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Pour célébrer Jehan Titelouze (c. 1563 – 1633), pour le 400e anniversaire de la publication de ses « Hymnes », en 1623…

06avr

Hier mercredi 5 avril,

et à l’occasion de la sortie du double album SACD Æolus Æ11341 « Hymnes de l’église pour toucher sur l’orgue« , de Jehan Titelouze (Saint-Omer, vers 1563 – Rouen, 24 octobre 1633), par l’organiste néerlandais Léon Berben,

le site Crescendo a publié un très riche passionnant entretien du chercheur Sébastien Bujeaud avec son journaliste Christophe Steyne, intitulé « 2023, quatre-centième anniversaire de la publication des Hymnes de Jehan Titelouze« …

2023, quatre-centième anniversaire de la publication des Hymnes de Jehan Titelouze

Le 5 avril 2023 par Christophe Steyne

Depuis 2018, Sébastien Bujeaud prépare une thèse de musicologie sur Jehan Titelouze (c1563-1633), que l’on peut considérer comme le père de l’école d’orgue française, notamment grâce à son recueil de douze Hymnes (1623) dont nous commémorons le quatre-centième anniversaire. Un magnifique album enregistré par Léon Berben est à la hauteur de l’événement. Le compositeur a bien sûr attiré l’attention de la science et a connu nombre d’études et d’articles, mais c’est la première fois qu’il est le sujet d’une telle synthèse monographique. À la faveur de ses récents travaux, sous la direction de Philippe Vendrix, le doctorant, rattaché au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (Université de Tours), a bien voulu échanger avec nous : pour nous aider à mieux cerner Titelouze, sa vie, son art, et la singularité esthétique de son œuvre.

Les recherches et publications de Jean Bonfils, Denise Launay, Maurice Vanmackelberg, Willem Elders, Norbert Dufourcq contribuèrent dès les années 1960 à mieux connaître l’existence, les talents et le génie de Titelouze. Pourriez-vous retracer les grandes étapes de son ascension, depuis sa naissance à Saint-Omer jusqu’à sa consécration à la cathédrale de Rouen ? Vos investigations ont-elles révélé des faits majeurs sur son parcours, ou contredit des vérités établies de sa biographie ?

Tout d’abord, merci beaucoup de m’avoir invité pour parler de mes recherches, à l’occasion de cet anniversaire des Hymnes. D’après ce que nous disent les sources audomaroises, Titelouze est issu d’une famille de ménétriers, amateurs et professionnels, d’origine toulousaine _ voilà _ et non anglaise, établis à Saint-Omer depuis plusieurs décennies. Grâce aux riches archives rouennaises, j’ai pu établir sa présence à Saint-Martin-sur-Renelle à Rouen dès 1583, avant qu’il ne soit nommé organiste de la cathédrale en 1588. Titelouze fut expert en facture d’orgues dès ses débuts rouennais, il bénéficia donc à Saint-Omer d’une formation d’instrumentiste, en facture et reçut probablement les ordres mineurs. Il fut également organiste dans d’autres églises rouennaises, et sut se faire apprécier du chapitre de la cathédrale malgré des rappels à l’ordre pendant les troubles.

Titelouze fut naturalisé _ français _ en 1604, pour pouvoir posséder des biens et des titres, prit l’habit de prêtre en 1609 (peut-être formé chez les Jésuites de Rouen rouverts en 1604) puis celui de chanoine en 1610. Je pense qu’il profita de la richesse culturelle de Rouen et de ses voyages à Paris pour compléter son savoir en théorie musicale et composition, en poésie, en liturgie et théologie en tant que chanoine ; la musique composée, son principal legs actuel, étant la dernière étape de sa riche vie et de ma thèse. Il voyagea de Poitiers à Amiens pour expertiser des orgues, et durant son canonicat puis sa retraite à partir de 1629, alla régulièrement à Paris pour publier ses œuvres, et élargir son entourage musical et savant.

Ma thèse est un rassemblement de sources éparses et une exploitation la plus exhaustive possible des archives, ce qui me permet une plus grande précision sur son ascension sociale et ses différentes activités. Je contredis les recherches antérieures à propos de sa formation, que je pense avoir été plus progressive, débutée à Saint-Omer puis renforcée à Rouen ; de même les archives précisent qu’il prit l’habit de prêtre en 1609 à Rouen et non dans sa ville natale. Les archives de la cathédrale de Rouen me permettent de le suivre jour après jour pendant son canonicat de 1610 à 1629, de noter ses absences, assez longues sans être indignes car il fut peu rappelé à l’ordre, les sujets à propos desquels il siège et décide. Je note trois mois d’absence fin 1622 pour aller à Paris faire éditer ses Hymnes, quatre mois en 1626 pour ses Magnificat et Messes. Outre ses expertises et voyages parisiens, Titelouze alla régulièrement dans ses prébendes dans l’actuelle Seine-Maritime, il participe au roulement de messes, offices et cérémonies à la cathédrale en tant qu’organiste exécutant et chanoine décideur, et devient un notable rouennais.

Titelouze prend même l’ascendant sur le Maître de chapelle nommé après le départ fracassant de H. Frémart en 1625, en s’occupant du financement des enfants et des chantres, en siégeant systématiquement au sujet de la musique et de la liturgie ; d’où ses messes publiées et les cérémonies qu’il dirigea pendant sa retraite. Je pense enfin qu’il dût aller à la Cour, à Paris et Saint-Germain-en-Laye, étant donné qu’il connaissait les Chabanceau de La Barre _ voilà ! _ , organistes et clavecinistes du Roi.

Dans le livret accompagnant le CD de Jean-Charles Ablitzer (Harmonic Records H/CD 9037, 1990), signé de l’éminent Claude Noisette de Crauzat, on relève ces propos (pp 2 & 4) : « On ignore tout de l’homme au particulier, sinon qu’il fut vite acariâtre, sans doute d’un abord difficile […] comment ne pas imaginer Jehan Titelouze assez proche de l’autoportrait de Poussin, douloureusement tourné vers lui-même, la silhouette un peu alourdie par des nourritures épaisses, s’essoufflant à escalader les degrés vers l’orgue […] souvent malade et même craintif ». À défaut de connaître ses traits, dispose-t-on de suffisamment d’indices pour en imaginer voire en dresser un portrait vivant ? Que sait-on aujourd’hui de la personnalité de Titelouze, de sa sociabilité, de ses activités quotidiennes, de ses relations aux contemporains, de son ouverture au monde ?

Les seules informations que j’ai sur son physique sont qu’il devait avoir de grandes mains pour l’époque car il y a un certain nombre de dixièmes dans les Hymnes, y compris dans les fugues sans Cantus firmus, ce qui lui sera reproché car il annonce avoir resserré la disposition du contrepoint dans ses Magnificat. Il souffrait également de la goutte, à cause de la nourriture très riche des chanoines et autres notables, et devait avoir un certain embonpoint. Pour son caractère, je note d’abord que Titelouze était d’une très grande patience, faisant peu à peu ses preuves après la fin des Guerres de Religion _ et c’est bien sûr à remarquer _, progressant en jeu de l’orgue, en facture, en connaissances liturgiques et musicales. Il m’est néanmoins difficile de le cerner avant son canonicat de 1610, car il n’était pas un personnage notable, et était alors peu mentionné dans les archives.

Titelouze était suffisamment ouvert d’esprit _ oui, et non sectaire _ pour écrire à M. Mersenne _ voilà ! _ qu’il connaissait Claude Le Jeune et les psaumes protestants, tandis que plusieurs des jeunes poètes qui lui ont écrit des dédicaces étaient des Libertins (libres-penseurs), membres du groupe des Illustres-Bergers. Sans être très aisé, il s’occupa régulièrement des affaires de ses prébendes, fit souvent réparer et meubler sa maison ; son testament nous apprend qu’il possédait une épinette organisée et contient un certain nombre de donations. Je pense qu’il composait plutôt à ses prébendes comme cela ressort de ses lettres, avant d’essayer les versets chez lui à Rouen et à la cathédrale. Il fut un chanoine assez assidu, siégeant de plus en plus à propos de musique et de liturgie, de facture d’orgues, mais intervenant aussi dans une affaire de sorcellerie _ tout cela, affaire d’époque, sous le règne de LouisXIII. S’il participe aux prières et offices au chœur, Titelouze ne dédaigne pas les mondanités à Paris : il fréquentait les salons et Académies des frères Dupuy, de Mersenne, et par ses amis poètes le Cercle Conrart (qui était protestant), plusieurs de ses contacts étaient des habitués du turbulent Gaston d’Orléans _ le frère du roi…

Titelouze est certes assez pédant dans ses lettres et ses préfaces, il peut être sec en s’énervant contre Mersenne qui lui pose trop de questions ; mais il fait preuve d’humanité quand il auditionne des aspirants prêtres, il insiste pour qu’ils soient rémunérés et disposent de temps pour réviser, il fut attentif à ce qu’il y ait suffisamment d’argent pour les enfants, et sut fort bien naviguer au sein du chapitre pour s’imposer après le départ de Frémart (qu’il avait invité en 1600, à son retour d’aller chercher le facteur d’orgues Carlier). Notre chanoine fait montre d’une très grande curiosité _ voilà _ : il s’intéresse autant à la poésie archaïque du Puy des Palinods de Rouen (concours de poésie mariale très couru par la notabilité), qu’aux bergeries de ses amis parisiens ; il coanima un cénacle scientifique à Rouen, affilié à l’Académie de Mersenne puis à celle des Dupuy, s’intéressant à la physique, la chimie qui se sépare de l’alchimie, aux découvertes scientifiques de Descartes ou Galilée (tous deux condamnés par l’Église), et Mersenne le cite à propos d’acoustique ; enfin ses écrits et ses fréquentations révèlent un intérêt pour l’ésotérisme _ cela aussi, affaire d’époque…


Titelouze s’inscrit dans un fertile terreau européen, où le répertoire pour clavier brillait par les contributions de William Byrd, John Bull, J.P. Sweelinck, Samuel Scheidt, Girolamo Frescobaldi, Francisco Correa de Arauxo… Dans le contexte de la Contre-Réforme et des décrets tridentins, et contrairement aux compositeurs précités, l’œuvre publié de Titelouze s’en tient à la vocation liturgique (Hymnes et Magnificat). Est-ce la seule singularité de ce corpus ? Comment est-il perfusé par l’art de ses prédécesseurs et les influences esthétiques de son temps ? Quels ingrédients et adjectifs distingueraient son langage ? Peut-on le considérer comme un précurseur du choral protestant tel qu’il sera bientôt développé par les organistes d’Allemagne du Nord ?

Il faut savoir que le Concile de Trente, qui contient peu de règles à propos de la musique composée, ne fut pas rapidement appliqué en France : Rouen et plusieurs diocèses ont gardé des mélodies et rituels locaux, très mélismatiques comme l’hymne Annue Christe, des longueurs dont se plaint Titelouze dans une lettre. Je rappelle que G.B. Fasolo, H. Scheidemann, S. Scheidt et les Praetorius ont surtout écrit des versets liturgiques (chorals ou plain-chant selon la religion) ; de même, la musique vocale de W. Byrd, P. Philips, Michael Praetorius, J.P. Sweelinck ou C. Merulo est majoritairement liturgique, en latin ou vernaculaire. Titelouze est certes exclusif, mais ses contemporains n’écrivaient pas tous des danses ou des toccatas (ou des madrigaux), même si ces pièces ont la faveur des enregistrements.

Je note plusieurs particularités dans les versets de Titelouze : dans les Hymnes, le systématisme des premiers versets comportant le plain-chant en Cantus firmus à la basse, suivis d’un subtil équilibre entre des fugues libres sur le thème de l’hymne, et des versets où le Cantus firmus est joué d’une voix à l’autre, sans oublier quelques canons ; ensuite, la différence entre ces versets d’Hymnes très structurés, assez développés, et ceux de Magnificat plus courts, plus virtuoses, d’une structure presque toujours binaire comme la psalmodie, plus dissonants et parfois expérimentaux. Titelouze n’écrit presque jamais de ternaire, un contrepoint très majoritairement à quatre voix, plus allégé dans les Magnificat, une virtuosité bien plus contrôlée que chez J. Bull ou Correa de Arauxo.

Sa musique est proche de celle de son contemporain portugais M.R. Coelho, car tous les deux furent influencés par A. de Cabezón, dans la façon d’écrire le contrepoint au clavier sur thèmes de plain-chant ; je note des points communs avec Scheidt dans leur utilisation des modes, par la lecture de Glarean et l’influence de la polyphonie franco-flamande. Titelouze s’inscrit dans un style français, depuis les messes très aérées de Sermisy jusqu’au contrepoint syncopé dense de Du Caurroy (sa musique vocale et ses Fantaisies instrumentales) sans oublier R. de Lassus abondamment chanté en France. Même s’il a connu G. Costeley et C. Le Jeune, il fut moins influencé par la Musique Mesurée à l’Antique, et écrivit dans ses messes quelques timides essais rythmiques et prosodiques. Malgré sa naissance dans les Pays-Bas espagnols, sa musique a peu à voir avec celles de Sweelinck, P. Cornet, Correa de Arauxo, plus libres et hardies, de même G. Frescobaldi ou encore les « virginalistes » anglais ; je suppose qu’il se forma à la composition à Rouen et non à Saint-Omer.

La musique de Titelouze est très adaptée aux claviers, facile à doigter avec peu de grands écarts comme il dit dans sa Préface des Magnificat, une mise en page étudiée pour faciliter les tournes, des guidons pour indiquer quand changer de main. Titelouze nous indique qu’il a exploré le tempérament dit « mésotonique » (tout en expérimentant sur son épinette en tiers de tons) ce qui lui a permis d’explorer les dissonances à base de quartes et la quarte-et-sixte, intervalles qui sonnent bien dans ce tempérament et tombent bien sous la main. Ses versets révèlent une connaissance pointue du plain-chant, un contrepoint varié, renouvelé par des contre-sujets et un subtil figuralisme, un goût des péroraisons virtuoses ou au contraire majestueuses, des renversements de thèmes. Il écrit dans un style plus harmonique dans les Magnificat, où il multiplie les dissonances et les modulations qui le rendent plus moderne, avec une maîtrise de l’enchaînement des sections du contrepoint, et quelques expériences syncopées ou chromatiques.

Il existait déjà plusieurs façons de composer des chorals pour orgue, dès la fin du XVIe siècle par E.N. Ammerbach, les Schmid, Jacob Paix (cité par Mersenne), les Praetorius d’Hambourg. Ensuite, Sweelinck et ses élèves Scheidt et Scheidemann diversifièrent les formes, comparables à celles composées par notre organiste rouennais : Cantus firmus fixe ou migrant, fugue sur le thème, canons, avec une ébauche de verset en « prélude » exposant la mélodie, suivi d’une fugue sur le thème. Mais les caractères et possibilités des mélodies de choral et de plain-chant sont différents, le choral étant plus rythmique, mélodiquement plus simple et plus aisé pour le contrepoint, sans oublier les grandes différences liturgiques.

Si on considère Titelouze comme un fondateur de l’école d’orgue française, on lui connait peu d’élèves directs. Quelle est son influence sur la postérité ?

Le principal « souci » de la postérité de Titelouze est la naissance concomitante vers 1660 de l’orgue classique français et de l’opéra français _ c’est important à relever _, qui reprit certes les styles antérieurs des Airs de Cours et des danses, mais pas la polyphonie liturgique. Comme « père de la musique d’orgue classique française », G.G. Nivers est moins prestigieux mais plus juste que Titelouze, et surtout Louis Couperin, compositeur d’un style de transition à la fois contrapunctique, dansant et orné, qui à mon avis a connu les pièces de son aîné rouennais. Titelouze apparaît dans les dictionnaires musicaux anciens et fut cité comme autorité par N. Gigault ; mais le coup de grâce _ voilà ! _ porté à son influence, après le retour en force du contrepoint dans l’œuvre de Grigny, fut le style corellien de J.F. Dandrieu. Titelouze fut réellement redécouvert par des érudits normands peu avant A. Guilmant et A. Pirro, à la toute fin du XIXe siècle et, comme le savent les organistes, M. Dupré lui rendit hommage en 1942.

En 1601, Titelouze fit restaurer l’orgue de la Cathédrale de Rouen par un des meilleurs artisans du royaume, Crespin Carlier, et il expertisa de nouveaux instruments dans la cité normande, mais aussi à Poitiers et Amiens. Que sait-on des caractéristiques qu’il apprécia pour ces constructions ? Les saillies poétiques de ce « prince des Palinods » nous renseignent-elles sur ses goûts en matière de facture ?

Je pense en effet que l’influence de Titelouze est celle d’un « père de l’orgue classique français ». D’après les devis qu’il écrivit et les orgues qu’il expertisa, il recommande un clavier principal issu de l’orgue médiéval, décomposé en registres avec quelques flûtes (souvent bouchées) et anches, une solution différente des claviers complémentaires aux Pays-Bas et du Ripieno italien séparant chaque rang de tuyaux. Titelouze importa des Pays-Bas un pédalier classique « de 28 à 30 touches » novateur en France, le Positif de dos est assez peu développé encore, il connut à la fin de sa vie le demi-Récit. Les quintes et nasards sont nombreux, de même les quintatons, les tierces sont assez peu répandues et surtout en taille de principal, les 16’ sont courants au Grand-Orgue. L’expert Titelouze est très au fait des différentes mécaniques de l’orgue, l’alimentation en vent, l’agencement de la console. Il parle de facture dans la Préface des Hymnes, en lien avec l’interprétation, en mentionnant le jeu du contrepoint sur deux claviers (les deux voix aiguës au Grand-Orgue et le ténor au Positif), la basse au pédalier.

Après les importantes destructions des Guerres de Religion, à cause desquelles de nombreuses paroisses mirent des décennies avant de reconstruire leur orgue, Titelouze fusionne donc _ voilà ! _ l’orgue français Renaissance, le Blockwerk médiéval et les instruments joués par Sweelinck ou Cornet. Il influença surtout de nombreux facteurs, plutôt que des organistes ou compositeurs : Carlier, son gendre et successeur de V. de Héman, G. Lesselier, les débuts de la dynastie normande Lefebvre, et imposa un instrument plutôt qu’une musique _ et c’est à relever. L’orgue français préclassique offre donc un certain équilibre entre les différentes hauteurs de registres, entre les fonds, mutations, mixtures, anches fortes et douces, entre les flûtes, bourdons et principaux ; alors que l’orgue français classique louis-quatorzien favorisera les flûtes, les mutations, les anches, les cornets, tandis que l’orgue du XVIIIe siècle multipliera les registres médiums et graves, et une grande puissance sonore.

Son premier poème, écrit pour les Palinods en 1613, est en effet consacré à l’orgue, mais il traite tout autant de liturgie et de musique vocale. Titelouze poète y loue l’alternance liturgique entre orgue et musique vocale, et les registres modernes de flûtes et anches. Son second poème de 1630, édité par Vanmackelberg, est plus ésotérique, pythagoricien et augustinien, sur la symbolique du chiffre 6 qui se retrouve entre autres en musique (hexacordes, douze modes) mais aussi dans d’autres domaines comme l’astronomie. Titelouze fut primé aux Palinods dans le genre archaïque mais prestigieux du Chant royal, il devait être le Prince du concours l’année de sa mort.

Les Hymnes et Magnificat ne mentionnent aucune registration. Quelle liberté s’accorder dans le cadre des codes de l’époque ? Quelles sont selon vous les spécificités d’un orgue qui peut en extraire les trésors polyphoniques ? Dans le paysage organistique d’aujourd’hui, en France ou ailleurs, quels instruments pensez-vous les mieux adaptés ?

Les registrations sont traitées par Mersenne dans sa monumentale Harmonie Universelle, et quelques sources transcrites par Lopes. Elles reflètent l’équilibre sonore de l’orgue préclassique : une majorité relative de mutations, plusieurs Pleins-Jeux différents grâce aux mutations en taille de principal, un emploi courant des 16’ ; les registrations basées sur les 4’ servent plutôt au Positif et aux petits instruments. Les documents mentionnent beaucoup de mélanges creux, et une forte combinatoire. Tous les Cantus firmus à la basse peuvent se jouer une octave en-dessous au pédalier (parfois avec ravalement) si les claviers sont en 16’, de même le ténor au Positif pour jouer sur deux claviers avec Grand-Orgue en 16’.

J’ai pu discuter avec M. Léon Berben qui joue le Cantus firmus au soprano sur le clavier supérieur au petit doigt, ce qui n’est pas si acrobatique, car Titelouze évite les grands écarts, de plus les touches étaient plus petites à l’époque et les claviers plus rapprochés. Cela permet d’utiliser un clavier de Récit et peut aussi s’appliquer à l’alto joué au pouce au clavier inférieur, comme le recommandent Louis Couperin et Gigault (on peut le jouer au pédalier avec un registre de 4’ mais à l’époque de Titelouze il n’existe que la Flûte 4’). Je suggère encore de ne pas mettre la basse au pédalier à la française si elle est virtuose (doubles-croches en C ou croches en ₵), ne pas oublier aussi l’ornementation ou les notes inégales qui donnent beaucoup de relief.

Titelouze en tant qu’instrumentiste, expert, acousticien et compositeur, favorisa le tempérament « au ton moyen » à huit tierces pures, dont je rappelle que le répertoire immense va de la fin du XVe siècle au début du XVIIIe, voire le XIXe selon les pays. Les orgues de Bolbec, Champcueil, Mont-Saint-Aignan, Charolles, Saint-Jacques de Liège, me viennent à l’esprit ; les Magnificat peuvent sonner sur des instruments plus petits, de style varié, d’inspiration Renaissance, comme Saint-Amant-de-Boixe, Saint-Martin-de-Boscherville, Lorris-en-Gâtinais, Saint-Julien-du-Sault. Je pense d’ailleurs que ce recueil de 1626 est de destination polyvalente, intime, avec peu de Cantus firmus, jouable sur une épinette organisée, un clavecin, un clavicorde/manicordion…

En 2017 paraissait chez le label Paraty un album « Les messes retrouvées » par l’ensemble Les Meslanges, dirigé par Thomas Van Essen. Votre sujet de thèse porte en épithète « un organiste au-delà de l’orgue ». Lui connait-on des créations profanes ? Au-delà des deux recueils imprimés par Pierre Ballard, pensez-vous que le défrichage des archives pourra mettre au jour des partitions inédites ?

Titelouze est peut-être le compositeur des exemples sur les douze modes du Traité de l’Harmonie Universelle de Mersenne (1627), car tous les deux en discutèrent dans leur correspondance, surtout les exemples du volume 2 qui tiennent compte des remarques de Titelouze sur les ambitus ; mais cela ne fait pas beaucoup de musique. Il n’a a priori pas composé d’Airs de Cour alors qu’il s’intéressait au genre et qu’il en fit acheter pour la cathédrale de Rouen, d’autant que les Illustres-Bergers publièrent un recueil de chansons. Mais Titelouze était parfaitement intégré à la notabilité de Rouen, avait ses entrées dans les salons parisiens et probablement à la Cour.

Les messes de Titelouze furent en effet redécouvertes en 2016, publiées et enregistrées peu après. Ma thèse contient la première analyse de ces messes, comparées à d’autres messes françaises et aux versets d’orgue, avec des indications d’interprétation selon les effectifs de la cathédrale de Rouen. In Ecclesia est une messe à quatre voix très contrapunctique, dans le style de Bournonville ; la messe Votiva à quatre voix, probablement dédiée à la Vierge, est d’une écriture plus libre, très chantante, que l’ensemble propose avec des violes mentionnées dans les archives de Rouen ; Simplici corde est une messe à six voix assez courte, verticale, euphonique ; sa messe la plus démonstrative est Cantate à six voix, très variée dans ses effectifs, qui se prête aux sonorités cuivrées, probablement pour les grandes occasions comme celles qu’il dirigea en 1631 (inauguration de l’église des Jésuites de Rouen, Sainte-Cécile à la cathédrale). Le style vocal de Titelouze est différent de ses pièces d’orgue, avec beaucoup de croisements de voix, de longues lignes mélodiques, peu de dissonances surtout à six voix, plus d’allègements du contrepoint et de passages verticaux ; mais j’y retrouve les effets subtils de figuralismes, quelques chromatismes et essais rythmiques, des notes tenues pouvant évoquer le pédalier, et les renversements de thèmes.

Sans atteindre la variété des genres abordés par Byrd ou Scheidt, Titelouze nous lègue tout de même vingt pièces pour orgue divisées en 95 versets, et quatre messes divisées en 20 mouvements et 52 sections. Je pense qu’il envisageait d’écrire pour clavecin _ tiens, tiens… _, ainsi que des pièces en double-chœur pour aller au-delà de sa messe Cantate, dans les pièces « hors du commun » qu’il comptait envoyer à Ballard pour publication en 1633. Ma thèse est aussi « au-delà de l’orgue » grâce aux archives et aux nombreux documents très diversifiés que j’ai pu étudier, qui me permettent de faire le lien entre la vie, la pensée, l’œuvre d’un exécutant et penseur, son contexte local et national, ses intérêts en musique et dans de nombreux autres domaines, de comparer l’orgue et la musique vocale, et enfin toutes les facettes de la musique à cette époque charnière.

Propos recueillis par Christophe Steyne

Crédits photographiques : DR

Un entretien-article passionnant pour nous faire entrer dans l’œuvre du « père de l’école française d’orgue« … 

Et cf aussi mon article «  » du 14 février 2019…

Ce jeudi 6 avril 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

A propos de deux récentes interprétations discographique de ce chef d’oeuvre du Baroque musical que sont les « Sonates de Rosaire » de Heinrich-Ignaz-Franz-Biber, un très intéressant article bien détaillé du magazine Crescendo…

24mar

En forme de commentaire détaillé à mon bref article du 24 février dernier, il y a exactement un moix : « « ,

voici de ce jour même l’intéressant article détaillé de Christophe Steyne, sur le site de Crescendo, très simplement intitulé, lui, « Sonates du Rosaire de Biber : deux nouvelles parutions » :


Sonates du Rosaire de Biber : deux nouvelles parutions

LE 24 MARS 2023 par Christophe Steyne

Heinrich Ignaz Franz Biber
(1644-1704) : Sonates du Mystère / du Rosaire. Mayumi Hirasaki, violon. Jan Freiheit, viole de gambe. Michael Freimuth, archiluth, théorbe. Johannes Loescher, violone. Christine Schornsheim, clavecin, orgue. Septembre 2020, avril 2021. Livret en anglais, allemand, français. TT 74’09 + 55’30. Passacaille 1088

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Sonates du Mystère / du Rosaire. Amandine Beyer, violon. Baldomero Barciela, viole de gambe, violone. Francesco Romano, archiluth. Nacho Laguna, théorbe. Anna Fontana, clavecin, orgue. Septembre 2022. Livret en français, anglais, allemand. TT 52’04 + 53’26. Harmonia Mundi HMM 902712.13

L’actualité discographique nous amène deux esthétiques très dissemblables pour ces sonates. Du Mystère ? Du Rosaire ? Le titre manque dans le manuscrit, dépourvu de frontispice. Elles procèdent d’ailleurs plutôt du genre de la Suite que de la Sonate, dans la mesure où elles incluent des assemblages de danse (allemande, courante, gigue, sarabande, gavotte…). Quelle que soit l’appellation, elles n’en constituent pas moins un sommet _ sans conteste ! _du répertoire baroque pour violon, voire l’acmé de la polyphonie pour instrument à cordes au XVIIe siècle dans l’aire germanique. Malgré les conjectures, on les date communément de 1678, l’année où le Prince-Archevêque Max Gandolph éleva Biber au rang de vice-Maître de Chapelle à Salzbourg _ oui. Elles lui sont dédiées, en tant qu’une « harmonie consacrée au Soleil de Justice et à la Lune Immaculée », justifiant la pertinente iconographie de la pochette. L’amphithéâtre de l’Université de Salzbourg, où se réunissait la confrérie du Rosaire, s’ornait de tableaux représentant chacun des quinze Saints Mystères.

Le compositeur s’inspira de ce cycle liturgique qu’il déclina en autant de sonates, assemblées en trois séries (joie, douleur, gloire) correspondant à la Nativité, à la Passion, et à un ensemble groupant la Résurrection, l’Ascension, la Pentecôte, l’Assomption, le Couronnement de la Vierge. Une seizième sonate, pour violon soliste, se présente comme passacaille et se nomme « L’Ange gardien » que l’on célébrait le 2 octobre, associée à une effigie peinte sur la porte de l’Aula Academica. Même si certaines sonates endossent un langage figuratif, exprimant le sens des images sacrées, et relèvent même du procédé symbolique (croisement de cordes pour traduire la crucifixion), leur composition préexiste pour certaines d’entre-elles à leur mise en recueil. D’un point de vue harmonique, ces sonates se singularisent par l’accord en scordatura _ voilà ! _ (« j’ai réglé les quatre cordes de ma lyre de quinze manières différentes », précise l’auteur dans la préface en latin), que le livret de l’album Passacaille apostille par des clés en vignette.

Cette technique, Mayumi Hirasaki l’avait déjà magnifiée dans un album de 2019 (L’Arte della scordatura, chez le même éditeur _ Passacaille). Malgré la virtuosité que requiert l’exécution, la musicienne se distingue par son interprétation intérieure et réfléchie, volontiers mystique qui, dans le calme des premières scènes (son Annonciation tout en sfumato) semble hésiter entre tendresse et velléité. Cette propension méditative culmine toutefois en des étapes comme Le Christ au Mont des Oliviers, ou les variations autour de la Flagellation. Les pages extraverties, comme le praeludium de la Crucifixion, l’aria tubicinum de L’Ascension ou L’effusion du Saint Esprit, montrent une soliste vaillante, sans qu’on accède à ce suprême degré d’ardeur qu’enflammait un Reinhard Goebel (Archiv Produktion) dans son enregistrement qui globalement fait toujours référence pour son intense rudesse illustrative. Un continuo attentif sertit la vision sereine et raffinée de la violoniste nipponne, qui emploie cinq instruments différents, d’époque (c1700, c1750, fin XVIIIe) ou de facture récente. Sa lecture toute résiliente de l’ultime passacaille signe une version dont la palette de nuances se voue au regard contemplatif, épousant intimement les courbes du chapelet de prière, qui n’est pas sans rappeler le témoignage de Fabien Roussel (Bayard).

Une plage par sonate chez Passacaille, là où Harmonia Mundi permet un accès plus détaillé. Nul besoin de vérifier le tracklisting (vingt-cinq minutes de moins ! _ oui… _) pour que l’oreille saisisse combien Amandine Bayer nous emmène dans une expédition autrement pressée, dès ses guillerettes évocations autour de la crèche et l’enfantement. Empressée voire désacralisée _ voilà _, ce qui semblerait accréditer que ces pages furent conçues pour le divertissement du prince. La musica representativa, la dévotion mariale deviennent prétextes à des incantations vertigineuses, souvent parcourues bride abattue, repoussant les précédents exploits de Reinhard Goebel ou Patrick Bismuth (Zig Zag). Une ivresse toute chorégraphique dissiperait-elle la ferveur du sentiment ?, à l’instar de ce corps vacillant sur la couverture.

« Il y a des projets de disque qui naissent de la musique. Et puis il y en a d’autres qui naissent de la danse ! Cet enregistrement a pu prendre forme dans ma tête, mes doigts et mon cœur grâce à l’impulsion de la compagnie de danse Rosas, et de sa chorégraphe, Anne Theresa de Keersmaeker » _ voilà ! _ prévient l’exergue de la notice. Cette théâtralité imprègne la vision de la violoniste : « je ne peux pas jouer une seule note de cette musique sans voir un corps tourner, deux têtes se rapprocher, une poitrine s’ouvrir et s’abandonner, une main se tendre vers le ciel ou l’obscurité et faire un geste léger, aussi subtil qu’une diminution musicale ». Cette intrépidité vire-t-elle à l’exaltation du mouvement ou s’enferre-t-elle dans l’hypotypose ? Quitte à succomber à des effets bruitistes dans l’aria tubicinum de L’Ascension qui, en guise de troupe guerrière, processionne sur une sorte de claquement de nacaires. En tout cas, on chercherait en vain une valorisation plus cinématique du texte, presque une antithèse aux équilibrages prudents d’Hélène Schmitt (Aeolus) et aux divine fluidités de Monica Huggett (Gaudeamus).

Au crédit de cette nerveuse incarnation, on avoue reconnaitre une constante sensibilité à la partition, scrutée jusqu’au maniérisme, surclassant la veine pictorialiste de Lina Tur Bonet (Pan Classics). Brio, suggestivité épidermique placent Amandine Beyer au premier plan d’une vigoureuse prestation où le continuo se plie docilement à la démonstration. Le substrat s’efface derrière une leçon d’archet qui, en flagrance de glossolalie, parle les langues de ces vignettes avec une aisance déconcertante -sans toujours en épuiser le sens, ici survolé, diront les contempteurs. La rhétorique n’est pas appariée à celle du contraste signifiant. On en apprécie d’autant certains moments de grâce où Amandine Beyer, si prompte à éblouir ou émoustiller dans les instances spectaculaires et les turbidités en stylus phantasticus, nous émeut par ses touchantes intuitions, ainsi l’allamanda de la Visitation ou la sarabande de la Pentecôte.

Cette incandescente lucidité digne d’un « renouveau charismatique » s’assigne ses propres limites, mais rappelle surtout que Biber, outre la dimension spirituelle que l’on prête à son chef-d’œuvre, fut _ en effet ! _ un des grands virtuoses de l’époque. Par ses rythmes drus, sa sensitivité à fleur de peau, sa diction segmentée, son procès vériste jusqu’à la bambochade, son coloris piailleur (à l’inverse des bas-reliefs d’Andrew Manze sous la même étiquette Harmonia Mundi), cette version des Sonates du Mystère ne sera pas du goût de tous, d’où notre évaluation qui rechigne à l’enthousiasme _ ce qui n’étaits pas mon cas. Résumerait-on en disant qu’elle privilégie le frémissement de l’instant sur la condensation parabolique, qu’elle signalise un graphisme entre naïveté et expressionnisme, -une galerie telle que par-delà les siècles aurait pu la peindre un Max Beckmann ?

Passacaille : Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Harmonia Mundi : Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

Intéressant.

Ce vendredi 24 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Sylvain et Théotime, Théotime et Sylvain, dans l’exquis CD « Bach-Abel Society » de l’Ensemble Les Ombres, en un très raffiné répertoire galant, à Londres (1765 – 1782)…

20mar

C’est seulement un malencontreux concours de circonstances qui a retardé la livraison et la mise sur table chez mon disquaire préféré, de l’excellent CD « Bach-Abel Society«  _ le CD Mirare MIR 584 _, de l’Ensemble les Ombres, 

dans lequel nous pouvons apprécier, en un bien joli répertoire galant, très raffiné, à destination d’hédonistes cercles aristocratiques londoniens, la flûte traversière de Sylvain Sartre, et le violon toujours parfait de son petit frère Théotime Langlois de Swarte…

Sur ce ravissant CD,

voici la chronique qu’en a donné le 2 février dernier, sur le site Crescendo, Christophe Steyne,

sous l’intitulé « Les Ombres ramènent en lumière les aristocratiques concerts de la Bach-Abel Society« …

Les Ombres ramènent en lumière les aristocratiques concerts de la Bach – Abel Society

LE 2 FÉVRIER 2023 par Christophe Steyne

Bach – Abel Society.

Johann Christian Bach(1735-1782) : Quatuor no 2 en ré majeur Op. 8 ; Sonate pour violon n°3 en ut majeur Op. 16.

Carl Friedrich Abel(1723-1787) : Préludes en ré majeur WKO 195, en ré mineur WKO 205 [27 Pièces pour basse de viole] ; Sonate en ut mineur A2:60A ; Quatuor en sol majeur WKO 227.

Franz Joseph Haydn (1732-1809) : Mary’s Dream ; John Anderson, My Jo ; I love my love in secret.

Johann Samuel Schröter (c1753-1788) : Quintette en ut majeur Op. 1 ; Sonate VI Op. 7.

Les Ombres. Margaux Blanchard, viole de gambe. Sylvain Sartre, flûte traversière. Fiona McGown, mezzo-soprano. Théotime Langlois de Swarte, violon. Justin Taylor, pianoforte. Hanna Salzenstein, violoncelle.

Février 2021.

Livret en français, anglais, allemand.

TT 69’27.

Mirare MIR584

Organisés à Londres entre 1765 et 1782, les « concerts Bach-Abel » furent un foyer majeur _ mais discret _ de la vie musicale européenne au XVIIIe siècle et participèrent à l’émancipation du style galant. Des soirées réservées à une élitiste audience _ aristocratique _ qui pouvait se permettre d’acquitter la souscription. Leur caractère exclusif se dispensait de toute publicité autre que l’annonce du rendez-vous. Aucun programme n’a ainsi survécu _ voilà… _ ce qui nous prive aujourd’hui de savoir précisément quel répertoire y était joué. La reconstitution d’un tel concert repose donc sur des conjectures.

Dans ce disque, la proposition de l’ensemble Les Ombres est aussi pertinente que sincère, rappelant par exemple que certains opus ici choisis sont néanmoins postérieurs _ en effet _ à la période d’activité de ces événements mondains, ainsi le charmant Quatuor en sol majeur avec flûte _ d’Abel _, écrit dans une veine de pastiche et d’autocitation, où reluit la traversière de Sylvain Sartre. Leur sont également postérieurs les trois chants populaires écossais, tirés des quelques centaines que Haydn _ venu à Londres _ diffusa à la fin de sa carrière. Parmi la production vocale contemporaine, des Songs de William Boyce ou Thomas Arne auraient-ils mieux fait l’affaire ? En tout cas cette incursion lyrique s’avère plausible dans ce contexte, et nous offre trois séquences des plus plaisantes pour varier ce récital essentiellement instrumental. La présence _ très intéressante ! _ de Johann Samuel Schröter dans ces concerts est attestée dès 1772 alors qu’il n’avait que vingt ans et venait de débarquer de la Cour de Saxe. Avant sa disparition prématurée _ le 2 novembre 1788, âgé de seulement 35 ans… _, le jeune virtuose du clavier devint un musicien très apprécié de la capitale anglaise et contribua à l’essor du pianoforte _ et la présence de sa musique constitue sans conteste un des apports majeurs de ce parfaitement réussi CD des Ombres…

Les deux tutélaires maîtres de cérémonie _ que sont donc Bach et Abel _ tiennent bien sûr une place d’honneur dans le CD, notamment Abel qui à lui seul en occupe presque la moitié, nous rappelant qu’il fut _ en effet ! _ un des derniers grands gambistes de l’époque. Il est superbement servi par Margaux Blanchard : deux chatoyants Préludes solistes et une Sonate provenant d’un rare recueil découvert en 2014, que le Comte Maltzan (1733-1817), Ambassadeur de Prusse à Londres, ramena dans ses bagages à son retour en Silésie. Johann Christian Bach est représenté par un _ rayonnant _ Quatuor de l’opus 8 (ici abordé avec flûte et viole), en deux parties tout comme la « sonate arrangée » dont nous entendons le Menuetto, dansé sur les pointes par Théotime Langlois de Swarte et Justin Taylor _ toujours parfaits. Ne se sentirait-on privilégié d’être associé à de tels instants de grâce ? Tout au long de cette large heure de musique brille un plaisir exquis _ oui _, émané d’une équipe qui nous enchante et qui, il y a deux siècles et demi, aurait certainement tout autant ravi les hôtes de marque de cette « Bach – Abel Society ».

Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 10


Christophe Steyne

Ce lundi 20 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et à nouveau à propos du CD Vivaldi « Intorno a Pisendel » de Julien Chauvin et son Concert de la Loge, frémissant de vie…

13mar

Et à nouveau à propos du superbe CD Vivaldi « Intorno a Pisendel » de Julien Chauvin et son Concert de la Loge (le CD Naïve OP 7546),

et après mon assez dithyrambique article « «  du 2 novembre 2022,

voici cette fois ce que sur le site de Crescendo, ce lundi 13 mars 2023, dit de ce CD de Julien Chauvin le critique Christophe Steyne,

sous l’intitulé assez sobre « Vivaldi, concertos pour violon autour du virtuose Pisendel » :

Vivaldi, concertos pour violon autour du virtuose Pisendel

LE 13 MARS 2023 par Christophe Steyne

Concerti per violino X Intorno a Pisendel.

Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos en ré majeur RV 225, RV 226, en ré mineur RV 237, en sol majeur RV 314, en la majeur RV 340, en si bémol majeur RV 369.

Julien Chauvin, violon et direction.

Le Concert de la Loge.

Livret en français, anglais, italien, allemand.

Mars 2021.

TT 60’04.

Naïve OP 7546

Parvenu au deuxième tiers _ voilà _ de son ambitieux projet (faire entendre l’intégralité des manuscrits vivaldiens conservés à la Bibliothèque Nationale de Turin, source fondamentale _ en effet ! _), cette collection apporte ici un dixième volume de concertos pour violon. Chaque fois confié à des interprètes de premier plan. Le précédent jalon concertant était confié à l’ensemble de Rinaldo Alessandrini. On retrouve ici le Concert de la Loge qui s’était illustré dans le volume 8, « Il Teatro ». Au programme : des concertos autour de la personne de Johann Georg Pisendel, le célèbre violoniste de la Cour de Dresde, que le futur Frédéric-Auguste II de Saxe (1696-1763) avait emmené à Venise lors de son voyage d’aguerrissement, et qui devint un proche élève du Prete Rosso. Pisendel était déjà à l’honneur dans le volume 5, par Dmitry Sinkovsky et Il Pomo d’Oro, et gageons qu’il le sera encore car certains opus (RV 172, 205, 242) dédiés à son archet n’ont pas encore surgi dans cette édition au long cours _ information précieuse.

On trouve ici trois concertos expressément écrits pour lui (RV 237, 314 et 340), et trois autres qu’il recopia (RV 225, 226, 369) _ une distinction intéressante elle aussi. Le Largo du RV 226 s’inscrit sur un fond de pizzicato ; le présent enregistrement a choisi la même parure de cordes pincées pour l’Adagio du Concerto en sol majeur _ RV 314 _, tirée d’une mouture alternative archivée à Dresde comme RV 314a. Cet opus ouvre le disque et attaque comme une déflagration _ voilà ! À entendre ces contrastes radicaux, éblouissants comme un flash, on suppose d’emblée que la prestation va préférer le fil du rasoir au dos de la cuiller. Joutant avec ces tranchantes ritournelles, Julien Chauvin se montre non moins affuté dans les passages rhapsodiques dont il soutire d’étranges phosphores. Cette même liberté _ mais jamais hystérisée, ni complètement arbitraire… _ dynamise le relief soliste que Vivaldi incrusta dans le ripieno du premier allegro RV 226. Dans le RV 237 en ré mineur, l’élasticité des bariolages titillés de l’archet instille une vie frémissante _ oui _, digne du dramatique RV 369 que l’équipe anime avec sensibilité et science.

Car il y a de l’audace, mais surtout du contrôle derrière ce méthodique panache que le Concert de la Loge sertit dans un ton lucide _ oui, jamais hystérisé _, rappelant que l’orchestre officie par ailleurs, conformément à son nom de baptême, dans les grandes pages du classicisme _ mais oui. Un drapé en couleurs primaires alambiqué de clair-obscur, netteté du dessin, compacité de la pose, une certaine rigidité du maintien sous la souplesse revendiquée du geste, regard vaguement compassé : l’interprétation du Largo RV 225 fait immanquablement songer au Christ chez Marthe et Marie de Mathieu Le Nain (1607-1677). Ailleurs, l’esthétique altière des musiciens de la Loge nous vaut une anthologie tracée avec une force brute et un brin guindée, heureusement décillée par l’imagination de son chef et ses arsouilles cabrioles à l’instrument. En tout cas, une étape à ne pas manquer _ voilà ! _ dans l’exploration du corpus vivaldien, tant pour la relative rareté des œuvres que leur charismatique exécution, en habit d’apparat _ oui.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

CD après CD,

 

et aux deux tiers de son parcours,

cette Intégrale Vivaldi d’après les manuscrits précieusement retrouvés et conservés à la Bibliothèque de Turin,

tient donc magnifiquement ses promesses…

Vivaldi sachant se renouveler merveilleusement à chacun de ses infiniment variés, mais oui !, opus…

Ce lundi 13 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une comparaison discographique de Concertos et double concertos pour clavecin de Bach : le Bach revigoré et proprement jubilatoire de Francesco Corti et il pomo d’oro…

17fév

À propos du tout à fait remarquable _ et déjà remarqué ici même au mois d’août dernier _ percutant CD « Bach Harpsichord Concertos III » par Francesco Corti, Andrea Buccarella et le décidément toujours magnifique il pomo d’oro,

voici que paraît cet intéressant article, en date d’hier 16 février 2023, sous la plume de Christophe Steyne sur le site de Crescendo : « Concertos et double concertos pour clavecin de Bach : trois nouvelles parutions« ,

qui me paraît à confronter à mon article du 20 août 2022 sur ce même CD : « « …

Concertos et double concertos pour clavecin de Bach : trois nouvelles parutions

LE 16 FÉVRIER 2023 par Christophe Steyne

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concertos pour clavecin no 3 en ré majeur BWV 1054, no 4 en la majeur BWV 1055, no 6 en fa majeur BWV 1057, no 7 en sol mineur BWV 1058.

Masato Suzuki, clavecin. Bach Collegium Japan.

Andreas Böhlen, Kenichi Mizuuchi, flûtes à bec. Natsumi Wakamatsu, Azumi Takada, violon. Yukie Yamaguchi, alto. Toru yamamoto, violoncelle. Seiji Nishizawa, violone.

Juillet 2019. Livret en anglais. TT 60’05.  BIS-2481

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concertos pour clavecin no 2 en mi majeur BWV 1053, no 4 en la majeur BWV 1055. Concertos pour violon en la mineur BWV 1041. Concerto pour deux clavecins en ut mineur BWV 1062.

Mario Sarrechia, Bart Naessens, clavecin.

Sara Kuijken, violon solo.

Sigiswald Kuijken, violon, violoncello da spalla, direction.

La Petite Bande. Yun Kim, violon. Marleen Thiers, alto. Edouard Catalàn, basse de violon.

Octobre 2021. Livret en anglais, français, allemand. TT 62’39. Accent ACC 24385

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concertos pour deux clavecins en ut mineur, ut majeur, ut mineur BWV 1060-1062. Concerto pour clavecin, hautbois et cordes en ré mineur BWV 1059 [reconstruction F. Corti].

Francesco Corti, Andrea Buccarella, clavecin. Emmanuel Laporte, hautbois.

Ensemble Il Pomo d’Oro.

Avril 2021. Livret en anglais. TT 55’48. Pentatone PTC 5186 966

Au sein d’une discographie déjà abondante, l’actualité s’enrichit de trois nouvelles parutions consacrées aux concertos pour un ou deux clavecins. Affichant chacune un accompagnement réduit à un pupitre par partie, pour des effets au demeurant très contrastés selon l’esthétique qui se dégage de chaque album. Après un album de concertos à deux clavecins par Suzuki père et fils admiré par Ayrton Desimpelaere voilà huit ans, après un premier volume de concertos pour un seul clavecin (dont une reconstruction du BWV 1059), Masato et le Collegium Japan reviennent boucler l’intégrale des BWV 1052-1058. Dont celui décalqué du quatrième Brandebourgeois, ici superbement servi par les flûtes d’Andreas Böhlen et Kenichi Mizuuchi. On retrouve le même instrument à deux claviers (Kroesbergen, 1987, d’après Couchet), on retrouve le même accompagnement aminci, que la captation reproduit avec un relief et une densité qui remplument un peu la lésine des effectifs, au prix d’une certaine dureté et d’une image frontale.

On retrouve aussi le même genre d’interprétation radiographique, qui comblera les amateurs de lisibilité, de recto tono. Les mouvements vifs brillent comme un cristal aux arêtes pures, mais dépourvu de la moindre chaleur, de la moindre souplesse d’influx. Un usinage sidérurgique. Alors que dire des mouvements lents ?, d’une glabre et réfrigérante géométrie, désertés de tout affect, raclés à l’os. Suspecterait-on jamais l’Adagio e piano sempre de pouvoir flotter aussi impassiblement, tel un bloc de banquise dans un océan glacé ? Les oreilles avides d’un littéralisme élagué se rappelleront la phrase de Saint-Exupéry (Terre des hommes) : « il semble que la perfection soit atteinte, non quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retrancher ». Du territoire expressif visité par ces opus, ne reste-t-il pourtant qu’un cadastre piqué à la machine à coudre ?, se demanderont en revanche les contempteurs de cette approche digne d’un scanner.

Les déterminants de l’empathie ne se réduisent pas à l’arithmétique. L’émotion ne s’indexe pas sur la taille. Chez le label Accent, le même effectif d’archets (au plus, un quintette) manifeste une entropie supérieure à l’interprétation nipponne, mais aussi un net surcroît de chaleur communiquée à l’auditeur. Application du principe thermodynamique de conservation d’énergie ? À comparer le BWV 1055, les allegros ne sont pas moins animés avec l’équipe de Kuijken, mais le larghetto respire bien plus aisément. La malléabilité des cordes exsude un coloris et une saveur que nous ne percevions guère autour de Masato Suzuki. Toujours est-il que le mélomane devra adhérer à ce giron plutôt qu’un véritable orchestre, et accepter de souscrire à l’avis de Sigiswald Kuijken (« tous ses concertos appartiennent au genre de la musique de chambre ») au sein d’une notice à l’argumentaire partial. Laquelle explique aussi (pas très clairement) le recours à un violoncello da spalla pour le BWV 1062 (erronément répertorié comme BWV 1061 dans le tracklisting).

Côté solistes, on apprécie le tempérament de Sara Kuijken, aux phrasés étudiés qui déjouent les évidences (remarquable élasticité dans l’allegro assai) quitte à paraître parfois mal assurée. On salue le jeu fin et sensible de Mario Sarrechia, son articulation lubrifiée, son propos juste et soupesé (comme le final du BWV 1053 pétille sainement !). Le brillant alumnus des Conservatoires d’Anvers et Amsterdam est rejoint par Bart Naessens dans un tandem là encore parfaitement ciselé. Ce CD s’annonce comme premier volume d’une trilogie qui, outre les six concertos pour clavecin soliste (sans le BWV 1058 ?), compte rassembler à terme les trois doubles concertos pour clavecins, le double concerto pour violons, et les deux concertos pour violon

On mesure toutefois ce que l’interprétation du BWV 1062 concluant le disque Accent avait de prudente quand on sursaute _ avec jubilation ! _ à l’écoute du même concerto, qui fait irruption au début de l’album Pentatone. Le premier volume de l’intégrale des concertos solistes par Francesco Corti avait enthousiasmé notre plume et notre magazine _ et moi aussi !!! cf mon article du 21 mai 2022 : « «  _, qui le récompensait d’un Joker Millésime distinguant les douze meilleurs enregistrements de l’année 2020 ! Le livret invoquait un continuo attesté pour le BWV 1055, plaidant pour plusieurs archets par partie (3/3/2/1/1), extrapolés aux trois autres concertos de ce tome I. Nous voici ici cependant revenus à un équipage congru, mais valeureux par ses individualités : Evgeny Sviridov et Anna Dimitrieva aux violons, Stefano Marcocchi, à l’alto, Catherine Jones au violoncelle, Paolo Zuccheri au violone.

Codicille à cette série BWV 1052-1058, on nous offre ici le BWV 1059, inachevé par Bach mais complété par Francesco Corti (en s’inspirant des airs de la cantate Geist und Seele wird verwirret), comme Gustav Leonhardt l’avait osé en son temps (et gravé en 1960 sous étiquette Das Alte Werk), ainsi que d’autres tel Suzuki que nous évoquions ci-dessus. Tous les détails de cette intéressante (et très conjecturale) reconstruction sont honnêtement présentés dans le livret qui renseignera dûment les anglophones.

L’interprétation des quatre concertos affiche une vigueur peu commune, presque militante _ oui, oui… _, aiguisant les rythmes et affutant les tempos, poussant les partitions dans leurs retranchements. Y compris dans les andante et adagios, concentrés comme des instants paraboliques, resserrés d’un geste unificateur qui révoque la nuance, certes. Que dira-t-on alors des mouvements vifs ?! C’est musclé, parfois chahutant, souvent étourdissant, toujours stimulant _ pour notre jubilation ! Même combat que dans le disque de Masato Suzuki ? Du moins, la physionomie diffère, voire les enjeux : là dominait une impression de sécheresse, ici triomphe la force, tout aussi brute peut-être mais mieux hydratée, et qui n’oblitère pas l’éloquence. La démonstration intimide toutefois. On souhaiterait que la motorisation poussée à fond les manettes réintroduise quelque subtilité _ quant à moi, je me régale et y trouve le portrait le plus idoine que je me fais du puissant père Bach…

On saluera la virile découpe que les deux violonistes russes inculquent au tracé, et le non moindre élan que les cordes graves impulsent à la motricité. Andrea Buccarella partage la même pugnacité que son compatriote. Deux clavecins faits par Andrea Restelli d’après le « Christian Vater 1738 » de Hanovre sont les complices de cette lecture aussi radicale qu’incendiaire _ voilà. On s’enflamme ! La conduite est magistralement, autoritairement, impeccablement gérée. Irrésistible, mais désarçonnant, verrouillez votre ceinture ! _ et décollez !

BIS = Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 6

Accent = Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Pentatone = Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

C’est bien intéressant !

Ce vendredi 17 février 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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