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Délicate balance, entre exigence de vérité et souci de délicatesse : quelques remarques préliminaires, en lisant « Mes Années japonaises » de René de Ceccatty

20avr

Désirant que l’article que je vais écrire sur Mes années japonaises de René de Ceccatty _ le livre est à paraître le 2 mai prochain au Mercure de France _,

soit à peu près à la hauteur de celui que j’ai composé pour Enfance, dernier chapitre

j’en suis à ma quatrième relecture minutieuse de ces Années japonaises de René de Ceccatty.
Et je trouve que la figure de R. _ de leur rencontre-coup de foudre au mois de mai 1978 à Tôkyô, à leur très pénible séparation en juillet 1994 à Paris, puis à la fin de leur collaboration de traducteurs du japonais en français, en 2014 ; R. étant rentré d’Europe au Japon en 2011 _
y est un peu _ trop ? _ escamotée, floutée _ et alors même que le prénom de R. apparaît 72 fois (en 51 pages, sur 246) ; et son nom, jamais ; à titre de comparaison, le prénom de Cécile, la compagne de René à Tôkyô, de leur arrivée ensemble le 26 septembre 1977, à son départ prématuré et seule (page 73) à l’automne 1978 (page 82), à 57 reprises (en 39 pages) ; René regagnant la France le 30 juin 1979 (page 152) _ ;
R. étant caractérisé ici par quelques très brefs épisodes de son ironie un peu froide _ mais en rien agressive : affectueuse en sa forme, sinon en son fond (tout de même critique) : « R. estimait que je perdais mon temps à écrire mes livres plutôt que d’approfondir ma connaissance de la langue japonaise et de la culture de son pays. « Tu scribouilles« , me disait-il avec un mélange d’affection et de mépris« , lit-on page 184 _ à l’égard de son ami René,
 plutôt que par des éléments sentimentaux de leur attachement réciproque durablement profond de plus de quinze années, de mai 1978 _ leur rencontre-coup de foudre à Tôkyô ; et nous n’en connaîtrons que la date approximative _ à juillet 1994 _ leur douloureuse rupture : évoquée seulement par la très rapide allusion, page 153, aux larmes de R. « dans un café des Invalides qui n’existe plus » (René ajoutant cependant ici : « Et c’était moins notre rupture qu’il pleurait que sa vie nouvelle déjà si difficile« , sans plus de précision, comme souvent ; nous n’en apprendrons pas davantage…) ;
sans compter la continuation de leurs travaux communs de traduction, poursuivie jusqu’en 2014, même après le départ d’Europe et retour de R. au Japon en 2011 _ je viens de le dire.
C’est d’ailleurs une des principales raisons de cette quatrième relecture de ma part ;
et bien des choses _ tapies dans des détails, comme toujours, dans l’écriture si détaillée et riche (toujours parfaitement fluide ! sans jamais la moindre lourdeur…) de René de Ceccatty _ m’échappent probablement encore…
Et je me demandais aussi pourquoi _ hormis un répété et longtemps tenace masochisme, peut-être : jusqu’à l’arrivée en la vie de René de Julien _ René avait quitté si brutalement R., en 1994, pour sa si calamiteuse histoire avec Hervé, comme cela est narré _ mais sans se focaliser jamais sur les sentiments (et le point de vue) de R., laissés dans l’ombre supposée protectrice du non-dit_ dans Aimer
Et cela, René de Ceccatty le laisse ici à nouveau dans le flou… Sans y poser son regard _ et encore moins s’y attarder si peu que ce soit ; mais René de Ceccatty, toujours fluide, ne s’attarde pesamment jamais.
J’imagine et comprends donc les irritations que pourrait éprouver R. à la lecture de ces Années japonaises de René de Ceccatty,
qui sont d’abord, et profondément même, Les années R. de René !!!
Lire vraiment René de Ceccatty
exige toujours _ et c’est un formidable plaisir de lecture !!! _ une attention patiente et sans relâchement aucun : un tout petit mot unique _ par exemple, page 306, l’hapax du terme télétransportation (un phénomène se produisant pour René, via « la merveilleuse lumière hivernale«  et « l’ombre chaleureuse poméridienne« , entre les collines de Montpellier et celles de Tôkyô) dans Enfance, dernier chapitre _ au sein des volutes détaillés de l’envol d’une phrase développée, pouvant constituer une clé décisive de l’intelligence du réel vécu évoqué… Mieux vaudrait donc ne pas le manquer…
Et j’aime tout particulièrement que la sagacité du lecteur soit ainsi, même un peu rudement _ mais sans jamais d’agressivité, simplement par un jeu infiniment léger avec le lecteur, ainsi provoqué à la vigilance par sa propre éventuelle curiosité, si l’aventure lui survenait de se laisser prendre à un tel jeu (de lecture chercheuse), et sans la moindre lourdeur, évidemment !, de la part de l’auteur ; le lecteur ainsi incité par sa curiosité, devenant lui aussi acteur actif, et non passif, de sa présente lecture _ sollicitée !!!
Montaigne agissait ainsi, lui aussi !
« Indiligent lecteur, quitte mon livre ! », prévenait-il en ouverture hyper-ironique de ses Essais
Et cela, alors que la mère de René, confidente particulièrement lucide _ toute sa longue vie _, était très critique sur les situations amoureuses à éviter _ pour elle-même comme pour tout autre _ :
notamment _ d’abord _ à propos de ses propres sœurs Solange et Colette.
René l’avait bien souligné _ probablement trop tard rétrospectivement pour lui-même. Que n’a-t-il mieux suivi lui-même ce lucide conseil, serait-on donc (bien vainement) tenté de dire, de l’extérieur… 
D’où un assez persistant sentiment _ gris _ de culpabilité en lui
envers ce qu’il a mal réglé en son passé : trahisons, égoïsmes, aveuglements, indifférences,
qui continuent de le travailler, lui maintenant si lucide…
L’œuvre d’écriture réussira-t-elle à en venir au moins partiellement à bout ?
Je peux donc fort bien comprendre ce que pourrait être le point de vue de R. lecteur aujourd’hui de ces Années japonaises de son ami René de Ceccatty ; qui sont pour beaucoup aussi _ voire le principal _ les Années R. de l’auteur…


Et R. rejoindrait ainsi le point de vue du Raphaël réel _ non percé à jour, lui, dans L’Hôte invisible et Raphaël et Raphaël, en sa réelle identité, à la différence d’Hervé _parvenant à faire retirer de la parution, in extremis _ le matin même du jour où allaient tourner les rotatives de l’imprimerie ! _Un Père, qui livrait son portrait, même crypté et flouté.
Même si ce Raphaël réel demeure, lui, in fine assez épisodique et peu profond _ me semble-t-il _ au sein du parcours sentimental de René de Ceccatty ;
à la _ colossale _ différence, précisément, de R. …
Et à cette différence, aussi, que R. _ même si seul le prénom est ici, dans le récit, prononcé ; et pas une seule fois le nom ! c’est à relever ; avant, du moins, la réduction à l’initiale R. … _ est un personnage public parfaitement identifié, lui.
Et même dans la saga d’Hervé, ouverte par Aimer, René s’est efforcé de flouter le mieux possible toutes les personnes réelles qu’il évoque ;
et il faut bien de la ténacité un peu sagace au lecteur un peu curieux pour parvenir à percer à jour pas mal _ certains continuant de résister à l’entreprise _ de ces floutages…
Il n’empêche, les années japonaises de René sont, via, et très fondamentalement, la personne de R., les Années R. de René de Ceccatty
_ cf ces mots éminemment révélateurs à la page 160, à propos de son écriture à Tôkyô de la troisième partie de son magnifique Jardins et rues des capitales :
« Dans ce style ciselé et net, prudent et conscient, dépouillé et sec, je décrivais ma vie intérieure _ telle qu’elle venait d’avoir été vécue à Paris et à Rome _ que je séparais des informations qui m’étaient fournies _ alors _ par mon séjour _ présent _ en terre étrangère, convaincu que je n’étais justement pas _ en ce Japon _ à l’étranger, mais au contraire dans mon propre pays _ voilà ! l’expression est puissante ! _, un pays intérieur _ une expression très proche de celle, décisive, de « paysage intérieur » dans Enfance, dernier chapitre  _
auquel me donneraient accès ces idéogrammes _ de l’écriture japonaise _ que j’avais tant de mal à mémoriser,
espérant un jour faire miens ces livres qu’on m’indiquait (et dont, en effet, d’Ôé, de Mishima, de Kunio Ogawa, de Dögen, je traduirais certains) et me fondre dans une vie _ à la japonaise_ qui me semblait être, elle aussi, la mienne.
Mais cela, je le savais aussi, ne pouvait se produire qu’à travers un être humain tel, justement, R. _, et non seulement des livres »
Alors,
il me semble qu’en effet René de Ceccatty expose le moins possible _ comme il le fait aussi pour son frère Jean dans Enfance _ la figure même de R. _ nous ne saurons quasiment jamais (à l’exception des larmes versées dans le café près des Invalides, qui n’existe plus, de la page 153) ce que R. éprouve _ ;
mais de toutes les façons, la longue collaboration suivie (ne serait-ce que par leurs traductions communes) de René de Ceccatty avec R., est suffisamment publique ;
sans compter ce qui transparaît aussi déjà de R. à travers bien des romans matinés de romanesque _ issus-inspirés de leur séjour anglais : dans le Devon et à Torquay, en 1980 _ de René ;
ainsi qu’à travers les cinq récits _ Aimer, Consolation provisoire, L’Éloignement, Fiction douce et Une Fin _ de la saga d’Hervé, tout particulièrement son premier volume, Aimer.
Déjà là, la figure de R. abandonné _ pour le définitivement fuyant Hervé _ en cette explosive rupture avait été assez étrangement _ pour le lecteur, du moins _ escamotée-floutée dans cet Aimer
A nul moment, en effet, la personne cruciale de R. n’y avait été exposée _ et encore moins surexposée : la surexposition (hystérisée) étant d’ailleurs parfaitement étrangère au mode d’écrire-peindre, toujours parfaitement délicat (et merveilleusement léger en le flux heureux de ses phrases), de René de Ceccatty _ ; au contraire son nom seulement pouvait apparaître, à l’occasion,
mais pas la figure _ ni les expressions _ de sa personne, demeurée(s) entièrement translucide(s), floutée(s).
Ici, forcément, en ces Années japonaises, il est bien difficile de se taire totalement sur R., personne-pivot essentiel tout au long de ces années japonaises – années R., de René de Ceccatty :
que ce soit à Tôkyô et au Japon, dans le Devon, à Torquay et Totnes, à Paris, ou à Brosses, dans le Nivernais _ où se trouve la grange qu’avait achetée R., et dans laquelle ont traduits ensemble René de Ceccatty et R., onze ans durant, de 1990 à 2001 ; y compris après leur rupture-séparation de juillet 1994…
Ainsi R. demeure-t-il quasiment transparent _ translucide, quasi invisible _ aux yeux du lecteur : d’où mon point de vue premier _ de lecteur naïf, donc…
René de Ceccatty a été vraiment plus que discret _ et supérieurement délicat _ sur sa personne ;
et leur attachement…
Et c’est toujours la vérité _ la plus honnête qui soit _ du réel que recherche _ impitoyablement pour lui-même d’abord _ en l’œuvre poursuivi d’écriture rétrospective de sa vie, René de Ceccatty,

puisque la mission de fond qu’il conçoit de l’écriture _ cf page 54 : « c’était déjà _ dès l’enfance _ une évidence prouvée que mon rapport au monde passait par la chose écrite et lue « … _ et de la littérature est bien celle-là :
par le style singulier le plus adéquat possible à la vérité désirée _ maintenant _ de ce réel vécu _ passé, mais dont bien des effets réels, souvent non dépassés, demeurent, de ne pas avoir été réellement réglés alors… _ à laquelle l’écriture et la _ vraie _ littérature seules _ et c’est là une thèse très puissante et décisive de René de Ceccatty, présidant même à toute son écriture d’aujourd’hui ; cf page 56 : « Durant l’été, les manuscrits insipides et maladroits que je lisais attentivement me révélaient la banalité de toute vie quand elle est mal racontée _ voilà ! par clichés _ et donc aussi de la mienne si je ne l’écrivais pas ainsi qu’il me semblait que je le devais «  _ permettent, par-delà _ et contre _ le temps écoulé, passé, d’essayer d’atteindre vraiment _ comme pour remédier, par ses propres moyens spécifiques, à ce qui s’était alors trop mal passé _,
et avec la plus grande finesse _ très vigoureusement recherchée : René de Ceccatty se malmenant lui-même fortement avec celui qu’il a été _ du rendu des sensations éprouvées alors, 
au-delà de la banalité des clichés sur les situations communément partagées : des lieux communs au sens propre… ;
et toujours, aussi, avec la plus grande délicatesse possible, afin de ne surtout pas blesser le moins du monde ceux qui s’y reconnaitraient (ou reconnaîtront) à la lecture
de ce à quoi René de Ceccatty est parvenu à cerner et développer dans le détail subtil et magnifique de sa remémoration de ce souvent douloureux _ et coupable, par ses trahisons, ses aveuglements ou son égoïsme d’alors _ vécu passé.
Et toujours René de Ceccatty, auteur, recherche la plus juste balance possible entre ce souci le plus exigeant de la vérité de ce qui fut vécu alors, à essayer d’atteindre, et celui de la délicatesse à avoir à l’égard de ceux qui pourraient en être aujourd’hui, par son présent récit-remémoration, blessés…
À suivre :
ceci n’étant qu’un avant-propos liminaire à mon article de fond à venir…
Ce vendredi 19 avril 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Où va la fragile « non-inhumanité » des humains ? Lumineux déchiffrage du « mérite » tel qu’il se dit aujourd’hui, par Yves Michaud le 13 octobre dans les salons Albert-Mollat

16oct

Lumineuse présentation (écoutable et podcastable grâce à ce lien)

de son « Qu’est-ce que le mérite ? » (aux Éditions François Bourin)

par Yves Michaud,

en un entretien avec Francis Lippa, membre du bureau de la Société de Philosophie de Bordeaux,

mardi soir dernier, 13 octobre, dans les salons Albert-Mollat,

devant une assistance copieuse _ plus une place assise de libre _ et fort attentive, à l’exposé riche, clair et remarquablement nourri d’exemples concrets _ jusqu’à la qualité (de performances) appréciée et requise aujourd’hui de sportifs, tels que le footballer Lionel Messi… _,

par ce philosophe empiriste _ déclaré : écouter l’enregistrement ! _,

très attaché à vite et bien (= au mieux !) comprendre les divers « signes«  de l’époque, comme elle est ; et vers où elle est en train, vaille que vaille et bel et bien, de s’acheminer, en la diversité, jusqu’au vertigineux _ et cependant bien signifiant à qui parvient à pertinemment la déchiffrer _, de sa complexité,

qu’est Yves Michaud…

Dans quelle mesure peut-on et doit-on user, ou pas,

et comment, sous quelles formes et de quelles manières,

du terme _ ou du concept : il faut creuser un peu (et philosophiquement) ce qui peut distinguer leurs usages _, « revenu » _ dans les discours : sur les lèvres comme dans les têtes _ ces vingt ou trente dernières années

(depuis Margaret Thatcher, puis Tony Blair _ et Anthony Giddens _, de ce côté-ci de l’Atlantique, où prédomine toujours le bouclier _ égalitariste _ de l’État-Providence ;

ou de l’autre _ où prédomine, là, l’appétit de « liberté«  _, depuis les années Reagan ; puis, en ce retour de balancier que représente l’élection, l’automne dernier, de Barack Obama, maintenant _ que commente dans le New-York Times l’excellent prix Nobel d’Economie 2008, Paul Krugman),

du terme _ ou du concept : il faut les distinguer, je reprends et poursuis l’élan de ma phrase _ de « mérite » ?

C’est ce à quoi s’emploie très précisément, à la fois avec audace et la prudence du très grand soin (de plus de deux ans de recherches fouillées, a révélé l’auteur : à propos, tout particulièrement, des philosophies anglo-saxonnes les plus récentes : par exemple celle d’Amartya Sen… _ cf, par exemple « La Liberté au prisme des capacités« ) de l’analyse philosophique la plus pointue, ce très éclairant petit-grand livre de 300 pages, et en trois passionnantes parties, qu’est « Qu’est-ce que le mérite ?« , aux Éditions Bourin,

que présentait, explicitait et commentait mardi soir dernier Yves Michaud en sa conférence,

en réponse aux questions de Francis Lippa…

Même « empiristement« , si je puis dire _ voire « minimalistement » ; ou « par défaut« … _, il demeure encore _ mais pour combien de temps ? _ difficile _ à la plupart (mais pas tous !) d’entre nous ; et à Yves Michaud, qui conclut lui-même ainsi son livre (aux pages 273 à 280) _, de renoncer tout à fait à une « perspective » sur les autres (et sur soi) faisant référence à un ordre (quel qu’il soit) de la valeur, de la vertu, du « mérite » donc, au-delà de la stricte prise en considération (et constat on ne peut plus « brut« , lui : c’est ainsi, et pas autrement !) des seules  « performances » « de fait » ;

sans nulle considération « de droit » (au sens de « de valeur« ) que ce soit… :

car « les barrières _ infranchissables _ entre les ordres, les eaux glacées du _ seul ! _ calcul égoïste, ou la guerre _ sans pitié aucune ! _ des _ seules _ vanités

produisent un paysage humain _ au double sens du terme !!! _ pauvre, pour ne pas dire désolé _ « wasted land« , selon l’expression du grand T. S. Eliot en son immense poème éponyme, « La Terre vaine« …  _,

dit Yves Michaud, page 265 de « Qu’est-ce que le mérite ?« .

« Le mérite et le démérite _ aussi difficiles, voire impossibles, à incontestablement « établir« , justifier en raison, « fonder » vraiment ! _ traduisent donc notre _ irréfragable, pour le moment encore, du moins ; à une certainee partie, encore, d’entre nous… ; mais ne serions-nous pas en train de devenir minoritaires ?.. _ besoin d’estimer la valeur d’autrui _ ainsi que de nous-même _ afin de vivre dans un monde humain«  _ c’est-à-dire « non-inhumain« , comme le nomme mon autre ami philosophe parmi les plus lucides Bernard Stiegler… (cf les volumes de « Mécréance ou discrédit«  ; ou « Prendre soin«  ; etc… _, poursuit Yves Michaud, page 274.

Et Yves Michaud de préciser ce qu’il entend par sa référence, alors, au concept d' »estime » :

« L’estime est une mesure de la relation humaine en tant qu’humaine. Elle est approchée, révisable et, éventuellement illusoire ou erronée _ certes ! nous avançons à tâtons, par essais et erreurs : à rectifier si possible… Nous nous trompons souvent sur notre estime (nous la plaçons mal, selon l’expression consacrée) ; et les jugements de mérite et de démérite _ plus graves, probablement ; mais indispensables, forcément ! _ sont, comme je l’ai dit plusieurs fois, révisables selon ce que l’on sait ou ne sait pas _ avec de considérables fluctuations ! _, et avec quel degré de détail

_ une considération majeure, sinon capitale, tant « le diable s’y cache«  : cf l’importante postface du 31 mars 2006 à l’« Humain, inhumain, trop humain » d’Yves Michaud ; essai achevé, lui, en décembre 2001 ; et intitulée, précisément ainsi ! cette postface (« Le Diable dans les détails« ) ; avec cette ultime phrase judicieuse de conclusion, page 124 :

« C’est déjà bien si le philosophe décrit et redécrit inlassablement les situations de manière à dissiper les sottises grossières et,

quand sa description est bonne,

à débusquer le diable qui se cache, comme d’habitude dans les détails«  _ mal aperçus, car mal regardés, focalisés, analysés : tout simplement !.. _

et avec quel degré de détail, donc, des situations et des actions.

Nous ne pouvons nous empêcher de penser _ estimer, juger, croire _ que les individus ont _ effectivement et objectivement, en soi, en quelque sorte ; et pas seulement pour notre esprit (qui bat, subjectivement, la campagne)… _ des mérites et des démérites à proportion de ce qu’ils font, à nous et à la communauté humaine en général _ voilà la source de notre difficile indifférence à ces conséquences « relationnelles« -là… _ ;

qu’ils valent _ bel et bien _ plus ou moins _ et pas indifféremment ! _ dans leur relation à autrui _ voilà la dimension d’« humanité«  ; ou de « non-inhumanité« , comme le dit aussi Bernard Stiegler ; et encore pour le moment irréfragable (pour certains, au moins), face aux divers cynismes, cachés, tapis, ou de plus en plus avoués, voire affichés, ou assénés : cf là-dessus le tout récent « La Cité perverse _ libéralisme et pornographie » de Dany-Robert Dufour (paru le 8 octobre : j’ai hâte de le lire !)… _ ;

et que cette valeur appelle une reconnaissance appropriée, même si elle n’est pas effectivement « payée » _ en espèces bien sonnantes et trébuchantes !..

Quand nous abandonnons cette manière de penser,

et nous le faisons souvent et à très juste titre (pour des raisons d’efficacité, de concentration de l’attention sur les tâches et les résultats, et pas sur les agents, pour des raisons _ fort « humaines« , certes ; et « trop humaines« , aussi : nous ne sommes, en effet, ni des saints, ni des anges ; cf Montaigne, au final si percutant de ses « Essais« , Livre III, chapitre 13, le sublime chapitre testamentaire « de l’expérience«  : à toujours revenir (délicieusement !) relire ! _ de discrétion, de fatigue, ou d’inattention, par exemple),

nous ne prenons en compte que des relations causales _ toutes nues et froides _ et des utilités _ à l’exclusion des « honnêtetés », peut-être : le chapitre inaugural du livre III montanien s’intitule : « de l’utile et de l’honnête » ; lui aussi est un indispensable ! lire aussi le si beau livre de l’ami Bernard Sève : « Montaigne. Des Règles pour l’esprit«  ! la meilleure « introduction (philosophique) à Montaigne« , assurément, à ce jour ! _, des conséquences _ brutement factuelles, coupées d’émotions et d’affects (d’un « sujet«  qui s’attache à la considération aussi de ces « affections«  : non encore « dés-affecté« , en quelque sorte…)…

Nous appréhendons alors les situations humaines _ entre simples (ou purs) agents d’action, sinon entre de réelles (ou/et « vraies« ) « personnes«  !.. _ de manière non humaine _ voilà le concept stieglerien de « non-humain«  ! _, ou « déshumanisées«  _ voire « barbares«  _, comme des relations entre _ rien que de purs et simples _ objets _ non « sujets«  !.. de rien ! _, machines, coûts et bénéfices

_ selon les critères des services dits de « ressources humaines«  ; ne prenant pas « en compte » les dégâts (affectifs) sur ce qui reste (encore !) des « personnes«  ; allant jusqu’à, les plus « fragiles » d’entre celles-là, les moins capables de « s’adapter«  aux règles nouvelles (« modernes«  !) de la concurrence « mondialisée«  (telle étant la norme de référence up to date invoquée (quand le besoin se fait sentir, aux dirigeants, de s’en « justifier«  devant « l’opinion« …) par les responsables « manageant«  ces « entreprises«  performantes) ;

allant jusqu’à s’en suicider... _

comme des relations entre objets, machines, coûts et bénéfices : « Ce qu’il fait pour nous, ça fait un budget ! »

Il est tout à fait possible que ce mode d’appréciation instrumental _ galileo-cartesiano-adamsmithien… _, aride, désolé, ou simplement neutre, s’étende de plus en plus à de plus en plus de situations sous l’effet de la technique, de la préoccupation  pour les seuls intérêts et du perfectionnement des modes de manipulation d’autrui,

mais ce n’en sera pas moins un changement de relation » _ inter-humaines, ces « relations« -là, écrit Yves Michaud, aux pages 274-275 :

« changement«  à prendre lui aussi « en compte« , donc,

socialement, économiquement et politiquement _ ainsi que recommande, expressément, de le faire Amartya Sen : pour l’empêcher ;

plutôt que de le laisser, ce « changement de relation« , détériorer de sensiblement riches « liens«  à autrui… _ :

c’est-à-dire, en clair, culturellement et civilisationnellement.


Que « voulons« -nous donc, les uns et les autres,

les uns avec les autres,

parmi eux, avec eux et aussi, ainsi, contre eux, ces « autres«  ?..


Par conséquent,

« le noyau _ « de sens de l’estime et de la mésestime« , page 275 de « Qu’est-ce que le mérite ?«  _ de la notion _ de « mérite«  _ opère comme catégorie régulatrice _ à la Kant, in sa « Critique de la raison pure«  _ permettant d’appréhender les choses humaines _ relations, affects, valeurs… _ sous l’angle de la valeur _ et pas seulement sous celui du fait brut, pur et simple…


Y compris si le fondement dans les choses
_ objectif, en soi _ de cette manière de voir _ qu’elle demeure ; distinctement de l’ordre des faits bruts ! et de leur pur et simple (minimal !) constat… _ peut être mis en doute.

Nous ne sommes jamais certains que le mérite attribué à quelqu’un est bien… mérité ;

ce ne peut être que l’apparence _ trompeuse (du fait des autres ; ou du jeu des perspectives, des « mirages » en que sorte objectifs…) ; ou illusoire (de notre fait en majeure partie, de notre auto-aveuglement subjectif ; là-dessus, relire « L’Avenir d’une illusion » de Siegmund Freud _ du mérite ;

mais nous avons _ humainement _ besoin de cet éclairage pour percevoir humainement _ et non pas « non-humainement« , inhumainement, avec barbarie : relire le « Humain, inhumain, trop humain«  d’Yves Michaud lui-même, avec sa postface « Le Diable dans les détails«  _ la situation« , pages 275-276…

A méditer ; et à suivre…

Merci de ce bel entretien lumineux…


Titus Curiosus, le 16 octobre 2009

A propos de « La Nuit de Mai » de Clément Rosset : un article d’Aurélien Barrau sur les « modalités philosophiques » rossétiennes

20fév

A propos de l’analyse du désir dans « La Nuit de mai » de Clément Rosset, et en complément à mon article précédent : « Le “désir-monde” du désir face à ses pièges : Clément Rosset à la rescousse des élans de Daniel Mendelsohn et de Régine Robin« ,…

on se reportera avec grand profit à un très bel article du philosophe et physicien Aurélien Barrau : « la philosophie rêvée _ Clément Rosset et la complexité du désir« , sur l’excellent site _ quelle mine ! _ laviedesidees.fr

Des thèses du début de l’article, je n’ai rien , ou très peu, à ajouter :

« Comment convoquer, dans un très bref essai, Proust et Boulez, Balzac et Stravinsky, Dostoïevski et Berio, Michaux et Tchaïkovski, Verlaine et Ravel ? Comment croiser, en quelques pages, Lucrèce, Leibniz, Nietzsche, Marx, Freud, Cioran, Deleuze et Althusser ? Comment imposer, par les non-dits d’un écrire presque nonchalant, des réminiscences insistantes _ devenant bientôt des présences évidentes _ de tous les autres, les compositeurs, les poètes, les philosophes, les plasticiens, les romanciers qui participent d’un ineffable réseau ? Il suffit, sans doute, d’offrir à la réflexion du penseur de la singularité _ Clément Rosset _ un concept pluriel par excellence : le désir.

L’objet du désir est une multiplicité. La « machine désirante » de Deleuze et Guattari dépasse la dialectique de l’Un et du Multiple par régime associatif, couplage, synthèse productive. Elle refuse de subsumer la globalité des désirs produits sous une unité qui les réduirait et les transcenderait. Tout y fonctionne simultanément, mais les objets de la somme sont toujours partiels. C’est le cœur de la thèse que Clément Rosset défend, complète et _ dans une certaine mesure _ infléchit avec « La Nuit de mai « .

Proust comme un paradigme. La petite madeleine n’est pas seulement le souvenir de Combray. Plus exactement, l’enchantement qu’elle suscite, les délices qu’elle engendre, l’extase délicate qui l’accompagne _ ce sont les verbes qui sont importants : par ce qu’ils dynamisent ! _, ont chargé Combray d’une signification particulière : non pas d’un sens caché ou d’une profondeur à découvrir, mais d’une sorte de pouvoir totalisant _ irradiant, et positivement (!), à l’infini. Combray est devenu la totalité des joies et des désirs de Proust _ en fait « Marcel«  _ enfant. Ce qui entoure ou accompagne un objet d’amour n’est ni une « garniture », ni une valeur ajoutée : c’est une condition de possibilité pour que l’affect se déploie _ à l’infini de ses ondes irradiantes. L’émotion _ mouvante et mobilisatrice _ est une pluralité d’émotions _ en cascades, en quelque sorte : comme aux lacs (multipliés ; et sublimes) de Plitvice ; ou de la (merveilleuse aussi) rivière Krka ; les deux en Croatie : des lieux de bains éclaboussant de joie… La cohérence importe moins que la cohésion _ par contiguïté (à commencer par empirique) _ : aussi artificielles soient-elles, les ramifications _ se déployant _ de l’objet désiré sont nécessaires à son émergence en tant que lieu identifié _ à partir de son « ressenti » _ du désir. Proust ne pourrait pas aimer le souvenir de Combray si celui-ci ne convoquait simultanément une myriade _ en effet ! _ de circonstances joyeuses, d’enthousiasmes latents et de jubilations en devenir _ que de transports heureux !.. Si le souvenir n’était que partiellement heureux, il cesserait absolument de l’être. Le dramaturge latin Trabea écrivait « je suis joyeux de toutes les joies » ; autrement dit : aimer, c’est tout aimer _ sans chichiteries, ni « comptages » : cf aussi Brassens : « Tout est bon chez elle ; (il n’)y a rien à jeter«  : encore heureux !!! ; et « sur l’île déserte, il faut tout emporter«  : on ne saurait mieux (le) dire ! La joie, comme le désir, ou l’amour, est surdéterminée _ d’abondance ! _ : une diversité de causes, parfois étrangères les unes aux autres _ de pure « accointance », si je puis me permettre, circonstancielle : un bonheur de « coïncidence » ! en quelque sorte ; et tout l’alentour, aussi, en profite joyeusement ! car la joie est heureusement contagieuse ; en plus… _, doit intervenir pour qu’elle _ la joie _ émerge _ et sourde de quelque part (peu importe laquelle, ou lesquelles) de moi, qui suis en expansion, alors… : il n’y a de joie qu’à y prendre part ; si la joie vient à notre rencontre ; elle n’est, aussi (= n’existe ; ne naît), en nous, qu’à « trouver » (et « rencontrer ») en nous une joie elle-même profonde ; essentielle ; en un improbable (voire miraculeux) accord avec ce qui vient s’offrir à elle (et à soi ; ou à nous) du réel (et d’un autre) : d’une altérité, en tout cas ! C’est cet accord-là qui « se fête » par la fête même de la joie, en quelque sorte !.. Non qu’une joie isolée soit intrinsèquement impensable, mais plutôt que son instabilité _ = sa fragilité, vulnérabilité, faiblesse : non vivable… _ est telle qu’elle mène inexorablement _ de fait ! cela se constate, forcément ! _ à la chute. Chute qui met en jeu l’existence même _ en effet... _ : le déprimé déçu par une joie _ trop _ fugace _ faiblarde ! _ devient souvent suicidaire. Une jouissance unique, isolée, singulière _ sans compagnie à elle-même, cette jouissance tristounette-là _, ne peut plus devenir un objet de désir _ et est snobée… Ce dont la fin _ le terme, la cessation, l’arrêt _ est repérée, les limites identifiées, les ramifications circonscrites _ un concept important ! _, les linéaments soulignés ou l’unicité avérée, n’existe déjà plus _ pour un sujet susceptible de désirer _ en tant que bonheur latent _ faute d’infini de ses « retentissements », de ses ondes (et « harmoniques ») en propagation expansive. Un « désir-maître » _ cf « La Force majeure«  _ peut émerger, objet pensable _ parfois palpable _, mais il n’est _ nécessairement, selon l’analyse magistrale de Clément Rosset _ que le lieu d’une convergence, d’une complicité, d’une connivence » _ le conditionnant absolument (sine qua non !) ; ni plus, ni moins ; ou plutôt : il n’a lieu (= n’actualise sa potentialité) que si co-existe(nt), avec lui, et le « pousse(nt) » avec faveur (!), « une convergence« , « une complicité« , « une connivence » « bénéfiques », qui ajoute(nt) à cette joie ; et la hausse(nt) à un sentiment de bonheur, sub specie æternitatis ; en plus de la réjouissance du présent, sub specie temporalis ! Les deux coexistant et se renforçant dans l’allégresse ! Ce que le triste, pour sa part, en son isolement (de tout), de son côté (et en son « quant-à-soi »), ignore ; et n’a, probablement, même pas le moindre début d’idée ; faute d’en ressentir le plus petit début d’une émotion, ou plutôt d’un sentiment (voire d’une passion) : le malentendu est alors immense. Comment espérer jamais le combler ? Comment essayer d’initier un triste à la joie ? Comment lui faire franchir le premier petit pont (ou passerelle) ?.. la première invisible limite (ou frontière) ?..

Un peu davantage de commentaires, peut-être, pour la suite _ un peu plus abstraite, « métaphysique », sans doute, du bel article d’Aurélien Barrau :

« En marge de la complication _ complexité plutôt _ des objets du désir, Rosset esquisse une pensée de la complexité  _ c’est mieux, en effet ! _ du sujet désirant. Il est structurellement hétéronome _ se livrant à l’attractivité de son objet ! Il est pluriel _ comme l’identité  (« men » et « de« , en grec) que Daniel Mendelsohn, peu à peu, se découvre, en répondant (un peu) mieux à l’attraction de ses désirs, et au fur et à mesure des rencontres des sujets qui vont les susciter, ces désirs-là _, il se scinde, il invente le médiateur _ accélérateur et « combustible« , dit Rosset _ de son propre désir. Comme le suggérait René Girard _ notamment dans « Vérité romanesque et mensonge romantique » _, il se façonne à l’image métaphysique _ = mimétiquement _ du « modèle«  et de son rapport _ de tension jouissive par elle-même, déjà _ à l’objet _ = « jeté vers » ; = « jeté pour » (le sujet)… _ considéré.

Clément Rosset admet que l’image d’un « combustible du désir » inévitablement constitué en rhizome _ selon le schéma deleuzo-guattarien ; cf « Rhizome« , en 1976 ; repris dans « Mille plateaux« , en 1980 _ semble parfois contredite. De Rastignac à Claës, en passant par Grandet et Hulot, les héros balzaciens paraissent, au contraire, polarisés par une idée fixe, unique lieu fantasmé de leurs passions et de leurs actions. Des monomanes désirants _ en effet. L’exclusive de la quête y apparaît comme consubstantielle à l’authenticité du désir. La thèse centrale de l’ouvrage n’est néanmoins pas déconstruite par ces exemples dans la mesure où l’objet du désir, pour unique qu’il soit, n’en devient pour autant jamais isolé _ et c’est bien là le point décisif ! La complexité ramifiée du désir s’est en quelque sorte condensée, cristallisée. Elle n’en demeure pas moins prise dans l’entrelacs dense et enchevêtré _ et mouvant, dynamique _ de la trame des plaisirs visés.

Mais quel désir, précisément, a pu pousser _ en amont même de l’œuvre _ Clément Rosset _ lui-même, en tant qu’auteur se mettant à la table d’écriture _ à écrire ce si bref ouvrage dont le propos est finalement fort simple, presque évident ? _ mais glissant, en la réalité tellement mouvante ( et « in-circonscriptible !) de son objet (le désir) ; et dérangeant pour beaucoup, voire tant ! pour cette raison-là… À quels autres objets, idées, mélodies, poèmes, mythes est-il lié dans le processus symplectique du désir rossetien ? Cet essai est peut-être le moins explicitement philosophique de toute l’œuvre de Rosset : aucun plaidoyer ontologique, aucune réflexion sur la nature du réel, aucune résonance ouvertement épistémique. Pourtant, et c’est sans doute l’intérêt central de l’ouvrage, la position philosophique de l’auteur _ et c’est ce qui intéresse tout particulièrement ici Aurélien Barrau s’y décèle aisément en filigrane. Non pas cachée à la manière d’une énigme dont il faudrait découvrir la clef ; mais, bien au contraire, mise en œuvre comme une « machine errante » qui se dévoile moins par ce qui la constitue _ en amont : oui que par ce qu’elle produit _ en aval : en effet ! Il ne s’agit pas ici _ pour Clément Rosset _ d’argumenter, mais d’actualiser. On ne philosophe plus, on explore le champ des possibles au sein d’une élaboration philosophique _ parfaitement d’accord !

Les filiations lucrétienne, spinoziste et nietzschéenne _ oui ! je les ai bien notées aussi… _ de la position de Clément Rosset se lisent, à la manière d’un palimpseste, tout au long de ce petit ouvrage. Du premier, on trouve une référence explicite au quatrième livre du « De natura rerum » : « Vénus est vulgivaga, c’est une vagabonde », les objets du désir sont variables et s’organisent en multiplicité. Du second, on entrevoit le conatus comme puissance de persévérance du désir (le héros balzacien, archétypal de ce point de vue, fait, précisément, ce qu’il faut pour qu’il ne soit jamais assouvi _ c’est-à-dire « arrêté », immobilisé, annulé : il en « veut » toujours plus… _). Du troisième, on décèle la réhabilitation désinhibante qui innerve le « Crépuscule des Idoles« , œuvre centrale pour Rosset dans la mesure où Nietzsche s’y révèle déjà suffisamment en proie à la folie pour n’avoir plus besoin d’inventer d’inutiles répliques du réel, mais encore assez lucide pour être en mesure de le décrire.

Une philosophie en creux. « La Nuit de mai » est une philosophie du non-dit, du non-requis, du non-pensé _ avec « sprezzatura« … Clément Rosset n’a pas besoin d’y récuser l’existence d’un double du réel qui, depuis Socrate, constituerait la grande illusion métaphysique. Il n’a pas besoin d’y réfuter la distinction de ce qui est et de ce qui existe. Il n’a pas besoin d’y rappeler qu’aucun sens caché n’a valeur par-delà l’expérience vécue. Il n’a pas besoin d’y faire l’apologie d’une immanence paradoxalement puisée à l’aune de Parménide. Il n’a pas besoin d’y développer une ontologie _ cf « Le réel : Traité de l’idiotie«  _ de la singularité. Il lui suffit d’outrepasser les concepts jalonnant la tradition par une pratique philosophique littéralement insensée. L’affirmation du primat de la différence se lit dans un rapport insolite au réel : tout est singulier et étonnant par le seul fait d’exister. Poursuivant son rejet de toute variante de méta-question philosophique du « pourquoi » _ ce qu’on pourrait, en l’occurrence, appeler le « principe de raison » de Descartes, Leibniz ou Hegel _ Rosset ne s’intéresse pas à le genèse du désir _ en effet ; de même que François Noudelmann s’en agace, frontalement, carrément, lui, dans « Pour en finir avec la généalogie » (en 2004), et dans « Hors de moi » (en 2006) Il en analyse la modalité _ voici le principal apport de l’analyse ici du travail de Clément Rosset par Aurélien Barrau !

Il y a, chez Clément Rosset, différentes manières d’accéder à la réalité, d’y accéder dans toute l’étendue de son insignifiance (c’est-à-dire d’en percevoir simultanément la détermination et l’indétermination, les « deux visages de Janus » _ in Clément Rosset : « Le réel : Traité de l’idiotie« , Paris, Éditions de Minuit, 1997, p. 26 _ : le hasard et le nécessaire). L’ivrogne et l’amoureux éconduit, par exemple, sont sur cette voie d’existence sans essence. Ils ne veulent _ ni ne peuvent _ inventer un double fantasmatique : il sont en prise avec l’actualité vécue d’un réel remis à neuf. Or, étonnamment, Rosset prétend que « La Nuit de mai«  est la retranscription, plus ou moins exacte, d’un rêve. Sans doute _ à son insu ? _ propose-t-il ici une nouvelle voie d’accès au monde brut, non dupliqué, en devenir : le songe. Qui, mieux qu’un rêveur, pourrait faire une pure expérience de la surface, du contour, de l’apparence ?


Tout, loin s’en faut, ne va pas de soi dans la proposition de Clément Rosset. L’identité supposée des discours sur le désir, l’amour et la joie, en particulier, n’est pas sans poser de difficulté. Les arguments évoqués : « l’amour est la forme la plus intense du désir » et la référence à la phrase de La Fontaine introduisant les « Animaux malades de la peste » « Plus d’amour, partant, plus de joie« , sont pour le moins laconiques _ devrions-nous nous en plaindre ? Non.. Qu’il existe un rapport de causalité _ un fort souci du physicien _ entre le sentiment amoureux et l’émergence de certains bonheurs _ ou « joies » ?.. _ corrélatifs ne suffit certainement pas à établir _ par raison démonstrative ? _ l’identité générale des schèmes structurant ces deux ordres psychiques. La proposition demeure _ à dessein ? _ à étayer et son champ de validité à établir _ mais Clément Rosset est, en cette « Nuit de mai« , ainsi que dans la plupart de ses écrits, « dans » d’autres modalités de « parole »…

Lévi-Strauss voyait _ dans « L’Homme nu«  _ dans le « Boléro » de Ravel _ l’un des compositeurs les plus présents dans l’œuvre de Rosset _ l’exemple, fort paradoxal, d’une « fugue à plat », en tension vers l’inouïe modulation finale en Mi Majeur. C’est peut-être ainsi que pourrait se lire cet étrange opuscule : un contrepoint déplié, étiré entre la complexité de l’objet désiré et celle du sujet désirant, tendu vers une drolatique réhabilitation de l’égoïsme _ du moins dans le cas, délimité (!), de son « in-nocence » : absence de nuisance envers autrui _ en tant que capacité à ne pas nuire ! _ avec, page 39, cette « grande qualité d’être le seul à garantir à autrui qu’on le laissera tranquille en toute occasion. Vous ne serez jamais dérangé par quelqu’un qui ne s’intéresse pas à vous » ; même si Clément Rosset concède aussi, tout de même, bien qu’elliptiquement, page 40, que « ses abus peuvent être fâcheux (on l’a vu chez Balzac)« 

« La Nuit de mai«  ressemble à Clément Rosset : peu rhétorique, simple comme l’évidence, protéiforme comme le désir, étonnante comme le réel. Elle est aussi très singulière au sein de l’œuvre. Comme il se doit.« 


Ainsi, voilà aussi la seconde partie de l’article d’Aurélien Barrau.

Pour mettre un peu plus en perpective et en relief mon vagabondage sur le « désir » comme « désir-monde » chez Clément Rosset,

afin d’un mieux lire, ainsi, et L’Étreinte fugitive” de Daniel Mendelsohn, et “Mégapolis _ les derniers pas du flâneur de Régine Robin…


Titus Curiosus, ce 20 février

 

Comprendre le réel (et le monde) : « le moment Obama », un article de John Carlin, dans El Pais du 28 décembre

28déc

Comprendre le réel (et le monde _ en sa réalité historique ; et dans toutes ses facettes, disons « culturelles » ; dont artistiques…)

_ et cela, afin d’un peu mieux, peut-être, y vivre... _

est une de mes (modestes, mais fermes, constantes, décidées) « ambitions » de personne _ et de citoyen…

D’où l’un peu large

(comme _ ou autant que _ je peux et essaie, avec mon paquetage de bagages :

de même qu’avec _ ou plutôt sans ! _ ceux qui me font défaut,

et dont il faut _ tant soit peu… _ essayer de pallier les conséquences de l’absence…)

d’où l’un peu large éventail d’outils

à « alimenter »

_ et comme je peux, c’est-à-dire de bric et de broc, comme tout un chacun ! _

ma curiosité…

D’où, et m’y voici, ma lecture matinale de la presse _ notamment internationale _ de qualité : El Pais, La Repubblica, le New-York-Times, ou The Independent, entres autres (selon les langues que je peux au moins « déchiffrer » ; en plus du Monde, de Libération, du Figaro ; et quelques autres…


Ce matin,

avant que je mette à l’article que j’ai en tête (et en chantier) :

sur l’expo aixoise _ à la galerie Alain Paire, 30 rue du Puits-Neuf (et jusqu’au 31 décembre !!!) _ « Paysages et natures mortes »  d’Anne-Marie Jaccottet ; et cette merveille (de goût) qu’est le livre qui lui est « consacré » _ c’est le terme approprié ! _, « Arbres, chemins, fleurs & fruits _ aquarelles et dessins d’Anne-Marie Jaccottet« , avec des « textes » _ de « lecture » de ces œuvres _ de Philippe Jaccottet, Alain Madeleine-Perdrillat et Florian Rodari ; ainsi qu’un « entretien de l’artiste » avec Alain Paire ; aux excellentes éditions La Dogana ;

avant cela, que j’ai à cœur d’écrire,

vient solliciter mon attention un magnifique article de John Carlin dans El Pais de ce jour.

Le voici donc, en castillan ;

car il me paraît excellemment « éclairer » ce qui sera _ peut-être !.. _ un tournant de l’Histoire de nouveau siècle ;

et que je me permets de nommer « le moment Obama » ;

avec toutes les incertitudes attenantes, bien sûr, à l’Histoire collective des hommes, perpétuellement en train de se faire ;

avec ses pentes et pesanteurs (sociologiques) si puissantes, voire redoutables ;

mais aussi ses virages, ses inflexions ; et une part _ un clinamen ?.. _ de « liberté »…

J’ose y croire…

D’où la question _ philosophique en partie _ sur la « part » que peuvent, ou pas ; et dans quelle _ très fine !!! _ mesure ; y « jouer » de « grands hommes », tel que celui que promet d’être ce Barack Hussein Obama…

Or, il me semble que John Carlin met tout cela en balance, en son article optimiste, mais modéré, et assez « réaliste »…

En tout cas, aux yeux d’une personne qui « pense » _ ou « croit », c’est selon ce que chacun en jugera… _ que « le réel » _ on peut le qualifier ainsi ; et à sa suite « le réalisme » !… (celui de la « real politique ») _ ;

ou voudrait croire, avec un minimum d’objectivité,

que « le réel vient de changer de camp »

_ rien moins !!!

Voici donc cet article ;

dont je me contenterai _ sans commentaire aucun de ma part _ de mettre seulement en gras les expressions (de l’article de John Carlin) qui me paraissent les plus « importantes » ; du moins telles que je les « lis »… ;
et en rouge les expressions de Barack Obama jusqu’ici…


Afin de contribuer, à ma modeste mesure,

à la réflexion,

sur la page du monde qui se tourne ;

et la page du monde qui (nous) vient…

REPORTAJE : PERSONAJE DEL AÑO

Universal Obama

El presidente electo de Estados Unidos posee inteligencia, calma y aplomo. Ni sus adversarios más tenaces lo niegan. Su mandato estará marcado por un profundo instinto reconciliado

JOHN CARLIN 28/12/2008

    Barack Hussein Obama

    Barack Obama

    A FONDO

    Nacimiento:
    04-08-1961
    Lugar:
    Honolulu

    Estados Unidos

    Estados Unidos

    A FONDO

    Capital:
    Washington.
    Gobierno:
    República Federal.
    Población:
    303,824,640 (est. 2008)

Un atardecer en Hawai, Barack Hussein Obama, padre del presidente electo de Estados Unidos, estaba en un bar tomándose unas copas con su suegro y algunos amigos universitarios cuando un hombre blanco le espetó el insulto más grave, más hiriente, más políticamente incorrecto que existe en el inglés estadounidense. Le llamó nigger, algo así como negrata, pero con una cuota de desdén multiplicada por cien, ya que fue el apelativo con el que se denigraba a los esclavos en el siglo XIX.

Concretamente, el hombre blanco declaró que no quería tomarse un trago « al lado de un nigger« . Obama era conocido como un hombre orgulloso y se esperaba una pelea. Más aún cuando éste se dirigió con pasos firmes hacia su agresor. Pero no. Obama se plantó frente al hombre con una sonrisa y procedió a darle una serena y erudita clase de civismo. Citó la declaración universal de los derechos humanos, le recordó los ideales en los que se basaba el sueño americano y le explicó que la intolerancia, más que una grosería, era una estupidez. El hombre blanco se sintió tan mal que no sólo le pidió efusivas disculpas, sino que soltó un billete de cien dólares y le pagó todas las copas y la comida a él y a sus amigos.

Hay motivos para pensar que, en circunstancias parecidas, el hijo de aquel Obama haría lo mismo. La anécdota aparece en la autobiografía de Barack Hussein Obama, « Los sueños de mi padre » _ « Les Rêves de mon père » _, un libro que, como el título sugiere, rebosa fascinación por la figura paterna. Obama apenas conoció a su padre, nacido en Kenia, ya que éste abandonó a la familia en Hawai y se divorció de su mujer para irse a estudiar a Harvard cuando el pequeño tenía dos años. Sólo se verían una vez más en la vida. Pero el viaje de autodescubrimiento que narra el libro pasa por una exploración minuciosa del padre, una especie de trabajo de detective que concluye con interrogaciones a fondo de sus medio hermanos, primos, tíos y abuela durante su primer viaje a Kenia, a los 26 años.

Lo que queda claro hoy es que Obama ha heredado, y también conscientemente emulado, las virtudes de su padre, sin dejar de sacar las lecciones debidas de una tendencia terca y autodestructiva que lo condujo a la depresión, a la bancarrota, al alcoholismo y a la muerte, a los 46 años, en un accidente de coche.

El comandante en jefe número 44 de la historia de Estados Unidos posee la inteligencia, la calma y el aplomo de la mejor versión de su padre. A tal punto que ni sus adversarios más tenaces lo niegan. Charles Krauthammer, célebre columnista neoconservador del Washington Post, ha llegado a escribir que Obama goza de « una inteligencia de primera y un temperamento de primera« . Pero posee una cualidad incluso de más calado a la exhibida por su padre en aquel bar de Hawai y por él mismo durante y después de la campaña presidencial, que será la que definirá a su presidencia: un profundo instinto reconciliador.

Hay dos categorías de políticos : los que llegan al poder y gobiernan a partir de la división, apelando al tribalismo inherente a la especie _ la inmensa mayoría _ ; y los unificadores, los grandes, los que trascienden su época, como las figuras históricas más admiradas de las dos culturas que han forjado a Obama: Abraham Lincoln y Nelson Mandela, modelos reconocidos por el propio Obama.

La fe en que lo logre resume la esperanza global que ha despertado Obama de que, tras ocho años de infamia, y por primera vez desde tiempos de John Fitzgerald Kennedy, Estados Unidos vuelva a aportar de manera explícita y activa su fuerza y su peso moral para la creación de un mundo mejor.

Es difícil concebir dos individuos más diferentes que Barack Hussein Obama y el presidente saliente, George W. Bush. Este último nació en el seno de una familia perteneciente a la aristocracia adinerada del noreste de Estados Unidos. Su padre fue, sucesivamente, jefe de la CIA, vicepresidente y presidente de Estados Unidos. George W., la oveja negra de la familia, fue un estudiante vago que ingresó en Yale gracias a las conexiones familiares y pasó su juventud oscilando entre la borrachera y el despilfarro, sin demostrar jamás la menor curiosidad por el mundo que le rodeaba, mucho menos el mundo mundial. Hasta que a los 40 años cambió el alcohol por el evangelismo cristiano. Lo más notable que había hecho hasta aquella epifanía religiosa, el impulso divino que le hizo el favor a la humanidad de lanzarle a la política, fue estrellar el coche de su padre tras una noche de juerga en el acomodado barrio de Georgetown, en Washington.

Obama, recién llegado al mundo en 1961, ya era un iconoclasta: un símbolo, llevado a extremos impensables, de reconciliación racial. En una época en la que el Ku Klux Klan seguía linchando y en varios Estados de Norteamérica todavía era ilegal tener relaciones sexuales interraciales, Obama nació en Honolulú de un padre « negro como el carbón » y una madre « blanca como la leche« , como él mismo los describe en « Los sueños de mi padre« . Cuando tenía seis años, su madre, Ann Dunham, se casó con un ingeniero indonesio musulmán (la misma religión que practicaba el abuelo paterno de Obama) y se trasladaron a Yakarta. Obama, que en seis meses hablaba el indonesio, jugaba todos los días en las calles de la bulliciosa ciudad con los niños más humildes, y allí se acostumbró a comer, entre otras delicias locales, carne de perro y de serpiente y grillo asado. Con 10 años consiguió ingresar en el mejor colegio de Honolulú, lo cual le obligó a dejar atrás su hogar familiar en Yakarta e ir a vivir con los padres de su madre. Él era un simpático veterano de la segunda guerra mundial llegado a menos; ella, una disciplinada empleada de banco que aportaba más que su marido a la economía familiar. Obama fue a la universidad en California y después en Nueva York ; consiguió trabajo como activista comunitario en los barrios más pobres y más violentos del sur de Chicago ; hizo una gira de cinco semanas por Kenia, donde conoció a su extensa familia paterna y visitó los lugares donde su padre pastoreaba cabras de pequeño y donde su abuelo cocinaba y limpiaba las casas de los oficiales coloniales británicos. Obtuvo una beca para estudiar derecho en Harvard ; allí fue el primer hombre negro en ser elegido presidente de la prestigiosa revista Harvard Law Review ; y volvió a hacer política de barrio en Chicago. A los 33 años completó algo inimaginable para George W. Bush, y para muy pocos políticos de cualquier época y cualquier lugar : escribió su autobiografía, un libro que se caracteriza por una redacción impecable, una penetrante capacidad de autorreflexión y una generosa sensibilidad hacia los demás.

14 años después, tras breves etapas representando al Partido Demócrata en el Senado estatal de Illinois y el nacional de Washington, ha concluido los capítulos iniciales de una historia que apenas comienza con lo que él ha llamado el « improbable » desenlace de ser elegido, por sustancial mayoría y envuelto en un fervor público no visto desde tiempos de John Fitzgerald Kennedy. Lo tenía todo en su contra, y sus rivales republicanos lo sabían. Le acusaron de todo. De ser radical, socialista, marxista, musulmán, amigo de terroristas y antiamericano. Como dijo un columnista de la revista New Yorker, el futuro presidente « será un hombre cuyo primer nombre es una palabra en suajili derivada del árabe (significa bendición)« , cuyo segundo nombre no sólo es el de un nieto del profeta Mahoma, sino que también el del blanco original de una guerra sin terminar que empezó Estados Unidos, y cuyo apellido rima bien con Osama. « Ése no es un nombre, es una catástrofe, por lo menos en la política americana« , agregaba el columnista.

Sin embargo, Obama ha logrado transformar la aparente catástrofe en un triunfo histórico, convirtiendo su mestizaje en símbolo de optimismo y unificación. Como todo gran político, posee el don de la persuasión. Por eso hay tanta gente dispuesta a creer su grandilocuencia cuando define su misión de la siguiente manera: « Una nación curada. Un mundo reparado. Una América que vuelve a creer« . Lejos de albergar resentimiento hacia su país adoptivo, característica hasta hoy de una buena parte de sus compatriotas negros, Obama es un patriota. Lo declaró con convicción en el discurso que lo propulsó a la fama, durante la convención presidencial demócrata de 2004: « Me presento aquí hoy agradecido por la diversidad de mi patrimonio… sabiendo que mi historia es parte de una historia americana más grande, que estoy en deuda con todos aquellos que me precedieron y que en ningún otro país del mundo mi historia sería ni siquiera posible« .

Obama ha vuelto a recordar a todo el mundo los motivos por los cuales Estados Unidos ha sido históricamente digno de admiración, hasta « la larga oscuridad política » en la que se había perdido su país, como él mismo definió en aquel mismo discurso a los primeros cuatro años del mandato de Bush. Lo que está por ver es si seguirá ganándose la admiración mundial tras instalarse, el próximo 20 de enero, en el Despacho Oval de la Casa Blanca. Hay muchos escépticos, especialmente de izquierdas, que dudan de la capacidad de Estados Unidos de observar al resto del mundo a través de otra óptica que no sea la imperial, independientemente de la identidad o la retórica del presidente. Y es verdad que en la política exterior de Estados Unidos, como en la de cualquier país, están los intereses, primero, y después _ en el mejor de los casos _ los amigos. La diferencia ahora es que Obama, más que cualquier otro presidente que le precede, conoce el imperio desde adentro y desde afuera ; es capaz de ver a su país desde el punto de vista de un patriota convencido y de un extranjero crítico.

En este sentido, tiene por lo menos tanto que agradecer a su madre como a su padre. En una entrevista, Obama se refirió a su madre como « la figura dominante de mi juventud, los valores que me enseñó siguen siendo mi piedra de toque en el mundo de la política« . Ann Dunham, que murió de cáncer a los 53 años y nunca dejó de estar enamorada del padre de Obama, sería una mujer atípica hoy en un país en el que la proporción de matrimonios entre blancos y negros es mucho menor que en Europa occidental ; pero cuando esta hija de un soldado, nacida en Fort Leavenworth (Kansas) durante la Segunda Guerra Mundial, se casó con Barack padre a los 18 años tras conocerle durante una clase de ruso (¡ de todos los idiomas posibles en plena guerra fría !), era una aberración. Poco más normal fue casarse después con un indonesio, mudarse a su país y procurar que su hijo no sólo se empeñe a fondo en el colegio, sino que se integre de lleno en una cultura extraña. Como cuenta Obama en su autobiografía, su madre le enseñó durante su infancia asiática una lección que recordaría toda su vida : « A desdeñar aquella mezcla de ignorancia y arrogancia que con demasiada frecuencia caracterizaba a los americanos en el extranjero« .

Su condición de negro parcialmente desheredado en un país en el que hasta su aparición pública los matices raciales no han tenido palabra propia (los hijos que Thomas Jefferson tuvo en el siglo XVIII con una mujer esclava eran « negros« , como todos los que han nacido desde entonces con sangre africana), le ha dado también esa perspectiva de outsider, de individuo que ve Estados Unidos desde afuera. Lo cual alimenta las esperanzas de William Greider, el decano del pequeño núcleo de observadores progresistas residentes en Washington, de que Obama lleve a cabo un giro radical en la política exterior de Estados Unidos.

« Lo que el auge de China y la India y Brasil nos señala es que estamos entrando en una fase radicalmente nueva de las relaciones entre Estados Unidos y el resto del mundo ; una fase que requerirá una buena dosis de humildad« , dice Greider, anteriormente columnista de Rolling Stone, hoy principal comentarista político de la revista de izquierdas The Nation. « Ahora, al ver cómo nuestro poder decae y llegan tiempos de decepción y dolorosos ajustes, tendremos que elegir entre la respuesta de siempre _ « es la culpa de los chinos y los musulmanes y los demás extranjeros » _ o la respuesta sensata, que consiste en reflexionar un poco y evaluar hasta qué punto nuestros problemas los hemos creado nosotros mismos« .

Greider confía en que Obama entienda esto, pero lo que no tiene tan claro es si le resultará políticamente factible llegar hasta el extremo de cuestionar aquel concepto « de manifiesta superioridad, de que somos la mejor esperanza para el mundo, de que nuestro papel natural consiste en dirigir el destino del planeta, que está tan arraigado en el ADN nacional, sin excluir a nuestros diplomáticos y a la prensa seria« . Greider, un admirador de Obama, espera que el nuevo presidente se atreva algún día a violar « este tabú« , lo cual dependería en gran parte del grado de liderazgo moral que llegase a consolidar sobre sus conciudadanos. Pero reconoce que hoy por hoy sería aconsejable que la izquierda americana, como la mundial, templara sus expectativas de cambio radical ; aceptara que Barack Obama no va a ser, ni mucho menos, Hugo Chávez. Lo que sí se puede esperar con bastante certeza, dice Greider, es que se acabe con « aquella grosería y estupidez » que ha marcado la particular mezcla de arrogancia e ignorancia que ha sido marca de la casa en la era Bush.

Para empezar, la malograda « guerra contra el terror » cambia instantáneamente de carácter sin que Obama tenga que abrir la boca, mucho menos tomar nuevas medidas. En el ámbito de « mentes y corazones » ya hay una batalla ganada. Ya no va a ser tan fácil para los propagandistas de la yihad pintar a Estados Unidos como la tierra del Gran Satán cuando su presidente tiene el nombre que tiene, y su abuelo se convirtió al islam, entre otras cosas porque, según explicó un día a su esposa, no le convencía esa peculiar idea cristiana de « amar a los enemigos« . Sin embargo, Obama, cristiano practicante, sí pretende hablar con ellos. Ha expresado su deseo de dialogar con Irán y con Siria sin condiciones ; ha dicho que en Afganistán su política combinará la fuerza militar con el intento de buscar lo que sus asesores llaman focos de « reconciliables« , gente relativamente moderada en su compromiso ideológico, entre los combatientes talibanes ; ha declarado, repetidamente, que piensa extraer el grueso de las tropas estadounidenses de Irak, posiblemente dejando atrás algunos asesores militares, en un plazo de 16 meses ; y ha expresado su convicción de que la mejor forma de evitar otro Irak u otro Afganistán no es la intervención militar cuando es demasiado tarde, sino la inversión económica antes de que afloren los peligros terroristas.

Y aunque Obama tampoco es Gandhi (« no me opongo a todas las guerras« , ha declarado, y también, « mataremos a Bin Laden« ), todo lo que ha dicho a lo largo de su carrera política sugiere que buscará establecer relaciones de respeto con todos los países que lo deseen, y que su primer impulso no será, a diferencia del de Bush, disparar primero y hacer preguntas después. Él mismo lo dijo, quizá recordando a su madre, en un discurso hace un año: « El no hablar con otros países no nos hace quedar como gente dura ; nos hace quedar como arrogantes« . Desde la muerte de su madre en 1995, y la de su abuela materna el día antes de que ganara las elecciones presidenciales, la persona de su familia con la que tiene más intimidad, y a la que más se parece, es su media hermana keniana, Auma, que ha vivido gran parte de su vida en Europa. Auma Obama, que una vez le aconsejó que no entrara en política porque era un camino siempre decepcionante, afirmó en una entrevista con The New York Times el mes pasado que, si había una cosa en la que se podía confiar, era en que su hermano, al que definió como « una figura unificadora« , « entablaría un diálogo con el mundo« .

Ya lo está haciendo con su propio país. Nada de lo que ha hecho hasta la fecha ha demostrado de manera más convincente su confianza en sí mismo y la vitalidad de su instinto reconciliador que « el equipo de rivales«  _ citando el título de un libro sobre Abraham Lincoln que ha influido mucho en Obama _ con el que se ha rodeado en su futuro gabinete de Gobierno. Guiado más por el pragmatismo (cualidad imprescindible del reconciliador) que por las deudas contraídas y las habituales fijaciones partidistas, Lincoln eligió a los individuos más brillantes de su generación, independientemente de sus filiaciones políticas o del hecho de que algunos de ellos habían sido, hasta hacía muy poco, sus enemigos políticos acérrimos. Obama explicó el origen intelectual de su propio pragmatismo en su segundo libro, un tratado titulado « La audacia de la esperanza«  _ « L’Audace d’espérer _ une nouvelle conception de la politique américaine » _, publicado en 2006. Ahí escribe: « Creo que cualquier intento de los demócratas de seguir una estrategia duramente partidaria o ideológica significa no entender el momento político que estamos viviendo. Estoy convencido de que, cuando exageramos o demonizamos o simplificamos el argumento, perdemos. Cuando rebajamos el tono del debate público, perdemos. Porque es precisamente la búsqueda de pureza ideológica, la rígida ortodoxia y la total previsibilidad del actual debate político lo que impide el descubrimiento de medios nuevos para afrontar los retos que tenemos como país« .

Dicho y, planteada la prueba, hecho. No ha llegado hasta el extremo de nombrar para su Gabinete a Sarah Palin, que declaró con toda la razón del mundo ante sus enfervorecidos correligionarios durante un mitin electoral en Florida que Obama no era un hombre « que ve América como vosotros y yo vemos América« . Pero sí ha cogido al toro Clinton por los cuernos al nombrar a Hillary, su tenaz rival a la candidatura demócrata a la presidencia, para el puesto clave en política internacional de secretaria de Estado. Robert Gates, el secretario de Defensa, es un republicano que fue nombrado por Bush en diciembre de 2006, y que seguirá en su puesto con Obama. El equipo para enfrentar la grave crisis económica que indudablemente representará el reto inmediato más importante de Obama está compuesto por un tridente que incluso una conocida figura de la derecha washingtoniana, Sebastian Mallaby, del Council on Foreign Relations, no ha dudado en calificar de « absolutamente brillante« . Los antecedentes de Larry Summers, Timothy Geithner y Paul Volcker demuestran más simpatía demócrata que republicana, pero los tres son conocidos ante todo como individuos de fuerte personalidad que no dudarán en entrar en conflicto con Obama si lo creen oportuno. « Ahora hay un consenso total de que hay que incrementar el gasto público« , dice Mallaby, un experto en economía que conoce a los tres bien, « pero podemos estar seguros de que gente como Summers presionará a Obama, más temprano que tarde, para reducir el déficit, aunque esto sea a coste de programas de bienestar público que Obama quizá querría fomentar« .

Otra persona que estará muy cerca de Obama, y con el que es seguro que tendrá discrepancias de criterio, será el nuevo ocupante del puesto de asesor de seguridad nacional, es decir, el jefe de política internacional dentro de la Casa Blanca. James Jones, un formidable ex general marine de 65 años, tiene un vasto conocimiento dentro y fuera de Estados Unidos en el terreno político militar. No ha delatado simpatías partidistas hasta la fecha, y tal es la admiración que provoca su currículo que John McCain, el candidato presidencial republicano y ex militar, intentó infructuosamente reclutarle para su causa electoral.

La crítica más habitual que se le lanza a Obama, y la que le lanzaron con más frecuencia tanto Hillary Clinton como John McCain durante las dos fases de la campaña presidencial, es que, a sus 47 y con apenas cuatro años servidos en Washington, le falta experiencia para gobernar. Ni él ni sus más fanáticos admiradores lo niegan, aunque señalan (cosa que reconocen figuras de la derecha como Charles Krauthammer y Sebastian Mallaby) que su campaña electoral fue un modelo de disciplina y efectividad comparada con las caóticas campañas que llevaron a cabo los veteranos Hillary Clinton y John McCain. Lo que demuestran sus nombramientos para el futuro Gabinete, en otra opinión muy generalizada en Washington, es que tiene buen juicio y no teme rodearse de subordinados notablemente más experimentados que él e incluso, posiblemente, más inteligentes. El Gabinete de Obama tiene que ser uno de los más sesudos de la historia. De los 36 individuos nombrados hasta la fecha (el más reciente fue el premio Nobel de Física Steven Chu como secretario de Estado de Energía) la mitad tiene títulos de posgrado de las universidades más prestigiosas de Estados Unidos.

Todo lo cual demuestra, una vez más, la tremenda confianza que tiene en sí mismo, y que él mismo expresó en privado hace cuatro años a una amiga y colaboradora política cercana, Valerie Jarrett. Todavía no era senador, pero confesó que su ambición era ser presidente. Lo recuerda Jarrett : « Me dijo : « es que creo que tengo unas cualidades especiales y que sería una pena desperdiciarlas« . Me dijo : « ¿ sabes ? Creo que tengo algo«  ».

No siempre tuvo las cosas tan claras. Tras una infancia variopinta y sin complejos en Indonesia y en el alegre limbo de Hawai (« era demasiado joven« , escribe en su autobiografía, « para saber que necesitaba una raza« ), se sumergió en el drama afroamericano a través de los guetos de Chicago. Al no tener alternativa social a ser clasificado como negro, se puso a estudiar a personas de su raza en Chicago que no eran inmigrantes, o hijos de inmigrantes, como él. Lo que aprendió no le llenó de felicidad. Todos delataban, en mayor o menor medida, la carga de angustia histórica que arrastran los descendientes afroamericanos de los esclavos, una carga que los distingue (con la excepción de los indios americanos) del resto de la población de Estados Unidos, país que se define por el optimismo del inmigrante, con su energía y ganas de forjarse una vida mejor ; no importa que su país de origen sea Inglaterra, Polonia, México, Egipto o Kenia. Los afroamericanos no inmigrantes, como por ejemplo la esposa de Obama, Michelle Robinson, pertenecen al único grupo que no vino a Estados Unidos de manera voluntaria.

« Ha sido como transitar por la vida con una cadena y una bola de hierro atados al tobillo« , explicó Jim Coleman, que tiene menos motivos que la mayoría de personas la raza negra para sentirse agraviado. Coleman es profesor de derecho en la Universidad de Duke, en Carolina del Norte. Se identifica con Obama, con quien comparte ciertas ventajas en la vida, como por ejemplo ir becado a un buen colegio cuando era niño y después estudiar en Harvard. « Pero por bien que te haya ido, como negro en este país no has podido entender las relaciones sociales sin mirarlas a través del eterno prisma de la raza« , dijo Coleman. « Por eso incluso gente como yo, que hemos triunfado, nos hemos sentido como transgresores, como gente que nunca acabó del todo de pertenecer _ o de ser admitidos _ a este país« . Si Coleman antes se sentía, o se imaginaba que los blancos le veían, como un ciudadano de segunda clase, el triunfo electoral de Obama ha representado para él, como para millones de afroamericanos, un salto a primera. « Es, ni más ni menos, una liberación. Esa angustia ancestral, esa cadena que arrastrábamos : adiós. ¡ Fuera ! Sentimos el país como nuestro también, por fin. Ya no estamos afuera mirando para adentro, porque dentro de la Casa Blanca vivirá una familia negra, igual que las nuestras. Obama nos ha hecho sentir, de la noche a la mañana, que somos americanos al cien por cien. Tendremos problemas como país, claro, pero la gran y mágica diferencia es que ahora los enfrentaremos todos juntos« .

Sentimientos muy parecidos se han oído desde la victoria de Obama el 4 de noviembre de infinidad de personas negras, de todas las edades y toda la gama social. Esa liberación mental que han experimentado los descendientes de los esclavos, sumado a un más sutil fenómeno de casi equivalente importancia, la oportunidad implícita que han aceptado los blancos para pedir perdón a sus compatriotas negros por los pecados de sus padres, representan ya una hazaña histórica. Aunque no lograra nada más Obama durante su presidencia, eso ya tendrá una repercusión duradera. Pero el demócrata quiere que se le mida por mucho más. La promesa de « cambio » fue su eslogan electoral. Habla continuamente de la necesidad de regenerar el país y el mundo, de reparar los daños causados durante ocho años de Bush, a cuyo Gobierno Obama ha acusado de actuar con una « espectacular irresponsabilidad« .

Ante tanta esperanza en Washington, donde se respira un aire de euforia a pesar de la crisis económica, existe, según las cabezas pensantes de izquierda y derecha, una gran duda. Si el punto más fuerte de Obama acabará siendo el más débil ; si su afán reconciliador y su necesidad de consenso, le conducirán a la parálisis ; si tendrá las agallas, tras acumular tantísimo capital político, como lo expresó Sebastian Mallaby del Council on Foreign Relations, de gastarlo. Si acabará siendo no Obama, sino Obambi.

Cass Sunstein, profesor de derecho en Harvard, conoció a Obama durante sus años estudiantiles. Le define como un hombre que pretende cumplir grandes objetivos ofendiendo los valores del menor número de personas. « Pero también creo« , dice Sunstein, « que tiene la convicción de que, si uno asimila los valores e ideales de sus contrincantes, si uno demuestra respeto por ellos, es posible dar pasos mayores de los que uno se podría haber imaginado« .

Demostrar respeto a la gente significa, en un importante sentido, escucharles con atención. Un veterano economista de Washington que hizo una presentación el mes pasado a Obama y a cuatro miembros de su equipo observó que durante las dos horas y media que estuvo con él, el político habló, como mucho, el diez por ciento del tiempo. « A diferencia de Clinton, que en las mismas circunstancias hubiera hablado la mitad del tiempo« , explicó el economista. Frank Luntz, un conocido estratega republicano, tiene la misma impresión. « El típico político se impone a la gente con el objetivo de obligarles a prestarle atención« , dijo Luntz. « Obama es más reflexivo. No empuja. Tiene un aire relajado que atrae. Eso es tan poco usual…« . En otras palabras, sigue el consejo de Tom Daschle, el líder demócrata en el Senado, de que « la mejor forma de persuadir es con las orejas« .

Lo hizo en la primera campaña política de su vida, en la que acabó siendo elegido presidente de la Harvard Law Review. Ganó gracias a los votos conservadores. No estaban de acuerdo con él, pero la sensación de que les escuchaba de verdad y les tomaba en serio resultó decisiva a la hora de la votación. Ocurrió algo muy parecido durante uno de los momentos más complicados de su campaña presidencial. Su larga asociación con Jeremiah Wright, el pastor negro que le casó, se convirtió en un peligro mortal después de que salieran a la luz sermones en los que el reverendo expresaba un resentimiento que parecía rozar el racismo contra los blancos de su país. Obama respondió el 18 de marzo en Filadelfia con el que muchos consideran el discurso más valiente de su vida. No hay nada más delicado en Estados Unidos que el asunto de la raza, pero lo que logró Obama aquel día fue colocarse por encima del debate, resumirlo y reconducirlo. Sin asumir nunca una postura defensiva, sin negar la ofensa histórica contra los negros, o que su « rabia » fuera legítima, reconoció también que algunos blancos podrían tener motivos para sentirse resentidos al ver cómo a veces la política de « acción afirmativa » daba a compañeros de trabajo negros, o a jóvenes estudiantes negros, ventajas negadas a los blancos por el color de su piel. « Declarar que los resentimientos de americanos blancos son racistas, sin reconocer que tienen su origen en preocupaciones legítimas, esto también amplía la brecha racial y obstaculiza el camino al entendimiento mutuo« .

Tras presentar el argumento, se postuló a sí mismo como emblema hecho carne del noble objetivo, contenido en el prólogo a la primera Constitución de Estados Unidos, escrito hace 221 años, de crear « una unión más perfecta« . « No puedo repudiar al reverendo Wright del mismo modo que no puedo repudiar a la comunidad negra, del mismo modo que no puedo repudiar a mi abuela blanca, que ayudó a criarme, que hizo un sacrificio tras otro por mí, que me quiere más que nada en el mundo, pero que una vez me confesó el miedo que sentía al cruzarse con hombres negros en la calle… Estas personas forman parte de mí. Y forman parte de Estados Unidos, este país que yo amo« .

Fue quizá aquel el momento en el que salvó su candidatura y ganó las elecciones presidenciales. Despejó las dudas que podría albergar todavía la mayoría del electorado acerca de sus credenciales como patriota, surgidas de su condición de negro de padre africano, y convenció a todos _ blancos, negros y de toda condición racial _ de que hablaba por ellos y de que les entendía. Recondujo el debate en el sentido de que señaló no a los blancos y a los negros como el enemigo que hay que vencer, sino a la cultura corporativa « de avaricia a corto plazo » y a « las políticas económicas que favorecen a pocos a expensas de muchos« .

Es en la economía, más que en política internacional o en cualquier otro terreno, donde los observadores de Washington creen que Obama marcará un antes y un después en la historia de Estados Unidos. No es un hombre alevoso ni de una progresía temeraria. Es recto, cauteloso, deliberado a la hora de tomar decisiones, tendiendo a conservador. A diferencia de Bill Clinton y George W. Bush, tuvo el coraje de reconocer que fumó marihuana en su juventud y consumió cocaína, pero hoy es un hombre de familia, abiertamente enamorado de su esposa, que va a la iglesia todos los domingos y da toda la impresión de haber rechazado explícitamente los excesos mujeriegos y alcohólicos de su padre. David Axelrod, el principal estratega de la campaña de Obama, ha dicho que sería un error creer que « desde el punto de vista de los valores » ha concluido la era conservadora de Estados Unidos, la reacción al flower power de los años sesenta, que comenzó con la llegada de Ronald Reagan al poder en 1981. Obama es lo que en Estados Unidos llaman « un conservador cultural« . Pero desde el punto de vista económico, según dijo Axelrod, « no tenemos que elegir más entre una economía opresiva controlada por el Gobierno y un capitalismo caótico que no perdona« . El gran legado de Reagan, que ni siquiera Bill Clinton pudo enterrar durante sus ocho años de presidencia, fue la idea de que la injerencia del Gobierno en la economía es por definición mala, antiindividualista, antiamericana.

La actual crisis ha convencido incluso a George W. Bush de que ese prejuicio pertenece al pasado. Pero Obama lo ha tenido muy claro desde antes de que estallara la burbuja de Wall Street. En una entrevista con Rolling Stone hace dos años declaró: « En África muchas veces ves que la diferencia entre un pueblo donde todo el mundo come y otro donde la gente se muere de hambre es el Gobierno. Uno tiene un Gobierno que funciona ; el otro, no. Y por eso me molesta cuando oigo a gente como Grover Norquist  _el intelectual neoconservador por excelencia _ decir que el Gobierno es el enemigo. No entienden el papel fundamental que el Gobierno juega« .

La esperanza de gente de la izquierda americana como William Greider es que, más allá de invertir fondos públicos en salvar los bancos y a la industria del automóvil, Obama se enfrentará al enorme escándalo de un sistema de salud estadounidense que, a diferencia del de los demás países desarrollados, es incapaz de atender a las necesidades elementales no sólo de los pobres, sino de buena parte de la clase media. « Ahora que el big government se ha vuelto cool, a ver si por fin vemos una reforma del sector sanitario para que tengamos, en vez de salud para sacar grandes ganancias, salud para todos« , explicó Greider.

Queda pendiente la cuestión de si Obama tendrá la valentía de utilizar su capital político para tomar medidas que generarán polémica y desgastarán parte de su capital, que a su vez dependerá de su capacidad de mantener su popularidad personal en tiempos de profunda crisis. Lo que sí tiene a su favor es aquella enorme confianza en sí mismo, cualidad  _ más allá de la arrogancia porque es inherente _ que comparte con los dos grandes reconciliadores, Lincoln y Mandela. Su padre africano fue su primer modelo, aunque muchas veces las lecciones que aprendió de él vinieran de segunda mano. Fue su abuelo materno, el ex soldado, el que le contó cuando su padre se atrevió a cantar canciones africanas ante un gran público en un festival internacional de música de Hawai: « No era nada bueno, pero estaba tan seguro de sí mismo que la gente le aplaudió« . El abuelo sacó la siguiente conclusión del desparpajo de su yerno: « Ahora, ahí hay algo que puedes aprender de tu papá : la confianza. El secreto del éxito de un hombre« .

No le quedó más remedio que aprender la lección, primero en la cultura ajena de Indonesia con un hombre que no era su padre ; después en Hawai sin padre o madre ; y después en el inhóspito submundo de la Chicago pobre. De ahí, vía Harvard y los senados de Illinois y Washington, llegó a decir en diciembre de 2004: « Me siento cómodo en mi propia piel. La gente ve una autenticidad en mí que va más allá de las barreras ideológicas. Me atengo a mis principios sin recurrir a trucos políticos baratos« .


Eso lo ha demostrado durante una campaña presidencial cuya mesura y elegancia se contrastó de manera chocante con el cínico modelo republicano que patentó Bush e imitaron McCain y Palin, y que consistió en apelar al más bajo denominador común : el miedo y la división. Siempre se tuvo la sensación con Bush de que quiso ser presidente para exorcizar viejos complejos, para demostrar a su padre y a su madre que, pese a sus pocos auspicios comienzos, podía. Barak Obama, en cambio, declaró a principios de 2007, cuando decidió presentarse a la carrera para la Casa Blanca: « Sólo aspirar a ser presidente no es la mejor manera de pensar en el tema. Uno tiene que querer ser un gran presidente« .

Las condiciones para serlo, las tiene. Y para serlo hoy, en la época de la globalización. Dice su asesor, David Axelrod, que Obama « es la personificación de su propio mensaje« , « es la visión de sí mismo« . Se refería a su condición híbrida. Hijo de madre blanca y padre negro, encarna la idea de que la reconciliación inherente a su persona se debe de extender a Estados Unidos y al resto del planeta para intentar crear una « más perfecta » unión humana. Lo veremos con nuestros propios ojos la primera vez que el Air Force One aterrice en un aeropuerto europeo, africano o asiático y emerja de la puerta del avión, sonriente y saludando, una pareja negra. El pasado familiar de Obama, sus raíces intercontinentales, su capacidad de ver a su país desde adentro y desde afuera, lo convierten en el antídoto a la era Bush y en el prototipo ideal de presidente para un mundo sin fronteras. »

Voilà.

C’est, vous avez pu en juger, un bien bel article ;

qui fait très clairement le point sur ce qui attend Barack Obama,

et ce qui attend,

en conséquence de son action à la tête de son Etat,

et les Etats-Unis d’Amérique, et le monde, à sa prise de fonction

à Washington, le 20 janvier prochain, à midi…


Modestement, pour ma part,

j’espère que Barack Obama va donner un énorme « coup de vieux » à tous les « toutous » de George W. Bush de par le monde ;

et pas seulement les Durao Barroso, Aznar, Blair qui sont allés lui prêter allégeance enthousiaste à son escale aux Açores le 16 mars 2003, juste avant la si catastrophique

(à commencer par le cortège hallucinant de mensonges aux citoyens du monde, qui l’ont accompagnée, cette intervention militaire) ;

juste avant la si catastrophique intervention militaire en Irak

_ les Durao Barroso, Aznar, Blair et autres politiciens « hyperréalistes », tel que les Berlusconi et consorts…

Et nous savons grand gré au Président Chirac

d’avoir, ce jour-là, de mars 2003, su préserver l’honneur de la France…


Titus Curiosus, le 28 décembre 2008

Sur John Carlin,

ceci (dans El Pais) :

El periodista británico John Carlin (Londres, 1956), Premio Ortega y Gasset al mejor trabajo de investigación o reportaje en 2000 por Viaje por la emigración, ha sido corresponsal para el diario británico The Independent en México y Centroamérica, Suráfrica y Estados Unidos.

Sus primeros pasos en el periodismo los realizó en el Buenos Aires Herald. Posteriormente colaboró con la BBC y The Times, donde destacó por su gran conocimiento de Latinoamérica.

De madre española y padre británico, Carlin escribe desde hace tres años para EL PAÍS sobre diversos temas, desde políticos a deportivos. En la actualidad vive en Barcelona.

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