Archives du mois de août 2018

Hommage à Olivier Droin : une pensée pour (et une image de) la sublime Villa Téthys, au Pyla

16août

Ce jeudi 16 août 2018, à 15 heures,

ont eu lieu à l’église Sainte-Eulalie à Bordeaux, les obsèques d’Olivier Droin (Talence, 17-5-1941 – Bordeaux, 11-8-2018) ;

fils aîné de Roger Droin et Jeanne Beaumartin ;

et petit-fils de Georges Droin et Marie Lourreyt,

les constructeurs de la plus belle Villa du Pyla _ et du Moulleau _, la Villa Téthys,

livrée par l’architecte Roger-Henri Expert en juillet 1927 _ la construction avait débuté début janvier 1927 !

C’est en m’intéressant à la vie _ et aux racines girondines _ de l’admirable viticulteur et viniculteur _ de bio-dynamie _ Nicolas Joly,
avec lequel je m’étais entretenu _ l’amphithéatre Thomas Jefferson était comble ! _ à la Cité du Vin le 17 janvier 2017,
homme insigne éminemment sympathique, et producteur de la merveilleuse-fabuleuse Coulée de Serrant _ cf mon article du 24 avril 2017  qui comporte une vidéo de notre entretien…  _,
qui est le fils de Denise Droin, la sœur de Roger Droin ; et donc cousin germain d’Olivier Droin,
que j’ai découvert l’existence au Pyla de cette villa sublime.
Et que je me suis amusé à établir la généalogie _ riche et complexe ; et surtout passionnante pour l’histoire économique de la Gironde au XXe siècle _ des Droin _ à partir du formidable travail de recherche généalogique de Raphaël Vialard, qui leur est apparenté (par les Leuret et les Bitôt)…
C’est en effet Georges Droin _ j’ignore ses dates de naissance et décès : 1885 – 1943, m’a indiqué le 30 août 2018, , en réponse à cet article du 16 août précédent, son petit-fils Nikita Droin (ajout du 17 septembre 2022)…  _,
le grand-père d’Olivier Droin ainsi que de Nicolas Joly et son frère Eric _ qui a pas mal écrit sur le Bassin, la pêche er la chasse… _,
qui est celui qui a fait construire au Pyla, de janvier à juillet 1927, la superbe villa Téthys : un chef d’œuvre merveilleux d’architecture…
Dont s’est beaucoup occupé tout particulièrement Olivier Droin _ et quelques autres membres de sa famille… _,
ainsi que n’ont pas manqué d’en témoigner dans leurs très émouvants discours d’hommage au disparu
une de ses petites-filles,
et son cousin Eric Joly.

© DR

Voilà !

Olivier Droin a été un homme de goût, grand amateur d’Art.

Et peut-être aussi bibliophile, comme l’a été Georges Droin ;

ainsi que quelques uns de ses enfants et petits-enfants après lui.

Transmettre est important !

Ce jeudi 16 août 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Lecture de « Hôtel d’émigrants », le 9éme et dernier récit de « La Fiancée d’Odessa », d’Eduardo Cozarinsky

15août

Poursuivant ma découverte des récits d’Egardo Cozarinsky,

après Loin d’où

et Dark

_ cf mes précédents articles , du 9 août ; et , du  août dernier _,

voici ce jour quelques impressions de lecture de l’ultime _ et magnifique ! _ récit de La Fiancée d’Odessa,

intitulé Hôtel d’émigrants

Pour commencer,

je dirai que cet admirable court récit de 20 pages (écrit en 2001)

me semble parfaitement représentatif des deux autres œuvres développées (de 192 et 142 pages) que je viens de lire d’Edgardo Cozarinsky (écrites plus tard, en 2009, pour Loin d’où, et 2016, pour Dark).

Le présent du récit (du narrateur, âgé de trente ans) se situe au printemps (avril-mai) 2ooo, à Lisbonne, Cascais, Estoril et Sintra, au Portugal,

et concerne une enquête _ personnelle et même familiale _

à propos d’un mystère _ qui le poursuit et le travaille vivement à propos des filiations se trouvant à la genèse de sa propre identité de personne ; l’expression « un point de mystère«  se trouve à la page 125 _ concernant ses grands-parents maternels, lui allemand et peut-être juif, elle américaine, qui se trouvérent ensemble à Lisbonne la dernière semaine de septembre 1940, avant de s’embarquer pour New-York.

Le narrateur confie aussi, page 135 : « Je reconnais une fois de plus mon attrait pour les personnages obscurs » ;

ce qui, écrit-il encore, « m’aide à préférer _ comme objet de récit (et d’enquête rigoureusement documentée aussi) _ mes grands-parents (…) à tant de gens célèbres qui se trouvèrent en même temps qu’eux à Lisbonne » _ tels Hannah Arendt et son mari, Golo et Heinrich Mann, Alma Malher et Franz Werfel, son troisième mari, etc., tous à la recherche d’un travailnsport vers l’Amérique…

Il s’agit ici, cette fois encore _ comme dans les récits de Loin d’où et dans celui de Dark _, d’un questionnement d’un narrateur _ celui-ci est né en 1970 _ sur ses racines identitaires masquées _ que ce soit par lui ou que ce soit par d’autres que lui-même _, de la part de migrants : ici, et à l’automne 1940, à Lisbonne, deux Allemands, l’un Juif, et l’autre pas, Theo Felder, et Franz Mühle, qui fuyaient, et d’abord ensemble, un danger : celui qu’encourraient tout Juif européen ainsi que tout anti-nazi de la part des Nazis en une Europe sous la botte hitlérienne ; et celui qu’allait encourir bientôt, tout Allemand (même hostile aux Nazis), de la part des Alliés dès que ces derniers seraient les vainqueurs… Bien des réactions de travestissement s’avéraient nécessaires pour espérer s’en sortir, ou même simplement survivre.

J’y suis doublement sensible

et par le parcours de mon propre père sous l’Occupation, tentant de ne pas se laisser prendre dans la nasse des Nazis ;

et par ceux de personnes telles que Hannah Arendt _ dont j’ai identifié les lieux de logement à Montauban, huit mois durant en 1940-41, au sortir du camp de Gurs ; et aussi à Marseille… _ ; ou que Lisa Fittko (dans on lira l’indispensable Le Chemin des Pyrénées ) ; Lisa Fittko, celle qui ouvrit la voie dite Fittko, en accompagnant Walter Benjamin franchir la frontière au dessus de Banyuls ; et qu’empruntèrent ensuite ceux qui furent secourus par Varian Fry ou Helen Hessel _ l’inspiratrice de la Kathe de Jules et Jim d’Henri-Pierre Roché _, depuis Marseille...


Le narrateur qui a vocation à devenir écrivain, a mis la main sur un dossier de documents _ peut-être rassemblés en vue d’écrire lui-même une fiction ? _ laissés par son grand-père (allemand) au Leo Baeck Institute, à New-York, et qui concernent ses relations _ au cours de ces années de guerre _ avec un très proche ami allemand _ Theo Felder et son ami Franz Mühle, tous deux berlinois, s’engagèrent ensemble dans les Brigades internationales, puis ensemble, après avoir réussi à s’échapper des camps de Vichy, réussirent à gagner Lisbonne… _, avec lequel il a pu joindre, non sans difficultés diverses, Lisbonne, en vue de gagner, par bateau, les Etats-Unis :

ce sera le cas pour l’un des deux, prenant le bateau le Nea Hellas à Lisbonne le 3 octobre 1940, en compagnie d’Anne Hayden Rice, qu’il venait d’épouser au consulat américain de Lisbonne… ; l’autre demeurant à quai, au Portugal ; et dont ne parviendront (et seront conservées) à New York que deux lettres _ sans nom d’identité (même fictive), ni même quelque adresse (ne serait-ce que poste retante !) au Portugal : par prudence ! _ en date des 15 octobre 1941 et 25 novembre 1942 ; ainsi qu’un programme du cinéma Politeana (à Lisbonne) daté du 17 mai 1945 « correspondant à la première locale de Casablanca » (page 121).

Mais le narrateur ignore toujours :

et, d’une part, lequel des deux amis berlinois, Franz et Theo, a épousé alors, fin septembre 40, à Lisbonne sa grand-mère, Anne Hayden Rice (américaine fortunée et aventureuse) ;

et, d’autre part, lequel des deux a été le géniteur effectif de celle qui serait un jour _ de 1970 _ sa mère, Madeleine Felder, quand celle-ci aura épousé _ peu après Woodstock (15 août – 18 août 1969) où ils s’étaient rencontrés _ « un certain Anibal Cahn, né en Argentine » (page 147).

Ce qui a pour résultat que les racines juives du narrateur,

si elles sont contraintes de faire l’impasse du faux Theo Felder (et vrai Franz Mühle) _ mais lequel des deux avait été le géniteur effectif dans la chambre de l’hôtel Palacio ? Aucune des trois personnes concernées ne l’a su ! _,

sont davantage avérées côté Cahn…

C’est donc à une enquête sur ces jours et nuits-là de Lisbonne à la fin de septembre 1940

_ par les archives historiques municipales de Cascais qui « conservent environ mille fiches d’étrangers, provenant des hôtels d’Estoril et de Cascais (…) j’apprends que Franz Mühle et Theo Felder ont partagé la chambre 213 du Palacio du 10 septembre au 2 octobre 1940 ; Anne Hayden Rice a occupé la 215, du 26 septembre au même 2 octobre » (page 138) _,

de ces trois migrants-là

que se livre le narrateur à Lisbonne au printemps 2000 de ses trente ans

_ et qui concerne sa propre filiation.

Le narrateur apprendra aussi que si « le 2 octobre 1940, Felder et Mühle quittent l’hôtel Palacio »,

« c’est la dernière mention de ces deux noms que nous possédons » aux archives portugaises (page 140).

Celui qui reste à quai ne manifestera plus jamais sa nouvellelle identité aux deux autres.

Et les deux lettres que l’un des deux fit, de Lisbonne, parvenir à l’autre (et à Anne Hayden Rice) à New-York,

sera signée, en 1941 comme en 1942, « le Berlinois anonyme » (pages 138 et 146).

Une dernière remarque, à propos du goût de la fiction

afin de mieux approcher et comprendre le réel (et ses faits les plus bruts),

que le narrateur du récit partage visiblement avec l’auteur lui-même :

« Tout cela, je le sais.

Ce sont des faits attestés par des lettres, par les carnets de notes de mon grand-père, par des histoires que ma mère a entendu raconter et qu’elle m’a transmises des années plus tard.

J’ai simplement imaginé _ en plus _ quelques dispositions affectives, peut-être banales, comme toute clé qui prétend  expliquer la conduite humaine ; elles me servent à m’approcher _ voilà ! _ de ces êtres dont je ne peux comprendre le passé _ voilà _ qu’à travers la littérature _ cf ici le très beau travail de Philippe Sands dans son magnifique Retour à Lemberg ;

et cf mon article du 2-4-2018 sur cet immense livre : .

Un point de mystère subsiste.

Un jour de 1940, Anne et Theo se mariaient au consulat nord-américain, et partaient aussitôt pour New-York.

Franz restait au Portugal.

Mes questions deviennent innombrables, chacune d’elles en suscite bien d’autres« , page 125.

Un travail passionnant et de très grande qualité !

Et dont la sublime sobriété _ apprise à la table du montage cinématographique ? _ accroit l’éclat du mystère persistant…

Du grand art, sans trace d’art.

Ce mercredi 15 août 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pour mieux écouter Jacques Arcadelt (1507 – 1568) : écouter Philippe Verdelot (c. 1480-1485 – 1530-1532)

14août

Dans la notice du _ très beau _ coffret _ de 3 CDs _ Ricercar RIC 392 Motetti, Madrigali, Chansons consacré à Jacques Arcadelt,

Denis Raisin Dadre compare ce compositeur-ci (1507 – 1568)

à son presque contemporain _ à la différence d’une génération _ Philippe Verdelot (c. 1480 – 1530-1532).

« Arcadelt et la chanson française :

Soyons honnête : quand Jérôme Lejeune m’a proposé de réaliser un album sur les chansons d’Arcadelt, je suis resté quelque peu coi. Je connaissais Arcadelt comme étant le fameux compositeur de madrigaux el l’ami de Verdelot (j’ai un faible pour Verdelot), mais sa production française n’avait jamais retenu mon intérêt. Je me suis donc plongé dans ses 126 chansons avec un peu de réticence _ voilà _ , pensant y trouver une redite peu inspirée de Claudin de Sermisy _ c. 1495 – 1562 _, le musicien de François Ier _ qui régna du 25 janvier 1515, à sa mort, le 31 mars 1547. Choisir de la musique qui n’a jamais été jouée en la lisant reste un exercice périlleux : la lassitude s’installe vite, tout semble se ressembler.  J’ai cru au début que, en effet, sa musique n’apportait rien de nouveau. Peu à peu, j’ai cependant découvert une variété stylistique étonnante _ voilà _ qui nous entraînait dans un autre univers _ à découvrir et explorer… _ que celui de la chanson dite « parisienne » du règne de François Ier, illustrée par Certon, Jacotin, Sermisy, Passereau, Sandrin, Janequin… Arcadelt a été transformé par le séjour italien _ voilà le point décisif ! _, le madrigal a contaminé la chanson, la sensualité transalpine s’est immiscée dans le style tout en retenue, en pudeur et en élégance _ des traits spécifiques de l’Art français _, de Claudin de Sermisy. La rythmique de la frottola italienne et son art consommé de la mélodie qui vous captive se retrouve dans des chansons comme La Diane que je sers, le chant à la lyre italien (recitare sulla lira) loué par Pierre de Ronsard dans Laissés la verde couleur, les prémices de l’air de cour dans Il me prend fantaisie. Pour varier les couleurs, nous avons expérimenté toutes sortes de combinaisons vocales et instrumentales. Si le diapason de base est à 464 Hertz, les flûtes colonnes jouent à 392 Hertz et les flûtes Raffi à 520 Hertz ; ce qui nous a permis tout un jeu de transpositions complexes qui vient enrichir les saveurs sonores. Je dois le reconnaître : les chansons françaises d’Arcadelt sont en fait de vrais bijoux _ c’est dit. Puisse cet album les réveiller ! « …

Et c’est encore plus convaincant

quand on va rechercher en sa discothèque le CD RIC 371 (paru en 2016) Madrigali diminuiti de l’ensemble Doulce Mémoire de Denis Raisin Dadre,

consacré précisément à Philippe Verdelot et Sylvestro Ganassi ;

et que l’on compare attentivement les écoutes !

L’album Arcadelt

que Denis Raisin Dadre et son ensemble Doulce mémoire nous offrent

en ce coffret Jacques Arcadelt Motetti, Madrigali, Chansons de 3 CDs RIC 392, qui sort ce mois d’août 2018,

est une merveille absolue !!!

Un pur enchantement !



Ce mardi 14 août 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Découvrir la musique de Jacques Arcadelt (1507 – 1568)

13août

C’est un peu par hasard

_ ni lecture antérieure de magazines, ni la moindre information de sa sortie à venir de la part  d’Outhere _

que je suis tombé ce jour sur le coffret de 3 CDS (Ricercar RIC 392)

de Motetti, Madrigali, Chansons de Jacques Arcadelt (1507 – 1568),

que nous proposent Ricercar et Jérôme Lejeune

_ probablement à l’occasion du 450 ème anniversaire du compositeur namurois _,

avec les ensembles du Chœur de Chambre de Namur,

la Cappella Mediterranea _ que dirige Leonardo Garcia Alarcon _

et Doulce mémoire _ que dirige Denis Raisin Dadre.

Eh bien, cette musique

et ces interprétations

sont proprement renversantes de beauté !

Une musique déployée en un vaste espace européen

_ des Flandres bourguignonnes aux principautés italiennes, en passant par le royaume de France _,

et qui vient marquer désormais nos esprits et sensibilités de mélomanes

entre celle de Josquin Des Près (c. 1450 – 1521)

et celle de Claudio Monteverdi (1567 – 1643) _ deux œuvres sublimissimes !

Jacques Arcadelt vient de cesser de n’être pour nous qu’un simple nom de compositeur _ parmi d’autres _ de l’Histoire de la musique ;

sa musique ne nous quittera plus.

S’impose une urgence d’écoute la plus attentive ! des 3 CDs proprement merveilleux de ce coffret Arcadelt…

Indispensable à toute vraie discothèque

d’amoureux de la musique !!!

Ce lundi 13 août 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

« Dark », d’Edgardo Cozarinsky, ou comment l’irruption d’un « Hollywood sauvage et sans sous-titres » dans la vie d’un adolescent argentin accouchera d’un écrivain et cinéaste

12août

Poursuivant ma lecture des récits d’Edgardo Cozarinsky,

après Loin d’où

_ cf mon article du 8 août dernier : Admirable Loin d’où d’Edgardo Cozarinsky  _,

je viens de lire Dark (publié en 2016 ; et chez Grasset en traduction française, le 11 janvier 2017) ;

et commenterai ici la très juste critique qu’en a donné l’excellent Mathieu Lindon

dans le Libération du 20 janvier 2017:

Edgardo Cozarinsky, mineur de bas-fonds

EDGARDO COZARINSKY, MINEUR DE BAS-FONDS

Dark est un roman d’aventure et d’apprentissage _ oui, mais qui n’est pas vraiment ni une éducation sentimentale, ni sexuelle : seulement une importante ponctuation, durablement marquante en ses impacts à long terme, de la prime jeunesse _ auquel, indépendamment des faits précis, on _ c’est-à-dire nous, lecteurs _ accorde un caractère si autobiographique _ pour ce qui concerne le lien de l’auteur même à son personnage principal, qui s’auto-prénomme fictivement Victor en la fiction, et qui sera devenu un auteur « soixante ans plus tard« , au présent même du récit, en 2015 ou 16… _ qu’on le lit comme une vaste réponse _ de l’auteur à soi-même, d’abord : mais qui demeure ouverte, béante ; encore non classée… _ à la fameuse question : «Pourquoi écrivez-vous ?» _ oui. L’intrigue _ du passé de jeunesse rapporté _ se déroule dans les plus ou moins bas-fonds de Buenos Aires dans les années 50 _ oui ; un certain nombre de lieux (bars, bouis-bouis, bordels, cinémas, etc.) sont évoqués (et ainsi visités), en divers quartiers et faubourgs de la ville. Il y a deux personnages principaux. L’un apparaît sous deux avatars : âgé, il est dénommé «le vieil écrivain» ; adolescent, «poussé par un désir de fiction» _ l’expression, en effet très significative, se trouve à la page 28 _, il dit s’appeler Victor à l’autre héros, un inconnu _ inquiétant autant que fascinant du début à la fin _ quadra ou quinquagénaire, Andrés _ qu’un autre personnage, Franca (une croate), nommera plus loin, à la page 68, « Fredi«  _, qui lui adresse la parole dans un bar _ « l’Union Bar, aujourd’hui démoli, au coin de la rue Balcarce et de l’avenue Independencia« , à Buenos Aires (page 23, pour être précis dans la localisation)… «L’écrivain ne sait pas _ et ne s’en soucie guère ! _ si la chronologie de ce qu’il essaye _ c’est important : la tentative demeure toujours fragmentaire et partielle, grandement lacunaire _ de raconter _ rétrospectivement _ respecte celle des faits rappelés» _ page 65 ; « En revanche, il sait que la mémoire efface plus qu’elle ne garde. L’imagination, rusée, récupère tout ce que la mémoire a effacé et l’attrape _ très heureusement _ dans les filets de la fiction«  : ce que personnellement je nomme, en lisant bien Marie-José Mondzain, « l’imageance« . Et tel est bien le point (de ce récit) qui me paraît crucial !.. Pour le principal, il n’y a pas trop de doute, s’il s’agit _ pour l’auteur, suggère fortement le critique _ de faire comprendre _ tout en délicatesse, et sans la moindre lourdeur ; avec beaucoup de raccourcis ! et toujours fragmentairement _ comment l’adolescent est devenu _ voilà ! _ l’écrivain. Victor a aussi une cousine _ Cecilia, de trois ans plus âgée que lui. «Et avec ça, comment tu te débrouilles ?» demande-t-elle après quelques regards sur la braguette de son cousin _ page 47. C’est elle qui l’aidera «à atteindre _ in concreto _ la prestance _ purement technique _ nécessaire» _ page 48 _, lui indiquera «les mouvements qu’il trouverait très vite spontanément», et il se souviendra du «parfum de sa cousine, qui imprégnait draps et oreiller, et que de toute sa vie il ne retrouverait en aucun autre» _ pages 48-49. Andrés est au courant, car l’adolescent et l’homme mûr acquièrent vite une intimité _ entre eux deux _ reposant sur la vie _ passablement _ aventureuse _ et c’est peu dire ! _ de celui-ci, sur les découvertes _ à connotations érotiques, bien qu’indirectes, tout particulièrement _ qu’il propose à son jeune ami. Andrés est un homme à femmes, apparemment _ selon ses dires et ce qu’en laissent paraître aussi ses actes _, qui ne déteste rien tant que les hommes à hommes, mais un mystère, quand même _ c’est sûr ! _, pèse sur l’intensité de sa relation _ complexe à qualifier frontalement _ avec l’adolescent _ ce qui pose aussi, forcément, question : que cherche-t-il à ménager, et pour quelles raisons, en le jeune homme ?

Edgardo Cozarinsky est né en 1939 à Buenos Aires _ de parents et grands-parents émigrés d’Europe de l’Est _ qu’il quitta en 1974 pour Paris. Enrique Vila-Matas le présente ainsi en 2003 dans Paris ne finit jamais _ page 164 _, après avoir écrit le rencontrer souvent au cinéma : «Cozarinsky, un borgésien tardif selon Susan Sontag _ ?!? _ , était un exilé argentin qui semblait avoir fini par se sentir à l’aise dans son rôle _ un rôle ? ce n’est guère juste !… _ de personne déplacée _ ?!? Cf plutôt, outre les pages qu’il lui consacre en son indispensable Mes Argentins de Paris, l’article de René de Ceccatty Edgardo Cozarinsky, le voyageur sans terre cité en mon article du 8 août dernier : Admirable Loin d’où d’Edgardo Cozarinsky. Ecrivain et cinéaste _ c’est très important ! l’imageance et le fictionnel ne sont pas que littéraires ou romanesques, mais aussi cinématographiques !!! _, il vivait entre Londres et Paris, j’ignore où il vit maintenant, je crois qu’il ne vit plus qu’à Paris _ écrivait alors Vila-Matas, en 2003. Je me souviens que je l’admirais parce qu’il savait concilier _ voilà _ deux villes et deux activités artistiques […], je me souviens aussi que j’avais vu certains de ses films et lu son essai sur Borges et le cinéma, ainsi que son étude sur le ragot comme procédé narratif et d’autres textes, tous très captivants. Dix ans après avoir quitté Paris, j’ai admiré tout particulièrement son livre Vaudou urbain [traduit chez Bourgois, ndlr], un livre d’exilé, un livre transnational dans lequel il utilise une structure hybride […] A noter aussi cet étonnant dialogue entre l’auteur et un supposé interwiever, au chapitre 3 (pages 20 à 22 de Dark) : Dialogue sur le «kintsugi» dans Dark, avant qu’on en vienne à l’histoire de Victor et Andrés : «C’est l’art japonais qui consiste à remplir les fissures d’un objet brisé, de porcelaine par exemple, avec de la résine où on a dilué de la poudre d’or. Au lieu de dissimuler la fente, on la souligne avec une substance lumineuse, qui a parfois plus de valeur que l’objet même. C’est ainsi qu’on ennoblit l’objet : au lieu de cacher les cicatrices de sa vie _ expression à relever ! _, on les exhibe. – N’est-ce pas ce que fait _ rabouter-repriser et embellir-ennoblir… _ tout romancier avec sa propre vie ? – C’est ce qu’il tente de faire» _ page 22. L’expression « exhiber les cicatrices de sa vie«  est bien sûr à mettre en rapport avec l’expression ultime du texte, page 142 : « surnagent les restes d’un naufrage« 

Sexe, politique, exotisme, il s’en passe, dans Dark, et sous diverses perspectives _ plus ou moins intriquées, mais toujours très sobrement traitées. C’est cette multiplicité des points de vue qui fait aussi l’écrivain, qui en fait un privilégié, comme Andrés _ ou Fredi _ le dit à l’adolescent _ pages 98-99. «Ce pays _ l’Argentine des années cinquante _ est un cas désespéré. […] Mais ne te gâche pas la vie avec la politique, toi tu t’en sortiras, tu fais des études, tu auras une profession, qui sait, si ça se trouve tu deviendras un écrivain célèbre, respecté. Moi, en revanche, je suis un type qui n’est que de passage _ à jamais un migrant _, je l’ai toujours été et le serai toujours. Va savoir où je me retrouverai demain. Toi, si l’ordure t’éclabousse, tu t’en débarrasseras rien qu’en secouant les épaules. Moi, elle se colle à moi, elle me marque, si je ne fais pas attention elle m’écrase.» Alors, pour que «surnagent les restes d’un naufrage» _ c’est sur cette expression-ci que se termine justement le livre, page 142 _, il faudra que l’adolescent devienne écrivain _ et s’essaie, à sa façon singulière, tâtonnante, à « retrouver » à raviver-rédimer, tel le Proust de la Recherche, son propre « temps perdu«  _ cet écrivain qui, dans les premières pages du texte, victime d’une crise de panique, résiste à s’en remettre à un psy de quelque obédience que ce soit, «comment confier son âme à quelqu’un qui n’a pas lu Dostoïevski ni saint Augustin» _ page 8 _, prêtant à certains une inculture exagérée. On prétend que chacun se souvient de la première fois où il a dit «je t’aime». Mais la tâche de l’écrivain est à la fois plus simple et compliquée : il s’agit ici de remettre en scène la première fois où il a entendu _ entendu se dire à lui, jeune homme _ ces mots _ ici : « Je t’aime, morveux !« , page 139 _, dans quelles circonstances, avec quelle oreille, et quel autre mot _ « morveux« , donc… _ accompagnait cette très étrange déclaration _ in extremis : Andrès et Victor ne se reverront jamais plus de leur vie.

Mathieu Lindon 

Edgardo Cozarinsky
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu. Grasset, 142 pp.

Mathieu Lindon, je remarque, n’évoque ni le Vautrin, ni le Lucien de Rubempré, ni le Rastignac, de Balzac

dans cette genèse de cet écrivain _ et de sa sexualité, aussi… _ qu’est Edgardo Cozarinsky.

Il faudrait lire ou relire ici aussi Edmund White, qui lui aussi, a croisé notre auteur,

et en parle _ un peu…

Ce dimanche 12 août 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

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