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Poursuite de ma lecture du tout récent Cixous « Et la mère pond vite un dernier oeuf » : maintenant un somptueux chapitre « La Fugitive », à propos de « son » Algérie quittée et à jamais revenante…

13nov

En poursuivant ma lecture enchantée du tout récent Cixous « Et la mère pond vite un dernier oeuf« ,

voici maintenant, aux pages 63 à 76, un somptueux chapitre intitulé « La Fugitive« ,

à propos des rapports d’une infinie complexité et richesse d’Hélène Cixous avec « son » Algérie, quittée à l’âge de 18 ans, en 1955, et à jamais revenante, pas seulement en son « rêvoir », sans qu’elle y soit jamais physiquement retournée, revenue :

une pure merveille !

« c’était moi, c’était elle, j’étais elle, j’étais zèle, j’étais soulevée, emportée par un zèle sans violence _ d’enthousiasme très vite, très tôt, quasi immédiatement, poétique et littéraire, à travers le tamis chamarré des diverses langues parlées et narrées, contées, voire chantées et ries à la maison même : ce que développera le très parlant texte-chapitre qui suivra un peu plus loin aux pages 94 à 112, tout admirablement en ce livre-ci s’ajointe,  et qui lui s’intitule « Max und Moritz, et ma mère _ Jedes lest noch schnell ein EI und dann commet der Tod herbei« … _, une tendresse folle, je désirais l’Algérie, mais jamais je ne m’en pris à elle _ elle était constamment là, omni-présente, mais aussi en même temps, étrangement et étrangèrement, constamment inatteignable parce que se dérobant aussi, en sa pourtant massive présence fuyante… _,  j’étais debout à l’entrée des rues, sur les places, et je la priais, je l’espérais, je la voyais passer dans le lointain intense d’une proximité inexorable, voilèe ou dévoilée, le voile ne la voilant pas à mes yeux mais plus exactement la promettant, mais jamais _ non plus vraiment _ accordée _ au sens aussi musical de ce terme : la dissonance résonne… _, voilà le portrait de mon enfance _ de 1937 à 1945 à Oran, puis de 1945 à 1955 à Alger _, la fugitive c’était elle, la fuie, moi ; mais on ne sait jamais en vérité qui fuit qui, ce qui me fuit je le poursuis, dans la poursuite le poursuivant est poursuivi par _ l’engrenage lancé et désormais inarrêtable de _ la poursuite, nul ne peut s’arrêter, toutes les chasses _ y compris la stendhalienne « chasse du bonheur » : l’expression a été déjà donnée à la page 41… _ le répètent sitôt le mouvement lancé le sort est jeté on chassera chassé chassée à jamais, demandez à Flaubert à Stendhal ou aux autres chasseurs, Proust…« ,

ainsi commence sublimement ce sublissime, magistralement éclairant lui aussi, texte-chapitre, à la page 63.

Et en suivant tout aussitôt, sur cette même page 63 :

« L’Algérie est mon sort jeté, j’étais sa poursuivante sa suivant fascinée, je l’ai aimée comme Rimbaud la beauté, elle me quittait, je voulais être assise sur ses genoux l’asseoir sur mes genoux, les mots je et nous n’ont jamais fait un seul mot » _ sempiternellement l’irréfragable douloureuse distance de la séparation à jamais incomblable.

Et puis, toujours dans la poursuite du même élan, ce qui suit, aux pages 63-64 :

« Pourquoi l’aimais-je ainsi d’un amour entêté, désolé ? Je voulais réparer _ suturer… _, je pensais qu’elle était ma mère ma sœur et que, comme dans un des contes de fées connus par cœur, elle le ne le savait pas, j’étais le vilain petit canard, le cygne noir, l’enfant transformé par un maléfice en autre bête, je comprenais qu’elle me méconnaisse, elle me prenait pour de fausses apparences elle me voyait française moi qui ne l’étais aucunement même de carte d’identité, j’étais une exclue dénationalisée dénaturalisée » _ ne serait-ce que du temps des lois scélérates du régime de Vichy, à partir de l’abolition le 7 octobre 1940 du décret Crémieux (en date du 24 octobre 1870), et avec le maintien un certain temps de cette législation anti-juive après le débarquement des Alliés en Algérie le 8 novembre 1942, et après l’assassinat à Alger de l’amiral Darlan le 24 décembre 1942 : leur citoyenneté française n’étant officiellement rendue aux Juifs d’Algérie que le 20 octobre 1943, presque un an après le débarquement allié, en grande partie sous l’influence du commissaire à l’Intérieur, André Philip ; de Gaulle ayant enfin écarté Giraud et obtenu la présidence exclusive du Comité français de libération nationale d’Alger et affirmé son autorité sur tout l’empire en guerre…

« C’était le Paradis croit mon frère je ne l’ai jamais cru, ce fut toujours l’envers _ enfer, infernal _, la sensation de « Paradis » je ne puis la recevoir jamais que dans la fatalité programmée de la perte. L’Algérie toujours déjà perdue, même pas perdue, déjà spectrale _ voilà ! et revenante en poursuivante à jamais suivante très proche, constamment à ses basques… _, déjà _ alors même en ces années d’enfance algérienne _ retirée, sans passé duquel faire mémoire, sans futur. Elle m’a donné les biens subtilement précieux : l’étrangeté _ étrangèreté _ natale, le sens sans douleur de l’inappropriable, l’expérience de l’inracinement _ expressions toutes très évidemment fondamentales _, je ne suis jamais identifiée aux identités, ni aux identifiés ni aux identificateurs _ enfermants. Le verbe être me fait toujours rire _ le rire étant un versant lui aussi fondamental de l’idiosyncrasie Hélène Cixous : sa façon shakespearienne, si l’on veut, ou encore kafkaïenne, Kafka riant bien sûr énormément, de recevoir, avec le poil de recul vitalement nécessaire, le tragique, dont le choc purement frontal sinon broierait-foudroierait sans recours : le rire-humour absolument incorporé faisant fonction de salutaire bouclier-parapluie-paratonnerre en Hélène…) _, que dire de je suis ou de je ne suis pas je ne les supporte qu’interrogés _ dédoublés en leur indéfectible complexité… _, courbés sous le vent, ou conjuguant le suivre et la poursuite » _ tout cela, bien sûr, absolument crucial et fondamental…

« D’où, peut-être, ma résistance, vaguement perçue _ très tôt _, à l’idée de Retour. Un mot néfaste _ vecteur d’illusions fourvoyantes… _connoté de la tragédie-Israël. Comme si l’on avait eu lieu.« 

« Je crois à l’Odyssée sans Ithaque. On part _ seulement, et c’est tout ; on ne fera jamais, sans cesser, que partir. Je crois à la puissance _ marqueur indélébile _ du bord de départ _ ici cette Algérie quittée. Je viens de. Je veux venir de. Je viens d’Algérie _ Elle m’a donné les départs et je les ai pris » _ comme des dons infiniment précieux en leur richesse complexe formatrice.

« Je l’ai souvent décrit, en Algérie je vivais avec portail barreaux grilles entre mes côtés, je longeais les murs quand j’entrais c’était _ déjà _ la sortie _ qui toujours et immédiatement se profilait dans ce passage-tunnel du labyrinthe à affronter _, il n’y avait que cet arpentement des rues d’Oran et ces visions instantanément annulées de ce qui aurait pu être le dedans du cœur«  _ toujours dérobé.

« L’unique fois d’Oran _ quittée ensuite pour Alger en 1945, à l’âge de 8 ans, par Hélène _ où je fus dans un lieu arabe je fus perdue dans une vapeur épaisse et lourde où se mouvaient des jambes et des fesses inconnues en vain je cherchai ma mère, je me noyai dans les colonnes humides du bain maure _ voilà ! _, en bas de la rue Philippe. J’étais sous le charme maure. Curieusement, était-ce un tour d’homonymie déjà _ ah ! ce jeu-ronde-chanson des signifiants dont s’enchante et pour toujours Hélène ; et nous, à notre tour, en la lisant… _, j’ai toujours aimé ce qui était maure, j’y voyais une suprême élégance, ainsi des tombes, pures, discrètes qui tombaient et descendaient comme des mouettes les pentes parfumées de chaleur menant aux hauteurs des Planteurs _ à Oran, donc _, était-ce un penchant instinctif pour ce qui déjouait la mort en maure, j’aimai le café maure, et le mot _ voilà _ et par-dessus tout les mauresques toutes et chacune un peuple et une femme. Qui fut mon premier amour d’avant l’amour, Aïcha d’abord et tout de suite après au dam furieux de mon père, son icône insue _ alors d’Hélène enfant _, la poupée mauresque qui me tapa dans l’œil en 1946 rue Bab Azoum _ à Alger, cette fois. A défaut d’Aïcha, je voulus sa miniature. Je poussai des hurlements sauvages dans la Citroën que mon père conduisait d’une froide colère et malheureusement n’ayant pas lu encore _ en 1946 Hélène a 9 ans _, je ne pus expliquer le secret de cette scène enfiévrée ; nous répétions le drame orphique, derrière moi Eurydice mon père le divin irrité, moi avec elle dans le dos, et entre nous se creuse le temps mort.« .

« Mes premières ruines furent mes premiers trésors _ source de savoirs féconds sur le temps et ses admirables tremblements, la vie, la mort, ce qui survit ou pas, et flamboie au moins dans la pensée, l’écriture, et puis, en suivant, la lecture. Le mot « ruine » est à jamais scintillant des lumières _ de noces _ de Tipasa. Rien de plus beau. La beauté même, le sans _ éloignant, sinon privatif, et puis les plaies de cendres presque brasillantes encore _ de la coupure même, et sans deuil _ d’une douce et tiède nostalgie, sans nul chagrin de regret ici, mais consolante par l’éclat à jamais vivant de cette beauté justement…. Les ruines de Tipasa sont des joyaux, le contraire de la dégradation (du moins lorsque je les vis), dans l’alliance inouïe entre l’indégradable, l’élément ciel l’élément mer, terre et pierre respirant ensemble la mémoire et le temps.

Lorsque j’arrivai à Paris pour la première fois _ en 1955 ? un peu avant ? _, tout me parut ruine, autoritaires monuments du temps, châteaux des pouvoirs, donjons de résistance à la castration.

Quelque chose dans l’écroulement modeste et magnifique des ruines de Tipasa, la soumission au processus, c’est totalement humain.

Mais ceci est un rêve _ du rêvoir »…

« La réalité est la rage dan les villes et la rage dans les villages. Les rages ont toujours été là. Dans mon cœur comme dans les ruelles. Les rages 2001 _ entre aures celles des Twin Towers du 11 septembre, c’est dit  _ n’en sont que les filles. On a semé des meurtres. Il y avait en 1940 l’année où j’ai tout compris, si minime que je fusse _ à l’âge de 3 ans _, du meurtre et de la haine _ et donc du mal violent ! _ où que l’on se tourne. C’était une entre-tuerie.

Et je compris dès que je pus remonter l’histoire que la mort et l’humiliation _ voilà _ avaient été convoquées au berceau de ce pays _ qu’est l’Algérie.

On tue, on massacre, on recouvre les fosses, on bouche les grottes pleines de cadavres calcinés, comme si l’on pouvait faire taire les assassinés _ et c’est le contraire : leurs cris et leurs rages se perpétuent et s’amplifient ! _ en les bâillonnant de terre. C’est affreusement _ absolument _ ridicule.  Déjà Homère avertissait _ mais combien de politiques aujourd’hui encore lisent ou ont lu Homère ? On ne fait pas taire. Les victimes reviennent _ voilà. Toujours _ toujours… Elles mettent quarante ans à forer les couches de déni _ et c’est là l’affreux mauvais calcul de tous les dénieurs et menteurs.

Les ruines ruineuses et ruinées de l’Algérie elles sont là dans l’escamotage des massacres qui recommencent.

On a commis un grand péché initial dans ce pays. Partout où l’on fonde par violence pousse le sang pendant des générations.« , page 66.

Suivent 10 autres pages pour ce chapitre « La fugitive » dont je viens de lire ici seulement les quatre premières,

et qui au moins tout aussi admirables.

A suivre…

Ce mercredi 13 novembre 2024, Tutus Curiosus – Francis Lippa

Une curiosité Cimarosa (1749 – 1801) : la farce musicale en un acte « L’Impresario in angustie » (Naples 1786), en un CD Brilliant paru en 2018…

09sept

Le CD Brilliant 95746 « L’Impresario in angustie » par l’Orchestra Bruno Maderna di Forli sous la direction d’Aldo Salvagno _ enregistré à Milan en avril 2017 _ fait partie de mes trouvailles de soldes de CDs de cet été 2024…

Domenico Cimarosa (Aversa, 17 décembre 1749 – Venise, 11 janvier 1801) n’est guère aujourd’hui davantage qu’un nom d’un compositeur un temps à la mode, surtout en Italie, dont ont pu assister à quelqu’une de représentations des œuvres un Gœthe ou un Stendhal, qui en ont témoigné _ mais ceux-ci étaient-ils vraiment mélomanes ?..

Ainsi « L’Impresario in angustie« , une farce d’opéra en un acte, créée au Teatro Nuovo, à Naples, en 1786 dans l’esprit de « Il Teatro alla moda« , ce désopilant pamphlet paru anonyme à Venise en 1720, de Benedetto Marcello (1686 – 1739)…

Voici une brève vidéo (de 5′ 02) de son air d’entrée « Vè che matta, maledetta !« , interprété ici, en 2015, par Lea Desandré et les Arts florissants, pour le Jardin des Voix… 

Une agréable curiosité _ assez loin toutefois des fruits du génie enchanteur d’un Vivaldi (1678 – 1741), un Mozart (1756 – 1791) ou un Rossini (1792 – 1868), qui transcendent, eux, de manière toujours éblouissante pour nous, leur époque de création…

Ce lundi 9 septembre 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

La présente modernité-lucidité de Bioy selon Edgardo Scott

09oct

Hier,

en avant-propos à la table ronde

que j’allais modérer à l’Institut Cervantes de Bordeaux, à 18 heures,

dans le cadre de la semaine d’hommages

que l’Association des Amis de Bioy Casares _ dont je suis le président _, a l’honneur de réaliser à Bordeaux,

à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort du grand écrivain qu’a été Adolfo Bioy Casares (Buenos-Aires, 15 septembre 1914 – Buenos-Aires, 8 mars 1999),

l’écrivain argentin Edgardo Scott (Lanus, 1978)

_ qui allait participer à cette table-ronde de « Regards croisés sur Bioy« , avec Silvia Renée Arias et Stella-Maris Acuna ;

et qui a été l’organisateur de l’hommage, à la Bibliothèque Nationale argentine, à Buenos-Aires, en 2014, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Bioy _

m’a adressé le canevas _ très remarquable, et passionnant ! _ suivant

de son intervention,

afin de m’aider à organiser ma modération à venir de cette table-ronde _ enthousiasmante _ :

Bioy-Bordeaux
Je serai bref. C’est quelque chose, la brièveté, que Bioy a apprécié et qu’il apprécierait sûrement ici. Citant l’écrivain polonais Witold Gombrowicz, lorsqu’il a donné une conférence en espagnol à Buenos Aires, je dirai: « mon français est un enfant balbutiant de trois ans à peine. »
Vingt ans se sont écoulés depuis la mort de Bioy, qui avait la précision et la prudence de mourir avec le vingtième siècle. Et pourtant, nous sommes ici en France, au pays de ses aînés, vingt ans plus tard, pour parler de lui et de ses livres. Le contexte idéal pour un conte fantastique.
Comme vingt ans se sont écoulés depuis sa mort et que j’ai dit que cela allait être bref, je vais réduire à dix le nombre de points sur lesquels je concentre mon regard, ce regard, partiel, sur Bioy.

1. La première chose est que bien que, comme je l’ai dit, Bioy soit mort avec le XX siècle, en 1999, il est l’auteur du meilleur livre publié par la littérature argentine au cours de ce siècle, au cours de ces deux premières décennies. C’est le livre qui regroupe ses quatre décennies de conversations avec Borges, tel que nous le connaissons, le Borges de Bioy. Ce livre a été publié à titre posthume en 2006, il compte 1664 pages et est, comme je l’ai dit, le meilleur livre qui ait donné à la littérature argentine au cours de ce siècle. Bioy devient donc un auteur non seulement contemporain, mais actuel. Et ce n’est vraiment pas un livre sur Borges. C’est un livre sur la littérature et l’amitié. Ou sur l’amitié et la littérature.
2. Que signifie écrire à l’ombre de Borges? Ou plutôt, que signifie écrire dans l’ombre d’un autre? Il est toujours considéré comme une honte, un avatar malheureux et pitoyable. Dommage, dirions-nous, déplorant le destin de Bioy d’avoir écrit et publié à l’ombre de Borges. Le premier qui a toujours écarté cette interprétation était Bioy lui-même, qui ne le regrettait jamais, bien au contraire. Et en vérité, nous oublions qu’écrire à l’ombre, c’est écrire dans la pénombre, peut-être dans l’obscurité, écrire derrière certaines lumières qui peuvent aveugler ou confondre le regard. Eloge de l’ombre, a écrit Tanizaki. Ils disent que Macedonio Fernández a écrit à la main dans un placard, et avec une bougie. Écrire à l’ombre, c’est écrire presque en cachette, en résistance. Bioy est consciente de cette situation et en a tiré pleinement parti.
3. Comme je l’ai dit, vous devez penser et juger Bioy en tant qu’auteur actuel. Et en tant que tel, il est un auteur diversifié, complexe et sophistiqué. Ce n’est pas l’auteur de la marque déposée. Que serait un auteur de marque déposée? L’auteur de la marque déposée serait l’auteur qui est toujours le même. Cela se répète dans tout son travail, parfois toute sa vie, avec la même voix, généralement avec les mêmes obsessions sacrées, et qui construit, comme on dit, un monde reconnaissable. Bioy n’est pas cet auteur. Je le répète, Bioy n’est pas cet auteur. Et c’est là une autre des conditions qui font de lui un auteur de ce siècle également.

4. Parce que, après tout, que serait un auteur de ce siècle? En principe, ne soyez pas un auteur du siècle dernier. Ne pas être un auteur du vingtième siècle. Ou seulement du vingtième siècle. Et cela n’a rien à voir avec Internet ou avec une utilisation particulière des nouvelles technologies, ni avec la promotion sur Instagram ou l’un des réseaux sociaux.

5. Être un auteur du XXIe siècle et ne pas être un auteur du XXe siècle est, peut-être avant tout, et à la lumière du nouveau siècle, aller au-delà de l’idéologie. Pas la politique mais l’idéologie, la couche la plus superficielle de la politique, la surface la plus trompeuse de la politique. Bioy a écrit « Personne n’aime les gens autant que leurs haines« . L’idéologie est une variation de la haine ou, citant un illustre Français du XXe siècle, une passion inutile. Ce qui compte, c’est le style de l’auteur, c’est-à-dire la position. La position d’un auteur. S’il existe un trait qui définit le travail de Bioy, c’est bien l’intelligence. La lucidité Une lucidité extrême.

6. Hier soir j’ai vu une interview de Bioy que je n’avais jamais vue. Contrairement à d’autres écrivains, et comme ce qui se passe dans ses livres, il n’est pas seulement fascinant de l’écouter à nouveau, c’est toujours nouveau, c’est toujours une nouveauté. Il y a toujours quelque chose d’autre. Dans cette interview, il a dit à un moment donné: « Nous sommes tous des héros, car nous devons passer par la mort« . Il le dit sans solennité et souriant avec son intelligence courtoise. En tant que messager ou médium qui ne peut éviter ce destin.

7. Cette insistance de la mort dans l’œuvre de Bioy fait que le fantastique possède un drame particulier. Car ce qui est fantastique sera avant tout la possibilité d’éviter la mort. Dans L’Invention de Morel, dans Dormir au soleil, dans Le rêve des héros et dans tant d’histoires, l’apparition du fantastique est l’apparition de la magie ou du plus grand miracle: éviter la mort. Comme son admiré Stendhal, Bioy voyais dans la mort la plus grande cruauté et incompréhension. Mort et chagrin.
 
8. J’ai dit que j´allais être court et que je le serai encore plus. Une fois encore, je sens que Bioy le remercie. Au lieu de dix points, ce sera finalement huit. J’ai aussi parlé de l’ombre de Borges. Àpres avoir  réfléchi, il n’y a pas d’ombre. Il y a des conditions de lecture. Borges est une condition pour lire le travail de Bioy, mais comme Bioy lest pour Borges ou Silvina. Finalement, Bioy ne voulait pas être immortel mais vivre un peu plus longtemps. Cent vingt, cent trente ans semblaient être un meilleur chiffre, plus raisonnable. Mais ce que je lis dans cette occurrence, c’est vivre plus. Vivre plus. C’est ce que la littérature permet. C’est ce que sa littérature permet. 
Mesa miradas cruzadas
Bioy siglo XXI o Bioy está vivo.
Voy a ser breve. Es algo que Bioy valoraba y de seguro agradecería. Además, citando al escritor polaco Witold Gombrowicz, cuando dio una conferencia en Buenos Aires en español, yo diré: mi francés es un niño balbuceante de apenas tres años.  
Han pasado veinte años de la muerte de Bioy, que tuvo la precisión y la precaución de morir junto con el siglo XX. Y sin embargo estamos aquí en Francia, en la tierra de sus mayores, veinte años después, hablando de él y de sus libros. El trasfondo perfecto de un cuento fantástico.
Como son veinte años los de su muerte y dije que iba a ser breve, voy a reducir a diez los puntos en los que concentro mi mirada, esta mirada, parcial, sobre Bioy.
1.Lo primero es que a pesar de que Bioy, como dije, murió con el siglo en 1999, es el autor del mejor libro publicado por la literatura argentina en este siglo, durante estas primeras dos décadas. Es el libro que reune sus cuatro décadas de conversaciones con Borges, como lo conocemos nosotros, el Borges de Bioy. Ese libro fue publicado en forma póstuma en 2006, tiene 1664 páginas, y es, como dije, el mejor libro que ha dado la literatura argentina en este siglo. Por lo tanto, Bioy se transforma en un autor no solo contemporáneo sino actual. Y en verdad no es un libro sobre Borges. Es un libro sobre la literatura y la amistad. O sobre la amistad y la literatura.
2.¿Qué significa escribir a la sombra de Borges? O mejor dicho, ¿qué significa escribir a la sombra de otro? Se lo piensa siempre como una desgracia, como un avatar lamentable, penoso. Una lástima, diríamos nosotros, lamentándonos de la suerte de Bioy, por haber escrito y publicado a la sombra de Borges. El primero que siempre ha desestimado esta interpretación fue el propio Bioy, que nunca lamentó eso, por el contrario. Y en verdage, olvidamos que escribir a la sombra es escribir entonces en la penumbra, acaso en la oscuridad, escribir a resguardo de ciertas luces que pueden cegar o confundir la mirada. Elogio de la sombra, ha escrito Tanizaki. Dicen que Macedonio Fernández escribía adentro de un placard a mano, por supuesto, y con una vela. Escribir a la sombra es entonces escribir casi en la clandestinidad, en la resistencia. Bioy ha sido consciente de esa condición y la ha aprovechado al máximo.
3.Como dije, hay que pensar y juzgar a Bioy como un autor actual. Y como tal es un autor diverso, complejo, sofisticado. No es el autor-marca registrada. ¿Qué sería un autor-marca registrada? El autor-marca registrada sería el autor que es siempre igual. Que se repite a lo largo de toda su obra, a veces toda su vida, con una misma voz, por lo general con las mismas y sagradas obsesiones, y que arma, como suele decirse también, un mundo reconocible. Bioy no es ese autor. Lo digo de nuevo, Bioy no es ese autor. Y esa es otra de las condiciones que lo vuelven un autor también de este siglo.
4.Porque a fin de cuentas, ¿qué sería ser un autor de este siglo? En principio, no ser un autor del siglo pasado. No ser un autor del siglo XX. O sólo del siglo XX. Y eso no tiene que ver con Internet ni con un uso particular de las nuevas tecnologías, ni con promocionarse en Instagram o en cualquiera de las redes sociales.
5.Ser un autor del siglo XXI y no ser un autor del siglo XX es, tal vez ante todo, y a la luz del nuevo siglo, superar la ideología. No la política sino la ideología, la capa más superficial de la política, la superficie más engañosa de la política. Bioy escribió « A nadie quiere tanto la gente como a sus odios ». La ideología es una variación del odio o, citando a un francés ilustre del siglo XX, una pasión inútil. Lo que importa es el estilo de un autor, esto es, la posición. La posición de un autor. Si hay un rasgo que define a la obra de Bioy es, sin dudas, la inteligencia. La lucidez. Una lucidez extrema.
6.Anoche vi una entrevista de Bioy que no había visto. A diferencia de otros escritores, y al igual que lo que sucede con sus libros, no solo siempre es fascinante volver a escucharlo, siempre es novedoso, siempre es nuevo. Siempre hay algo más u otra cosa. En esa entrevista dice en un momento, « todos somos héroes, porque tenemos que pasar por la muerte ». Lo dice sin solemnidad y sonriendo con su bondadosa inteligencia. Como un mensajero o un medium que no puede eludir esa suerte.
7.Esa insistencia de la muerte en la obra de Bioy hace que lo fantástico posea un particular dramatismo. Porque lo fantástico será, sobre todo, la posibilidad de evitar la muerte. En La invención de Morel, en Dormir al sol, en El sueño de los héroes, y en tantos cuentos, la aparición de lo fantástico es la aparición de la magia o el milagro mayor: la evitación de la muerte. Como a su admirado Stendhal, Bioy veía en la muerte la mayor crueldad e incomprensión. La muerte y el desamor.
Un texte passionnant
et profond ;
une excellente base pour nos échanges à l’Institut Cervantes hier soir.
Ce mercredi 9 octobre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa
Post-scriptum :
Le Borges de Bioy _ soient les pages présentant le nom de Borges extraites (par Daniel Martino) du Journal complet de Bioy _ n’a pas été traduit en français.
Honte à l’édition française !

Le volet 3 du triptyque Osnabrück-Jérusalem d’Hélène Cixous : le shakespearien Défions l’augure _ une méditation sur l’imageance de l’écriture

12juin

Passons maintenant au volet 3 du triptyque Osnabrück-Jérusalem d’Hélène Cixous :

Défions l’augure, paru le 18 janvier 2018, aux Éditions Galilée ;

au titre que je traduis pour ma part en

« Courage, luttons ! Osons nous battre !

Ne nous laissons pas-jamais arrêter-abattre

d’abord par la peur,

et enfermer-prendre-tuer-mourir dans la nasse

incontournable promise ! »

sans avoir rien fait si peu que ce soit contre ;

mais sans cesse, ni le moindre relâchement d’un seul instant de fatigue _ car là est la lâcheté : se relâcher ! _,

« osons toujours toujours foncer, lutter, résister !

ne pas-jamais nous laisser faire-défaire-annihiler

sans rien faire contre

le presque et affirmé-dit-prédit cru inévitable« ,

quoiqu’il en coûte, et fusse au prix ultime de notre propre vie _ à jamais sale-salie sinon _ ;

prix qui,

de toutes les façons envisageables

à retourner en son esprit,

et même au cas ultime, possible et même assez probable, de notre propre défaite et même mort,

restera toujours toujours inférieur, et de considérablement loin,

au poids et peine impossibles à porter pour toujours,

incommensurables,

du malheur éternel poissant _ la tâche indélébile-ineffaçable de Lady Macbeth… _

de l’infamie à jamais

de la reddition d’une défaite d’inertie à plate couture en rase campagne

sans avoir si peu que soit combattu !

la quasi invincibilité affirmée-crue de cette adversité

augurée-là.

Ne nous laissons pas abattre

du seul fait du sinistre pressentiment subi

de la défaite incontournable-implacable à-venir

et de l’absolue invincibilité augurée, face à nous, sans remède apparent à portée,

de la mortellement surpuissante, pauvres de nous, adversité ;

mais osons redresser la tête et

avec au moins égale vigueur

défier l’augure nous battre contre

ce qui, prédit-annoncé-cru,

prétend sans la moindre autre petite issue-échappatoire nous abattre…

Défions l’augure, donc,

qui est pour moi le livre du revenir-retrouver, par l’imageance visionnaire puissante de l’écriture,

et plus encore le livre du ressusciter

_ le livre du faire ressusciter (à la conscience ! et par la force de l’imageance formidablement active et féconde de l’écrire !) certains morts tenant particulièrement (et pour des raisons diverses) à cœur, et faire revenir (à soi et pour soi) et retrouver du passé, certains moments, extirpés ainsi, ces morts et moments du passé, de l’abandon, bientôt vite mortel à court terme, du (et au) gouffre sans fond d’un déjà presque total oubli

qui présentement dans le silence

(et parfois, aussi, en cette autre forme de silence, retors, qu’est le « Ruddeln«  (pages 47 à 51) : avec « le plaisir de cancaner et chuchoter et d’écrire ce qu’il ne faut pas dire avec des mots incompréhensibles et trompeurs et sans savoir ce que l’on fait, avec ruddeln on peut même dire du mal et trahir sans s’inquiéter puisque tout est sous la protection d’une langue étrangère _ incomprise des tiers, et donc, par là, intransmis, mal et trahison, à la plupart des autres. Il y a donc du plaisir dans la plainte, pas seulement de la douleur. Quand on se sent en famille, comme Ève et Éri _ sa sœur Érika, ici avec leur cousin caissier retraité new-yorkais Richard Katz _ à la cantine _ ou cafeteria _ de l’Empire State Building _ ou Rockefeller Building _, on peut vraiment dire un peu de mal de tout le monde« , pages 50-51)

le livre du faire ressusciter (à la conscience ! et par la force de l’imageance formidablement active et féconde de l’écrire !) certains morts tenant particulièrement (et pour des raisons diverses) à cœur, et faire revenir (à soi et pour soi) et retrouver du passé, certains moments, extirpés ainsi, ces morts et moments du passé, de l’abandon, bientôt mortel à court terme, du (et au) gouffre sans fond d’un déjà presque total oubli

qui présentement dans le silence

les dévorait lentement et sans bruit, bien trop sûrement ainsi,

et déchiquetait, à jamais, pour toujours, ce qui pouvait en rester ;

ainsi sauvés, ces morts et ces moments, pour la conscience et possiblement pour l’éternité, merveilleusement rafraîchi(s)-rajeuni(s), les souvenirs de ces morts et moments, qu’ils sont ici, dans les pages et phrases respirantes à renouvelées bouffées de surprises de ce livre-ci, et plus encore peut-être surtout en leurs potentielles lectures à faire advenir-survenir-suivre par quelques lecteurs vraiment vivants attentifs à ces circonvolutions-découvertes-retrouvailles qu’ouvre et offre ici et maintenant le souffle re-vivifiant de l’écriture de l’auteure… _,

par la vertu d’imageance puissante et poïétique _ voilà ! c’est sur cela qu’il faut mettre l’accent et insister : « une fête« , dit l’auteure elle-même, et à plusieurs reprises, notamment dans son emblématique si beau Prière d’insérer _ d’Hélène Cixous,

en ce splendide moment méditatif-réflexif de pause de (ainsi que sur, à propos de) son œuvre en cours

qu’est ce prenant, pausé et tendre Défions l’augure

_ qui ressuscite, cette fois encore, en suite cohérente des précédents volets de ce (provisoire) triptyque Osnabrück-Jérusalem, certaines figures singulières des fratries et sororités Jonas d’Osnabrück étrangement laissées flottantes quant aux prénoms, et même au nombre de personnes : 8 ? 9 ? : les enfants d’Abraham Jonas et Hélène, née Meyer, ayant vécu au Nikolaiort, 2), à Osnabrück, entre 1881 et 1942.

Sur ces listes de prénoms qui varient, cf Osnabrück (publié le 12 février 1999) à la page 149 : « Debout les morts ! En route ! André Paula Moritz Hedwig Salomon, Zophie, Else, Rosalie«  ;

et, dix pages auparavant, d’autres prénoms, certains, et pas non plus tous les mêmes, aux pages 128-129 : (Ève) « aurait dû poser des questions à Omi, mais Omi est partie _ se taire le 2 août 1977 _ il y a vingt et un ans _ en 1998 _ tandis qu’Ève était toute à ses derniers accouchements _ de sage-femme pas encore retraitée, à Paris _, d’ailleurs _ et surtout _ Omi n’avait pas de récit _ voilà _, avec la fin de Benjamin son benjamin _ le plus jeune des divers frères Jonas nés à Borken, mais après elle, le 1er février 1883, et lui aussi, comme elle, né à Osnabrück, et décédé à Cincinnati, aux États-Unis, le 1er février 1901, chassé et exilé _ s’était interrompue la loi ou la joie _ voilà _ de retenir, c’était une femme plutôt au jour le jour. Omi n’a pas narré _ en conséquence. Sa fille _ elle _ collectionne les traces car elles sont (!) tout l’héritage de ma mère _ écrit Hélène Cixous en parlant d’Ève _, ses perles, ses coraux, ses tableaux ces frères et ces sœurs _ Jonas de sa mère Rosie, en l’occurrence les oncles et tantes maternels d’Ève _ déposés en images _ privées donc de récit _ dont Omi sa mère ne pouvait naturellement détacher le regard de ses yeux bleus anormalement bleus. Comment parler _ surtout _ du _ petit _ frère _ Benjamin, voilà : chassé et exilé aux États-Unis (à cause d’un larcin), où il est mort, à Cincinatti, le jour même de ses dix-huit ans ! _ qu’elle aime sans le perdre sans l’enrouler dans du papier et l’embaumer _ de phrases  Omi aimait _ seulement _ faire rouler les _ seuls _ noms des siens sur sa langue ils n’étaient pas ses éloignés sinon par les distances, ils l’habitaient présents _ voilà ! _ et je les ai moi-même encore entendu nommer vivants _ trente ans durant _ par la voix de ma grand-mère, ils étaient dans sa chair elle faisait l’appel et ils répondaient _ oui _, ceux _ peut-être surtout _ qui étaient morts dans les camps aussi, elle leur donnait encore sa chair _ oui _ pour demeurer _ présents à elle. Andreas Jenny Paula Moritz Hete Salo Zophi Michael Benjamin Ensuite _ après la mort d’Omi, en 1977 _ commença _ et c’est bien autre chose _ le conte. Et ce n’est plus du tout la même histoire ni les mêmes personnages _ perçus. Ceux d’Omi étaient différents les uns plus intérieurs, plus chéris plus chauds plus sanguins parfois ils avaient des humeurs, des chagrins et jusqu’au désespoir. Ceux d’Omi encore vivant d’elle après leur mort. Les mêmes racontés par ma mère. Oncles racontés, tantes rattrapées sur le pas de la porte. Ceux de ma mère pareils jeunes gais entreprenants raisonnablement. À les suivre on voit bien _ forcément _ les goûts personnels de l’auteur, sa mentalité et sa morale« 

La liste des enfants Jonas (d’Abraham et Hélène, née Meyer) n’est donc jamais ni complète, ni vierge de nouveaux prénoms, possiblement de beaux-frères ou belles-sœurs… Fin de l’incise.

Or, défier,

c’est en actes défaire et battre en brèche combattre

une foi, confiance, fiabilité, fidélité

envers ce qui tient, ne tenait pas assez bien, ni assez justement, jusqu’ici et là, le haut du pavé,

du fait de l’élévation rageusement estimée indue de ses un peu bien trop hautes tours

et un peu trop clinquants (trop beaux pour être vrais) spectaculaires atours,

en osant rire-se moquer des pesanteurs-menaces un peu trop bien mal établies

pour la (les) remplacer par une supérieure-meilleure-plus légitime-vraie foi-confiance-fiabilité-fidélité

sur d’autrement fiables et un peu plus heureuses vraies et fermes bases.

Une révision drastique

pour rebattre en vrai les cartes.

Et ce défi-ci

aux tours et atours élevés

est celui-là même de la vie,

la vie

comme « ensemble des fonctions qui résistent à la mort« ,

selon la formule bien célèbre de Marie-François-Xavier Bichat, l’an 1800,

énoncée moins de deux ans avant sa propre mort _ malencontreuse, par accident bête _,

survenue le 22 juillet 1802, à l’âge d’à peine trente ans…

C’est que la vie urge : souvent

toujours…

Comme pour mon article précédent à propos du merveilleux Correspondance avec le Mur

_  _,

je procéderai à nouveau ici en deux temps séparés

de lecture :

d’abord quelques propositions de mon regard _ de sa place _ sur le livre ;

puis une sorte de tri-logue _ peut-être plus rassurant _

1) avec le livre lui-même

(et, juste en arrière de lui, bien sûr, avec son auteur, Hélène Cixous),

2) avec la lecture d’un lecteur un peu privilégié en acuité de lucidité

_ et généreux introducteur : par sa précédence sagace en l’exploration, livre après livre, du corpus cixoussien _,

l’ami René de Ceccatty,

via, ici, son article Le 11 septembre dans la mémoire intemporelle d’Hélène Cixous, paru le 8 février 2018 dans Les Lettres françaises,

et

3) avec les avancées de mes propres analyses-réflexions-méditations tâtonnantes, un peu personnelles en ce double commentaire

_ un peu plus sûr de moi, maintenant, en les progrès de ma découverte pas à pas du « continent Cixous »

et dans cet ordre : en remontant, Homère est morte…, Ève s’évade _ la Ruine et la Vie, Si près, Hyperrêve, Tours promises, Osnabrück, et en redescendant, Gare d’Osnabrück à Jérusalem, Correspondance avec le Mur, et maintenant enfin, le plus récent, Défions l’augure ,

j’ose m’avancer plus singulièrement en la lecture de ce nouvel opus, tout frais, qu’est ce superbe et lumineux Défions l’augure

Pour moi,

Défions l’augure se détache des deux volumes précédents

de ce que je nomme _ provisoirement _ le triptyque Osnabrück-Jérusalem,

en formant une sorte de pause réflexive vraiment importante : éclairante et fouillée,

se centrant méditativement,

sans guère cette fois _ c’est à relever _ de notations-examens d’événements-accidents

_ tel que put l’être la chute mondialisée magistralement mémorable des Twin Towers le mardi 11 septembre 2001,

prise en compte ici rien que comme emblème pur de la chute,

de toute chute (de toute tour, élévation, et même dent…),

mais dont toute description détaillée (ou chronique des faits advenus, ce 11 septembre) est soigneusement esquivée :

seul importe l’impact de fond sur les consciences existentielles sensibles d’Isaac et Hélène, principalement _

ni même de notations du présent le plus immédiatement contemporain-quotidien de l’écriture _ l’an 2017, donc _ ;

et cela, depuis les décès

d’Ève-la-mère, le 1er juillet 2013

_ tel que narré dans l’immense et capital Homère est morte…, paru le 28 août 2014  _,

et de Marga-la grande-cousine-jumelle d’Ève _ Marga, la toute dernière survivante de la génération (tant des anéantis du nazisme que de ceux ayant réussi à parvenir à fuir par les cinq continents de la planète) des fratries et sororités Jonas d’Osnabrück née la première décennie du XXe siècle _, à la fin mars 2016

_ tel que cela a été rapporté dans le très important aussi

(à titre d’ultime potentiel témoignage direct à avoir été envisagé-tenté de recueillir, à Jérusalem, mais étrangement esquivé in fine lui aussi : bien des lacunes demeureront donc…),

dans le splendide et profond Correspondance avec le Mur, paru le 19 janvier 2017 _ ;

sinon peut-être l’incident _ mais révélateur ! _ de la serrure _ « grippée » _ du portail _ métamorphosés, la serrure & le portail, en « gladiateur pervers«  à « face butée » de « chevalier teutonique« , page 76… _ de la villa-maison d’écriture _ les deux mois d’été _ d’Arcachon,

qui décide _ accidentellement _ tout soudain,

cette serrure-portail,

de n’en faire qu’à sa tête _ de serrure décidément butée… _

en refusant un beau matin _ celui du dimanche 16 juillet 2017 (page 67) _ d’ouvrir le passage _ à la marcheuse _

et permettre une pédestre sortie d’aération-exploration (« des mémoires » !) hors du territoire strictement réservé à l’écriture _ à Arcachon(pages 64 à 82, du chapitre On ne sait jamais qui va entrer) :

« Ce matin nous sommes en 2017, le 16 juillet. Quand j’ai voulu sortir de la maison, j’allai continuer _ dehors _ ma promenade _ cérébrale et méditative, en marchant ou courant _ des mémoires _ expression capitale ! _, je n’ai pas pu _ pas réussi à _ ouvrir le portail. Nous sommes _ donc bel et bien _ captifs _ retenus enfermés et pris, sans la moindre petite-infime échappatoire, dans le broyeur de la nasse refermée, close. C’est écrit là-haut _ donc prévisible ; et envisageable, à toutes fins utiles, à remédier par n’importe quel bon entendeur apte à s’y prendre adéquatement à temps pour son salut de sortie ! _, m’a dit _ avait donc prévenu _ le Livre« _ demandant-priant instamment à s’écrire :

instance parlante et prévenante possédant son autonomie improvisante ; et donc ne pas mépriser ses avis (avisés) ; mais savoir se tenir toujours prêt ! « the readiness is all !« … (page 125, par exemple) _ (page 67) ;

« La serrure est grippée » (page 68) ;

ce qui a pour conséquence _ cette métamorphose « teutonique«  du portail bloqué là _ que « d’un instant à l’autre le jardin est devenu _ vis-à-vis de l’extérieur, bien sûr, mais aussi par rapport à soi, l’habitant du lieu _ citadelle _ d’un coup impénétrable, et en un sens (sortir) comme dans l’autre (entrer) _,

les haies

palissades » (…),

et que « maintenant moi-même je devenais _ voilà !!! _ mon propre emmurement » _ en moi-même et sans issue : irrespirablement, et donc mortellement prise, sans la moindre issue de secours, dans la broyante nasse de ce qui vient de se révéler brutalement infernale souricière, au lieu de méditative thébaïde jouissive _ (page 70) ;

« Et sans le secours de Marcel _ le très manuel homme à tout faire, d’été à Arcachon _,

le Livre _ déjà démarré, en chantier, et pressant _ et moi _ en chantier perpétuel _ aurions peut-être _ l’un avec l’autre, tous les deux _ péri _ voilà ! : d’étouffement et inanition, au moins, déjà _ dans le labyrinthe » _ quand devient sans nulle sortie ce labyrinthe des phrases sans fin (« tant qu’il y aura de l’encre et du papier au monde« ), et montaniennement cryptées, aussi, du Livre ; le Livre doit, pour respirer lui aussi et ne pas finir par seulement tourner en rond (et devenir à lui-même sa prison), comporter de l’ouverture, venteuse : zéphiresque, mais orageuse aussi, sur le grand dehors et l’autre (et les autres) que soi… _ (page 70) ;

« C’est Marcel qui m’a délivré.

Il est venu comme le Messie _ ouf. De la ville voisine _ La Teste ? ; peut-être Marcel est-il testerin ? natif qu’il est des dunes de l’Éden (au Pyla voisin ?) _ jusqu’ici. Je criais _ en vain sinon _ : je ne peux plus sortir ! Et la voix du vieil homme des bois _ fils d’un résinier (Marcel a quatre-vingt-deux ans bien sonnés à cette date du 16 juillet 2017 : « 10 mars 1935. J’ai eu ma naissance en pleine forêt à l’Éden _ des dunes boisées testerines, probablement, et non loin des Abatilles et du Moulleau… _, les onze enfants sont accouchés dans la forêt. Au onzième, on a eus le prix Cognacq-Jay en 1936 et c’était moi. 35 000 francs de l’époque. Avec ça on a acheté deux vaches. Après on en a eu jusqu’à treize« , page 75) _ buriné par les combats perpétuels _ de toute sa vie _ avec les éléments _ surmontés _ a répondu _ merci encore le décidément merveilleux téléphone ! _ : J’arrive ! Me voici !

Et trois heures _ tout de même _ plus tard, il franchit l’enceinte _ du mur _ hissé _ voilà ! _ sur une haute échelle _ qu’il avait transportée jusque là. Il dit « tant qu’on peut » _ mais n’est-ce qu’une affaire d’âge ? C’est un homme _ un Michel Morin, dit-on dans le Sud-Ouest _ qui a la main absolue » _ et c’est bien utile, dirait Ève, l’invariablement pragmatique, vigilante et pourvoyante mère d’Hélène... _ (page 71) ;

« il examine le portail avant l’attaque _ il en prend bien la mesure. Le portail est l’adversaire exact _ l’un est adéquatement à la mesure de l’autre _ de Marcel. C’est un robot en aluminium, sa face est butée _ voilà ! _ comme celle d’un chevalier teutonique _ tiens, tiens ! _ sa serrure inoxydable avec butée thermoplastique et gâche inox est oxydée, elle se fout de nous, le portail est le gladiateur pervers, Gamme Passion, et afin de nous faire sentir son pouvoir malveillant, il est illisible. Aucune explication. Sauf l’obscure méchanceté technologique, l’âme inhumaine de notre époque sans mémoire. Comme on est loin de la forêt testerine (voisine d’Arcachon), au Pyla _ de l’Éden !  » (page 76) ;

« je vois Marcel calculer l’assaut. Il vaincra, c’est écrit là-haut » _ puisque dans l’ordre du possible, et donc du prévisible, des choses ; et donc du pourvoyable et résoluble, in fine… _ (page 77) ;

« Que dirait _ de Marcel, l’homme à tout faire _ Isaac ? _ se demande alors à elle-même, en son for intérieur et écriture, Hélène, ce mois de juillet 2017.

Et tout l’épisode serrure-portail-Marcel de ce Livre, n’a peut-être pour finalité que d’amener ce qui va le suivre, à propos d’une « ajalousie » ancienne toujours non réglée, et donc, « dormante« , encore décidément corrosive, et à terme grippante…

Il dirait _ avec le doute provocateur et un brin pervers que comporte le point d’interrogation (et au conditionnel de l’imageance) ; Isaac (ou son fantôme bien présent) demeure un parfait partenaire engagé d’entretiens virulents : Hélène Cixous a en effet besoin de partenaires, telle sa mère, Ève, continuant de lui donner, en des scènes bien enlevées (mais marrantes, rigolotes aussi), pas mal de fil à retordre, et lui tenir la dragée haute _ : il est beau, ce Marcel ? Je dirais _ sans hésitation ! (et toujours au conditionnel de la même imageance) _ : Oui.

Selon moi Marcel est beau. Il est _ certes _ abîmé. Le travail _ manuel _ l’a cassé. Il se meut de travers. Ses hanches sont rouillées. Ses genoux sont grippés comme la serrure. Les acouphènes lui cigalent les oreilles. Il soulève les haies. Il renverse _ tel Hercule en ses dix travaux _ les portails. Il m’amène à la zone industrielle pour acheter un aspirateur. Il porte une chemisette propre parfois rose quand il arrive à mon secours avec sa remorque bleue. Je ne suis pas sa sœur. Il est beau comme l’homme qui n’a jamais perdu la forêt de l’Éden » _ de son enfance quasi sauvage _ (page 77) ;

et fin ici de l’épisode Marcel,

qui débouche _ un peu étrangement, mais c’est bien peut-être là sa fonction… _

sur une réflexion sur la jalousie _ et même  « ajalousie«  _ (d’Isaac _ personnage toujours décidément flouté et indécidable au lecteur _) ;

et _ mieux encore _ ce que Hélène Cixous nomme l' »ajalousie » :

« Il s’agit d’une sorte de jalousie froide, muette _ et par là aussi sourde _, invisible, un spectre, qui peut se terrer _ voilà : souterrainement _ pendant des dizaines d’années, un virus en sommeil, qui ne se laisse pas plus détecter _ ainsi dormant, sauf le portail entr’ouvert des rêves _ qu’un herpès

_ seconde occurrence ici de ce mot « herpès« , page 80,

après une première apparition, page 40 : « _ Qu’est-ce que j’ai, docteur ? _ Ça ? C’est de l’herpès. _ De l’herpès ? Mais comment ? Comment ? _ Par contamination. Par contes de fées. J’entends les gloussements de Satan : c’est bien fait. Une histoire de transmission. _ Mais je n’ai fait l’amour qu’avec mon amant my only love. _ Ça peut dormir longtemps, longtemps. _ Depuis vingt ans ? dormant ? « Transmission, transmission », le titre de l’un de ses poèmes _ ah bon ! À creuser… _ Lui, seul. Lui seul. Alors lui pas seul ? _ tiens donc ! _ Ne pas y penser. Une histoire de spectres. On est hanté _ habité par des disparus revenant régulièrement rendre visite. Ne pas y penser _  si refouler pouvait aider. Thus it Will make us mad. » _,

puis, un midi, en janvier 2000, quand nous _ qui donc ? Isaac et Hélène ? _ sommes attablés _ seuls ? _ dans une charmante guinguette au bord de la Garonne _ rive droite _, c’est par ce pont _ que fit construire Napoléon : de 1810 à 1822 _ que Montaigne passait le fleuve _ par bateau, forcément alors, lui, Montaigne ! _ quand il se rendit à Bordeaux, où _ depuis Rome, où il se trouvait en long voyage alors, et via un détour par son château (et sa tour) de Montaigne, dominant, en Périgord, la rive droite de la belle Dordogne (autre fleuve-rivière à traverser, peut-être à gué, au bas de Montaigne) _ il n’avait pas pu ne pas accepter _ sur la prière-instance (sans refus : impensable !) du roi Henri III lui-même _ d’être élu maire _ de Bordeaux _ en 1581,

tu te rappelles _ s’adresse l’imageance d’Hélène à l’imageance du fantôme revenant d’Isaac (disparu, lui, depuis dix ans déjà, semble-t-il, page 17 : « J’ai quand même survécu dix ans à ma mort-Isaac« …) _ de notre année 1981, nous venions _ tiens donc : déjà… _ de ressusciter _ comment ?.. Et ce livre-ci, Défions l’augure, est le Livre des résurrections. Relire là-dessus (ces résurrections !) l’admirable feuille détachée du clarissime « Prière d’insérer » en avant du Livre _ telle la tour de Montaigne un peu à l’écart en avant de son château _, et qui en détache-présente superbement l’essentiel ! Un modèle ! Je n’insisterai là-dessus jamais assez ! Quelle magnifique clé ainsi donnée-offerte en avant-à l’entrée du labyrinthe entortillé-enroulé-enveloppé, à mille chemins et pistes, du livre ! parfaitement montanien !

La voici donc, in extenso, cette synthèse-portail d’entrée du livre-clé ouvrante archi-bienveillante et inaugurale, de la lecture en empathie à-venir :

 » Puisque tu as mal partout dans la poitrine, et de sombres pressentiments, ne va pas au combat, diffère, suis les indications des augures, quand nous sentons que la fin est proche, reculons, nous recommandait notre fidèle ami Horatio. Vous vous en souvenez ?

Me retirer ? Jamais de la vie ! We defy augury ! Être, dit Hamlet, c’est défier l’augure. Je suis, donc j’irai. Il nous faut bien vivre, cette fois c’est décidé. Nous mortels, c’est-à-dire vivants, ne sommes-nous pas toujours tout près du Paradis, c’est-à-dire bien prêts dans un premier temps à le perdre, afin, dans un deuxième temps d’en voir la résurrection ? dit ce Livre. « The Readiness is all », Shakespeare est ici d’accord avec Montaigne.

C’est cette danse avec l’Augure que répète ce Livre. Le voici tout peuplé de co-mourants, de revenants et redevenants splendides, de commémourants, de personnages aimés relevés des néants, venus de tous les mondes et les continents, accourant d’un siècle à l’autre, de l’Allemagne à l’Afrique du Sud à l’Amérique du Sud, des Suds aux Nords et inversement, défiant l’oubli, se tirant de l’effacement,

Avertissements, présages, souvenirs des catastrophes, signes, pressentiments, songes, ont beau jeu de se multiplier comme les étoiles à Manhattan que l’on voit mieux du 107ème étage du World Trade Center que de Ground Zero, nous sommes faits pour reprendre la vie là où elle a été interrompue.

Je le vois, ce livre est l’incarnation de notre sort mouvementé. C’est un assemblage de gouffres et de fêtes. Il a vingt fois le souffle coupé, il enjambe abîmes et ruptures, tombe sous les terres ou devient demain aérien.

Il m’arrive de deviner, derrière l’influence cachée de ma mère et son génie de la digression, la présence fatidique ineffaçable de l’immense famille Jonas, depuis le premier périple à bord de la baleine, jusqu’aux Jonas de Bacharach et, par suite de fuite, d’Osnabrück, ces gens qui se déplacent en quelques heures ou lignes dans dix villes différentes.

Où sommes-nous aujourd’hui ? En 2001, et aussitôt en 1791. Quel plaisir de simultaner ! C’est le don magique qui est le lot de ceux qui sont expulsés toutes les deux générations d’un lieu natal. Tout est perdu !? Revenons au Paradis, invite le Livre. C’est l’heure de retrouver les Tours et les disparus, les capitales et les villages. Pas de mélancolie ! Ça ressuscite intact. C’est revenir qui est le Paradis.

Mes livres sont des villes où demeurent des morts fées. Tous mes poètes sont morts. Tous les morts vivent encore dans ces villes qu’ils enchantaient hier. Des fantômes ? dit ma fille. Des gardiens du Temps, dis-je.« 

Fin de l’incise de ce « Prière d’insérer » – portail d’entrée légèrement en avant (et séparé, volant) des pages reliées, elles, du livre… _,

tu venais de Rome où tu n’avais pas pu ne pas accepter _ tel Montaigne, lui aussi à Rome _ d’être élu Prince des Poètes _ de quoi peut-il donc s’agir ici ?!? _, une charge qui est d’autant plus belle qu’elle n’a ni loyer ni gain autre que l’honneur et la sensation d’être enterré vivant _ sous des monceaux de lauriers _ que tant de louanges cause, « élu mais pas lu » me dis-tu… » _ avec lucidité _ (…), page 80 ;

et, page 81 :

« Un incendie _ d’ajalousie _ couve pendant trente ans _ ce qui pourrait faire 1987, si la base de calcul correcte est le jour d’aujourd’hui de l’écriture (en 2017) ; mais il peut s’agir tout aussi bien d’un autre socle de durée ; par exemple 1977. Ou tout autre… Et pendant trente ans _ tel l’herpès _ un ver d’ajalousie, doncronge _ insensiblement, mais sûrement _ les poutres du cerveau. Et subitement le toit _ qui protégeait _ s’enflamme et s’abat _ un beau matin _ sur nous  » _ Hélène et Isaac ? Soit un compte-contentieux mal (ou peut-être même toujours pas) réglé, et relancé ce jour, à quelque anodine occasion, tel le secours serrurier de Marcel, précisément ce dimanche 16 juillet 2017…

Fin de mon incise sur la pauvreté en données événementielles et accidents (tels que de spectaculaires chutes de tours) d’actualité immédiate en 2017

de ce récit-pause-méditation-ci sur l’écrire,

à la petite exception, donc,

de cet épisode du portail grippé et Marcel, issu de la forêt de l’Éden, et beau encore en son genre à son âge,

occasion probablement de revenir sur l’herpès encore vivace :

rien de marquant-blessant ne disparaît donc sans vrai apaisement-paix préalable négocié de l’« ajalousie«  (et ses stigmates) jadis subi(e-s)…

Défions l’augure se détache donc des deux volumes précédents de ce que je nomme _ provisoirement _ le triptyque Osnabrück-Jérusalem,

en formant une sorte de pause réflexive vraiment importante : éclairante et fouillée,

se centrant méditativement, et avec tendresse,

sur le rapport (chamarré et complexe, comme il se doit !) de l’écriture si inventive et juste de l’auteure

à son objet de fond et capital, bien sûr : le réel, la vie…

Le réel, la vie,

dans laquelle son propre cours de vie personnelle, plus ou moins singulier,

ainsi que l’Histoire générale (contemporaine, mais aussi universelle !) jusqu’à aujourd’hui (et plus tard), massive,

forcément prend-prennent place, s’insère(-nt), vien(-nen)t jouer,

et en est et en sont plus ou moins cahoté(s), malmené(s), brisé(s), parfois aussi à réparer ;

ainsi que ce qui en ressort de vraiment fondamental

pour qui _ elle et ses proches au premier chef, mais c’est affaire de départ et ancrage de la focalisation-perspective de l’écriture du récit (qui n’est jamais, jamais, une chronique historique générale, et encore moins à relents de quelque communautarisme que ce soit) _

y survit ;

et grâce à quels moyens ! :

la somptuosité _ plus que jamais en acte ici ; et avec quelle liberté en ses fulgurances illuminantes de poésie ! _

de l’imageance à mille facettes de la généreuse

et magnifiquement libre,

mais parfaitement rigoureuse et implacablement probe, aussi,

écriture cixoussienne

sur le rôle _ et mission sacrale auto-assignée, ou plutôt donnée, reçue et acceptée ; et avec vénération _ de laquelle

porte, de fait, le principal de l’exploration-fouille

de ce récit-méditation-ci

qu’est ce Défions l’augure ;

et toujours avec une merveilleuse légèreté amusée et polyphonique.

Et cela en 10 chapitres,

dont je vais commenter ici quelques extraits :

1) Ce que je trouve dans le quatrième tiroir de maman (pages 10 à 27)

_ c’est le chapitre du dépliant du restaurant Windows on the World du 107e étage de la tour nord des Twin Towers, miraculeusement conservé par Ève (qui y avait donc elle aussi déjeuné ! en quelle année ?) en la commode de sa chambre, et qui comportait en accroche le vers flamboyant (probablement de John Donne : un immense poète !) « The Closest / some of us / will ever get / to heaven« …, page 25.

Et alors que Hélène n’avait pas pensé, elle, à prendre-emmener-ramener en France avec elle chez elle ce dépliant : « Je n’ai pas emporté de dépliant. Celui que je vous montre ici fut recueilli et conservé _ voilà _ par ma mère. Elle ne savait pas qu’elle agissait, en mettant ces feuillets dans son sac à dos, selon le rôle hypermagique à elle attribué par notre destin _ maternel-filial singulier (ainsi que scriptural) _, celui de la fidélité absolue _ voilà _ aveuglément guidée par l’amour qui lui revenait dans notre histoire. Elle répondait _ en effet ! extraordinairement ! _ à tout moment à mes besoins extravagants vitaux, sans le savoir, mue par ces informations ultra conscientes qui sont communiquées _ voilà _ par ondes invisibles. (…) Quand j’étais à New-York avec Isaac aux frontières de la vie _ qu’est-ce à dire ? et à quelle date ? _, elle _ aussi, de son côté  _ était à New-York _ à quelle date ? _ avec Éri _ sa sœur, la tante Klein-Jonas (Barmes) d’Hélène. De très loin comme de très près, comme une déesse veille _ et avec quelle prévenance ! _ sur son héros si tendre et vulnérable, naturellement, Ève veille _ ultra-vigilante ! Comment eussions-nous pu savoir _ Isaac et Hélène _ que de notre vie au plus près de Heaven _ au restaurant Windows on the World du 107e étage de la tour Nord des TwinTowers _, il ne resterait _ bientôt _ absolument rien _ voilà ; et la moindre infime trace qui réussit à persister-survivre dans le temps a ainsi vocation à devenir ultra-précieux indice-source-matière de connaissance pour le curieux qui recherche une vérité de ce qui fut, et est, devenu passé, voué au gouffre très vite envahissant du néant de l’oubli… _ qu’un mince dépliant déposé _ en forme de quasi invisible relique _ dans le quatrième tiroir _ de sa commode _ par ma mère pour le cas _ qui s’avère donc, bien plus tard, et après son décès le 1er juillet 2013 _ où je serai jetée _ quelque jour venu _ sur un quai du temps désert » _ vide : « désert«  de témoins survivants ; mais il arrive que certaines choses inertes nous survivent _, pages 42-43.

Confirmant cette intuition majeure de la page 20 à propos des puissances dormantes de la maison : « C’est une maison-trésor, épuisable cependant inépuisable en ce qu’elle recèle, et pour qui se met à regarder-chercher vraiment, avec une vraie curiosité ouverte et judicieuse _ un Paradis _ voilà _ dans la commode, _ tout _ un monde désormais encore-vivant _ mais oui ! _ dort _ seulement _ dans les quatre tiroirs. Je suis venue visiter, explorer, fouiller _ voilà _, maman, mais pas trop, avant que le lundi de l’an général ne démarre _ le lundi 2 janvier 2017, probablement, si nous sommes alors à Paris ; ou bien, peut-être aussi, le lundi 17 juillet 2017, si nous sommes à Arcachon. Comment le déterminer ? Coucou ! Coucou ! A l’ouest le coucou _ celui du parc, à Paris, ou celui de la forêt, à Arcachon… _ me donne le la. Sol ! Sol ! La ! La ! Le coucou _ squatteur de nids _, c’est moi. S’asseoir sur son lit, lit d’Ève, Ève, faire corps avec _ oui ! _ la présence invisible _ là ! _ de son corps, impalpable et pourtant avec le corps de sa présence invisible _ parfaitement ressentie _, faire Ève » _ voilà. Là est bien le départ et la clé qui ouvrent cette fois à nouveau tout ce livre.

2) 1611 (pages 28 à 36)

_ en référence à la date d’année (1611) de la création à Londres de ce chef d’œuvre absolu et emblématique qu’est The Tempest de Shakespeare, avec le « Brave New World !«  (Acte V, scène 1) de « ces îles inventées _ en divers sens _ pour recueillir _ précisément ! _ les survivants _ Prospero, Miranda, etc. _ de tous les naufrages _ et exils forcés _ mythologiques« , page 28. Surtout si l’on sait que le départ de cette shakespearienne inspiration-illumination finale qu’est La Tempête, s’origine dans l’essai (I, 31) de Montaigne Des Cannibales, via la toute récente traduction alors (1603) des Essais en anglais par John Florio… C’est de là que provient le nom même en anagramme de Caliban : le natif (fils de Sycorax) de la forêt vierge de l’ile…

3) La dent (pages 37 à 44)

_ la dent qu’on perd, signe d’avertissement (préventif !) que « perdre une dent en ce moment c’est _ déjà _ beaucoup plus que perdre une dent » ; car « c’est une partie de vous _ dès le vif, donc, du vivant mortel que chacun et nous tous sommes… _ que la mort _ qui œuvre déjà au moins lentement. Pendant la vie, vous êtes _ aussi en permanence _ mourant _ au participe présent ! seconde après seconde… _, et la mort est bien douce vue de la tour, votre dent c’est une pièce _ on ne peut plus commune _ de la vie _ passagère, passante (chez les vivants sexués du moins) _ du monde. Tu me la donnes ? » _ en souvenir (et relique à-venir) pour plus tard, ce jour-là _, page 37.

Au passage, je me souviens qu’un des plus célèbres sermons de John Donne comporte la formule bien sonnante (retenue par Hemingway) : « For whom the bell tolls ?« Donne en fit aussi un poème.

No man is an island,
Entire of itself.
Each is a piece of the continent,
A part of the main.
If a clod be washed away by the sea,
Europe is the less.
As well as if a promontory were.
As well as if a manor of thine own
Or of thine friend’s were.
Each man’s death diminishes me,
For I am involved in mankind.
Therefore, send not to know
For whom the bell tolls,
It tolls for thee.

These famous words by John Donne were not originally written as a poem _ the passage is taken from the 1624 Meditation 17,

from Devotions Upon Emergent Occasions.

The words of the original passage are as follows :

John Donne
Meditation 17
Devotions upon Emergent Occasions

« No man is an iland, intire of it selfe ; every man is a peece of the Continent, a part of the maine ; if a clod bee washed away by the Sea, Europe is the lesse, as well as if a Promontorie were, as well as if a Mannor of thy friends or of thine owne were ; any mans death diminishes me, because I am involved in Mankinde ; And therefore never send to know for whom the bell tolls ; It tolls for thee… »

Fin de l’incise sur Donne et l’avertissement du glas.

4) L’Empire State Building (pages 45 à 58)

_ à la cantine (ou cafeteria) duquel Empire State Building (ou, un autre : du Rockefeller Building ; mais les noms (ainsi que les dates) du récit (ou plutôt des divers récits rapportés qui s’enchassent et s’entremêlent) ne sont pas forcément à prendre à la lettre ; ils sont d’abord et surtout emblématiques…) « on était invitées ma sœur _ Éri _ et moi _ Ève _ par notre cousin Richard Katz » ; et « Cette Éri, elle a _ depuis toujours _ un certain _ défiant ! _ toupet, quand moi _ dit Ève, davantage rationnelle et pragmatique, ne serait-ce qu’au titre d’être pour toujours son aînée _ je suis gênée. Et qu’est-ce qu’elle a commandé ? Une Côte de Porc ! J’ai failli tomber de mon tabouret. Justement avec le cousin qui est orthodoxe, elle n’a jamais mangé de porc, et subitement, je ne sais pas si l’Empire State lui est monté à la tête _ tout défi d’élévation s’exposant et même s’offrant consubstantiellement à être relevé ! Chiche ! _ et Richard Katz a baissé le nez et il n’a rien dit. Cette Éri a une certaine inconscience. Il est notre hôte _ il nous reçoit. Il est ici en toute confiance _ il est de la maison, on le connaît. D’abord il est notre cousin. Ensuite nous sommes ses invitées. Ensuite il n’y a _ vraiment _ aucune raison pour demander une côte de porc c’était pas nécessaire _ en rien, en effet : la provocation est purement gratuite ! C’est comme si cette _ taquine gamine d’ _ Éri avait porté un coup de couteau à l’Empire State Building. Je compare ça à un attentat fantaisie voilà : un attentat cousin (sur un mode léger de comédie) mais prémonitoire de celui à-venir des Twin Towers le 11-9-2001, sur un mode de tragédie monstrueuse, lui, avec ses 2 606 victimes dans les seuls effondrements des Tours… C’est comme ça qu’on se fait remarquer« , page 45 ; ou la contagion de la com’ et du quart d’heure wharolien new-yorkais  ; ou plutôt la persistance de gamineries hors d’âge chez Érika Klein Barmes, une descendante des Jonas d’Osnabrück…

5) Nous mentons (pages 59 à 63)

_ « Nous mentons, nous faisons tout au monde pour protéger l’amour, nous cachons, nous dissimulons, nous ne nommons pas les peurs et les dangers, nous ne révélons pas les secrets voilà _, nous couvrons _ mêmeun secret avec un autre secret » _ jusqu’à, par nos propres dénégations (de pressentiments, par exemple), réussir à nous piéger-mentir à nous-mêmes, aussi _, page 59.

« on ne ment pas _ vraiment _ quand on ment pour sauver sa vie, chez les juifs tu peux même manger du cochon, dit _ toujours très pragmatique _ maman, fais-le et ne le dis pas« , page 60.

6) On ne sait jamais qui va entrer (pages 64 à 82)

_ à propos de l’« autoconstruction » des livres « libres _ oui _ de leurs mouvements et du choix de leurs routes » qu’écrit Hélène Cixous, ceci, et qui est on ne peut plus au cœur du sujet même de ce livre, page 64 :

« Quelles que soient l’heure, la page, le Livre _ cixoussien _ est totalement décidé par l’hospitalité _ à de l’altérité (affective) à l’égards de personnes aimées. Tu ne sais jamais qui va entrer _ et sera accueilli _, dis-je à ma fille« , page 64.

« _ Est-ce nous qui menons le destin ou est-ce le destin qui nous mène ? _ C’est cette incertitude qui est l’âme de la littérature. _ C’est la crainte d’être incongrue qui est incongrue, dit ma fille« , page 65, à propos des voies ouvertes à la fantaisie de ce que pour ma part je nomme, à la suite des travaux de mon amie Marie-José Mondzain, l’imageance (créatrice) visionnaire. Ce chapitre-ci est en effet celui du portail à la serrure grippée d’Arcachon ; et c’est celui dans lequel « entre » (ou « rentre » : dans-dedans) la personne-personnage de Marcel (Marcel D.) :

« Brève conversation du _ mardi _ 18 juillet 2017 _ soit le surlendemain de la réparation de la serrure grippée du portail _ avec Marcel _ Aujourd’hui tu es rentré _ sic ! _ dans _ dedans _ mon livre. _ Quel livre ? _ Le livre que je suis en train d’écrire. Avec mes morts. Avec ceux que j’ai aimés et ceux que j’aime _ Wow ! ; mais c’est bien là son sujet-mission de prédilection à honorer-remplir en son écrire…  _ Avec mon nom ?  _ Avec ton prénom le vrai. Un vif sourire se faufile entre les lèvres, surprend Marcel, puis s’éclipse à la hâte, soucieux de respecter la dignité du patron. Marcel est content d’entrer dans un livre _ dont l’inscription demeurera. Dans l’usage des chevaliers sauvages _ mais pas « teutoniques«   _ on ne montre pas ses sentiments. C’est la courtoisie. Plus les sentiments sont violents plus ils sont discrets. _ Et mon chien ? _ Avec ton chien. Avec ton nom et ton chien. Je ne voudrais pas risquer de te faire passer pour une fiction« , pages 74-75. Le personnage du livre est donc directement et très étroitement fidèle à la personne même, on ne peut plus réelle, en effet, de Marcel ; et le Livre, à la vérité la plus vraie (ouverte même aussi à ses secrets à exhumer-réveiller) et profondément réaliste, donc, du Réel…

Page 40 de Gare d’Osnabrück à Jérusalem, Hélène Cixous a en effet écrit ceci de capital !!! : « J’ai toujours su _ dès la petite enfance de la maison à étages de la rue Philippe à Oran _ que j’étais destinée _ et l’œuvre entier l’assume _ à comparer _ en vérité _ les rêves et la réalité, afin de confondre la _ précautionneuse fuyante cachottière _ réalité, de la faire avouer _ voilà ! voilà ! _ ses rêves cachés _ ses secrets tus _, et qu’elle dépendait _ ainsi, la réalité même, en son effectivité pleine et vraie à mettre en lumière _ de moi, de ma visite _ tant soit peu attentive _, de mes questions _ osant s’avancer défier les mutismes _, pour sortir de son sommeil _ un peu trop commode et paresseux _ et in fine _ se révéler » _ enfin ! Voilà la mission tout bonnement sacrale de l’imageance visionnaire de cette écriture révélatrice, oui, d’un Réel élargi, avec la plus rigoureuse élémentaire probité, et qui sait rendre justice avec justesse à quelques uns des piétinés de la vie.

7) Un courrier (pages 83 à 98)

_ « Halte ! dit le livre, j’ai un courrier urgent pour toi. Excuse-moi que je t’interromps, mais ça vient d’Osnabrück« , page 83. Ici se développe plus particulièrement ce qui fait de Défions l’augure le troisième volet du (provisoirement) triptyque Osnabrück-Jérusalem : ce passé et à-venir-là continuant de venir visiter-hanter puissamment le Livre qui continue ainsi, livre après livre publié, pan après pan, lambeau après lambeau, de s’écrire…

« Tout cela vient de ce fait que quand je naquis à Oran _ le 5 juin 1937 _ je naissais par ma mère _ née, Ève Klein, à Strasbourg le 14 octobre 1910, mais d’une mère, Rosie Klein née Rosalie Jonas, à Osnabrück, le 23 avril 1882. Cette originalité _ de filiation Jonas _ est cause que mon livre et moi nous avançons _ de même que tous les Jonas et descendants Jonas d’Osnabrück _ par embardées. À plusieurs scènes. Et il arrive qu’un des livres du livre me fasse une scène _ dont les éclats-chocs théâtraux parfois criés un peu fort aident la sortie de ce qui, jusque là retenu, se taisait, était tu. _ Comme si j’avais pu t’oublier, Osnabrück« , page 83 ;

et c’est par là et en cela qu’il s’agit bien ici d’un troisième volet de ce qui constitue, tout au moins jusqu’ici, ce que je nomme le triptyque Osnabrück-Jérusalem… Et ce « courrier«  reçu est celui d’un correspondant féru d’architecture qui joint Hélène Cixous parce qu’il s’intéresse tout spécialement à Kurt Jonas (Johannesburg, 1914 – Jerusalem, 1942) un célèbre architecte sud-africain, qui se trouve être le cousin germain direct de sa mère Ève : Kurt Jonas étant un fils de Moritz Jonas (né à Borken et décédé, tard, à Johannesburg, époux de Selma Frank), un des frères de Rosalie-Rosie Jonas, épouse Klein, la mère d’Ève Klein, épouse Cixous, et grand-mère d’Hélène Cixous…

Et très vite, par le biais des généalogies de ces fratries et sororités Jonas d’Osnabrück, découvertes peu à peu, et toujours (et de plus en plus) partiellement et tard, voilà, page 86, qu’en amont comme en aval d’Osnabrück « une danse endiablée de centaines de Jonas me sarabande _ à nouveau, en amont, cette fois _ jusqu’au Rhin » _ à Bacharach « en 1739″, page 84.

« Comme tout est simple et ordonné chez les morts quand Ulysse s’entretient avec eux chez Hadès _ dans le récit-livre d’Homère _, certes ils se pressent _ et se bousculent un peu ces morts _ pour passer les uns devant les autres, mais ce n’est rien, chacun maîtrise _ in fine _ son histoire _ au final clairement achevé, chacun _ et ses sentiments _ à peu près ordonnés dans les portraits narrés _, tandis que chez nous _ les Jonas d’Osnabrück _ c’est chaos et confusion, dis-je à ma fille. (…) Une violente envie de fuir se répand _ alors _ comme une terreur dedans mon corps, pour quelqu’un qui veut et doit écrire

_ une mission sacrée : « On est obligé _ voilà! _, du moins pendant les siècles _ mazette ! _ où les fantômes sont encore en fonction« , trouve-t-on ainsi à la page 146 du premier volet de ce triptyque, Gare d’Osnabrück à Jérusalem ; et cela en vertu même des « droits«  (c’est-à-dire devoirs !) de « la Littérature« , page 147. Fin de l’incise. _,

pour quelqu’un qui veut et doit écrire toutes _ et sans en perdre la moindre... _ les histoires de la famille Jonas qui se perdent _ déjà, dans l’oubli qui gagne très vite ; mais aussi au sens de « se mêlent, s’emmêlent » les fuseaux de leurs fils enchevétrés _ les unes dans les autres, tant de récits amputés _ voilà _, enterrés, kidnappés, substitués et détruits, anéantis _, c’est le déluge _ auquel se trouve confronté ce devoir-mission-obligation d’écrire. Heine _ quant à lui, n’achevant pas son récit de Bacharach _ aussi a déguerpi (…) Qui suis-je _ et avec quelle autorité tranchante _ pour dire celui-ci est un parent, ce Jonas en est un, ce Jonas en est-il un ? Je comprends que Jonas _ l’ancêtre de Jérusalem _ se soit jeté _ de désespoir _ dans la baleine _ dans la Bible. On ne peut tout de même pas _ parvenir-réussir à _ engloutir _ vraiment et sans s’y noyer-perdre _ une telle foule » _ de si nombreux Jonas _, page 87.

« Et tous ces récits abandonnés, inachevés, ces chroniques échouées, enfouies sous des flots de sel ou de sable _ voilà _, ces morts qui ont perdu leur fin _ et tel est  le premier et principal scandale : que cette fin leur, singulière, propre, leur a été monstrueusement volée, assassinée, néantisée ! _ qu’en penser ? Y a-t-il une pensée qui ait la force de penser _ maîtriser-unifier-comprendre en son entièreté _ un tel éparpillement ? C’est la spécificité des généalogies juives, l’interruption _ la coupure _, dit ma fille, l’effet hallucinatoire des homonymies« , pages 88-89 ; et c’est cette « interruption« -rupture-coupure scandaleuse-là que le livre-récit, telle Antigone envers le corps abandonné-livré aux morsures des chiens de son frère Polynice, a pour charge inviolable de tenter de réparer, colmater, suturer, rétablir en son intégrité : en un tombeau-cathédrale-reliquaire monumental sacré de phrases qui leur rende-restitue l’intégralité-intégrité de leur vie ainsi que mort.

« J’y vois la preuve que dans bien des cas ce n’est pas l’agent humain _ en son individualité identifiable _ qui importe dans nos récits, mais que le personnage principal c’est le destin _ global _, ou l’événement _ singulier. Après tout ce n’est pas la personne _ même _ d’Ulysse qui nous lie _ nous lecteurs-auditeurs _ à l’Odyssée, c’est la somme _ homérique _ de ses aventures _ narrées _, et qu’elle soit finie _ et ramassée, clôturée, cette somme : par le récit-poème _ en vérité _ et pas en mensonge ou en Ruddeln : un facteur capital, donc : bien sûr ! _, et que la fin soit domiciliée » _ ne serait-ce qu’en une tombe-tombeau ; Hélène pense peut-être ici aux restes de son grand-père soldat Michäel Klein pourrissant encore quelque part en forêt ou tourbière perdue en Biélorussie depuis 1916 _, page 89.

Et « Là-dessus il me vient à l’idée que mon livre est le _ paradoxal _ résultat _ fruit direct _ de ce _ vaste et chahuté _ tumulte Jonas _ Osnabrück-Jérusalem _, hanté qu’il est par tant de passagers _ fugaces, effacés _ et populations très étrangers _ dispersés _ les uns aux autres affilié _ désormais _ nulle part, déménageur _ fuyard-fuyant _, jaseur _ ça oui ! et par défi éternellement juvénile _ comme Jacques _ le fataliste, de Diderot _ et comme ma mère _ Ève _ et sa sœur _ Éri ; et encore Marga _, tout étonné _ ce tumulte Jonas _ de ses bigarrures et déchiré de partout« , page 91.

« Bacharach _ la charmante petite cité rhénane _ est un conte où vivaient _ au XVIIIe siècle _ les Jonas avant le carnage _ qui, à petite échelle, commençait ou plutôt continuait depuis longtemps toujours déjà… À Osnabrück non plus, il n’y a plus _ depuis 1945 _ de juifs. Les Jonas sont partis en fumées _ crématoires de fours _ philosophiques. Il reste _ voilà ! _ de ces temps passés quelque chose de fée _ de transfigurateur _ dans ces villes _ telle Osnabrück ou Bacharach _, une chimie environnante _ à humer sur place _ qui éveille une irrésistible _ tiens, tiens _ pulsion _ mission poïétique sacrale _ de raconter (…) Et parfois tous les volumes d’une œuvre presque complète comme celle de Proust _ mais celle, aussi, de Montaigne ; ou celle de Cervantes : des marranes… _ aboutissent à un désir poignant de cathédrale-livre _ tombeau-monument-reliquaire géant _ car une cathédrale ne reste inachevée que pour accueillir le poète suivant » _ pour un passage éperdu de relais _, pages 93-94.

« Il y a des villes qui sont comme des livres _ et des tours _, qui grandissent, s’étendent en hauteurs et profondeurs, qui deviennent des réserves _ oui : généreuses _ du Temps, qui ouvrent des cimetières beaux et inquiétants et nous conduisent à notre _ propre _ tombe _ à-venir _ afin de nous aider à _ lentement, peu à peu, pas à pas _ l’apprivoiser, jusqu’à ce qu’elle devienne _ de notre vivant actif et créatif même (après, it’s too late…) _ notre chambre d’hôtel _ c’est-à-dire d’accueil-hospitalité _ au secret » _ à caresser et contribuer à faire s’entr’ouvrir et l’écouter _, page 97.

8) Escaliers fatidiques (pages 99 à 107)

_ « Mes livres sont des villes où demeurent des morts fées _ de fata, la fée, et fatum, le destin ; et Morphée, c’est le Sommeil (à rêves) ; sans même mentionner Orphée (de passage aux Enfers). Tous mes poètes sont morts. Tous les morts vivent encore _ autrement, forcément _ dans ces villes qu’ils enchantaient hier, dis-je _ et hantent discrètement maintenant. _ Des fantômes ? dit ma fille.  _ Des gardiens _ qui conservent et préservent _ du Temple _ espace féérique et dispensateur d’inspirations, s’il en est. Quel que soit le jour, Monsieur Émile m’attend _ pour l’éternité _ au quatrième étage de la rue Philippe _ à Oran _, nous au deuxième étage, l’étage juif allemand _ Klein – Jonas _ avec _ aussi, bien sûr _ mon père haut et long qui est une cigogne africaine faite jeune médecin _ Georges Cixous _, au troisième étage ma grand-mère espagnole _ Reine Sicsu, veuve de Samuel Cixous _ lente immémoriale…« , page 99.

« J’ai six ans, dehors c’est la guerre _ en 1943 _, j’étais sur les genoux de Monsieur Émile, il me permet de goûter une lampée de Pharmakon _ platonico-derridien, déjà _, je comprends ceux qui ne peuvent s’arrêter d’en boire, c’est divin, Monsieur Émile me raconte des histoires extraordinaires _ à la Poe _, je suis ivre de ses liqueurs fantastiques _ d’imageance à l’œuvre, déjà _, j’avale tout pour vrai. Et je vois dans le fauteuil dans le miroir ma très belle et très noble grand-mère allemande nous surveiller, bei uns à Osnabrück chez nous on ne croit pas aux contes de fées, dit Omi _ Rosie Jonas Klein _, à Osnabrück ma grand-mère _ Hélène Meyer Jonas, décédée le 24 octobre 1925 ; Ève venait d’avoir quinze ans _ nous interdisait de lire des contes de fées, dit _ aussi, en renfort _ ma mère _ Ève Klein Cixous. Les fées étaient _ ainsi bannies _ réfugiées _ clandestines _ dans les escaliers et au grenier. J’appartiens à Monsieur Émile pharmacien magicien je veux qu’il me raconte des inventions _ d’imageance _ et les croire. C’est ici au 4e étage malgré les réserves _ rationalistes _ du 2e étage que j’ai pris goût _ voilà _ à la liqueur d’écriture _ et imageance, donc _, dis-je à Isaac _ poète, lui. Au 4e étage il est possible de croire _ aussi _ ce qu’on ne croit pas _ normalement _ pendant plusieurs heures et jusqu’à tout un jour, ne pas croire n’empêche pas de croire, c’est un enchantement _ carmen, charme _ des sens _ oui _, sous la parole du magicien je suis assise et nous sommes deux sur ses genoux, celle qui croit et celle qui dans le secret ne croit pas, cela n’est pas gênant, on s’entend bien…« , page 103.

« Le livre aussi a plusieurs étages _ distincts et séparés, mais qui communiquent aussi et cohabitent.  Il y a des jours où son récit est arrêté aux Lumières, d’autres où on est attendu au Bureau des Rêves, d’autres dans des camps infernaux. Ce qui nous attire vers le faîte de la Tower _ et déjà la terrasse du sommet de la maison de la rue Philippe, à Oran, en 1943-44 _, ce n’est pas la promesse de la vue, car de si haut on ne voit plus le monde tel qu’on le fréquente ces jours-ci, mais le monde promis-retiré accordé _ voilà _ à Moïse comme sa grâce maudite personnelle _visionnaire et prophétique quant à la terre toujours toujours promise sans y jamais poser son pied ; aperçue seulement de loin, juste au moment de sa  mort, du sommet du mont Nebo. Alors c’est quoi ? dit ma fille. _ Je cherche, dis-je. C’est une force qui n’est pas de ce monde. Je trouve : c’est le pressentiment _ d’un à-venir promis vaguement supputé-deviné. Il y a des lieux à pressentiment _ visionnaire, et avertissement : à bon entendeur, salut _ et aussi des jours ou des heures. Tu es dans l’escalier qui est l’Escalier, le médium _ l’intermédiaire, le lien, le liant _, le familier et le fatidique _ le domaine des fées et de ce qui peut très bien nous attendre et nous pendre au nez _, et tout d’un coup tu « vois », intérieurement _ visionnairement clairement _, le mystère _ voilà _, qui est un mélange de mort et d’éternité _ par dessus (mais aussi dans-dedans) le temps et les temps même(s). Ou d’éternité et de mort _ qui est la simple transition-passage entre deux états successifs d’être. Et dont le cœur _ d’un tel mystère, donc _ est le diamant _ pur et translucide le plus précieux _ de la vie. Car c’est au sein de ce mélange _ éminemment fécond-fertile _ qui est une émanation atmosphérique des autres mondes _ pluriels et plurivoques _, qu’elle étincelle _ allume, enflamme, éclaire, illumine _ la vie.  (…) La vie, c’est tout ce qui arrive _ advient-survient-illumine _ dans les Escaliers« , pages 106-107. Et là est le pouvoir le plus profond de la vraie (lumineuse) Littérature (et Poïesis).

9) Le pressentiment, c’est (pages 108 à 111)

_ « Le pressentiment, dit ma mère, c’est quand tu reçois une lettre et que tu crois _ en refusant d’y prêter vraiment foi : il y a forcément erreur de destinataire et adresse ! _ que c’est pas pour toi » _ en un mouvement de répulsion-dénégation de l’intuition entr’aperçue mais immédiatement esquivée-contournée-repoussée de l’avertissement ainsi reçu ; tel, par exemple, le tout premier mouvement de recul (pas le second, qui fut de gratitude) de Marie, lors de l’Annonciation de l’Ange Gabriel… _, page 110.

10) À l’Ouest rien de nouveau (pages 112 à 139)

_ « on rentre _ revient, retourne _ à l’hôtel j’allume la télévision, jusqu’ici je suis encore à Paris je crois que le livre suit mais voici qu’il anticipe comme une fusée _ voilà _ je ne crois pas encore _ de fait, c’est difficile à accepter immédiatement _ ce qui déjà me crève _ pourtant _ les yeux _ et en effet, face à certains réels, notre premier réflexe est bien un massif « c’est pas possible !« . Mais c’est ici d’un tout autre ordre que celui du possible, car c’est le réel même qui vient là d’un coup terrible impréparé nous assaillir, accabler, effondrer. Et il faut forcément un minimum de temps pour commencer à se préparer à s’y faire, apprendre à y accommoder progressivement son regard, et sa conviction enfin, à la fin, peut-être entière ! _, la chambre flambe, le lit est drapé de fumées rougeoyantes _ issues des images se diffusant du téléviseur dans la pièce tout entière _, et après quelques instants je vois _ enfin à peu près _ ce que je vois  Ce sont nos tours ! Nos tours ! On tue nos tours ! _ voilà : la tour Nord a été frappée par le premier avion à 8 h 46 (heure de New-York) ; et la tour Sud, à 9 h 03. Ce qui donne, compte tenu du décalage horaire, que les images des tours en flammes ont été vues à la télévision quasi instantanément en direct, dans le monde entier ; et respectivement à 14 h 46 et 15 h 03 (à l’heure de Paris et de la France métropolitaine). Quant aux chutes, en suivant, des deux tours, la tour Sud, impactée la seconde, s’est effondrée la première à 9 h 58 (= 15 h 58 en France) et la tour Nord, impactée la première, à 10 h 28 (= 16 h 28 en France). J’avais cours, ce mardi, dans mon lycée, à Andernos-les-Bains jusqu’à 14 h 55 ; et là débutait la petite récréation d’un quart d’heure. Je m’apprétais à reprendre ma voiture au parking et regagner par la route de la forêt mon domicile à Bordeaux ; mais, en passant par la salle des profs, une de mes élèves (qui écoutait une radio) est accourue nous informer qu’il se passait quelque chose de très grave à New-York. Je prends ma voiture et me branche sur les informations tout le long du trajet (de 45 minutes) ; et j’allume aussitôt la télé en arrivant chez moi, un peu avant 16 h ; et assiste en direct aux chutes successives des deux tours. L’événement est mondial, comme l’avait été l’assassinat de Kennedy à Dallas. Nos tours, c’est nous ! On réveille Samson _ Isaac ? _, on a tondu ses tours ! Imagine son épouvante ! Non, mon imagination n’a pas la force d’imaginer. Le petit homme (? ) gît sous les décombres de la cathédrale de Strasbourg ! _ là, le lecteur approximatif et trop récent encore de l’œuvre Cixous que je suis, est sans assez de repères pertinents : même sachant que Strasbourg est la ville natale d’Ève Klein, le 14 octobre 1910 (et elle y a résidé jusqu’à la fin de la Grande-Guerre, avec sa mère, devenue veuve en 1916, et sa sœur, et toutes trois ont alors rejoint, dès 1919, ce qui demeurait des fratries Jonas d’Osnabrück à Osnabrück même) ; et aussi celle où a travaillé, et non sans difficultés, Omi, vers 1930, dans l’usine de son beau-frère Moritz Klein, ces allusions au « petit homme«  à « la cathédrale de Strabourg«  me dépassent totalement ; je ne dispose de rien à quoi les raccrocher… _ On tue notre cathédrale ! Je t’appelle ou tu m’appelles _ c’est difficilement (volontairement ?) décidable en cet état du texte ; et peut-être est-ce même ici un acte de l’imageance présente… Où es-tu ? Dans ton hôtel _ où ? à Shangaï ? à Pékin ? en Chine ? _ mon jour est ta nuit  » _ de fait s’il fait alors jour à Paris et New-York, il fait déjà nuit en Chine : le décalage entre New-York et Pékin est de 12 heures, et de 6 heures entre Paris et Pékin ; il est 22 heures à Pékin quand il n’est que 16 heures à Paris et 10 heures à New-York  _, pages 112-113 .

« _ Quelle heure est-il à Pékin ? C’est toi ma Chine qui m’appelle ? Tu m’appelles. _ Ne bouge pas ! Elles tombent ! Nous nous regardons _ avec elles _ tomber. Dans le rêve _ et son induration, ensuite _ elles tombent sans arrêt, tours tombantes, tomber ça peut durer longtemps, à peine poussière elles colonnent _ de poussières cataclysmiques de cendres, de tonnes tombantes de gravats, d’asphyxiantes fumées _ (…) nous regardons tomber toutes les larmes du monde, les tours tombent le mardi _ du 11 septembre 2001 _, toute la semaine, toujours encore Étoiles qui êtes l’œuvre d’hommes, vous tombez, dit Isaac _ a falling star est une étoile filante… _ nous sommes dans le petit ascenseur de bois _ de l’hôtel de Gramercy ? ou bien en Chine ? _ en route fusée pour des astres en larmes et il n’y a pas d’espace si c’est pour ça Anafranil alors je m’en passe dit Isaac, une voix terrible, le bonheur tombe c’est pas la grande forme le beau temps le mauvais temps la machine à interpréter, beaucoup de rêves, je me suis réveillé il y avait entre autres Hitler il était encore là au petit déjeuner j’étais à Pékin avec Hitler, un hôtel extraordinaire, en réalité, il faut me protéger _ Ne bouge pas ! je regarde la télévision _ à Pékin, à Paris, ou everywhere de par le vaste monde _ ça recommence c’est pas de sitôt qu’on saura, pour les conséquences, je le ressens comme un coup personnel _ voilà ! _, où est ta mère ? le chat ça va ? _ Hélène serait donc, elle, à Paris, voire encore à Arcachon, ce début septembre _ La vie reprend déjà les vols commerciaux ont repris, j’ai vu Bush parler, au-dessous de tout, la vie reprend ma mère est en Angleterre, avec sa sœur, elle est _ filante _ à l’anglaise « , pages 116-117.

« Les Tours nos mortes nos morts combien de morts ? Il faut ajouter tous les morts que la mort des Tours a fait tomber dans les Escaliers de la mémoire« , page 119.

« Je relis Im Westen Nichts Neues _ de Remarque _, dis-je. C’est le plus beau livre du monde. Ce livre dès que tu l’écoutes _ ses voix parlent _ ne te quitte plus jamais (…) et la tête penchée sur l’obscurité le jeune soldat que la guerre a nourri d’un massacre quotidien _ et c’est une hécatombe _, voilà qu’il accouche, comme une jeune mère vierge, de la Divine Poésie _ aux chapitres dantesques de l’Enfer. Avant lui, personne, sinon Homère _ l’Iliade cette fois. Il est six heures _ quel matin ? de quel jour ? _ Homère se réveille en allemand pour la première fois depuis 3000 ans. C’est un petit soldat aède de dix-neuf ans de la ville d’Osnabrück _ Erich Maria Remarque _ enrôlé pour la Tragédie, comme tous les prophètes de dix-neuf ans il ne sait pas qu’il est élu, c’est pour cela qu’il a la grâce _ d’innocence _ des poètes, il passe d’enfance à éternité _ voilà ! _ en avalant la vie et la mort d’une seule gorgée, au sein sanglant du grand carnage l’apocalypse _ oui, de saint-Jean _ est son maître d’école, son nom d’Homère est Remarque, il aura été averti _ pour ce qui risque de suivre et qui hélas suivra _ (…) sans lui personne n’aurait jamais rapporté la parole _ voilà la mission sacrale : refaire résonner et à jamais dans l’éternité ces voix _ des morceaux de morts, de tendres phrases aux genoux broyés, aux mains coupées _ telle la main droite de Cendrars _, et qu’une aposiopèse achève comme le fantôme d’un hurlement, « tu… » Entre deux attaques, la paix surnaturelle de l’écriture _ oui, elle possède bien un tel pouvoir de surnature : pacifié et apaisant _, assis à côté du mort qui vit encore un moment, n’a pas encore digéré le bout du saucisson, n’a plus d’intestins, est atteint par l’infini sagesse de la fin : « tu diras » et le reste est silence car tous les comourants sont les héritiers _ oui _ de Hamlet, les princes de la boue et de la tristesse, « tu diras » et pendant la paix profonde et fraîche entre les feux tonnant, voilà qu’apparaissent les fantômes _ doucement luminescents _ des paysages aimés _ voilà _, les doux vieux peupliers, le long de la douce petite rivière de la Ville, tous ces adorables trépassés _ dont le grand lys flottant de la douce Ophélie _ qui ne reviendront plus jamais en réalité » _ seulement dans les rêves nocturnes et l’imageance poïétique _, pages 120-121.

« Et la beauté du monde recommence _ et va durer un peu _, et c’est la première fois qu’on découvre l’Amérique _ industrialisée _ du Souvenir, et le monde se relève _ forcément _ en pleurant, et en silence, car il revient en images et en ces pensées qui ne parlent pas en mots mais en visions et en paysages perdus » _ obsédants _, page 122.

Le réel, la vie,

dans laquelle

son propre cours de vie personnelle plus ou moins singulier,

ainsi que l’Histoire générale (contemporaine, mais aussi universelle !) jusqu’à aujourd’hui (et plus tard),

forcément prennent place, s’insèrent, viennent jouer,

et en sont plus ou moins cahotés, malmenés, brisés, parfois à réparer,

est l’objet de fond de l’écriture.

Ainsi, également, que ce qui en ressort de fondamental pour qui

_ elle et ses proches au premier chef,

mais c’est simple affaire de focalisation et départ-ancrage de la perspective de l’écriture du récit (qui n’est jamais, jamais, une chronique historique générale, et encore moins à relents communautaristes de quelque communauté que ce soit) _

survit à tout cela ;

mais aussi grâce à quels moyens cela émerge dans le rendu magnifique de l’écriture ! :

 la somptuosité

_ plus que jamais en acte ! ici ; et avec quelle liberté en ses fulgurances illuminantes de poésie _

de l’imageance à mille facettes de la généreuse

et magnifiquement libre, mais parfaitement rigoureuse et implacablement probe, aussi,

écriture cixoussienne

sur le rôle _ et mission sacrale auto-assignée, ou plutôt donnée, reçue et acceptée _ de laquelle

porte, de fait,

le principal de l’exploration-fouille

de ce récit-méditation-ci qu’est ce beau Défions l’augure ;

et toujours avec une merveilleuse légèreté amusée et polyphonique…

Et, maintenant, en une seconde partie,

comme annoncé plus haut,

à la façon de mes approches précédentes de ce que je nomme « le continent Cixous« ,

et bien sûr à partir de ma lecture précise de Défions l’augure

je place ici _ à la poursuite de mon dossier d’approche de tout l’œuvre Cixous (car je suis un gourmand !) _,

cet article-ci Le 11 septembre dans la mémoire intemporelle d’Hélène Cixous de notre ami René de Ceccatty,

publié dans Les Lettres françaises, le 8 février 2018,

et emboîte une nouvelle fois ma lecture à la sienne  _ en cet article sien, au sein duquel j’intercale, au passage, ainsi que j’aime le faire (en forme de triple dialogue), quelques menues farcissures de commentaire (ou précisions factuelles) de mon cru, en vert.

Bien sûr, si ces farcissures dérangent en quoi que ce soit, le lecteur a, et à tout moment, tout loisir de les shunter…

Le 11 septembre dans la mémoire intemporelle d’Hélène Cixous

Défions l’augure

de Hélène Cixous

Galilée, 152p.

De quoi s’agit-il dans le dernier livre d’Hélène Cixous ? Si elle ne posait pas elle-même _ page 97 : « tu es déjà assez illisible (…) tout ça est escarpé, abrupt, étrange pour ne pas dire étranger « , dit Isaac, ; et « en cela il tombe d’accord avec ma mère«  : voilà… _ la question de sa « lisibilité », par la voix _ délicieusement malicieuse et toujours très pragmatique _ de sa mère, morte il y a quelques années _ le 1er juillet 2013 _, on hésiterait à le faire, de crainte de paraître offensant. Mais, après plusieurs livres où la narration, malgré les sautes de temps, les simultanéités inattendues, les confrontations de registres très différents et pouvant paraître, à première vue, incompatibles _ et donc iconoclastes pour les codes romanesques dominants _, mais qui tous ménageaient _ cependant _ une forme de _ relative _ continuité autobiographique _ du moins ressentie comme telle par le lecteur ! grâce principalement à quelques événements-accidents centraux, forts, bien repérés, et hiérarchisant le récit _, Hélène Cixous renoue ici avec une période de son œuvre, moins directement accessible, moins ouverte _ même si c’est encore et toujours affaire de degrés et nuances, plus que de rupture sèche… Mais me manque la compétence d’assez de lectures pour en bien juger. L’hermétisme en poésie n’est pas un défaut, c’est un choix. C’est le trobar clus des troubadours.  Il est parfois réclamé, comme une nécessité _ pour des motivations diverses, le plus souvent de prudence protectrice, via un cryptage ésotérique _, dans le cheminement d’un écrivain intérieur voilà. Comme Montaigne _ décidant, au printemps 1571, de se se retirer de toutes ses charges publiques, en son château périgordin au milieu des bois de Montaigne, à l’âge de « trente-huit ans » _ cherchant dans sa _ seule _ bibliothèque _ « librairie« , dit-il, dans une tour bien séparée du château, à l’abri des bruits et criailleries de la vie domestique _ « sa liberté, sa tranquillité _ d’esprit _ et son loisir » _ de méditer et écrire, en s’essayant, au sein de la compagnie choisie (parlante, ou plutôt chantante et enchanteresse, en leur « entretien« ) des Muses _, pour citer, avec Hélène Cixous, la phrase latine peinte sur le mur _ en fait sur une des poutres _ de son cabinet _ sa « librairie« -chambre d’écriture au second étage de la tour ; la sentence est en effet donnée in extenso en latin à la page 69 : « istas et dulces latebras avitasque libertati suae tranquillitatique et otio« . Quitte à semer et perdre en route du cheminement de lecture de tels essais écrits « à sauts et à gambades« , ceux qui, manquant de persévérance et d’un minimum de sagacité amusée, sont les potentiels récepteurs de son gentiment préventif « Avis au lecteur«  : « Indiligent lecteur, quitte ce livre !« .. N’entre donc que qui peut, avec assez de patience et constance, mettre son pas en semblables serpentines lectures ! Il y a là un implacable sas, un portail à serrures à ouvertures-retards…

C’est donc une maison fermée _ la maison d’écriture de Hélène, ceinte d’un mur comportant un unique portail (qualifié, pour ses serrures, de « gladiateur pervers« , page 76) pour entrer et sortir de la propriété avec jardin, quand il s’agit de la Villa Ève, à Arcachon, aux Abatilles, non loin des dunes boisées de l’Éden, au Pyla proche _ qui se présente ici, mais avec plusieurs fenêtres _ grand _ ouvertes _ sur le ciel et, non loin, le large sans fermeture de la mer _, qui permettent, en tout cas pour les lecteurs assidus ou réguliers des livres précédents _ de notre auteure _, de s’assurer quelques repères _d’orientation et vues-pressentiments (« augures«  !) sur le futur, avec ses risques-menaces endémiques, ou périodiquement de retour, aussi. Il y a la famille Klein, la famille Jonas _ les deux branches de l’ascendance ashkénaze germanophone de la mère, Ève Klein, de l’auteure _, dont les lecteurs sont _ en puissance ou en acte _ familiers. Famille maternelle d’Hélène Cixous. Il y a les villes d’Osnabrück et d’Oran _ en leurs noms emboités (Oran dans Osnabrück) de poupées-gigognes _, il y a l’immeuble du 54 rue Philippe à Oran _ avec l’étage supérieur, le 4e, du magicien-pharmacien Monsieur Émile, initiateur précoce à la formidable imageance des contes ; mais pas du tout comme fuite de lâcheté à l’égard du réel ; tout au contraire : comme instance (de poïesis) de connaissance et vérité la plus probe et réaliste qui soit ! du Réel non étroit, élargi aux présences parlantes de proches disparus qui le marquent et le hantent toujours, ce Réel bien réel. Il y a Isaac, personnage récurrent _ en l’œuvre-Cixous _ et _ très volontairement _ peu précisé _ sinon l’indication répétée que celui-ci est « poète«  ; et même proclamé « Prince des Poètes«  _, dont le modèle est _ encore cette fois-ci, en ce nouveau livre-ci _ laissé dans son incertitude floutée _, sinon qu’une passion transatlantique _ principalement new-yorkaise : du moins pour leurs rendez-vous répétés à l’hôtel Gramercy, à Manhattan ; et leur usage commun (et peut-être exogène ?) de la langue anglaise… _ l’unit à l’auteur _ Isaac serait peut-être (« J’ai quand même survécu dix ans à ma mort-Isaac , est-il mentionné page 17) décédé il y a dix ans : en 2007 ? Mais devons-nous nous fier aux dates semées de-ci de-là ? Le livre ne tient pas une chronique historique strictement chronologique, mais se pourvoie en références emblématiques, à dimension d’éternité… Il y a les habituels anges tutélaires _ de Hélène _ : Homère _ surtout ici pour l’Odyssée, mais l’Iliade aussi_, Montaigne _ et le chantier infini de ses inépuisables Essais à profusion _, Shakespeare _ pour ici Hamlet et La Tempête, ainsi que Le Songe d’une nuit d’été _, Stendhal _ pour La Chartreuse de Parme et aussi Vie de Henry Brulard _, Proust _ et le tout du trésor d’ À la Recherche… _, Poe _ pour L’Enterrement prématuré et ses Histoires extraordinaires _, Kafka _ pour La Métamorphose _, Hugo _ pour Le Rhin, Lettres à un ami : un petit texte à propos de la ville (éminemment jonassienne) de Bacharach _, Diderot _ et son Jacques le fataliste _, Heine _ pour Le Rabbin de Bacharach _, auxquels s’ajoute ici _ pour son À l’Ouest rien de nouveau _ Erich Maria Remarque _ natif, comme certains des Jonas (dont Omi, la grand-mère Rosie, d’Hélène Cixous) d’Osnabrück ; mais aussi et encore Descartes (et son Discours de la Méthode), le poète John Donne, à propos du poème servant d’en-tête merveilleux au dépliant du restaurant du 107e étage (pages 24, 31 ou 39) de la tour Nord des Twin Towers, le bien nommé Windows on the World), etc. Et _ avec ces divers concours gentiment appelés à la rescousse _ le livre lui-même, celui qu’on est en train de lire, s’exprime _ de sa propre initiative : intempestive, disruptive, féconde en ses volte-faces et embardées surprises, qui sont autant de féeriques enrichissements permanents : c’est important.

On est surtout en pleine guerre _ du XXIe siècle. Les tours _ défiant spectaculairement le ciel ; et les défis, forcément, attirant irrésistiblement ceux qui aspirent à les relever ! _ s’effondrent : non pas celle _ impeccablement sereine, elle, et durablement solidement debout, même au pire de l’effroyable des fratricides guerres de religion _ de Montaigne, à laquelle l’écrivain rend sacralement, au moins une fois l’an _ visite _ depuis sa propre « tour » d’écriture, à l’étage de sa villa _ tous les étés, lorsqu’elle habite sa maison d’écriture _ réservée (et sévèrement !) à cela ! _ à Arcachon. Mais bien sûr, les Twin Towers. On est donc en 2001 ? Non, en 2000, un an avant l’attaque terroriste _ tiens, tiens ! Dont on aura eu alors le « pressentiment«  augural destinal. Voilà ! Mais Hélène Cixous joue sans cesse avec les diverses temporalités, qu’elle bouge, triture, malmène, renverse, fait surtout magnifiquement dialoguer entre elles. Et l’on n’est pas seulement _ voilà ! _ au sommet de la tour Nord _ de ces tours jumelles _, dans le restaurant bien nommé « Windows on the World », mais aussi _ en même temps ! mais pas forcément la même année : peut-être en 1990 cette fois, mais ce n’est surtout pas indiqué-précisé ; au contraire, c’est affirmé-évoqué, vaguement, comme concomitant _ dans le restaurant de l’Empire State Building, où Ève et Éri, la mère et la tante d’Hélène, partagent un repas dans la cantine _ mais ce peut être aussi la « cafeteria du Rockefeller building« , comme le mentionnait, à la page 102, Gare d’Osnabrück à Jérusalem _ avec leur cousin _ Richard _ Katz _ né le 23 février 1902 et décédé le 9 décembre 1991, le mari de Hilde Löwenstein (née à Gemen le 14 octobre 1901), l’une des trois filles, celle du milieu, entre Gerda, l’aînée (née le 17 octobre 1900), et Marga, la dernière (née le 30 décembre 1910) de Paula Jonas (l’épouse d’Oskar Löwenstein), elle-même, Paula, la troisième des quatre sœurs Jonas (après Jenny, épouse de Meyer Seehoff, et Hedwig-Hete, épouse de Meyer Max Stern, et avant Zophie : peut-être décédée, elle, à Theresienstadt, mais les divers livres successifs que j’ai lus demeurent muets sur sa geste singulière ; et si ce sont bien là les quatre sœurs Jonas de Rosie !..) de Rosalie-Rosie Jonas, épouse et veuve Klein, la grand-mère maternelle d’Hélène Cixous ; même si la liste de ces fratries-sororités Jonas d’Osnabrück n’est, à ma connaissance, tout au moins, nulle part clairement indiquée ! Cf plus haut… Mais on sait _ c’est-à-dire au premier chef Hélène et Isaac, et peut-être encore Ève et Éri ; mais nous aussi, lecteurs, à leur suite : saisis qu’avec eux nous sommes du très fort pressentiment-augure ! _, pendant ces repas _ d’altitude touresque new-yorkais  _, que bientôt _ quelque jour à-venir… _ les tours s’effondreront _ de fait ce sera le mardi 11 septembre de l’année suivante : 2001. Et pas seulement elles _ ces tours ! D’autres chutes-effondrements (et pas que de tours dressées vers le ciel) sont à-venir et suivre aussi. Tout vivant sexué (mortel) est passager et fragile, et destiné, seulement medium qu’il est biologiquement parlant, à laisser la place (bien forcément, et sans alternative !) à la descendance (s’il y a lieu). Une expression prononcée par Hamlet, « we defy augury » _ Hamlet, Acte V, scène 2 _, en réponse aux _ prudentes _ mises en garde d’Horatio, avant de se battre en duel _ à fleuret empoisonné (ce que Hamlet ignore et ne soupçonne probablement pas !) _ avec Laerte _ le frère d’Ophélie et fils de Polonius _, parcourt _ et ponctue, telle une ritournelle, en effet _ tout le livre. « Défions l’augure », c’est-à-dire n’écoutons pas la peur _ issue tout naturellement de l’avertissement du « pressentiment«  ; et le courage, ce n’est pas ne pas avoir peur, c’est ne pas se laisser abattre par cette peur, mais prendre sur soi d’oser la surmonter, cette peur bien naturelle _, de toute façon le destin suit son cours _ ici, je ne suis pas du tout sûr que Hélène Cixous soit fataliste, bien au contraire, même ! ; elle est seulement très consciente de l’importance très grande des rapports des forces en présence, ainsi que du jeu (et fréquences à envisager avec le plus grand réalisme, bien sûr) des probabilités impliquées par les divers déterminismes en jeu bien présents. Mais du jeu (et c’est fondamental !), et une liberté nôtre, demeure(-nt) aussi !.. Les signes annonciateurs d’une tragédie doivent d’autant plus être ignorés qu’ils ne peuvent _ du moins ces signes ! dès qu’ils sont perçus… _ être combattus _ même remarque de ma part que pour la phrase précédente. Fuir, et fuir à temps (« The readyness is all !« ), ce qui est pressenti dans l’augure, demeure tout de même sinon presque toujours, du moins assez souvent, possible ; la nasse comporte, et fort heureusement le plus souvent, quelque faille ; un bon exemple : la belle longévité trans-frontières d’Ève (plus experte en géographie qu’en histoire ! dit-elle…) , qui a su chaque fois fuir et échapper à l’emprise se resserrant sur elle de la nasse, à temps ! « Soyons les auteurs de nos fatalités« , ne manque pas ainsi de souligner face aux divers contextes et accidents possibles, l’auteure, page 61, en son éloge de la fondamentale décisive liberté ; et qui n’est donc pas seulement celle, littéraire et poïétique, de l’imageance ondoyante de l’écriture du livre…

Ici _ dans cet opus-ci _, Hélène Cixous a décidé de ne pas raconter une histoire : elle n’est pas _ mais l’est-elle souvent ? complètement immergée _ dans le temps _ chronologique _ des événements successifs _ son temps à elle, et celui du livre, étant celui que lui met à portée la puissance en acte et à l’œuvre (in progress) de sa propre imageance d’auteure constamment sur le vif du qui-vive ; et apte à saisir, dans les aspérités sensibles du temps même, l’éternité du Réel. Elle fait _ par l’acte et l’œuvre même du déploiement de cette imageance sienne _ revivre sa mère, elle suit _ à nouveau _ Ulysse dans son voyage chez les morts _ à la recherche d’un vrai tombeau de paroles, enfin, pour Elpénor, le noyé au corps abandonné aux poissons en Mer Tyrrhénienne _, elle remonte le temps et se rappelle aussi qu’elle a toujours anticipé _ auguralement _ l’avenir _ les deux, remonter en arrière et anticiper en avant ; et de ce temps (et dans-dedans le temps et les temps mêmes), l’intéresse la dimension a-chronologique (mais pas intemporelle ; dans-dedans le temps !) de l’éternité. Est-il question d’une histoire d’amour ? Oui, sans doute, mais elle n’appartient même _ probablement _ pas à ce qu’on appelle la mémoire _ capable de retrouver et dater l’événement et de le chroniquer. Même si elle rend, une fois de plus, hommage à Marcel Proust (« pilier vivant de tout ce que j’écris ») et à sa métaphysique du temps, elle ne suit pas la même voie _ d’essai de reviviscence (à teinture nostalgique de retrouvailles tentées avec quelque paradis perdu, enfui) du temps perdu-passé : qu’il faudrait, comme tel quel, « retrouver« … En cela, sa Poïesis a quelque chose de plus philosophique et emblématique et universel, via le plus singulier et charnel du concret, quoi que toujours et de part en part, cette Poïesis Cixous, intimement concrète et charnelle.

… 

Elle donne une bonne _ magnifique ! _ définition de sa démarche _ d’écrivante _  et de son rapport _ crucial et formidablement mobile-plastique _ au temps _ et là, quant à la démarche et au Livre lui-même, réside en effet le point fondamental _ : « Mes livres sont des autoconstructions _ voilà : étrangement autonomes, et pleinement assumées ainsi par elle, l’écrivante, qui s’y plienautiques, dis-je à ma fille, libres _ oui _ de leur mouvements et du choix _ entiers _ de leurs routes, ils peuvent prendre l’air ou l’eau _ oui _, couler, voler _ leurs flux varient _, se composer _ condenser, de manière ouverte _ de plusieurs histoires _ qui tirent concurremment dans des directions fort diverses, jamais parfaitement coordonnées, ni totalement unifiées : elles se frottent et rippent non sans grincements riches de musiques inouïes les unes contre les autres _, de plaisanteries _ l’humour n’est jamais très loin !, mais jamais gratuitement ; et toujours avec une vraie profondeur, en sa légèreté dansée _, de témoignages vrais comme faux _ à nous étourdir : lesquels privilégier ? Ils sont enrichis _ oui _ d’alluvions _ riches, voilà _ en provenance _ ouverte, là encore, sur ce réel qui leur pré-existe et demeure toujours en partie extérieur au récit et son auteure, jamais qu’il est, ce réel, complètement de part en part, assimilable ni réductible non plus, à ce qui pourrait être la vision-visée principale et unifiante (de l’auteure) de ce récitde tous les mondes _ cf Le Tour du jour en quatre-vingts mondes de son ami Julio Cortazar ; et pour Hélène Cixous, les mondes divers, ce sont d’abord des voix plurielles ! _, déposés en tel chapitre _ d’où le sentiment de débordement d’humus et végétation et effloresccnces, qui demeure. Contribution gracieuse des dieux _ toujours supérieurs à nos individuelles menées.  Ils sont produits par bien des faiseurs _ que soi-même, que la seule imageance de l’auteure (ou même l’imagination adventice du lecteur) _, rêvés _ en partie, au sortir juste de la nuit, en effet _, dictés _ d’ailleurs que soi _, rapiécés _ beaucoup ! de pièces déjà déchiquetées et forcément toujours partielles, bancales, mutilées _, augmentés de fantaisies _ aussi : éminemment ludiques ; mais sans arbitraire, ni absolue gratuité _, d’où la pluralité _ riche et généreuse, opulente même _ de leurs lieux de naissances. Si pour en noter _ au vol _ le voyage _ vivace et animal _ je suis à l’ancre dans mon bureau _ dunaire (hérité de la forêt d’Éden, en cette un peu excentrée zone d’Arcachon, aux Abatilles) _ d’Aquitaine _ d’Arcachon _, mes esprits _ toujours pluriels et mobiles : mixte d’Ariels et de Calibans, et encore mille autres _ vont et viennent dans les villes _ surtout,, rimbaldiennes _ et les temps _ successifs et en même temps co-présents _ qui habitent aux différents étages de ma librairie _ montanienne _ mentale » La phrase _ celle-ci, ainsi que pas mal d’autres _ n’est pas achevée par un point _ marquant le caractère forcément toujours partiel et lacunaire, en dépit de la saisie réussie du flux de ce réel, de ce que fut la notation au vol ; et ce qu’elle a pu saisir de ce qui se donnait, en voix, à entendre-recevoir-accueillir. Page 18, Hélène Cixous parle, merveilleusement !, de son « téléphone des oiseaux«  (l’expression est magnifique !) ; en voici l’élan du passage (sublime !), et d’une justesse absolue : « Quand j’écris tout est au présent _ voilà : égalisateur ; et c’est fondamental. Le temps me suit. Ce n’est pas Moi qui écris, c’est ma providence spéciale _ voilà : infiniment prévenante !, la Toute Puissance Écriture, c’est elle _ cette imageance généreusement pourvoyeuse _ qui me souvient quand j’oublie. Elle me réveille _ déjà _ avant l’heure, je n’ai même pas fini de lire mon rêve _ au tout petit matin sortant de la nuit _ que je l’entends chanter de tous ses oiseaux, chœur successif, à l’instant je suis ravie _ emportée, raptée _ et convaincue, je les crois _ oui ! _, ce sont mes guides _ voilà _, personne ne me fera changer d’avis, je dis oui au merle suivi du rouge-gorge suivi de la mésange, je vous suis, je viens _ et on entend siffler-vibrer-chanter tous ces V. À ce moment-là les morts sont relâchés _ de la pesanteur de leurs remords et chaînes les retenant au passé trépassé _, trêve _ alors _ de séparation, quel soulagement _ en ces retrouvailles impromptues _, et tout le monde va bien comme d’habitude, maman, mon père, l’éternel _ beethovénien _ bien-aimé, mes enfants, mes incarnations animales _ aussi _, certes notre régime d’exception a _ forcément : il est exceptionnel _ quelque fragilité _ il a bien sûr ses conditions exigeantes _ mais pour le moment _ et c’est bien ce qui importe ici _ nous resplendissons _ voilà ! _, et maman s’agite _ toujours _ en sa chambre en réalité _ pleine. La réalité, c’est ça, ce qui répond _ voilà ! _ en toutes circonstances au téléphone des oiseaux » _ soit la ligne la plus directe de l’essentiel ; en une affaire de branches et branchements, dans la ramure du vivant qui s’agite à la brise, parmi les frondaisons, et chante, chante. C’est l’entretien (ramelien, et jaccottien) des Muses. Il est temps de donner la parole à Ève _ toujours ressuscitée, plus vive et vivace vivante que jamais, par l’imageance auscultante ressuscitante de sa fille _, qui contestera _ malicieusement, et avec son pragmatisme nourricier de survie, comme à son habitude _ l’obscurité du livre, l’obscurité de ses livres, de ses interventions dans les colloques.

Cette voix intérieure _ voilà ! _, qui a nom Ève, est aussi une forme de mauvaise conscience _ oui, bien sûr _ qui hante ces pages _ comme les interventions intempestives et à contre-temps des bouffons pleins de vérité à la cour des rois de Shakespeare. Car les nombreuses énigmes dont elles sont pleines _ à plaisir à foisons _ sont posées sans être interprétées _ ce serait trop facile et très artificiel ; et gèlerait en leur propre ouverture les mouvements débutants du penser piqué au vif du lecteur. Alors que le livre tout entier est une tentative _ sans garantie préalable de réussir quoi que ce soit _ d’interprétation _ de la totalité du réel croisé à portée (plus ou moins proche) de soi.  Il y a des énigmes littéraires : par exemple, outre la phrase de Hamlet _ « We defy augury ! » (Hamlet, V, 2) _, quelques vers _ « The closest  / Some of us / will ever get / to heaven« , page 33 _ dont on ignore l’origine _ John Donne ? Son nom est proposé deux fois, page 34 (« Selon moi _ intervient ici la fille de Hélène Cixous _ Donne _ qui fut aussi prètre anglican à Saint-Paul et un prédicateur singulièrement merveilleux en ses MéditationsSermons _ se livre ici à une parodie de la logique du salut. On sent la reprise de la voie étroite« ) et page 35 (« Ça dépend de la charge connotative de Heaven à l’époque _ 1623 _ où Donne l’emploie, dit ma fille. Ce sont les âmes qui vont au Heaven. Les corps vont au Sky. En allemand Himmel c’est pour les deux, c’est plus pratique dit ma mère. Je crains qu’un jour le ciel comme la terre soit rempli _ jusqu’au débord ! _ de morts, on va finir par enterrer la lune « ) ; mais je ne sais rien du poème d’où ces vers sourdent, même si j’aime beaucoup John Donne (Londres, 22 janvier 1572 – Londres, 31 mars 1631) : je dois avoir quelque part tapi prêt à bondir en ma bibliothèque un volume de poche (Penguin ? ) de l’intégrale de ses poèmes _, et même l’authenticité : « The closest some of us will ever get to Heaven », «  le plus près du ciel où certains d’entre nous pourront jamais aller ». Il s’agit, en fait _ d’abord, au sein du récit _, du slogan publicitaire figurant sur une brochure touristique distribuée aux visiteurs des tours _ les Twin Tower ont été achevées de construire en 1973 , et le restaurant Windows on the World a ouvert le 19 avril 1976 _ dans les années 1980 _ 1990 serait une date possible, sinon présumée, du voyage à New-York d’Ève Cixous et sa sœur Érika Barmes (nées Klein) ; et où elles auraient rencontré leur cousin Richard Katz (1902-1991), l’époux (et déjà veuf alors : « Hilde était déjà morte« , page 45) de leur cousine Hilde, née Löwenstein (1901-1985) ; le cousin Richard Katz qui avait travaillé comme caissier (page 45) dans une banque située à l’intérieur de l’Empire State Building (page 25), bien que désormais retraité, bénéficiait toujours du droit de prendre ses repas à la cantine (ou cafeteria) de cette banque, au sein de l’Empire State Building (page 45) ; cantine-cafeteria où il avait donc invité ses cousines : la facétieuse Éri avait même, la chose est mémorable !, commandé une Côte de Porc : « Richard Katz _ qui est un juif « orthodoxe » ! est-il précisé… _ a baissé le nez et il n’a rien dit« , a raconté Ève (toujours page 45). Il y a  des énigmes familiales, comme toujours _ bien sûr ! telle l’adoption par le couple des Katz, justement, à New-York, du fils, Bruno (né à Karlsruhe le 27 mai 1924), de Gerta (la sœur aînée de Hilde) et Wilhelm Moch, décédés tous deux à Auschwitz le 17 août 1942 ; et le refus concomitant (assez énigmatique) des Katz d’adopter la sœur cadette de Bruno, Anneliese Moch (née à Karlsruhe le 22 janvier 1926) : « Je dis : après la guerre on a adopté le garçon et on a laissé la fille dans l’orphelinat ? C’est ça le sujet du Ruddeln ? Mais Ève _ gênée _ ne répond pas. Par définition Ruddeln se passe toujours sous une nappe de silence«  (page 47) _, et surtout énigmes historiques : l’événement du 11 septembre 2001 _ pour commencer ; mais bien d’autres aussi. Et le récit ne décrit rien de rien du détail des événements mêmes de ce 11 septembre-là ; l’événement signalé (et archi-connu de tous et chacun) est seulement emblématique de ce qui attend toute tour (ou presque : mais pas celle, par exemple, de Montaigne ; la tour-« librairie« -écritoire de Michel-le-Pacifique-et-Pacificateur-de-Bordeaux ; du moins, lui, à son échelle d’abord de Bordeaux et du Bordelais. Emblématique, donc, de ce qui attend universellement toute tour (La Tour, prends garde ! ) osant, par sa simple élévation, défier les foudres du ciel (et des envieux) ! Et de ces énigmes _ très rapidement évoquées, chaque fois : comme représentatives et symptômatiques de certains destins-devenirs, seulement, et cela suffit ! ; et par là, aussi, annonciatrices-augurales universellement d’autres destins-devenirs à venir similairement, peut-être, et même très probablement ; ou pas : pour ces quelques uns qui ayant osé défier les augures, auront réussi à relever victorieusement le défi, eux… _, aucune ne sera résolue _ en effet _ par le livre _ qui, de fait, n’est en rien de rien une enquête historique chronologique factuelle documentée ; et qui laisse très volontairement ouvertes, béantes, à la curiosité du lecteur nombre d’irrésolutions de ces énigmes esquissées… _, au point même _ en effet _ qu’une page blanche volontaire _ c’est souligné ! _ est laissée _ page 137 (« Voilà une pensée que je ne puis confier à personne au monde / Où la mettre ? / Seule entre la page 136 et la page 138. / Et non chiffrée.« , est-il en ces mots très clairement signalé au lecteur léger-inattentif-négligent, qui pourrait ne pas remarquer pareille anomalie, page 138) _, où l’auteur aurait inscrit une pensée _ laquelle donc ? _ sur la mort d’Isaac _ survenue  en 2007 ? Cf ce mot, page 17 : « J’ai quand même survécu dix ans à ma mort-Isaac _ sic : un deuil profond aux conséquences personnelles durables en profondeur. Sans plus de précision. Elle m’a pourtant mordue à la gorge, et traînée hors du monde » ; mais nous n’en saurons pas davantage ici _ et la destruction des tours _ associées, donc, « mort d’Isaac«  et « destruction des tours«  _, et qu’elle ne veut pas partager _ pour quelles secrètes raisons ? Elles ne seront même pas soupçonnées ; et c’est une autre forme de défi : au lecteur, cette fois… 

Ce que représentent des événements historiques considérables _ tels que les meurtres à très grande échelle génocidaire (de presque tout un continent, l’Europe) comme ceux de la Shoah _ pour _ et dans _ l’élaboration d’une œuvre littéraire qui en est contemporaine, est insondable _ lire par exemple, dans l’œuvre de Piotr Rawicz, Le Sang du ciel.; ou Sablier, dans celle de Danilo Kis.. Comme Waterloo pour Fabrice Del Dongo _ à l’ouverture de La Chartreuse, ou la bataille de la Moskowa pour le prince André Bolkonsky ou Pierre Bezoukhov dans La Guerre et la paix, de Tolstoï __, bien entendu. Et comment s’insèrent _ oui _ un destin individuel, des relations amoureuses, une mémoire familiale _ voilà : cahotés, malmenés, déchiquetés, en pièces, quand en demeure encore un minuscule quelque chose (voire seulement la trace d’un nom quelque part…) _ dans ce grand flux chaotique _ immense et surpuissant, lui _ qu’est l’Histoire ? Un mot pour _ dire ou résumer _ ce sentiment _ mêlé, emmêlé, très emmêlé même _ d’incohérence et de nécessité _ à la fois, qui en émane et triomphe-règne-écrase-broie. Pourquoi pas Bacharach, petite ville allemande de la vallée du Rhin, qui a inspiré un roman à Heine et un petit texte _ la lettre XVIII des Lettres à un ami, ou Le Rhin _ inspiré et ironique à Victor Hugo ? Bacharach, dit Hélène Cixous _ page 96 _, cela veut dire en hébreu « je suis quatre fois perdu » _ tiens, tiens ! C’est là, sur les bords mêmes du Rhin, un lieu de bref passage et fuite-course éperdue d’un des ancêtres Jonas (un Abraham Jonas, déjà, page 95), avant la halte provisoire en Hanovre, à Borken, puis Osnabrück, à partir de 1881, de quelques uns des descendants Jonas : en l’occurrence, et parmi ses déjà nombreux frères et sœurs, Abraham Jonas, l’arrière grand-père Jonas (né à Borken, le 18 août 1833 et décédé à Osnabrück le 7 mai 1915) de Hélène Cixous. Osnabrück : une halte bien provisoire au milieu de la course-fuite de cette lignée (issue de la baleine) des Jonas.

Au passage, je remarque que le bien connu philosophe Hans Jonas (Mönchengladbach, 10-5-1903 – New Rochelle, 5-2-1993) est le cousin au second degré d’Eve Klein-Cixous, la mère d’Hélène :

fils de Gustav Jonas (Borken, 5-1-1864 – Möndchengladbach, 7-1-1938) et petit-fils de Herz Benjamin Jonas (Borken, 29-7-1828 – Möndchengladbach, 25-3-1907), qui était un des frères de cet Abraham Jonas (Borken, 18-8-1833 – Osnabrück, 7-5-1915), qui lui-même est le père de Rosalie-Rosie (Osnabrück, 23-4-1882 – Paris, 2-8-1977), le grand-père d’Ève (Strasbourg, 14-10-1910 – Paris, 1-7-2013) et l’arrière grand-père d’Hélène Cixous (née à Oran le 5 juin 1937), le philosophe Hans Jonas est donc lui aussi un membre de ces fratries-sororités Jonas de Borken et Osnabrück..

Toutefois Hélène Cixous note aussi, page 96, sa propre exceptionnalité parmi ce destin-pour-la fuite de ces Jonas : « Quand je considère l’exceptionnelle longévité de mon existence dans le pays _ la France _ où j’écris, force m’est de reconnaître que je ne suis pas _ tout à fait _ une Jonas traditionnelle. Je ne sais pas ce qui me rend si triste. Ein Märchen aus alten Zeiten das Kommt mir nicht aus dem Sinn » _ soient ici en allemand les troisième et quatrième vers du poème Die Lorelei de Heinrich Heine, en 1824 (« Un conte venu du fond des âges Ne me sort pas de l’esprit« ) ; le poème a été mis en musique en 1837 par Friedrich Sächer, et il en existe au moins une version discographique, par Janet Baker ; puis en 1841 (et 1856, en une seconde version) par Franz Liszt, avec des interprétations au disque par Hildegarde Behrens et Kiri Te Kanawa ; puis en 1843 par Clara Schumann, avec au disque une interprétation par Nathalie Stutzmann ; ainsi que de très nombreuses mises en musique depuis…

Et la phrase de ce passage, page 96, conclu par cette citation des vers de Heine, est laissée sans point

René de Ceccatty

Le shakespearien Défions l’augure

représente

_ ainsi, relative pause méditative en un vaste et soutenu poursuivi corpus _

un maillon majeur de l’œuvre-continent Cixous,

en ce qu’il précise et éclaire merveilleusement _ en son apaisé recul, propice au réfléchir _

ces demandes-prières-devoirs-missions d’écriture

reçu(e)s et entendu(e)s des voix de quelques uns de ses morts aimés,

qu’a acceptées de bien vouloir écouter-accueillir et remplir,

en livres constitués de phrases,

Hélène Cixous,

et qui constituent pour elle,

se vouant à y répondre en ces livres, en ces phrases,

un décisif mode d’être et de faire _ vaillant, courageux, libre et magnifiquement festif, jubilatoire _

face au réel et dans sa vie,

de demandes-prières de disparus

agréées et commencées d’exaucer.

Á suivre avec la plus belle attention !!!

Ce dimanche 10 juin 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

René de Ceccatty, ou d’éperdues enquêtes autour de « dignes objets d’amour » : Michel-Ange (via Stendhal et Sigalon), Leopardi, Pasolini, lui-même…

24mai

René de Ceccatty est un auteur passionnant, et assez admirable.

Par l’enquête éperdue qu’il mène, depuis toujours ou presque, pourrais-je dire, autour de l’énigme de l’objet d’amour, et de sa « dignité » _ ou pas… _,

pour reprendre l’expression de Stendhal, « digne objet d’amour« ,

qui frappe et que retient _ à jamais _ René de Ceccatty (au point d’en faire une œuvre superbe et de près de 500 pages !) en une nouvelle italienne inachevée de Stendhal, égarée, puis récemment retrouvée _ on aimerait apprendre plus précisément où, et comment, René de Ceccatty ne nous ne le révélant pas vraiment ; il nous donne seulement le nom du découvreur, un certain Carlo Vivari, philologue italien (à demi tchèque, né à Duchcov)… _ et publiée, à Milan en 1995, en son original français et en traduction en italien, et intitulée _ par son découvreur et ses éditeurs aux éditions de La Vita Felice à Milan, et non par Stendhal lui-même, qui l’aurait laissée sans titre… _, d’après un vers de Michel-Ange _ lui-même ; ce Michel-Ange qui fournit à Stendhal le héros de cette nouvelle... _, Chi mi difenderà dal tuo bel volto… ;

ce titre est donc emprunté par les éditeurs à une phrase, en italien dans le texte, que Stendhal prête, et d’après un vers de Michel-Ange lui-même en ses Sonnets, à son personnage de Michel-Ange, et pensée _ en soi _ plutôt que proférée _ à l’autre _, face à la complexe sidération ressentie par Michel-Ange face au si  beau visage de Tommaso de’ Cavalieri, lors de leur première rencontre _ le 5 août 1532, semble-t-il _, au Palazzo Cavalieri, telle qu’elle est fantasmée, du moins, par Stendhal, cette première rencontre _ René de Ceccatty nous apprend en effet (en note, page 349 de son Objet d’amour) que cette rencontre a eu lieu ailleurs (qu’au Palazzo Cavalieri), et autrement ; mais Stendhal a choisi comme lieu de rencontre des deux personnages de sa nouvelle le Palazzo Cavalieri parce que lui-même se trouvait y loger au moment de sa rédaction (ou, en tout cas, un peu avant), trois-cent-un ans plus tard, en 1833 (de fait, en ce Palazzo Cavalieri, à Rome, situé tout près du Teatro Argentina, Stendhal a habité avec son ami le peintre Abraham Constantin à partir du 16 novembre 1831 ; et « probablement y est-il resté jusqu’en août 1833« , écrit René de Ceccatty page 468 de son livre ; mais Stendhal n’a pas su tout suite que ce palazzo où il logeait alors avait été celui des Cavalieri, et donc qu’y avait vécu Tommaso, le grand amour de Michel-Ange (mort dans les bras de son ami Tommaso le 18 février 1564, soit près de trente-deux ans après ce coup de foudre) ; et la rédaction de cette nouvelle par Stendhal date du mois de juin 1833, et non 1832, comme l’ont cru les éditeurs, en 1995, précise René de Ceccatty pages 469 et 472 ; « probablement tout a-t-il été antidaté (par Stendhal) pour rendre la coïncidence frappante« , souligne-t-il page 469)  _ ;

le personnage de Michel-Ange éprouvant immédiatement _ at first sight, et simultanément au coup de foudre amoureux qui le submerge !_, face au beau visage de Tommaso, le désir de se défendre aussi _ « Chi mi difenderà… » écrira Michel-Ange en un de ses sonnets (à Tommaso…)… _ de cet amour naissant foudroyant _ « Il ne peut détacher son regard de cet autre regard« , car « le jeune Tommaso (…) a des yeux admirables, de ces grands yeux qui louchent un peu à la moindre émotion« , venait d’écrire Stendhal deux phrases plus haut… _ pour ce si beau et très noble jeune homme _ en fait cette première rencontre entre Michel-Ange et le beau Tommaso eut lieu le 5 août 1532, si l’on se fie, comme René de Ceccatty l’indique page 447, à la « date d’une lettre de Giulani Bugiardini à Michel-Ange, où figurent (aussi, mais sans qu’ici René de Ceccatty nous explique pourquoi et comment…) trois sonnets à Tommaso : il rencontre Tommaso de’ Cavalieri, qui lui est présenté par un proche du jeune archevêque de Florence (le cardinal Nicolò Ridolfi, petit-fils de Laurent le Magnifique), un sculpteur florentin, Pier Antonio Cecchini«  _ ; lors de cette première rencontre, Michel-Ange a 57 ans, et Tommaso aurait « seize ou dix-sept ans«  _ s’il est « né en 1515 ou 1516« , comme le suppose et indique René de Ceccatty page 445… « Tous deux sont fort embarrassés« , écrit Stendhal…

Et c’est cet embarras de Michel-Ange face à l' »objet d’amour » _ « objet d’amour«  qui n’est pas vraiment envisagé, lui, Tommaso, comme « sujet«  amoureux par Stendhal ; et embarras qui n’est pas symétrique, non plus, à l’embarras qu’éprouve, aussi, face à lui et de son côté, le jeune Tommaso _,

qui intéresse justement, après Stendhal, René de Ceccatty lecteur de Stendhal _ comme il est lecteur (et traducteur) de Leopardi et de Pasolini : tous immenses auteurs… _ ;

c’est donc cet embarras _ de réserve-recul, recherche de défense, éprouvé simultanément à, et face à, l’élan amoureux si vivement ressenti en lui-même _ que je relève, et qui m’intrigue à mon tour comme lecteur de l’œuvre de René de Ceccatty… 

De René de Ceccatty, outre son très riche Mes Argentins de Paris

_ Argentins de Paris parmi lesquels je détache mon cousin Adolfo Bioy Casares (1914 – 1999), son épouse Silvina Ocampo (1903 – 1993), ainsi que sa belle-sœur Victoria Ocampo (1890 – 1979), parisiens occasionnels, en effet, et pas à demeure, en exil ;

ainsi que leur amie Silvia Baron Supervielle (née en 1934, et que j’ai rencontrée à la librairie Mollat le 17 novembre 2011), sur l’œuvre très forte de laquelle je renvoie ici à mon article du 8 janvier 2012 : « Afin que le principal se dégage » : vie et oeuvre (et présence) de Silvia Baron Supervielle en la probité et pudeur de ses approches ) _,

et son entretien (ou Propos recueillis) avec son amie Adriana Asti (née en 1933, à Milan) Se souvenir et oublier _ dont m’a marqué à jamais l’interprétation du chef d’œuvre de Bernardo Bertollucci (tourné à Parme) Prima della Rivoluzione, en 1964 ; et que j’ai revue avec beaucoup de plaisir dans l’excellent Impardonnables du cher André Téchiné (tourné à Venise), en 2011 _,

de René de Ceccatty, donc,  je viens aussi de lire, en effet, et avec un immense plaisir,

et son Noir souci,

autour de l’énigme des liens _ riches, et dont il se donne à mieux comprendre et éclaircir un peu la complexité, en narrant la trame de leur tissage à partir de son propre (passionnant) travail d’enquête sur eux _ entre Giacomo Leopardi (1798 – 1837) et Antonio Ranieri (1806 – 1888) _ je me suis passionné aussi au superbe film Leopardi Il Giovane favoloso, de Mario Martone, via le DVD qui vient de paraître ; et qui est accompagné, en bonus, de plusieurs entretiens, dont un, tout à fait remarquable, avec René de Ceccatty _,

et, immédiatement en suivant, son Objet d’amour,

autour de l’énigme des liens _ riches eux aussi, et dont René de Ceccatty se donne à mieux comprendre et éclaircir un peu la complexité, là aussi, en narrant la trame de leur tissage à partir de son propre (passionnant) travail d’enquête sur eux, ici à nouveau _ entre Michel-Ange (1475 – 1564) et son ami Tommaso dei Cavalieri (1509 – 1587),

ainsi que de l’intérêt rétrospectif qu’y portent, en ces années 1830 où tous deux résident à Rome, et le peintre Xavier Sigalon (1787 – 1837) _ venu à Rome, commandité par Adolphe Thiers, réaliser (d’octobre 1833 à fin 1836) une copie grandeur nature du Jugement dernier de Michel-Ange, à la chapelle Sixtine _, et le consul de France Henri Beyle – Stendhal (1783 – 1842),

à Rome donc _ cette Rome dont je connais bien (et aime tant !) les lieux, tout spécialement aux alentours du Palazzo Cavalieri (aujourd’hui détruit, pour faire place au Largo Arenula), dans le quartier de Torre Argentina, non loin de la Via del Sudario et de Sant’Andrea della Valle, dans le couvent (des Teatini, Piazza Vidoni) duquel j’ai dormi et déjeuné dix jours durant en 1992, passés à arpenter-explorer passionnément la Rome baroque : entre Panthéon, Piazza Navona, Campo dei Fiori et la délicieuse Piazza Mattei, notamment… _ ;

livres et liens qui me donnent bien et beaucoup à penser… 

Et je dois ajouter à cette liste d’œuvres de René de Ceccatty,

tous les travaux qu’il a consacrés à Pier Paolo Pasolini,

tant concernant sa vie _  Pier Paolo Pasolini, Sur Pier Paolo Pasolini _

que son œuvre _ en de multiples traductions : Poésies 1943-1970, en 1990, Descriptions de descriptions, en 1995, Histoires de la Cité de Dieu & Nouvelles et chroniques romaines 1950-1966, en 1998, L’Odeur de l’Inde, en 2001, Nouvelles romaines, en 2002, Actes impurs & Amado mio, en 2003, Pétrole, en 2006, Sonnets, en 2012, Adulte ? Jamais, une anthologie 1941-1953, en 2013, La Persécution, une anthologie 1954-1970, en 2014, Poésie en forme de rose, en 2015… ;

cf aussi ce passionnant entretien tout récent de René de Ceccatty avec Sébastien Madau, le 16 mars dernier : « #Pasolini était un pessimiste constructeur et révolté«   _,

qui posent, eux aussi, bien sûr, la cruciale question du « digne objet d’amour« .

À ce propos, pourquoi avoir intitulé ce livre Objet d’amour, et non Digne Objet d’amour ?..

Pourquoi avoir gommé du titre de son livre le mot « digne« , qu’utilise pourtant Stendhal ? juste au final de la partie rédigée _ lire celle-ci aux pages 346 à 352 d’ Objet d’amour _ de cette nouvelle inachevée Chi mi difenderà dal tuo bel volto ? (ce qu’indique la note 2 de la page 349 d’ Objet d’amour), donnée in extenso au sein d’un copieux et substantiel dossier de « Documents«  qui clôt de façon vraiment passionnante ce livre (Sources _ pages 319 à 342 _Citations _ pages 343 à 434et Amis, parents et entourage professionnel de Sigalon _ pages 435 à 487 _) ; dossier qu’ajoute généreusement _ pages 317 à 487René de Ceccatty à sa fiction elle-même _ pages 7 à 316 _ : tels les éléments d’un chantier à revenir compulser, et une invite à y fouiller un peu nous-mêmes, aussi, à notre tour…

La dernière phrase de la partie de la nouvelle achevée par Stendhal (aux pages 343 à 349) est celle-ci : « Michel-Ange est attiré par Tommaso aussi parce qu’il voit en lui un digne objet d’amour« .

Et ce qui la suit  _ comme base de ce qui sera à rédiger plus tard par Stendhal, à son départ de Rome le 25 août 1833 ; et demeura tel quel, inachevé… est donné, in extenso aussi, en 4 pages (349 à 352), sous l’indicatif « Plan » que s’est donné à lui-même Stendhal. 

Pour tenter d’éclairer un peu cet inachèvement par Stendhal de sa nouvelle sur la rencontre initiale entre Michel-Ange et Tommaso de’ Cavalieri,

on peut relever, en suivant la précieuse Chronologie que donne René de Ceccatty, pages 442 à487,

que Stendhal quitte Rome, pour six mois, le 25 août 1833 (il est à Paris dès le 11 septembre) et ne retourne à Rome que le 8 janvier 1834. Dès avril 1833, apprenant que sa maîtresse (depuis le 22 mars 1830), Giulia Ranieri, allait se marier avec son cousin Giulio Martini (qu’elle épousera le 24 juin suivant, en 1833), Stendhal était retourné loger _ pour quelles raisons ? _ chez Mme Giacinta, Albergo Cesari, via di Petra, à Rome ; de même que, le 16 juin 1833, son ami Abraham Constantin, quittant alors Rome pour se rendre en Suisse, avait quitté, lui aussi, l’appartement du Palazzo Cavalieri (et, de retour à Rome l’hiver 1834, Constantin s’installera cette fois 120 via della Vignaccia, toujours à Rome).

C’est probablement ce départ et cet éloignement de Rome, ainsi que les bouleversements affectifs qui l’ont précédé et qui s’en sont suivis, qui ont conduit Stendhal à l’abandon _ qu’il pensait alors provisoire _ de cette nouvelle, retrouvée, ainsi inachevée, seulement à la fin du XXe siècle par Carlo Vivari, et parue à Milan en 1995.

Cette nouvelle perdue et retrouvée de Stendhal paraissant pour la première fois en français en France dans cet Objet d’amour de René de Cecatty, il faut le relever… 

Et c’est donc sous le titre de Chi mi difenderà dal tuo bel volto _ emprunté dans son texte, par Stendhal à un vers d’un poème de Michel-Ange, commençant par Chi è quel che per forza à te mi mena, que voici (René de Ceccatty nous en donne sa traduction page 369) :

Qui est celui qui de force à toi me conduit

hélas hélas hélas

pieds et poings liés quand je suis libre et sans liens ?

Si tu enchaînes autrui sans nul besoin de chaînes,

et si, sans mains ni bras, tu as pu m’attraper,

qui me défendra de ton beau visage ?

Stendhal, en effet, comme bien d’autres (dont René de Ceccaty, mais aussi, déjà, le peintre Sigalon, à Rome), s’est passionné pour les Poèmes (Sonnets et Madrigaux) de Michel-Ange à Tommaso de’ Cavalieri, mais aussi pour leur belle, elle aussi, riche et un peu énigmatique, correspondance, du moins celle (rare !) qui a été retrouvée et conservée… _ qu’est paru pour la première fois en 1995  à Milan le texte de cette nouvelle inachevée de Stendhal, à la fois en traduction italienne et en son original français.

René de Ceccaty ajoutant la précision suivante quant à cette édition de 1995, aux pages 352-353 :

« texte reproduit par Anne Bussière d’après le manuscrit original, découvert _ circonstances qui mériteraient d’être précisées !.. _ et présenté par Carlo Vivari _ philologue né à Duchcov, en république tchèque, et dont l’identité et le parcours mériteraient, eux aussi, bien des précisions : « Carlo Vivari, filologo, cultore di sicomanzia _ qu’est-ce donc à dire ?.. _, è nato a Duchcov (l’antica Dux _ là même où mourut Casanova, le 4 juin 1798, et où celui-ci était bibliothécaire du comte Waldstein depuis septembre 1785 ; c’est là que Casanova écrivit, en français, les Mémoires de sa vie _), da padre italiano e madre boema. A Duchcov vive di un piccolo incarico come bibliotecario _ lui aussi ! _ in quello che fu il castello del conte di Waldstein _ en effet ! _, ormai assediato da orribili miniere di carbone« , indique le site des Editions milanaises La Vita Felice ; Carlo Vivari n’est que trop visiblement un nom de plume : Karlo Vivary étant le nom tchèque de Karlsbad… _, postfacé par Annalisa Bottacin et Jean Garrigue » chez l’éditeur milanais « La Vita Felice, en 1995, page 24 et suivantes« .

Voilà un aperçu de l’histoire de cette nouvelle inachevée de Stendhal, en août 1833 à Rome ; perdue, suite au départ probablement un peu précipité de Rome de Stendhal ; puis récemment retrouvée par ce Carlo Vivari.

Reste la question de la dignité (ou pas !) de l’objet d’amour,

quand la situation affective vécue entre dans l’ordre d’un tel rapport éprouvé entre un sujet (aimant) _ en l’occurrence soi-même… _ et un objet (aimé, ou à aimer : aimable…) _ rencontré, lui, cet objet d’amour _,

rapport à l’autre comportant forcément, en ce premier instant d’abord-approche par le sujet qui se met à aimer, une certaine distance _ d’inconnu, vis-à-vis de ce qui se présente comme objet (d’amour) à aimer, mais aussi comme objet (d’amour) à connaître… _, au moins à ce moment rapide _ d’un minimum d’appréhension-questionnement-tergiversation de la part du sujet face à son objet d’éventuel amour… _ de la première rencontre, avec ce qui va (ou risque de) s’y livrer et donner (ou pas), à la suite… : hic Rhodus, hic saltus

Ce qui est, en effet, ce que se demande, sur un mode de questionnement-hésitation, et recul même _ effaré, et sur la défensive _, en son for intérieur, à lui-même, Michel-Ange,

face, pour la première fois, au si beau visage du très noble Tommaso et ses effets si vivement ressentis immédiatement sur lui-même _ Michel-Ange a alors 57 ans : il n’est pas né de la dernière pluie… _ ; et alors qu’il envisage à cet instant même, en effet, ce que peut (pourrait ; pourra…) être et devenir un tel amour, en cette inclination _ cf la bien intéressante distinction de Mademoiselle de Scudéry, en sa Carte du Tendre, entre les amours d’inclination, d’admiration et d’estime… _ commençant si puissamment à l’emporter…

Comme en témoignent bientôt, quasi aussitôt, ses vers, et sa correspondance ; et un peu plus à terme, sa peinture et sa sculpture : soient les œuvres si prenantes de lui demeurant à nos yeux…

Pour Michel-Ange, au moins _ le florentin était profondément marqué par le néo-platonisme de Marsile Ficin _, et en 1533,

se pose et s’impose donc, à la première rencontre avec Tommaso _ et Tommaso de’ Cavalieri est très noble… _, le critère, crucial pour lui, de la dignité (ou pas) du possible objet d’amour. 

Est-ce encore le cas, et comment, en leurs possibles amours, pour un Stendhal, ou pour un Sigalon, en 1833 ?

Et aujourd’hui même pour René de Ceccatty,

à l’heure _ depuis pas mal de temps, déjà _ du règne dévastateur du sado-masochiste trash ?.. 


En tout cas, la pensée de la dignité (et de l’indignité) nous sollicite encore

quand vient _ même si c’est assez peu fréquent _ nous titiller (et commencer tout aussitôt à s’éprouver) quelque chose de l’ordre d’un possible amour, mais aussi d’une possible amitié, dans une rencontre :

du moins de celles, marquantes voire cruciales, qui instantanément et aussitôt nous importent, bousculent, emportent,

et dont nous pressentons immédiatement combien elles vont (ou risquent de) grandement, hautement _ le divin malicieux kairos aidant… _, nous marquer :

construire, détruire, façonner, nourrir en beauté, peut-être, le sujet que nous pouvons ou allons, ou pas, devenir par cet amour ou cette amitié bouleversant et nourrissant ou pourrissant notre vie…

D’où la force d’importance de cet Objet d’amour de René de Ceccatty.

Titus Curiosus, ce mardi 24 mai 2016…

P. s. : voici le seul document _ mais il est passionnant _ que j’ai pu découvrir jusqu’ici sur ce très beau livre de René de Ceccatty : un entretien de l’auteur avec son amie Silvia Baron Supervielle, publié dans Les Lettres françaises du 12 novembre 2015 _ que voici in extenso avec mes farcissures (en vert) et mes gras _ :

Objet d’amour,

de René de Ceccatty. Flammarion, 490 pages, 23 euros.

Silvia Baron Supervielle : Votre livre est une déclaration d’amour pour Rome et ses artistes. Quelle est son origine ? Vous avez aussi beaucoup écrit sur des écrivains italiens et traduit magnifiquement des poètes tels que Pier Paolo Pasolini.

René de Ceccatty : On peut dire que c’est mon livre sur Rome, que j’ai découverte dans les années 1970, et où je suis retourné très souvent depuis pour des raisons diverses, souvent artistiques. Oui, mon amour pour Rome est bien l’inspiration première. En écrivant mon livre, j’avais trois cartes sous les yeux : la ville en 1500, la ville en 1800 et celle de maintenant. Et l’un des plus grands plaisirs a été pour moi de promener mes personnages dans les rues que j’ai fréquentées, et que j’aime tant retrouver. Curieusement, la Rome de Pasolini, celle de Moravia, est aussi celle de mon livre. J’ai situé des scènes dans les lieux attendus (la chapelle Sixtine qui est au centre du livre, ou la Villa Médicis où vivait Ingres, et bien sûr le Largo di Torre Argentina, sur lequel donnait le palais Cavalieri, maintenant disparu _ pour créer le Largo Arenula _), mais aussi dans des lieux qui me sont chers. J’ai fait suivre des chemins qui me sont familiers, et où, en écrivant, je retrouvais des ombres d’écrivains ou d’amis, morts ou vivants. Il y a, sous mon livre, comme un autre livre, secret.

Silvia Baron Supervielle : Au XIXe siècle, dans les rues de Rome, des personnages se promènent et conversent autour du peintre français Xavier Sigalon, qui a été chargé _ par Adolphe Thiers _ de copier le Jugement dernier de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. Pourquoi avez-vous choisi ce peintre ?

René de Ceccatty : Au départ, j’avais décidé d’écrire un livre sur Stendhal et Michel-Ange. Stendhal, alors consul à Civitavecchia, a vécu, à Rome, dans le palais Cavalieri, en 1833 ; et lui, qui avait déjà beaucoup écrit sur Michel-Ange et la peinture italienne, s’est renseigné plus précisément sur l’amour de Michel-Ange pour Cavalieri, commençant une nouvelle sans la finir, avant de l’oublier. Elle a été retrouvée dans des archives _ sans plus de précision… _ et publiée en Italie seulement il y a vingt ans. Avant même d’écrire, j’étais par ailleurs fasciné par l’autoportrait de Xavier Sigalon, qui se trouve au musée Fabre de Montpellier. C’est un beau visage douloureux, sensible, plongé dans une inquiétante pénombre, comme menacé. Et je me suis rendu compte que ce peintre, né à Uzès, avait séjourné à Rome au même moment _ voilà ! _ que Stendhal, et qu’il copiait, sur l’ordre d’Adolphe Thiers, le Jugement dernier. Sigalon avait eu mille occasions de rencontrer Stendhal (qui, je l’appris alors, avait écrit sur ses œuvres, puisque Stendhal rendait compte des salons). Stendhal, partageant son appartement avec un peintre copiste, Abraham Constantin, qui travaillait dans les chambres de Raphaël, avait également toutes les raisons d’aller, lui aussi, au Vatican. J’ai alors intégré Sigalon à mon livre ; et, finalement, il est devenu le personnage central, dont le regard sur Rome, sur la peinture, sur l’amour même, devenait ma clé. Lui, qui aurait pu être un génie de l’envergure de Géricault et de Delacroix, devenait une figure _ romantique _ de l’artiste idéaliste et malheureux, dont le destin tragique avait du reste assez frappé Balzac pour qu’il en fasse le modèle du peintre de la Comédie humaine, Joseph Bridau, équivalent pictural de Lucien de Rubempré.

Silvia Baron Supervielle : Dès la première partie du livre, quand Sigalon erre dans Rome avec ses amis, on ressent les personnages et la ville hors du temps. La présence de Michel-Ange apparaît, et il devient _ s’imprimant dans ces lieux, à demeure… _ presque le protagoniste. Tout est rattaché à lui… On ressent aussi la présence de Dante.

René de Ceccatty : J’ai voulu que l’art soit constamment au cœur de mon livre, aussi bien dans la démarche de Sigalon qui, copiste, essayait de traquer le mystère de la création _ artistique _, sur les traces de Michel-Ange, que dans le souvenir envahissant de Michel-Ange, de son amour malheureux pour un objet esthétique et charnel inaccessible, de son aspiration à l’idéal. Michel-Ange était un grand intellectuel polyvalent, si l’on peut dire. Théoricien (néoplatonicien) de la création, poète, sculpteur, peintre, urbaniste, architecte. Rome a son apparence actuelle en grande partie sous l’influence de Michel-Ange, qui y a également dessiné des palais _ tel le palais Farnèse _, des places _ telle la place du Capitole _, des coupoles _ telle celle de Saint-Pierre. Mais, plus particulièrement, le Jugement dernier, qui est une sorte de pamphlet eschatologique hérétique (y figurent des personnages qui sont absents des textes bibliques, mais qui appartiennent à une tradition païenne de l’enfer que Dante a en quelque sorte réhabilitée dans sa Divine Comédie), donne au roman, aux promenades de ses personnages, une sorte de réalité fantomatique, qui est pour moi celle de Rome _ oui ! _, et plus généralement de toute la culture italienne _ oui… _, où les frontières du temps sont flottantes.

Silvia Baron Supervielle : Puis Stendhal arrive à Rome, avec ses paroles magnifiques _ qui forment l’axe même de sa nouvelle. Son amitié pour Sigalon est émouvante. Au sujet de Michel-Ange et de son ami Tommaso, il écrit : « Michel-Ange est attiré par Tommaso aussi parce qu’il voit en lui un digne objet d’amour. » Mais tout est « objet d’amour » dans votre livre… Michel-Ange, dans un poème, écrit « entre le feu et le cœur »…

René de Ceccatty : Stendhal ressemble un peu à Beethoven, qui réclame une certaine maturité chez ses admirateurs pour que son génie soit pleinement apprécié. J’ai voulu, en préparant mon livre, approfondir ma connaissance de cet écrivain, qui n’est pas seulement le sublime auteur de la Chartreuse de Parme, mais une personnalité tourmentée, généreuse, à l’égotisme beaucoup moins nombriliste qu’on pourrait le supposer. L’intelligence avec laquelle il parle de la passion de Michel-Ange pour Tommaso montre la profondeur de sa réflexion sur le sentiment amoureux, mais aussi sur la création. Et c’était pourtant un homme à femmes, dont on aurait pu craindre peu d’empathie à l’égard de l’amour d’un homme pour un homme. Simplement, Stendhal _ de formation (et conformation) voltairienne _ était curieux et dépourvu de tout préjugé. Génie, il n’était pas considéré comme tel de son vivant (sauf par Balzac). On voyait en lui un diplomate aux intérêts intellectuels multiples et aux ambitions littéraires à moitié convaincantes, un observateur cynique des hommes, de la politique, de la société. Son génie a éclaté plus tard, comme du reste il le prévoyait. J’ai osé prêter des propos à Stendhal et faire de lui un personnage de roman _ voilà ! Certes, je me suis appuyé sur son Journal, sur ses fictions, sur ses critiques _ un très riche matériau. Mais j’ai reconstruit sa psychologie dans des situations vraisemblables mais imaginaires. Cette expression « digne objet d’amour » est merveilleuse sous sa plume. Comme vous le dites, il ne s’agit pas seulement de l’amour pour une personne, mais de l’amour de l’art _ avec ses fonctions de sublimation, probablement…

Silvia Baron Supervielle : L’enfant Cassagne, jeune garçon, qui fait partie du groupe, dont Sigalon a fait le portrait, transmet une grande tendresse avec son silence. À la fin du livre, on ne le retrouve _ presque _ plus…

René de Ceccatty : C’est le personnage réel sur lequel j’ai le plus brodé. Parmi les compagnons de Sigalon se trouvait bien un certain Cassagne, très jeune _ neuf ans à l’arrivée à Rome, en 1833 _, dont on a retrouvé un portrait (par Sigalon) au crayon (que j’ai reproduit dans mon livre). J’ai imaginé sa vie. Il est, avec Numa Boucoiran, autre compagnon, celui qui est affectivement le plus proche de Sigalon, et celui qui a le plus de vitalité. Il apparaît comme une force positive au moment où Sigalon est le plus découragé. Une compagnie chaleureuse, tournée aussi vers l’amour sensuel, immédiat. Dans le nô, il y a ce type de personnage, qu’on appelle waki, qui permet à l’action d’avancer et qui permet aussi, par contraste, de comprendre la psychologie du personnage principal, le shite. C’est ce rôle que j’ai donné à l’enfant Cassagne.

Silvia Baron Supervielle : Lavinia Dell’Oro est passionnante aussi. Peintre, elle reproduit en miniature les Sibylles, de Michel-Ange. Elle est amoureuse, puis prend le voile, puis s’en déprend. Il y a du mysticisme dans votre livre. Est-ce la peinture qui vous y conduit ?

René de Ceccatty : J’ai entièrement imaginé ce personnage de peintre femme. Il y avait aussi au Vatican des femmes qui peignaient, copiaient les chefs-d’œuvre. Et je voulais une présence féminine, belle, troublante et rassurante à la fois, qui était comme un miroir tragique du destin de Sigalon. Une femme qui cacherait longtemps un drame, qui ne serait révélé qu’à la fin. Je voulais rappeler que, pour entrer dans l’univers de Michel-Ange, qui est tout de même d’une extrême violence (par rapport au Pérugin, à Raphaël et même à Léonard de Vinci), il fallait avoir une sensibilité esthétique extrême et une sorte d’aptitude à la tragédie, tempérée par un mysticisme. Je voulais opposer l’univers institutionnel, rigide, artificiel du Vatican, lieu de représentation et de pouvoir, à un monde plus intérieur, plus discret, plus sincère, qui est le couvent de Sant’Agata où Lavinia va entraîner Sigalon et ses amis, et se réfugier. Une fois mon livre terminé, j’ai d’ailleurs découvert un dessin de Sigalon représentant un couvent dans les environs de Rome ! J’avais donc vu juste… Le lien entre le mysticisme et la peinture me semble évident. Je ne parle pas seulement de la peinture d’inspiration religieuse, comme c’était le cas au XVIe siècle, où les commandes de l’Église étaient nombreuses _ et au début du XIXe siècle encore : comme en donne l’exemple le parcours, à Rome aussi (de 1802 à 1824, et 1829-1830), du peintre aixois Granet. Mais de la démarche picturale en général, qui est une quête d’absolu, une transfiguration et une sublimation de l’apparence, une mutation du regard en aspiration à l’invisible. Cela a toujours été le cas de la peinture à l’encre, chinoise et japonaise, et cela s’exprime désormais de manière explicite chez certains peintres contemporains occidentaux. Qu’ils soient abstraits ou non. Comme Rothko, Staël, Morandi, Geneviève Asse.

Silvia Baron Supervielle : Le travail de copiste peut-il se comparer à celui de traducteur ? Il cause de la tristesse à Sigalon, une femme l’abandonne à cause de ça… _ à une époque où s’amplifie la course à l’originalité (voire singularité) du marché de l’art, qui démarre et se développe alors… 

René de Ceccatty : Le fait que je sois aussi traducteur a beaucoup compté dans l’élaboration de ce livre, en effet. La soumission à l’univers d’un autre peut être vécue comme frustrante ; mais entrer dans les pas d’un autre créateur est aussi une source merveilleuse d’enrichissement, d’épanouissement _ oui. Les deux s’équilibrent. Je n’ai, pour ma part, jamais vécu la traduction comme une cause de frustration. Cela a toujours été pour moi un réel bonheur de traduire Pasolini, Moravia, Leopardi, Saba, Penna, et tant d’auteurs japonais encore plus éloignés ; de comprendre leur monde, d’entrer dans leur atelier _ et pénétrer les arcanes de leur style et de leur création… Les peintres, au XIXe siècle surtout, avaient avec la copie un rapport assez complexe. Sigalon, du reste, n’avait (il le répète à travers tout le livre) jamais copié, avant de s’atteler à cette tâche monumentale. Mais sa Jeune Courtisane avait beaucoup frappé les observateurs, car, de facture très classique, elle rappelait de manière surprenante certaines œuvres du XVIe et du début du XVIIe siècle, post-maniéristes ou pré-caravagesques. Sa Locuste et son Athalie montraient aussi sa facilité à représenter des corps nus, martyrisés, surexpressifs. Et c’est ainsi que, peu à peu, se sont confondus création et copie. Mais pour cela, pour copier le Jugement dernier et le « traduire », il dut renoncer à sa propre œuvre, la sacrifier.

Silvia Baron Supervielle : Les œuvres de Sigalon qui figurent dans votre livre sont magnifiques. Vous nous faites découvrir un grand peintre français qui a travaillé à Rome. Il mérite une exposition complète de ses œuvres à Paris…

René de Ceccatty : Les œuvres de Sigalon sont dispersées dans plusieurs musées (le Louvre, Nantes, Nîmes, Uzès, Montpellier) et surtout dans des églises de Provence et du centre de la France. Les conservateurs de Nîmes et de Montpellier (Pascal Trarieux et Michel Hilaire) s’y intéressent, ainsi que d’autres historiens de l’art. Mais il est assez difficile de vider les églises de leurs tableaux et de faire redécouvrir un peintre jusque-là jugé comme mineur. J’ai cependant approché des conservateurs du Louvre, pour du moins les informer de mon travail de redécouverte.

Silvia Baron Supervielle : Lorsqu’elle fut achevée, la copie du Jugement dernier de Sigalon fut placée à l’École des Beaux-Arts de Paris, dans la chapelle des Petits-Augustins. Il est étonnant de voir ces corps d’hommes nus, musclés, qui flottent dans l’espace. Lorsqu’il découvrit son œuvre, Sigalon ne fut pas heureux. Sa mélancolie s’intensifia, il repartit à Rome… Et il y mourut du choléra.

René de Ceccatty : L’accrochage de la copie au fond de la chapelle des Petits-Augustins, qui avait été d’abord conçue comme un musée de la Copie (ce qu’elle est dans les faits), a été un événement ambigu. Les Parisiens ont découvert le Jugement dernier, que la plupart ne connaissaient _ faute de s’être rendus à Rome et au Vatican _ que par des gravures monochromes. L’obscénité de l’œuvre choqua, la couleur saumâtre aussi. L’original avait été détérioré par la suie de plusieurs siècles (car la Sixtine était encore souvent utilisée pour des offices avec des cierges). Et Sigalon avait respecté l’état _ sali _ de l’œuvre. Il eut l’impression d’avoir échoué. Ce n’est qu’après sa mort, donc quelques semaines plus tard, que l’opinion devint plus positive, et qu’on commença à admirer la prouesse extraordinaire de la copie (les copies en couleur étaient jusque-là de dimensions réduites ; il n’y en avait du reste que deux, contemporaines de Michel-Ange, celles de Venusti et de Le Royer ; mais elles ne se trouvaient pas à Paris) ; et qu’on révisa son opinion sur Michel-Ange lui-même. La mort de Sigalon, victime du choléra, épouvanta ses amis et lui assura un profond respect _ romantique _ tardif.

Silvia Baron Supervielle : Vous traduisez de manière splendide les poèmes d’amour de Michel-Ange. Les paroles, lettres, citations des uns et des autres, sont d’une grande beauté. Les artistes, les temps, les œuvres sont liés, comme si, à votre tour, vous aviez peint _ et tissé _ une immense fresque à leur gloire. Elle se déploie infiniment dans la ville de Rome _ et son aura. Elle expose toutes les formes et les couleurs de l’amour. Les mots se transforment en peinture et vice versa.

René de Ceccatty : En préparant mon livre, j’ai voulu traduire les poèmes les plus beaux de Michel-Ange et des extraits de ses lettres, de ses dialogues philosophiques. La traduction est une approche, profonde, intériorisée, essentielle pour moi _ oui. Très souvent, j’ai commencé par traduire avant d’écrire sur quelqu’un (je l’ai fait bien sûr pour Pasolini, pour Moravia, pour Leopardi, mais aussi pour Horace Walpole). Les rivalités entre l’original et sa traduction ou copie, la plume et le pinceau, le mot et le dessin, le dessin et la couleur, la toile et le marbre aussi, formaient les thèmes centraux de la réflexion des peintres de la Renaissance. Mais c’est aussi pour moi une préoccupation constante quand j’écris. Que peut la littérature à côté de la musique et de la peinture ? Mon père était un peintre et un musicien amateur d’une extraordinaire sensibilité, d’un grand talent spontané. Il avait une certaine défiance à l’égard de la littérature, qui lui semblait traduire le réel avec moins d’intensité, de sincérité, de naturel que la peinture. Et, souvent, je pense à ses tableaux, qui m’ont entouré quand j’ai écrit ; car même s’il n’a jamais épanoui professionnellement ses dons, ils étaient indiscutables. J’ai aussi découvert Rome en compagnie d’un autre ami peintre, André Castagné, auquel j’ai beaucoup pensé en écrivant ce livre d’hommage à la peinture.

Silvia Baron Supervielle : Entre le texte et ce que vous appelez les sources, à la fin du livre, le travail de recherche est remarquable et passionnant _ absolument ! Les informations sont plus précises, mais l’air de la poésie se prolonge, et reprend autrement _ oui. C’est un autre livre et le même.

René de Ceccatty : Quand j’ai donné mon manuscrit à mon éditeur, Patrice Hoffmann, il a été à la fois déconcerté et séduit par sa forme double. Les deux premiers tiers sont constitués d’une narration romanesque (le séjour de Sigalon à Rome) et le dernier tiers (qui fait tout de même cent cinquante pages !) est fait de documents que je commente en tentant de continuer à faire entendre ma voix. Je tenais à fournir ces informations précises, citations, chronologies, commentaires. Et Patrice Hoffmann aussi. Il s’est rendu compte que cette espèce de deuxième narration nourrissait _ oui _ la première. Il fallait, bien sûr, que figure in extenso la nouvelle, inédite, en France, de Stendhal ; mais aussi que je donne au lecteur des textes rares autour de Sigalon, mes traductions des Sonnets de Michel-Ange, et des repères historiques couvrant trois siècles (de l’époque de Michel-Ange à celle de Stendhal et Sigalon). Le résultat est évidemment un livre un peu étrange, mais d’une étrangeté conforme à celle du projet même, peut-être _ oui.

Entretien _ superbe ! _ réalisé par Silvia Baron Supervielle.

 

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