doit composer avec le trampoline d’un aigu dévasté. Le beau Hérault d’Edwin Fardini, lauréat Voix des Outremers 2021, est encore un peu vert pour avoir l’impact du rôle, alors que Le Roi Henri de Timo Riihonen, qui prend l’acte I pour trouver ses marques, s’impose par une voix noire et profonde. Josef Wagner, formidable Barak à Lyon il y a peu, n’est pas à son meilleur en Telramund : la voix, les couleurs peinent à marquer avant la fin du II. La salle aidant, Johanni van Oostrum chante parfaitement Elsa, mieux qu’à Bastille même en septembre, mais ne sort pas de la convention du rôle : là où Florent Siaud la voit comme une résistante engagée, elle fait bien pâle héroïne.
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Michael Spyres, exceptionnel
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Mais l’exceptionnel _ nous y voici ! _ en cette première est bien l’incarnation _ voilà, une nouvelle fois si pleinement juste ! _ de Michael Spyres dans son appropriation d’un domaine vocal qu’il avait soigneusement évité jusqu’à présent _ oui. Du baroque à Berlioz, de La Vestaleà l’opérette, son parcours a su jouer d’une technique pointue pour maîtriser souverainement _ voilà ! _ un ambitus allant du baryton au ténor _ voilà ! _ et des styles d’une formidable variété _ et voilà ! Timbre et projection disent ici clairement qu’en Wagner, il ne cherche ni la force ni l’effet, mais bien un art du chant _ voilà !! _ hérité d’une souplesse vocale post bel-cantiste _ oui _ qui fut celle _ mais oui _ des premiers interprètes du compositeur saxon, avant que l’usage ne crée les chanteurs wagnériens _ oui : c’est bien de cette histoire-là qu’il s’agit de manifester les inflexions et les tournants… Le résultat, sans faille, somptueux de racé, d’élégance _ oui ! _, et de séduction _ n’en jetez plus, d’éloge… _, est plus que convaincant _ oui : stupéfiant de splendeur ! Reste à voir comment il appliquera _ bientôt _ cette leçon aux Siegmund et Walter annoncés à Bayreuth _ voilà ! _, et à Tristan plus tard _ wow !
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Faut-il préciser que la réussite des grands récits – dont un Adieu au cygne fascinant – tient aussi à l’entente entre le chanteur et le chef, dont la sensibilité est en osmose avec cet art du chant raffiné _ oui : lyrique. Loin des grands bruits, l’orchestre – à quelques cuivres malheureux près – est l’instrument fluide de la narration sous une baguette qui possède à la fois le sens du grand arc dramatique (la montée en tension irrésistible au final du II), du détail raffiné (la fin du duo Elsa Ortrud) qui sait aussi admirablement sertir le chant d’une aura adaptée.
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Quel décidément extraordinairement talentueux interprète, et prodigieux passeur de cet art, est Michael Spyres !
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Ce vendredi 29 mars 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa