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Ecouter et goûter l’admirable « Hôtel » (extrait de « Banalités) » de Francis Poulenc – Guillaume Apollinaire : le dialogue fécond des imageances idiosyncrasiques à l’oeuvre, exprimé et décrit dans « L’autre XXe siècle musical » de Karol Beffa…

06mar

Les pages 128-129-130 du chapitre « Interlude Francis Poulenc » (pages 125 à 135) de « L’autre XXe siècle musical » de Karol Beffa (qui vient de paraître aux Éditions Buchet – Chastel) consacrées à la mélodie « Hôtel » de Francis Poulenc, en 1940, sur un poème de Guillaume Apollinaire _ un poème publié pour la première fois le 15 avril 1914 dans la revue d’avant-garde éditée à Florence “Lacerba“ _ dans le recueil intitulé « Banalités« ,

m’ont bien sûr fortement incité à rechercher, pour en écouter et apprécier diverses interprétations, les CDs de ma discothèque la comportant.

Et jusqu’ici, j’ai réussi à mettre la main sur 7 CDs proposant cette admirable brève mélodie, « Hôtel » :

par Pierre Bernac et Francis Poulenc au piano, en 1950, à New-York _ pour l’écouter (1′ 38) ; la prise de son, très proche, nous fait accéder de très près à l’excellence de l’art de dire de Bernac et de l’art d’accompagner au piano de Poulenc… _ ;

par Nicolaï Gedda et Aldo Ciccolini, en 1967, à Stockholm ;

par Felicity Lott et Graham Johnson, en 1993, à Paris _ une merveilleuse lumineuse version ! _ ;

par Gilles Cachemaille et Pascal Rogé, en 1994, à Corseaux, en Suisse _ c’est tout à fait excellent ! _ ;

par Véronique Gens et Roger Vignoles, en 2000, à Metz _ une exceptionnelle réussite ; pour l’écouter (2′ 00) _ ;

par Lynn Dawson et Julius Drake, en 2004, en Allemagne ;

et par Stéphane Degout et Cédric Tiberghien, en 2017, à Paris _ et c’est très bien aussi…

Et sur le web, j’ai déniché ceci _ vraiment superbe !!! _cette merveilleuse interprétation :

par Régine Crespin et John Wustman, en 1967 _ pour l’écouter (2′ 05).

Et voici maintenant ce qu’analyse Karol Beffa, page 128, de cet exemple de la mélodie « Hôtel » de Francis Poulenc, à propos de ce qu’il nomme « les saveurs jazzistiques » qui « parsèment nombre des pièces » de Francis Poulenc, et cela en dépit de maintes « proclamations » de « détestation« , voire de « phobie« , du jazz, de la part de Poulenc :

« Il est rare que Poulenc utilise l’accord de septième de dominante à l’état pur, il l’enrichit presque toujours d’une neuvième, d’une onzième, éventuellement d’une treizième. Cette construction d’harmonies par empilement de tierces ne surprend pas chez un compositeur post-debussyste. Ce qui est original, en revanche _ nous y voilà _, est l’insistance sur la septième ajoutée, dans les accords majeurs ou mineurs. Sans doute l’inspiration vient-elle du jazz, directement ou par l’intermédiaire de Ravel, la concomitance de certaines innovations harmoniques chez Ravel et chez Duke Ellington faisant qu’il est difficile de déterminer lequel des deux a influencé l’autre. « Hôtel » _ nous y voici ! _, extrait de « Banalités » _ le recueil des 6 mélodies de Poulenc, en 1940, reproduit le titre du recueil des 6 poèmes d’Apollinaire, en 1914 _, est comme un condensé de tous ces traits stylistiques communs à Poulenc, à Ravel et au jazz : enrichissement des accords de septièmes d’espèce et de dominante par ajout de sixtes, de neuvièmes ou de onzièmes, fausses relations intentionnelles, retard de la présence de la basse d’un accord de dominante pour colorer un enchaînement et en différer l’impact. C’est pour toutes ces raisons qu’« Hôtel«  plonge _ superbement _ l’auditeur dans l’atmosphère moite et interlope d’un jazz frelaté« .

Et Karol Beffa d’ajouter alors aussitôt, page 129 :

«  »Hôtel«  m’a beaucoup marqué.C’est à travers cette pièce et d’autres œuvres vocales que j’ai vraiment pénétré l’univers de Poulenc« _ le mystère attractif et fascinant de son idiosyncrasie de compositeur singulier et marquant.

Et toujours à cette page 129 :

« Si l’univers harmonique de Poulenc ne m’a guère influencé, je me reconnais en revanche _ toutes proportions gardées _ dans ce que Jean-Joël Barbier a écrit de sa démarche : « Dans Apollinaire par exemple, il ne choisira pas les poèmes les plus célèbres, mais les meilleurs quant au résultat _ musical _ final _ envisagé-escompté-espéré pour l’imageance féconde de la composition à venir _ (…) : ceux qui laissent une marge autour des mots,  ceux qui n’étant pas rigidement cimentés _ le mot n’est pas très heureux _ au départ, justifient un ciment musical, laissant la place à un espace sonore qui, sans faire pléonasme _ bien sûr ! _ avec les mots, leur donnera, au contraire, des dimensions _ poétiques et musicales _ nouvelles ». 

Et page 130 :

« Poulenc est connu pour avoir été un admirable pianiste et accompagnateur. Et lorsque j’écris _ nous y voici ! _ pour voix et piano, j’essaie de garder à l’esprit le soin extrême qu’il accordait à la partie instrumentale dans ses cycles de mélodies.

Quant à son écriture vocale proprement dite, là aussi il s’y montre un maître, tant il sait parfaitement ce qu’il peut exiger des voix : émettre les aigus les plus doux, les graves les plus timbrés, et toujours dessiner des lignes souples _ fluides, flottantes, aériennes…

« Primauté de la mélodie » : ce credo de Messiaen, Poulenc aurait pu le faire sien« …

Voilà ce que la création singulière d’un compositeur se mettant à son tour à l’œuvre peut, en dialogue hyper-attentif, apprendre à la lecture et à l’écoute extrêmement précises, jusqu’aux plus infimes détails, des œuvres les plus originales, riches et, en puissance, inspirantes, du travail singulier (et de la poiesis en acte !) d’autres compositeurs éminemment créateurs à leur propre table de travail ; et de leur imageance idiosyncrasique féconde, en cet artisanat patient infiniment exigeant et  précis…

« Le style, c’est l’homme même« , disait Buffon :

le défi étant de parvenir, œuvre à œuvre, pas à pas, coup de crayon à coup de crayon (et de gomme) à réaliser _ ainsi nourrie par ce riche dialogue avec d’autres œuvres marquantes  _ cette singularité sienne _ et très vite ce style propre à soi s’entend, se perçoit et se reconnaît…


Ce dimanche 6 mars 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une nouvelle sublime pépite Domenico Scarlatti, compositeur, et Giulio Biddau, interprète : le « débarbouillage » du superbe double CD Aparté AP 283

20fév

Le magnifique et extraordinaire pianiste qu’est Giulio Biddau _ né à Cagliari en 1985, élève d’Aldo Ciccolini, et actif à Paris _,

après de splendides « Barcarolles » de Gabriel Fauré (dans le CD Aparté AP 026, paru en 2011), 

et un miraculeux « Respighi Piano Four Hands« , avec le pianiste Norberto Cordisco Respighi (dans le CD Evidence EVCD 035, paru en 2017),

vient, ce mois de janvier 2022, nous gratifier, sur un très beau piano Steinway & Sons D-274 (Les Accordeurs), d’un exceptionnel double CD Domenico Scarlatti, intitulé « Scarlatti to Scarlatti« ,

dont voici un excellent, éloquent et très judicieux commentaire, en date du 25 janvier 2022, par Jean-Charles Hoffelé,

intitulé « Passage du temps » _ on comprendra la parfaite raison de pareille intitulation _ :

PASSAGE DU TEMPS

Deux visages. Commençant par celui à la Francis Bacon : Hans von Bülow _ Dresde, 8 janvier 1930 – Le Caire, 12 février 1894 _ s’évertua à regrouper dix-huit Sonates de Scarlatti qu’il aimait _ tout simplement _ jouer – on oublie qu’il fut également un pianiste de première force -, les « modernisant » _ en son XIXe siècle… Cela s’écoute, même si on perçoit bien dans ce sens du vertical une volonté de faire entrer Bach aux forceps dans la grammaire scarlatienne _ en effet _, mais s’écoute d’abord plutôt _ voilà ! _ pour les qualités pianistiques _ très grandes _, jeu ample, timbres vifs, main gauche affirmée, de Giulio Biddau _ voilà… _ que pour l’habillage de Bülow, une curiosité en somme _ oui… _, qui invite à se ruer _ surtout _ sur le premier disque _ Scarlatti sans le passage par le prisme de Bülow, en ce CD n°1…

Le CD indiquant ici : « Critical Edition«  ; et « Hans von Bülow’s Anthology » pour le choix des pièces du CD n° 2.

Les 16 pièces choisies reprenant en ce CD n°1 le choix des pièces du CD n°2, tel qu’opéré, à son goût, par Hans von Bülow, au XIXe siècle. Ce qui nous permet de mesurer (et admirer) le « débarbouillage » d’Emilia Fadini et Giulio Biddau… Et j’abonde pleinement à cette remarque très juste de Jean-Charles Hoffelé : à l’écoute comparée (comme en ce podcast-ci de 11′), le CD n°2 fonctionne comme une sorte de preuve du magnifique travail de « débarbouillage » et restitution musicologique d’Emilia Fadini, couronné par l’interprétation superlative, sur son Steinway, de Giulio Biddau en le CD n°1 de ce double album. C’est donc ce CD n°1 qu’on ne se lassera pas de passer et repasser sur sa platine…

Seize Sonates, alternant des plus et des moins connues, dans une édition critique qui me semble d’oreille magnifique _ oui ! _, due à Emilia Fadini _ Barcelone, 11 octobre 1930 – Goriago, 16 mars 2021 ; ce double CD Aparté de Giulio Biddau a ainsi été enregistré du 16 au 30 juin, puis les 26 et 27 novembre 2020, à la salle Colonne, à Paris, avant le décès, le 16 mars 2021, de la claveciniste et musicologue Emilia Fadini. Emilia Fadini dont j’ai retrouvé, parmi les CDs de ma discothèque personnelle, le volume 1, intitulé « The Spanish influence« , d’un projet d’intégrale des Sonates de Domenico Scarlatti, sur clavecin, par divers interprètes : soit le CD Stradivarius STR 33500, paru en 1999. La translation du clavecin au piano est _ certes _ une gageure, on n’y songe pas assez, tous les pianistes ont dû se débrouiller avec l’édition de Kirkpatrick (et pire pour des générations de clavecinistes, avec celle de Longo, dont Ruggero Gerlin me disait qu’il se « l’aménageait »), chacun faisant plus ou moins sa sauce, Horowitz y convoquant son univers avec plus de rigueur qu’on ne le croit.

Le travail de Fadini est passionnant _ oui _, ses translations plus que probantes, éclairantes _ oui. Elle invente dans les moyens décuplés du piano moderne des équivalences _ voilà _ de toucher, de timbres, de phrasés, entre l’original du clavecin et les feutres du piano _ on lira aussi avec beaucoup de profit et d’intérêt le détail des 7 pages du livret sous la plume de Giulio Biddau lui-même.

Un univers _ celui de Domenico Scarlatti (1685 – 1757) lui-même _ reparaît _ merveilleusement _, comme si on avait rénové _ débarbouillé, dis-je _ ce Scarlatti peint du piano ; les rythmes sont vifs ; cela danse, vole _ comme le voulait le compositeur _ ; et l’on peut compter sur ce maître des timbres _ oui _ qu’est le pianiste italien – ses admirables Barcarolles de Fauré _ enregistrées les 3, 4  et 5 octobre 2011 au Théâtre Saint-Bonnet à Bourges (par Nicolas Bartholomée) _ m’en avaient averti (et moi aussi !!) – pour rendre justice à ce visage soudain véridique d’un Scarlatti s’asseyant au clavier d’un Steinway _ oui, c’est tout à fait cela !

Qu’Aparté lui permette de poursuivre l’exploration des opus qu’Emilia Fadini aura eu le temps de « réinventer » avec un tel souci de ne pas trahir _ aujourd’hui _ l’original _ voilà un parcours musical (de Domenico Scarlatti par Giulio Biddau) dont nous pouvons très réalistement rêver…

LE DISQUE DU JOUR

« Scarlatti to Scarlatti »

Domenico Scarlatti (1685-1757)


Sonate en sol majeur, K. 13
Sonate en sol majeur, K. 523
Sonate en sol mineur, K. 8
Sonate en sol mineur, K. 450
Sonate en sol majeur, K. 259
Sonate en ré majeur, K. 29
Sonate en ré majeur, K.96
Sonate en si mineur, K. 173
Sonate en si mineur, K. 377
Sonate en fa mineur, K. 69
Sonate en fa mineur, K. 387
Sonate en sol mineur, K. 31
Sonate en ré mineur, K. 434
Sonate en ré mineur, K. 444
Sonate en fa majeur, K. 446
Sonate en fa majeur, K. 525

Versions jouées dans l’édition critique d’Emilia Fadini, puis dans l’édition d’Hans von Bülow (sous la forme de suites)

Giulio Biddau, piano

Un album de 2 CD du label Aparté AP283

Photo à la une : le pianiste Giulio Biddau – Photo : © DR

Un travail magnifique _ d’intelligence de conception, comme de somptueuse réalisation au piano ! Quelle lumineuse joie scarlatienne nous est restituée là ! _ de la part du splendide Giulio Biddau,
et un album indispensable _ tout comme les merveilleux Pierre Hantaï au clavecin _ à tout amateur de la sublimissime musique de ce magicien-poète, pourvoyeur de joie pure, qu’est le génial Domenico Scarlatti…

Ce dimanche 20 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pour une promenade musicale dans la Rome sensuelle (Fontaines, Pins, Fêtes) d’Ottorino Respighi

14fév

Le désir de revenir humer les senteurs de Rome, et sentir la douceur de ses lumières,

m’a conduit à l’écoute de quelques CDs d’œuvres « romaines » d’Ottorino Respighi (1899 – 1936) :

les merveilleux « Fontaines de Rome » _ écoutez-les ici en concert ! _ et »Pins de Rome«  _ écoutez-les ici en concert ! _,

sous les doigts précis et enflammés des magiciens pianistes que sont Giulio Biddau _ né à Cagliari en 1985 _ et Norberto Cordisco Respighi _ petit-neveu d’Ottorino, il est né le 4 août 1984 _, tous deux élèves _ et cela s’entend ! _ du magnifique Aldo Ciccolini, en un extraordinaire flamboyant CD « Respighi _ piano Four Hands« , un CD Evidence EVCD 035 paru en 2017 _ les deux pianistes sont magnifiques de sensibilité et de vie ! Cf l’enthousiasme de mon article du 10 mai 2018 : _ ;

et les « Fêtes de Rome« ,

du chef Antonio Pedrotti_ Trente, 14 août 1901 – Trente, 15 mai 1975, et élève à l’Académie Sainte-Cécile, à Rome, d’Ottorino Respighi… _, à la tête de l’orchestre de la Philharmonie tchèque, un enregistrement de 1961 disponible en un coffret Supraphon SU 4199-2 de 3 CDs, intitulé « Antonio Pedrotti in Prague », paru en 2016 _ de ces « Fêtes romaines« -ci, écoutez ici l' »Ottobrata » ; et cf le bel article « L’Italien de Prague«  de Jean-Charles Hoffelé, en son Discophilia le 21 août 2016.

La voluptueuse magie romaine est bien toute entière là.

Ce lundi 14 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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