Musiques de joie : la sublime jubilatoire sublimation du deuil brutal d’un ami : le « Tombeau » sur la mort de Monsieur Blancrocher, de Johann-Jakob Froberger, par Gustav Leonhardt, et/ou Bob van Asperen
21mai
Bien sûr,
21mai
Bien sûr,
14avr
Pour fêter,
au sein du superbe CD Bis CD1534 de l’extraordinaire luthiste suédois Jakob Lindberg, intitulé Silvius Leopold Weiss Lute Music II,
un CD paru en 2009,
une bouleversante _ et pourvoyeuse d’une intense très profonde joie _ sublime interprétation du sublime lui-même Tombeau sur la mort de M. le Comte de Losy arrivée en 1721
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même si la joie de quelque Tombeau que ce soit semble a priori plutôt oxymorique…
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Et pourtant l’espèce encore humaine _ pas tout à fait déshumanisée, veux-je dire _ se fait un devoir de donner à ses morts une vraie sépulture,
sous quelque forme tant soit peu méritoire, même humble, que ce soit…
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Et un Tombeau de musique, ce peut être vraiment très beau ;
et même sublime.
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Et c’est le cas ici,
de l’œuvre de Silvius Leopold Weiss
comme de l’interprétation de Jakob Lindberg.
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Parmi les joies ayant donné lieu à de belles, voire sublimes, « musiques de joie« ,
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existent ainsi des joies au premier abord oxymoriques,
telles celles, forcément, des « Tombeaux« …
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« Tombeaux » de musique donc, donnés initialement et en tout premier lieu
_ et je commencerai, ici, par cette donnée historique-là _
par quelques luthistes, en France, un peu avant le mitan du XVIIe siècle,
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tels Denis Gaultier (1603 – 1672), dit Gaultier le jeune,
pour un Tombeau de Lenclos, soit le luthiste Henri de L’Enclos (1592 – 1631) _ le père de la célèbre Ninon… _,
pour un Tombeau de M. de Blancrocher, soit le luthiste Charles Fleury (1605 – 1652),
ainsi que pour un Tombeau de Raquette, probablement Charles Racquet (1598 – 1664), qui fut organiste de Notre-Dame de 1618 à 1643 ; à moins qu’il ne s’agisse du père de celui-ci, Balthazar Racquet (ca. 1575 – 1630),
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et Ennemond Gaultier (1575 – 1651), dit le vieux,
pour un Tombeau de Mézangeau, soit le luthiste René Mézangeau (1568 – janvier 1638),
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Parmi les luthistes français auteurs _ et initiateurs _ de tels Tombeaux,
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il faut aussi relever les noms de :
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François Dufaut (1604 – 1672),
Jacques de Saint-Luc (1616 – 1708) _ bruxellois, mais qui séjourna un moment à Paris _,
Charles Mouton (1617 – 1710),
Jacques Gallot (1625 – 1696),
Jean de Sainte-Colombe (1640 – 1700),
Laurent Dupré, dit Dupré d’Angleterre (1642 – 1709),
Robert de Visée (1650 – 1725)…
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Le genre du Tombeau
est très vite repris, des luthistes, par leurs amis clavecinistes
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tels
le grand Johann-Jakob Froberger (1616 – 1667) _ présent à Paris en 1652 _,
auteur d’un célébrissime et merveilleux Tombeau de M. de Blancrocher ;
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de même que, tout aussi beau, son ami Louis Couperin (1626 – 1661) ;
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ainsi que Jean-Henri d’Anglebert (1629 – 1691),
et Jean-Nicolas Geoffroy (1633 – 1694)…
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Puis, ce sont les violistes qui s’emparent à leur tour du Tombeau, tels
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Marin Marais (1656 – 1728),
Sainte-Colombe le fils (1660 – 1720),
Charles Dollé (1710 – 1755).
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L’immense luthiste silésien Silvius Leopold Weiss
(Breslau, 12 octobre 1687 – Dresde, 15 octobre 1750)
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a composé un bouleversant
et sublimissime
Tombeau sur la mort de M. le Comte de Losy arrivée en 1721
_ Johann Anton Losy von Losinthal (Steken, 1650 – Prague, 3 septembre 1721) _
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qu’interprète idéalement le luthiste suédois Jakob Lindberg
en un admirable CD Bis 1534 _ enregistré et publié en 2009.
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Jakob Lindberg vient de publier, en 2019 cette fois, toujours chez Bis,
un magnifique CD _ Bis 2462 _ intitulé Jan Antonin Losy note d’oro,
qui nous donne à savourer la merveilleuse délicatesse de l’art du Comte Losy,
en 6 Suites, un Menuet et une Chaconne.
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L’oxymore consiste en l’intensité _ sublime ! _ de joie intensément profonde
que donne un tel Tombeau,
ainsi interprété, aussi.
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Voilà.
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Ce mardi 14 avril 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa
04fév
En hommage au très grand George Steiner
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qui vient de décéder hier 3 février 2020,
chez lui à Cambridge
_ il était né le 23 avril 1929 à Neuilly-Sur-Seine _,
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et qui est _ pour jamais _ un des auteurs essentiels du XXème siècle
_ j’ai lu presque tout son œuvre entier :
de Tolstoï ou Dostoïevkï (en 1963, au Seuil)
à Fragments (un peu roussis) (en 2012, chez Pierre-Guillaume de Roux),
en passant par Après Babel, ou une poétique du dire et de la traduction (chez Albin Michel, en 1978 : le livre qui me l’a fait découvrir !),
Réelles présences _ les arts du sens (chez Gallimard, en 1991),
et Errata, récit d’une pensée (chez Gallimard, en 1998),
etc. _,
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j’écoute en boucle
le sublime _ merveilleusement paisible ! _ Tombeau de M. Comte de Logy, de Silvius Leopold Weiss
(composé en 1721)
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dans l’admirable CD de Jakob Lindberg Silvius Weiss Lute Music II (CD Bis 1534)
_ cf mon article d’hier : Rencontrer la paix avec Jakob Lindberg jouant Jan Antonin Losy sur son luth Sixtus Rauwolf : l’album « note d’oro »…
Et cette interprétion de Jakob Lindberg, je viens de la comparer avec plusieurs autres, est au-dessus de tout éloge !!! _,
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au cœur, lui aussi, de la civilisation européenne.
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Ce mardi 4 février 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa
03fév
Jakob Lindberg est un merveilleux luthiste
dont je suis les parutions discographiques.
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Ce jour,
l’album note d’oro _ Album Bis 2462 _,
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comprenant 6 Suites, un Menuet et une Chaconne
pour le luth
_ en l’occurrence un luth de Sixtus Rauwolt,
d’Augsburg, vers 1590 _,
de Jan Antonin Losy (Štěkeň, c. 1650 – Prague, 1721),
comte de Losinthal _ en Bohème.
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Une musique de paix,
d’une profonde poésie.
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Ajoutons que la pièce probablement la plus célèbre
du grand Silvius Leopold Weiss (Breslau, 1687 – Dresde, 1750)
est le Tombeau sur la mort de Mr. Compte de Logy arrivée 1721
_ une pièce sublime de 12′ présente sur le CD Silvius Weiss Lute Music II, de Jakob Lindberg
(le CD Bis 1534).
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Ce lundi 3 février 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa
22jan
Un très bel hommage à un luthier disparu _en 2010 _,
Pierre Jaquier, de Cucuron ;
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par Cécile Glaenzer, sur le site de Res Musica :
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Et pour Joël Dehais,
ami violiste,
et fervent de ses rencontres de Cucuron.
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La parole est donnée à des facteurs de piano, d’orgue, de clavecin ou encore des luthiers et tout autre artisan « de l’ombre ». Sous la forme d’anecdotes, de réflexion sur le métier, ou de confidences imaginaires d’artisans célèbres dans l’histoire de la musique, ResMusica choisit de les mettre en lumière. Pour accéder au dossier complet : Les confidences d’artisans de la musique
Parti en 2010, Pierre Jaquier était un luthier mondialement reconnu pour son immense talent. Véritable esprit encyclopédique, il puisait l’inspiration de son art à la source d’une profonde spiritualité chrétienne.
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Des centaines de violes de gambe sont nées entre les mains de Pierre Jaquier. Ses instruments, sans oublier ceux de la famille des violons, se retrouvent au sein des orchestres baroques du monde entier. Et l’atelier de Cucuron, dans le Vaucluse, où il s’était installé depuis 1990, a vu défiler les plus grands musiciens venus faire régler leurs instruments à archet. Pour le grand public, c’est le film Tous les matins du monde d’Alain Corneau qui a révélé la viole de gambe, cet instrument-roi du XVIIe siècle. Pierre Jaquier fut le luthier qui a construit pour ce film les violes de M. de Sainte-Colombe et de Marin Marais.
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L’atelier des Quatre Couronnés
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Certains lieux privés sont des lieux sacrés, des lieux où souffle l’Esprit. Ainsi, l’atelier de lutherie de Pierre Jaquier est de ces lieux habités, où le visiteur est immédiatement saisi par un sentiment de transcendance. Une grande pièce lumineuse, très haute de plafond. La lumière zénithale tombe directement sur l’établi. Au sol, des milliers de petits cubes de bois debout disposés en spirale forment une mosaïque monochrome. Au centre de l’atelier, un large pilier cylindrique autour duquel s’enroule l’hélice d’un escalier de bois, permet d’accéder à une mezzanine aux rayonnages remplis de livres, de plans, d’esquisses et de pièces de bois sculptées. Sur la poutre maîtresse qui soutient l’ensemble, le luthier a gravé des versets du Psaume 103, en latin : « Omnia a te expectant ut des illis escam in tempore. Dante te illis, colligent. Aperiente te manum tuam, omnia implebuntur bonitate. Emittes spiritum tuum, et creabuntur et renovabis faciem terrae »(1). On pense à la librairie de Montaigne _ voilà. Aucun outil ne traine, tous soigneusement rangés dans de beaux placards de bois remplis de centaines de petits tiroirs. La pièce des vernis est à part, qui évoque l’antre de l’alchimiste avec ses rayonnages de fioles alignées.
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Du bois, des outils, de la lumière : ce sont là les éléments du sacré. Ce n’est pas un hasard si Pierre Jaquier a voulu une bénédiction pour son atelier au moment de son inauguration, comme on bénit un orgue, comme on dédicace un autel. Pour cet artisan à la spiritualité si profonde, l’établi était une forme d’autel, et l’ensemble de ses gestes s’apparentait à une liturgie _ oui. Il se sentait proche de la Règle de Saint Benoît, qui donne une si belle place au travail : « Pour Benoit, si la prière est le premier travail des moines, le travail est aussi une prière. », nous dit-il dans un texte inédit consacré à la place du travail manuel dans la Bible. C’est au cours de la cérémonie de bénédiction de l’atelier par le curé de Cucuron que le luthier Luc Breton a procédé à la remise du tablier à Pierre Jaquier, geste solennel qui relevait autrefois du magistère de l’église. Grand connaisseur de la tradition, Luc Breton fait référence à cette cérémonie dans un article paru dans la revue Connaissance des religions * : « La remise du tablier appartenait à l’Église. Elle y a renoncé à partir de la fin du XVIIe ; cette cérémonie a subsisté seulement sous une forme édulcorée, avec le scapulaire de Saint Joseph notamment. Le tablier ressemble à l’étole du prêtre ; il porte une croix au niveau de la nuque, on baise cette croix avant de passer le tablier autour du cou. Son tracé est particulier : il est en forme de trapèze que l’on peut subdiviser en trois séries superposées de trois carrés, soit neuf carrés, auxquels il faut ajouter un dixième carré supplémentaire en haut, au niveau de la poitrine. Cela donne au tablier une forme ascendante, avec un point de fuite en haut et une croix inscrite dedans. Le tablier est d’une importance capitale, car c’est une représentation du monde, que l’on peut comparer au plan de l’église dans lequel le ciel est une demi-sphère posée sur un cube (…). La remise du tablier se faisait dans le cadre du métier, en présence des dignitaires du métier, avec la bénédiction du clergé. »
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L’atelier de Pierre Jaquier est placé sous le patronage des « Quatre Couronnés » _ à Rome, l’église des Quattro Coronatti s’élève entre Saint-Clément et Saint-Jean-de-Latran, sur les pentes dominant à l’est le Colisée. Dans le même texte déjà cité, il nous rappelle qui sont ces saints oubliés : « Les Quatre Couronnés sont cinq : Claudius, Castorius, Simpronianus et Nicostratus, auxquels s’ajoute Simplicius, converti un peu plus tard. Ils étaient sculpteurs en Pannonie, dans les carrières de Dioclétien _ le constructeur du palais de Split, en Dalmatie _, et maîtrisaient leur art à la perfection au point d’être remarqués par l’empereur qui les fit travailler spécialement pour lui, en particulier le porphyre, le plus dur de tous les marbres _ celui du puissant relief des quatre tétrarques d’un des angles de la façade de Saint-Marc de Venise. Les Quatre couronnés disaient tenir le secret de leur incroyable maîtrise technique dans le fait qu’ils appliquaient à la lettre le précepte de l’Apôtre Paul : Quoi que vous fassiez, faites-le au nom du Seigneur Jésus. Lorsque Simplicius, dont le fer se brisait régulièrement sur le marbre, l’eut fait tremper par Claudius, à sa question devant la qualité nouvelle de l’outil, ce dernier répond : Tu t’étonnes, frère, de la trempe des fers ? C’est le Créateur de toutes choses qui a lui-même renforcé son œuvre. Leur technique ignorait complètement celle des ingénieurs païens et ne connaissait que le nom du Christ ; elle produisait des merveilles qu’aucun autre sculpteur ne pouvait réaliser. Soupçonnés d’être chrétiens, ils reçurent l’ordre d’adorer une statue de vingt-cinq pieds de haut, représentant le soleil avec son quadrige, qu’ils avaient eux-mêmes sculptée et que Dioclétien avait fait placer dans un temple. Ils s’y refusèrent en déclarant : Nous n’adorons jamais l’œuvre de nos mains. Ils refusèrent également de sculpter une statue d’Esculape, ce qui leur valu la couronne du martyre. »
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On reconnaît l’artisan à ses copeaux
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L’épreuve de la maladie a été pour Pierre Jaquier une ultime source d’enrichissement. Tous ceux, très nombreux, qui l’ont côtoyé durant ces longs mois où la maladie dégénérative semblait détruire inéluctablement son corps, tous ont ressenti cette force morale qui l’habitait, cette paix intérieure. « Vivre avec une telle maladie, c’est comme être enfermé dans un sous-marin : on est relié par un tuyau à la surface pour respirer. Si je remonte à la surface, je trouve l’agitation, les soucis ; mais il est possible d’aller au plus profond pour trouver le calme (…). Comme je ne peux me déplacer horizontalement, il me reste à rechercher au fond de moi-même ma vérité, en descendant dans mon espace intérieur, espace qui est beaucoup plus grand qu’on ne l’imagine », témoignait-il en juin 2010, dans le bulletin de l’Association pour la Recherche sur la Sclérose Latérale Amyotrophique (A.R.S.L.A.).
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En homme de foi, Pierre Jaquier s’est préparé à « la Rencontre ». Pour cela, il lui a fallu faire l’expérience du lâcher-prise, du dépouillement. Il en parlait volontiers aux amis qui lui rendaient visite. « Lâcher prise, ce n’est rien d’autre qu’ouvrir ses mains, ouvrir son cœur. » Il lui a d’abord fallu accueillir la maladie en lui, jusqu’à en faire une compagne de vie. « Ce chemin-là, c’est un véritable pèlerinage », disait-il. Sur ce chemin, nourri par la Parole, il avançait d’un pas ferme et assuré. En l’entendant évoquer le dépouillement auquel le travail sur lui-même le conduisait, on ne pouvait qu’être frappé de la similitude avec le travail du luthier qui rabote une table d’harmonie ; copeau après copeau, pour ôter au bois toute la matière qui l’encombre, jusqu’à le rendre résonnant à la perfection. Après avoir façonné tant d’instruments magnifiques, le luthier, à travers sa maladie, s’est laissé lui-même façonner. Et pour pousser plus loin encore la métaphore des copeaux, nous laisserons la parole à Pierre Jaquier lui-même, en guise de conclusion. Toujours dans ce même texte inédit, il fait référence à Eloi, « autre artisan inscrit au nombre des saints ». Orfèvre de renom, il est appelé à réaliser un trône d’or pour le roi Clotaire, qui lui fournit la quantité de métal précieux nécessaire. Or, l’artisan livrera au roi deux trônes, le deuxième fait avec les chutes et rognures d’or du premier. « C’est le mystère de l’incarnation qui est illustré par le respect de la matière et des déchets dans lesquels on peut lire la forme en creux. On reconnaît l’artisan à ses copeaux, dit-on dans les ateliers, et cette sentence rapportée au Dieu créateur de toutes choses se prête à d’infinies variations sur la création divine, sa mise en œuvre, sa conduite jusqu’à l’achèvement et la signification ou l’usage de ses débris. »
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* « De l’art du trait à l’art de la musique. Pratiquer et transmettre le métier de luthier », entretien de Philippe Faure avec Luc Breton in « Connaissance des religions » n°69-70.
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Crédits photographiques : © Patrick Le Galloudec