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Sur le désir de « France » _ de Cioran

19juil

Un passionnant « essai« , inédit jusqu’ici, et magnifiquement traduit

_ en une « traduction du roumain revue et corrigée par Alain Paruit » (sic, page 5) _

par Alain Paruit :

« De la France« ,

« Manuscrit déposé à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Fonds Cioran« ),

de Cioran, en « 1941« 

_ la date, au bas de la dernière page du manuscrit, est ajoutée « au crayon« , indique l’éditeur (L’Herne) ;

et de la main de Cioran lui-même,

indique immédiatement (page 7) Alain Paruit en sa lumineuse préface de deux pages, intitulée « La Métamorphose » :

« C’est la guerre. Cioran est à Paris

_ depuis 1937 : « alors titulaire d’une bourse (maintenue jusqu’en 1944) de l’Institut culturel français de Bucarest, il s’était inscrit pour terminer sa thèse de licence sur Bergson à la Sorbonne« , précise encore, page 10, et sous la plume de L. T., cette fois, une très courte « Note biographique«  de deux pages).

Il écrit au crayon, à gros traits appuyés, « 1941″, comme il aurait écrit le mot « FIN » sur son manuscrit, ce texte qu’il a intitulé « De la France« , en pensant aux moralistes du XVIIIème

_ ou/et du XVIIème ?.. :

ce sont La Rochefoucauld et Pascal, qui sont cités (une et sept fois : c’est lui le plus, et de loin !, régulièrement évoqué de tous les auteurs !), bien plus que Mme du Deffand ou Voltaire (les seuls mentionnés, d’ailleurs, de tout le XVIIIème siècle ; et à la seule page 12 :

« Comme je me serais rafraîchi à l’ombre de la sagesse ironique de Madame du Deffand, peut-être la personne la plus clairvoyante de ce siècle ! « Je ne trouve en moi que le néant ; et il est aussi mauvais de trouver le néant en soi qu’il serait heureux d’être resté dans le néant. » Et Cioran _ l’auteur du « Précis de décomposition«  et de « De l »inconvénient d’être né » _ d’ajouter : « En comparaison, Voltaire, son ami, qui disait « je suis né tué », est un bouffon savant et laborieux. Le néant dans un salon, quelle définition du prestige !«  (page 12, donc) ;

alors que le nom de « Pascal » revient, lui, le plus et presque continument : aux pages 17, 18, 25, 29, 31, 77 et 85… :

au hit-parade des noms cités en ce « De la France« ,

outre celui de « Napoléon«  (cinq fois),

je relève ceux de « Paul Valéry » _ pour lequel « l’homme est un animal né pour la conversation«  _ et « Baudelaire«  (quatre fois) ,

de « Racine » (trois fois)

et de « Madame du Deffand« , « Bergson« , « Rameau » et « Debussy » (deux fois chacun)… ;

et si je poursuis mon listing (un palmarès éminemment significatif !), pour une occurrence unique,

voici les noms assurément représentatifs de l’« esprit français«  de « Voltaire« , « Chateaubriand« , « Claude Lorrain » _ « honteux de rêver »… _, « La Rochefoucauld« , « Joachim du Bellay« , « Descartes« , « Rameau« , « Couperin«  _ avec « leur délicatesse et leur refus du tumulte » si rares, page 30 _, « Berlioz« , « César Franck« , « Rousseau« , « Montaigne » _ ou « la douceur«  qui « veille« .., page 70 _ , « Monet » _ dont « un paysage épuise la poésie du visible«  _, « Mallarmé« , « Van Gogh« , et, pour finir en beauté, « François de Sales » :

les « français d’adoption » (ou de récente date : Napoléon…) n’étant pas les moins « importants » :  Henri Bergson, Claude Lorrain, César Franck, Jean-Jacques Rousseau, Vincent Van Gogh et François de Sales… ;

fin de l’incise ! _,

en pensant aux moralistes du XVIIIème _ je reprends l’élan de la phrase d’Alain Paruit _,

en pressentant peut-être déjà qu’il les rejoindra un jour,

ne serait-ce que par le style qui en l’occurrence est « contenu ».

Ne crayonne-t-il pas son portrait prémonitoire _ oui ! _ lorsqu’il les compare aux grands créateurs étrangers ?« 

_ que sont, dans l’ordre d’apparition des noms dans l’essai : Ruysdael, Dante, Eschyle, Shakespeare, Maître Eckart, Ruysbroeck, Bach, Michel-Ange, Beethoven, Dostoïevski, Novalis et Cervantès…

On mesure l’importance de cet éloge, par Cioran,

pour la civilisation d’un « pays » _ celui-là même « du dialogue« , la formule se trouve à la page 34 _ à l’heure même _ depuis juin 40 _ de sa « chute« ,

à l’occasion d’une méditation détaillée sur 84 pages (de la page 11 à la page 94) sur une « décadence« .

D’autres, aimant un peu moins, semble-t-il, la « spécificité française« , en la sapant de leur politique prétendument « moderne » _ = d’aggiornamento « mondialiste« _,

pourraient en prendre acte,

dont les parents et grands-parents _ qui de Budapest, qui de Salonique… _ ont pourtant choisi aux heures les plus difficiles pour leur « survie » même, la France _ et sa « civilisation » !!!

Cioran, page 45 :

« La France « éternelle », avant de se perdre, deviendra un pays comme les autres«  :

qu’on le médite un peu davantage, donc, en notre actualité de 2009 !…


Et page 50, toujours à propos de « la France » et des « Français« , à l’heure sonnant, paraît-il, de l' »individualisme » mondialisé (des marchés !) :

« Un pays d’« êtres humains » et non d’individus« …

Ici,

je voudrais citer et commenter une interview assez perspicace d’Alain Finkielkraut s’exprimant précisément sur ce « De la France«  de Cioran,

en un article du 2 avril 2009 du Figaro : « Finkielkraut : « Pour Cioran, ce livre était une honte« , principalement à propos d’un autre livre (antérieur : un « livre sulfureux publié à Bucarest en 1936« ) de Cioran : « Transfiguration de la Roumanie » ;

voici le passage particulièrement judicieux à mon goût sur ce « De la France« , en cet entretien d’Alain Finkielkraut avec Sébastien Lapaque :

« Cioran s’est arraché de la tentation totalitaire _ présente dans ce livre ensuite « regretté » et même « vilipendé«  par son auteur, Cioran, qu’est « Transfiguration de la Roumanie« , de 1936 : né le 8 avril 1911, Cioran avait alors vingt-cinq ans… _ en devenant un écrivain de langue française _ oui ! _ et en s’inscrivant en plein XXe siècle dans la lignée des moralistes classiques _ français. Les moralistes ne sont pas des gens qui font la morale, ce sont des gens qui divulguent une vérité douloureuse _ la formule d’Alain Finkielkraut est magnifique de justesse. Il rejoint leur camp dès 1941, à travers le texte charnière intitulé « Sur la France » _ « De la France« , plutôt ! _, qu’on découvre également. C’est un livre écrit en roumain, mais le style est déjà français _ absolument ! _, on le voit merveilleusement dans la traduction d’Alain Paruit _ en effet ! j’y applaudis des deux mains !.. Voir mes remarques plus haut ! Au fond, la réponse des moralistes, c’est la réponse de ceux qui ne sont pas dupes de Rousseau _ ni du « rousseauisme » qui va suivre… Formule magnifique encore (hélas ! ô combien juste !) à propos de ce fossoyeur, aussi, de la musique française, par sa si niaise (= caractérielle !) « résistance«  au génie de Rameau !.. Qu’on jette une oreille à l’accablant « Devin du village » dudit Rousseau pour s’en convaincre, face aux génialissimes « Boréades«  du merveilleux Rameau !!! D’un côté, il y a l’idée d’établir un régime sans mal _ d’où le chemin, méticuleusement pavé, de l’Enfer… _ en trouvant une solution politique _ dissolvante ! _ au problème _ d’existence et coexistence ! _ humain. Et de l’autre, une lucidité inquiète _ à l’infini de son (propre) souci critique et plein d’humour : mon modèle (personnel) étant ici un Montaigne et sa pratique, modeste, d’« essayeur«  ! _ qui nous vaccine _ oui ! la métaphore est excellente _ contre cette tentation. Le désespoir de Cioran ne le conduit d’ailleurs pas nécessairement à une vision noire de la nature humaine. J’ai relevé un passage extraordinaire dans ses « Cahiers«  :

« Haine et événement sont synonymes. Là où il y a haine, quelque chose se passe. La bonté, au contraire, est statique. Elle conserve, elle arrête, elle manque de vertu historique, elle freine tout dynamisme _ en étant « égard » et « scrupule«  La bonté n’est pas complice du temps ; alors que la haine en est l’essence. »

On n’imagine pas Cioran faire cet éloge de la bonté. Et pourtant. Lorsque s’évanouit l’idée d’établir un régime sans mal, reste ce que Vassili Grossman _ l’auteur (capital !) de l’immense « Vie et destin«  ; ainsi que de, avec Ilya Ehrenbourg, l’indisponible actuellement : on se demande bien pourquoi, « Le Livre noir«   _ appelle la petite bonté, la bonté sans régime«  _ une expression encore d’une justesse formidable !

Bref, voilà un livre passionnant que ce « De la France«  :


par exemple, ceci, pages 13-14 :

« Qu’a-t-elle aimé, la France ? Les styles _ au pluriel ! _, les plaisirs de l’intelligence, les salons, la raison, les petites perfections _ discrètes. L’expression précède la Nature. Il s’agit d’une culture de la forme _ oui ! _ qui recouvre les forces élémentaires et, sur tout jaillissement passionnel, étale le vernis bien pensé du raffinement.
La vie _ quand elle n’est pas souffrance _ est jeu.

Nous devons être reconnaissants à la France de l’avoir cultivé avec maestria et inspiration
_ quelles brillantes expressions ! C’est d’elle que j’ai appris à ne me prendre au sérieux que dans l’obscurité et, en public, à me moquer de tout. Son école _ car c’en est une, sans didactisme pesant ! par le jeu : grave et léger à la fois… _ est celle d’une insouciance sautillante et parfumée. La bêtise voit partout des objectifs _ utilitaires : voilà le langage des « communiquants » !.. _ ; l’intelligence _ seulement _ des prétextes. Son grand art _ oui ! _ est dans la distinction _ n’est-ce pas, pauvre Pierre Bourdieu ?.. _ et la grâce de la superficialité _ celle-là même que le Nietzsche de « Humain trop humain » et du « Gai savoir«  enviait aussi, en plus des moralistes français, aux Grecs de l’Antiquité… Mettre du talent dans les choses de rien _ c’est-à-dire dans l’existence et dans les enseignements du monde _ est une initiation aux _ salubres _ doutes français.« 


Et ceci, sur le goût, pages 15-16 :

« Un peuple de bon goût ne peut pas aimer le sublime, qui n’est _ alors… _ que la préférence du mauvais goût porté au monumental. La France considère tout ce qui dépasse la « forme » comme une pathologie du goût.« 

« Le goût se place aux antipodes du sens métaphysique, il est la catégorie du visible _ à portée même de perception : un peu fine… Incapable de s’orienter _ c’est crucial _ dans l’embrouillement des essences, entretenues par la barbarie de la profondeur _ à plaisir embrumée _, il cajole _ avec douceur et non sans infiniment de délicatesse _ l’ondulation immédiate _ à portée de sens, d’aisthesis… _ des apparences _ cultivées… Ce qui n’enchante pas l’œil est une non-valeur : voici quelle semble être sa loi. Et qu’est-ce que l’œil ? L’organe de la superficialité éternelle _ la recherche de la proportion, la « peur » du manque de proportion définit son avidité pour les contours observés. L’architecture ornée selon l’immanence ; la peinture d’intérieur et le paysage, sans la suggestion des lointains intacts (Claude Lorrain _ un Ruysdael salonnard, honteux de rêver) ; la musique de la grâce accessible et du rythme mesuré, autant d’expressions de la proportion, de la négation de l’infini _ conjuré, davantage que nié… Le goût est beauté soupesée _ avec légèreté, délicatesse : sans la lourdeur d’une précision trop mécanique _ élevée au raffinement catégoriel. Les dangers et les fulminances du beau lui semblent des monstres _ qu’il éloigne _ ; l’infini, une chute«  _ dont il importe en permanence de se prémunir… :

cette magnifique analyse dit tout de l’« acuité de perception«  du penser si remarquablement affiné de Cioran…

Et encore ceci, pages 86-87, à l’heure de la « mondialisation » :

« Le risque auquel peut se confronter l’individu flottant au dessus des cultures

est le « faux moi »,

la perte de la mesure et du goût,

le passage à des dimensions fallacieuses,

à force de frayer avec des valeurs trop diverses.

Les limitations de la France sont un antidote contre le faux moi _ oui ! _,

elles sont un barrage du classicisme érigé contre les tendances à la disponibilité et au flou«  _ enivrés (à se perdre…) : ces formules sont magnifiques de lucidité !..

« La France est une école de l’embrassement limité, une leçon contre le moi illimité«  _ cette formule encore, et le mot de « leçon », est superbe !

Avec cet avertissement : « Qui n’est pas passé par là

risque de vieillir en apprenti _ sorcier !.. _ des virtualités _ et des gouffres…

Une âme vaste enclose dans les formes françaises,

quel type d’humanité féconde !« , page 87.

Cioran s’inscrivant lui-même, en conclusion de son essai, page 93 (et en 1941 !), parmi ceux qui, « nés sous d’autres cieux«  et « issus d’un autre sang et d’autres coutumes«  sont devenus les « patriotes«  de la France !

« N’avons-nous pas tous été, dans les crises, dans les accès ou dans les respirations durables, des patriotes français ?

N’avons-nous pas aimé la France avec plus d’ardeur que ses fils ?

N’avons-nous pas été nombreux, en provenance d’autres espaces, à l’embrasser comme le seul rêve terrestre _ en un lieu circonscrit et bien réel _ de notre désir ?« 

Et en une heure particulièrement menaçante pour la survie de la France, en 1941, donc,

Cioran conclut ainsi son essai, page 94 :

« Dans quelque direction, sur quelque plateau ou sentier que nous orientions nos pas,

la France ne mourra pas seule,

nous expierons ensemble le goût _ sien et chevillé à son corps _ de la fugacité« … 

Un très bel essai, et on ne peut plus « actuel« -« inactuel » _ à la Nietzsche _, que ce « De la France » de Cioran…

Titus Curiosus, ce 19 juillet 2009

Emmanuel Mouret : un Marivaux pour aujourd’hui au cinéma

17août

Sur le DVD d' »Un baiser, s’il vous plaît ! » d’Emmanuel Mouret,
disponible ce mois d’août (chez TF 1 Video), huit mois tout juste
après sa sortie au cinéma, le 12 décembre 2007.

Un chef d’œuvre gourmand d’une comédie américaine au meilleur d’Hollywood
_ des années trente et quarante, à la Frank Capra, par exemple, ou à la Billy Wilder _
dans l’esprit (étincelant) d’une légèreté grave
_ et tellement rapide (sans une once de graisse, épaisseur et lourdeur) _
à la Marivaux !

soit _ Marivaux _ le sommet de l’esprit français
au moment de l’apogée, peut-être,
d’une « Civilisation des moeurs« 
(selon l’expression de Norbert Elias : le livre _ important _ de ce titre
étant la traduction française de « Uber den Prozess der Zivilisation » (1ère édition en 1939, 2de édition en 1969
_ toutes dates on ne peut plus éloquentes !!! _
parue aux Éditions Calmann-Lévy en 1973, puis en Livre de poche, collection Pluriel, en 1977) ;

au moment de l’apogée d’une « civilisation des mœurs« , donc, à la française
(lire, par exemple, le très éclairant et jouissif « Quand l’Europe parlait français » de Marc Fumaroli
_ aux Éditions de Fallois en octobre 2001 _) ;


Un chef d’œuvre gourmand, donc, que ce film, à la Marivaux
pour notre XXIème siècle,
un peu « déboussolé »

_ comme le fut aussi ce XVIIIème (de Marivaux : 1688-1763),
qui allait rouler jusqu’à perdre ses têtes :
dans les paniers de sciure placés, pour les re-cueillir, au pied du couteau ensanglanté des guillotines… :
soit, Marivaux
avant Laclos (1741-1803 : « Les Liaisons dangereuses » paraissent en 1782)
et Sade (1740-1814)…


Interroger là-dessus la passionnante et délicieuse tout à la fois Chantal Thomas
_ se précipiter sur son merveilleux « Chemins de sable _ conversation avec Claude Plettner« , aux Éditions Bayard en 2006,
puis Points-Seuil en février 2008 _
dont j’ai lu, avec curiosité pour sa fascination pour Sade, plusieurs de ses titres « sadiens »
_ dont « Sade« , dans la collection « Écrivains de toujours« , aux Éditions du Seuil en 1994 _,
avec étonnement, et au final, encore perplexité…,
jusqu’à lire, au détour de quelque article
_ à moins que ce ne soit confier au détour d’une question (d’Olivier Mony) lors de sa récente présentation (à écouter), le 7 mars dernier, à la librairie Mollat, de son excellent, lui aussi, « Cafés de la mémoire » (paru aux Éditions du Seuil en février 2008) _
que, ayant à rédiger quelque article (ou préface) à propos de Sade,
elle ne savait pas _ pas vraiment _ elle-même, ainsi au pied du mur, quelle en allait être précisément la teneur :
soit une parfaite illustration de la justesse et honnêteté (ou parfaite « qualité d’âme« , en ses exigences) de l’auteur, garante de sa vérité (et propre justesse) : merci, merci, Chantal Thomas…


Lire d’elle en priorité, donc, le bref et incisif et merveilleux _ un enchantement rapide (en temps de lecture) et durable (en retentissement) ! _ « Chemins de sable » (disponible depuis février 2008, aussi, en Points-Seuil)…

Revenons à cette petite merveille, dans ce même ordre du bref, de l’incisif, du merveilleux, dans le meilleur de l’esprit et grâce (de la « conversation à la française«  _ que j’abordai dans mon article de présentation de ce blog, « le carnet d’un curieux » _ ;
et ce n’est pas pour rien que ce film, « Un baiser, s’il vous plaît !« , donc,
repose pour pas mal ou beaucoup sur la vivacité et le rythme _ prestesse et élégance _ de ses dialogues :
à la Pagnol et à la Guitry, encore, après Molière et Marivaux, si l’on veut) ;

revenons à cette petite merveille qu’est le dernier opus, « Un baiser, s’il vous plaît ! » d’Emmanuel Mouret,
le cinéaste marivaldien, ou, carrèment, et plutôt, le Marivaux du cinéma de ce début de XXIème siècle
_ et ce n’est sans doute pas tout à fait sans signification que ce soit TF 1 Video qui publie cette petite merveille (de champagne) de comédie cinématographique !!! _ ;

Emmanuel Mouret,
le Marivaux donc, au cinéma, en 2007-2008, de ce nouveau siècle qui se découvre
_ le siècle ! _,
en sa spécificité
(existentielle, sentimentale et sensuelle _ ou sexuelle _) :

on s’esbaudira tout particulièrement à la séquence-tournant de l’intrigue virtuose, et sans avoir jamais l’air d’y « toucher«  :

cela étant une leçon, toute classique, tirée, par exemple et d’abord, de Molière : que l’art efface toujours la moindre trace d’effort !… pour le roi _ commanditaire (et pressé) ; et qui se fait, lui, une « politesse » de sa « ponctualité » _,

tout doit être tout le temps _ en matière de « représentation » ; et c’est une question, en Art comme dans le reste, de « rhétorique » : lire ici l’important « L’Âge de l’éloquence » de Marc Fumaroli _ ;

tout doit être tout le temps, donc _ on n’est ni dans Brecht (« L’Opéra de quat’sous« ), ni dans Rossellini (« La prise du pouvoir par Louis XIV« ) : eux mettent le projecteur sur toutes les ficelles de la « mise en scène » ; jusque dans la vie quodienne, dirait Stanley Goffman (« La Mise en scène de la vie quotidienne« , aux Éditions de Minuit) _ ;

tout doit être tout le temps d’une stricte « évidence » : que d’autres en prennent de la graine !.. ;

on s’esbaudira tout particulièrement à la séquence-tournant (de l’intrigue), donc _ j’y viens ! _, dans laquelle le personnage (de nigaud) de Nicolas _ c’est (la très belle) Judith qui, au présent du film, « raconte«  au (très beau) Gabriel « ce » que (nous ne le saurons qu’à la fin) son mari lui-même, déjà, lui « a raconté » de ce qui est advenu de Nicolas, de Judith et de Claudio (ainsi que de Caline : la troisième « fantôche » de ce « récit«  !… _ ;

on s’esbaudira tout particulièrement à la séquence-tournant (de l’intrigue), donc, dans laquelle le personnage de nigaud (moderne) de Nicolas _ qu’incarne (à la perfection) Emmanuel Mouret, en acteur aussi ici lui-même (de lui-même auteur) : ici, je me permets de renvoyer au dernier chapitre, intitulé « L’auteur, l’acteur, le spectateur » de Marie-José Mondzain en son très important (pour comprendre ce qui nous advient en fait de « culture de l’image » maintenant) « Homo spectator » (aux Éditions Bayard, en octobre 2007)_ ;

dans laquelle le personnage de nigaud (moderne) de Nicolas, donc, essaie de dire au personnage de nigaude (moderne) de Judith sa frustration d' »affection physique«  (sic), depuis que sa « compagne-copine » _ = son « ex« , comme il se dit si bien, en cette ère de la « précarité » généralisée) _ l’a _ sans drame aucun, bien sûr (of course) _ « quitté« , afin de saisir « ailleurs« , plus loin _ « à l’étranger » _, une « opportunité » professionnelle : « Louise avait trouvé une bonne proposition de travail à l’étranger » ;

sans que la caméra (et le montage et le scénario) s’y attarde(nt) si peu que ce soit :

ce mot (d' »opportunité professionnelle« ) très rapide du personnage _ peut-être « Louise«  (?), il me faudra « le«  re-visionnerdit presque tout de l’échelle des valeurs qui se répand et affecte (assez gravement, tout de même !) le « monde relationnel » _ car c’en est encore un, de « monde« de ces personnes (qui le sont, cependant, de moins en moins, sans le savoir, bien sûr, en fait ! elles-mêmes ; ce n’est guère conscient ! ;

et il me faudra interroger là-dessus l’auteur pour savoir comment lui-même se représente à lui, le premier, tout cela, que montre _ et c’est là l’essentiel ! _ si lumineusement son film !…) :

cette séquence-tournant de l’intrigue, dans laquelle Nicolas confie à son amie-confidente Judith son « manque » d' »affection physique« , constitue, pour le spectateur que nous sommes, un étourdissement de régal !

comme « c »‘est magnifiquement saisi par le cinéaste-scénariste-dialoguiste, etc., que sait être, en le « faisant« , le jeune _ et déjà si riche d’expérience-observation si fines et si justes _ Emmanuel Mouret) ;

ce film est véritablement une grâce !!!

Emmanuel Mouret _ je reviens à l’expression base de ma phrase _, le Marivaux donc, au cinéma, en 2007-2008, de ce nouveau siècle qui se découvre _ le siècle ! _,en sa spécificité, donc (existentielle, sentimentale et sensuelle, ou sexuelle), à apprivoiser :

après la vivre un peu _ beaucoup _ passivement (tout va si vite !), cette « spécificité« -ci, au quotidien des jours qui se succèdent, filent et dé-filent à toute vitesse, nous assaillent, entraînent, mènent _ mine de rien violemment _ par le bout du nez, embarqués tous collectivement sur la même galère (socio-économico-politique de la « mondialisation« , pour le résumer vite) sur le pont de laquelle nous nous trouvons _ conjoncturellement (cf ici le clinamen de Démocrite et Epicure, et aussi Clément Rosset !) _ ;

et avec laquelle il nous faut bien, et tant bien que mal, « à la godille » en quelque sorte _ « Sauve qui peut ! » et « Dieu reconnaîtra bien les siens ! » _, « faire«  _ c’est davantage une con-jonction ! qu’une con-joncture !.. _, au fil des jours et des « rencontres » de ceux avec lesquels, volens nolens, nous partageons _ une affaire de « génération » : les couples n’étant pas vraiment interchangeables, comme cela semble finir par « s’avérer« ce voyage et ce séjour rapide qu’est une vie « humaine » !

pour encore (un peu : « Encore un instant ! monsieur le bourreau…« , a demandé sur l’échafaud même, Marie-Antoinette…) pas trop (encore) « non-inhumaine » ; à moins que cela ne s’aggrave, ou s’emballe, assez vite (cf ici Paul Virilio : « Vitesse et politique« , aux Éditions Galilée en 1977 ; ou, aux mêmes Éditions, « La Vitesse de libération« , en 1995) bientôt, selon les intuitions, me semblent-ils bien éclairantes, de Bernard Stiegler (passim, et notamment son dernier « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations« ).


Bref,
la comédie de mœurs qu’est « Un baiser, s’il vous plaît ! » nous parle lumineusement, et avec infiniment de charme et d’humour
_ on y rit en permanence de nousde notre temps.

« Un baiser, s’il vous plaît !« , quand _ encore, pour combien de temps ? en en quels « milieux » (de personnes) ? _ « cela » peut « se demander » :

les personnages d’Émilie (un prénom rousseauiste ?) et de Gabriel (l’ange de l’annonciation, lui ! _ et c’est de son éblouissement, celui de Gabriel : angélique et sexué, qu’interprète avec beaucoup de rayonnement Michaël Cohen _, dès le coin d’une rue de Nantes _ « rue Montesquieu » peut-on lire sur une plaque _, en la séquence d’ouverture de ce magnifique film, que se produit cette « illumination« , à laquelle il _ Gabriel (artisan d’art de profession, lui) _ sait répondre, en, après une ou deux secondes d' »arrêt » (et de réflexion hyperrapide) se retournant, et, revenant, en arrière, re-nouer le fil de (ce début très rapide de) conversation (une étrangère à la ville recherche son chemin) ; et, surtout « véhiculer«  _ en sa camionnette professionnelle (de « restauration de tableaux« , pour le résumer un peu vite) _ l’inconnue parisienne (qu’est Émilie : elle _ interprétée avec beaucoup d’aura par la très lumineuse Julie Gayet _ crée de très beaux tissus d’ameublement : elle, comme lui, artisans d’art, sont dans le qualitatif, pas dans le quantitatif ou le numérique _ comme le sont les « personnages«  de Nicolas, le prof de maths, et de Judith, l’analyste chimique, les « pantins » catastrophiques, si maladroits, eux à ne raisonner que par petits calculs et clichés bienveillants de « vertu » et « compassion » gentille : ils sont attendrissants de candeur rousseauiste !…_ ;

et, surtout, « véhiculer » l’inconnue parisienne _ je reprends, après l’incise, le fil de mon élanqui ignore la topographie de Nantes : elle ignorait, bien heureuse piétonne, les vertus du GPS !!! _ et je boucle là ma parenthèse_ ) ;

les personnages d’Émilie et de Gabriel se présentant à nous sous les lumières et les tonalités _ qui ont quelque chose du Sud (Emmanuel Mouret est marseillaisbien que la scène _ en une seule et même journée et nuit _ soit de climat atlantique (la scène est à Nantes, la Nantes « atlantique » de la « Lola » de Jacques Demy) ;

les personnages d’Émilie et de Gabriel, donc, sont d’un charme _ et d’une sagesse un peu tranquille, en l’intranquillité (« pessoenne« ) de ce qui a tout l’air d’un presque « coup-de-foudre », saisi en quelque sorte au ralenti, en cette séquence d’ouverture du film, par l’œil vif du cinéaste, parce que les deux personnages d’Émilie et de Gabriel, lumineux tous deux, lui de virilité, elle de féminité, épanouis _ bravo les acteurs ! _,

mais sans s’y abandonner, lâcher, re-lâcher (pour s’y perdre)…

A la différence des fantôches (Nicolas et Judith, épatamment interprétés, eux aussi _ de même que la Caline de Frédérique Bel _, avec un rien, qu’il y faut, de « mécanique » _ cf l’analyse du « Rire » par Bergsonpar Emmanuel Mouret et Virginie Ledoyen, en empotés modernes (lui enseigne les mathématiques en un lycée ; elle est chercheuse en chimie ou bio-chimie : ce ne sont pas d’authentiques « chercheurs » ; les sciences « pratiquées » en majorité aujourd’hui, étant, pour la plus grande partie d’entre elles, des « techno-sciences » (d’ingénieurs) utilitaristes _ cf là-dessus les excellents travaux de Gilbert Hottois, dont « Regards sur les techno-sciences« , aux Éditions Vrin, en décembre 2006)dontÉmilie rapporte, de sa belle voix un peu grave, et sur un débit un peu apaisé, méditatif, en son récit _ qui fait la trame principale de la nuit (à l’hôtel) du filmles péripéties malencontreuseset la catastrophe (de cette « histoire » narrée) où les envoie leur innocence bien-pensante _ monter un stratagème de « permutation » (« d’affection physique« , comme dit Nicolas) afin d’offrir une « compensation » _ en l’occurrence la bien gentille « Caline » (interprétée avec beaucoup d’esprit par la piquante Frédérique Bel) _ au mari « quitté » : le pharmacien tennisman fan de Schubert interprété avec sobriété et élégance _ classicisme _ par un excellent Stefano Accorsi, que pareil incident sort alors de sa placidité…

Une innocence bien-pensante bien, telle une figure imposée de patinage artistique, dans (et selon) « l’air du temps«  ; sans la moindre sagesse « personnelle« , je veux dire : ce sont bien _ tels les « héros » (jeunes « cadres« ) des « Choses«  de Georges Perec, en 1965 _ des « fantôches«  ;

incapables de passer du stade d’enfant _ immature encore : ici, relire Kant, l’indispensable « Qu’est-ce que les Lumières ? » ;
et son commentaire par Bernard Stiegler dans « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » _ au statut de personnes adultes ; à celui de « sujet de soi« ).

La catastrophe les perd…

D’où la leçon de « sagesse » qu’en tirent, « in fine« , les deux seuls vrais personnages de ce film (tout entier, et en moins de vingt-quatre heures, à Nantes) Gabriel et Émilie, pour un baiser d’un sel, alors, tout spécifique : en quelque sorte « retenu« .

C’est très joli…

Si vous n’avez pas encore découvert au cinéma ce petit chef d’œuvre (de lucidité piquante sur notre « air du temps« ) de 96 minutes, précipitez-vous sur le DVD disponible cette semaine-ci du mois d’août, huit mois tout juste après sa sortie sur les grands écrans…

Titus Curiosus, le 17 août 2008

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