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Retour sur les difficiles et précaires attachements sentimentaux d’Albert Noudelmann : une référence probablement prégnante pour son fils François…

05juin

Ce lundi 5 juin,

je désire revenir sur un point que je n’avais fait qu’effleurer en mon article du 22 mai dernier, « « ,

à propos de mes lectures successives du magnifique « Les enfants de Cadillac » de François Noudelmann,

celui des attachements sentimentaux de François Noudelmann, sur lesquels celui-ci se montre extrêmement discret _ ainsi avais-je commencé à parler à leur propos de « floutage«  en mon article du 22 mai…

Il me semble en effet que le nomadisme pas seulement géographique, mais aussi _ et peut-être même surtout _ sentimental, de François Noudelmann _ il parle ainsi à son propos d’« instabilité sentimentale« , à la page 213 ; ainsi , plus précisément, « du plaisir de l’aller-retour d’un amant à double vie« , à la page 229 : un aller-retour New-York – Paris en cette occurrence… _,

est en partie marqué par l’empreinte peut-être indélébile indirectement sur lui, des difficultés sentimentales endémiques et poursuivies de son père Albert (Paris, 24 juin 1916 – Limoges, 16 juillet 1998),

non seulement avec ses trois épouses successives _ la seconde d’entre elles, non nommée, pas même son prénom (!), étant tout de même la mère de François, né à Paris (à l’Hôpial Rothschild) le 20 décembre 1958 _,

mais avec, aussi, ses nombreuses passagères et brèves compagnes ;

mais surtout, et d’abord, avec sa mère, Marie Schlimper (Lemberg, 1881 – ??),

avec laquelle le lien filial d’Albert _ de même que celui, matrimonial, avec sa première épouse, Huberte Bordes (Veuzain-sur-Loire (Loir-et-Cher), 3 novembre 1911 – Paris, 29 octobre 1997)… _ s’est rompu à son terrible retour, en mai 1945, de tragiquement difficiles cinq années de guerre, prisonnier-esclave, en quasi permanent danger de mourir, des Allemands en Silésie…

Ou quand « fuir, là-bas fuir… » apparaît une solution de saine sauvegarde…

« Variété, variété« , dit, de son côté _ et en expert consommé de la chose _ le cher Paul Valéry…

Ce lundi 5 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ce soir, cinquième conférence de la saison 2022-2023 de la Société de Philosophie de Bordeaux, à l’Athénée : « Geste, figures et écritures de maîtres ignorants : Platon, Montaigne, Rancière »

16mai

Ce mardi soir 16 mai,

cinquième _ passionnant, très riche _ conférence de la saison 2022-2023 de la Société de Philosophie de Bordeaux, à l’Athénée : « Geste, figures et écritures de maîtres ignorants : Platon, Montaigne, Rancière« ….

 

Ce mardi 16 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Faire un point sur l’appréciation d’un compositeur, Giovanni Legrenzi (1626 – 1690), à travers les interprétations discographiques de quelques unes de ses oeuvres dont on dispose…

15mai

C’est à l’occasion de la parution _ et l’audition, bien sûr _ du CD « Mottetti » de Giovanni Legrenzi (Clusone, Bergame, 12 août 1626 – Venise, 17 mai 1690) par le Concerto italiano de Rinaldo Alessandrini, le CD Naïve OP 30579 qui paraît ce mois de mai 2023 _ enregistré à Rome il y aura bientôt 4 ans, du 11 au 14 juillet 2019 : pourquoi avoir tant attendu de la part de Naïve ?.. _,

que me prend l’idée de faire un point sur mes appréciations des œuvres de ce compositeur renommé-réputé, et même souvent qualifié de « jalon décisif » de la descendance musicale monteverdienne à Venise _ entre, disons, Claudio Monteverdi (1567 1643) et Antonio Vivaldi (1678 – 1741) _, qu’est Giovanni Legrenzi,

mais dont l’écoute _ discographique _ des œuvres, de genres variés et bien divers pourtant, n’a jamais vraiment jusqu’ici suscité de ma part _ de mélomane humblement récepteur _ un jubilatoire enthousiasme, et un durable engoûment, à travers les interprétations que j’en possède au disque jusqu’ici ;

soit, avec le CD récemment acquis ce mois de mai 2023, 7 CDS _ je n’arrive hélas pas pour le moment à remettre la main sur un 8e, le CD de « La Morte del cor penitente« , par les Sonatori de la Gioiosa Marca, le CD Divox CDX 71802, paru en 1995 ; dont voici cependant ici le podcast (de 1′ 53″) de son Ouverture seulement… _, parus entre 2001 et 2023…

En voici donc la liste :

_ « Dies Irae, Sonate, Motetti« , par le Ricercar Consort dirigé par Philippe Pierlot, le CD Ricercar 233412, paru en 2001

_ « Missa – Opus 1« , par l’Ensemble Olivier Opdebeek et Corsi Spezzati, le CD Pierre Verany PV 700033, paru en 2001

_ « Il cuor umano all’incanto (1673)« , par l’Ensemble Legrenzi, le CD Tactus TC 621201, paru en 2003

_

_ « Trio Sonate 1655, a 2 e a 3« , par les Parnassi Musici, le CD CPO 777 030-2, paru en 2004

_ « Sedecia », par l’Officina Musicum, dirigée par Riccardo Favero, le CD Dynamic CDS 711, paru en 2010

_ « Sonate & Baletti« , par l’Ensemble Clematis, le CD Ricercar RIC 356, paru en 2015 : le seul qui m’a réellement ému et touché… 

_ et le tout récemment paru « Mottetti« , par le Concerto italiano dirigé par Rinaldo Alessandrini, le CD Naïve OP 30579, qui ne me touche décidément pas…`

Au point que j’en suis précisément venu à me demander

si ma présente insensibilité à la musique de ce CD, provient ou bien de l’œuvre même du compositeur, Legrenzi, ou bien de cette interprétation-ci, en ce disque-ci…

Et pour ce qui concerne l’interprétation et les interprètes de la musique, au disque comme au concert, la qualité de la prestation (ainsi que celle, aussi, ne pas l’oublier !, de la réception par l’auditeur mélomane…), il faut insister sur le fait important qu’elles dépendent de nombreux facteurs, dont le lieu, le moment, le contexte, etc.

Soient bien des variables à prendre en compte et s’efforcer de mesurer…

Pour le genre délicatissime et merveilleux du madrigal,

mais qui n’est, bien sûr, pas le motet,

 

il se trouve que très probablement la référence musicale et discographique incontestable est l’ensemble La Compagnia del Madrigale, de Daniele Carnovich (Padoue, 1957 – Fontarabie, 20 septembre 2020 _ cf mon article du 25 septembre 2020 : « «  _), Rossana Bertini et Giuseppe Maletto ( _ cf mon article du 30 mars 2023 : « «  _),

avec, aussi, l’ensemble le précédant, La Venexiana, de Claudio Cavina (Terra del Sole, 14 septembre 1961 – 30 août 2020 _ cf mon article du 31 août suivant : « «  _)…

Mais hélas ni La Compagnia del Madrigale, ni La Venexiana, n’ont consacré d’enregistrements discographiques d’un compositeur aussi tardif _ par exemple le riche coffret de 9 CDs (enregistrés de 1998 à 2010, et paru en 2016) intitulé « L’Arte del Madrigale (1586-1616) » de La Venexiana, coffret Glossa 920930 ; mais c’est aussi le cas pour les CDs de La Compagnia del Madrigale, dont le compositeur le plus tardif enregistré par eux (Cipriano De Rore, 1515-1565 ; Luzzasco Luzzaschi, 1545-1607 ; Luca Marenzio, 1553- 1599 ; Carlo Gesualdo, 1566-1613) n’est autre que l’immense Claudio Monteverdi, 1567-1643., dont le Huitième Livre de Madrigaux est paru à Venise en 1638 _ que Giovanni Legrenzi (1626 – 1690)…

D’où ma décision de faire un petit point d’écoutes comparées

avec les CDs Legrenzi présents _ et retrouvés : en manque cependant un à l’appel : où peut-il donc se cacher ?.. _ en ma discothèque personnelle…

 

Ce lundi 15 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

La somptueuse beauté, tendre et discrète, et qui touche, de François Couperin en ses Messes (II) : la « Messe pour les paroisses » (toujours en 1690), par Olivier Latry sur les Grandes Orgues de la Chapelle Royale de Versailles, et l’Ensemble vocal « Chant sur le Livre alterné », dirigé par Jean-Yves Haymoz…

11mai

En suite et continuité avec mon article d’avant-hier mardi 9 mai « « ,

je veux dire, ce jour 11 mai, mon égale admiration éperdue pour le second volet discographique des deux Messes de François Couperin (toutes deux de 1690) que propose l’excellent label Château de Versailles Spectacles _ dirigé par Laurent Brunner _,

cette fois le CD Château de Versailles CVS 083, consacré à la « Messe pour les Paroisses« , avec, pour le plain-chant alterné, cette fois-ci la Messe IV « Cunctipotens genitor Deus » _ choisie (et recommandée, donc) par François Couperin lui-même _,

toujours dans l’interprétation somptueuse et d’Olivier Latry, aux Grandes Orgues (de 1710) de la Chapelle Royale de Versailles, et de l’Ensemble vocal « Chant sur le Livre alterné« , sous la direction idoinement inspirée de Jean-Yves Aymoz…

Ces deux CDS constituant le n° 10 et le n° 11 de la collection « L’Âge d’or de l’Orgue français » de ce label CVS de la plus haute qualité.

Avec rappel de ces précisions extrêmement intéressantes- ci, 

rédigées de manière superbement détaillée et appropriée, pour Arques-la-Bataille en août 2018 _ pour les festivités organisés sous les aupices de l’ami Jean-Paul Combet _, par Michel Boesch,

à propos de ces deux sublimes Messes si délicates et prenantes en leur douceur, de François Couperin : 

Messes – Couperin

Messes - Couperin©Michel Boesch

Dire avec des sons ce que lisent les mots

Dans son Dictionnaire de Musique (1764), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) affichait une double définition de l’exécution (= interprétation) musicale. La première relève de la perfection technique lorsque l’interprète « exécute correctement, sans hésiter et à la première vue, les choses les plus difficiles ». La seconde exige de sa part d’entrer « dans toutes les idées du compositeur, sentir et rendre le feu de l’expression ». Forcément réductrices, ces deux approches pourraient cependant catégoriser l’ample discographie consacrée aux Pièces d’orgues consistantes en deux Messes _ c’est là leur intitulé officiel, en 1690 _ composées par François Couperin (1668-1733) en 1690.

Une première catégorie d’enregistrements (souvent les plus anciens) privilégie le contenu purement musical et l’intelligence de l’œuvre. Si André Marchal (1894-1980), organiste né aveugle, fait figure de précurseur avec le label Erato (1959), il annonce des interprètes aussi emblématiques que Marcel Dupré (1886-1980), Michel Chapuis (1930-2017) ou André Isoir (1935-2016). Sur ces disques, la prise de parole est réservée _ exclusivement _ à l’orgue. L’instrument y intervient dans une succession de courtes séquences aux couleurs changeantes. Ce style reflète d’ailleurs les goûts d’une époque qui, comme en littérature, abandonne les longs développements de la première moitié du XVIIème siècle au profit d’œuvres brèves mais denses comme les fables de Jean de La Fontaine (1621-1695), les contes de Charles Perrault (1628-1703) ou les portraits moraux de Jean de La Bruyère (1645-1696).

En revanche, les parutions plus récentes, notamment à partir de la dernière décade du XXème siècle, ajoutent souvent _ voilà _ une dimension vocale à la musique d’orgue. Certains s’arrêtent à mi-chemin, comme Frédéric Desenclos et l’Ensemble Pierre Robert (collection Tempéraments, 2001). Ils glissent dans la suite des pièces d’orgue quelques petits Motets soutenus par des cordes. D’autres tentent l’expérience d’une reconstitution liturgique aussi proche que possible du cadre de référence de Couperin. Précédé par l’enregistrement de Marie-Claire Alain (1926-2013) et de la Compagnie Musicale Catalane (Erato, 1998), celui de Michel Bouvard et de la Schola Meridionalis (Diapason, 2015) semble considéré aujourd’hui comme l’un des plus réussis _ c’est à relever. Des plages de plain-chant et des séquences instrumentales se relayent pour tisser son programme. Ce procédé ancien est également connu sous le nom d’alternatim (dialogue) _ voilà _ : chaque partie de l’ordinaire d’une messe romaine (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei) est fragmentée en sections qui seront ensuite réparties, par alternance pair/impair, entre les voix et l’instrument. Ce dernier paraphrase alors par des sons _ voilà _ le sens des paroles que la voix aurait prononcées par le chant.

C’est précisément dans ces pas que Jean-Luc Ho et l’ensemble vocal Les Meslanges ont choisi de poser les leurs durant deux concerts donnés dans le cadre du vingtième Festival de Musique Ancienne en Normandie (21 au 25 août 2018) organisé par l’Académie Bach d’Arques-la-Bataille (Seine-Maritime). Pari d’autant plus audacieux que la musique d’orgue est réputée n’intéresser qu’un public averti, et que le plain-chant semble relégué au rang des antiquités, en compagnie de son complice, le latin d’église. Un pari risqué ? En tout état de cause, un défi remarquablement relevé à en croire les commentaires d’un public passé de surprises en découvertes. Avec cependant l’expression d’un regret. Celui de ne pas avoir été assez préparé _ ce public à ces deux concerts d’Arques _ à l’écoute d’un répertoire plutôt difficile et quelquefois énigmatique. Car, avec le plain-chant, c’est tout un pan des musiques du Grand Siècle qui sort timidement de l’ombre _ voilà _ écrasante des polyphonies d’inspiration versaillaise. Mais, pour en goûter pleinement le suc et le parfum, il est nécessaire de disposer au préalable de connaissances particulières. A nos yeux, un Festival peut être ce lieu d’initiation. D’ailleurs, l’Académie proposait, comme chaque année, quelques conférences consacrées à des répertoires atypiques inscrits au programme des concerts : sur la pratique du consort anglais, la poésie et la musique dans les œuvres de Guillaume de Machaut ou la musique de Santa Cruz de Coimbra. Alors, pourquoi ne pas livrer quelques clés pour faciliter l’entrée dans le monde mystérieux du plain chant et des modes ecclésiastiques ?

Car c’est une histoire mouvementée qui se dessine en filigrane des sons qui ont résonné ce 22 août 2018. Lorsque, dans sa Dissertation sur le chant grégorien (1683), Guillaume-Gabriel Nivers (1632-1714) analyse la position d’Aelred de Rievaulx (vers 1110- 1166 ?) sur la musique à l’église, il pose en réalité les termes majeurs d’un débat passionné qui rebondit précisément au XVIIème siècle. Ce moine « admet le son, pourvu qu’il ne soit pas préféré au sens des paroles sacrées ; et en admettant le son, il s’ensuit évidemment qu’il approuve l’Orgue (J’entends toujours pourvu qu’elle soit dans les Règles prescrites par les conciles et les Saints Pères) ». Ainsi, loin de laisser libre cours à la créativité et à l’inventivité des compositeurs et interprètes, la musique se voit solidement encadrée _ voilà _ par une double autorité : celle de la « parole sacrée » portée par le chant, et celle des « règles » s’appliquant à l’écriture musicale et à son exécution _ prescriptions tout à fait essentielles, en effet…

Même un compositeur âgé de moins de vingt-deux ans, comme François Couperin _ né le 10 novembre 1668 _, ne pouvait rien ignorer _ certes ! _ de ce faisceau de prescriptions _ et c’est bien là le terme adéquat. Juan David Barrera décrit remarquablement la « triple influence normative » à laquelle était alors soumis notre compositeur: « premièrement, la réglementation du cérémonial parisien de 1662 (conforme à l’esprit de la Réforme tridentine) qui cherche à circonscrire les prestations des organistes dans la liturgie ; deuxièmement, les préfaces des Livres d’orgue publiés à l’époque, textes explicatifs qui fixent les canons théoriques et esthétiques pratiqués ; finalement, comme résultat implicite des deux sources prescriptives précédentes, le principe de convenance _ voilà _, qui détermine la nature formelle et expressive du répertoire » (Bienséance et vraisemblance : le phénomène normatif dans la production musicale des organistes français de l’époque classique, Strathèse, Université de Strasbourg, juillet 2018).

Le Cæremoniale Parisiense ad usum omnium Ecclesiarum… aliarum urbis et Dioecesis Parisiensis (Cérémonial parisien en usage dans toutes les églises… de toutes les villes et du diocèse de Paris) se présente sous la forme d’un « code » à l’usage des maîtres de cérémonie chargés de coordonner les différents acteurs intervenant lors d’un office religieux. Observant que « chacun faisoit des cérémonies à sa mode, et introduisoit des coustumes nouvelles selon son esprit particulier », son auteur, le prêtre parisien Martin Sonnet, est chargé par l’archevêché « d’y apporter un ordre convenable » par la voie d’une uniformisation des pratiques. Le chapitre 6 de ce cérémonial traite De organista et organis (De l’organiste et de l’orgue). Les prescriptions qu’il contient sont de diverses natures. Morales dès le premier article (Organista bonis moribus praeditus/ l’organiste est doté de bonnes mœurs), elles s’insinuent jusque dans l’écriture musicale et la manière d’interpréter la partition : « on prendra garde de ne jamais toucher l’orgue de manière lascive ou impure». Elles précisent ensuite les parties de l’office durant lesquelles l’orgue est autorisé à sonner. Enfin, elles édictent les modulations que doit adopter l’organiste (« gravement », « suavement ») afin de « stimuler la dévotion des âmes du clergé et du peuple ». Seuls les moments de l’Offertoire, de l’Elévation et du Deo gratias annonçant la fin de l’office échappent quelque peu à ce cadre directif. Ils constituent alors de brefs moments de libre expression de l’organiste. En définitive, l’organiste français se trouve encadré par un système exigeant qui tranche _ et c’est intéressant à relever _ avec la liberté surveillée accordée aux organistes germaniques.

..;

Mais les organistes eux-mêmes s’érigent en prescripteurs de normes. Contentons-nous d’un exemple, celui du Livre d’orgue contenant cent pièces de tous les tons de l’Eglise (1662) de Guillaume-Gabriel Nivers. Dès la première page, il explique le rôle de l’orgue (« L’orgue étant institué dans l’Eglise pour l’ornement de la solennité et pour le soulagement du cœur ») et précise l’intérêt des huit tons de l’Eglise : « il est à propos de distinguer les Tons pour les voix basses, des Tons pour les voix hautes telle que sont celles des Religieuses en faveur desquelles il faut transposer ». D’ores et déjà apparaît la distinction parfaitement intégrée par Couperin _ en effet _ lorsqu’il compose ses deux Messes, l’une pour les paroisses, l’autre pour les couvents. Il donne ensuite une leçon à distance sur le toucher de l’orgue : le positionnement des doigts, l’art des tremblements, le façonnage des agréments, le mouvement des fugues ou la meilleure manière de combiner les jeux. Des enseignements qui, au fil du temps et de la parution de livres d’orgue comme ceux de Nicolas Lebègue (1631-1702) ou d’André Raison (1640-1719), finissent par acquérir une valeur de référence. Pour les organistes également, le processus de modélisation est en marche.

Mais pour être appréciée, encore fallait-il que cette musique corresponde _ aussi _ aux goûts de son temps. Certes, le cérémonial de 1662 interdisait de « produire aucun chant dont le caractère profane ou superficiel ne convienne pas à l’office ». Cependant, outre les styles associés de longue date à la musique d’église (comme le cantus firmus ou la fugue), les compositeurs se risquent néanmoins à concilier la tradition grégorienne avec l’actualité mondaine. Ainsi, dans ses Messes, Couperin acclimate des figures rythmiques propres aux danses, des passages lyriques caractéristiques de l’opéra et même des sonorités martiales échappées des fanfares de la Musique de la Grande Ecurie versaillaise. Pratique contrôlée mais non prohibée. Pourvu qu’elles obéissent aux règles de bienséance et de convenance ecclésiastiques _ voilà _, explique en substance André Raison lorsqu’il admet la transposition de rythmes de danses dans la musique d’orgue : « exceptée qu’il faut donner la cadence un peu plus lente à cause de la Sainteté du lieu ».

Un « cahier des charges » pointilleux pour Couperin et ses collègues organistes _ oui. Pourtant, malgré ce programme imposé, ils réussissent tous à faire œuvre originale _ oui. Leurs talents respectifs les distinguent, bien entendu. Un talent détecté précocement _ en effet _ pour François Couperin. Orphelin à onze ans, les marguilliers (membres du conseil de fabrique) de l’église Saint-Gervais, à Paris, tenaient tant à s’attacher ses services qu’ils réussirent à convaincre Michel-Richard de Lalande (1657-1726) d’assurer un intérim de plusieurs années jusqu’à ce que le jeune François atteigne sa majorité et puisse alors être nommé officiellement titulaire des orgues d’une église dans laquelle prêche parfois Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) et que fréquente Madame de Sévigné (1626-1696). De Lalande n’oubliera ni Saint-Gervais, ni Couperin. En effet, c’est au Surintendant de la Musique de la Chambre du Roi qu’échoit le soin de rédiger le texte du certificat qui accompagnera chaque partition commercialisée : « Je certifie avoir examiné les présentes pièces d’Orgue du sieur Couperin,… que j’ai trouvé fort belles, et dignes d’être données au public ».

Mais le talent n’est rien _ non plus _ sans l’instrument _ et chacun d’entre a sa singularité. D’ailleurs, Evrard Titon de Tillet le place au sommet de la hiérarchie des instruments : « L’Orgue doit être regardé comme le premier et le Roi de tous les instruments, puisqu’elle seule les contient tous » (Le Parnasse François, 1732). Or, l’orgue de l’église Saint-Gervais sur lequel Couperin a certainement mis ses partitions au banc d’essai, offre un large potentiel. Il dispose de quatre claviers (le Positif, le Grand Orgue, le Récit et l’Echo dont Couperin ne se servira pas) et d’un pédalier. Chacun de ces éléments est associés à des jeux (ou registres), le Grand Orgue étant le plus fourni (16 jeux) alors que le Récit n’en comporte qu’un seul, le Cornet. La science de la registration consiste à produire les sonorités voulues en combinant ces jeux. Une manière, en quelque sorte, de créer sa propre « orchestration ».

La musique de Couperin s’illustre par les effets de contraste produits par les deux claviers principaux : la puissance et la brillance du Grand Orgue et la sonorité plus sage du Positif. Quant aux parties solistes, elles sont généralement affectées au Récit tandis que le cantus firmus est interprété à la Pédale.

Cependant, aussi éclatant soit-il, l’orgue « n’intervient jamais qu’en intrus au sein d’un rituel « rempli » intégralement par le chant et les récitatifs » tient à préciser _ et c’est bien sûr à relever _  Jacques Viret (Le chant grégorien et la tradition grégorienne, 2012). Car c’est par le chant seul _ et le logos articulé en mots et phrases qu’il porte _ que se diffusent le message divin et les doctrines associées _ oui, et c’est fondamental pour son office sacré. En revanche, si le chant liturgique doit être accompagné, ce rôle est dévolu _ d’abord _ au serpent. Aujourd’hui quasiment disparu _ en effet _, voici comment le décrivait le Dictionnaire liturgique, historique et théorique du plain-chant (1864) de Joseph d’Ortigue (1802-1866) : « instrument à vent dont on se sert particulièrement dans les églises et dans la musique militaire, où il forme la basse… Gerbert dit que le serpent a été nommé ainsi à cause de sa forme ». Malgré les services rendus dans les lieux de culte dépourvus d’un orgue, sa réputation n’est pas flatteuse. Dans ce même Dictionnaire, le compositeur Adrien de La Fage (1801-1862) en donne _ au XIXe siècle, il faut le relever _ une description épouvantable : « Mon but principal en introduisant l’orgue dans le chœur, était l’abolition de cet abominable et honteux usage connu seulement en France, d’accompagner le chœur par le serpent, instrument grossier, si contraire aux voix, au goût et au bon sens ». C’est pourtant avec le serpent que Volny Hostiou a accompagné les parties vocales de nos deux concerts _ d’Arques. Avec une certaine grâce et beaucoup de virtuosité.

Ces quelques repères étant posés, nous pouvons maintenant pénétrer, en meilleure connaissance de cause, à l’intérieur de ces deux Messes. Si notre lecteur voulait approfondir l’étude technique et théologique de ces deux opus, nous l’invitons vivement à consulter la thèse de doctorat de Juan David Barrera (La musique pour l’orgue en France à l’âge classique : une représentation du sacré) soutenue le 3 mars 2017 à l’Ecole doctorale des Humanités de l’Université de Strasbourg. Par bien des aspects, elle nous a guidé dans la rédaction de notre _ bien utile _ compte rendu.

Messe à l’usage ordinaire des Paroisses pour les Fêtes solennelles

Ce titre appelle d’ores et déjà quelques préalables. Car, si l’ordinaire de la messe (ordo missae, l’ordonnancement d’une célébration de l’office divin) reste uniforme dans sa structure (toujours cinq mêmes pièces sont chantées), les mélodies doivent s’adapter aux particularités du calendrier _ oui. Ainsi, les antiphonaires (livres liturgiques rassemblant les partitions grégoriennes) et plus tard les missels consignent-ils dix-huit messes chantées différentes, classées de I à XVIII. Couperin a choisi _ pour cette Messe des Paroisses _ de mettre en musique la Messe IV Cunctipotens genitor Deus (Tout-puissant Dieu créateur), « base de toutes les messes d’orgue données dans le cadre séculier » précise Thomas Van Essen dans le texte de présentation des concerts de Dieppe et d’Arques-la-Bataille.

En outre, l’organiste devait avoir une connaissance précise du calendrier liturgique. Les fêtes y sont hiérarchisées et l’organiste est tenu « d’approprier son style et son jeu aux caractères des diverses solennités » (Joseph d’Ortigue). Ainsi, chaque degré de festivité porte un nom. Celui qu’emploie Couperin (fêtes solennelles) correspond aux fêtes doubles majeures dans le langage romain, « celles dont l’office est plus solennel et plus complet que celui des autres » expliquent les abbés Antoine Banier (1673-1741) et Jean-Baptiste Mascrier (1693-1760) dans leur Histoire Générale des cérémonies, mœurs et coutumes religieuses (1741).

Pour leur part, les chantres servent un répertoire en latin qui n’est plus guère pratiqué de nos jours : le plain-chant _ voilà. Ce terme traduit l’expression latine planus cantus, littéralement « chant qui plane », qui avance à pas égal, sans rupture ni altération. Dans son Traité théorique et pratique du plain-chant, appelé grégorien (1750), l’abbé Léonard Poisson (1695 ?-1753) le définit comme « le chant le plus grave, le plus simple, le plus naturel,… qui n’admet point cette multitude d’inventions de mélodie, et qui rejette cette variété d’harmonie, dont la plupart sont peu propres à la majesté de l’Office divin ». Le chant grégorien, né au VIème siècle _ voilà _, en constitue le socle. Mais au-delà, le plain-chant restera longtemps une musique vivante qui se renouvelle _ oui _ au gré de la refonte des bréviaires et des missels. Les plus talentueux musiciens du Grand Siècle participeront à sa rénovation _ voilà. Pour ce concert _ d’Arques-la-Bataille _, Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) livre deux pièces de sa composition.

L’Ensemble Les Meslanges a choisi d’interpréter les cinq parties d’un office extrait du Graduale Parisiense illustrissimi et reverendissimi in Christo patris D.D Francisci de Harlay…autoritate… editum (1689). Ce Graduel de Paris, conservé à la Bibliothèque Mazarine, a été publié sous l’autorité du quatrième archevêque de Paris, François Harlay de Champvallon (1625-1695). Celui-ci est à l’origine d’une réforme du plain-chant en réaction au courant conservateur prêchant le maintien d’une certaine austérité et au mouvement moderniste ouvert à l’intégration d’ornements empruntés à la musique profane contemporaine. En arrière-plan, deux partis enfiévraient le débat : les jansénistes furieusement traditionalistes et les ultramontains attachés aux rites définis par l’Eglise de Rome. Profondément gallican (favorable à l’Eglise de France) et réformateur, Monseigneur de Harlay lutte contre ces deux tendances et révise en profondeur Bréviaire (1680), Antiphonier (1681), Missel (1684) et Graduel (1689). C’est de ce dernier livre que sont extraites les séquences de plain-chant alternant avec les pièces d’orgue de Couperin.

Il est 11 heures à Dieppe. L’horloge de l’église Saint Rémy sonne les onze coups au moment même où Jean-Luc Ho fait résonner les premières mesures de cette première messe pour orgue. Une conjonction de sons délicatement complémentaires.

« On chante par neuf fois, à l’honneur des neufs Chœurs Angéliques, Kyrie eleison ; ce qui exprime les sentiments des Anges et des Prophètes au temps de l’ancienne Loy », explique Jean-Jacques Olier (1628-1657) dans son Explication des cérémonies de la grand’messe de paroisse selon l’usage romain (1687). Sur ces neuf versets, cinq sections sont interprétées à l’orgue (versets impairs), les autres étant confiés à Thomas Van Essen accompagné du seul serpent. Ces suites instrumentales sont construites en forme d’arche. Celle-ci est soutenue par deux puissants Grand Plein Jeu joués sur le Grand Orgue (1er et 5ème Kyrie). Conformément aux prescriptions du Cérémonial de Paris de 1662, un cantus firmus à la basse décline, en valeurs longues augmentées, la mélodie grégorienne de la Messe IV. La clé de voûte (3ème Kyrie) est dominée par un Récit de Cromorne au timbre doucement rauque (appelé « cruchement »). Juan David Barrera observe une simultanéité de l’emploi du Cromorne avec l’évocation de la figure du Christ. Une évocation mise en scène dans le 4ème Kyrie où le dialogue entre la Trompette au Grand Orgue et le Cromorne à la pédale pourrait évoquer le combat de Jésus (Cromorne) contre les forces du Mal (Trompette).

Le Gloria se distingue par son expressivité et concentre tout un répertoire de figures de style et de symboles. D’une façon encore plus apparente que dans la partie précédente, les notes traduisent exactement _ voilà _ le sens des mots inscrits dans le texte confié à l’orgue. Dès la première séquence en Plein Jeu, deux mondes s’unissent pour chanter de louange in excelsis Deo (à Dieu dans le ciel) : aux claviers, une écriture en imitation représente la multitude des cohortes célestes tandis que le monde terrestre murmure le cantus firmus au pédalier. La séquence suivante, celle du Benedicimus te (Nous vous bénissons), choisit la forme d’une petite fugue pour mêler deux sentiments. Le premier exprime au Cromorne la joie de la délivrance promise par le Christ ; le second s’effraye, par des chromatismes ténébreux, du prix à payer pour effacer le péché originel. Mais le passage le plus démonstratif est sans doute celui qui récite en musique le verset Domine Deus, Rex caelestis, Deus, Pater omnipotens (Seigneur Dieu, Souverain Roi du ciel, ô Dieu, Père tout-puissant). Dans ce récit associant basse et dessus, la fanfare des Clairons, Trompettes et Tierces célèbre sur le Grand Orgue le roi des cieux. Soudain, une tension s’exprime par un passage en mode mineur et la dislocation de la ligne mélodique : le pécheur craint Deus pater omnipotens, à la fois père exigeant et tout-puissant. Puis la fanfare s’impose à nouveau pour célébrer la majesté trinitaire.

Le Gloria « exprime que la pénitence des Anges n’altère point leur béatitude » explique Jean-Jacques Olier. Acquis à cette béatitude, Couperin va tenter de la faire partager par les fidèles. Pour pénétrer leur âme, il leur parle un langage familier. Déjà, le verset Glorificamus te (Nous vous glorifions) avançait au rythme d’une gigue. Maintenant, le Qui tollis peccata mundi (Vous qui effacez les péchés du monde) puise dans la tradition musicale des « sommeils » _ tel celui de l’Atys de Lully… Un Fond d’orgue joué sur une pédale de flûte somnole paisiblement tandis que le Cornet réalise son examen de conscience. Cette pièce mêle béatitude et mysticisme : d’une part, un corps au repos ; d’autre part, une âme qui s’élève au contact du divin. Une union qu’illustre également la séquence suivante (Quoniam tu solus Sanctus/ Car vous êtes le seul saint) dans un dialogue conduit par le registre Voix Humaine. Mouvements ascendants et descendants se croisent, rapprochant peu à peu les mondes célestes et terrestres. Le tout s’achevant dans la célébration d’un In Gloria Dei Patris (dans la gloire de Dieu le Père) sur les Grands Jeux. Cette séquence est divisée en trois parties comme si Couperin tenait à saluer, à tour de rôle, chacune des personnes de la Trinité par une couleur sonore singulière : la puissance du grand clavier pour le Père, la fragrance caressante du Cornet pour saluer la bienveillance du Fils et l’explosion sonore pour exalter l’Esprit _ voilà.

« On joue des Orgues pendant le Gloria in Excelsis, pour dire que l’Eglise du Ciel représentée par les mêmes orgues, et celles de la Terre sont unies dans la louange de Dieu. Au Credo les Orgues ne jouent point, parce qu’il n’y a point de Foy au Ciel, mais seulement sur la Terre » justifie Jean-Jacques Olier. Il était en effet de tradition que, s’agissant de la profession verbale de la foi chrétienne, le texte devait être récité ou chanté dans son intégralité, mais sans intervention des orgues _ voilà.

Avec l’Offertoire, l’orgue signale l’ouverture de la seconde partie de la messe : l’Eucharistie. Il commémore trois moments de l’histoire du Christ : la présentation au Temple, la Passion et la Résurrection. Aussi Couperin propose-t-il trois tableaux contrastés _ voilà _ correspondant à ces trois temps liturgiques. Le premier est habillé en majesté par le Grand Jeu, le Cromorne et le Cornet. L’allure est solennelle et les sonorités éclatantes. L’écriture musicale d’une grande densité multiplie les effets de contraste et fait varier les plans sonores en changeant régulièrement de clavier pour y prononcer de courtes phrases. Le second adopte la technique du clair-obscur. Sur un mode mineur, le Cornet ouvre la séquence par un cri puis adopte un ton plaintif, comme effrayé devant la cruauté du sacrifice. Tandis qu’une pédale de flûte sanglote au loin, des chromatismes déchirants et des altérations rageuses suggèrent un tableau violemment coloré. Avec la Résurrection vient le moment du triomphe sur le péché. Une fugue enthousiaste redonne au Cornet tout son éclat. Peu à peu, elle prend de l’assurance, associant le Grand Orgue enfiévré par un rythme pointé. Ainsi, l’Offertoire s’achève-t-il en apothéose _ voilà.

« L’Orgue, qui signifie la musique du Ciel et les louanges des Bienheureux, joue au Sanctus : Il chante par deux fois Sanctus, pour représenter que cette louange est la louange du Ciel » analyse Jean-Jacques Olier. Couperin choisit la forme d’un canon interprété sur le Plein-jeu pour figurer l’union du ciel et de la terre. Comme cela lui est prescrit, le thème du plain-chant est interprété à la basse. Ouvert sur un jeu doux, le second Sanctus distingue un chœur céleste qui exprime sa félicité dans un récitatif joyeux joué au Cornet tandis que le chœur terrestre l’accompagne à la basse par des accords tranquilles aux graves profonds.

Juan David Barrera signale que, « dans la pratique liturgique de l’Eglise gallicane, le Benedictus était considéré comme un verset indépendant du Sanctus, placé soit pendant lElévation, soit immédiatement après ». Ce 22 août, le Benedictus de Couperin faisait suite au Sanctus, afin de permettre à Thomas Van Essen de rejoindre la tribune de l’orgue. Car, pour l’occasion, le concepteur du programme avait confié à Marc-Antoine Charpentier le soin de saluer la consécration du pain et du vin par l’un de ses nombreux motets pour l’élévation : Ascendat ad te Domine (Je m’élève vers toi, Seigneur). Une délicate mélodie aux reflets changeants, aux ornements perlés et aux mots soulignés par une diction parfaite.

Autant le Benedictus apparaissait comme une longue méditation dirigée par le Cromorne, autant l’Agnus Dei reprend des allures solennelles. La première invocation répond aux prescriptions du Cérémonial de 1662 (qui exige le Plein jeu). Mais sa tonalité contredit l’analyse de Jean-Jacques Olier qui y voit un appel à la « compassion de misère et de mon état ». Le Grand Orgue ouvre la séquence en imitation puis croise les lignes mélodiques tandis que le pédalier décline le thème de la Messe IV par un cantus firmus venu des profondeurs. Le second Agnus Dei adopte une allure plus légère et chantante. Le thème est d’abord énoncé sur le Positif puis amplifié par le Grand Orgue. Il glisse ensuite d’un clavier à l’autre, créant un contraste sonore par un jeu d’alternances piano et forte.

Tout office s’achève, en France, par l’hymne national royal appelant la protection de Dieu sur le Roi. Ici, le Domine Salvum fac Regem est de la main de François de La Feillée (vers 1700-1763), un élève et disciple de Nivers. C’est ainsi, accompagné du seul serpent, que cet hymne devait résonner dans la plupart des paroisses françaises. Hymne salué par une volée de cloches annonçant l’heure de midi. Comme pour le début du concert, cette convergence sonore tout à fait involontaire produit un effet saisissant.

Le chantre ayant lancé un mélodieux Ite missa est, le Deo gratias joué à l’orgue apporte sa note finale à l’office. Point de triomphalisme ici. C’est le Petit Plein jeuqui ordonne cette dernière génuflexion. Ecrite sur un mode mineur, elle honore un Dieu puissant autant qu’un Fils sacrifié pour le bien des croyants.

Messe propre pour les Couvents de Religieux et de Religieuses

A bien des égards, les deux Messes présentent des airs de ressemblance : même principe d’alternance, mêmes références spirituelles, mêmes instruments. Pourtant, une écoute attentive signale quelques différences notables _ certes.

Certaines sont liées au contexte de leur création. D’abord, la partition intéresse un lieu fermé _ le couvent _, dédié à la prière tout au long de la journée. Il en ressort un sentiment d’intimité plus marqué _ oui !!! _ et une dimension plus modeste _ oui : ce que j’ai en effet relevé en mon article d’avant-hier 9 mai. En outre, le Cérémonial de Paris ne s’applique pas aux couvents. Ceux-ci sont régis par les Règles spécifiques _ voilà _ de leur Congrégation. Le compositeur y trouve, par conséquent, une plus grande liberté d’expression _ oui. A titre d’exemple, il ne sera pas tenu par l’obligation d’évoquer systématiquement le thème grégorien par un cantus firmus. La tonalité peut donc être plus homogène. Enfin, l’organiste choisira la registration en fonction de sa propre lecture du texte dont il interprète le sens par des sons.

D’autres marges d’initiative, contemporaines cette fois, résultent du choix des concepteurs du programme _ de ce  concert d’Arques, en cette occurrence-là. Ils associent aux Pièces d’orgues de Couperin la troisième des Trois messes en plain-chant musical pour les festes solemnelles propres aux Religieux et Religieuses qui chantent l’office divin publiées en 1687 par Paul D’Amance (vers 1650-1718), religieux de l’ordre de la Sainte Trinité et rédemption des captifs de Lisieux. Pour mémoire, « le plain-chant musical » s’inscrit dans le prolongement des Cinq Messes en plain-chant… propres pour toutes sortes de Religieux et Religieuses, de quelque ordre qu’ils soient, qui se peuvent chanter toutes les bonnes festes de l’année publiées par Henry Du Mont en 1660 _ oui. Avec Nivers, Du Mont travaille activement au renouveau du plain-chant _ oui _ en le dotant de mélodies nouvelles et plus souples (plus « musicales ») sans pour autant trahir la rigueur et la simplicité _ voilà _ de la forme traditionnelle du grégorien.

Ce dialogue de l’orgue et du plain-chant _ oui _ est serti _ pour ce concert d’Arques _ dans une suite de motets de la plume de ces rénovateurs. Pour le Credo, Jean-François Lalouette (1651-1728) les rejoint avec un extrait de la Messe italienne qu’il aurait composée pendant ou à l’issue de son séjour à Rome, en 1681. Pour leur donner vie, cinq chantres prennent place autour d’un magnifique aigle-lutrin. Faisant suite à la remarquable démonstration soliste du matin, c’est en chœur qu’ils interprètent consciencieusement ce « plain-chant (qui) étant employé pour l’Office Divin, doit être chanté avec gravité, avec décence et piété » (Léonard Poisson). Cependant, pour le Credo, ils gratifient le public de la démonstration d’une forme nouvelle qu’emprunte ce chant si particulier. Celle-ci « renverse tout ce bel ordre, parce qu’en chantant à l’unisson, les basse ne pourraient se faire entendre », constate le Traité de Léonard Poisson. Ce nouveau-venu qui rompt l’unisson, c’est le Faux-bourdon. La partition s’enrichit alors de nouvelles harmonies (à quatre voix) et s’ouvre davantage à l’improvisation et à l’ornementation. L’Ensemble Les Meslanges en donnera une illustration absolument éblouissante.

Il est 20 heures. Le serpent donne le ton, aussitôt suivi par les cinq chantres interprétant lIntroït a capella. Première pièce chantée lors d’un office, elle célèbre le saint du jour. Ici, Guillaume-Gabriel Nivers a doté d’une ligne mélodique aux accents grégoriens un texte destiné à la célébration des Vierges et Martyrs, Sainte Cécile, en l’occurrence. La belle homogénéité des voix fixe l’attention des auditeurs, impressionnés par la gravité et la souplesse du chant.

Le premier Kyrie, joué au Petit Plein Jeu, s’avance majestueusement. Il se compose assez distinctement de quatre phrases qui se rejoignent dans une parfaite harmonie : les phrases extrêmes sonnent avec majesté tandis que les phrases intermédiaires sont traversées de dissonances. Une manière subtile d’évoquer la grâce et le péché qu’elle étreint. Les autres interventions de l’orgue, en alternance avec le plain-chant, conservent la même tonalité en la nuançant. Autant le second Kyrie lance une fugue au caractère triomphal, autant le premier Christe offre au Cromorne le soin de décrire le Christ par une mélodie pénétrée de tendresse. Si Couperin n’omet pas d’invoquer la figure trinitaire dans un Trio à deux dessus (4ème Kyrie), c’est pour mieux célébrer son triomphe dans un dernier Kyrie à la registration illustrative : la victoire finale sur le péché est interprétée par la Trompette sur le Grand Orgue quand la divinité trinitaire se manifeste sur le Positif par l’union de trois jeux : le Montre, le Bourdon et le Nazard.

L’hymne joyeux du Gloria s’annonce au Grand Plein Jeu. Les trois natures du Christ sont illustrées dès cette première intervention de l’orgue : une entrée puissante matérialise sa divinité, une ligne descendante évoque son Incarnation tandis qu’une succession d’altérations préfigure sa Passion. Couperin y multipliera ces images sonores. La joie que procure la bénédiction divine est magnifiée dans un duo aux allures de gavotte dans le Duo sur les Tierces. « Une écriture dessinant des demi-cercles, cherche à figurer la perfection divine » dans la Basse de trompettes, suggère encore Juan David Barrera. Sans omettre le métissage de la gravité et de la suavité dans le confondant récit du Cromorne commentant le 5ème verset du Gloria. Le Christ y est décrit dans un mouvement de joie mêlée de vénération signifiée par un paisible Fond d’orgue. Gravité et suavité qui révèlent « les mystères cachés… par le moyen de ces choses extérieures et sensibles », assure Jean-Jacques Olier.

Mystères sacrés que célèbrent les trois temps d’un majestueux Offertoire sur les Grands jeux. Enonçant successivement de courtes phrases sur les deux claviers principaux, il marie magistralement la profondeur du Positif à l’éclat du Grand Orgue. En pleine euphorie rythmique, l’âme de l’auditeur est aspirée vers le monde céleste. Une méditation sur le mode mineur évoque les souffrances du Christ, appelant le fidèle à un court moment d’introspection sur une suite d’accords à peine secoués par quelques trilles. Le Grand Jeu s’annonce maintenant en fanfare, couvert d’un habit de triomphe : le péché est vaincu. Enfin, un dernier mouvement, noté « Lentement », invite à rendre grâce au Sauveur.

Cette dominante jubilatoire marquera d’ailleurs les dernières pièces de cette Messe. Si le premier Sanctus résonne dans un Plein Jeu grandiose, le second s’anime délicatement au chant du Cornet. Les doubles croches de l’Elévation invitent l’âme à une ascension spirituelle que le pas tranquille du premier Agnus Dei ne viendra pas contrarier. Le second, en revanche, retrouve une allure fervente que sublimera un bref Deo gratias d’une admirable luminosité.

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Lorsque l’orgue s’est tu, un long silence a suivi. Le concert est-il achevé ? Ce n’est que lorsque Jean-Luc Ho a éteint l’éclairage du buffet de l’orgue que les applaudissements fusent. Signe manifeste de la découverte d’un versant méconnu _ voilà _ de la musique du Grand Siècle. Mais expression d’une gratitude pour avoir pu en apprécier quelques reflets, le temps d’une journée dédiée à la célébration du 350ème anniversaire de la naissance d’un compositeur que la feuille hebdomadaire L’avant-coureur désignait comme « le rival du grand Marchand, l’aigle de l’orgue » (17 juin 1765). De toute évidence, le champ des connaissances musicales s’est largement élargi _ ce soir-là, à Arques _ pour bon nombre d’auditeurs : un répertoire de musique d’orgue rarement inscrit au programme des concerts ; une forme de chant grégorien qui résonnait jadis à bien plus d’oreilles que les Grands Motets versaillais ; le serpent, cet instrument largement oublié mais dont la sonorité se propageait autrefois dans la très grande majorité des lieux de culte dépourvus d’un orgue. Les ovations ont donc salué la performance des artistes, tout à fait remarquable, autant que leur contribution à l’enrichissement de la culture musicale du public.

Publié le 15 sept. 2018 par Michel Boesch

Une musique sublime, ici à nouveau.

Ce jeudi 11 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Retour à Rome (et retour de Rome) : les périples romains de la narratrice du prenant, subtil et troublant roman-récit « Sous ma carapace » (« Cara pace ») de Lisa Ginzburg (suite)…

28avr

En continuation-poursuite de mon article d’hier « « ,

voici, ce vendredi 28 avril, quelques remarques sur les biens intéressants périples romains de la narratrice _ Maddalena Cavallari, Maddi _ du prenant et troublant subtil très beau roman-récit « Sous ma carapace » (« Cara pace« ) de Lisa Ginzburg _ à partir de quelles données, peut-être autobiographiques, a-t-il été créé ?.. Lisa Ginzburg est fille des historiens très remarquables que sont Carlo Ginzburg et Anna Rossi-Doria.

Ce qui m’importe aujourd’hui,

c’est d’abord de compléter les citations que j’avais rapportées hier encadrant le récit du roman « Sous ma carapace« , de la page 13 à la page 245,

afin de mieux mettre en avant l’élément décisif qu’en est le va-et-vient un peu difficile _ d’abord un peu longtemps mental (et in fine obsédant…), puis finalement bien effectif ! _ de la narratrice, principalement entre son présent (du récit) à Paris, et son passé (d’enfance et adolescence blessée par la séparation de ses parents, Seb-Sebastiano et Gloria, et l’éloignement d’eux deux qui s’en est durablement suivi pour elle-même, Maddi-Maddalena, et sa petite sœur, Nina) à Rome, où elle, Maddalena, la narratrice de ce récit ardent et contenu, décide de se rendre _ c’est là la toute première phrase du récit, à la page 13 _,

et d’où elle vient, Maddalena, une semaine plus tard, de revenir chez elle et son mari Pierre et ses enfants Val-Valentina et Sam-Samuel, à Paris _ aux pages 242 à 245 du tout dernier chapitre.

Le retour, décisif dans l’intrigue _ même si le récit en est réalisé avec infiniment de pudeur, discrétion et même délicatesse _, à Rome, s’étant, lui, déroulé entretemps _ le récit rétrospectif de ce décisif séjour romain d’une semaine nous étant donné par la narratrice aux pages 229 à 241 ; alors qu’aux pages 227-228, elle vient juste de déclarer, au final de ce chapitre encore « parisien » (avant son départ pour Rome), ceci _ :

« Les destinations pourraient être multiples, mais seule Rome m’obsède à présent _ voilà ! Revoir la ville qui est la mienne et celle de Nina _ sa sœur cadette : elles ont quatorze mois de différence et demeurent très étroitement liées… _, avoir l’illusion pendant quelques jours de recomposer une mosaïque dont les tessons se sont presque perdus dans ma mémoire aussi. Suturer une plaie _ surtout _ impossible à recoudre : Gloria _ leur mère maintenant décédée _ n’est plus là, le paquet de cartes s’est envolé, toutes les parties sont perdues. Des pensées de ce genre me traversent ce samedi matin _ qu’une nuit sépare probablement de la décision prise la veille au soir, à moins que ce ne soit bien davantage… ; cf le tout début du récit, à la page 13 _, alors que, restée seule à la maison, j’allume mon ordinateur et me décide enfin _ ce fut donc difficile d’oser franchir enfin ce pas… _ : j’achète un billet d’avion pour Rome« .

Et je reprends ici les citations de mon article d’hier :

De la première phrase, page 13 : « Je décide que je dois absolument aller à Rome. Je prends la décision un soir, en me démaquillant. Pierre est déjà couché…« ,

à, page 244, « Ce qui m’est arrivé à Rome, il faut que je le raconte à quelqu’un. Partager : nommer l’événement avant qu’il ne se congèle dans mon imagination sous forme de fantôme _ qui revienne méchamment (me) hanter. Le garder pour moi, protégé par ma carapace – cara pace, je n’y arrive pas. Ça ne m’est tout simplement pas possible » _ voilà ! en une fonction en quelque sorte cathartique du récit (parlé ou écrit)...

et surtout, mais avant de poursuivre ma citation, d’à peine 15 lignes plus loin, empruntée à la page finale, page 145,

je tiens cette fois, aujourd’hui, à citer in extenso, le passage qui précédait ma citation finale d’hier, que je reprendrai plus loin, à sa juste place.

Voici donc en quelque sorte rétabli ici le passage que j’avais shunté hier :

« À mon retour de Rome, je suis entrée dans la maison en même temps que Pierre _ son mari _, qui était venu me chercher à l’aéroport, depuis la porte, les enfants ont accouru à ma rencontre. Sam _ son fils, Samuel _ m’a regardée fixement, un long regard inquisiteur — comme s’il avait tout vu _ ce qui s’était passé à Rome. Et le lendemain, je jouais du piano avant le dîner, le second mouvement du Nocturne opus 9 de Chopin _ et je l’écoute interprété magnifiquement par Nelson Goerner, dans le double CD Alpha 359 _ avec lequel je me bats ces derniers temps sans grands résultats, et de nouveau je me suis aperçue que mon fils me regardait, il attendait de moi une réponse. Mon fils qui a quelques années — trop peu — de moins que Tommy.

Leïla _ la seule amie à Paris, et confidente, de Madeleine _ écoutera mon récit, peut-être qu’ele essuiera mes larmes parce qu’elle est mon amie et qu’elle sait faire ça _ elle qui est maquilleuse de profession. Je ne crois pas qu’elle formulera de jugement, ni qu’elle donnera de conseils. D’ailleurs

_ et c’est précisément ici que je reprends le fil de ce que j’ai cité hier !!! _

il n’y a rien à commenter, ni à conseiller _ de la part de quelque interlocuteur que ce soit…  Juste attendre que ça passe _ l’ébranlement de l’événement imprévu survenu (avec le jeune Tommy) à Rome, et maintenant ses éventuelles répliques à venir… Chère paix, carapace.

À la fin de notre coup de fil _ à Nina, la sœur (qui vit avec son époux Brian O’ Brien, à Brooklyn) de la narratrice, qui vit, elle, avec sa famille, à Paris, dans le 17e arrondissement _, ce que j’étais sur le point de demander à Nina, c’était si elle voudrait bien m’héberger _ chez elle et son mari _ à Brooklyn quelque temps.

Partir, seule _ sans son mari Pierre (diplomate à l’Unesco) et ses enfants Val (Valentina) et Sam (Samuel) _, prendre des distances. Mettre de l’espace, du silence, retrouver la clé, le sens _ dérangeant _ de cette rencontre imprévue _ à Rome, au parc aimé de la Villa Pamphili, avec Tommy… _ qui m’a choisie et atteinte comme un rayon de lumière.

Confier à Nina, à sa chaleureuse hospitalité d’âme désordonnée et de sœur, une histoire dont il aurait été plus normal qu’elle lui arrivât à elle, et qui au contraire m’est arrivée à moi.

Un événement qui n’appartient qu’à moi, mais pourrait être à Nina, et s’il devient aussi le sien, c’est grâce à cette intime indistinction qui nous lie _ depuis la brutale séparation (puis le consécutif éloignement d’elles deux, encore bien jeunes, âgées alors de 9 et 8 ans seulement…) de leurs parents, Sebastiano Cavallari et Gloria Recabo _, ce fil invisible que rien n’a jamais pu rompre.

Je vais lui demander si elle peut m’accueillir à New-York, quelque temps, chez eux : mais pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être. » 

L’idée de « retourner » à la Rome de son enfance et adolescence _ durablement blessées, avec recherche de protection (et paix) en sa carapace indurée… _ est évoquée à 20 reprises dans le récit de la narratrice, de la page 13 à la page 228 :

aux pages 13 (« Je décide que je dois absolument aller à Rome« ), 14 (« Je suis rarement allée à Rome ces dernières années, et toujours pour des occasions d’une importance « capitale ». Avec Nina, pour les obsèques de notre mère« ), 15 (« Dans ma tête, cependant, Rome reste un endroit problématique : un enchevêtrement de souvenirs sur lesquels, par un instict naturel d’autoprotection, j’évite de trop m’attarder » et « Mais voilà, c’est décidé, pas le moindre doute ce soir. Je dois aller à Rome« ), 24 (« Pour l’instant, je n’ai pas la moindre envie de parler de mon éventuel voyage à Rome, ni à Pierre, ni aux enfants. Il faut d’abord que l’idée mûrisse, qu’elle prenne dans ma tête une forme suffisamment nette pour que je puisse la communiquer de façon adéquate. J’imagine un séjour bref, une semaine maximum. Ce sera la première fois que je pars seule. (…) J’hésite, je m’enferre dans es propres questionnements« ), 29 (« je suis en train de me demander si je dois aller à Rome ou pas« ), 40 et 41 (« Si j’éprouve un si fort besoin de retourner à Rome, c’est pour revoir les lieux, certains en particulier. (…) Mon désir de partir est survenu à l’improviste ; pourquoi justement maintenant et avec une telle urgence, je ne saurais le dire. Assurément c’est un vrai désir, net, qui se détache sur mes pensées comme une silhouette détournée sur une photo où le reste des détails est flou. Maintenant que Gloria est morte, maintenant qu’elle nous a abandonnées d’un coup et cette fois pour de bon, notre enfance explosée risque de s’effacer ; les preuves tangibles font défaut (…) Aller à Rome, c’est garder vivants les souvenirs, empêcher qu’ils ne s’estompent« ), 80 (2 fois: « Je retournerai chez Giolitti, si je vais à Rome. C’est un endroit que j’affectionne car j’y ai des souvenirs » et « Je me retrouverai à Rome, et les lieux seront différents de ce qu’ils sont dans mes souvenirs, plus banals, dépouillés, moins évocateurs qu’ils ne le sont dans ma mémoire ; (…) pourtant, y penser me réconforte et m’émeut. Pouvoir y revenir et m’y arrêter, à l’écoute des battements du temps« ), 99 (« Un autre endroit où je veux retourner si je vais à Rome, c’est le parc de Villa Pamphili, ce circuit où nous allions nous entraîner avec Mylène« ), 128 (« Je retournerai via Borgognona, à Rome. (…) Pendant des années Gloria s’y est rendue chaque jour« ), 171 (« Aujourd’hui que je désire y retourner pour un séjour, Rome me manque pour la première fois depuis que j’en suis partie. Nostalgie neuve, inconnue. Jusqu’à présent, la ville m’avait semblé être un chapitre révolu, un tressaillement terminé du passé. Maintenant, j’ai hâte de la revoir, je suis impatiente de renouer un pacte avec elle. J’habite à Paris depuis plus de vingt ans, sans avoir jamais réussi à me sentir parisienne. (…) D’ailleurs, s’expatrier dans mon cas n’a pas été un désir : plutôt une nécessité du cœur, un besoin spontané de rejoindre Pierre, de partager sa vie« ), 200 (« Pierre comprendra si je lui fais part de mon idée d’aller passer quelques jours à Rome toute seule ; il comprend toujours« ), 224 (« me demandant si je dois ou non faire mon voyage à Rome« ), 225 (« Je pense partir quelques jours, Pierre. Je ne suis pas allée à Rome depuis les funérailles de ma mère. J’ai besoin de revoir ma ville, elle me manque« ), 226 (« Quelle drôle d’idée, ma chérie. Qu’est-ce que tu pourrais bien trouver à Rome que tu ne connaisses déjà ? Mais vas-y, bien sûr, si tu en éprouves le besoin. Je m’occuperai des enfants, comme ça tu partiras plus tranquille« ), 227 (« Les funérailles _ de Gloria _ à Prima Porta  (…). Notre effroi à nous ses filles, pas du tout préparées au coup violent de cet événement inattendu. Tout avait été rapide, aussi sacrément rapide qu’il avait été, ensuite, difficile et long de le digérer. Pour cela aussi, le besoin de partir, de revoir Rome. Réinventer la conclusion posthume d’un parcours qui s’est terminé de façon traumatisante car trop brutale » et « Seule Rome m’obsède à présent. Revoir la ville qui est la mienne et celle de Nina, avoir l’illusion pendant quelques jours de recomposer une mosaïque dont les tessons se sont presque perdus dans ma mémoire aussi. Suturer une plaie impossible à recoudre« ) et 228 (« Des pensées de ce genre me traversent ce samedi matin, alors que, restée seule à la maison, j’allume mon ordinateur et me décide enfin : j’achète un billet d’avion pour Rome« ).

La présence à Rome de la narratrice lors de son « retour » d’une semaine, apparaît nommée à 8 reprises dans son récit rétrospectif « romain« , de la page 229 à la page 241 :

aux pages 230 (« J’aimerais bien revoir Marcos à Rome. (…) Mais Marcos n’est pas là, il est en Argentine« ), 232 (« À Rome ? » et « Mais qu’est-ce que tu fais à Rome, Maddalena ? Il est stupéfait, Seba, très surpris »), 233 (« Et ta sœur, elle en dit quoi, que tu sois venue à Rome comme ça, sans mari et sans elle ?« ), 234 (« Il est évident que tu en avais besoin, si le fait d’être à Rome te fait autant de bien que tu le dis, mon amour, me dit Pierre lorsque, rentrée tard le soir à l’hôtel, je l’appelle enfin. J’entends sa belle voix claire, vibrante »), 235 (« Devant celle qui était notre maison, en levant les yeux je parviens à voir l’angle de notre balcon. Je souris, libérée et nostalgique. Ces états d’âme, je les recherche depuis des semaines, depuis qu’à Paris je me suis mis en tête de vouloir aller à Rome. Le voilà le sens de mon petit pèlerinage : cette tristesse libre« ), 236 (« Je ne vis pas ici ; je suis en visite à Rome, comme touriste… mais pas une touriste par hasard« ) et 239 (« Peut-être que tu vas revenir à Rome et tu viendras chez moi, à la maison dans la journée il n’y a jamais personne« ).

Et le souvenir de ce séjour « romain » et la nécessité de le « rapporter » à un interlocuteur _ ou lecteur _ qui le reçoive, est mentionné à 3 reprises dans le chapitre conclusif, « parisien« , qui va de la page 242 à la page 245 :

aux pages 243 (« Le magnolia de la cour est en fleur, ça a dû se passer pendant que j’étais à Rome« ), 244 (« Ce qui m’est arrivé à Rome, il faut que je le raconte à quelqu’un. Partager : nommer l’événement avant qu’il ne se congèle dans mon imagination sous forme de fantôme« ) et encore 244 (« À mon retour de Rome (…), Sam m’a regardée fixement, un long regard inquisiteur — comme s’il avait tout vu« ).

L’étrange et surprenant, c’est l’échange final des comportements entre les deux membres de ce très lié _ presque imbriqué _ couple sororal , Madeleine et Nina, qui survient en ce « retour à Rome » de Madeleine,

de même, aussi, que dans la décision _ parallèle, à Brooklyn _ du double renoncement _ définitif, provisoire ?.. Mais pour Nina aussi, comme pour Maddi, tout reste ouvert au final : « pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être« de Nina de quitter son mari Brian, à New-York, et de « retourner à Rome« , comme elle l’avait envisagé, disait-elle à sa sœur (« je pense rentrer à Rome, j’y pense vraiment« , tel que le citait la narratrice, Madeleine, à la page 104 du récit ;

avec le complément, aussi, de cette réflexion, alors, à ce moment, de Madeleine :

« Pour moi, les géographies sont des choix inébranlables, pour Nina, des transits provisoires, des hypothèses prêtes à se muer en d’autres accostages _ ici, et pour Nina, de New-York-Brooklyn à Rome, par exemple _, en de nouveaux ancrages temporaires« …) _ mais y a t-il vraiment du définitif et du complètement solidifié pour Maddi elle-même ?..

Même si, et c’est capital, le final du récit demeure, lui, ouvert :

« Je _ Madeleine _ vais lui _ Nina _ demander si elle peut m’accueillir à New-York, quelque temps, chez eux : mais pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être« …

Ainsi la carapace protectrice-défensive indurée de Maddi-Madeleine s’est-elle finalement un peu entrouverte, à Rome…

Quant à Nina, et toujours en ce même dernier chapitre, et  à la page 243, voici ce qu’elle confie à ce même moment, au téléphone, depuis Brooklyn, à sa sœur Maddi :

« Il y a des trains _ ou Kairos… _ qui ne passent pas souvent dans une vie : il s’agit de savoir ne pas les rater. (…) Des arguments qui m’ont convaincue d’essayer encore _ voilà _ avec Brian. Ce n’est pas le moment de lâcher. Après tellement de temps ensemble, je dois essayer de ne pas tout envoyer balader, tenter, au moins…« .

Si les chapitres du roman ne comportent pas de titres,

le récit se trouve partagé en 4 grandes parties, de longueurs assez inégales, et aux intitulés assez parlants :

1) « Les courants » _ affectifs et pulsionnels, basiques pour la formation des personnalités… _ (pages 13 à 89)

2) « Les additions » _ de liens inter-personnels, avec leurs poids et indurations… _ (page 93 à 190)

3) « Les départs » _ d’abord géographiques : pour Paris et pour New-York… _ (page 193 à 212)

et 4) « Occasions » _ au pluriel, mais sans article ! Ou la croisée cruciale de Kairos... _ (page 215 à 245)

Et en voici le résumé :

Maddalena et Nina grandissent dans une famille dysfonctionnelle : leur mère _ Gloria Recabo, argentine vivant à Rome _ a quitté le domicile pour s’enfuir avec son amant _ Marcos, argentin, lui aussi _ tandis que le père _ Sebastiano Cavallari, Seb, romain des Castelli (à Genzano)… _ est obnubilé par son travail _ de photographe de mariages _ et incapable d’assumer ses responsabilités. Suite à une décision de justice, elles vivent seules dans une maison à Rome _  située à proximité du splendide parc verdoyant de la Villa Doria-Pamphili, dans le quartier de Monteverde _ sous la surveillance d’une gouvernante _ française, Mylène Roussel. Maddalena et Nina développent une relation fusionnelle.

ainsi que la 4e de couverture :

Que reste-t-il du lien que deux sœurs ont su tisser au milieu de l’enfance explosée, quand leurs parents se séparèrent et s’absentèrent ? Ce lien est celui de Maddi et Nina, la cadette, sœur intense, sœur jaillissante. Au côté de l’écorchée vive, Maddi a su se faire une carapace d’intelligence pour se retirer et observer _ telle sa petite tortue _ la vie sans jamais trop s’y exposer.

Mais, longtemps après, lorsqu’elle décide de laisser un temps _ une petite semaine de « vacances romaines«  _ sa maison parisienne, ses deux enfants _ Valentina-Val, et Samuel-Sam _ et son couple forteresse-tendresse _ qu’elle forme avec son cher mari à la « belle voix claire et vibrante«  Pierre, diplomate à l’Unesco _, pour revenir sur les lieux de son enfance, Maddi sent que sa carapace se fendille et qu’un équilibre _ de paix lentement gagnée  _ menace de se rompre. Tout le passé resurgit, les lumières déchirantes de Rome, Mylène la gouvernante athlétique _ française, originaire de Nantes _, les espérances, les leçons, les duretés et ce lien avec Nina plus fort que l’amour.

Que faire alors d’une carapace ? de deux ? Et les carapaces vieillissent-elles ? N’interdisent-elles pas les caresses ? Et puis, apportent-elles la paix ? _ cette paix qui n’est pas simplement l’absence de guerre, mais bien la concorde, l’union vraie et profonde des cœurs, comme nous l’apprend Spinoza…

Parce qu’il est le roman des sœurs, Sous ma carapace est celui des femmes dans le temps des fidélités _ et rencontres : oui, c’est bien cela.

Et fidélité au soi-même aussi : à découvrir peut-être, et en cherchant pas mal (sans rechercher cependant, surtout pas !), en apprenant à accueillir, plutôt même que saisir, au passage, seulement, tellement c’est fragile et délicat en la rareté de sa pure et si frêle beauté… Une grâce assez difficile, mais pas non plus impossible, à retenir, soigner, entretenir et cultiver…

Le principal du secret de l’art de vivre une vie vraiment humaine heureuse étant bien là.

Un livre passionnant, subtil et infiniment délicat

d’une très belle et fine écriture (et traduction) !!!

Ce vendredi 28 avril 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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