Le 16 septembre 2018
par Catherine Scholler
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Erato
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Jules Massenet (1842-1912) :
Werther, Manon, Thaïs, Don Quichotte, Le Jongleur de Notre-Dame, Hérodiade, Sapho.
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Avec :
Cheryl Studer, Victoria de Los Angeles, Mady Mesplé, Beverly Sills, Renée Doria, sopranos ;
Nadine Denize, Teresa Berganza, mezzo-sopranos ;
Ben Heppner, Henri Legay, Nicolai Gedda, Ginès Sirera, Alain Vanzo, ténors ;
Thomas Hampson, Michel Dens, Jean-Christophe Benoit, Sherill Milnes, Adrien Legros, Alain Fondary, barytons ;
José van Dam, Jean Borthayre, Roger Soyer, Jules Bastin, basses.
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Direction : Michel Plasson, Pierre Monteux, Georges Prêtre, Lorin Maazel, Roger Boutry.
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16 CD Erato.
Enregistrés en 1955, 1968, 1976, 1978, 1992 et 1994.
Notice minimale
Nous ne saurons jamais les tenants et les aboutissants de la conception de cette compilation de sept opéras de Massenet, soigneusement remasterisés par Erato. Il ne s’agit pas d’une date anniversaire dans la vie du compositeur, et nous n’avons aucun indice sur ce qui a présidé au choix des œuvres ou des versions.
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Bien entendu, nous retrouvons les titres incontournables, tels que Manon ou Werther, mais Le Jongleur de Notre-Dame ou Hérodiade sont bien plus rares, et que dire de Sapho, quasiment jamais donnée ? Y avait-t-il d’autres ouvrages de Massenet au catalogue Erato, qui auraient été mis de côté ? Les enregistrements, quant à eux, ont été réalisés entre 1955 et 1994, et tous ne sont pas des références. Ils témoignent surtout de l’évolution vers l’internationalisation du monde lyrique dans la deuxième moitié du XXe siècle. À quelques exceptions près, les distributions sont en effet internationales, tout comme on parle de cuisine internationale, souvent bonne et goûteuse, mais un peu trop standard, pas assez épicée. C’est le cas par exemple de cette Hérodiade enregistrée en 1994 sous la baguette de Michel Plasson, parfaite mais glacée. Tout est en place, agréable à entendre, mais il y manque un peu d’âme. On n’a cependant jamais fait mieux en CD depuis. De la même façon, avec le passage des années, le Don Quichotte du même Plasson (1992) semble un rien compassé. On dirait que le chef a privilégié l’hédonisme musical à l’action dramatique.
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N’y avait-il pas mieux au catalogue Erato que cette Manon (Pierre Monteux, 1955) et ce Werther (Georges Prêtre, 1969) terriblement datés ? Victoria de Los Angeles, présente dans ces deux intégrales, ne semble pas tout à fait dans son élément en Manon, et totalement hors de propos en Charlotte, qui n’est pas dans sa tessiture. Bien entendu, Nicolai Gedda est un excellent Werther, mais Henri Legay est un bien prosaïque chevalier Des Grieux, et Mady Mesplé insupportable de pétulance en Sophie.
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Si les chanteurs français semblent dans ces années-là mis à l’écart des studios d’enregistrement, il n’en est pas de même des chefs. Seul l’un d’entre eux, Lorin Maazel, n’est pas français, et c’est pourtant lui qui rafle la mise, avec une Thaïs d’anthologie (1976), que tout bon mélomane se doit de détenir et de chérir. La direction est un modèle de clarté et de couleurs (notons que Maazel tient lui-même la partie de violon de la méditation), Berverly Sills est d’une intense sensualité, Sherill Milnes d’une autorité sans faille, et Nicolai Gedda particulièrement rayonnant. Rien que pour ceux qui ne possèdent pas cette intégrale, le coffret mérite d’être acquis. Mais il y a d’autres pépites.
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Contredisant notre introduction, le Jongleur de Notre-Dame (Roger Boutry, 1978) est entièrement chanté par une distribution francophone, mais peut-il en être autrement de cette œuvre magnifique et si fragile ? Alain Vanzo, l’un des plus talentueux et des plus amers écartés des scènes et des studios, s’y taille la part du lion, dans une composition pleine d’amour, de foi et de naïveté, avec un timbre, un souffle et une ligne superbes, qui pourraient en remontrer à plus d’un. Jules Bastin quant à lui détaille la célèbre « légende de la sauge» comme une mélodie. Ne serait-ce la bruyance des chœurs, notre bonheur aurait été parfait.
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Plus étonnant encore, cette Sapho (Boutry, 1976) que l’on n’avait pour notre part jamais entendue dans cette version, devant nous contenter de quelques enregistrements mineurs débités par des hurleurs. Dans le rôle-titre, Renée Doria, à l’âge de 57 ans – excusez du peu – parvient à rendre de façon ahurissante le côté boulevardier de cette fille facile, tout en lui conservant une certaine noblesse. Le célèbre « canaille ! », en voix parlé, si difficile à exécuter sans brailler, et ici d’une élégance infinie. Le ténor qui lui donne la réplique, Ginès Sirera, est un parfait inconnu ; il aurait certainement pu affronter les grandes scènes lyriques tant son timbre est joli et sa diction châtiée. Une formidable découverte.
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À un prix intéressant et avec de belles surprises à la clef, il serait dommage de se priver de ce coffret.
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L’article prend souvent fortement des positions
qui pourraient être discutées,
mais ces appréciations sont tout à fait utiles…