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Langage de la parenté versus jeu contingent des affinités, ces alliances de différences : un éloge du nomadisme et de la créolisation, à la Edouard Glissant, par François Noudelmann dans « Les enfants de Cadillac » ; soient un regard depuis New-York, pour François Noudelmann, et un regard de sa tour bordelaise, à la Montaigne, pour Titus Curiosus – Francis Lippa…

25mai

Ce jeudi 25 mai,

je poursuis pour le cinquième jour ma quête de ce que je caractérise, en lisant, dans l’enthousiasme, cette pépite et ce trésor, qu’est, de François Noudelmann, son « Les enfants de Cadillac« , comme une prise de conscience progressive, par l’auteur, au fil de ses découvertes, recherches, puis re-découvertes, d’une vie mouvante et émouvante, sienne, de « tensions entre affiliations (et plus encore désafilliations, ruptures, coupures, fuites, départs, déplacements, éloignements…) et un jeu contingent et ouvert, renversant, d’affinités de rencontres, alliances de différences (nourrissantes, greffantes et métamorphosantes, bien plus que de ressemblances fermées et fermantes, aliénantes), ou les routes et déroutes d’un homme (et « amant à double vie« , dit-il aussi...) plus libre« …

Cf donc la continuité de mes articles précédents :

_ du dimanche 21 mai : « « 

_ lundi 22 mai : « « 

_ mardi 23 mai :  « « 

_ et mercredi 24 mai : « « 

De fait, une autre logique que celle la plus attendue (de la part des généalogistes), se fait jour et se dessine très clairement, page 189 :

« Les généalogistes, obsédés par la continuité _ chaque génération succédant à celle (de ses parents) qui la précède, déjà génétiquement, même s’il n’y a jamais, et de loin, pure et simple duplication (clonage !) d’individus… _, sous-estiment le marrainage et le parrainage _ par lesquels filleuls et filleules empruntent, par certaines identifications souples et ludiques, bien d’autres traits que ceux directement reçus génétiquement, mais aussi culturellement, de leur père et de leur mère _, qui introduisent du jeu _ de la complexité, de la variété et des variations… _ dans la transmission _ qui est aussi, et pour une très bonne et large part, culturelle ; avec la richissime part des œuvres…….

(…) Il faut bien admettre que certains tuteurs et protecteurs ont nourri cet imaginaire parental, m’obligeant parfois _ plusieurs fois, donc ; pas seulement en quittant Limoges en 1976… _ à devenir un fils fuyant pour ne pas endosser _ tel que l’a endossé Énée quittant Troie en flammes… _ un Anchise trop pesant.

Grâce à eux, je ne suis pas resté dans le no man’s land _ asséchant et destructeur _ où me destinait le ballottage _ acté par le juge des divorces, en 1967 _ entre deux milieux _ celui du père et celui de la mère, chacun des deux bien mal remarié, un peu plus tard, aux yeux de leur fils François _ hostiles ou négligents.

Ces grands aînés, souvent professeurs _ oui, par exemple de Lettres ou de Philosophie ; et aussi de Piano… _, m’ont vu comme un chien perdu au milieu d’un jeu de quilles, et ils m’ouvrirent leurs espaces _ différents (et ouverts d’œuvres vraies et non factices)… _ et m’apprirent _ et c’est fondamental pour l’épanouissement de la personnalité en gestation en ce moment tendu (et souvent à vif) de changement de carapace, et d’éclosion de l’adolescence… _ la passion des œuvres _ un élément capital ! et assurément fondamental ! Même si beaucoup, et même la plupart, craignent et fuient les trop vives passions…

La première fut ma professeur de piano _ je regrette pour ma part que François Noudelmann n’honore pas son récit du nom de celle-ci… _, rencontrée quand j’avais dix ans _ en 1969, donc, et à Lyon où François résidait avec son père, seuls tous les deux, mais ensemble… _ parce qu’il fallait occuper mon temps libre, et qui me fit peu à peu découvrir la musique et bien d’autres choses aussi essentielles, une fois l’adolescence venue. En termes de transmission, elle tiendrait une place majeure dans l’arbre.

(…) Et le dernier, emblématique de ces pères qu’on pourrait dire supplétifs, annexes, cooptés ou assimilés : Édouard Glissant  _ Sainte-Marie, Martinique, 21 septembre 1928 – Paris 15e, 3 février 2011 ; cf le beau livre que François Noudelmann, qui a accompagné son parcours de 1999 à son décès en 2011, lui a consacré, en 2018 : « Édouard Glissant, l’identité généreuse« …   _  fut à la fois le théoricien et le praticien de ces relations imprédictibles, anti-généalogiques, refusant la vérité _ exclusive, réductrice, fermée _ de l’origine, des races et des racines, leur opposant le nomadisme et la créolisation _ ouverts aux grands vents, voilà.

(…) Combien d’autres paternités et maternités, fraternités et sororités sans liens de sang, agrégeons-nous pendant notre existence ?

Le langage de la parenté devrait _ ainsi _ céder _ dans les discours et représentations sociales les plus répandues, dominantes (et idéologiques) _ devant la force _ combien féconde, elle _ de ces adoptions incessantes et laisser place au jeu contingent _ ouvert et créateur, lui _ des affinités, ces alliances de différences _ nous y voici !, page 190. Ce concept d’« affinités«  étant crucial dans l’idiosyncrasie de François Noudelmann ; cf son tout à fait décisif « Les Airs de famille. Une philosophie des affinités« , paru en 2012.

Et il faudrait y ajouter non seulement ces libres cousinages humains, mais aussi des animaux, des livres, des musiques, des habitats, des voyageurs, des événements historiques et des malheurs intimes _ aussi, bien sûr, même si le discret et pudique François Noudelmann est loin de s’y attarder : il les floute plutôt, mais sans totalement les masquer ; car ce serait là mentir… Il faut et il suffit donc de bien le lire… _,

tout ce qui forme et déforme plus ou moins plastiquement _ un être, le nourrit _ et irrigue ; cf l’intuition de ma contribution personnelle, intitulée « Oasis (versus désert) », au « Dictionnaire amoureux de la librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 (celui-ci est paru aux Éditions Plon en octobre 2016) ; et cette contribution, je la donne à lire en mon article du 17 juin 2022 : « « , accessible ici _ comme une sève abondante _ oui.

Le hasard des rencontres _ avec le nécessaire concours, aussi, du malicieux (et terrible : son tranchant à l’égard de la pusillanimité et la procrastination étant implacable !) divin Kairos ; cf là-dessus mon article du 26 octobre 2016, comportant mon texte « Pour célébrer la rencontre« , qui constituait l’ouverture de mon essai de 2007 demeuré inédit « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni », à partir de ma lecture très détaillée du chef d’œuvre (bien trop méconnu) de Michelangelo Antonioni « Al di là delle nuvole« , en 1995 ; et mon analyse de sa riche genèse chez Antonioni ;

cf là-dessus les inestimables ressources des volumes publiés par Alain Bonfand aux Éditions Images modernes : « Le Cinéma de Michelangelo Antonioni« , en deux volumes (un volume de présentation, « Le Cinéma de Michelangelo Antonioni« , et surtout, bien sûr, les « Écrits«  d’Antonioni), en 2003 ; ainsi que l’indispensable lui aussi « Ce Bowling sur le Tibre«  d’Antonioni , en 2004… _,

et l’incitation à entrer sur des terrains que je pensais réservés _ socialement _ à d’autres, ont guidé mes routes et déroutes« , lit-on ainsi page 191.

On comprend ainsi comment je me sens personnellement pas mal d’accointances et affinités, déjà, avec ce que François Noudelmann dit ici de sa formation-construction de lui-même _ philosophique, littéraire, musicale, etc. _ et de ses cheminements…

..

Même si je n’ai, pour ce qui me concerne, nulle attraction new-yorkaise _ non plus qu’américaine… _ :

New-York, où le 29 avril 1892, à l’âge de 32 ans (il était né en 1860 à Entradam, alors en Hongrie, mais actuellement en Roumanie), est décédé Samuel Kahan, le grand-père maternel de mon pére, né lui en 1914 _ et c’est un vieux et très émouvant film muet (en yiddish), « Hester Street«  (de Joan Micklin Silver, d’après « Yekl«  d’Abraham Cahan, paru en 1896; cf ici la bande-annonce de ce film), vu, par hasard, au Festival du Film d’Histoire de Pessac, qui m’a permis de comprendre comment certains pères de famille juifs faisaient le voyage de l’Amérique, New-York et Ellis Island, afin d’y préparer la venue de leur épouse et enfants… Samuel Kahan est décédé assez vite après son arrivée. Son épouse et ses trois enfants, Fryderyka, Rose et Nison (né à Lemberg le 25 octobre 1983, et décédé à Haifa en 1949), sont ainsi demeurés alors en Galicie, à Lemberg ; et n’ont pas gagné New-York… Mais lui, Samuel Kahan, est inhumé à New-York. Et je descends de lui, je suis son arrière-petit-fils (né le 12 décembre 1947), via sa fille Fryderyka, ma grand-mère paternelle, et son petit-fils Benedykt Lippa, mon père… Et c’est par la cousine germaine Eva de mon père, fille du frère Nison de Fryderyka, Eva Kahan, épouse Speter (Budapest, 15 mars 1915 – Tel-Aviv, 2007 ; Eva a survécu à un passage à Auschwitz, en 1944 ; et en a laissé des témoignages !..) qu’un soir de juillet 1986, j’ai pris connaissance, au restaurant où elle dînait, de cet arbre généalogique familial galicien… De bref  passage à Bordeaux, et sachant que son cousin Benedykt avait fait ses études de médecine à Bordeaux, Eva Speter, de passage à Bordeaux, était tombée sur le nom de « Lippa » dans l’annuaire téléphonique de Bordeaux qu’elle avait voulu consulter ; et c’est ainsi qu’elle m’avait joint au téléphone : « _ Êtes-vous parent avec le Docteur Benedykt Lippa ? _ Oui, c’est mon père« , avais-je bien sûr répondu… De fait, mon père, lui même très sportif (il a pratiqué très longtemps le tennis ; et avait fait de la boxe en sa prime jeunesse ; il avait aussi appris le violon !), avait raconté plusieurs fois, non sans fierté, qu’il avait une cousine Eva qui, en sa jeunesse, avait été championne de natation, à Budapest : je connaissais donc l’existence de cette cousine Eva ; et c’est probablement une des raisons qui m’avait suggéré, en 1981, de donner le prénom d’Eve à notre seconde fille, née le 10 octobre 1981…Et plus tard, Eva, ainsi que son frère Andrew Samuel Kahan (né à Budapest le 28 février 1921), sont chacun d’eux venus d’Israël rendre visite à mes parents… 

L’épouse de Samuel Kahan, Sara Sprecher (Lemberg, 1860 – Lviv, 1937) _ les Sprecher, très aisés, possédaient plusieurs immeubles à Lemberg – Lwow… _, mon arrière-grand-mère paternelle, la mère de la mère, Fryderyka Kahan, de mon père, le Dr Benedykt Lippa (Stanislaus – Stanislawow – Ivano-Frankivsk, 11 mars 1914 – Bordeaux, 11 janvier 2006), était donc native de la même ville (Lemberg -Lwow – Lvov – Lviv) que Marie Schlimper (Lemberg, 1881 – ?, ?), la mère d’Albert Noudelmann (Paris, 24 juin 1916 – Limoges, 16 juillet 1998), et grand-mère paternelle de François Noudelmann (Paris, 20 décembre 1958)…

Pour ma part, je me sens _ culturellement, philosophiquement et humainement _ proche d’un Montaigne, et de sa lumineuse et si féconde tour, où je pouvais, enfant et adolescent, me rendre à pied dans la journée depuis le domicile familial de Castillon-la-Bataille ;

cette tour dans laquelle très sereinement, et très activement, par l’exercice inventif  de son très alerte penser _ ce que je nomme, en dialogue avec l’amie Marie-José Mondzain, son « imageance«  _, et surtout à l’écritoire de ses « Essais« , Montaigne (Saint-Michel-de-Montaigne, 28 février 1533 – Saint-Michel-de-Montaigne, 13 septembre 1592) _ une fois la si riche conversation effective de l’ami La Boétie interrompue : La Boétie (né à Sarlat le 1er novembre 1530) est décédé à Germignan, près de Bordeaux, le 18 août 1563… _ entretenait un dialogue quasi permanent et archi-vivant _ « tant qu’il y aurait de l’encre et du papier«  ! Et du souffle de vie en lui… _ avec les auteurs _ vivant à jamais dans l’éternité de leur plus vif penser _ des livres de sa bibliothèque, et des inscriptions de citations peintes par lui sur les poutres de sa « librairie », au second étage de la tour ; cf d’Alain Legros le passionnant « Essais sur poutres« …

Je suis donc _ en toute modestie, bien sûr : je ne me prends pas pour Montaigne !.. _ attaché à ma propre tour bordelaise _ avec ses rangées et piles de livres et disques ; mais dénuée de poutres… _, ainsi qu’à la librairie Mollat, et aux dialogues avec les auteurs (d’œuvres) avec lesquels j’ai la passion et la chance insigne de m’entretenir _  voilà ! _ très effectivement _ et pas seulement par la lecture et l’écoute active de leurs œuvres ; j’aime rechercher et découvrir de leur bouche même, en notre échange sur le vif, quels ont été et sont, selon eux, les « sentiers » même les plus secrets de leur création _ ;

cf ce catalogue-ci récapitulatif de podcasts et vidéos de mes entretiens : « « 

Et je me sens aussi pas mal d’accointances et affinités _ déjà philosophiques de fond, mais aussi littéraires : François Noudelmann adore et Montaigne et Marivaux ; si chers à moi aussi ; et musicales : François Noudelmann vénère Fauré, Debussy, Ravel, et Poulenc : moi de même !.. Pour ne rien dire de ses positions culturelles et civilisationnelles ; je les partage absolument aussi… _ avec François Noudelmann,

ne serait que par notre passionnée mélomanie, et notre attention singulière à l’écoute…

Ainsi que nos regards transversaux, à tous deux, sur le réel…

Et ici je renvoie à mon article programmatique qui a précédé, le 3 juillet 2008, l’ouverture de mon blog « En cherchant bien _ carnets d’un curieux« , le 4 juillet 2008 ;

avec un article intitulé, emblématiquement, et je n’y ai pas dérogé depuis, «  » : exemples détaillés à l’appui, il est très explicite ; le consulter ici

Et j’avais choisi d’en baptiser le signataire _ je désirais un nom d’auteur _ « Titus Curiosus« , soit quelque chose, en mon esprit, comme « petit curieux« ,

sans autre ambition que de m’essayer, en pleine liberté, à bien chercher à découvrir vraiment… ; et partager ainsi, par le blog, modestement, sans tapage ni compromission de quelque sorte, ces efforts d’un peu mieux penser, un peu mieux regarder, un peux mieux écouter, un peu mieux sentir et ressentir, les altérités _ en leur  plus authentique singularité et idiosyncrasie : distinctes, donc, et indépendantes de moi-même… Les approcher, simplement, d’un tout petit peu plus près : comme quand on aime vraiment.

« Former son jugement« , disait le cher Montaigne _ en le frottant et osant le confronter, sans timidité ni crainte, à ceux d’autres qu’on estime ou admire : en un dialogue poursuivi, via des œuvres que ces autres ont données et laissées, en une vivante libre interlocution éruptive et féconde, tenue et entretenue (et constamment revue) au présent, avec eux, dans la distance actuelle et exigeante de l’éloignement géographique ou/et historique, en une dimension de quelque chose qui s’apparente, et cela forcément en toute modestie (et avec un brin d’humour, et surtout sans présomption), à comme de l’éternité, dont le signe annonciateur ressenti est la joie… Ce que l’amie Baldine Saint-Girons caractérise superbement comme un « acte esthétique« , en son justissime et si beau « L’Acte esthétique« , pour déclencher et entretenir cette joie du plus vif et actif penser en soi-même : être vraiment vivant, au contact parlant de ces altérités chantantes, à recevoir, et auxquelles répondre, et avec lesquelles, oui, dialoguer vraiment. Et de fait cela advient, vraiment… Vraiment.

Ce jeudi 25 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

François Noudelmann questionnant les tensions entre affiliations, d’ailleurs diverses (pas seulement génétiques et généalogiques), et le jeu contingent et ouvert, renversant, des affinités de rencontres, alliances de différences : routes et déroutes d’un homme plus libre… Ou pouvoir devenir ce que je suis au-delà des pressions déterminantes et déterministes…

24mai

Ce mercredi 24 mai

en poursuivant ce dont j’ai à peine tracé les bases en mon article d’hier « « ,

j’aborde davantage le fond _ je dirai philosophique _ de la formation-construction progressive d’une identité personnelle généreuse, plus vraie et plus libre, via le jeu toujours ambivalent des rencontres, tel que le dégage peu à peu, ce jeu toujours un peu complexe et comportant une part d’indétermination, François Noudelmann en son « histoire » de ceux qu’il nomme « les enfants de Cadillac« ,

entre réclusion psychiatrique de « fous » à Cadillac en Gironde, avec sa Porte de la Mer donnant vers la Garonne _ la coquette et paisible cité ceinturée de remparts des ducs d’Épernon _,

et le mirage rose (« in my pink Cadillac« , chante Aretha Franklin… _ « Galvanisé par le rythme de sa chanson, je portai un toast à la vie, « L’Chaim » ! Je montai dans la Pink Cadillac d’Aretha et j’emmenai Chaïm sur la route, à travers des paysages dont il n’avait sans doute jamais rêvé « , et c’est sur ces deux ultimes phrass que se conclut, page 234, le récit des « Enfants de Cadillac« … _) américain, du côté de Detroit _ cité fondée par Antoine de Lamothe-Cadillac, le fondateur du Fort Ponchartrain du Détroit, en 1701,  _, qui peut aussi, en une adhésion un peu trop illusoire à sa « mythologie », mener à des impasses névrotiques, faute d’assez de déprise, recul et un minimum de détachement

La question de départ est ainsi posée, page 188 :

« À quelles expériences familiales doit-on ce que l’on est devenu ? Comment les désirs des parents, leur volonté d’acquérir une identité, une place, une réputation, se répercutent-ils sur les êtres qui leur succèdent ?« 

La réponse un peu élaborée qui suit, aux pages 188-189, dessine le contour du problème à un peu éclaircir, sinon élucider :

« Une biographie de soi ou des autres, unifie _ simplifie _ les événements et les inscrit dans une ligne _ un peu trop _ droite, avec un début, voire un archi-début, et une fin ; elle met en valeur les héritages _ générationnels _ et les arborescences. La généalogie _ parentale _ – tels sont sa séduction et son piège – fournit une cohérence et une continuité à _ trop _bon compte _ simplistes. Chaque individu s’y retrouve fils ou fille de, petit-fils ou petite-fille, descendant, héritier, légataire, qu’il poursuive la trace de ses ancêtres ou la conteste, le récit généalogique le maintiendra toujours dans ce rapport _ implacable _ à la lignée du sang ou du nom. La programmation _ voilà ! _, suivie ou contrariée, ordonne son parcours.

Et pourtant _ objecte alors ici François Noudelmann _, l’existence se fait et se défait sans cesse _ voilà ! _ au gré des accidents, des hasards et des imprévus _ au choc de l’ironique clinamen lucrétien _, du moins la mienne s’est-elle déroulée ainsi _ avec pas mal de disruptions et discontinuités… _, et me rend sensible aux greffes, transplantations _ hybridations _ et métamorphoses, plus qu’à la recherche de ressemblances _ entre générations, et que celles-ci soient génétiques ou culturelles….

Ce que je suis, si tant est que je puisse le savoir, tient surtout aux rencontres _ voilà ! _ qui ont déplacé mes goûts, mes paysages _ tant géographiques, culturels, que mentaux _, et mes horizons.

À l’expression « venir de » qui déclenche la narration biographique _ attendue _, pourrait se substituer celle de « tomber sur » qui ouvre l’avenue à _ et l’advenue _ des bifurcations, des carrefours et des transferts : sur qui êtes-vous tombé ? Sur quoi, pour avoir suivi ce chemin? demanderait-on _ sensible, pour une fois, aux surprises et inattendus plus singuliers du non anticipé.

Comment suis-je tombé sur une sonate de Prokofiev pour comprendre qu’on pouvait vivre dix fois plus en jouant du piano.

Comment suis-je tombé sur Les Nourritures terrestres et Aurélia, deux livres qui m’ont fait découvrir, vers seize ans _ en 1975 _ qu’un livre pouvait apprendre à voir, à sentir et à rêver ?

Ces rencontres de hasard ont provoqué des enthousiasmes  _ voilà ! des trouées magiques élévatrices dans la forêt noirâtre de l’ennui du sempiternel convenu attendu _, orienté des choix, entraîné des relations, déjouant _ voilà, avec humour _ la logique des héritages. Elles relèvent de l’option et de l’adoption » _ voulus et assumés comme tels : des nutriments surprenants, et à saisir, Kairos aidant, à l’improviste et improvisation de la liberté vraie, par conséquent.

Voilà qui est fort, et tellement juste !

Ce mercredi 24 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Aborder l’hyper-finesse du penser de François Noudelmann, avec trois vidéos d’entretiens de l’auteur, deux articles miens de 2009, ainsi qu’un échange de courriels avec François Noudelmann en date des 28 et 30 mars 2009…

21mai

En quelque sorte en avant-propos à l’article que je m’apprête à proposer de mes lectures _ j’en suis à la troisième ! _ plus qu’enthousiastes de « Les Enfants de Cadillac« , de François Noudelmann,

qui vient de reparaître en édition de poche _ soit le Folio n° 7228, achevé d’imprimer le 30 mars dernier, et en librairie le 4 mai dernier, la première édition était parue le 19 août 2021, et je ne l’avais pas vu passer !.. _,

avec ce résumé :

Les destins du grand-père et du père de l’auteur. Chaïm est né en 1891 dans une famille pauvre de Lituanie et s’engage dans l’armée française en 1914. Il est grièvement blessé et finit sa vie dans une institution psychiatrique à Cadillac, en Gironde. Albert, son fils, est prisonnier en Allemagne en 1939. Il s’évade et regagne la France en manquant de se faire arrêter plusieurs fois.

« Le silence qui recouvre l’histoire de cet homme-là vient moins de la honte d’avoir un ancêtre fou, suscitant la peur d’une tare héréditaire, que d’une profonde mauvaise conscience de l’avoir abandonné. »

En 1911, fuyant les persécutions contre les Juifs en Lituanie, Chaïm, le grand-père du narrateur, s’engage dans l’armée française dans l’espoir d’obtenir la nationalité. Blessé par une bombe chimique pendant la Grande Guerre, il passe vingt ans interné et meurt dans l’anonymat à l’hôpital psychiatrique de Cadillac, en Gironde. En 1940, Albert, le père du narrateur, est à son tour dénoncé comme Juif. Après la libération des camps, il rejoint la France à pied depuis la Pologne, au péril de sa vie.

À travers cette bouleversante épopée familiale, François Noudelmann nous emporte dans les tumultes des deux conflits mondiaux et rédime les « fous » abandonnés par la France.

je me propose de donner ici même en liens trois très riches et passionnantes vidéos d’entretiens, en date du 7 juillet 2020, intégrées toutes les trois en un article unique pour ABCpenser.com , sur une idée de Philippe Petitintitulé très justement « Qui êtes-vous, François Noudelmann ? – Ma vie a été une suite de rencontres« ,

que voici :

_ « Qui êtes-vous, François Noudelmann ? » (22’21)

_ « Écouter » (28′ 51)

_ « Affinité » (25′ 05)

Bien à tort qualifié de « roman » par l’éditeur _ rien de fictif, ni même de romanesque, ici... _« Les Enfants de Cadillac » est un pur chef d’œuvre d’humanité la plus vraie qui soit _ et en toute la vaste pluralité de ses gammes et feuilletage merveilleusement analysé de ses dimensions… _, comme il en est hélas bien peu.

Avec aussi, de ma part, un renvoi à deux articles que j’avais consacrés à François Noudelmann et son splendide « Le toucher des philosophes : Sartre, Nietzsche et Barthes au piano« ,

celui du 18 janvier 2009 intitulé « « ,

et celui du 5 avril 2009 intitulé «  » ;

ce dernier mentionnant aussi un échange de courriels entre François Noudelmann et moi-même, en date des 28 et 30 mars 2009, que j’ai grand plaisir à reproduire ici même :

En tout cas,
le petit mot amical de François Noudelmann
à mon envoi d’articles de mon blog « En cherchant bien«
m’a fait très plaisir.
Et c’est de lui que je retiens ce mot même d’ »énergie » :


De :      Titus Curiosus
Objet :     Écriture et musique
Date :     28 mars 2009 07:48:48 HNEC
À :       François Noudelmann

Au delà du plaisir de découvrir que votre « Toucher des philosophes  » vient de se voir récompensé
du « Grand Prix des Muses« 
_ déjà un bien beau nom ! _,
je me permets de vous adresser cet article « Rebander les ressorts de l’esprit (= ressourcer l’@-tention) à l’heure d’une avancée de la mélancolie : Jean Clair »
à propos du dernier volume du « Journal » de Jean Clair
« La Tourterelle et le chat-huant« ,


car une remarque de Jean Clair fait état de l’importance pour lui
de la musique
pour s’aider à « écrire plus juste« …
J’ai conclu mon article sur cette note (et le rappel de votre livre).


Bien à vous,
Titus Curiosus

Et la réponse de François Noudelmann :

De :       François Noudelmann
Objet :     Rép :Écriture et musique
Date :     30 mars 2009 08:41:55 HAEC
À :      Titus Curiosus

Merci beaucoup pour ces informations et vos textes. Quelle énergie vous avez, c’est impressionnant ! J’aimerais avoir le secret de ces “ressorts”…
Amicalement, François

Voilà qui fait bien plaisir… Les « bouteilles » (à la mer) atteignent parfois les rivages ;
et même les courriels leurs destinataires…
C’est (presque) à ne pas en revenir !..

Et encore avec cette courte vidéo (de 3’30) pour la Librairie Mollat de présentation par François Noudelmann lui-même, le 7 août 2021, de ces (ou ses) « Enfants de Cadillac« …

À suivre, donc…

Ce dimanche 21 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin

16fév

Après un très riche « Berlin chantiers _ un essai sur les passés fragiles«  (aux Éditions Stock, en mars 2001)
_ dans lequel à la manière de Walter Benjamin, elle nous propose, comme elle l’écrit, des flâneries qui recomposent une ville en pleine mutation à travers une réflexion sur la mémoire et l’oubli :
« Je suis, avant tout, un flâneur sociologique. Je propose ici des balades, aussi bien dans l’histoire que dans l’espace urbain, dans le discours social que dans la littérature. Flâneries mi-théoriques, mi-descriptives, déambulations dans mes lectures et mes lieux, dans Berlin… » _ ;

et « La mémoire saturée«  (toujours aux Éditions Stock, en mars 2003), une saturation trop proche de l’oubli dans ce que pareille mémoire _ pas assez intime, personnelle ; mais « officielle » _ risque d’avoir de figé,

Régine Robin poursuit son exploration benjaminienne
et du devenir des (très très) grandes villes du monde ;
et du devenir de la « flânerie » du promeneur

_ pas du touriste, ou de l’homme d’affaire (« ni Venise, ni Dubaï, ni Shanghai« , conclut-elle son livre, page 377 : « et pourquoi pas Montréal ?« , où elle a choisi de résider…) _,
avec « Mégapolis _ les derniers pas du flâneur« , toujours dans la belle collection que dirige Nicole Lapierre, « un ordre des idées« , aux Éditions Stock, donc, ce mois de janvier 2009.

La « quatrième de couverture » me semble assez parlante
pour que je la reproduise ici,
avant de me livrer à ma propre-lecture-commentaire ; puisque je suis aussi un amoureux passionné de certaines villes…

Voici :
« J’habite une mégapole depuis ma naissance _ Paris, où Régine Robin est née en 1939 _ et depuis ma naissance la ville m’habite _ poétiquement _ ; depuis ma naissance, la ville me dévore _ un peu monstrueusement : forcément, une ville, ça « marque » ! _ et je dévore _ avec un joyeux appétit (presque d’ogre, toutes proportions gardées, forcément) _ la ville. Pour moi, elle n’est pas un objet _ à portée de mains, et d’instrumentalisation _, mais une pratique _ plurielle : des pieds (qui arpentent), des yeux, de tous les sens convoqués et passionnément activés _, un mode d’être, un rythme, une respiration _ du corps _, une peau _ en émoi _, une poétique«  _ pour sûr ! A la Hölderlin : « c’est en poète que l’homme habite cette terre«  (et ces villes : humaines-inhumaines…). Ou « la ville comme autobiographie«  (page 28).

Régine Robin, poursuit la « quatrième de couverture », nous fait ici partager son amour _ et c’est un euphémisme _ des grandes villes, ces cités monstres, mutantes, aux contours indécis.
Infatigable
_ la vie est éphémère _ et passionnée, elle les parcourt _ de ses pas _, s’y attarde _ c’est nécessaire pour les connaître un peu (au-delà des clichés-écrans qui nous les dérobent : « volent » !) _, s’y égare parfois _ et c’est un charme précieux…

Dans ses déambulations, tout la fascine, l’authentique et le toc _ en voie de multiplication, mondialisation commerciale (et numérisation) « poussant »… _, les néons ou la lumière d’un couchant _ à Los Angeles, par exemple _, le monumental comme l’atmosphère d’un coin de rue, la mélancolie d’un quartier déglingué, et les rubans enchevêtrés des échangeurs routiers _ à Tokyo, par exemple, où ce « feuilletage » semble le plus dense…

Nouvelle flâneuse de la postmodernité
_ du XXIème siècle _, elle nous entraîne _ déjà quelque peu « migrante » elle-même… _ ainsi de Tokyo à New-York en passant par Londres, Los Angeles et Buenos Aires, dans des périples improbables _ heureusement ! que de découvertes ainsi ! _ et des circuits insolites _ au gré des « programmes de découverte et exploration (ludiques) de la ville » qu’elle-même se donne : un peu à la Georges Perec…

A Londres, la surprise est au bout _ vers la campagne _ de chaque ligne de métro ;
à Los Angeles, Harry Bosch, l’inspecteur de police des romans de Michaël Connelly est un guide imprévu ;
à Buenos Aires, la réalité rejoint la fiction des films de gangsters lors d’une tentative d’enlèvement à main armée
_ à laquelle la voici, à son corps défendant, malencontreusement mêlée : les balles sifflent ! _ ;
à Tokyo, le virtuel se confond
_ impérieusement ! _ avec le réel, dessinant un paysage fantastique.

Car ces balades urbaines sont aussi des voyages
_ mentaux (et poétiques) _ entre imaginaire _ collectif, aussi bien qu’intime et éminemment personnel (ainsi les péripéties de l’enquête, à Buenos Aires, sur les traces d’un « secret de famille« , concernant Haim Eiserstein , grand-oncle paternel, devenu Jaime Tiempo, pages 308 à 317… _, littérature et cinéma _ très présents, en effet : et qui peuvent être d’excellents médiateurs de compréhension sensible, face aux clichés-écrans qui, de par le monde, colonisent les imaginaires…

« Je suis un travelling permanent », affirme celle qui arpente inlassablement les mégapoles de notre temps« 

Et maintenant,
ma propre lecture de
« Mégapolis« …

« Je ne suis que dans et par les villes, mais elle me fuient, je les aime parce qu’elles m’échappent constamment« , dit Régine Robin page 11, en son chapitre d’introduction, « L’Amour des villes«  : on ne parvient jamais à en faire tout à fait le tour, à les étreindre complètement _ sans compter qu’elles ne cessent, et combien rapidement, de changer aussi (un peu, à la marge)… « Ni archéologie, ni hiéroglyphes, la vie comme une déambulation urbaine«  ; au milieu de tous ceux qui, eux aussi, se déplacent d’un lieu à un autre (de _ ou au dehors de _ cette ville) ; et portent quelque chose de l’air de cette ville ; en un échange de « bons procédés » (du moins quand la ville est positivement inspirante, en vertu du (bon) « génie du lieu »..


« Une image pour chaque ville comme un immense collage. Budapest, c’est une longue marche dans les feuilles mortes sur l’île Marguerite ; Prague un bruit de tramway brinquebalant dans une banlieue triste _ oui ! _, Vienne, une odeur de café dans une ruelle, Berlin, le silence autour de la synagogue reconstruite de l’Oranienburger Strasse. Il y a aussi le clapotis de l’eau au détour d’un pont, à Venise, près de l’Académie, la couleur du ciel au crépuscule à Buenos Aires, et les matins de givre, à la Bruno Bakery dans le Village, à New-York » _ liste à laquelle j’ajouterai, personnellement, la splendeur des platanes en montant vers Haghia Sophia, à Istamboul ; et les pavés des venelles autour de Campo dei Fiori, à Rome… Ou quelque balcon _ splendide dans sa simplicité _ sur le Tage, à Lisbonne…

« Mais comment entre-t-on dans une ville, comment débarque-t-on dans une ville inconnue ? _ question que je me suis maintes fois posée, et avec quel plaisir, quand j’ai eu à faire découvrir Rome, et Prague, et Lisbonne... C’est la question qui obsède Olivier Rolin _ dans son spendide « Sept villes«  (aux Éditions Rivages, en février 1988) _ à la rencontre de sept villes qu’il a aimées :

« Mais par où commencer ? Par le centre, comme tout le monde ? La jalousie de la passion souffre de cette promiscuité. Par la périphérie ? C’est tout de même frustrant. Et d’ailleurs, quel principe d’investigation adopter ? Progresser en spirale ? Carré par carré ? On se convainc vite que cette méthode est impratiquable. Reste alors l’empire du hasard : prendre une ligne de métro et descendre à toutes les stations, ou à une station sur deux, ou à toutes celles qui commencent par l’initiale du prénom de la femme aimée, etc. »

La solution qu’il choisit est de s’en remettre aux hasards des parcours littéraires : chercher à Prague tous les lieux, les domiciles de Kafka ; à Dublin, ceux de James Joyce ; à Lisbonne, ceux de Pessoa. Pourquoi pas ? _ pour ma part, j’avais choisi de faire découvrir Lisbonne à travers le « Traité des Passions de l’âme » d’Antonio Lobo Antunes ; et Rome, à travers « Entre nous » d’Elisabetta Rasy _ ainsi que Naples, à travers « Je veux tout voir« , de Diego De Silva ; mais ce dernier projet-là, lui, ne s’est pas réalisé… J’avais aussi, dans mes cartons, la Trieste (et environs) de « Microcosmes » de Claudio Magris ; et l’Istamboul d’Orhan Pahmuk (par son « Istanbul _ souvenirs d’une ville« )…

On peut aussi entrer dans une ville en tombant amoureux de son plan, de sa forme, du tracé de ses rues et de leur nom« , page 14.

« Entrer dans la ville encore par quelques facettes insolites. Un jour, une de mes amies, tout juste arrivée à Istanbul et ne sachant pas comment « l’entamer », était allée voir un ami _ la seule adresse qu’elle avait manifestement _ qui tenait une petite librairie francophone dans un quartier reculé. Il lui montra une étagère sur laquelle il avait regroupé des romans policiers de langue française dont l’intrigue se passait à Istanbul. C’est comme ça qu’elle a vu la ville, en suivant les personnages, leurs itinéraires, dans un Istanbul qui n’avait rien de touristique _ ouf ! _, m’a-t-elle expliqué en souriant, sachant que j’allais apprécier le propos » _ mettre ses pas dans les pas (poétiques) d’autres (qui ne soient pas des commerciaux), page 15…

« Désir d’arpenter _ oui ! _, d’explorer _ oui, encore ! _, de flâner _ prendre tout son temps, c’est capital ! (et malheur aux pressés ! ils vont passer à côté du « principal » : à réveiller, telle une « belle-au-bois-dormant », dans les détails !!!) _, de parcourir _ de long et en large _, de monter et descendre _ dans tous les sens _ des avenues, des rues

en bus, en tramway, en trolley,

désir de traverser _ vraiment la ville _ en métro, en taxi,

de filmer, de photographier _ pour ceux qui le souhaitent : pas moi ! je préfère le pari fou et flottant de la mémoire… _,

de voir des films dans les grands cinémas ou des cinémas de quartier _ quand on demeure un temps certain dans une grande ville _,

de rester au fond des bistrots  _ ou aux terrasses de café, s’il y en a… _,

de rencontrer _ surtout ! _ des gens,

de vivre _ soi-même aussi, par capillarité _ de cette pulsation, de ce rythme _ un point fondamental : cette respiration-souffle de la ville ! _ de la mégalopole,

d’expérimenter, de « performer » _ absolument : Régine Robin retrouve ici les concepts cruciaux d' »acte esthétique » et de « Homo spectator » de mes amies Baldine Saint-Girons, en son « Acte esthétique » ; et Marie-José Mondzain, en son « Homo spectator » : deux ouvrages irremplaçables pour mieux ressentir les enjeux civilisationnels (si décisifs pour notre avenir collectif d' »humains non in-humains« ) de la perception et de l’être-au-monde aujourd’hui !.. _ page 18.

Survient alors

_ en la première partie du livre, intitulée « Vers une poétique des mégapoles«  _

une inquiétude, suggérée à Régine Robin par une réflexion de (l’ami) Bruce Bégout, à propos de son « expérience de Las Vegas«  (in « Dans la gueule du Léviathan. Mon expérience de Las Vegas« , in « Fantasmopolis. La ville contemporaine et ses imaginaires« , aux Presses universitaires de Rennes, en 2005, page 31 :

« Que voit-on exactement _ mais la justesse (et vérité) du regard est-elle exactement affaire d' »exactitude » ?.. _ quand on traverse une ville, qu’on y séjourne, que ce soit pour une halte brève ou pour un long moment ? A cette question _ de l’acuité de la perception _ Bruce Bégout, qui s’est installé à Las Vegas dans un motel miteux à la lisière de la ville, jouant à fond le jeu de cette moderne Babylone, répond :

« Mais qu’ai-je vu ? Beaucoup et pas grand chose ; ou plutôt un « beaucoup » qui est un « pas grand chose » _ mais tout regard est nécessairement partiel, d’après un (leibnizien : monadique) point de vue ! Beaucoup d’enseignes, d’attractions, de machines à sous, de tables de jeu, de joueurs survoltés ou exténués, de serveurs aigris, moroses, ou tout simplement munis du sourire stéréotypé tout juste sorti du congélateur. Beaucoup de signes et d’images, de symboles et de spectacles. Beaucoup de bruits, de lumières et de secoussses. Beaucoup d’argent et de frime. Beaucoup trop de beaucoup » _ d’où le sentiment de la nécessité probable d’avoir (et pas mal !) à décanter et filtrer de ce « trop » là…


Ces propos me hantent _ confie alors, page 19, Régine Robin. Et si moi aussi dans mes périples urbains à travers le monde, j’allais voir « beaucoup trop de beaucoup » _ aveuglants et assourdissants : brouillant la perception ! _, sans savoir qu’en faire, sans rien assimiler » _ décanter et filtrer, donc.

Voici alors une réflexion cruciale, page 19 :

La poétique des mégapoles que je cherche à traquer _ voilà l’objectif méthodologique de ce livre tout simplement existentiel… _

n’est en rien une saturation _ cf le titre de l’ouvrage précédent de Régine Robin : « La Saturation de la mémoire« , en 2003 _ du regard.« 

Elle réagit alors à la provocation de sa propre question-inquiétude :

« J’aime les néons, les décors kitsch, le carton-pâte

et cette collision _ oui, elle aime les collisions ! _ entre le passé et le présent,

l’authentique et le pastiche,

le postmoderne et l’ancien » _ jusqu’à un peu trop (vertigineusement) s’en étourdir ? s’en soûler ?..

Mais : « Le trop-plein ne m’empêche pas de voir,

de penser,

de comparer _ soient les « actes æsthétiques » de l' »Homo spectator » actif ! et pas (trop) passif, ni dupé (aveuglé) ! _ ;

et je m’épanouis _ oui ! le ton est intensément jubilatoire ! _ dans ces excès et rencontres de contraires _ qui engagent à prendre la distance minimale critique d’un recul ; pour une focalisation lucide, même en bougé (cf le flou si justement éloquent, en son « dansé », de mon ami Bernard Plossu…

Et, en effet, « je m’intéresse aux villes monstres, qu’on ne sait plus comment nommer« , met bien les points sur les i Régine Robin, page 21 de ce chapitre introductif, « L’amour des villes« …

… »

Régine Robin revendique sa pleine liberté de « flâneur sociologique« , ainsi qu’elle l’écrivait elle-même dans « Berlin chantiers« , ou d’« écrivain indisciplinaire« , comme cela a été récemment écrit à son endroit, in « Une Œuvre indisciplinaire : mémoire, texte et identité chez Régine Robin« , ouvrage collectif paru aux Presses de l’université Laval _ coucou, l’ami Denis Grenier ! _ , à Québec, en 2007 : la précision est intéressante _ et je la fais (parfaitement) mienne aussi ; si je puis me permettre ce parasitisme parfaitement inopportun !

« Je me promène _ oui ! et Nicole Lapierre, la directrice de la collection « un ordre d’idées« , pratique elle aussi (cf son superbe « Pensons ailleurs« , paru en 2004) cet art de « se promener » aussi par l’écriture ! un art montanien !!! l’expression est d’ailleurs « tirée » des « Essais » de Montaigne : « Nous pensons toujours ailleurs » (in « De la diversion« , Livre III, chapitre 4) _ entre les disciplines, les formes, les esthétiques, les textes et les images,

au courant certes de ce que les spécialistes écrivent sur le sujet,

mais sans être dans l’obligation _ universitaire ? _ de les suivre, d’adopter leur terminologie ou leur point de vue. Si ce livre s’appuie sur un certain nombre de lectures et de références,

il tente de les laisser à l’arrière-plan _ n’étant jamais que des outils _, de ne pas s’encombrer _ le regard, en voyage, doit être le plus alerte (fin et léger) et vif possible ! _ de leur cortège.« 

Quant au choix des mégapoles (à aller regarder),

Paris a été écartée « par trop grande proximité« , alors que Régine Robin veut « être une anonyme dans les villes, une ombre, une passante« . Elle veut « se laisser surprendre et ne pas avoir de souvenirs à chaque carrefour, à chaque station de métro, à chaque arrêt de l’autobus« , page 23.

Pourquoi avoir écarté « Le Caire, Lagos, Johannesburg« , « Istanbul« , « Bombay« , « Séoul« , « Jakarta« , et « surtout Mexico«  ; « São Paulo« , « Pékin, Shangai«  ? Parce que « il ne s’agit pas pour moi d’une étude exhaustive,

mais de rencontres existentielles, subjectives _ et donc assumées avec ce fort coefficient-ci ! existentiel-subjectif, donc ; gage de voie vers la vérité ! _, avec une mégapole,

d’une rêverie _ en partie, un peu _ ;

d’une expérience, d’une performance _ vécues un peu longtemps sur le terrain…

Et elle précise : « J’ai choisi des villes que je connaissais déjà, où j’étais déjà allée, parfois plus de quatre ou cinq fois pour de courts ou de longs séjours (comme à Buenos Aires, Los Angeles ou Londres), où j’avais vécu (New-York), où je pouvais comparer les impressions d’une première fois avec celles d’une deuxième (Tokyo).

J’ai choisi des villes dont je connaissais la littérature et le cinéma _ le filtre de regards d’artistes est rien moins qu’anodin ! et enrichit et l’exploration de la découvreuse-arpenteuse, hic et nunc, sur le terrain ; et le plaisir du lecteur !!! _,

où j’avais des amis _ c’est important : avoir à qui parler : manifester et échanger des impressions en s’adressant à quelqu’un qui vous répond vraiment _, quelques points d’appui,

où je pouvais être accompagnée, attendue, accueillie _ sans avoir à subir, trop frontalement et de plein fouet, la violence d’une solitude prolongée dans la jungle de la ville… Car « traverser les mégapoles, maintenir contre vents et marées la spécificité du flâneur, nécessite _ bien sûr ! _ quelques _ élémentaires _ précautions. Les mégapoles, même celles du « premier monde » génèrent _ en effet _ la peur. Le fait que je sois une femme entre deux âges, pas forcément une touriste mais une étrangère à coup sûr, une flâneuse insolite, n’est pas indifférent aux difficultés que je rencontre. Cela m’expose, me fragilise. Je dois à tous moments en tenir compte. Ces villes recèlent d’immenses zones de pauvreté, de même que des zones de crime ; et elles exigent un code _ à maîtriser _ pour s’aventurer hors des sentiers battus. A New-York, dans le métro, en 1974, j’ai failli me faire assassiner. A Los Angeles, un jour, dans l’autobus 20, le long de Wilshire Boulevard, un « fou » est monté et, sous la menace d’un revolver, a dévalisé tout le monde, à commencer par le chauffeur. Buenos Aires est une mégapole intermédiaire dans laquelle j’aime me promener ; pourtant, en 2005, en plein quartier chic de la Recoleta _ le quartier de mon cousin Adolfo Bioy Casares et de son épouse, Silvina Ocampo _, j’ai été témoin d’une tentative d’enlèvement à main armée, digne d’une scène de film de gangsters », page 24.

En ressort, page 26, « une poétique des mégapoles, une poétique de ces temps où l’aura nous a définitivement _ c’est la thèse de Régine Robin, américaine de Montréal _ quittés ; et où la reproductibilité technique, dans sa modalité _ benjaminienne _ de simulation, a fait s’évanouir l’original à tout jamais _ cela, cependant, doit se discuter : Régine Robin, un peu trop sociologue et pas assez philosophe, cédant un peu trop vite (à mon goût du moins !) à la pression (médiatitico-capitalistique, si j’ose dire) du « c’est ainsi ; et pas autrement » ; « il n’y a pas d’alternative » : peut-être que la toute récente crise financière (de cet automne 2008) va remettre (enfin !) à une plus juste place ces clichés dans le sens d’on sait (bien) quel vent !..

« Comme déambulatrice, comme flâneuse contre vents et marées,

touriste à mes heures mais touriste décalée _ presque tout le temps _,

sociologue

ou artiste,

photographe à d’autres moments,

je prends la mégapole comme elle se donne _ oui ! elle s’y confronte… _ : grandiose et terrifiante, métamorphosée,  excitante et méconnaissable quand on l’a connue il y a vingt ans, trente ans auparavant, souvent médiocre, banale, toujours complexe et fascinante.

J’ai aussi mes moments de nostalgie _ beaucoup à Buenos Aires, particulièrement, cette cité de « charme » _, mes coins-perdus-aujourd’hui-disparus,

mais je découvre que l’esthétique de la déglingue est une donnée fondamentale de notre temps qui n’est pas sans charme _ le charme, oui : un facteur décidément majeur (puissant !) tant des villes évoquées que de l’écriture qui les évoque ici, en ce « Mégapolis« 


Je sais que nous vivons dans un monde de réseaux, d’interconnexions, de déambulations plus semblables à des bandes passantes ou à des jeux vidéo qu’aux piétons et flâneurs des temps baudelairiens ; que l’ère digitale, les GPS, les écrans de contrôle, les téléphones portables, que tout cela est notre horizon,

mais je m’abandonne volontiers aux surprises du transit, des transferts, des flux, de la circulation _ sur l’ère de la vitesse, lire Paul Virilio…

Je cherche ce qui peut faire image des mégapoles aujourd’hui,

les montages et collages hétérogènes,

les perceptions subjectives

qu’il faut développer

pour créer de nouveaux langages, de nouvelles images,

sans succomber _ voilà le danger _ à ce que véhiculent, en permanence _ en un blitz-krieg terriblement efficace, à terme… _ les stéréotypes du marketing.


Je cherche, en un mot, les nouvelles « manifestations discrètes de la surface »,

à rendre compte de la transformation postmoderne des perceptions de l’expérience, des nouvelles formes de la ville sensible,

à traquer les fantasmagories et illusions d’aujourd’hui, induites par le fétichisme de la marchandise _ oui ! des « produits » comme des « services » _ dont l’envahissement est encore plus fort _ certes _ aujourd’hui que dans les années vingt.

Ce qu’il nous faut aujourd’hui,

c’est une transformation complète du regard _ selon d’autres rythmes _, une nouvelle façon d’appréhender les mégapoles,

ces villes qui, dit-on, n’en sont plus«  _ page 27.

A cet égard, le concept de « ville générique » que forge Rem Koolhaas est riche de significations, à bien le lire (pages 58 et 59) : elles « se caractérisent par la disparition progressive de leur identité. La ville générique, c’est ce qui reste quand on _ cherchez qui ! _ a éliminé la prévalence de l’histoire, de la culture spécifique matérialisée dans le patrimoine, dans son ensemble architectural historique« . Et si « il y a bien, presque partout _ encore… _ des centres historiques

dont certains ont été préservés,

d’autres réhabilités, plus ou moins restaurés, parfois reconstruits à l’identique

et qui sont voués au prestige, au tourisme _ une industrie substantielle, toutefois, dont on ne peut pas se passer de tenir compte, par conséquent (dans la logique gouvernante, du moins) _, au patrimoine _ hérité, tant bien que mal, du passé _ ils sont en voie de muséification ;

et la vie quotidienne s’en est presque retirée _ comme à Venise, la ville dont est maire le philosophe Massimo Cacciari.

Le reste, la vraie ville _ vivante et productive _, c’est la ville de plus en plus libérée _ l’expression n’est que trop significative ! _ du centre historique _ et de son poids (terrible) d’obsolescence (ou ringardise) face au postmodernisme !


La ville générique est souvent _ esthétiquement (et/ou humainement) ; mais qui, statistiquement, s’en soucie encore, en notre postmodernité performante ?.. _ médiocre, informe et interchangeable _ capacités (technologiques et autres) de délocalisations aidant… On la retrouve partout dans ses diverses fonctions _ qui (seules !) la légitiment _ avec ses centres d’achat _ ou plutôt de vente !!! _, ses logements _ il le faut bien ; pour certains, du moins… _, ses stations-service _ tant qu’il y aura des voitures, et de l’essence, et du pétrole, du moins, aussi ! _, ses parkings, ses cafés _ pour stationner un peu quelque part _, ses métros _ pour se déplacer ailleurs _, ses bidonvilles _ pour les « laissés-pour-compte » _, ses terrains-vagues et ses voies de circulation rapide qui souvent la parcourent et la traversent _ certains aimeraient bien qu’il n’y ait même rien que des flux…

En elle _ la ville générique selon Rem Koolhaas, donc _, très fréquemment, la distinction entre centre et périphérie s’estompe ; les centres prennent parfois _ carrément ! _ l’aspect de banlieues ; et les périphéries ou quartiers excentrés se dotant de simili-centres _ ces éléments de distinction-indistinction-là mobilisent toute l’attention de Régine Robin, en son exploration du Grand Londres, par exemple…

Elle peut _ mais c’est accidentel et fort contingent… _ ne pas manquer de charme, mais elle partage avec les autres un air de famille _ sans doute rassurant, si tant est que la métaphore de la « famille » convienne : mais il ne s’agit que d’un vague « air » ; et les familles sont re-composées !..

Elle est éphémère, modeste _ pas impressionnante : petite-bourgeoise, sans rien de proche qui lui soit trop étranger ! _, n’ayant pas été conçue pour durer _ tout passe, tout casse, et plus encore, tout lasse ! _ longtemps, contrairement aux anciens ensembles architecturaux du centre.

Elle est immense et complexe, diffuse, éparpillée, sans densité _ pas trop de proximité : laquelle confinerait par trop à de la promiscuité…


Ville de réseau _ et par là de passages _, et non plus uniquement de territoire,

elle apparaît souvent comme n’étant plus une « ville » (!), encore moins une ville « authentique » _ que d’incongruités, désormais, en notre postmodernité, page 59…

Mais aux page 81-82-83, en conclusion du deuxième chapitre, « la ville sensible« , de cette première partie du livre, « Vers une poétique des mégapoles »,

Régine Robin répond à l’inquiétude que peut susciter cette « ville générique«  (selon Rem Koolhaas) : « Faut-il craindre alors la généralisation de cette « mémoire générique » qui remplace la mémoire organique des lieux ? C’est encore Koolhaas qui suggère que

plus l’histoire disparaît de nos mémoires et de nos villes,

plus elle est célébrée dans des endroits spécialement construits pour _ hypocritement ? _ la mettre en avant, dans des quartiers hyperstylisés et hyperthéâtralisés,

de vrais décors qui génèrent une ville « déjà vue »,

la ville et son passé comme on « doit » _ désormais, et tout un chacun _ se les représenter.

Cette mémoire générique, cette mémoire recyclée

est notre imaginaire _ collectif, de propagande _ d’aujourd’hui, un imaginaire de synthèse _ c’est le cas de le dire…

C’est comme si l’on devait choisir

entre la pétrification (la muséification des centres)

et la production permanente de l’amnésie _ en sus des anesthésies galopantes ! déjà… _ par la reproduction du même _ et certes pas la découverte de (ou l’attention à) l’autre ! _ sur d’immenses espaces banalisés.« 

Cependant, poursuit Régine Robin, « il est peut-être possible de vivre la mégapole autrement _ pour quel pourcentage de population, toutefois ? Voici alors sa position : « Je ne crois pas _ c’est un acte de foi _ aux mémoires figées. Toute mémoire _ certes _ est déjà médiée _ mais par quoi ? et par qui ? et dans quels objectifs ? _, déjà sémiotisée ;

et l’image d’une ville, même quand elle se donne dans la « disneyfication », dans la caricature _ infantilisante : style « papa-maman » ad vitam æternam, comme cela s’entend désormais presque partout : « allo- maman-bobo !« ... _,

peut à tout moment être déstabilisée. Elle est toujours vacillante ; le regard la déconstruit.

Les villes génériques, ces polypalimpsestes, ces kaléidoscopes rendus à la banalité, ne changent rien à ce tremblé _ riche de potentialités ; poïétique _ de l’image.

Eviter avant tout l’écueil de la réification _ oui ! mais par quels moyens, par quels dispositifs de prévention ? Et de qui pareil « évitement » est-il donc l’affaire ? du sujet ? du passant, du flâneur ? du citadin ou du visiteur ? ou bien des architectes et urbanistes, et autres aménageurs, à tous égards, de la ville ?.. D’où surgit ce qui vient « résister » à la réification ?


Et Régine Robin d’évoquer alors « quelque menthe sauvage« , « même sur les façades les plus léchées« , « qui fera émerger tout à coup de l’inquiétante étrangeté«  _ mais pour qui ? _ ; « de l’ombre« , « quelques traces dont on a _ provisoirement ? _ perdu le sens, mais qui insistent«  _ vers qui ? _ ;

« quelques espaces vides, muets, qui fragilisent et déstabilisent le sens déjà là » _ mais pour qui ?

Quant à elle, Régine Robin _ mais qui n’est pas n’importe qui ; avec son histoire (et une culture) issue(s) de Pologne (et d’Europe ; dont Paris et la France) :

« J’arpente des villes qui ne se superposent pas tout à fait à leur plan, à leur forme, à leur rythme, à leur dynamique sociale,

des villes qui résistent toujours aux significations qu’on _ certains ? qui ont un peu plus de pouvoir (que d’autres) ? _ leur donne.« 


« Ainsi, les mégapoles, de transformations en métamorphoses, deviennent semblables au navire Argo dont toutes les pièces ont été changées, mais qu’on reconnaît malgré tout comme étant le navire Argo. Il ne me déplaît pas d’évoquer la mégapole comme un grand navire dont tous les quartiers ont été modifiés ; et qui part à la dérive…«  : comment interpréter et évaluer pareille « dérive » ?..

Le troisième volet de cette partie de présentation d’une « poétique des mégapoles« , s’intitule, assez historiquement : « du flâneur au nomade«  :

« Le flâneur avait été _ page 84 _ une figure fondamentale du grand projet de Walter Benjamin resté fragmentaire » ; cf « Paris, capitale du XIXème siècle« 

Régine Robin cite alors « Identifications d’une ville » de Dominique Baqué : « Plus de flâneur, mais la figure anonyme de celui qui traverse la ville.« 

« Certains, comme Stefan Morawski, pensent que la flânerie est encore possible lorsqu’on ne succombe pas à Disneyland, quand on se questionne et remet en question les fausses utopies, les univers paradisiaques de la consommation de masse _ tiens donc ! _, quand on résiste au simulacre. (…) Mais suffit-il de « résister » pour que le flâneur _ déjà mort !!! _ ressuscite ? Il semble que les ruses du simulacre soient incommensurables _ redoute Régine Robin : qui vit à Montréal ; et pas à Paris : le lieu d’où l’on écrit importe au diagnostic ; surtout en matière de « course à la postmodernité », dont nous sommes en permanence « abreuvés »…

La mégapole imposerait un autre tempo _ voilà ! Plus de _ baudelairiennes _ passantes, de regards brefs échangés _ quelle peine ! _ avec une inconnue, plus de saisie éphémère de l’instant _ et donc d’accès (spinozien : « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels«  _ dans « l’Ethique« ) à l’éternité ! _ ; seulement des anonymes _ sans regard, ni visage !!! _ traversant des lieux indifférenciés ; plus d’errants qui hantent _ un peu longtemps _ les rues ; d’ailleurs plus de rues, mais des esplanades, des espaces, des centres commerciaux, des surfaces » _ sans directions, page 87.

« L’examen du motel, du mode de vie qu’il implique, permet à Bruce Bégout _ dans « Lieu commun _ le motel américain » _ d’opposer le nomade moderne _ américain, d’abord _ au flâneur des villes européennes du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Le nomade lié à la civilisation automobile est un être « ambulant, errant sur les routes désertiques… sans destination ni passé ». (…) Rien ne s’oppose autant à ce nomade circulant que le flâneur qui arpente _ voilà le mot important _ les villes européennes compactes et denses, qui, même s’il joue _ oui ! _ de l’étrangeté, de la distance, de l’air blasé, comme le disait Simmel _ un autre grand ! _, se trouve toujours dans un environnement familier dont il voudrait se défaire _ si peu que ce soit… La rue est son lieu d’élection. Il est chez lui, quoi qu’il en dise. Ce qu’il cherche dans la ville où il a ses repères, c’est précisément à leur échapper _ un peu, les faire « jouer », leur donner quelque peu du « tremblé » _, à se sentir autre, à s’altérer _ s’augmenter d’une part d’autre, où il soit davantage (et un peu mieux) lui-même ; et avec d’autres que lui… Il est en quête _ et pas le nomade : lui ne recherche rien ! ni lui-même, ni quelque autre personne ; de « personne », d’ailleurs, si je puis dire, il n’y a plus… pfuitt… ; le désert tout efface… _ de l’incongru, de ce qui est en marge, de ce qui vient rompre _ un peu _ la _ trop grande ; et pesante _ familiarité des lieux. Le flâneur se laisse dériver, flotter, parce qu’en fait il a la _ relative, fluctuante, délicieusement tremblotante _ maîtrise du processus _ oui ! Il ne peut _ ni ne veut _ s’abstraire de son environnement _ ils se nourrissent mutuellement _, de son esthétique du choc _ minimal _, de son goût de l’inattendu _ heureusement surprenant. Il poursuit, dit Bégout, ce que le véritable errant fuit. (…) C’est lui qui est en état d’hypnose, jamais le flâneur. Loin du savoir raffiné de ce dernier, c’est un analphabète urbain _ au secours, les GPS !!! Ce n’est pas auprès de lui qu’on trouvera une psychogéographie de la ville, ou quelque dérive que ce soit. (…) Bégout fait de ce nomade l’archétype de l’Américain perpétuellement en mouvement, non pas l’héritier entreprenant de la Frontière d’autrefois, mais l’homme qui n’étant nulle part chez lui, n’est que pure mobilité, toujours en partance, on the road ; et toujours dans un ennui _ abyssal ! _ qui n’a plus rien de mélancolique ou de romantique _ celui du rien (= nihiliste), pages 101 et 102.

Avec cette ultime notation, empruntée à « L’éblouissement du bord des routes« , concernant le travail de (l’ami) Bruce Bégout :

« Le beau texte de Bruce Bégout, après plus de cent pages de critique acerbe, se termine par cette confidence _ que semble partager Régine Robin _ : « Celui qui pense que j’agis de manière ironique et que je m’octroie les plaisirs faciles de la satire se méprend. Il n’a rien compris à ma démarche. Cette sous-humanité morcelée et esseulée, c’est moi. »

Commence alors la seconde partie du livre, avec les passionnants chapitres « Désir d’Amérique » _ « Le blues de New-York » et « Los Angeles la mal aimée » _ ; « Tokyo, la ville flottante » ; « Buenos Aires _ la ville de l’outre Europe » ; et « L’Europe aux nouveaux parapets : Londres« . Tous très différents, et idiosyncrasiques. Je n’en dirai rien ici, en laissant toute la surprise _ et la richesse de la découverte personnelle _ au lecteur du livre.

Cependant,

l’écriture de ce livre est antérieure à deux événements venant d’affecter un peu brutalement _ deux césures de l’automne 2008 _ notre identification du « réel », et, en conséquence, le « réalisme » :

la crise du capitalisme ultra-libéral _ et les récessions en cascade qui commencent à s’ensuivre… _ ;

et le remplacement de George W. Bush par Barack Obama, à la tête de la puissance (politique) américaine…

Comment va se comporter le « business »

en particulier en sa composante urbanistique ?

Still, as usual ?..

Quel va être le devenir des mégapoles ?

Nous allons bien voir ce qui ne va manquer d’advenir maintenant,

et de ces villes-monstres,

et de ces humains pas tout à fait encore in-humains

_ pour reprendre le concept de « non-inhumain » de Bernard Stiegler (dans « “Prendre soin _ De la jeunesse et des générations« ) _,

qui les peuplent, les traversent ; et parfois même _ ô incongruité ! _ les arpentent…

Dans tous les cas,

un livre passionnant que ce « Mégapolis » de Régine Robin : un très grand livre !!

où l’on découvrira beaucoup de cette regardeuse passionnée…

Titus Curiosus, ce 16 février 2009…

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