Ce qu’apporte « la métaphysique de l’écriture » de Henri Thomas à la conception générale de l’écriture de René de Ceccatty
25avr
Ce que révèle la page 244 de Mes Années japonaises de René de Ceccatty
sur ce que l’écriture de celui-ci peut devoir à l’admiration
que, auteur lui-même, il porte à Henri Thomas,
via ce que René de Ceccatty appelle « la métaphysique de son écriture« ,
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m’a conduit à découvrir
ce texte-ci, de René de Ceccatty,
prononcé au Petit-Palais le 9 mai 2012, pour un hommage public à Henri Thomas ;
et paru un an plus tard, dans le numéro 9 de la revue Secousse, au mois de mai 2013,
intitulé Bouclier de diamant.
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Le voici
_ avec, en vert, surajoutées, quelques réflexions de commentaire de ma part _ :
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Bouclier de diamant
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(Petit Palais, hommage à Henri Thomas 9 mai, 13h-14h30)
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Je voudrais témoigner rapidement de mon admiration pour Henri Thomas _ voilà. J’ai découvert son œuvre assez tôt dans ma vie de lecteur et d’écrivain, en lisant La Relique, dès l’été 1969 _ René de Ceccatty avait dix-sept ans _, où j’essayais d’écrire un roman très mystique _ et c’est, bien sûr, à relever _, mêlant la mythologie chrétienne et la sexualité. Je venais de découvrir Pasolini, et je cherchais dans la littérature des échos de mes obsessions _ d’adolescent d’alors. Je jouais alors au théâtre, à Avignon, dans ma première pièce, j’avais dix-sept ans. Et la lecture de La Relique d’Henri Thomas m’a troublé. C’était un des tout premiers romans « contemporains » que je lisais, avec les livres de Nicole Védrès. Ma culture était bien entendu plus classique. Et, Dieu sait pourquoi _ petite inquiétude à résoudre… _, je commençais à être sensible à la grande singularité _ voilà _ d’Henri Thomas, que je n’aurais peut-être pas été alors _ si tôt _ en mesure de définir. Et que je pourrais à présent résumer en parlant d’effet de réel _ voilà _ dans une narration à la fois _ concomitamment _ intérieure et objective _ qui caractérise la conception d’écriture de René de Ceccatty, tout particulièrement en ses ouvrages d’ autobiographie. Ce que m’a confirmé la lecture des _ assez nombreux _ livres de lui que j’ai découverts par la suite. Et c’était au fond ce que je cherchais moi-même _ tout simplement ! Comment passer naturellement d’une narration mettant en scènes quelques personnages, à la fois dans l’action, dans l’affect et dans le dialogue, à une plongée intérieure _ voilà _, et comment donner à cette narration des éléments, non pas de réalisme _ la distinction étant cruciale ! _, mais de réalité ? Or cette réalité, surtout dans le cas de Thomas, qui est un écrivain de la mémoire, de la mémoire non seulement événementielle ou affective, mais de la mémoire littéraire, est agrémentée d’éléments qui sans être tout à fait surnaturels _ de l’ordre du fantastique, sinon de la mystique _, sont des éléments troublants _ étrangers, en tout cas, au strict réalisme en littérature. Les hasards, les coïncidences _ voilà : les rapprochements a priori incongrus _, auxquels l’écrivain est attentif et qu’il s’emploie à mettre en scène dans ses récits, sont, en quelque sorte, indissociablement liés à son rapport à la littérature _ et c’est un trait dont se sent lui-même très proche René de Ceccatty, dans sa perception même du réel. L’expérience même du réel passe tout spécialement par là pour un écrivain à la très riche culture, comme c’est son cas.
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Par la suite, j’essayai de comprendre comment fonctionnaient les livres de Henri Thomas _ leur mécanique de récit, en quelque sorte _ et quelles étaient leur fonction à la fois dans sa propre vie _ rien moins ! _, extraordinairement tourmentée et hantée par la folie _ rien moins deux fois ! _, et dans leur réception pour le lecteur _ d’abord assez surpris, lui, eu égard aux canons du réalisme dominant en littérature _, qui entrait dans un monde à la fois clos et ouvert. Clos parce que les références de Thomas n’étaient pas toujours très évidentes. Ses rapports avec le collège de Pataphysique, avec Adamov, avec Artaud, avec Pierre Herbart, avec Ernst Jünger n’étaient pas explicites _ de sa part dans le texte proposé à la lecture. Il y multipliait des allusions cryptées _ sans solution rapide _ à sa vie personnelle _ comme je m’en suis personnellement rendu compte, avec forte surprise (!) dans le cas de l’œuvre de René de Ceccatty : par exemple quelques fulgurantes références à un épisode douloureux vécu dans la Corée de 1977, dans Enfance, dernier chapitre ; ce devait être important, mais guère de moyens au lecteur de raccrocher ces bribes d’allusions qui surgissaient là, à quoi que ce soit d’un peu précis dans le passé repéré jusqu’alors à travers les livres lus précédemment de l’auteur !… _, sans faire le moindre effort pour qu’un lecteur les déchiffre _ tiens, tiens : c’est un abrupt c’est à prendre ainsi ou à laisser… Le récit était rarement linéaire _ troué de telles très brèves ouvertures d’énigmes pour le lecteur de la meilleure volonté… _, tant il circulait dans un temps intérieur _ de l’auteur _ où passé et présent paraissaient contemporains _ voilà, pour lui, l’auteur-narrateur de son texte. Et pourtant il pratiquait la ligne claire _ sans pièges, ni maniérismes _, un peu à la manière de Modiano plus tard.
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Le déroulement de l’action, et même de l’action intérieure, se faisait avec une sorte d’évidence narrative, grâce, précisément, aux effets de réel _ voilà _ qui parsemaient le texte. Étant très profondément poète, et c’est la clé _ oui ! _, Henri Thomas n’observait et ne décrivait le monde que dans la mesure où il avait la conviction d’en recevoir des signes _ c’est autre chose en mieux que de simples indices. Le monde était, autour de lui, profondément chaotique _ eu égard à ses simples projets existentiels _, mais, de ce chaos, lui parvenait une série d’indices _ voilà, mais d’un ordre non prosaïque _ d’un ordre à décoder _ sans clé un peu évidente ! Les clés devant être recherchées : avec les moyens du bord d’un écrivain… Et les différents livres _ de genres très divers _ qu’il publiait, sous formes de traductions, de poèmes, de carnets, d’essais critiques, de romans, de souvenirs, témoignaient de son lent travail _ mais comme en une poursuite continue et infinie _ de déchiffrement du monde _ à perpétuellement opérer par lui-même ; le lecteur, lui, devant, tant bien que mal, et avec ses propres moyens, suivre le fil de cette écriture trouée de telles énigmes étrangères à l’intrigue principale du récit, sans les références, pour lui, qui étaient celles de l’auteur écrivant. D’où un certain questionnement face à de telles surprises, évidentes pourtant pour l’auteur en son récit mêlant monde objectif cà peu près commun pour le principal (prosaïque) et réalité subjective davantage singulière (poétique)…
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Peu porté à l’invention romanesque _ artificielle, et donc ridicule à ses yeux _, il utilisait certains épisodes restés mystérieux de sa vie _ tiens donc ! _ pour procéder à une enquête _ en quelque sorte aussi réaliste que métaphysique _, parfois à partir d’un élément infime _ dont tout un monde va être tiré… Et, contrairement à tant d’écrivains pratiquant l’autobiographie avouée ou travestie, il ne semblait _ pour autant _ jamais narcissique ou nombriliste, parce qu’il se plaçait, non pas tout à fait à l’extérieur de lui-même, mais dans une situation malgré tout d’enquêteur _ de quelque chose de profond et de non anecdotique. De ce fait, il a plus ou moins rejoint, malgré lui, le mouvement du Nouveau Roman, et c’est sans doute ce qui explique que dans les années soixante il ait eu des prix littéraires _ c’est amusant, la notoriété parisienne du petit monde éditorial.
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Il partageait certains traits avec Michel Butor ou avec Nathalie Sarraute, mais ces traits ne relevaient pas du tout d’une esthétique pensée _ voire recherchée, et ensuite théoriquement assurée _ de la narration (contrairement à Butor et à Sarraute, ou à Claude Simon et Robbe-Grillet, qui eux, chacun à sa manière, étaient tous conscients d’opérer une véritable révolution romanesque, même si chacun suivait en effet une voie très distincte qui rendait le « rassemblement théorique » assez saugrenu). Si Henri Thomas avait, à mes yeux, des points communs avec Sarraute et Butor, c’était parce qu’ils avaient tous les trois un rapport très poétique _ voilà _ au monde. Tous les trois prenaient soin de décrire le surgissement _ voilà _ en soi du sentiment poétique _ rien moins. Avec des moyens différents.
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Sarraute, on le sait, décortiquait le langage parlé pour remonter à des strates de sensations plus ou moins informes et vagues _ qualifiées par elles de « tropismes » _, et pour dénoncer les stéréotypes _ langagiers principalement _ qui faisaient écran à l’authenticité intérieure _ voilà _ et finissaient par se substituer _ voilà _ à la réalité même, en déployant un jeu social et linguistique qui enrobait _ parasitairement _ le noyau de la vie intérieure. Un mot, un objet, une anecdote étaient alors le point de départ d’une infinie variation, tantôt superficielle, tantôt approfondie, tantôt violente et sarcastique, tantôt apaisée, faisant finalement apparaître, au-delà des tropismes, une réalité mystérieuse, sans certitude qu’elle existe indépendamment des mots. C’était une quête infinie qui ne cessait de mettre en cause le statut de la littérature, de L’ère du soupçon à Ouvrez, en passant par le chef-d’œuvre que sont Les Fruits d’or. Mais Sarraute rejoignait Henri Thomas dans son art d’isoler une scène, un lieu, un mot, une lumière _ voilà _ qui soudain prennent une force considérable dans le texte.
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Butor a une démarche plus explicitement poétique, plus ludiquement poétique aussi _ moins strictement narrative. Moins angoissé que Sarraute et Henri Thomas, il décrit le monde, celui des écrivains et celui où il voyage, avec une insatiable curiosité _ ludique et joyeuse, en effet.
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Avec Henri Thomas, on est en présence d’un tempérament _ voilà _ tout autre, parce qu’il n’a pas de volonté exhaustive _ non, c’est seulement quand l’occasion se présente ; et qu’il vient s’y heurter un peu _ de description du monde ni de transcription des approximations du langage, mais qu’il se sert des mots et de la mémoire pour pointer un mystère intérieur _ voilà : qui vient à ce moment le frapper ; et dont il vient s’employer à essayer d’en démêler les éléments. L’environnement, les dialogues, le décor, ce qu’on peut appeler « la scène romanesque » ont pour fonction de laisser se dessiner une rencontre _ advenant _ entre un sujet qui perçoit _ oui _ des signes _ voilà _ et une grande machinerie _ mondaine, ontique ; un peu à la Kafka, dirais-je, mais sans systématisme… _ à signes, désordonnés ou ordonnés, que l’écrivain n’entend jamais réduire ou encadrer _ ils se trouvent simplement là, perçus par lui, sur son chemin : leur énigme provoque une certaine inquiétude sienne ; suscitant un minimum de tentative d’élucidation…
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Je me suis souvent demandé pourquoi la lecture des livres de Henri Thomas produisait un tel _ si prenant et tenace _ effet envoûtant. Je pense que c’est l’absence de pose romanesque _ voilà : de mon côté, j’abhorre l’artificialité pompeuse du romanesque _, et même l’absence de pose d’écrivain _ très bien ! _, même chez un intellectuel aussi cultivé et aussi conscient que lui _ mais profondément modeste : c’est plutôt rare. C’est que Henri Thomas, contrairement à tant d’autres écrivains, ne prend la plume ni quand il est certain d’être en mesure de produire une réflexion nouvelle et structurée, et de faire entendre un langage nouveau qui lui assure une posture _ sociale et économico-commerciale _ de poète ou d’écrivain profondément original (je ne mets aucune connotation péjorative dans ces expressions, car d’autres écrivains que j’admire peuvent écrire à partir de ces certitudes, comme Jean Genet, par exemple, dont toute l’œuvre est appuyée sur la posture du grand poète de l’invective et de l’exclusion, du poète du procès face à ses juges), ni quand il est blessé et cherche à panser sa plaie. Il écrit quand il a besoin _ tout simplement _ d’éclairer un mystère de sa vie _ qui le vient le travailler… _ et en effet procède, comme je l’ai dit, en enquêteur _ scrupuleux, pour sa petite sérieuse affaire à lui. Cette situation d’enquêteur est nécessairement accueillante pour le lecteur _ forcément _ qui va suivre l’enquête _ du récit _ avec l’écrivain.
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Mais on n’est évidemment pas dans un roman policier _ certes _ qui a besoin de l’appui du « réalisme », ennemi de la littérature _ oui, par son excès d’évidence d’objectivité factuelle. Le réalisme, étant mimétique _ et non ouvert et inventif en sa quête _, est toujours faible en littérature _ voilà _, parce qu’il est surpassé par le cinéma qui le fait apparaître comme fragile et laborieux. L’enquête de Henri Thomas est intérieure _ voilà. C’est ce qui le rapproche de Henry James, de Joseph Conrad et d’Edgar Allan Poe. C’est ce qui, curieusement, rend Henri Thomas, anglo-saxon. La réalité n’est pas une donnée, mais un problème _ tiens donc ! Cela ne signifie pas que la réalité n’existe pas, bien entendu _ en effet. Il ne s’agit pas d’un scepticisme généralisé ou d’un subjectivisme exacerbé _ ou d’une métaphysique mystique paradoxale à la Berkeley. Mais elle exige, pour apparaître, un véritable travail littéraire _ d’imageance poétique développée.
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C’est probablement la raison profonde de mon attrait pour Henri Thomas, dès mon adolescence. Et curieusement de sa compatibilité avec un auteur dont peu de personnes le rapprocheraient naturellement, Pasolini. Il y a bien des approches possibles de Pasolini. Et ce n’est pas ici le lieu de les inventorier. Mais parmi ces approches se trouve la question de la réalité _ voilà. Pasolini s’est longuement et toujours interrogé sur la question de la réalité en littérature et au cinéma. Comme tous les grands poètes, il a analysé son propre rapport linguistique à ses perceptions du monde environnant, du monde visible et du monde intérieur, du monde des autres et de son propre monde. Comment faire surgir _ voilà _ en soi, dans sa plénitude _ vraiment _, le monde réel _ voilà _, et comment ne pas se contenter de le doubler _ seulement, pauvrement… _ d’un monde écrit et d’un monde filmé. _ étiques et plats. Je pense que tout jeune homme ou toute jeune fille qui commence à comprendre que son rapport au monde passera par les mots écrits se pose cette question fondamentale _ du vrai rendu sur la page, du réel… Je ne dois pas me contenter de dupliquer le réel par des mots. C’est bien sûr une question plus poétique que romanesque _ parfaitement. Et c’est une question à laquelle est extraordinairement difficile _ probablement _ d’apporter une réponse théorique.
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Chacun de nous a eu en lisant un _ grand _ livre, qu’il s’agisse de roman ou de poésie, la certitude _ formidable, frissonnante… _ d’être en présence _ enfin ! _ du réel même _ voilà. Qu’il s’agisse, dans mon cas, de journaux de cour du Japon, comme Le Journal de Tôsa, de poésie, comme celles de Supervielle, d’Apollinaire, de Max Jacob, de Pasolini précisément ou de Jacques Izoard, de romans ou récits, comme ceux de Jean Rhys, de Benjamin Constant, de Balzac, de Violette Leduc, d’Hélène Cixous, de Dominique Rolin, de Marie-Claire Blais et donc d’Henri Thomas. La liste est longue et disparate _ et elle excède les genres. Et la convergence est liée _ bien sûr _ à une personnalité, en l’occurrence la mienne. Toute analyse des goûts d’un lecteur aboutit à un parfait autoportrait comme l’avait montré les si belles Mémoires d’un lecteur heureux de Georges Piroué _ à jouer ce jeu-là, quels noms citerai-je moi-même ? La virevoltante Correspondance (tous les trois jours) de Madame de Sévigné à sa fille ; François Villon, Jean de Sponde, Agrippa d’Aubigné, John Donne, Andrew Marvell, Paul Valéry, Jorge Guillen, en poésie ; Montaigne, bien sûr, Spinoza et Nietzsche, en philosophie ; et le si merveilleux Marivaux, pour le théâtre, en plus de Shakespeare et de Tchekhov ; Jean Giono, William Faulkner, Gabriel Garcia Marquez, Danilo Kiš (Sablier), Andrzej Kusniewicz (L’État d’apesanteur), Antonio Lobo Antunes, Imre Kertész (et son sublime Liquidation), pour les romans ; et Hélène Cixous, moi aussi ; sans oublier les Notes de chevet de Sei Shônagon…
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Dans La Relique, qui raconte les tourments d’un curé découvrant le vol d’une relique dans son église, c’est la question de la possession abusive et de la profanation qui se pose, à partir d’un objet que l’on estime _ a priori _ doté d’un élément nécessairement surnaturel. Un acte apparemment prosaïque et réaliste devient très mystérieux parce qu’il est profanatoire _ d’un sacré. A travers la relique, c’est toute la question du sacré _ voilà _ (question pasolinienne) du réel qui est mise en cause. « L’abbé Dumas n’est certain que d’une chose, qu’il ne saurait d’ailleurs justifier par raisons, mais personne ne le lui demande : la relique _ nécessairement plus que précieuse ! _ n’est pas jetée à quelque dépotoir, elle est _ forcément _ entre les mains de quelqu’un, elle est vénérée, ou exécrée, elle n’est pas abandonnée » (p.17) Or après une première partie où d’une part l’abbé se contente de rêvasser au larcin et d’autre part l’enquête stagne, voilà qu’un rebondissement donne au récit un tour romanesque, mais aussi qualifié de la crainte « d’être obligé de parler comme un très mauvais roman» (c’est la crainte qu’exprime le nouveau commissaire, Didier, qui a des éléments nouveaux, p. 61). Le récit poétique encourt le risque de devenir un « très mauvais roman », dit Henri Thomas lui-même à travers son personnage. Pourquoi « très mauvais roman » ? Parce qu’on est en train de sortir de la tête de l’abbé Dumas qui jusqu’ici, au fond, s’interrogeait sur le caractère sacré du réel et sur sa mise en cause ou sa révélation (les deux, contradictoires, sont rendues possibles par le vol) à la suite de l’événement que constitue la disparition d’une relique. Donc le deuxième enquêteur découvre que la relique n’a pas été volée par un être humain, mais chipée par des rats _ ah ! _ qui l’ont mise dans leur trou pour la dévorer. Hypothèse ensuite révisée. Toute une enquête se met en place et peu à peu le livre devient une véritable réflexion _ voilà _ sur la révélation, la raison, à partir de la vie de l’abbé, de son lien avec une prostituée, de son lien avec le narrateur. On est _ donc ici _ dans un récit métaphysique. Mais çà et là sont _ aussi _ donnés des signes, venus de l’enfance, venus du corps, venus du monde passé et présent. Une station-service, un café deviennent soudain des décors aussi violents et forts que la grotte de Lourdes.
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Où est le sacré, où est le profane, où est le réel ? Est-on dans un récit intime, dans une fable théologique, dans une réflexion sur le statut du réel ? A la fin, le narrateur résume son rapport au monde et aux mots, une fois qu’il a retrouvé et jeté _ voilà _ la relique. « Moi, j’ai jeté quelque chose dans le monde et je regarde. Le monde n’est pas grand comme on l’imagine dans la vie ordinaire, où l’on croit que tout va à l’infini, faute d’aucun centre dans l’homme. Le monde a juste les dimensions d’un corps humain… Voilà la surprise : je n’en sors pas _ de ce corps mien _, et personne ne peut en sortir, mais ils ne le savent pas ; ils ne voient pas ce qui est _ au dehors de (et via) ce corps _, et comme il n’y a rien d’autre, ils sont toujours inquiets, et appellent cela agir : construire, détruire, enquêter, maintenir l’ordre. Ils ont beau faire et défaire, ils restent ce qu’ils sont sans le savoir : des corps d’hommes et de femmes… Oui, bien sûr, en un sens, ils ne se perdent pas de vue les uns les autres, et ils n’ont pas d’autre moyen de se connaître sinon par le corps ; mais cela tourne tour de suite mal, le principe leur échappe. » (p. 143-144) Ce texte pourrait presque être écrit par Beckett, et c’est l’aboutissement du roman. Et sa conclusion : « La seule relique, c’est le corps vivant. » Il y aurait beaucoup à écrire sur Henri Thomas et le corps. Comme sur tout écrivain et le corps, bien entendu.
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Il y a un autre livre, parmi tous ceux que j’ai aimés de Thomas, qui me paraît avoir un statut particulier, c’est Le Porte à faux, qu’il a publié chez Minuit en 1948. Roman beaucoup plus introspectif, moins métaphorique que les autres. Il y évoque son mariage, sa rupture après une trahison de la part de sa femme Lucie avec un ami qu’il pensait homosexuel, sa solitude en Angleterre, sa fréquentation de prostituées, sa soudaine passion pour Renée, une femme plus aimante et plus distante à la fois, plus insaisissable encore. Et l’ensemble est admirablement poétique. La narration merveilleusement libre semble tenir du journal intime, du carnet de notes. « Le plaisir ne rapproche pas les êtres ; c’est une chose depuis longtemps constatée et déplorée. On dit qu’il ne rapproche pas les êtres, mais on n’ajoute pas où il les mène, de sorte qu’il reste en l’air comme une chose absurde. » (p. 13) Ou encore sur celle qu’il va aimer passionnément : « Où est Renée à présent ? Quel geste fait-elle en ce moment ? Il y a une réponse exacte, que je possède pas. L’inquiétude occupe ce vide. » (p.62)
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C’est un livre extrêmement sombre, sur la solitude, sur l’angoisse, sur le néant, sur l’absence de rapports _ c’est lacanien _ entre les êtres qui prétendent s’aimer et cherchent dans les difficultés de leurs rapports une confirmation _ sensible _ de leur désespoir. Mais c’est surtout un livre sur ce que Thomas appelle le « divorce avec la réalité » ou le « désaccord avec la réalité », sur fond de souvenir d’enfance. Il donne du reste la genèse de son sentiment poétique: « L’Ennemi devait nécessairement m’apparaître d’abord dans le domaine sexuel, celui où l’homme fait en premier l’épreuve de son désaccord avec la réalité _ résistant à ses approches _ : c’est là que la menace de dissolution est la plus grande, la résistance et l’effort les plus obstinés. L’énigme surprend l’esprit endormi, désarmé, et elle l’éveille _ il s’inquète de ce qui décidément n’est pas lui. A partir de ce choc, mon esprit a commencé sa défense, cherché des forces, saisi la poésie _ voilà _ comme le vrai bouclier de diamant. » (p. 108) _ la ressource défensive puissante pour ne pas être détruit et survivre. Et plus loin, dans une tentative de réminiscence de paysage d’enfance : « Qu’est-ce que c’est que ce divorce d’avec la réalité ? C’est lui que je trouve en premier ; c’est peut-être à lui que je dois d’abord faire crédit. Il s’est aggravé avec le temps, avec le jugement. » (p.115) _ cf ce que raconte-décrit Freud de l’expérience-jeu par son petit-fils Ernst, à l’âge de un an et demi, du Fort/Da dans Au-delà du pricipe du plaisir…
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Et curieusement, Henri Thomas retrouve presque la formulation de Pasolini : « Ce paysage était un langage : grâce à lui, dans la sécurité, je m’élançais vers les autres ; je me sentais être comme la promesse d’une personne moins seule, qui donnerait et recevrait. » (ibid.) Dans Théorème, Pasolini décrivait la soudaine prise de conscience du père de cette famille visitée par un ange révélateur. Il se réveille et va dans son jardin : « C’est la première fois qu’il s’aperçoit de _ la réalité effective pleine de _ ces arbres, touchés par une lumière qui échappe aux traditions de son expérience. Ils semblent en effet animés, comme des êtres conscients : conscients, et, du moins dans cette paix, dans ce silence, fraternels _ voilà qui me rappelle un superbe passage de l’Entre nous de notre amie à tous deux Elisabetta Rasy, quand elle évoque, page 16, les deux cyprès du jardin de leur maison de la Via degli Alpi, à Rome, s’inclinant en forme de salut affectueux à sa mère ; cf mon article du 22 février 2010 : Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de « L’Obscure ennemie » d’Elisabetta Rasy… Passifs par rapport à la lumière qui les touche comme un miracle naturel, le laurier, l’olivier, le petit chêne et plus loin les bouleaux, semblent se contenter d’un regard, pour répondre à cette attention _ voilà ! _ par un amour infini et infiniment préexistant : et ils le disent, ils le disent littéralement, à travers _ voilà _ leur simple présence _ devenue ici pour la première fois rayonnante pour le personage du père _, dorée et vivifiée par la lumière, qui s’exprime non dans des mots, mais seulement par elle-même. Présence _ voilà : réelle _ qui n’a pas de sens, et qui est tout de même une révélation » (p.56) _ pour le personnage.
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René de Ceccatty
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Ce jeudi 25 avril 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa