Posts Tagged ‘micro-histoire

Poursuite d’enquête sur les liens de résistance entre Pierre de Bénouville et les Portmann, père et fils

27sept

Aujourd’hui, 27 septembre 2014,

je fais le point des avancées de ma recherche à propos des liens de résistance entre Pierre de Bénouville (Amsterdam, 8 août 1914 – Paris, 4 décembre 2001) et les Portmann, Georges (Saint-Jean-de-Maurienne, 1er juillet 1890 – Sainte-Eulalie, 24 février 1985), le père, et René (Caudéran, 5 décembre 1918 – Ténès, Algérie, 1er août 1957), le fils.

En prolongement de mon article du 31 juillet dernier : La fécondité magnifique du détail dans le travail d’enquête de Robert Belot sur les Résistances en France sous l’Occupation

À cette fin _ et sur les conseils avisés de Jacques Hogard, le neveu de Pierre de Bénouville _,

je me suis procuré et j’ai lu _ méthodiquement, et donc à trois reprises _ le superbe livre de souvenirs de Pierre de Bénouville, Le Sacrifice du matin, paru en 1945 _ dans l’édition (tardive) de 1983, aux Editions Robert Laffont _ ;

ainsi que le très beau, aussi, L’Aventure incertaine _ De la Résistance à la Restauration, de Claude Bourdet, paru en 1975 _ dans la ré-édition de 1998, aux Editions du Félin _ ;

et Résister _ Histoire secrète des années d’Occupation, de Jacques Baumel, paru en 1999 _ dans l’édition originale de 1999, aux Editions Albin Michel _ :

Pierre de Bénouville, Claude Bourdet et Jacques Baumel étant trois des principales chevilles ouvrières de Combat, puis des MUR, auprès de Henri Frenay

_ dont je n’ai pas encore lu La Nuit finira _ Mémoires de Résistance 1940-1945, paru en 1973, parce que ce sur quoi se focalise ma présente recherche concerne plus particulièrement, d’une part, les activités de René Portmann, auprès de Pierre de Bénouville, dans le Service des Relations Extérieures des MUR (d’octobre 1943 à août 1944), ainsi que, d’autre part, les circonstances très précises des arrestations de Claude Bourdet-Lorrain, le 24 mars 1944, et d’Alain de Camaret-Nizan et Armand Magescas-Miranda, le 26 mars 1944, à un moment où Henri Frenay ne se trouvait plus à Paris, mais à Alger ; cependant, j’ai pu d’ores et déjà constater que les noms de Georges Portmann et de René Portmann ne figurent, ni l’un, ni l’autre, dans La Nuit finira. Pas davantage, d’ailleurs, non plus, que dans les deux livres de Claude Bourdet et Jacques Baumel : les services étaient le plus rigoureusement possible compartimentés, sinon absolument étanches… Et d’autre part, j’ai lu le Henri Frenay _ de la Résistance à l’Europe, de Robert Belot…

Mes interrogations portent donc ici sur la chronologie des liens de Résistance entre, d’abord, Georges Portmann (1890-1985) et Pierre de Bénouville (1914-2001) ; puis entre René Portmann (1919-1957) et le même Pierre de Bénouville.

Et cela, eu égard à l’action _ salvatrice ! _ du Professeur Georges Portmann à l’égard de mon père, le Dr Benedykt Lippa (Stanislawow, 11 mars 1914 – Bordeaux, 11 janvier 2006), qui était son assistant en ORL à Bordeaux, et citoyen polonais :


Georges Portmann _ qui avait été Secrétaire Général à l’Information et Directeur de la Radio, Vichy, du 4 janvier 1941 au 16 février suivant, dans l’éphémère gouvernement de son ami Pierre-Etienne Flandin… _ prévenant mon père, début juin 1942, que la Gestapo allait incessamment venir l’arrêter, et permettant ainsi à mon père de quitter à temps Bordeaux (franchissant la ligne de démarcation à Hagetmau, dans les Landes, le 7 juin 1942, grâce à un transport en autocar organisé par une infirmière résistante de la clinique Bagatelle, à Talence, dans la banlieue de Bordeaux).
De fait, très peu de temps après, les Allemands sont venus chercher mon père au domicile de sa fiancée (= ma mère, Marie-France Bioy) et de ses parents, où habitait mon père depuis sa démobilisation (comme engagé volontaire, en septembre 1939) et son retour à Bordeaux, à l’été 1940, 177 rue Judaïque à Bordeaux.


De plus, parmi les documents précieux qui m’interrogent, est restée, parmi les papiers de mon père, une carte de recommandation (non remise à son destinataire, puisque conservée par mon père…) au « Dr Rigault, chargé de cours d’ORL«  à Toulouse, par laquelle le professeur Portmann recommandait mon père _ que « la rigueur des temps a mis dans la nécessité de partir«  : de la zone occupée… _ à ce médecin toulousain ; la carte est datée d’« octobre 42«  _ mon père a-t-il rendu visite à ce Dr Rigault lors de son séjour dans la région de Toulouse, au 561e GTE de Beaupuy, de décembre 1943 à juillet 1944 ?.. Qui était donc ce Dr Rigault ? Etait-il Résistant ?.. Mon père a-t-il pris contact avec lui, et l’a-t-il rencontré ? font partie des questions que je cherche à éclairer, à Toulouse…


Mon père, en effet, un an et demi plus tard que ce 7 juin 1942, est resté à Toulouse _ et plus précisément, au 561e GTE de Beaupuy, dont le siège et le cantonnement se situaient au Domaine de La Gaillarde ; et peut-être aussi, le dernier mois (de la mi-juin à la mi-juillet 1944) au 561e GTE de Toulouse, rue de Belfort : sur ce dernier point une ambiguïté demeure… _ du 10 décembre 1943 au 20 juillet 1944 ; et il a cependant pu revenir à Oloron, d’où il était venu (il faisait alors partie du 526e GTE ; comme il en re-fit partie, du moins officiellement, à ce retour : selon la légalité très sourcilleuse du régime de Vichy), le 22 juillet 1944, en dépit des troubles de cette période (ou même grâce à eux), en bénéficiant d’un nouveau « contrat agricole«  de complaisance, auprès, à nouveau, du professeur de philosophie au collège d’Oloron, Pierre Klingebiel…

C’est Philippe Grandclément (1904-1974) _ le frère aîné du fameux André Grandclément (1909-1944), membre dirigeant de l’OCM en Aquitaine, et qui sera assassiné par d’autres Résistants, dont Roger Landes, le 27 juillet 1944, au Muret _, qui, alors qu’il commandait le 526e GTE des Basses-Pyrénées, a d’abord exfiltré mon père du camp de Gurs, à la fin août 1943 (mon père y était interné pour franchissement illégal de la ligne de démarcation), en lui obtenant un « contrat agricole » de complaisance auprès de Pierre Klingebiel (1896-1984), professeur de philosophie à Oloron (qui avait déjà fourni de tels « contrats agricoles » de complaisance à des républicains espagnols protestants, afin de les exfiltrer, eux aussi, de Gurs) ; puis qui lui a évité de partir pour l’Organisation Todt, ou pire (cette fois à la mi-décembre 1943), alors que, sur ordre du préfet de région de Toulouse, il envoyait de nombreux autres T.E. au camp de Noé, à des fins de triage _ mon père, lui, fut chargé d’organiser l’infirmerie du 562e GTE de Beaupuy (au Domaine de La Gaillarde), lors du transfert de ce GTE de Clairfont à Beaupuy, au mois de décembre 1943 ; et d’y faire fonction de médecin pour les Travailleurs Etrangers qui allaient y être cantonnés.

Philippe Grandclément dirigeait peut-être _ voire probablement… _ encore le 526e GTE départemental des Basses-Pyrénées lors du passage de mon père, en provenance de Toulouse, à la Villa Montréal à Jurançon le 21 juillet 1944, Philippe Grandclément étant toujours assisté de celui dont je déchiffre le nom comme étant peut-être Gourmençon _ Joseph de Goussencourt (Saint-Eman, Eure-et-Loir, 6 mai 1896 – Trévoux, Finistère, 23 septembre 1989), découvrirais-je plus tard !.. _ ; en revanche, ce n’est plus lui, Philippe Grandclément, qui dirige ce GTE départemental des Basses-Pyrénées le 4 août 1944, à Jurançon, mais E. Delluc, qui dirigeait auparavant jusque là le 525e GTE départemental des Hautes-Pyrénées, dont le siège se trouvait à Bagnères-de-Bigorre :

21 juillet (Jurançon), 27 juillet (Saugnacq-et-Muret), 4 août 1944 (Jurançon), ces dates forment pour nous une chaîne d’indices…


Ce mois de juillet 1944, mon père est ainsi revenu, par ses propres moyens _ le vent tournait alors pour les Allemands , et pour Vichy ! _, de Beaupuy (et Toulouse) à Oloron, muni de gros livres de médecine qu’il n’avait certes pas pu se procurer ailleurs qu’en une ville universitaire telle que Toulouse ; non sans s’être arrêté, cette journée du 21 juillet, au siège du 526e GTE départemental des Basses-Pyrénées, situé à la Villa Montréal, à Jurançon, afin de régulariser, mais oui !, sa situatio (légale) de T.E. ; le commandant du GTE, probablement encore Philippe Grandclément ce 21 juillet 1944-là _ en tout cas, c’est la même signature (à l’encre verte) de son même adjoint (Joseph de Goussencourt, donc !) que le 26 août et le 16 septembre 1943 : un nommé Gourmençon, semble-t-il, à ce que je déchiffre sur divers documents administratifs de ce 526e GTE (non : de Goussencourt ! Antoine-Marie-Joseph de Goussencourt), jusqu’à ce 21 juillet 1944 compris (depuis le 26 août 1943, pour le premier de ces documents, et jusqu’à ce 21 juillet 1944, pour le dernier d’entre eux), et demeurés en possession de Pierre Klingebiel en ses archives privées ; le nom de Philippe Grandclément apparaissant, lui, aux dates des 26 août, 16 septembre et 19 novembre 1943 _, le commandant du GTE, donc, probablement encore Philippe Grandclément ce 21 juillet 1944-là, produisant pour mon père, une nouvelle fois, un « contrat agricole » de complaisance, et à nouveau auprès du même Pierre Klingebiel à Oloron. La situation générale du pays, entre le débarquement du 6 juin, en Normandie, et celui _ à venir bientôt… _ du 15 août, en Provence _ ce second débarquement allait être décisif en provoquant, sur ordre de Hitler, le repli immédiat des troupes allemandes du sud de la France vers le nord et l’est du pays… _, avait déjà bien changé par rapport à celle de décembre 1943. Et mon père sera présent à Oloron au moment de la Libération, par les Résistants locaux, de la ville, le 22 août 1944 ; notamment, il interviendra afin d’éviter de plus graves ennuis à un cousin de ma mère _ l’oloronais Marcel Bioy _, aux opinions un peu trop bruyamment pétainistes…


Et, en plus des activités de Georges Portmann à Bordeaux en juin 1942 _ informé de très prochaines rafles de la Gestapo à Bordeaux, il en prévient mon père, ce qui permet à celui-ci de fuir Bordeaux pour passer en zone non-occupée, se dirigeant vers Oloron, où vivaient deux des oncles (Pierre Bioy, pharmacien à Oloron, et Xavier Bioy, maire d’Hérère) de sa fiancée, ma mère, Marie-France Bioy : Oloron est le berceau de la famille Bioy… _ sur lesquelles je désire obtenir des précisions,

je m’interroge aussi sur l’affaire de l’arrestation à Paris (le 26 mars 1944, à 10 heures), au domicile de Max Brusset, 28 boulevard Raspail, de


_ ou bien Armand Magescas, Miranda, de son nom de résistance

(ici, selon le témoignage, en 1982, de Georges Portmann, en ses Souvenirs, publiés en 1982, page 168 :

Georges Portmann, prévenu _ cette fois aussi : à Paris en mars 1944, comme à Bordeaux en juin 1942… _, à 9 heures, de l’intervention de la Gestapo au domicile de Max Brusset, 28 boulevard Raspail, où devaient se réunir, à 10 heures, un certain nombre de résistants, dont Pierre de Bénouville ; et réussissant à prévenir les divers membres du réseau qui devaient s’y retrouver, sauf Armand Magescas-Miranda, débarquant, lui, tôt le matin même de ce 26 mars, à la gare d’Austerlitz, d’un train de nuit en provenance de Biarritz… Et Pierre de Bénouville passant d’abord, comme il avait été préalablement convenu entre eux, rue Benjamin Franklin, où Georges Portmann, en sa clinique parisienne, l’attendait pour se rendre ensemble chez Max Brusset),

_ ou bien Alain de Camaret, Nizan, de son nom de résistance

(là, selon le récit, en 1945, de Pierre de Bénouville, page 326 du Sacrifice du matin :

en effet, selon Pierre de Bénouville, c’est à la gare d’Austerlitz, et tôt le matin, que la Gestapo intercepte Armand Magescas à sa descente du train de Biarritz _ et non lors de son arrivée au domicile de Max Brusset, boulevard Raspail, vers 10 heures, comme dans le souvenir (bien plus tardif) de Georges Portmann en 1982. Et c’est Alain de Camaret _ parvenant, dès dix heures, au domicile de Max Brusset, boulevard Raspail, de retour dare-dare de la gare d’Austerlitz, où il n’avait pas pu retrouver Armand Magescas, cueilli lui par les Allemands sur le quai, dès sa descente du train ; et exfiltré de la gare « par une porte dérobée«  (selon ce que signale Pierre de Bénouville, page 326 du Sacrifice du matin) _ qui se fait prendre dans la souricière tendue par les Allemands au domicile de Max Brusset.


Je remarque, au passage, que dans Le Sacrifice du matin, Pierre de Bénouville ne mentionne pas une seule fois le nom du Professeur Georges Portmann _ dont le nom demeurait bien trop sulfureux en 1945, au moment de l’écriture du Sacrifice du matin : Georges Portmann avait été ministre (Secrétaire général à l’Information) du gouvernement de Vichy en janvier-février 1941 ; et s’apprêtait, pour cela, à affronter un procès d’épuration devant la Haute Cour de Justice : il y sera acquitté le 27 février 1946)… ;

et que, si il y parle à plusieurs reprises, en revanche, de René Portmann _ le fils aîné de Georges Portmann _,

Pierre de Bénouville ne cite ce nom de René Portmann (ou bien, aussi, son pseudonyme : La Varende _ mais aucun de ses autres pseudonymes : 3 bis, Godard, et même 15, que cite Robert Belot dans L’Affaire suisse : le travail d’enquête historiographique de ce dernier est magnifique ! Au passage, je remarque qu’à cinq reprises dans ce livre, Robert Belot prend soin de préciser ou rappeler que 3 bis est le pseudonyme de René Portmann : aux pages 262, 321, 322, 395 et 395, à propos de courriers en date, respectivement, des 31 janvier, 5 février, 18 février, 17 janvier et, à nouveau, 18 février 1944 : soit bien avant la décision de Pierre de Bénouville de quitter Paris pour gagner Alger… _), à propos des activités de ce dernier pour le service des Relations Extérieures des MUR, qu’à partir du mois de mars 1944,

c’est-à-dire seulement une fois que Pierre de Bénouville l’a choisi _ et très vraisemblablement à la suite de cette catastrophe qu’a été l’arrestation de Nizan – Alain de Camaret (qui a eu lieu le dimanche 26 mars 1944) ; si je lis bien Le Sacrifice du matin, je constate, page 327, que, rendant compte de ce qui se passe à la date du lundi 27 mars, Pierre de Bénouville écrit : « J’ai, l’après-midi, rendez-vous avec La Varende. Fortoul y viendra. La Varende remplacera Nizan« pour remplacer, à Paris, un des membres de son réseau _ mais remplacer qui, alors ? Nizan, comme je viens de le citer ? ou plutôt, carrément lui-même, Bénouville ?.. Sans doute faut-il ici établir une chronologie plus fine… _, à la direction du Service des Relations Extérieures des MUR, une fois que lui-même, Bénouville, aura quitté Paris, c’est-à-dire les tous premiers jours du mois d’avril 1944 _ ce qui sera réalisé probablement le 5 avril au soir, selon mes calculs, par un train de nuit l’exfiltrant vers Toulouse et Tarbes, via Limoges _ ; car le dimanche de Pâques _ repère mémorable ; et c’est à partir de ce repère que j’effectue mes calculs rétrospectifs sur ses journées précédentes… _, le 9 avril 1944, Pierre de Bénouville, qui a franchi clandestinement la frontière par la montagne _ la Rhune _ du côté d’Ascain durant la nuit, le passe à Saint-Sébastien, comme il l’indique précisément à la page 336 du Sacrifice du matin.

Mais je lis aussi, page 328, à propos des conséquences pour leur réseau à Paris, de ce départ vers l’Espagne de Maurice Chevance _ quelques jours avant lui, Bénouville, et probablement le vendredi 31 mars pour ce qui concerne Chevance, et par le même itinéraire et grâce aux mêmes relais fixés par Armand Magescas, d’après l’indication donnée à la page 335 du Sacrifice du matin _ et de lui-même, Bénouville :

« Cheval _ Georges Rebattet _ et Dormoy _ Marcel Degliame _ nous remplaceront _ à quels postes de l’organisation, précisément ?  _ pendant notre absence. Mais je ne partirai _ se souvient s’être dit ce décisif lundi 27 mars, Pierre de Bénouville _ que quand mon service _ celui des Relations Extérieures des MUR _ fonctionnera de nouveau normalement » ; et cela _ entre le lundi 27 mars et le mercredi 5 avril _ allait prendre dix jours ;

car ce ne sera que le 5 avril _ si je calcule bien, à rebours, à partir du dimanche de Pâques 9 avril que Pierre de Bénouville se souvient d’avoir passé à Saint-Sébastien, page 336 _, par un train de nuit, que Pierre de Bénouville quittera Paris, vers Limoges, Toulouse _ où il rencontrera Conze, de l’ORA, qui l’accompagnera jusqu’à un rendez-de vous, à Tarbes, organisé par Armand Magescas – Miranda… _, et enfin Tarbes ; où il rencontrera _ le 6 _ Pouey-Sanchou, dit d’Ossau, et son adjoint Quérillac, qui lui font rencontrer, surtout, _ Paul _ Gelos, secrétaire de la mairie de Saint-Jean-de-Luz, et _ Pierre _ Larramendy (« l’hôtelier dont la maison _ de Chantaco _ sert de relais au-delà de Saint-Jean« , page 334 :

« le soir _ de ce 6 avril, donc _, mes guides et moi couchons à Pau _ sans plus de précision ; Armand Magescas est palois. Son père, Félix, avocat à la cour d’appel de Pau, avait son domicile 17 rue Samonzet, à Pau. Le lendemain matin _ le 7, page 335 _, nous sommes à Biarritz. En fin de journée, je gagne Saint-Jean-de-Luz par le train. (…) Gelos, le secrétaire de mairie _ de Saint-Jean-de-Luz _, m’attend à la sortie _ de la gare de Saint-Jean-de-Luz. (…) Le soir, je couche _ non loin _ à Chantaco, chez Larramendy. J’y passe toute la journée du lendemain _ celle du 8 avril _, jusqu’à la tombée de la nuit, au moment où, entre chien et loup, le maire d’Ascain _ en fait, il ne s’agit pas là du maire d’Ascain, mais de son secrétaire de mairie, François Bertrand, comme me l’a indiqué le neveu de celui-ci, Guy Lalanne ; et comme c’est mentionné à la page 256 du « 1936 – 1945 Ascain, Ciboure, Saint-Jean-de-Luz, Urrugne Témoignages d’une époque«  de Guy Lalanne et Jacques Ospital , publié par Jakintza en 2012 (ajout du 6 octobre 2022) _ un bon bonhomme solide, vient me prendre à vélo. Mes hôtes me prêtent une bicyclette« … Puis, grâce à trois relais de guides (basques) successifs, le faisant cheminer de nuit sur les deux versants de la montagne « immense » à franchir _ page 336 : « Nous sommes comme des insectes sur son dos rond, des insectes perdus entre des brindilles «  _, Pierre de Bénouville parviendra en Espagne, et, depuis Irun, par un autocar, « vers dix heures« , rejoindra Saint-Sébastien, le dimanche de Pâques 9 avril. Et « Le lundi _ de Pâques, 10 avril 1944 _, une auto, que protège l’insigne du Corps diplomatique _ Armand Magescas disposait en Espagne de très efficaces appuis _, vient me prendre et me conduit à Madrid« , conclut le récit de ce départ de France Pierre de Bénouville, pages 336-337 du Sacrifice du matin



D’autre part, et encore,
dans les Entretiens (réalisés entre septembre 1998 et juin 2000) de Pierre de Bénouville avec Laure Adler, intitulés Avant que la nuit ne vienne, page 86,

Pierre de Bénouville indique ceci, à propos de son passage à Vichy début décembre 1940, à la recherche de compagnons _ tel son ami Roger de La Grandière, rencontré par lui à l’entrée de l’Hôtel du Parc _, prêts à gagner avec lui, Alger, pour rejoindre l’armée d’armistice là-bas, dans l’espoir de reprendre le plus tôt possible le combat contre les Allemands :


à la question de Laure Adler :

« _ Quelle fut donc votre moisson, à Vichy ? Avez-vous réussi à convaincre certains de vos amis, qui étaient proches du Maréchal, de vos idées et de votre combat pour la guerre ?« ,

Pierre de Bénouville répond, de manière un peu inattendue, à y réfléchir :

« _ Mais bien sûr.

Je me suis lié avec un médecin très réputé, le professeur Portmann _ la retranscription (par Laure Adler ?) oublie le second N de Portmann ; mais, surtout, devons-nous induire de cette réponse que ce « médecin très réputé, le professeur Portmann«  faisait partie, lui aussi, des « amis«  d’avant-guerre de Pierre de Bénouville ? Georges Portmann (né en 1890) appartient en effet à une autre génération que celle des amis (ce sont des jeunes gens) que Pierre de Bénouville (né en 1914) cherchait à « recruter«  à Vichy (et aussi, en suivant, à Paris, où il retrouve son ami Michel de Camaret qui, lui, est né en 1915), afin de gagner ensemble l’Algérie : « Humbert de Croy, Alain de Chavagnac, Roger de La Grandière, Albert Bénard, Armand du Tinguy du Pouët, et beaucoup d’autres porteurs de noms de notre terroir » (la liste de ces amis se trouve à la page 43 du  Sacrifice du matin)… ; et, d’autre part, Georges Portmann, membre de la très officielle Commission d’armistice de Wiesbaden, est-il, dès ce début de décembre 1940, converti à la nécessité de reprendre le combat contre les Allemands ? alors que le mois suivant, il va devenir, le 2 janvier 1941, auprès de son ami Pierre-Etienne Flandin, Secrétaire général à l’Information du gouvernement de Vichy, ainsi que directeur de la radio (et cela jusqu’au 16 février suivant, quand Darlan évincera Flandin et ses proches, dont Georges Portmann, du gouvernement de Vichy) : la chronologie du parcours politique (et bientôt résistant…) de Georges Portmann semble ici tout de même un peu bousculée… _,

Je me suis lié avec un médecin très réputé, le professeur Portmann,

qui a accepté _ immédiatement, dès cette rencontre à Vichy, ce mois de décembre 1940 ?..de faire pour moi un réseau« …


Mais cela, à quelle date se fit-il au juste ? Quand « se fit » donc ce « réseau« -là ?

La réponse faite par Pierre de Bénouville à Laure Adler dans le feu de leur conversation, me semble condenser des époques distinctes…

..

Certainement pas dès ce mois de décembre 1940, mais bien plus tard : au moins après avril 1942 (et le retour de Laval au pouvoir à Vichy), et même, le plus probablement _ mais jusqu’ici, je ne l’ai pas encore précisément identifié… _, au cours de la seconde moitié de l’année 1943, à partir de l' »installation » de Pierre de Bénouville à Paris _ où ils purent à nouveau se rencontrer, Georges Portmann y ayant une clinique… _, au mois de juillet 1943 :

ne pas oublier, en effet, que Pierre de Bénouville ne fait la connaissance de Henri Frenay _ grâce à son vieil ami Jacques Renouvin (1905-1944), devenu en 1942 chef national des Groupes francs de Combat (et, après l’arrestation de Jacques Renouvin, le 29 janvier 1943, ce sera Serge Ravanel qui lui succédera à la tête de ces Corps-Francs des MUR…) _ que le 4 décembre 1942, à Montélimar, et ne s’engage très effectivement dans Combat que le 17 décembre 1942 ;

même s’il travaillait déjà pour Henri Frager _ qu’il a connu, lui, presque dès son arrivée sur la Côte d’Azur, au tout début de 1941, vraisemblablement, grâce à leur ami commun, Georges Batault, « replié à Cagnes«  : au moment de son retour dare-dare, après son passage à Vichy, à la mi-décembre 1940, et, surtout, s’être presque fait arrêter, ainsi que son ami Michel de Camaret, le 25 décembre, chez lui, 141 avenue Victor-Hugo, à Paris _ ;

et, par Frager, pour le réseau Carte, d’André Girard…


Je remarque aussi que, alors que,

page 114 du Sacrifice du matin, Pierre de Bénouville fait débuter sa collaboration, via Henri Frager, avec le réseau Carte, au mois de septembre 1941 _ après les épisodes de son arrestation et internement à Alger, puis de son internement, ensuite, à Toulon : c’est en effet le 8 août 1941 que, acquitté par le tribunal militaire de Toulon, Pierre de Bénouville retrouve enfin sa liberté et peut rejoindre « tout de suite Cannes pour y reprendre (ses) contacts« , page 93 du Sacrifice du matin _, Bénouville ne rencontrant  pour la première fois Carte lui-même, André Girard, (à Cannes) qu’un peu plus tard : « Au retour d’un voyage rapide _ qu’il faudrait dater précisément _ au cours duquel j’avais _ venant de son domicile de Biot _ traversé Marseille, Lyon et Clermont-Ferrand pour y retrouver des camarades que je voulais utiliser dans le nouveau service que je créais _ alors, pour Frager (et Carte)… _, Frager me prévint enfin que Carte désirait me voir le lendemain à Cannes » (page 128) : sans plus de précision de datation, cependant (mais Pierre de Bénouville a déjà commencé de se rendre à Genève, et d’y nouer des contacts très fructueux, qui constituent l’amorce de la future Délégation suisse des MUR, qu’il aménagera au cours des premiers mois de 1943, pour Frenay, Combat et les MUR, autour de Philippe Monod et du général Davet ; cf page 123, pour ces tous premiers contacts suisses de Pierre de Bénouville ; cf aussi L’Affaire suisse, page 87)…


Le biographe de Pierre de Bénouville, Guy Perrier affirme cependant, lui, page 75 de sa biographie Le Général Pierre de Bénouville, le dernier des Paladins  :

« Frager recrute Bénouville à l’automne 1942 _ et non pas dès septembre 1941 _ et le fait entrer dans le réseau Carte » ;
et page 76 (et, semble-t-il, d’après surtout, ce qu’en a dit Carte, dans son livre en réponse à celui de Bénouville, Peut-on dire la vérité sur la Résistance ?, paru aux Editions du Chêne, en 1947) :

« Bénouville fera au moins _ écrit prudemment Guy Perrier _ trois voyages en Suisse : novembre 1942, décembre 1942 et janvier 1943« .
La chronologie, ici, demeure donc floue.



Et Pierre de Bénouville ajoute, à propos du Professeur Portmann, toujours page 86 de ses Entretiens avec Laure Adler :

« Je lui avais donné une adresse à Paris, chez une amie _ qui donc était cette amie, Nicole Durand ? _, où on m’adressait le courrier

_ et j’ouvre ici une assez longue incise à propos des divers lieux où Pierre de Bénouville a pu alors se cacher alors à Paris :

à quel moment, cela ? En quelle année ? Probablement pas dès le mois de décembre 1940, quand Bénouville et Portmann font (semble-t-il…) connaissance à Vichy ; mais, vraisemblablement bien plus tard, à partir, au moins, du mois de juillet 1943, quand Pierre de Bénouville, quittant Lyon (comme allait le faire, à sa suite, tout l’état-major des MUR : Bourdet, Baumel, etc.), après l’affaire de Caluire, (re-)vient s’installer (logements et « bureaux« ) en divers lieux de Paris ;

divers lieux de Paris que j’ai essayé de répertorier dans ce qu’en écrit (souvent très elliptiquement) Pierre de Bénouville :

ainsi, pour ce qui est des logements de Pierre de Bénouville (outre ses divers « bureaux« , qui peuvent, eux aussi, servir à l’occasion de planques), en mars 1944, quand sa femme (épousée civilement à Pessan, non loin de Toulouse et tout près d’Auch, le 22 juin 1943 : le lendemain même de la tragédie de Caluire, avec l’arrestation de Jean Moulin) le rejoint à Paris (après leur mariage en pays gascon, celle-ci était restée cachée jusqu’alors chez des amis dans le Cantal), ils habitent (cf page 323 du Sacrifice du matin) « avenue Marceau, l’appartement de la mère _ Marguerite Boissier _ de la fidèle amie _ genevoise _ qu’est Odette Massigli _ épouse du diplomate René Massigli (1888-1988). Les fenêtres de ma chambre donnent sur la cour de la Légation de Suède. » (…) Et « Nizan _ Alain de Camaret _ occupe toujours l’hôtel particulier que j’avais loué pour Frenay _ à Passy, dans l’éventualité du retour de Henri Franay, d’abord de Londres, puis d’Alger _ et qu’avec Pierrot _ Mussetta _ il avait transformé en forteresse. Miranda _ Armand Magescas _ n’a pas quitté son appartement de la rue Saint-Didier. Mais c’est à mon corps défendant _ précise ici Pierre de Bénouville _, car si le centre (sic) du boulevard Haussmann est pris _ et c’est ce qui se produira le samedi 25 mars 1944 ! _, les Allemands retomberont _ aussitôt _ sur son domicile« .  Et Pierre de Bénouville dispose à Paris de pas mal d’autres planques : rue Caumartin, avenue Niel, boulevard des Batignolles ; mais aussi rue de la Pompe, aux Halles, etc. _,

et, bien sûr, forcément, très soigneusement discrets :

courant juillet 1943 (cf le chapitre 48 du Sacrifice du matin, aux pages 282-283-284 : « J’avais organisé mon secrétariat particulier chez une amie d’enfance, Jacqueline Gruner, avenue de Breteuil. Avec elle, je m’étais installé _ voilà ! _ dans différents quartiers de Paris _ voilà !  _, des bureaux, des appartements de travail, des boîtes aux lettres. (…) Mes camarades du Comité Directeur des Mouvements Unis de la Résistance ne tardèrent pas à me rejoindre _ cette fin juillet et durant le mois d’août 1943 _ à Paris. Emmanuel d’Astier revint de Londres » (cela, ce fut le 25 juillet 1943 : une date-repère, donc…) ;

de plus,

et cela juste avant de commencer à loger un moment chez son ami Armand Magescas, rue Saint-Didier (« Je me rendis _ « en zone Nord« , et à Paris, ce mois de juillet 1943 _ en élément précurseur _ c’est là clairement exprimé. A Paris, mon ami Magescas _ né, lui, en 1905 _, que nous appelions du nom espagnol de Miranda _ peut-être du nom de ce camp franquiste par où passaient, internés un trop long moment, la plupart de ceux qui avaient franchi les Pyrénées clandestinement, et s’être fait interpeller par la Guardia civil… ; cf là-dessus cet autre livre passionnant de Robert Belot, Aux frontières de la liberté _ Vichy, Madrid, Alger, Londres _ S’évader de France sous l’Occupation _ parce qu’il s’occupait des lignes traversant les Pyrénées, avait un appartement rue Saint-Didier. Je m’installai _ un moment, donc _ avec lui. Comme il était administrateur d’une société d’exportations et d’importations installée au 76, boulevard Haussmann, je lui proposai de me prendre dans son affaire sous le faux nom, que j’adopterais pour Paris, d’Albert Langlois. Ainsi donc, j’avais une raison sociale, une couverture et un bureau où je pouvais travailler presque au grand jour. Parmi les employés de Magescas, tout le monde me croyait « Langlois »…« , pages 282-283 du Sacrifice du matin),

Pierre de Bénouville, afin de se refaire une santé (!), commence même par séjourner une semaine à l’Hôtel Bristol, ainsi qu’il le raconte avec humour à Laure Adler, page 221 d’Avant que ne vienne la nuit :

« Au milieu de l’été 1943 _ après la tragédie de Caluire, le 21 juin, et son mariage civil avec Georgie Thimonnier, à Pessan, près d’Auch, dans le Gers, le 22 juin dans l’après-midi, et avoir manqué se faire prendre par les Allemands à leur retour à Toulouse, le soir de cette journée (cf le chapitre 47 du Sacrifice du matin, pages 271 à 282) _, alors que j’étais le second de Frenay,

je parcourais _ cette fin juin et ce mois de juillet 1943 : Pierre de Bénouville et son épouse ont pris d’abord le chemin du Cantal (= le train vers Aurillac) _ en tout sens la France clandestine, exalté et de plus en plus surveillé _ son épouse restant alors cachée dans la région de Mauriac… J’étais alors très fatigué. Les Allemands s’approchaient de plus en plus de moi. Je sentais le piège se refermer sur moi. Pour avoir la vie sauve, il fallait se retirer.

Je me suis dit qu’on n’est jamais mieux protégé que chez l’ennemi. J’ai donc décidé d’aller m’installer à l’Hôtel Bristol _ à Paris. (…) Je suis resté dans cette chambre pendant une semaine« , juste avant de « s’installer«  provisoirement chez l’ami Magescas, rue Saint-Didier, et demeurant à Paris désormais ; « J’étais arrivé au Bristol épuisé, affamé, car à l’époque, trouver à manger était une obsession. Dans cet hôtel de luxe, il suffisait de téléphoner au service d’étage et je me faisais apporter tout ce que je voulais sur un plateau« ;

sur la datation de cette ré-installation à Paris de Pierre de Bénouville, puis de la venue à Paris de tout l’état-major des MUR ,

cf aussi le chapitre « Paris en été«  de L’Aventure incertaine de Claude Bourdet, pages 237-238-239 : « Je me souviendrai toujours de cette installation des Mouvements unis fin juillet ou début août 1943. (…) Il fallut trouver des logements et des locaux. (…) Bénouville installa le bureau central du service « Suisse » chez Jacqueline Gruner, avenue de Breteuil (…) Ce grand appartement devint vite un lieu de travail très actif, car les membres du service y préparaient toute la documentation à destination des Alliés (…). Vers la fin d’août, notre installation était complète«  ;

cf encore Jacques Baumel, Résister, page 368 : « Octobre 1943. L’installation des MUR _ à Paris _ est à peu près faite« …) ;

cela, en ce Paris quitté précipitamment au petit-matin, très tôt (à cinq heures, dès la levée du couvre-feu), du 25 décembre 1940, après avoir manqué se faire arrêter, lui et son ami Michel de Camaret, à son domicile d’avant-guerre, 141 avenue Victor Hugo (cf le chapitre 8 du Sacrifice du matin, aux pages 44 à 48 : « Nous sûmes, à la fin de la matinée _ de ce 25 décembre 1940 _, à un rendez-vous que j’avais donné au fils de ma concierge, que c’était à six heures du matin que, suivis de policiers français, les Allemands s’étaient présentés et qu’ils m’avaient demandé«  ; et « Les Allemands perquisitionnèrent chez moi, puis repartirent en emportant quelques papiers personnels. Pendant quatre ans, à intervalles réguliers, ils ne cessèrent jamais de revenir visiter ma maison«  de l’avenue Victor-Hugo, ainsi s’achève ce chapitre 8…).

Fin ici de l’incise sur les divers domiciles parisiens de Pierre de Bénouville, de courant juillet 1943 (à son retour, de Lyon, puis son mariage près de Toulouse, à Paris), jusqu’au tout début avril 1944 (lors de son départ vers l’Espagne, afin de rejoindre Alger).

Je reprends donc le passage interrompu de la page 86 d’Avant que ne vienne la nuit, à propos des liens de résistance noués entre Pierre de Bénouville et le Professeur Georges Portmann :

« Je _ = Pierre de Bénouville _ lui _ = Georges Portmann _ avais donné une adresse à Paris, chez une amie, où on m’adressait le courrier.

Et cette amie s’appelait Nicole Durand _ qui était donc au juste cette Nicole Durand ? Voilà un mystère qu’il faudrait bien élucider…

Le jour où Alain de Camaret a été arrêté _ le dimanche 26 mars 1944 _, il allait relever la boîte aux lettres en question _ dans ce récit tardif de Pierre de Bénouville à Laure Adler, de l’arrestation de Nizan – Alain de Camaret, le 26 mars 1944, il n’est pas question, cette fois, du rendez-vous (et de la souricière) au domicile de Max Brusset, 28 boulevard Raspail. Que doit-on en déduire ?


Au moment où je partais de chez moi _ ce dimanche 26 mars _, avenue Marceau faut-il en déduire que Pierre de Bénouville et son épouse Georgie n’ont pas encore quitté, ce dimanche, l’appartement de l’avenue Marceau, après la catastrophe de la prise par les Allemands du « Centre » de l’avenue de Breteuil ; et pas déjà rejoint l’hébergement de substitution de la rue Hamelin ? En effet, c’est bien le lendemain (le lundi 27 mars 1944) seulement, que s’opèrera ce transfèrement, comme l’indique explicitement La Sacrifice du matin, page 327… _, le matin _ c’est Pierre de Bénouville qui parle ; et dans ce souvenir, plus de cinquante ans plus tard après l’événement, son domicile, ce dimanche 26 mars 1944, était donc encore l’appartement de l’avenue Marceau (celui de la mère d’Odette Massigli, Marguerite Boissier), et pas encore celui (d’un autre ami) de la rue Hamelin, pour lequel il lui faut, à lui et son épouse, déménager de toute urgence… _, je me suis surpris à vérifier _ par précaution : nous sommes bien, ce dimanche, le surlendemain de l’arrestation de Claude Bourdet-Lorrain et de Jacqueline Gruner-Juliette au « bureau«  de l’Avenue de Breteuil, le vendredi 24 mars ; et Pierre de Bénouville était, et c’est peu dire, sur le qui-vive : sur des charbons ardents… _ que la voie _ pour qui ? pour son ami Nizan parti « relever la boîte-aux-lettres«  de chez Nicole Durand (mais aussi, ne l’oublions pas !) pour prévenir Armand Magescas, à son arrivée de Biarritz, à la gare d’Austerlitz…) ? ou bien pour lui-même, Pierre de Bénouville ? Il y a ici une ambiguïté qui fait question… _ était libre.


Et j’ai appelé cette Nicole, et je lui ai dit : « _ Tout va bien, Nicole ? »

Elle m’a dit : « _ Oui, tout va bien, mais pas pour toi ».
Je lui ai dit : « _ Bien. Très bien, merci. »

Et j’ai compris qu’il y avait _ ce jour, aussi, ce dimanche 26 mars, à nouveau _ quelque chose _ de grave _ qui se passait.
La Gestapo _ en effet _ était là _ chez Nicole Durand, donc… _

et a arrêté _ là, à cette « boîte-aux-lettres«  qu’il s’apprêtait à relever… _ un de mes seconds, le frère de Michel, Alain de Camaret _ Nizan _, qui n’est jamais revenu« …


Alors que dans Le Sacrifice du matin, en 1945, Pierre de Bénouville indique, page 326, que
« Nizan _ Alain de Camaret _ est arrivé _ au rendez-vous chez Max Brusset ; et en revenant de la gare d’Austerlitz où il n’avait pas pu retrouver Armand Magescas, puisque c’est sur le quai que celui-ci avait été immédiatement arrêté par les Allemands, à sa descente du train, et que les Allemands avaient quitté la gare avec leur prisonnier « par une porte dérobée«  (page 326 du Sacrifice du matin), à son insu, donc : cela je l’induis du reste des indications… _ exactement à l’heure dite _ dix heures, ce 26 mars 44 ;

et sans que puissent intervenir,

ni Pierre de Bénouville, arrivé trop tard boulevard Raspail (pour l’informer de la souricière tendue là par la Gestapo, comme il en avait été lui-même prévenu, soit par Georges Portmann, soit par Max Brusset…), de son domicile de l’avenue Marceau et de la boîte aux lettres de l’avenue Victor-Hugo ;

ni Max Brusset, qui se cachait chez sa voisine de l’étage du dessus, les Allemands occupant son appartement… _,

et qu’il a été pris immédiatement dans la souricière«  ; ce même dimanche 26 mars 1944, où a donc été arrêté aussi Armand Magescas – Miranda, mais lui plus tôt, ce matin-là, à sa descente du train, sur le quai de la gare d’Austerlitz.


Selon le récit des Entretiens,

c’est au domicile de Nicole Durand que s’est produite l’arrestation de Nizan (« Il allait relever la boîte aux lettres en question« ) ;

alors que c’est au domicile de Max Brusset que cette arrestation est advenue (« Arrivé exactement à l’heure dite _ dix heures _, Nizan a été pris immédiatement dans la souricière« ), selon le récit du Sacrifice du matin

Et si il est assez peu vraisemblable qu’il s’agisse du même domicile, cependant de l’ambiguïté, ici aussi, demeure, et m’interroge : quel lien peut-il donc y avoir entre l’adresse de Max Brusset et l’adresse de Nicole Durand ?.. Cela est à creuser !

Où se situe donc le domicile de cette Nicole Durand à Paris ?..

Et comment parvenir à le savoir ?..

Jusqu’à présent, je n’ai rien découvert concernant cette dame, amie donc de Pierre de Bénouville ;

sinon, tout de même _ mais est-ce vraiment approprié à l’identification de cette personne ? _, ce que rapporte Robert Belot, ce très remarquable chercheur _ et défricheur, ainsi, de détails décisifs ! _, à la page 104 de L’Affaire suisse, avec l’expression _ mais probablement cryptée… _ qu’utilise Philippe Monod (à Genève), en une note adressée à Pierre de Bénouville (à Lyon), le 20 avril 1943,

quand il parle de « la bonne Madame Durand » _ peut-il s’agir de la même personne que la Nicole Durand qu’évoque Pierre de Bénouville dans son récit tardif à Laure Adler ?.. Et qui peut donc cacher ce pseudonyme, si c’en est un, sous la plume de Philippe Monod, en avril 1943 ?.. A cette date d’avril 1943, il faut noter que Pierre de Bénouville ne s’est pas encore « ré-installé«  à Paris, où il n’est retourné, et très brièvement, qu’en février précédent, pour aider (en vain) à délivrer son ami Renouvin, prisonnier à Fresnes (cf Le Sacrifice du matin, pages 226 à 228 : « Le soir même j’étais dans le train roulant vers Paris, que je n’avais pas revu depuis décembre 1940 » ; il y passe deux journées et une seule nuit) ; il y retournera tout aussi brièvement le 16 mai suivant pour y rencontrer Max – Jean Moulin (pages 247 et 248 : « Max était à Paris. J’arrivais à Paris où je n’étais plus allé depuis l’arrestation de Renouvin«  et « Je repartis le soir même pour Mâcon, afin de me concerter avec Frenay« ) ; à propos de ces brefs retours à Paris avant le mois de juillet 1943, je remarque cependant, aussi, cette note de bas de page de Pierre Péan, dans son Vies et morts de Jean Moulin, à la page 428 : « selon Bénouville _ probablement lors d’un entretien Péan / Bénouville le 29 septembre 1998 _, il recrute Magescas lors de son voyage «  : Pierre de Bénouville n’évoque pas ce voyage à Paris au mois d’avril 1943, et, surtout, ses retrouvailles avec son ami Magescas, dans Le Sacrifice du matin_

et, cela, pour le travail de recherche de Robert Belot, d’après « un fonds d’archives inédit constitué de lettres et de notes que le siège de la Délégation à Genève fait parvenir au « Centre « , c’est-à-dire à Lyon, quai Saint-Vincent, où se trouvent _ encore à ce moment, c’est-à-dire au mois d’avril 1943 : aux mois de juillet et août ils déménageront à Paris _ les bureaux du service des relations extérieures des MUR, dirigé par Bénouville, et grâce au courrier retour de celui-ci. Avec le fonds Davet, nous possédons un corpus de toute première importance parce qu’il permet de reconstituer au jour le jour la perception que les résistants avaient des enjeux et des acteurs du moment« , pour reprendre la précision donnée par Robert Belot, page 97 de L’Affaire suisse ;

voici donc ce passage, à la page 104 de L’Affaire suisse :

« L’argent est le thème obsessionnel de cette toute première phase _ celle du mois d’avril 1943, donc _ de l’histoire de la Délégation _ suisse des MUR à Genève. On lui a donné _ à l’argent, donc : très impatiemment attendu des Américains, via leur ambassade de Berne _ le nom charmant de « cadeau de fiançailles », explique Robert Belot. Le « cadeau de fiançailles » est attendu dès la mi-avril _ mais il n’arrivera que le 7 juin… (cf page 117) _ comme le rapporte Monod en termes quelque peu sibyllins :

« 9 m’apprend ce soir _ le 20 ou le 21 avril 1943 _ que son cadeau de fiançailles lui sera livré demain mardi par le bijoutier qui le fera livrer chez 14. Je suis heureux de savoir que la bonne Madame Durand _ voilà l’expression intéressante ! _ se chargera de le transmettre aux époux qui pourront je pense l’admirer avant la fin de la semaine. »

« 9 » est américain, c’est tout ce que nous savons de lui, et de « 14 » nous ignorons tout, comme de « Madame Durand »… », précise en commentaire Robert Belot, page 104 de L’Affaire suisse


Il faut donc constater que le souvenir de l’arrestation de Nizan – Alain de Camaret le 26 mars 1944, tel qu’en fait le récit Pierre de Bénouville à la toute fin des années 90
ne coïncide
ni avec le souvenir-témoignage, en 1982, de Georges Portmann _ qui affirme que c’est Armand Magescas qui fut le seul à être arrêté en arrivant au domicile de Max Brusset, boulevard Raspail _,
ni, non plus, avec le récit premier, et bien plus détaillé, qu’avait fait en 1945 _ si j’en crois, du moins, mon édition de 1983 : il faudrait comparer les textes des éditions successives… _ Pierre de Bénouville dans Le Sacrifice du matin, aux pages 322 à 328 _ Alain de Camaret étant arrêté en arrivant au domicile de Max Brusset, à l’heure prévue (de dix heures)…


Voici donc, maintenant, le détail de ces deux récits,
en commençant par celui de Georges Portmann, page 169 de ses Souvenirs :


après avoir rappelé, à la page 168,
d’abord « les réseaux de résistance qu’animait Pierre de Bénouville, et dont mon fils René fut à ses côtés un des membres les plus actifs«  _ dont acte ! _ ;
puis,

que « c’est 28 boulevard Raspail dans le salon de Max Brusset que je (je = Georges Portmann) lui (lui = Pierre de Bénouville) présentai mon fils _ la date n’en étant pas indiquée…
René Portmann, qui dirigeait en Savoie un des réseaux de résistance _ mais pas auprès de Valette d’Osia, comme je l’avais précédemment envisagé dans mon article du mois de juillet ; là-dessus, j’ai obtenu d’utiles précisions de la part d’Eric Le Normand, de l’AERI _, étant complètement brûlé, avait été rappelé à Paris _ à quelle date ? comment ? par qui ? Nous l’ignorons à ce jour…

Tout naturellement, je proposai à Pierre de le prendre avec lui, ce qu’il fit, après avoir jugé de la qualité de l’homme« ,

voici, maintenant, le récit par Georges Portmann, en 1982, de l’arrestation d’Armand Magescas, pris dans la souricière de la Gestapo au domicile de Max Brusset _ et pas à sa descente du train de nuit en provenance de Biarritz, sur le quai de la gare d’Austerlitz _ :


« Ce salon _ de Max Brusset, 28 boulevard Raspail _ devait d’ailleurs devenir _ quelque temps plus tard cette présentation par Georges Portmann de son fils René à Pierre de Bénouville _ le lieu d’un drame qui fut heureusement limité _ à l’arrestation d’une seule personne : Armand Magescas, selon Georges Portmann _ par une intervention in extremis _ la sienne, après réception, vers neuf heures, de l’information de l’intervention de la Gestapo à dix heures…
Ma vie professionnelle _ raconte le Professeur Portmann _ se passait _ en partie, du moins : en dehors de ses activités maintenues aussi à Bordeaux ; Georges Portmann faisant le va-et-vient entre Bordeaux et Paris _ dans une maison de santé privée, 15 rue Franklin _ à Paris.

Mon bureau était devenu une des boîtes à lettres _ telle celle de Nicole Durand… _ du réseau de Pierre de Bénouville.
Il m’arrivait ainsi de prévenir les membres du réseau du lieu et de la date des réunions _ indépendantes du « bureau » de Juliette, avenue de Breteuil, indique et souligne à plusieurs reprises, de son côté, Pierre de Bénouville dans Le Sacrifice du matin.

Un certain matin _ le rendez-vous du réseau, ce 26 mars 1944, avait été fixé pour dix heures _
Je fus, une heure avant _ vers les neuf heures du matin, donc _, prévenu _ Georges Portmann dispose décidément toujours de très utiles informations… _ que la Gestapo viendrait nous surprendre _ comment la Gestapo en avait-elle été mise au courant ?.. _,

et je téléphonais à tous ceux que je pus atteindre de ne pas se rendre boulevard Raspail.


Pierre _ de Bénouville _ devait venir me retrouver à Franklin, et je pus _ donc, ainsi _ l’intercepter.


Max Brusset, comme il nous le raconta par la suite, resta chez lui jusqu’au dernier moment afin de limiter les dégâts _ mais que pouvait-il faire une fois les Allemands présents dans son appartement, et lui terré, se cachant à l’étage au-dessus, chez sa voisine ? Sinon téléphoner (très brièvement) de chez sa voisine, comme Pierre de Bénouville en a témoigné…

Et il ne s’enfuit par un vasistas dans la maison voisine que lorsqu’il entendit les coups de sonnette des policiers allemands _ ici, le témoignage de Georges Portmann diverge de celui de Pierre de Bénouville.


Malheureusement nous ne pûmes alerter à temps Magescas _ débarquant, lui, du train de Biarritz à la gare d’Austerlitz _ qui tomba entre leurs mains _ en arrivant chez Max Brusset, dans l’esprit de Georges Portmann, semble-t-il, quand il dit : « Ce salon _ de Max Brusset, boulevard Raspail _ devait d’ailleurs devenir le lieu d’un drame _ celui de l’arrestation d’Armand Magescas _ qui fut heureusement limité par une intervention in extremis«  Il fut arrêté, martyrisé et resta gravement handicapé« .


Et voici maintenant le récit des arrestations de ce 26 mars 1944 par Pierre de Bénouville en 1945 dans Le Sacrifice du matin,
qui débute avec le récit de précédentes arrestations, déjà, le 24 mars, au domicile de Jacqueline Gruner – Juliette, avenue de Breteuil,
un des « bureaux«  _ et plus spécialement celui de la « voie Lahire« , vers la Suisse _ où travaillait très fréquemment Pierre de Bénouville à Paris.

Je rapporte ici ce récit à partir de la page 323 du Sacrifice du matin :
« Arrivé de Suisse, Miranda _ = Armand Magescas _ part pour trois jours. Il ira jusqu’à Saint-Sébastien préparer notre passage _ celui de Maurice Chevance et de lui-même, Pierre de Bénouville, par l’Espagne vers Alger, où se trouvent et Frenay et de Gaulle, afin d’y rejoindre ces derniers. Armand Magescas se rend ainsi à Saint-Jean-de-Luz et à Saint-Sébastien préparer les modalités pratiques du dispositif de passage en Espagne, par Ascain et la montagne ; puis du voyage, depuis Saint-Sébastien, vers Madrid.


Pour la durée de mon absence _ à Alger _, je me suis choisi un remplaçant _ à la tête du service des Relations Extérieures des MUR, à Paris, et pour servir de relais-directeur avec la Délégation suisse des MUR à Genève _, René Portmann _ voilà ! mais ce choix peut-il avoir eu lieu avant l’arrestation de Nizan, le dimanche 26 mars 1944 ?.. _, qui a été _ jusqu’à quel moment ? _ responsable des maquis de Savoie _ dans les Bauges et la Maurienne ; mais pas auprès de Valette d’Osia _ ; nous le baptisons La Varende _ mais La Varende, au départ, ne devait-il pas devenir l’assistant de Nizan, plutôt que carrément le remplaçant de Pierre de Bénouville ?..


Je l’initie _ mais à partir de quand ? Peu avant ce projet de départ de Chevance et Bénouville vers Alger ? Ou bien dès, au moins, le mois d’octobre 1943, à suivre l’analyse de la correspondance entre Pierre de Bénouville et la Délégation suisse des MUR, à Genève, que mène très remarquablement Robert Belot dans L’Affaire suisse ? _, avec Nizan _ Alain de Camaret _ et Juliette _ Jacqueline Gruner _, au fonctionnement du service _ des Relations Extérieures des MUR, désormais situé à Paris : depuis juillet-août 1943… (…).


Tout est en ordre. J’ai fait mes adieux à tous mes camarades. Chevance et moi allons partir.


Miranda va rentrer d’un instant à l’autre _ quel jour sommes-nous donc ? vendredi 24 ? samedi 25 ? dimanche 26 ? Non, nous sommes encore, ici, le vendredi 24 _ et me dire _ Armand Magescas est en effet un grand connaisseur des Pyrénées (il est palois ; et d’une famille très anciennement fixée à Peyrehorade, au confluent des Gaves de Pau et d’Oloron, et de l’Adour) ; ainsi que grand connaisseur de l’Espagne, en particulier au cours de la guerre civile espagnole (d’où le choix de ce pseudonyme : Miranda) ; et son épouse est espagnole _ quelle voie nous suivrons _ d’abord pour pénétrer clandestinement de France en Espagne ; ensuite, pour rejoindre, à partir de Saint-Sébastien, Madrid, et Gibraltar, puis Alger.


Il a, pour le surlendemain _ de ce 24 mars, jour dont se souvient ici Pierre de Bénouville ; et le surlendemain, c’est bien le dimanche 26 mars ; et c’est ce 26 mars seulement qu’Armand Magescas débarquera effectivement du train revenant de Biarritz… _, rendez-vous avec nous _ chez Max Brusset, 28 boulevard Haussmann, très probablement… _, vers dix heures du matin _ car c’est bien là l’heure du rendez-vous d’ores et déjà fixé, avec certains (dont Georges Portmann) chez Max Brusset ; et ce que permet en effet, à Armand Magescas – Miranda, cette arrivée très matinale du train de nuit en gare d’Austerlitz ; outre la capacité de passer même auparavant aussi chez lui, rue Saint-Didier, voire au « bureau«  du boulevard Haussmann. Armand Magescas est donc bien au courant de ce rendez-vous fixé chez Max Brusset dimanche 26 mars à dix heures !


Nous sommes _ ce vendredi 24 mars _ en train de déjeuner hâtivement, ma femme et moi, avenue Marceau, lorsque Nizan arrive en trombe _ depuis l’appartement de Passy, probablement, qui lui sert de domicile.
Il attend que le concierge qui sert _ à table _ soit sorti de la pièce et me dit :
_ « La Gestapo est chez Juliette » _ avenue de Breteuil.
Il vient en effet de téléphoner chez notre amie pour lui rappeler que j’irai travailler chez elle l’après-midi,
et tout de suite elle lui a dit qu’elle était très malade et qu’elle ne pourrait pas nous recevoir.
(…)
_ « Je suis très malade », a répété Juliette : « très malade. » (…) « J’en ai au moins pour un an ! »
Je dis à ma femme de m’attendre en préparant _ aussitôt _ nos valises _ il faut e plus vite possible déguerpir ! ; Pierre et Georgie de Bénouville vont trouver à se faire héberger chez un ami totalement indépendant des réseaux de Résistance, rue Hamelin, de l’autre côté de la place de l’Etoile par rapport à l’avenue Marceau ; mais quand se fera ce changement de domicile ? Le lundi 27 mars seulement : le récit de ce départ de l’appartement de l’avenue Marceau pour celui de la rue Hamelin, se trouve à la page 327 du Sacrifice du matin

Je me précipite dans un bureau de tabac proche et, pour vérifier _ cette terrible nouvelle de Nizan _, compose le numéro Suffren 49-10 _ de Juliette – Jacqueline Gruner.
(…)
_ « Je voudrais parler à Mademoiselle Gruner. »
_ « Al est sortie », dit l’homme. « Mais ça serait t’y pas monsieur Barrès ? » (…)  « Et al m’a dit de vous dire », continue la voix, « de bien prévenir tous les copains de venir aujourd’hui. Al est souffrante et pourra pas travailler demain. »
(…)
Nous sommes _ présentement _ seuls, Nizan et moi, pour faire face à l’orage.
Et il faut se presser, car Claude Bourdet qui sait que je devais préparer le courrier pour la Suisse chez Juliette, doit y passer _ ce vendredi 24 mars _ avant quatre heures
_ cf ce que corrige de ce détail Claude Bourdet page 324 de L’Aventure incertaine.


Il n’y a pas moyen de faire autrement : je pars guetter devant la porte _ avenue de Breteuil, donc.
(…)
Un instant je monte chez mes parents qui habitent à deux pas de là. Ils quitteront _ eux aussi _ Paris le jour même _ pour se mettre immédiatement à l’abri des représailles de la Gestapo à l’égard de la parenté de Pierre : il n’y a pas une seule seconde à perdre !
Je reviens prendre ma faction _ avenue de Breteuil.
L’heure limite _ quatre heures de l’après-midi _ s’écoule. Bourdet manque souvent ses rendez-vous et je ne suis donc pas étonné qu’il en soit ainsi aujourd’hui, mais bien au contraire soulagé.
Je rejoins Nizan à qui j’ai fixé un point de rencontre près des Invalides. Lui-même doit non loin de là retrouver La Varende _ René Portmann.


Il faut vite prendre des décisions _ pour la sécurité-survie du Service, et de ses membres : en interrompre l’hécatombe.
D’abord prévenir Chevance que l’avenue de Breteuil _ qu’il connaît lui aussi _ est brûlée.
Puis envoyer tout de même le courrier.
Je ne peux me séparer ni de Nizan ni de Fortoul. C’est Dominique Faroni qui partira vers la frontière _ suisse. J’ignore qui sont Fortoul et Dominique Faroni : probablement des porteurs de courrier.


En prenant le métro vers dix heures du soir _ ce vendredi 24 mars, toujours ? ou déjà samedi ?.. _, nous _ avec qui, précisément, se trouve ici Pierre de Bénouville ? Nizan ? La Varende ? Fortoul ? et où se rend-il ? avenue Marceau, encore ? ou bien rue Hamelin, déjà ?.. Non, le départ, avec son épouse, pour la rue Hamelin ne se produira que le lundi ! _ rencontrons Vélin _ André Bollier _, qui est certain _ hélas à tort _ que Claude n’a pas été pris parce qu’il aurait été retenu ailleurs par un autre rendez-vous. C’est un samedi soir _ le 24 mars était un vendredi. Que déduire de cette donnée, ici (« C’est un samedi soir« …), du récit ? Que le récit de Pierre de Bénouville vient là de condenser les deux journées ?..


Le dimanche _ le 26, par conséquent… _, nous nous concertons _ comment ? où ? et à quelle heure, très tôt le matin… _ avec Nizan et La Varende _ René Portmann, donc : « adjoint« , alors de Bénouville (ou de Nizan) , au service des Relations Extérieures des MUR, avant d’y devenir le « remplaçant«  de Pierre de Bénouville quand celui-ci sera parti, début avril (le soir du 5), vers Alger ; et que Nizan aura été arrêté (un peu plus tard dans cette même matinée du 26 mars : à dix heures !)par la Gestapo…


J’appelle le boulevard Haussmann _ au 76, se trouve en effet un autre des « bureaux«  de Pierre de Bénouville, là où siège l’entreprise d’import-export que dirige Armand Magescas _ d’une cabine téléphonique _ qui donc Pierre de Bénouville cherche-t-il à y contacter ?.. Je l’ignore.
Un Allemand me répond en mauvais français, s’impatiente qu’on ne parle pas. (…) Et il raccroche _ le « bureau«  du boulevard Haussmann est donc désormais lui aussi brûlé ! Nouvelle catastrophe, après celle de l’avenue de Breteuil !..


Avec La Varende, nous bondissons rue Saint-Didier _ au domicile personnel de Magescas. (…) C’est là _ chez lui, à son domicile _ que doit _ au moins possiblement _ se rendre Magescas en sortant du train _ de nuit venant de Biarritz, à la gare d’Austerlitz.
Sur un bout de papier, je gribouille :
« Ne va pas au bureau _ du boulevard Haussmann. Rendez-vous _ impératif ; et c’est un rappel : Miranda, en étant déjà au courant… _ à dix heures chez le gendre de Robert ».


J’ai en effet rendez-vous _ avec qui exactement ? _ ce matin-là _ le dimanche 26 mars _ chez Max Brusset dont le beau-père a pour prénom Robert.
Brusset habite boulevard Raspail _ au 28. Il fut avant guerre chef de cabinet de Mandel.
Et il a conservé de précieux contacts aux PTT. Il doit précisément me faire rencontrer des gens des Postes et de la radiodiffusion _ dont Georges Portmann ? Lequel fut, en effet, à Vichy, du 4 janvier au 16 février 1941, non seulement Secrétaire général à l’Information, mais aussi directeur de la radio : il y connaît beaucoup de monde ; et Pierre de Bénouville (dont le métier est journaliste !) l’avait rencontré (et noué un très précieux contact avec lui) lors de sa venue à Vichy, la première quinzaine de décembre 1940.

De bonne heure, le matin _ de ce dimanche 26 mars 1944 _, Nizan _ qui habite la villa (à trois entrées différentes) de Passy, que Bénouville réserve à l’éventuel retour à Paris, de Londres, puis d’Alger, de Henri Frenay… _ passe me voir _ où ? est-ce déjà au nouveau domicile de la rue Hamelin, si Pierre de Bénouville et son épouse Georgie ont quitté l’appartement de l’avenue Marceau dès le vendredi 24 mars, à l’annonce que le « bureau«  de l’avenue de Breteuil était « brûlé«  ! Non, ils ne quitteront l’avenue Marceau que le matin du lundi 27 mars, avant le déjeuner (cf Le Sacrifice du matin page 327) : le lendemain, par conséquent, de ce dimanche très bousculé.

Je lui confirme _ et lui aussi, comme Miranda, en est informé ; et il n’y a pas (pas encore du moins, de si bonne heure) contre-ordre… _ le rendez-vous _ de dix heures chez Max Brusset.
Et pour plus de sécurité, je lui demande d’aller _ d’abord, auparavant _ attendre Magescas à la gare _ d’Austerlitz, à l’arrivée du train de nuit de Biarritz : nous sommes alors, en effet, de très bonne heure ; et il s’agit d’empêcher coûte que coûte l’ami Magescas de se rendre au « bureau«  du boulevard Haussmann, désormais « brûlé«  ; et même à son domicile de la rue Saint-Didier, probablement lui aussi « brûlé« . Il y a très grave péril en la demeure…


Au moment où je sors de chez moi _ encore avenue Marceau, donc  _, je décide d’aller à deux pas de là pour voir si rien n’est arrivé pour moi dans une boîte aux lettres installée avenue Victor-Hugo et où aboutit une des lignes du Jura.
Je m’y rends. L’amie qui m’accueille _ qui est-elle ? Serait-ce elle, la mystérieuse Nicole Durand ?.. _ n’a rien reçu.


Je la quitte et suis déjà dans l’escalier lorsque le téléphone sonne dans l’appartement. Un instant elle hésite à répondre, puis me prie d’attendre et décroche.
Elle dit :
_  « Un instant. »
Puis, pâle, elle me rejoint :
_ « On demande d’urgence M. Barrès » _ un des pseudonymes de Pierre de Bénouville. « Que dois-je répondre ? »


Je remonte vite,

je cours aux fenêtres qui donnent sur l’avenue pour vérifier qu’aucune voiture suspecte ne stationne,
puis après un instant je me décide à prendre l’appareil et à dire :
_ « Allô ! qui demandez-vous ? »
Je reconnais la voix de Max Brusset que nous appelons Montherlant.
Il murmure plus qu’il ne dit :
_ « Ne viens pas à la maison. Ils sont chez moi. »
La communication est tout de suite coupée.
Comment a-t-il pu savoir le numéro de l’endroit _ cette « boîte-aux-lettres » de l’avenue Victor-Hugo… _ où j’étais ?

J’apprendrais par la suite que la Gestapo s’est présentée chez lui alors qu’il était encore au lit _ sans donc en avoir été prévenu par un coup de fil de Georges Portmann, peu après neuf heures.
Par un escalier intérieur, il a grimpé, à peine vêtu, à l’étage supérieur où une vieille dame, qui dormait encore, n’a pas été autrement surprise de voir entrer chez elle ce monsieur en pyjama.
Elle a accepté de le cacher.


Brusset s’est alors souvenu du numéro de téléphone d’une amie commune _ qui est-elle ? est-ce celle-ci, la fameuse Nicole Durand ?.. _ qui a quelquefois fait des liaisons entre nous.
Il a eu l’idée de lui téléphoner et de lui demander mon adresse _ que Max Brusset, par précaution de sécurité du service, ignorait donc, car « Miranda – Magescas, Nizan », et Pierre de Bénouville lui même, « sont les seuls à connaître«  cette adresse de l’avenue Marceau, celle de « cette demeure qui fut la nôtre pendant de longs mois« , à son épouse, depuis son arrivée, du Cantal, à Paris, et lui-même (Le Sacrifice du matin, page 327)…
Celle-ci _ l’amie contactée par Max Brusset _, bien entendu _ sécurité oblige ! _, l’ignorait. (…)
Néanmoins (…) à tout hasard, elle donna le numéro de téléphone de l’appartement de l’avenue Victor-Hugo. C’était en effet elle qui m’avait fourni cette boîte aux lettres.

Il s’agit maintenant _ poursuit son récit Pierre de Bénouville, page 326, et suite à ce coup de fil de Max Brusset, vers les neuf heures _ d’empêcher _ à tout prix ! _ Miranda-Magescas et Nizan _ Alain de Camaret, parti gare d’Austerlitz prévenir l’ami Magescas à sa descente de train, de ne surtout pas se rendre boulevard Haussmann, au « bureau«  brûlé… _ de monter chez Brusset.


Je me précipite dans le métro _ il n’y a pas une minute à perdre !
Les changements _ depuis l’avenue Victor-Hugo _ sont longs.
Lorsque j’arrive _ aux alentours du 28 boulevard Raspail, le domicile de Max Brusset _, il est _ déjà _ 10 heures passées.
J’apprendrai plus tard _ probablement par Max Brusset _ que Nizan est arrivé exactement à l’heure dite, qu’il a été pris immédiatement dans la souricière _ dès qu’il a sonné _,
et que pendant que je l’attendais _ au dehors, à proximité de l’immeuble _, on le fouillait, on le frappait, on l’interrogeait et que commençait son martyre.

Quant à Miranda-Magescas _ continue son récit Pierre de Bénouville, page 326 du Sacrifice du matin _,
Nizan n’a _ même _ pas vu le voir à la sortie de la gare _ d’Austerlitz : à quelle heure donc ? Très tôt ; bien avant les dix heures du rendez-vous chez Brusset ! _,
car il était attendu sur le quai par la Gestapo
et a été désigné aux policiers dès sa descente de train par la secrétaire de notre société _ celle d’import-export que dirigeait Armand Magescas _ du boulevard Haussmann _ cette adresse du boulevard Haussmann ayant été elle-même découverte probablement lors de l’intervention de la Gestapo chez Jacqueline Gruner – Juliette, le vendredi 24 mars, avenue de Breteuil.
Cette femme ignorait tout de notre société secrète (…). Quelques claques vigoureuses la feront parler.
Ainsi elle acceptera de dire qu’elle croit que Miranda-Magescas _ le patron de l’entreprise d’import-export _ va rentrer de Biarritz par le train du matin.
Cela ne l’empêchera pas d’être déportée«  (…) : « comme juive. Nous avions toujours ignoré qu’elle l’était« …

Les catastrophes, avenue de Breteuil le 24, boulevard Haussmann le 25, à la gare d’Austerlitz et boulevard Raspail le 26 mars 1944, se sont ainsi enchaînées, ces terribles trois jours de la fin mars 1944.

A propos de cet enchaînement de catastrophes de la fin mars 1944

_ il faut y ajouter, en effet, la catastrophe du samedi 25 mars, comme l’indique Claude Bourdet, page 324 de L’Aventure incertaine : « Les catastrophes ne s’arrêtèrent pas là _ à son arrestation, après celle de Juliette – Jacqueline Gruner, et la main-mise par la Gestapo sur tous les papiers de ce « Centre » de la « Voie Lahire« , avenue de Breteuil… _ : le lendemain _ du vendredi 24 mars, avec la double arrestation de Claude Bourdet lui-même et de Jacqueline Gruner, avenue de Breteuil : le samedi 25 mars, donc _, un autre bureau de la « Voie Lahire » _ celui du boulevard  Haussmann : c’est très probablement à celui-là que Claude Bourdet fait ici allusion _ était pris ; le surlendemain _ le dimanche 26 mars _, Camaret et Magescas étaient arrêtés _ dans quel ordre ? d’abord, Magescas, à sa descente de train ; ensuite Camaret, ayant sonné chez Max Brusset, vraisemblablement. Je les ai retrouvés à Compiègne le 1er ou le 2 juin« , indique Claude Bourdet, page 335 de L’Aventure incertaine : pas moins de deux mois après, les mois d’avril et de mai s’étant donc écoulés pour eux dans les geôles et entre les griffes de la Gestapo… ;

et c’est bien de Compiègne que tous ces membres (et amis entre eux) de Combat et des MUR partirent ensemble, en un même convoi, pour l’Allemagne, « probablement le 3 au matin, car nous sommes restés trois jours en route, et nous sommes arrivés le 6 _ juin 1944. Je m’étais joint _ Claude Bourdet, ici, poursuit son récit, à la page 337 de son livre _ aux camarades que je connaissais, en particulier Alain de Camaret, Armand Magescas et d’autres camarades _ encore : lesquels ? _ du service de Bénouville, arrêtés fin mars » ;

« Enfin, un matin au petit jour _ le 6 juin 1944 _, nous sommes arrivés au camp de Neungamme« , où, plus tard dans la journée, un « Hollandais, prisonnier politique » dira « avec un grand sourire dans les yeux : « ils ont débarqué ce matin à l’aube en Normandie ; faites passer« … », ainsi que rapporte cet élément de datation en effet mémorable, Claude Bourdet à la page 339 de L’Aventure incertaine.

Fin ici de l’incise de ce que rapporte Claude Bourdet des conséquences de l’intervention des Allemands au « bureau«  de l’avenue de Breteuil, et « centre«  de la « voie Lahire« , le 24 mars 1944 _ ;

À propos de cet enchaînement de catastrophes de cette fin mars 1944,

je détache cette remarque rétrospective de Pierre de Bénouville, récapitulant la succession des arrestations, cette fin mars 1944, page 327 du Sacrifice du matin :

« Quelles sont les découvertes faites par la Gestapo ? Comment a-t-elle pu intervenir _ aussi _ chez Brusset qui fait partie d’un circuit tout à fait différent _ il faut le souligner _ de celui où j’ai inséré Juliette ? » _ Jacqueline Gruner, arrêtée chez elle, avenue de Breteuil _ ;

et encore cette autre remarque, page 333 du Sacrifice du matin :

« Les Allemands ont dû trouver chez Juliette _ avenue de Breteuil, donc _, sur un morceau de papier oublié ou dans un carnet, l’adresse du boulevard Haussmann, où celle-ci n’était venue qu’une fois.

Cependant leur intervention boulevard Raspail, chez Brusset, demeure _ elle _ inexplicable » _ étant donné le cloisonnement des services ainsi que des agents, auquel veillait impérieusement Pierre de Bénouville, probablement sur les conseils très stricts de Jean Gemälhing,

comme l’indique aussi pour sa part Jacques Baumel dans son Résister, pages 85 à 87 :

« Gemähling avait mis au point un certain nombre de règles qui peuvent paraître aller de soi, mais qui étaient difficiles à respecter, et pourtant impératives si on voulait espérer survivre plus de six mois. (…) Ces règles étaient développées dans un véritable petit guide du parfait espion que Gemähling avait rédigé avec une virtuosité remarquable. Il l’avait fait taper par une secrétaire de Belpeer _ un ami commun marseillais : Jacques Baumel vivait à Marseille ; et Jean Gemälhing a fait partie, à Marseille, du réseau de Varian Fry… _ et m’en avait confié un exemplaire. J’ai malheureusement perdu ce texte étonnant dans mes pérégrinations ultérieures. Tout y était répertorié. (…) Je dois à mon observance presque maniaque de ces règles d’avoir non seulement survécu, mais, ce qui est une sorte d’exploit, de n’avoir jamais été arrêté par les forces de répression » _ bien que n’ayant jamais quitté, lui, Jacques Baumel, le territoire métropolitain toutes ces années d’Occupation, ni pour Londres, ni pour Alger ; mais résidant, jusqu’à la Libération, d’abord dans le Midi (Baumel est marseillais), puis à Lyon, et ensuite à Paris, ou parcourant la France occupée.


Ces journées du vendredi 24 et du dimanche 26 mars 1944, ont été ainsi arrêtés, le vendredi 24, Jacqueline Gruner – Juliette et Claude Bourdet – Lorrain ; puis Armand Magescas – Miranda, le dimanche 26, très tôt le matin. Puis, un peu plus tard, à dix heures, Alain de Camaret – Nizan, toujours ce même dimanche 26 mars… Et peut-être, ou probablement, d’autres…


Et ici, à propos de ces divergences de témoignages-souvenirs que j’ai en ce travail de confrontation relevées,
je voudrais citer une belle réflexion de Claude Bourdet sur la très réelle difficulté d’apporter à la détermination des faits historiques, la contribution, le temps passant, des souvenirs, même les plus sérieux et sincères, des acteurs et témoins de l’Histoire, page 146 de L’Aventure incertaine :


« Je me suis étendu sur ce problème _ celui des incertitudes de datation et de contextualisation, pour qui essaie de témoigner par l’acte de se souvenir, de faits vécus passés… _ pour montrer comme il est difficile, trente ans après _ les faits _, de rapporter de manière tout à fait précise _ et sans erreur _ des événements auxquels on a été pourtant étroitement mêlé. Moulin, Delestraint, Marcel Peck, les trois hommes qui auraient _ à propos de l’occurrence précise dont Claude Bourdet traite alors, à propos d’événements du mois de septembre 1942 _ qui auraient pu le mieux _ aider, contribuer, à _ préciser cette chronologie, sont morts. Aucun de nous ne tenait de « journal ». Chacun conserve un souvenir assez vivant des événements _ certes _, mais quant aux dates, quant aux relations _ très importantes pour comprendre ce qui s’est passé, et l’établir le mieux possible… _ avec d’autres faits qui se sont produits à la même époque, c’est plus douteux. C’est pourquoi on relève certaine contradictions dans tous les récits.« 


C’est bien sûr là que doit venir prendre le relais des témoignages des acteurs de l’Histoire, le travail propre, et spécifique, des historiens :

vérifiant la stricte matérialité des faits mêmes, et les contextualisant sans relâche, afin d’affiner leurs analyses de ce qui s’est passé, et en commençant, forcément, par essayer d’établir _ et c’est fondamental et basique ! _ ce qui s’est effectivement produit _ en mettant la précision maximale possible sur les lieux et sur les dates, voire les horaires ; ainsi que sur l’identification des personnes… _ ; en s’appuyant aussi, outre la critique des divers témoignages dont ils disposent, sur ce que peuvent nous apprendre, jour après jour, des archives parmi celles qui sont heureusement conservées, quand elles sont judicieusement explorées et interrogées. Soit un chantier complexe et riche, ouvert à l’infini _ tant le moindre détail devient très important pour qui peut en tirer parti…


Maintenant,
sur le parcours de résistance singulier de René Portmann (= La Varende, Godard, 3bis, 15 : soient les divers pseudonymes qu’indique Robert Belot dans L’Affaire suisse _ la Résistance a-t-elle trahi de Gaulle ?…),
j’ai repéré et lu avec soin tout ce qu’en dit Robert Belot dans L’Affaire suisse (aux pages 36, 219, 261 à 263, 280 à 283, 295, 321-322, 327, 363 à 365, 384, 398-399, pour être exhaustif).


Or la chronologie accessible, semble ici indiquer _ cf déjà mon article du mois de juillet : La fécondité magnifique du détail dans le travail d’enquête de Robert Belot sur les Résistances en France sous l’Occupation _ que René Portmann est en étroite liaison avec Pierre de Bénouville bien avant ce mois de mars 1944 quand Pierre de Bénouville lui demande de s’apprêter à le remplacer _ en fait, probablement, d’abord remplacer Nizan – Alain de Camaret (initialement prévu pour le remplacer lui, Bénouville) ; puis, une fois Nizan arrêté, alors le remplacer lui-même : par la force de ce tragique concours de circonstances !.. _, à Paris, au Service des Relations Extérieures des MUR, quand il a décidé (ainsi que Maurice Chevanche) de partir au plus tôt rejoindre _ en fait,ce sera aux premiers jours d’avril _, et via le très risqué passage en Espagne, Alger :


soit au moins dès le 22 octobre 1943 (à suivre ce qu’indiquent les remarquables analyses _ d’après les archives du service des Relations Extérieures des MUR et celles de sa Délégation suisse de Genève _, de L’Affaire suisse, à la page 283).


Cf, ainsi, les diverses références aux courriers échangés (envoyés ou reçus par René Portmann) :
le 17 janvier 1944 (page 264),
le 31 janvier 1944 (page 280),
vers le 2 février 1944 (page 281),
le 5 février 1944 (page 321),
et deux courriers le 18 février 1944 (pages 321 et 322)
que cite et utilise Robert Belot en son livre.


C’est pour cela que la chronologie des diverses activités de résistance de René Portmann m’intéresse spécialementnotamment les modalités de son passage des maquis des Corps-francs de Savoie, dans les Bauges et la Maurienne _ Georges Portmann, son père, est natif de Saint-Jean-de-Maurienne…au Service des Relations Extérieures des MUR à Paris _ via peut-être, aussi, un passage par Lyon : mais dès le mois d’août 1943, les services des MUR ont tous quitté Lyon pour s’installer à Paris _et, plus spécialement encore, en rapport avec la Délégation de Genève des MUR, dirigée, là-bas, par le général Davet et Philippe Monod : peut-être Éric Le Normand, qui connaît particulièrement ce dossier des maquis de Savoie, pourra-t-il apporter sur ce point de nouvelles précisions...

Et je recherche aussi des précisions sur ces personnes trop rarement citées dans les travaux des historiens : Max Brusset _ qui fut chef de cabinet de Georges Mandel au ministère des PTT _, Nicole Durand, etc. : membres plus obscurs, jusqu’ici, des réseaux de Pierre de Bénouville…

De même que j’aimerais savoir ce que sont devenus, après la guerre _ et d’abord dans l’immédiat après-guerre _, ceux de ces Résistants qui ont survécu à ces événements :

_ par exemple Armand Magescas, à son retour de déportation _ à la différence d’Alain de Camaret, ou de Jacqueline Gruner, qui ne sont pas rentrés : je sais seulement que Pierre de Bénouville l’a fait travailler avec lui aux Editions Robert Laffont  _,

_ et aussi, bien sûr, René Portmann :

pourquoi la chronique historiographique est-elle aussi silencieuse à son sujet ?

De même, déjà, que les propres témoignages de Pierre de Bénouville sur lui, tant dans Le Sacrifice du matin que dans Avant que la nuit ne vienne ;

_ ainsi que Georges Portmann, du moins avant son brillant retour au Sénat le 19 juin 1955 :

quels éléments de son dossier concernant ses activités de Résistance, conduisirent-ils à son acquittement le 27 février 1946 par la Haute Cour de Justice ?

L’Histoire de l’épuration, de Bénédicte Vergez-Chaignon, qui, page 510, cite seulement _ hélas _ le nom de Georges Portmann au sein d’une liste d’autres personnalités acquittées _ sans nulle précision, ni commentaire _, demeure, je l’ai déjà dit, décevante, du moins pour ma recherche le concernant, lui.

Sans compter que n’existe à ce jour aucun travail historiographique consacré ce bordelais éminent qu’a été George Portmann !

Tout cela est à suivre…

À côté de mon enquête principale de micro-histoire,

je veux dire celle que je poursuis sur le parcours de mon père, homme discret, dans le Sud-Ouest sous l’Occupation,

entre juin 1942 et septembre 1944…

Titus Curiosus, le 27 septembre 2014

La fécondité magnifique du détail dans le travail d’enquête de Robert Belot sur les Résistances en France sous l’Occupation

31juil

Il faut féliciter la fécondité magnifique du travail d’enquête de l’historien Robert Belot, en son patient et subtil défrichage et labourage de la complexité, en son détail, des Résistances en France sous l’Occupation.

Ma lecture de cet œuvre très riche a procédé, au départ, d’un conseil tout à fait ponctuel, de l’oloronais Pierre-Louis Giannerini, à partir de la recherche à laquelle je procède, depuis un peu plus d’un an, concernant le parcours, sous l’Occupation, de mon père, et en l’occurrence des rapports que celui-ci a eus, à Oloron (et aussi à Toulouse), en 1943-1944, avec un groupe de résistants locaux, affiliés à l’Armée secrète, autour du capitaine des chasseurs pyrénéens, Jean Bonnemason. Plus précisément, en cette occurrence, il s’agissait pour moi de préciser les activités de résistance des membres de la famille Galtier d’Auriac, en particulier le père, Charles Galtier d’Auriac, et le plus jeune de ses trois fils, Jacques. Or Pierre-Louis Giannerini avait relevé les mentions que Robert Belot, en son Aux frontières de la liberté _ Vichy, Madrid, Alger, Londres ; s’évader de France sous l’Occupation (paru aux Éditions Fayard en 1998), fait du docteur Henri Galtier d’Auriac, le second des trois fils, pour son activité sanitaire au camp de Miranda-de-Ebro ; et il m’en a fait part. S’ouvrait ainsi là pour moi une nouvelle piste de recherche…

La méthode, infiniment précise de Robert Belot, et appuyée sur des références à des documents et archives, en ce très riche et très détaillé Aux frontières de la liberté _ Vichy, Madrid, Alger, Londres ; s’évader de France sous l’Occupation, m’a immédiatement passionné, de même que, sur le fond, sa focalisation sur des résistants, au départ du moins, non spécifiquement gaullistes _ par exemple, beaucoup d’entre eux demeureront toute la guerre maréchalistes (et anti-gaullistes), et certains (ou d’autres), passeront par l’étape giraudiste…

Et cela fait un peu plus d’une année que je m’initie, donc, au fait que la Résistance a débordé, et très, très largement (!), et la résistance gaulliste, et la (plus tardive, elle _ à partir de l’invasion par Hitler de l’URSS, le 22 juin 1941, mettant fin au pacte germano-soviétique du 23 août 1939… _) résistance communiste ; par delà les représentations très longtemps dominantes que gaullistes et communistes ont diffusées et sont parvenus longtemps à faire largement régner ! Cf ici les très opportunes synthèses et mises au point historiographiques du récent (2012) judicieux recueil d’articles de Denis Peschanski, Les Années noires 1938-1944 (aux Éditions Hermann)…

D’où mon désir d’approfondir cette connaissance en lisant, du même Robert Belot, La Résistance sans de Gaulle _ politique et gaullisme de guerre (paru aux Éditions Fayard, en 2006) : un livre très important et très éclairant, pour mon plus grand profit ! Et parallèlement, j’ai lu aussi le passionnant Les Vichysto-résistants _ de 1940 à nos jours (paru aux Éditions Perrin, en 2008) de Bénédicte Vergez-Chaignon.

Ces deux ouvrages, La Résistance sans de Gaulle et Les Vichysto-résistants, constituent deux indispensables pour quiconque cherche à se faire une idée un peu juste de ce que fut la Résistance !

De là, je suis passé à l’excellent Les Résistants _ l’histoire de ceux qui refusèrent, de Robert Belot avec Eric Alary et Bénédicte Vergez-Chaignon (paru aux Éditions Larousse, en 2003) : autre travail de précision très riche, centré, à la fois, sur des singularités de personnes, mais aussi présentant d’éclairantes synthèses chronologiques.

Puis, j’ai lu, toujours de Robert Belot, son Henri Frenay _ de la Résistance à l’Europe (paru aux Éditions du Seuil en 2003), centré cette fois sur l’évolution, tout au long de sa vie, de la personnalité et des activités du fondateur de Combat, au-delà des conflits qui ont pu l’opposer (très vivement) au général de Gaulle, ainsi qu’à Jean Moulin, notamment ; ainsi qu’aux membres des mouvements de résistance concurrents de Combat, tel Emmanuel d’Astier de la Vigerie, le chef de Libération-Sud….

Puis,

pardon du désordre pour ce qui concerne le décalage entre le suivi de la recherche de Robert Belot, et le décousu de ma propre découverte de son œuvre,

j’ai alors lu Les Secrets de la résistance (paru en 2013 aux Éditions Vuibert) : avec, notamment, trois passionnants chapitres concernant plus particulièrement Pierre de Bénouville : « Les Américains ont-ils tenté de manipuler la Résistance intérieure ? » (pages 181 à 200) ; « Le mystère Caluire » (pages 201 à 213) ; « Hardy, le traître ? » (pages 215 à 227)…

Entre-temps,

suite à ma curiosité concernant les rapports de mon père et de son maître en ORL le professeur Georges Portmann

_ c’est celui-ci, en effet, qui début juin 1942, prévint mon père, son assistant en ORL à la faculté de Médecine de Bordeaux, que la Gestapo allait venir l’arrêter ; mon père quitta alors précipitamment Bordeaux pour rejoindre, en zone libre, Oloron, où résidaient deux des oncles de sa fiancée (= ma mère) : c’est le 7 juin 1942 que mon père franchit clandestinement la ligne de démarcation à Hagetmau, jusqu’où ma mère et sa sœur Marcelle l’avaient accompagné, et se dirigea alors vers Oloron : un autocar avait été  affrété par des membres (?) de la Résistance bordelaise, dont une infirmière de la clinique Bagatelle, afin d’aider à faire passer en zone non occupée diverses personnes spécialement menacées… _,

 je m’étais plus spécialement intéressé, en effet, à l’action de Pierre de Bénouville, membre très important de Combat, puis des M.U.R., à travers la Délégation suisse, qu’il dirigeait de Lyon _ jusqu’à la tragédie de Caluire, le 21 mars 1943 ; lui, le 22 juin, se mariait à Pessan, près d’Auch, dans le Gers… _, puis de Paris _ à partir des mois de juillet-août 1943 _, par le Service des Relations Extérieures (R.E.) de ces organisations successives, Combat, puis les M.U.R. :

ainsi ai-je très attentivement lu Avant que la nuit ne vienne, Entretiens de Pierre de Bénouville avec Laure Adler (parus aux Éditions Grasset en 2002) ;

ainsi que la biographie Le Général Pierre de Bénouville _ le dernier des paladins, que Guy Perrier a consacrée à Pierre de Bénouville (parue aux Éditions du Rocher en 2005) ;

et faute de pouvoir me procurer et suivre en son plus précis détail ce document majeur qu’est Le Sacrifice du matin _ pour le moment Le Sacrifice du matin, que Pierre de Bénouville fit paraître en 1945, aux Éditions La Palatine, à Genève, en Suisse, en 1945 ; puis re-publia bientôt, avec quelques modifications, aux Éditions Robert Laffont, en 1946, n’est hélas pas disponible en librairie. Que ne le ré-édite-t-on donc pas !..


Et c’est alors que j’ai lu avec passion, toujours du plus que passionnant Robert Belot _ que n’a-t-il la notoriété que son travail si précis et fouillé, et si judicieux, mérite ! _, L’Affaire suisse _ la Résistance a-t-elle trahi de Gaulle ? (paru aux Éditions Armand Colin en 2009) :

et c’est là, dans ce palpitant L’Affaire suisse _ la Résistance a-t-elle trahi de Gaulle ?, que j’ai pu enfin découvrir,

et cela à partir de ce que m’avaient ouvert deux pages, les pages 168 et 169 de Contacts et Pensées _ Souvenirs, de Georges Portmann (parus aux Éditions Bière en 1982), affirmant l’existence _ assez tôt ?.. _ de liens de résistance entre Pierre de Bénouville et Georges Portmann,

lesquels, après avoir pris un premier contact à Vichy à la fin de l’automne _ début décembre _ 1940 (cela, c’est Pierre de Bénouville qui l’indique, en ses Entretiens avec Laure Adler, Avant que la nuit ne vienne, page 86), eurent des liens très effectifs de réseau (et « boîte à lettres« ) à Paris, tout particulièrement au début 1944, avant le départ pour Alger de Pierre de Bénouville, au début du mois d’avril :

les trop rapides références de Georges Portmann (pages 168-169 de ses Souvenirs de 1982, donc) à l’épisode de l’intervention de la Gestapo, le 26 mars 1944

_ soit très exactement deux jours après l’arrestation de Claude Bourdet, arrêté lui le 24 mars, avenue de Breteuil, au « bureau qu’y avait Pierre de Bénouville ; ce secrétariat, tenu par la nièce du pasteur Boegner, Jacqueline Gruner _ dite Juliette _, était la gare de triage de la « voie Lahire » _ du nom du premier pseudonyme donné par Henri Frenay à Pierre de Bénouville le 4 décembre 1942, à Montélimar _ par laquelle passaient en Suisse les renseignements fournis et les demandes présentées par l’ensemble des mouvements, et par où revenaient souvent les fonds qui constituaient notre viatique quotidien« , précise Claude Bourdet, page 322 de L’Aventure incertaine _ de la Résistance à la Restauration _,

au domicile de Max Brusset (28 Boulevard Raspail, à Paris), où avait prévu de se réunir leur réseau, et qui vit la capture du seul Armand Magescas _ selon le souvenir, en 1982, de Georges Portmann _, qui n’avait pas pu, lui, être contacté par Georges Portmann (Magescas (= 4) revenait, en effet, tôt ce matin-là, de Biarritz, par le train

_ c’est Guy Perrier, dans sa biographie de Pierre de Bénouville, Le Général Pierre de Bénouville _ le dernier paladin, parue aux Editions du Rocher en 2005, qui donne cette précision, page 128 : « Bénouville passe ses consignes, l’esprit en repos, et prépare son départ pour Alger via l’Espagne. Mais pas pour longtemps. A la suite de trahisons et d’indiscrétions, les Allemands ont déclenché une vague d’arrestations : Juliette, agent de liaison _ mais peut-on qualifier Jacqueline Gruner – Juliette, d’« agent de liaison » ?.. _, à son domicile ; Magescas, à son arrivée en gare _ et pas chez Max Brusset, comme selon le témoignage de Georges Portmann ? _ à son retour de Biarritz ; Nizan _ = Alain de Camaret _ qui connaît toutes les boîtes à lettres et toutes les adresses. Barrès _ = Bénouville _ perd avec eux _ le 26 mars 1944 _ deux amis très chers. D’autres arrestations se succèdent _ ou plutôt ont précédé, si l’on se reporte au témoignage de Claude Bourdet, et à sa chronologie _, dont le n°1 de Combat, Claude Bourdet, le 24 mars. Le service est décimé«  _),

ont terriblement sollicité ma curiosité !!! _,

c’est là, dans cette passionnante Affaire suisse de Robert Belot _ et ce qu’a tiré Robert Belot des archives conservées de la correspondance entre Pierre de Bénouville et la Délégation suisse à Genève _, que j’ai donc pu découvrir de très utiles précisions sur la participation de René Portmann (5-12-1919 – 1-8-1957), le fils aîné de Georges Portmann, le maître en ORL de mon père,

au réseau (du Service des Relations extérieures des M.U.R., en charge de la direction de la Délégation suisse, à Genève) de Pierre de Bénouville, aux pages 36, 219, 261, 262, 263, 264, 280, 281, 283, 295, 321 (pour deux occurrences), 322, 324, 327, 363, 364, 365, 395, 398, 399 et 415 de L’Affaire suisse, pour être très précis ; et cela, avec les divers pseudonymes de René Portmann : d’abord 3 bis _ quand 3 est Bénouville, René Portmann, 3 bis, est son adjoint ! _, puis Godard _ quand Bénouville part pour Alger, courant avril 1944, c’est René Portmann, Godard, qui désormais le remplace ! _, mais aussi La Varende (et encore 15)

_ même si Robert Belot orthographie le nom de Portmann avec un seul N, au lieu de deux ; et semble aussi ignorer que René Portmann est le fils (aîné) du Professeur Portmann ; ce Georges Portmann dont le nom n’apparaît pas une seule fois dans le livre ; pas davantage qu’en aucun de ceux que j’ai pu lire jusqu’ici de Robert Belot.

Le nom complet de Portmann, avec ses deux N, fonctionne ainsi pour moi comme une sorte de tâche aveugle dans le travail d’enquête de Robert Belot, et un détail qu’il convient en quelque sorte d’aider à porter à élucidation…

De fait, quand, début avril 1944, Pierre de Bénouville quitte Paris afin de gagner Alger (et rejoindre là-bas Henri Frenay, qui se trouve désormais auprès du général de Gaulle), c’est bien René Portmann, qui déjà était « son adjoint » (page 283 de L’Affaire suisse), qui désormais, carrément, « le remplace » au sein de leur réseau _ devenu celui des M.U.R., après avoir été celui de Combat _, à la tête de cette articulation avec la Délégation suisse, à Paris et sur le territoire métropolitain, qu’est le Service des Relations Extérieures (ou R.E.) des M.U.R. : « Godard (René Portman, dit aussi « La Varende », a été responsable des maquis de Savoie ; il remplace Bénouville après son départ de France)« , écrit, par exemple, Robert Belot, page 324 de L’Affaire suisse.

Et effet, il s’avère, d’après Robert Belot, que le nom de code de René Portmann, dans cette correspondance Paris-Genève, est 3 bis quand il est l' »adjoint » c’est le mot qu’utilise Robert Belot page 283 _ de Bénouville (lui-même codé 3) à Paris et en France _ j’ai relevé que les occurrences de ce pseudonyme 3 bis dans le texte de Robert Belot, concernent la correspondance du Service allant d’octobre 1943 à février 1944 : d’abord le 22 octobre 1943, puis les 17 et 31 janvier 1944, ensuite vers le 2 février, et enfin les 5 et 18 février 1944 (et dans les deux sens, ce jour-là) _ ;

et qu’il devient Godard _ essentiellement pour les membres de la Délégation suisse, à Genève _ une fois que, Pierre de Bénouville étant parti pour Alger, début avril, c’est lui qui le « remplace » désormais à Paris : dans la correspondance que cite Robert Belot dans L’Affaire suisse, cela concerne des courriers allant du mois de mai 1944 au mois d’août _ les 4 et 30 mai (et dans les deux sens ce jour-là), le 7 juin, le 28 juillet et enfin le 3 août 1944 ; je note aussi que Robert Belot, pour de désigner le lien de René Portmann à Pierre de Bénouville, au sein du service  des Relations Extérieures des M.U.R.,utilise le mot « remplace » aux pages 280, 324 et 363 ; et le mot « successeur » aux pages 219 et 327.

Reste à se demander pourquoi Robert Belot n’a pas consacré, en son livre, une plus ample présentation, ou quelque notice tant soit peu détaillée, à ce membre notable _ « remplaçant«  et « successeur » de Pierre de Bénouville au R.E. des M.U.R. d’avril à août 1944 : était-ce donc si peu de chose ?.. _ du Service des Relations extérieures des M.U.R., et en charge d’avril à août 1944 de la connexion, à Paris, avec la Délégation suisse à Genève, que fut René Portmann…

Une partie de la réponse se trouve probablement aux toutes dernières pages (pages 363 à 367) du dernier chapitre du livre, juste avant la Conclusion de L’Affaire suisse, quand, citant et commentant longuement la « dernière note, du 28 juillet 1944 » (page 363) de Godard « à ses hommes en Suisse » (page 364), Robert Belot explique l' »amertume » (page 363) de celui-ci à l’égard du CNR « qui refuse de reconnaître toute dimension politique à la Délégation » (page 363) et « avoue son échec » (page 363). Son efficacité est en effet alors quasi nulle : à cette date du 28 juillet 1944, « la Délégation ne peut plus que transmettre des messages désespérés _ à propos des maquis qu’il s’agissait d’aider : en armes, comme en subsides… _ qui n’auront guère de suite » (page 365) ; et « l’heure n’est plus au combat clandestin. La logique d’Etat _ du gouvernement provisoire du général De Gaulle _ doit l’emporter et normaliser les pratiques, diplomatiques et politiques » _ des Résistants (page 366)…

En ses Souvenirs de 1982,

et évoquant la personnalité flamboyante de son « ami » Pierre de Bénouville à l’occasion d’une campagne électorale un peu mouvementée à Rennes

_ ainsi, n’est-ce qu’au passage, et pour terminer plus fortement, et même avec gravité, son portrait-hommage de Pierre de Bénouville, que Georges Portmann évoque (mais discrètement et pour l’unique fois !) ses propres activités de Résistance : il ne les mentionne, en effet, nulle part ailleurs parmi les 555 pages de ses pourtant copieux Souvenirs ; ni, non plus, en aucune de ses autres publications : Georges Portmann _ son action parlementaire, scientifique, sociale (aux Editions Delmas en 1955) ; Le Crépuscule de la paix (Editions Delmas, 1955) ; Sur une planète rétrécie (Editions Delmas, 1959) ; et Réflexions sur un monde déréglé (Editions Delmas, 1962), je l’ai vérifié… ; et en se focalisant sur les activités de Résistance de son fils René : « je m’en voudrais de ne pas rapporter l’un des épisodes les plus impressionnants des réseaux de résistance qu’animait Pierre de Bénouville, et dont mon fils René fut à ses côtés un des membres les plus actifs«  _,

le père de René Portmann, Georges Portmann, indique ainsi que « c’est 28 boulevard Raspail dans le salon de Max Brusset que je lui _ = Pierre de Bénouville _ présentai mon fils _ probablement au cours de la seconde moitié de l’année 1943 : le premier échange de courrier entre René Portmann et Pierre de Bénouville que cite Robert Belot, page 283 de L’Affaire suisse, porte la date du 22 octobre 1943.

René Portmann, qui dirigeait en Savoie un des réseaux de résistance _ auprès de Jean Valette d’Osia ? _ étant complètement brûlé, avait été rappelé _ comment ? par qui ? et à quelle date ? Tout cela demeure à éclaircir… _ à Paris.

Tout naturellement (sic), je proposai à Pierre

_ George Portmann et Pierre de Bénouville se connaissent semble-t-il depuis l’automne 1940, s’étant rencontrés alors (début décembre) à Vichy :

Georges Portmann, membre éminent déjà du Sénat, où il avait été élu, pour représenter la Gironde, pour la première fois en 1932 ; et sommité médicale de rayonnement mondial en ORL (même le chancelier Hitler avait sollicité ses services, en 1934, comme Georges Portmann le rapporte aux pages 515 à 517 de ses Souvenirs), était membre de la Commission d’armistice de Wiesbaden, dont il allait démissionner (cf page 13 de la Préface de René Massot, son assistant parlementaire au Sénat, à ces Souvenirs de Georges Portmann, en 1982 : « Son dévouement à l’égard des plus malheureux le conduit à accepter, en 1940, un poste de membre de la Commission d’armistice de Wiesbaden, chargé des prisonniers et des réfugiés. Cela lui permit de faire rapatrier plusieurs dizaines de milliers d’hommes jusqu’à ce que les exigences allemandes le contraignent à la démission » : démission dont à ce jour j’ignore la date ; serait-ce là une des raisons de la venue à Vichy de Georges Portmann au cours de ce mois de décembre 1940…) ;

et Pierre de Bénouville, lui, s’était rendu à Vichy, confie-t-il à Laure Adler à la toute fin des années 90 avec « la conviction que l’on pouvait y recruter (…) pour la Résistance«  (page 81 de Avant que la nuit ne vienne) ; et « A Vichy (…), je me suis lié avec un médecin très réputé, le professeur Portmann, qui a accepté de faire pour moi _ mais cela, à quelle date ? C’est difficile à établir ! _ un réseau« , se souvient et rapporte Pierre de Bénouville, dans le livre de ses Entretiens avec Laure Adler (page 86 de Avant que la nuit ne vienne)…

Et Pierre de Bénouville de préciser, toujours page 86 : « Je lui avais donné _ mais à quelle date ? Dès l’automne 40 ? Ou bien plus tard ?.. _ une adresse à Paris, chez une amie, où on m’adressait le courrier. Et cette amie s’appelait Nicole Durand.

Le jour où Alain de Camaret _ nom de code : Nizan _ a été arrêté _ le même jour qu’Armand Magescas, selon le témoignage de Claude Bourdet : le 26 mars 1944 ; et le 3 juin au matin, Claude Bourdet, « Alain de Camaret, Armand Magescas et d’autres camarades du service de Bénouville arrêtés fin mars«  (page  337 de L’Aventure incertaine) quittèrent ensemble le camp de Compiègne pour la déportation en Allemagne _, il allait relever la boîte aux lettres en question.

Au moment où je partais de chez moi, avenue Marceau, le matin _ poursuit Pierre de Bénouville en ses Entretiens avec Laure Adler, page 86 _, je me suis surpris à vérifier que la voie était libre. Et j’ai appelé cette Nicole, et je lui ai dit : « Tout va bien, Nicole ? » Elle m’a dit : « Oui, tout va bien, mais pas pour toi. » Je lui ai dit : « Bien. Très bien, merci ». Et j’ai compris qu’il y avait quelque chose qui se passait. La Gestapo était là _ à cette « boîte-à-lettres » de Nicole Durand ? A quelle adresse, précisément ? _ et a arrêté l’un de mes seconds, Alain de Camaret, qui n’est jamais revenu.« 

Des éléments décidément passionnants, dont l’interconnection permet d’avancer un peu dans la connaissance de la micro-histoire dramatique de ce réseau (en l’occurrence le Service des Relations Extérieures, ou R.E., des M.U.R.) de Pierre de Bénouville à Paris.

Tout naturellement, je proposai à Pierre _ je reprends le fil du témoignage de Georges Portmann aux pages 168-169 de ses Souvenirs, en 1982 _ de le prendre avec lui,

ce qu’il fit, après avoir jugé de la qualité de l’homme.« 

Et Georges Portmann de commenter :

« Je sens encore l’émotion intense que je ressentis en lui disant : « Je vous confie mon fils ». Je ne pensais pas qu’il serait tué _ officier de réserve, et affecté au Service Psychologique des Armées, le capitaine d’infanterie René Portmann est mort assassiné sur une route dans les environs de Tenes, le 1er août 1957 _ quelques années plus tard sur la terre d’Algérie« …

Et c’est alors, page 169 de ses Souvenirs, que Georges  Portmann relate l’épisode important (et très précieux pour notre propre enquête !), que je m’en voudrais de ne pas rapporter ici in extenso :

« Ce salon  _ celui du domicile de Max Brusset, 28 boulevard Raspail, à Paris _ devait d’ailleurs devenir _ complète alors Georges Portmann son évocation _ le lieu d’un drame qui fut heureusement limité par une intervention in extremis _ la sienne…

Ma vie professionnelle se passait _ en plus de ses activités à Bordeaux, poursuit Georges Portmann _ dans une maison de santé privée 15 rue Franklin _ à Paris, donc. Mon bureau était devenu _ voilà ! _ une des boîtes à lettres du réseau de Pierre de Bénouville. Il m’arrivait ainsi de prévenir les membres du réseau du lieu et de la date des réunions.

Un certain matin _ le 26 mars 1944, si je me fie à la date de l’arrestation d’Armand Magescas que donne Claude Bourdet (au surlendemain de sa propre arrestation à Paris, avenue de Breteuil, le 24 mars, page 324 de L’Aventure incertaine : « Les catastrophes ne s’arrêtèrent pas là (avec l’arrestation et la déportation, via Compiègne, en Allemagne, de Claude Bourdet lui-même, et de Jacqueline Gruner) : le lendemain, un autre bureau _ lequel au juste  ? _ de la « voie Lahire » (nom de code de la filière suisse montée par Pierre de Bénouville, à partir du tout premier nom de code, « Lahire« , donné à Bénouville par Henri Frenay, lors de leur première rencontre, à Montélimar, le 4 décembre 1942) était pris ; le surlendemain Camaret et Magescas étaient arrêtés. Je les ai retrouvés _ prisonniers tous ensemble ! _ à Compiègne. Camaret et Jacqueline Gruner, déportée elle aussi, ne sont pas revenus«  _,

nous devions nous réunir chez Max Brusset.

Je fus, une heure avant, prévenu _ Georges Portmann avait de très efficaces contacts : c’est lui qui, début juin 1942 à Bordeaux, avait prévenu mon père, son assistant en ORL, que la Gestapo allait venir l’arrêter ; et de fait peu de jours plus tard deux policiers se présentèrent au domicile de mes grands-parents maternels, où mon père résidait : mon grand-père leur dit que mon père avait quitté Bordeaux pour se rendre en Espagne, ainsi que ma mère, présente alors, aujourd’hui en témoigne… _

que la Gestapo viendrait nous surprendre,

et je téléphonai à tous ceux que je pus atteindre de ne pas se rendre boulevard Raspail.

Pierre devait venir me retrouver à Franklin et je pus _ ainsi _ l’intercepter. Max Brusset _ dont à ce jour je ne sais rien _, comme il nous le raconta par la  suite, resta chez lui jusqu’au dernier moment afin de limiter les dégâts. Et il ne s’enfuit par un vasistas dans la maison voisine que lorsqu’il entendit les coups de sonnette des policiers allemands.

Malheureusement nous ne pûmes alerter à temps Magescas _ revenant ce jour-là de Biarritz par le train _ qui tomba entre leurs mains ; il fut arrêté, martyrisé et resta gravement handicapé. »

Et Georges Portmann de conclure, et le récit du « drame » de l’arrestation d’Armand Magescas, et son évocation-hommage de son ami Pierre de Bénouville :

Armand Magescas « devint par la suite un collaborateur de l’éditeur Robert Laffont, dont Pierre était l’ami.« 

Et « c’est Robert Laffont qui publia le livre magnifique qu’est Le Sacrifice du matin par le général Pierre Guillain de Bénouville.
Je devais
_ ainsi, conclut alors Georges Portmann son récit « Le général de Bénouville en campagne électorale« , page 169 de ses Souvenirs, en 1982 : l’hommage va bien au-delà du simple rappel du souvenir d’une pittoresque (et courageuse) campagne électorale en Bretagne _ cet hommage à celui qui fut une des figures les plus pures de la Résistance et qui resta toujours fidèle à l’amour intransigeant qu’il portait à la France« …

.

Voilà donc quelques unes des pistes de recherche que j’essaie d’éclaircir et explorer…

Depuis ces lectures des divers travaux de Robert Belot,

je viens donc de lire aussi le superbe très grand livre de souvenirs de Claude Bourdet, L’Aventure incertaine _ de la Résistance à la Restauration (paru en 1975 aux Éditions Stock, et réédité en 1998 aux Éditions du Félin). Claude Bourdet se situe, lui, sur un autre versant (politique, disons : plus à gauche) de Combat et des M.U.R. que Pierre de Bénouville, et si le livre magnifique de Claude Bourdet m’a, à son tour, beaucoup éclairé sur l’histoire complexe et passablement mouvementée (car difficile…) de la Résistance intérieure, il ne m’a pas fait beaucoup avancer sur un des objets de focalisation de ma recherche : les activités de résistance du maître en ORL de mon père, Georges Portmann_ jamais cité, mais cette fois pas davantage non plus son fils René, par Claude Bourdet, je le remarque ; mais les réseaux étaient nécessairement très cloisonnés ! Les missions de Claude Bourdet aux M.U.R. ne recoupaient  pas celles de Pierre de Bénouville… _ ; et qui ont très vraisemblablement valu à Georges Portmann un non-lieu lors de son procès le 19 juin 1947, pour avoir été, un temps, à Vichy, du 4 janvier au 16 février 1941, Secrétaire général à l’Information (et directeur de la radio, aussi), lors du court intermède au pouvoir, à Vichy, de son ami Pierre-Étienne Flandin, dans l’intervalle entre les gouvernements de Pierre Laval (renvoyé le 13 décembre 1940) et de l’amiral Darlan (qui évince Flandin, poussé à la démission le 9 février 1941). Georges Portmann avait succédé à son poste à l’Information à Jean-Louis Tixier-Vignancour ; et il fut remplacé par Henri Moysset et Paul Marion.

Sur ce non-lieu dont bénéficia Georges Portmann, en 1947,

la page 510 de L’Histoire de l’épuration, de Bénédicte Vergez-Chaignon (paru aux Éditions Larousse en 2010) n’apporte aucune précision sur les attendus : l’historienne se contente en effet là de mentionner le nom de Georges Portmann au sein d’une liste de noms d’autres bénéficiaires, comme lui, de non-lieux :

« Sur 108 inculpés de la Haute Cour de justice, 42 non-lieux ont été prononcés par la commission d’instruction (…). La commission exonère diverses catégories d’accusés. Ceux dont le passage au gouvernement a été bref et sans conséquence, dont beaucoup de ministres de l’été 1940 : les socialistes André Février et Albert Rivière ; Robert Schuman ou Antoine Cayrel, brièvement chargés des Réfugiés ; Charles Pomaret, ministre de l’Intérieur, puis du Travail, lui-même interné par Vichy ; Émile Mireaux, Albert Rivaud, Charles Frémicourt, Georges Ripert, Georges Portmann _ sans autre précision qui le caractérise… _, les généraux Colson ou Pujo, Jean Prouvost, tous restés au gouvernement un ou deux mois.

Viennent ensuite les ministres que la commission estime être des fantoches, des bouche-trous. Les Français ne connaissent même pas leurs noms« . Etc.

Sur un autre versant de ma recherche _ quant au parcours sous l’Occupation de mon père en zone non-occupée (dite ainsi jusqu’au 11 novembre 1942 ; ensuite on l’appellera aussi « zone Sud« …) ; et tout particulièrement à Oloron et sa région… _,

j’ai lu aussi avec beaucoup de profit le livre très riche et passionnant de Jean-André Pommiès, Le Corps-Franc Pommiès _ une armée dans la Résistance, qui vient de paraître ce mois de juin-ci, aux Éditions Privat ; en particulier pour ce qui concerne le groupe des résistants oloronais, avec les Galtier d’Auriac, père (Charles) et fils (Jacques), André Bur, et plusieurs autres membres de l’ORA, devenu ici le Corps-franc Pommiès ; à côté du groupe de ceux de l’Armée secrète : Jean Bonnemason, Jean de Riquer, Joseph Bonne et son frère Henri, René Mainhagu, etc.

Ce groupe de résistants oloronais se scindant à la suite de l’arrestation de Jean de Riquer par la Gestapo, le 2 juin 1944 : certains, tel Jacques Galtier d’Auriac, décidant de se consacrer aux activités strictement militaires du Corps-franc Pommiès, poursuivant l’armée allemande bien loin d’Oloron, en particulier dans de très rudes combats à Autun, puis dans les Vosges, notamment, et ensuite jusqu’en Allemagne (ils seront présents lors de la prise de Stuttgart, peu avant le 8 mai 1945) ; les autres, tels Jean Bonnemason et les membres de l’Armée secrète des Basses-Pyrénées, privilégiant, eux, le devenir politique de leur région _ ainsi, par exemple, Jean Bonnemason sera conseiller municipal d’Oloron, et conseiller général du canton de Laruns, pour le parti socialiste…

Quant à mon père, lui, à la date du 2 juin 1944, il ne se trouvait pas _ pas encore _ à Oloron _ quitté le 10 décembre 1943 _, mais au 561e GTE de Beaupuy, à 8 kms de Toulouse ; il ne rejoindra _ et retrouvera _ Oloron que le 22 juillet 1944 ; et il y sera présent lors de la Libération de la ville, le 26 août _ il aidera aussi un des cousins de ma mère à ne pas avoir trop d’ennuis pour ses opinions un peu trop précédemment affichées pétainistes _ ; ne regagnant Bordeaux que le 30 septembre : du 1er au 15 octobre, il fera partie du groupe de résistants Dick à Pessac…

Tous ces passionnants travaux de recherche, très précis et détaillés

_ y compris, aussi, le très riche Servir ou désobéir ? de Jean-François Nativité que j’allais lire en suivant : à propos de la gendarmerie dans les départements pyrénéens de 1939 à 1944. Jean-François Nativité a participé aussi au très remarquable Vichy en Aquitaine (dirigé par Philippe Souleau et Jean-Pierre Koscielniak), avec son article « Violence d’État et tensions conjoncturelles : l’exemple de la gendarmerie dans les Basses-Pyrénées« … Et je suis à la recherche du procès-verbal fait à mon père par les Gendarmes, pour franchissement illégal de la ligne de démarcation ; ainsi que de celui, plus tard, de la levée de sa pénalité-amende… _

sont à rattacher à l’importance de la micro-histoire dans les avancées de la recherche historiographique.

Sujet qui me tient particulièrement à cœur. Cf mon article du 31 août 2013 Le diable se cache dans les détails _ la fécondité de la recherche en micro-histoire


Titus Curiosus, ce 31 juillet 2014

Explorateur du bifide des comportements, le carottage anthropologique deleuzien du splendidement sagace « Le Plan Cul _ Ethnologie d’une pratique sexuelle » de Jean-François Bayart

18mai

C’est le passionnant entretien _  Le sexe : valeur-refuge des Français ? _ aux Matins de France-Culture du vendredi 25 avril dernier, de Jean-François Bayart _ cf aussi son interview hier samedi 17 mai par Cécile Daumas dans Libération, pages 30 et 31 : Le Plan-Cul montre comment on s’arrange avec la légalité, la norme ; il est aussi présenté page 29 du journal sous le titre Le Sexe tient, en France, la place qu’occupe la sorcellerie au sud du Sahara ; et le chapeau précédant l’entretien indique « A partir des pratiques en ligne de deux jeunes hommes, le chercheur au CNRS Jean-François Bayart explique que la vie sexuelle est aussi une forme de « dissidence » sociale et politique » ; ainsi que cette citation mise en valeur au sein même de l’interview, page 30 : « Le faux-semblant et la dissimulation plus ou moins « honnête » sont ainsi des piliers de l’ordre social, autant que de sa subversion ou de sa relativisation«  _,

c’est le passionnant entretien aux Matins de France-Culture du vendredi 25 avril dernier, de Jean-François Bayart avec Marc Voinchet et son équipe

à propos de la sortie prochaine en librairie _ le 7 mai ; je l’ai alors immédiatement commandé, puis acheté le 7 mai et sur-le-champ lu _ de son très incisif Le Plan Cul _ Ethnologie d’une pratique sexuelle, aux Éditions Fayard,

qui m’a mis sur la voie de la lecture _ richissime ! _ de cette passionnante exploration _ l’auteur emploie la métaphore du carottage. : « les entretiens _ que Jean-François Bayart, chercheur en anthropologie, a eus avec deux jeunes gens, Grégoire, bordelais, en 2006-2007 ; Hector, stéphanois, en 2013 _ ont opéré comme une « carotte », pour reprendre un terme de géologie, de nature à nous donner une « version » de la société française« , page 152 _ anthropologique _ que je qualifierai de « deleuzienne » ! _ de comportements _ sexuels, en l’occurrence, parce que Jean-François Bayart, avait décidé de commencer son entretien avec Grégoire par là, pour affronter pleinement aussitôt ce qui aurait pu gêner, dans un pesant non-dit, sinon, son interlocuteur, ami d’un ami, Baptiste, de son neveu… _ complexes et ambivalents, tout à la fois cachés et affichés, se développant ces temps-ci dans notre société _ tels que les-dits « plans-cul«  des nouvelles générations, plus particulièrement, semble-t-il _, qu’est cet incisif et très alerte travail d’anthropologie _ l’auteur, lui, use de l’expression « ethnologie d’une pratique sexuelle«  _, par Jean-François Bayard :

j’aurais personnellement apprécié que le livre _ de 200 pages alertes et rapides : sans la moindre graisse !_ comporte au moins le double de pages !

Si je puis comprendre le remerciement, en quelque sorte « éditorial » _ afin de viser à s’assurer possiblement un un peu plus large lectorat… _, que Jean-François Bayart ne manque pas d’adresser, page 165, à Fabrice d’Almeida pour avoir « su le convaincre d’épurer le style universitaire de son enquête et de mieux l’articuler aux grands débats qui traversent la société française« ,

j’ose aussi espérer ici que l' »Annexe méthodologique : Pour des biographies sans sujet«  (déroulée aux pages 141 à 163 : et c’est tout simplement passionnant !), ainsi que les remarques incisives et ouvertes qui ne manquent pas d’agrémenter pas mal des 177 notes (repoussées, elles aussi, en fin de volume, aux pages 167 à 197), recevront ailleurs et bientôt l’ample développement _ épistémologique _ qu’assurément les unes _ l’annexe méthodologique _ comme les autres _ ces riches notes _ méritent !..

Personnellement plongé, depuis un an,  dans une recherche (patiente et à rebondissements quasi incessants) de micro-histoire à propos du parcours (vigoureusement tu, pour l’essentiel, de son vivant : il avait fait le choix _ impérieux ! _ du silence !..) de mon père (11-3-1914 – 11-1-2006) en 1942-43-44 _ parti de Bordeaux (en zone dite « occupée« ) et ayant clandestinement franchi la ligne de démarcation à Hagetmau (en direction d’Oloron, en zone dite « non-occupée«  ou « libre« …), le 5 juin 1942, mon père est revenu à Bordeaux (enfin libéré fin août 1944) le 1er octobre 1944 _, en zone dite d’abord « non-occupée« , puis, à partir du 11 novembre 1942, « zone sud« ,

je me trouve en effet particulièrement sensibilisé aux questions épistémologiques de cette micro-histoire :

cf mon article du 31 août 2013 Le diable se cache dans les détails : la fécondité des travaux de recherche de « micro-histoire »… ; ainsi que mes interventions sur cette question (d’épistémologie de la recherche en histoire) au passionnant séminaire « Vivre au sortir du camp de Gurs : Hannah Arendt« , les 28 et 29 avril derniers, au château d’Orion, à côté de Salies-de-Béarn : c’est sur l’importance et la très riche complexité des méthodes de recherche que je désirais insister auprès des jeunes présents à ce séminaire ! ;

cf aussi le très riche numéro Hors série 2013 L’Estrangement _ retour sur un thème de Carlo Ginzburg, de la revue Essais _ revue interdisciplinaire d’Humanités, sous la direction de Sandro Landi, directeur de l’École Doctorale Montaigne-Humanités de l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3…

L’Introduction (pages 9 à 22) amène excellemment les raisons de départ de l’enquête de Jean-François Bayart :

« L’une des propriétés que le sexe partage avec la politique tient à son ambivalence » _ et voici le mot-clé : car c’est un éclairage de ce qu’est (et comment fonctionne) dans les faits cette « ambivalence«  cruciale que vise l’enquête de fond de ce livre !

Car il se trouve que, dans les faits, « le sexe peut, dans certaines circonstances, absorber le politique, en fournir une « traduction abrégée » par un « effet de condensation » (page 13).

Ainsi Jean-François Bayart d’en donner pour exemples (d’actualité)  « la question du voile« , « l’homosexualité« , « la circoncision« , ou encore « l’ampleur de la Manif pour tous, la radicalité de l’opposition à la procréation médicalement assistée, les polémiques autour du voile ou l’exégèse de ce qui relève du public et du privé en France » (pages 13-14). Et d’en déduire : « J’y ai vu une confirmation de cette osmose _ voilà ! _ entre l’imaginaire sexuel et l’imaginaire politique à laquelle m’ont habitué mon observation de l’État en Afrique, en Turquie, en Iran, au Maghreb, et ma réflexion politique comparée.

Un tel constat incite à mieux comprendre ce rapport intime _ fondamental, et ici s’annonce la pensée de Deleuze… _ entre les registres du désir et du pouvoir« .

Pour aboutir à la question :

« Dans son hétérogénéité, la vie sexuelle des Français est maintenant bien connue grâce aux enquêtes quantitatives et qualitatives des sociologues. Mais que nous disent leurs pratiques en la matière au sujet de la domination politique et sociale concrète dans notre pays ? » (pages 14-15).

Et « au lieu d’affronter cette question dans sa généralité, je l’ai saisie « par le bas » : « le cul et ses « plans » » (page15).

Et c’est ainsi que « pour mener son travail« , Jean-François Bayart s’est « mis _ en 2006-2007, puis 2013 _ à l’écoute de deux jeunes hommes, Grégoire et Hector » (page 16). Avec ce résultat, in fine, que « le dire de mes interlocuteurs dévoile une face du pays et de l’époque dans lesquels nous évoluons, sinon cachée, du moins tue » (page 16).

« Cette leçon de choses n’est pas sans enseignements utiles _ alors à dégager _ sur la pratique du sexe et de la politique, sur leurs enjeux respectifs, sur les façons _ aussi ! et c’est peut-être même cela qui m’a personnellement le plus intéressé ! _ dont nous pouvons écrire les sciences sociales, voire nos propres vies, par le biais de témoignages, de biographies ou d’autobiographies _ cf ici Le Pari biographique _ Ecrire une vie, le passionnant travail de l’excellent François Dosse auquel se réfère Jean-François Bayart.

Du sexe, il sera bien question _ en effet _ dans les pages qui suivent, et parfois de manière très crue, mais pour parler de rapports politiques ou sociaux autant que sexuels » (pages 16-17).

Car « Le sexe démontre au quotidien que nos sociétés sont multidimensionnelles _ un autre terme très important : à rebours du souci hystérisé de l’identité, que Jean-François Bayart a jadis analysé dans son L’Illusion identitaire, en 1996. Cf aussi, ici, le livre d’Herbert Marcuse L’Homme unidimensionnel

Elles se composent de divers espaces-temps _ distincts et séparés, sinon absolument étanches… _ auxquels nous participons _ comment, voilà ce qui doit être minutieusement détaillé _ sans que ceux-ci coïncident ou soient cohérents _ qu’en est-il donc existentiellement de l’application du principe (logique ? métaphysique ?) d’identité ? _ les uns par rapport aux autres.

Le cyberespace n’est pas le moindre d’entre eux, et il convoie des rencontres ou des pratiques sexuelles déconnectées des autres échanges sociaux, tout en créant à son tour du lien social » (pages 20-21).

« Nous nous dissimulons _ idéologiquement _ cette complexité en recourant à de grands mots pompeux, tels que la nation, l’identité, la culture, la famille, l’école, la morale, ou… le sexe _ les substantifs mentent bien davantage que les infinitifs ! Nous nous consolons en rêvant de l’unité de notre cité, alors que celle-ci est bifide _ terme à nouveau crucial ! _, fendue en deux, et se dissocie entre les mondes du jour et de la nuit, entre le visible et l’invisible, entre des rapports sociaux supposés asexués et des relations sexualisées » (page 21).

« La principale leçon que nous enseigne l’analyse du plan cul _ anticipe alors l’auteur _ a ainsi trait à l’inachèvement consubstantiel de notre société, qui n’en trahit pas la faiblesse, mais bien au contraire la condition d’existence » (page 21).

« Autrement dit, le cul nous retiendra moins que le plan.

Car, s’il en est de cul, il en est aussi de bien d’autres, dans tous les domaines de la vie, « bons », selon la formule habituelle, ou « mauvais »« … (page 21).

Et Jean-François Bayart d’achever cette présentation de son travail, par ce mode d’emploi de son livre :

« Il est deux manières de lire les pages qui suivent.

L’une informative, en s’en tenant au corps du texte, qui fait l’ethnologie d’une pratique sexuelle en vogue dans la société française : celle du « plan cul ».

L’autre scientifique, en se reportant aux notes en fin d’ouvrage et à l’annexe méthodologique, qui espèrent ouvrir de nouvelles perspectives _ que je qualifierai, pour ma part, de « deleuziennes« …  _ aux sciences sociales du politique et à l’écriture biographique » (pages 21-22).

Titus Curiosus, ce 18 mai 2014

La place du « rêve ukrainien » d’un Habsbourg, dès 1912, dans l’Histoire de notre Europe : le passionnant « Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg », de Timothy Snyder : sur les modalités de la faisabilité de l’Histoire

30déc

Ce chef d’œuvre

_ monumental ! et indispensable !!!  ; sur cet admirable (et nécessaire) monument de l’histoire contemporaine, cf mon article chiffrage et inhumanité (et meurtre politique de masse) : l’indispensable et toujours urgent « Terres de sang _ l’Europe entre Hitler et Staline » de Timothy Snyder du 29 juillet 2012 _

qu’est Terres de sang _ L’Europe entre Hitler et Staline, de Timothy Snyder,

mettait _ en 2010, à sa parution aux États-Unis _ en très grand appétit de lecture

la parution, en traduction française, de tout autre travail disponible de cet auteur,

a fortiori quand il s’agit, à nouveau, au cœur de ces vastes « terres de sang » de l’Europe orientale,

de l’Ukraine…


Même s’il s’agit cette fois d’un travail de micro-histoire,

centré sur « les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg« ,

celui qui fut un temps _ en 1918 et les années qui suivirent… _ surnommé, en Ukraine, « le Prince rouge » :

Guillaume de Habsbourg-Lorraine, né à Pula (alors base navale autrichienne sur l’Adriatique, au sud-ouest de l’Istrie) le 10 février 1895, et mort à Kiev (alors soviétique) le 18 août 1948.

Et même si la première lecture je l’ai lu quatre fois _ procure un curieuse sensation de romanesque quasi échevelé,

qui se dissipe cependant ensuite : l’auteur multipliant, en brèves notes de bas-de-pages, les références aux  sources (la plupart inaccessibles en français) où sa très minutieuse recherche a puisé et sur lesquelles elle s’est fondée ; et, de fait, Guillaume a bel et bien vécu plusieurs « vies secrètes« , jouant de divers patronymes, dont, surtout et à maintes reprises, celui, ukrainien, de « Vasyl Vyshyvanyi » :

« Guillaume arriva à la gare de Lviv au début de l’après-midi du 10 septembre 1917. Sa voiture parée de fleurs était suivie d’un comité d’accueil et d’un orchestre. Il s’adressa à Sheptytsky en ukrainien et en allemand, à la grande joie des spectateurs ukrainiens et du métropolite. Sheptytsky n’avait jamais rencontré Guillaume auparavant. A présent se tenait devant lui un jeune et bel archiduc _ il a vingt-deux ans _, parlant un ukrainien correct et l’accueillant devant une foule rassemblée au nom de son souverain _ l’empereur d’Autriche Charles Ier, cousin de Guillaume. Sous l’uniforme, comme le métropolite et la foule pouvaient le voir, Guillaume portait une chemise ukrainienne brodée. « Vyshyvanyi », s’écrièrent les spectateurs, un mot ukrainien désignant ce type de broderie. Ce mot allait devenir le nom ukrainien de Guillaume. Tout d’un coup, il reçut une identité ukrainienne complète : Vasyl Vyshyvanyi« , lit-on pages 112-113.

Et selon diverses sexualités aussi :

Guilllaume fait partie des archiducs demeurés célibataires (et sans postérité), jusqu’à alimenter parfois _ cf par exemple aux pages 203 à 218 _ la chronique « scandale » des journaux ; comme en France en 1934-1935 : Le Matin (« Une Escroquerie au rétablissement des Habsbourg« , 15-12-1934), Le Populaire (« La « fiancée » de l’archiduc Guillaume de Habsbourg est en prison depuis un mois« , 15-12-1934), Le Figaro (« Les Habsbourg vont-ils rentrer en Autriche ? », 4-7-1935 ; « La Fiancée d’un prétendant au trône d’Autriche« , 28-7-1935 ; « Une Lettre de l’archiduc Guillaume de Habsbourg-Lorraine« , 13-8-1935), L’Œuvre (« L’Archiduc de Habsbourg-Lorraine est condamné par défaut à cinq ans de prison« , 28-7-1935), Le Journal (« Il fallait d’abord faire manger le prince« , 28-7-1935)…

Mais au-delà de la biographie singulière de ce Guillaume de Habsbourg-Lorraine-ci,

c’est d’une biographie familiale, en fait, qu’il s’agit,

celle d’une des branches d’archiducs _ celle des Habsbourg-Teschen _ de la famille des Habsbourg,

dont constitua la souche l’archiduc Charles-Louis d’Autriche (né à Florence, le 5 septembre 1771 _ son père, avant de succéder à son frère Joseph II sur le trône impérial, en 1790, était alors Grand-duc de Toscane _, et mort à Vienne, le 30 avril 1847), archiduc d’Autriche, duc de Teschen, grand maître de l’ordre Teutonique de 1801 à 1805,

troisième fils de Léopold II (1747-1792), d’abord grand-duc de Toscane, puis empereur du Saint-Empire en 1790 au décès de son frère l’empereur Joseph II (1741-1790), le fils aîné de l’empereur François Ier de Lorraine et de l’impératrice Marie-Thérèse _ ;

et de son épouse Marie-Louise de Bourbon (1745-1792), infante d’Espagne, et fille du roi Charles III _ Charles III, qui lui-même avant de devenir roi d’Espagne (suite au décès de son demi frère Ferdinand VI) de 1759 à sa mort en 1788, avait été, à Naples, de 1735 à 1759, roi du royaume des Deux-Siciles, créé pour lui par son père Philippe V, lors du rétablissement, en 1735, des Bourbon à Naples, aux dépens des Habsbourg : par reconquête ; l’histoire de Naples est, elle aussi, passionnante, en ses rebondissements…

Mais les Habsbourg et les Bourbon cousinaient aussi : depuis le double mariage, le 18 octobre 1615, de Louis XIII avec l’infante Anne d’Autriche, et de sa sœur la princesse Elisabeth de Bourbon avec l’infant Philippe, le futur Philippe IV, avec échange des princesses à l’île des Faisans le 9 novembre 1615 ; cf aussi le travail de l’excellente Chantal Thomas, sur un autre de ces échanges de princesses à l’Île des Faisans, en 1722, cette fois : L’Échange des princesses_ ;

 

mais aussi fils adoptif de sa tante l’archiduchesse Marie-Christine d’Autriche (1742-1798) et de son époux Albert de Saxe (1738-1822), qui n’avaient pas pu avoir d’enfant _ Albert de Saxe-Teschen est le fondateur de la très importante et très prestigieuse collection d’art de l’Albertina, à Vienne…

L’archiduc Charles-Louis d’Autriche-Teschen _ né en 1771 _ est en effet le frère de François Ier (1768-1835), empereur d’Autriche (ou François II du Saint Empire) au décès leur père Léopold , en 1792 ; et de Ferdinand III (1769-1824), grand-duc de Toscane à partir de 1790.

Charles-Louis était ainsi le troisième fis de l’empereur Léopold II, lui-même second fils, après son frère l’empereur Joseph II (1741-1790), de l’empereur François Ier de Lorraine (1708-1765) et de l’impératrice Marie-Thérèse (1717-1780), les fondateurs de la dynastie des Habsbourg-Lorraine :

l’empereur Charles VI (1685-1740) _ lui-même frère cadet de l’empereur Joseph Ier (1678-1711), qui était mort sans descendance masculine _, lui-même encore sans descendance (ni masculine, ni féminine), ayant imposé par la Pragmatique sanction, en 1713 _ Pragmatique sanction qu’il parvint à faire ratifier par ses États généraux ainsi que par le concert des puissances étrangères en 1725 _, que lui succèdent sur le trône d’Autriche en priorité ses enfants à venir, et cela quel que soit leur sexe _ en l’occurrence, Léopold (1716-1716), Marie-Thérèse (1717-1780), Marie-Anne (1718-1844), Marie-Amélie (1724-1730) _, plutôt que les filles de son frère aîné, le défunt empereur Joseph Ier (1678-1711) : Marie-Josèphe (1699-1757), qui épousa en 1719 Frédéric-Auguste, électeur de Saxe, puis roi de Pologne (1696-1763) ; et Marie-Amélie (1701-1756), qui épousa en 1722 Charles-Albert, électeur de Bavière (1697-1763).

Et le 12 février 1736, la fille ainée de Charles VI, Marie-Thérèse, épousa son promis de très longue date, François-Étienne de Lorraine _ prince élevé à Vienne, à partir de 1724, à la fin toute spéciale, en effet d’épouser la fille aînée de Charles IV… Et le frère cadet de François-Étienne, le prince Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), présent à Vienne, lui, à partir de 1735, épousera le 7 janvier 1744 la sœur cadette de Marie-Thérèse, Marie-Anne (1718-1744), qui meurt au mois de décembre 1744 des suites de sa première couche ; de même que meurt son bébé… En 1735, afin de faciliter l’acceptation de ce mariage de Marie-Thérèse et de François, et de ses conséquences pour l’équilibre européen, la dynastie de Lorraine consent à procéder à l’échange de son duché de Lorraine, au profit de Stanislas Leszczyński (et à terme de la France : à la mort de Stanislas…), avec le grand-duché de Toscane, à la mort du dernier des Médicis, Jean-Gaston (qui allait mourir sans descendance le 9 juillet 1737) : cet échange territorial, négocié en secret dès 1735 et effectif l’été 1737, est formalisé par le traité de Vienne en 1738… L’art de la diplomatie et des mariages était une spécialité des Habsbourg…

Bien qu’épileptique _ il y avait d’assez nombreux mariages consanguins parmi les Habsbourg, de même que parmi les Bourbon ; je reviens ici à la branche des Habsbourg-Teschen… _,

l’archiduc Charles-Louis fut très admiré en tant que commandant et réformateur de l’armée autrichienne, au cours des guerres napoléoniennes.

Et grâce à une sagace décision de son père le futur empereur Léopold II,

Charles-Louis, le troisième des fils de Léopold _ alors Grand-Duc de Toscane _,

fut adopté et élevé _ d’abord à Vienne, puis, ensuite à partir de 1780, au décès de son oncle l’archiduc Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), qui était gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, à Bruxelles _,

par sa tante Marie Christine d’Autriche (1742-1798) _ la fille préférée de l’impératrice Marie-Thérèse _ et son mari Albert de Saxe-Teschen (1738-1822) _ le quatrième des fils du roi de Pologne et électeur de Saxe, Auguste III (1696-1763) et de son épouse Marie-Josèphe d’Autriche (1699-1757) _,

tous deux, Marie-Christine et Albert-Casimir, étant demeurés sans enfant

et étant gouverneurs des Pays-Bas de 1780 à 1793 _ à Bruxelles, ces derniers avaient succédé comme gouverneurs des Pays-Bas, au frère de François et doublement beau-frère de Marie-Thérèse, Charles-Alexandre de Lorraine, puisque celui-ci avait épousé l’archiduchesse Marie-Anne d’Autriche, la sœur cadette de l’impératrice Marie-Thérèse…

À la mort de son oncle _ et donc père adoptif _ Albert de Saxe-Teschen, en 1822,

l’archiduc Charles-Louis hérite ainsi du duché de Teschen _ ce qui demeurait à l’Autriche de la Silésie, perdue en 1748 au profit du roi Frédéric II (et de la Prusse), au terme de la guerre de succession d’Autriche ; et limitrophe de la Galicie polono-autrichienne : un élément important de la saga de cette branche des Habsbourg-Teschen ; dont les châteaux familiaux, le château-vieux et le château-neuf, se trouvent à Zywiec (en allemand Saybusch), à l’est de Teschen (en polonais Cieszyn).

En 1722, le duché de Teschen avait été donné en cadeau personnel par l’empereur Charles VI, père de Marie-Thérèse, à son cousin et proche ami le duc de Lorraine Léopold Ier (1679-1729), père de François de Lorraine ; la mère de Léopold Ier était en effet Eléonore d’Autriche (1653-1697), elle-même quatrième fille de l’empereur Ferdinand III (1608-1657), et sœur de l’empereur Léopold Ier (1640-1705).

Puis, par le mariage, le 12 février 1736, du fils aîné du duc de Lorraine Léopold Ier, François,

avec la fille de Charles VI, Marie-Thérèse,

le duché de Teschen était redevenu un domaine de la couronne autrichienne.

Ensuite, après le décès de son époux l’empereur François Ier, le 18 août 1765, l’impératrice Marie-Thérèse avait, à nouveau, remis en cadeau personnel à un proche ce duché de Teschen : à son gendre Albert de Saxe, le jour de son mariage, le 9 avril 1766, avec l’archiduchesse Marie-Christine, la fille préférée de l’impératrice.

C’est ainsi que, plus tard, ce duché silésien de Teschen fut légué, à sa mort, par l’archiduc Charles-Louis, en 1847,

à son fils aîné l’archiduc Albert de Teschen (1817-1895).


Lequel, n’ayant pas eu de descendant mâle lui survivant,

le transmet, en 1895, à son neveu (lui-même fils cadet de son frère cadet l’archiduc Charles-Ferdinand, 1818-1874) et enfant adoptif, l’archiduc Charles-Étienne de Teschen (1860-1933) :

Charles-Étienne de Teschen, que Timothy Snyder nomme plus simplement Étienne.

Et dont le frère aîné Frédéric de Teschen (1856-1936) devait hériter, lui, surtout des territoires de Hongrie de leur mère, l’archiduchesse Elisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903), une personnalité importante, sur laquelle Timothy Snyder n’attarde pas ici son projecteur ; le destin de cette branche familiale (celle de Frédéric de Teschen) était donc « hongrois« , plutôt que « polonais » ! ;

et en effet le fils (unique) de Frédéric, l’archiduc Albert-François (1897-1955) sera hongrois, et proche de l’amiral Horty : après la Première Guerre mondiale, cet archiduc Albert-François, cousin de Charles-Étienne (qui choisit, lui, d’être polonais), est candidat à la couronne de Hongrie, mais l’opposition des Alliés à la restauration des Habsbourg et la division des monarchistes hongrois l’empêchent de monter sur le trône. Durant la régence de Horthy, l’archiduc Albert-François de Teschen (1897-1955) devient membre de la Chambre haute hongroise et prend la tête de différentes organisations sportives et culturelles. Partisan d’Hitler, le dernier duc de Teschen quitte la Hongrie à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et s’installe en Argentine

Fin ici de l’incise hongroise ;

et retour à la branche polonaise ; cf page 55 :

« En 1994 et 1895, alors que Marie-Thérèse _ de Habsbourg-Toscane _ était enceinte de Guillaume _ le dernier de ses six enfants _, Étienne savait que sa destinée était sur le point de rejoindre celle de la Pologne. Albert _ duc de Teschen, son oncle et père adoptif _ était mourant. À sa mort _ le 18 février 1995 _, qui suivit de huit jours la naissance de Guillaume _ le 10 février  _, Étienne _ et pas son frère aîné Frédéric, faut-il déduire… : mais Timothy Snyder n’en dit rien ! _ hérita des domaines de Galicie. Il savait qu’il était l’archiduc le mieux placé _ mieux que son frère aîné l’archiduc Frédéric, donc : promis, lui, à un destin hongrois… _ pour régler la question polonaise, qui, après la question des Balkans, était le problème national le plus urgent dans l’Europe du moment« … 

Marié tardivement, en 1815 _ il a quarante-quatre ans _, l’archiduc Charles-Louis d’Autriche-Teschen _ je reviens donc à lui _ aura, outre deux filles, cinq fils :

l’archiduc Albert de Teschen (1817-1895) _ qui demeurera sans postérité masculine _,

l’archiduc Charles-Ferdinand d’Autriche-Teschen (1818-1874) _ le père de l’archiduc Charles-Étienne (1860-1933), lui-même époux, en 1854, de l’archiduchesse Élisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903), et grand-père de l’archiduc Guillaume (1895-1948), notre « Prince rouge«  _,

l’archiduc Frédéric-Ferdinand (1821-1847) _ célibataire et sans postérité _

et l’archiduc Guillaume-François d’Autriche (1827-1894) _ célibataire et sans postérité, lui aussi.

Quant à l’archiduc Charles-Ferdinand d’Autriche et duc de Teschen _ auquel son frère aîné l’archiduc Albert, sur ordre de l’archiduchesse Sophie, la mère toute-puissante de l’empereur François-Joseph Ier, fera épouser le 18 septembre 1854 la princesse Élisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831- 1903), pour éviter que celle-ci épouse l’empereur ; l’empereur François-Joseph Ier épousera Élisabeth de Wittelsbach, « Sissi« , le 24 avril 1854… _,

il aura, lui, de son épouse Elisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903),

quatre enfants :

l’archiduc Frédéric d’Autriche et duc de Teschen (1856-1936),

Marie-Christine d’Autriche (1858-1929), qui épousera Alphonse XII d’Espagne (1857-1885), et qui  sera la mère du roi Alphonse XIII ;

l’archiduc Charles-Étienne d’Autriche-Teschen (1860-1933) _ personnage crucial de la saga du « Prince rouge« , Guillaume, dont l’amiral Charles-Étienne est le père ;

les frères et sœurs de Guillaume sont : Éléonore (1886-1974), Renée (1888-1935), Charles-Albert (1888-1951), Mathilde (1891-1966) et Léon-Charles (1893-1939) ; Guillaume, le futur « Prince rouge«  d’Ukraine (1895-1945) est ainsi le plus jeune des six enfants de l’archiduc Charles-Étienne de Teschen et de son épouse l’archiduchesse Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane (1862-1933) _ ;

et l’archiduc Eugène d’Autriche-Teschen (1863-1954) _ connu, lui, pour sa chasteté ; et qui protégera un temps, à son retour en Autriche, son neveu Guillaume, à la mi-juin 1935, à Vienne.

En ce passionnant Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg, et pages 12-13 du Prologue,

Timothy Snyder fait débuter la focalisation sur cette branche des Habsbourg-Teschen

par l’énoncé de ce qu’il nomme « l’axiome » de l’archiduc (et amiral) Étienne :

les archiducs de Habsbourg-Teschen Albert (Charles-Albert, 1888-1951) et Guillaume (1895-1948) _ c’est sur eux deux principalement que Timothy Snyder se centre au long de son enquête _

« étaient nés à la fin du XIXe siècle et avaient atteint leur majorité dans un âge d’empires.

À l’époque, leur famille _ celle des Habsbourg-Lorraine _ était toujours à la tête de la monarchie autrichienne, la plus ancienne et la plus glorieuse entre toutes.

S’étendant des monts d’Ukraine _ c’est-à-dire les Carpates de Silésie ou Beskides _, au nord, jusqu’aux eaux chaudes de l’Adriatique _ l’Istrie et toute la Dalmatie croate _, au sud,

elle embrassait une douzaine de peuples sur lesquels elle régnait sans interruption depuis six cents ans _ le fief originaire des Habsbourg se trouve dans la Suisse du nord-ouest, dans le canton d’Argovie.

Le colonel ukrainien et le colonel polonais, Guillaume et Albert _ ainsi que leur frère Léon : Léon-Charles-Marie-Cyrille-Méthode (1893-1939), qui était promis, lui, à un destin balkanique, mais qui venait de mourir de tuberculose, dans un sanatorium près de Vienne, le 28 avril 1939, peu avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale _, avaient été élevés _ par leur père Étienne _ pour préserver et agrandir l’empire familial _ des Habsbourg _ dans une ère de nationalismes  _ dès 1815 et l’Europe du congrès de Vienne, et Metternich…

Ils devaient devenir des princes polonais et ukrainiens loyaux à l’égard de la monarchie et subordonnés à l’empereur _ en l’occurrence François-Joseph Ier, empereur régnant depuis 1848 : il mourra le 21 novembre 1916. 

Ce « nationalisme monarchique » était une idée de leur père Étienne.

C’est lui qui, délaissant le cosmopolitisme traditionnel de la famille impériale

pour se faire _ spécifiquement _ polonais _ et on ne peut plus effectivement : au moment de son installation au château de Zywiec (en allemand Saybusch) en 1907, au cœur des territoires du duché de Teschen (en polonais Cieszyn), dont ses frères Frédéric et Eugène et lui avaient hérité des territoires, au décès, le 18 février 1895, de leur oncle et père adoptif l’archiduc Albert de Teschen : celui-ci, après le décès de leur père, l’archiduc Charles-Ferdinand, le 20 novembre 1874, les avait en effet adoptés… _,

avait espéré devenir régent, ou prince, de Pologne _ de même que son frère aîné Frédéric, régent, ou prince, de Hongrie.

Albert, le fis aîné _ d’Étienne _, se voulait _ et sera, jusqu’au bout, en son attachement viscéral à la Pologne _ son fidèle héritier.

Guillaume, le cadet et rebelle, choisit _ lui _ une autre nation _ c’est-à-dire la nation ukrainienne, au lieu de la nation polonaise _,

mais les deux fils _ l’autre fils, Léon-Charles-Marie-Cyrille-Méthode, promis, lui, à un destin balkanique, meurt de tuberculose en avril 1939 _ adoptèrent l’axiome de leur père :

si le nationalisme est inéluctable, la destruction des empires, elle, ne l’est pas.

Faire un État de chaque nation ne libérerait pas pour autant les minorités nationales.

Au contraire, se figurait-il, cela ferait de l’Europe un assemblage sommaire d’États faibles dépendant de plus forts qu’eux pour survivre.

Les Européens, croyait Étienne, se porteraient mieux s’ils pouvaient concilier leurs aspirations nationales avec une allégeance supérieure à un empire _ en l’occurrence la monarchie des Habsbourg.

Dans une Europe imparfaite, celle-ci offrait la meilleure scène (!) possible pour abriter (!!) les drames (!!!) nationaux _ la traduction non plus n’est hélas pas parfaite ! Mais que font les relecteurs ?

Laissons les politiques nationales s’opérer, pensait Étienne, à l’intérieur des doux confins d’un empire tolérant, doté d’une presse libre et d’un Parlement« .

Et c’est ainsi que « Guillaume devint le Habsbourg ukrainien« , énonce Timothy Snyder page 13.

« Il apprit la langue, commanda des unités ukrainiennes pendant la guerre _ de 14-18 _ et s’attacha étroitement à sa nation élue _ la nation ukrainienne, donc.

Une opportunité sembla s’offrir à lui quand la Révolution bolchévique mit à bas l’empire russe en 1917 _ Guillaume avait alors vingt-deux ans _,

ouvrant l’Ukraine à la conquête.

Envoyé par l’empereur des Habsbourg _ le nouvel empereur (depuis le 21 novembre 1916, à la mort de François-Joseph), Charles Ier d’Autriche (1887-1922) ; lequel est doublement le cousin de Guillaume : et par la mère de Guillaume,  Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane (1962-1933), et par le père de celui-ci, Charles-Étienne de Habsbourg-Teschen (1860-1933), tous deux descendants de l’empereur  _

dans la steppe ukrainienne en 1918,

Guillaume s’efforça _ en particulier à la Sitch _ de susciter une conscience nationale parmi la paysannerie

et d’aider les pauvres à conserver les terres qu’ils avaient prises aux riches.

Il devint une légende à travers tout le pays : le Habsbourg qui parlait l’ukrainien,

l’archiduc qui aimait le peuple,

le « Prince rouge » ».

En ce mois de novembre 2013 de sa parution en traduction française

_ hélas bien peu soignée ! cette traduction d’Olivier Salvatori : à comparer avec l’excellence de la traduction de Terres de sang _ L’Europe entre Hitler et Staline, par les soins de l’infatigable Pierre-Emmanuel Dauzat, en avril 2012 ; l’édition originale était parue, elle, le 28 octobre 2010 aux Éditions Basic Books, aux États-Unis ; certains passages du Prince rouge sont même carrément incohérents et incompréhensibles ! :

ainsi, par exemple, aux pages 115-116, à propos de « deux exigences«  des diplomates ukrainiens, en janvier et février 1918, à propos des diverses républiques ou principautés ukrainiennes qui aspiraient à la reconnaissance :

« la première (de ces exigences) était que leur État indépendant ukrainien inclût une certaine région occidentale que les Polonais (de leur côté !) considéraient comme leur. La seconde était que la monarchie des Habsbourg reconnaisse (en leur empire) une province ukrainienne séparée (…) ; et « le 9 février 1918, l’Allemagne, les Habsbourg et les diplomates ukrainiens signèrent un accord connu sous le nom de « paix du pain ». L’Allemagne et la monarchie des Habsbourg étaient d’accord pour reconnaître la république ukrainienne (prise à la Russie), et la monarchie des Habsbourg, dans un protocole secret, promettait de créer un domaine royal ukrainien constitué de la Galicie orientale et de la Bucovine » : comment s’y retrouver ?.. ;

ou page 52, à propos de deux Mathilde de Habsbourg-Teschen, non assez clairement distinguées : Mathilde, la troisième fille du neveu, Charles-Albert (et plus jeune sœur de Guillaume, donc), née en 1891, et Mathilde, la seconde fille de l’oncle, Albert de Teschen, morte brûlée vive en 1867 « alors qu’elle essayait d’allumer une cigarette à son père«  _

en ce mois de novembre 2013 de sa parution en traduction française aux Éditions Gallimard, l’original étant paru en 2008, toujours aux Éditions Basic Books,

l’actualité ukrainienne de ce travail légèrement antérieur, donc, de Timothy Snyder qu’est Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg,

accède tous les jours à nos oreilles et nos yeux. Cf par exemple l’article de Timothy Snyder paru dans l’édition du Monde du vendredi 20 décembre dernier : Pourquoi l’indépendance est en danger à Kiev.

Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg,

ce nouvel opus de Timothy Snyder à propos de l’Histoire de l’Ukraine,

aborde cette fois ce sujet

à travers une focalisation sur plusieurs membres de la famille des Habsbourg-Teschen,

et tout spécialement Guillaume-François-Joseph-Charles de Habsbourg-Lorraine, « l’archiduc rouge« ,

dit aussi « Vasyl Vychyvany » à partir de 1918 :

ce qui signifie « Basile le brodé«  Description de cette image, également commentée ci-après

né à Pula, en Istrie, le 10 février 1895, et décédé à Kiev le 18 août 1948.

Ici, il est nommé Guillaume.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais aussi

son père, Charles-Étienne de Habsbourg- Teschen, archiduc d’Autriche et prince de Teschen :

né le 5 septembre 1860 à Groß Seelowitz, ou Zidlochovice (en Moravie), amiral de la flotte, et décédé le 7 avril 1933 : personnage majeur de la saga familiale.

Ici, il est nommé Étienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi que le frère aîné de Guillaume,

Charles-Albert-Nicolas-Léon-Gratien de Habsbourg-Altenbourg

né à Pula, le 18 décembre 1888, et mort à Östervik, près de Stockholm, le 17 mars 1951.

Il est nommé ici Albert.

Ce travail-ci de Timothy Snyder à propos des péripéties _ difficiles : encore en ce passage de 2013 à 2014… _ de la réalisation-accomplissement de l’Ukraine _ pas encore pleinement advenu en ces premiers jours de 2014… _,

je le relie aussi à la question des modalités de la faisabilité de l’Histoire,

telle que la pose excellemment Christophe Bouton, dans son très remarquable Faire l’Histoire, paru cet automne, aux Éditions du Cerf ;

ouvrage que Christophe Bouton, notre collègue philosophe à l’Université Bordeaux-3, est venu présenter dans le cadre de la saison 2013-2014 de notre Société de Philosophie de Bordeaux, dans les salons Albert-Mollat, le mardi 19 novembre dernier _ cf le podcast de cette présentation.

Et cette question de l' »ukrainisation » à accomplir de l’Ukraine,

telle que, très tôt et tout au long de sa vie _ il en est mort, de mauvais traitements et de tuberculose laissé sans soins, à l’hôpital d’une prison de Kiev, le 18 août 1848 _, l’archiduc Guillaume se l’est donnée comme programme à accomplir,

se trouve au cœur de cette présentation par Timothy Snyder du « Prince rouge«  ;

cf ce passage de présentation, page 13 du Prologue :

« Guillaume devint _ à partir de 1912 et d’un séjour au cœur des Carpates, dans la montagne, à Verokhta, au sud de Stanislawow, à l’extrême sud de la Galicie _ le Habsbourg ukrainien.

Il apprit la langue, commanda des unités ukrainiennes pendant la guerre et s’attacha étroitement à sa nation élue. Une opportunité sembla s’offrir à lui quand la Révolution bolchévique mit à bas l’Empire russe en 1917, ouvrant l’Ukraine à la conquête. Envoyé par l’empereur des Habsbourg _ l’empereur Charles Ier d’Autriche, qui succéda le 21 novembre 1916 à son grand-oncle, l’empereur François-Joseph Ier _ dans la steppe ukrainienne en 1918, Guillaume s’efforça de susciter _ à partir de ses succès à la Sitch _ une conscience nationale parmi la paysannerie et d’aider les pauvres à conserver les terres prises aux riches.

Il devint une légende à travers tout le pays : le Habsbourg qui parlait l’ukrainien, l’archiduc qui aimait le peuple, le « Prince rouge » « .

Et commentant un peu plus loin (pages 14-15) en ce même Prologue

ce que Timothy Snyder qualifie de « pouvoir de définir l’individu« 

_ un pouvoir d’imagination et d’auto-création que ces Habsbourg de Teschen avaient très à cœur de se donner… _,

Timothy Snyder distingue très fortement deux regards sur les individus, les peuples et les nations de l’Histoire,

celui des nazis et des Soviétiques,

et celui des Habsbourg :

« Pour les nazis comme pour les Soviétiques,

la nation exprimait des réalités immuables _ génétiques, raciales _ situées dans le passé,

non une volonté humaine dans le présent.

Parce qu’ils exercèrent leur domination sur une si grande partie de l’Europe

et d’une façon si brutale,

cette idée de race est restée parmi nous

_ main de zombie _ idéologiquement toujours très présente _ de l’Histoire

telle qu’elle n’est _ pourtant _ pas advenue _ durablement : le IIIe Reich nazi tout comme l’Union soviétique ont disparu !

Ces Habsbourg _ les archiducs Étienne (1860-1933), Albert (1888-1951), Guillaume (1895-1948) _ avaient une notion plus vivante de l’Histoire. (…)

Ils concevaient le temps comme une éternelle _ ou plutôt permanente… _ possibilité _ c’est mal traduit !, mais l’invocation de la dimension d’éternité au sein même de l’agir parmi le jeu (toujours mouvant) des possibles est, elle, une idée (spinoziste…) très forte et très juste de Timothy Snyder ; même si son traducteur échoue ici à la rendre en un français qui soit intelligible ! _,

et la vie comme une suite de moments emplis de halos de gloire naissants,

telle une goutte de rosée attendant _ telle la survenue de l’espiègle (et terrible) petit dieu Kairos _ la caresse du soleil pour déployer son spectre de couleurs. »

Et pages 15-16, Timothy Snyder poursuit :

« Est-il important _ = grave… Cela dépend de l’échelle sur laquelle on se situe ! Et l’échelle des peuples diffère certes de l’échelle des individus et personnes… _ que la goutte de rosée finisse sous la semelle noire d’une botte ?

Ces Habsbourg _ Albert, le polonais, Guillaume, l’ukrainien _ perdirent leurs guerres _ celles de Pologne, pour Albert, celles d’Ukraine, pour Guillaume, et cela en 14-18 comme en 39-45 _,

et échouèrent à libérer leurs nations de leur vivant ;

ils furent, comme ces mêmes nations qu’ils s’étaient choisies, vaincus par les nazis et les bolcheviks _ en 1945.

Mais les régimes totalitaires qui les avaient jugés et condamnés

passèrent eux aussi.

Les horreurs des systèmes nazi et communiste empêchent _ aujourd’hui _ de considérer l’Histoire du XXe siècle comme une marche en avant vers un plus grand bien _ = un progrès.

Pour une raison similaire,

il est difficile de voir dans la chute des Habsbourg en 1918

le prélude d’une ère de libération _ le regard de Timothy Snyder rejoint ici celui de Joseph Roth : cf La Marche de Radetzky et La Crypte des Capucins

Comment dès lors parler de l’Histoire contemporaine de l’Europe ?

Peut-être ces Habsbourg,

avec leur lassitude _ le contresens du traducteur est ici absolu ! quand il s’agit d’une inlassable volonté, au contraire… _ de l’éternité

et leur vision optimiste de la couleur du temps,

ont-ils quelque chose à nous offrir« .

Car « chaque instant du passé (…) contient aussi _ parmi ses diverses graines de virtualités _ ce qui semblait impossible

et s’est avéré _ cependant, puisque bel et bien advenu ! _ possible,

comme un État ukrainien unifié,

ou une Pologne libre dans une Europe unie.

Et si c’est vrai de ces  instants du passé,

ça l’est aussi du moment présent«  _ à l’aune de ce qu’il y a, pour nous tous, à construire…

Ainsi « l’idée _ forte d’un Étienne de Habsbourg _ que le patriotisme peut se concilier avec une loyauté européenne supérieure

semble _ dorénavant _ étrangement visionnaire« ,

s’autorise à affirmer Timothy Snyder, page 16

en conclusion de l’ouverture à son livre qu’est ce Prologue.

Et là l’intuition de Timothy Snyder qui commande tout l’élan de ce livre

rejoint l’idée-force de la faisabilité de l’Histoire

et de la validité persistante de l’idée-idéal de démocratie

_ et cela, quelles que soient les scories et difficultés de ses successives réalisations jusqu’ici _,

telles que les défend l’ami Christophe Bouton dans son passionnant Faire l’Histoire...

Et quelles que soient les difficultés de la réalisation de l’idée-idéal de démocratie

dans la construction brinquebalante des institutions européennes de l’Union européenne,

en lesquelles Timothy Snyder propose, semble-t-il, de voir une sorte d’application

transposée aujourd’hui

de l’idéal pragmatique et doux de « création » de ses Habsbourg

_ cf page 57 : « les archiducs de Habsbourg devraient se recréer eux-mêmes, à l’avance, en tant que dirigeants nationaux.

Avec Étienne montrant la voie,

les princes pourraient échanger leur rôle traditionnel de commandement militaire

pour une dignité nouvelle : la création de peuples« 

Ce qui est aussi _ page 64 _ rien moins que

« faire l’expérience de la liberté« …

Même si,

au final de l’existence de Guillaume, « au début des années cinquante« ,

« la Galicie multinationale, création des Habsbourg, n’avait pu survivre à Hitler et Staline.

En 1948, l’Europe habsbourgeoise,

faite de loyautés multiples et de nationalités ambiguës

semblait avoir vécue », pages 280-281.

Et page 292 :

« Avec Guillaume, un certain rêve ukrainien semblait _ à nouveau ce mot sous la plume de Timothy Snyder _ avoir péri.

Guillaume lui-même n’était qu’une victime parmi les dizaines de milliers d’hommes et de femmes tués par les Soviétiques à la fin des années 1940 pour leur engagement, réel ou supposé, dans des mouvements indépendantistes ukrainiens.

Beaucoup d’entre eux, sinon la plupart, étaient originaires de la zone qui avait été autrefois la Galicie orientale habsbourgeoise.

Guillaume incarnait,

peut-être plus que n’importe lequel d’entre eux,

la connexion ukrainienne entre la monarchie des Habsbourg et l’Occident,

les liens entre la culture européenne et les traditions qui distinguaient l’Ukraine,

aux yeux de tant de patriotes ukrainiens,

de la Russie.

Après avoir annexé ces territoires en 1945,

Moscou les avait délibérément coupés de leur histoire habsbourgeoise.

Le génocide et les nettoyages ethniques avaient déjà irrévocablement modifié la population.

Les Allemands avaient tué la grande majorité des Juifs entre 1941 et 1944 ;

les Soviétiques avaient ensuite déporté les Polonais (et les Juifs qui avaient survécu) en Pologne. » Etc.

Quant à l’Autriche _ pages 294-295 _,

« dans la mesure du possible, la façon dont elle se représentait elle-même,

évitait la politique

et insistait sur la culture,

et, au-dessus-de tout, la musique » _ l’immense Thomas Bernhard dit-il autre chose ? Qu’on le relise !!!

Parfois, cependant, la musique à Vienne était trop molle _ et kitch…

Les chefs d’orchestre et compositeurs juifs,

au centre de la culture viennoise depuis que Gustav Mahler avait pris la direction de l’opéra de la Cour, en 1897,

avaient fui le pays dans les années 1930, ou avaient été tués au cours de l’Holocauste »

_ là-dessus lire le beau travail de Jacques Le Rider, Les Juifs viennois à la Belle-Époque_

Et _ page 295 _ « l’Ukraine

était perdue pour l’Autriche

non seulement de l’autre côté du rideau de fer,

qui commençait à moins de quatre-vingt kilomètres à l’est de Vienne,

mais au-delà (? ou, bien plutôt, à l’intérieur !) des limites intellectuelles de la nouvelle identité nationale

que les Autrichiens s’étaient forgée _ encore une traduction aberrante !

Sous les Habsbourg, l’Autriche n’avait jamais été une nation ;

elle était d’une certaine manière

au-dessus des nations,

dans une identification avec la monarchie et l’empire.

Pour que l’Autriche devînt une nation,

elle devait descendre de son piédestal

et son peuple devenir comme les autres _ cela convient-il, cependant, à la France et au peuple français ?.. _ en Europe.

L’Autriche neutre _ d’après 1945 _

recherchait la sécurité,

penchant vers l’Ouest

et évitant les connexions à haut risque avec l’Est« …

Et _ page 296 _ « la guerre froide aussi connut son terme,

pas les Habsbourg.

Les femmes les plus importantes de la dynastie dans la vie de Guillaume,

sa belle-sœur Alice (1889-1985 : l’épouse de son frère Albert)

et l’impératrice Zita (1892-1989 : l’épouse de l’empereur Charles Ier),

vécurent assez longtemps pour assister au déclin de l’Union soviétique

et à l’émergence d’une nouvelle Europe« …


Jusqu’à _ page 297 _ « la fin de l’Union soviétique

et sa désintégration au profit des républiques qui la constituaient.

A la fin de 1991, l’Ukraine était un État indépendant.

Le court XXe siècle était terminé« …

Et _ pages 300-301 _ « La chute de l’Union soviétique en 1991 libéra l’Ukraine,

qui incluait la Galicie et la Bucovine,

toutes deux parties intégrantes de l’ancien domaine royal des Habsbourg« …

« Otto, le fils de Zita,

qui avait été élevé en vue d’une restauration de la monarchie dans les années 1930,

était toujours actif en politique,

soixante ans après,

en tant que membre du parti conservateur allemand de Bavière

et député au Parlement européen. (…)

En 1935, Guillaume était tombé à cause d’un scandale à Paris,

privant Otto du soutien d’un Habsbourg en Ukraine

et plongeant dans l’embarras toute la famille.

Sept décennies après cette déconvenue,

Otto parlait à nouveau de l’Ukraine.

A la fin de 2004, il déclara

que la nouvelle Europe se déciderait à Kiev et à Lviv.

Otto avait raison.

L’Ukraine était la plus grande et la plus peuplée des républiques postsoviétiques en Europe,

un pays de la taille de la France et de cinquante millions d’habitants.

A ce titre, elle faisait figure de test

pour savoir si la démocratie pouvait s’étendre à l’Europe postcommuniste. (…)

L’Ukraine, ancienne république soviétique,

n’avait guère connu d’existence indépendante _ c’est là au moins un euphémisme ! _

et devait créer de toutes pièces _ Cf le grand livre de Cornelius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société _ un appareil d’État autonome

en plus d’une démocratie et d’un marché.

Comme tous les pays qui avaient enduré le communisme depuis l’origine,

c’est-à-dire depuis la formation de l’Union soviétique,

l’Ukraine rencontrait des difficultés pour entreprendre une transformation aussi fondamentale.

L’idée de l’État comme réalité objective, par delà (?) le contrôle personnel de ses chefs,

était une chose entièrement nouvelle.

De même que d’immenses fortunes étaient réalisées dans une ère de privatisations des plus opaques,

l’État en vint à être considéré comme le protecteur des barons de l’économie, appelés oligarques.

Dans les premières années du XXIème siècle,

l’Ukraine glissait vers un autoritarisme oligarchique

qui voyait un président aux pouvoirs considérables gouverner avec un entourage fluctuant d’hommes et de femmes richissimes, qui, entre autres choses, contrôlaient les chaînes de télévision« …

Puis vint la « révolution orange« .

Page 302 : « En Russie, aux États-Unis et en Europe,

bien des gens comprenaient la « révolution orange« , comme on l’appelait,

en termes ethniques.

Les partisans de Iouchtchenko étaient décrits dans la plupart des médias

comme des Ukrainiens ethniques,

des gens dont les actes étaient en quelque sorte dictés par leur origine familiale.

Les adversaires de la démocratie étaient présentés, de manière non moins discutable, comme russes. (…)

Il n’y avait aucune raison pour que les journalistes associent ainsi ethnicité et politique.

La hâte irréfléchie _ essentiellement médiatique, journalistique, de bien pauvre connaissance historique ! _

à définir la politique est-européenne comme essentiellement raciale

était une victoire intellectuelle _ hum !.. _ des politiques nationales de Hitler et Staline

sur le legs plus doux et plus équivoque des Habsbourg »…

Alors que « la « révolution orange » en elle-même était la revanche politique des Habsbourg« .

Page 303 :

« Quand l’Union soviétique s’effondra, en décembre 1991,

l’Ukraine put se pourvoir d’une forme d’État qui lui convenait.

Les frontières de la république soviétique définissaient soudain un pays indépendant.

Lorsque le gouvernement ukrainien sombra dans la corruption,

l’idée nationale fut à nouveau disponible,

comme le gouvernement du peuple, ou démocratie _ mais que font les relecteurs ?


Pendant la « révolution orange » de 2004,

les patriotes ukrainiens prirent des risques pour défendre leur vision de l’Ukraine

dans laquelle les citoyens auraient leur mot à dire sur la gouvernance (!).

Dans les événements de 1991 et 2004,

la population de l’ancienne province habsbourgeoise de Galicie

joua un rôle disproportionné (!!!) _ au secours, les relecteurs !!! Réveillez-vous ! Vous dormez !

Bien des patriotes ukrainiens (…) défendaient la nation ukrainienne

non pour des raisons ethniques,

mais par choix politique.

Le courageux journaliste décapité _ Georgii Gongadze _ était né dans le Caucase, loin de l’Ukraine.

La ville où se déclencha la révolution ukrainienne, Kiev, parle russe.

La nation est une question d’amour plus que de langue« …

Page 304 :

« La « révolution orange » fut le combat pour la démocratie le plus important dans l’Europe du début du XXIe siècle « …

Page 306 :

« Guillaume _ qui n’avait certes pas défendu toujours des options démocratiques : dans l’espoir que Mussolini et Hitler bousculeraient les situations établies, en Ukraine soviétique, comme en Galicie devenue polonaise, Guillaume de Habsbourg avait adhéré dans l’entre-deux-guerres à ce que Timothy Snyder qualifie joliment de « fascisme aristocratique« _,

durant les années 1940,

comme des millions d’autres Européens,

avait amorcé un basculement intellectuel (!) certain vers la démocratie.

Celle-ci ne pouvait s’accomplir politiquement que sur la moitié du continent non communiste,

comme le démontrèrent _ en négatif… _ l’enlèvement de Guillaume

_ à la Südbahnhof de Vienne, le 26 août 1947 ; cf page 286 _

et sa mort en Union soviétique« 

_ « dans un hôpital de prison soviétique de Kiev »,  le 18 août 1948 ; cf page 290…

« Guillaume a été sauvé de l’oubli

par une poignée d’historiens et de monarchistes ukrainiens fervents.

Avec la fin du communisme, à la fin du XXe siècle,

et l’élargissement de l’Union européenne au début du XXIe,

les Histoires des nations européennes vont peut-être connaître une redéfinition

en termes plus cosmopolites ;

et Guillaume trouver sa place dans chacune d’entre elles.

Lui et les Habsbourg reviendront.

En fait, avec le réveil de l’Ukraine,

ils sont déjà là« …

Page 312 :

« Au début du XXIe siècle, l’Union européenne se trouve

dans ce que l’on pourrait appeler

« la position des Habsbourg » :

elle contrôle une immense zone de libre-échange,

au centre d’un paysage économique globalisé,

mais sans possessions maritimes reculées,

et dans l’incapacité de déployer une puissance militaire décisive, dans un âge de terrorisme imprévisible. (…)

L’Union européenne, comme la dynastie des Habsbourg,

est dépourvue d’identité nationale ;

et pourtant son destin est de résoudre la question nationale

au sein de ses parties constituantes

comme le long de ses frontières.

Les Habsbourg obtenaient les plus grands succès

lorsqu’ils abordaient les questions nationales

en mêlant tact, pressions économiques et promesses d’emplois bureaucratiques.

Les Européens, aux forces militaires extrêmement limitées,

n’ont pas d’autre choix que de les imiter.

En général, cela leur réussit plutôt bien« …

Page 316 :

« Même les plus libres des sociétés démocratiques

ne permettraient pas les sortes de choix que firent les Habsbourg« …


« La possibilité de se faire ou refaire une identité _ que Guillaume de Habsbourg sut saisir et se ménager et réaménager tout le long de sa vie… _

n’est pas très éloignée du cœur même de l’idée de liberté ;

elle consiste à s’affranchir de l’oppression d’autrui et à devenir soi-même.

Dans leurs meilleurs jours,

les Habsbourg jouirent d’une sorte de liberté

dont nous ne disposons plus :

celle d’une autocréation imaginative et résolue. (…)

Les Habsbourg bénéficièrent de la croyance qu’ils étaient l’État,

plutôt que les sujets de celui-ci.

Mais n’est-ce pas ce que tout individu libre espère :

prendre part à un gouvernement

plutôt que d’en être l’instrument ?« …

Le livre s’achève, page 323, sur la description aujourd’hui d’une petite place de Lviv

_ « Lviv est demeurée la plus fières des villes ukrainiennes, même sous la férule soviétique ; c’est aujourd’hui la plus patriotique de l’Ukraine indépendante«  _ :

« Dans un quartier tranquille,

une petite place porte le nom de Guillaume,

ou plutôt de Vasyl Vyshyvanyi.

Son seul ornement est une plaque de rue en noir et blanc.

En son centre, un socle gris ne supporte aucune statue.

Alentour, des balançoires et des bascules sont peintes de couleurs vives.

Vasyl Vyshyvanyi est un terrain de jeu.

Au cours d’un après-midi d’été,

des grands-mères assises sur un banc surveillent leurs petits-enfants.

Aucun d’eux ne saurait dire qui était Vasyl Vyshyvanyi.

Je leur raconte l’histoire de Guillaume« …

Pour le reste,

nous suivons le parcours européen de Guillaume,

de sa naissance à Pula, le 10 février 1895 _ où son père, amiral, dirige la flotte de l’Adriatique _,

à sa mort, à Kiev, le 18 août 1948.

En 1896, l’amiral Étienne de Habsbourg-Teschen prend sa retraite d’amiral,

et s’installe avec sa famille dans l’île de Losijn,

dans le palais Podjavori, « Sous les lauriers« …

Et c’est en 1907 que la famille s’installe dans le « Château-neuf » de Zywiec,

en Silésie polonaise habsbourgeoise…


Ensuite,

Guillaume se trouvera à Vorokhta, dans les Carpates, à l’extrême sud de la Galicie, l’été 1912 ;

puis, ayant terminé sa formation militaire à Wiener-Neustadt, le 15 mars 1915,

il gagne le front en Galicie le 12 juin 1915,

et participe à la reprise de Lviv sur les Russes, quatre jours plus tard.

Et voici quelques lieux  où se trouvera Guillaume, après Lviv :

Vienne, Lviv, Vienne, Kherson, la Sitch, Vienne, Spa, dans les plaines d’Ukraine, Odessa, Tchernivtsi, Lviv _ la Grande Guerre vient officiellement de se terminer le 11 novembre 1918 ; mais les hostilités se poursuivent à l’est jusqu’en mars 1921… _ ;

Boutchach (en Galicie sud-orientale), Bucarest, Kameniets-Podilsky (en Podolie) _ en septembre 1919 _, en Ukraine _ en novembre et décembre 1919 _, Bucarest _ de janvier à mars 1920 _ ;

Vienne _ du printemps 1920 à novembre 1922 _ ;

Madrid _ de novembre 1922 à 1926 _ ;

Enghien-les-Bains _ 1926-1931 _ ;

Paris _ d’octobre 1931 à la mi-juin 1935 _ ;

Vienne _ jusqu’au 26 août 1947 _ ;

Baden _ de septembre à décembre 1947_ ;

Lviv _ le 20 décembre 1947 _ ;

Kiev _ à partir de la fin décembre 1947, jusquà sa mort, le 18 août 1948…



Titus Curiosus, ce 30 décembre 2013

 

 

Le diable se cache dans les détails : la fécondité des travaux de recherche de « micro-histoire »…

31août

Me consacrant, cet été 2013, à des recherches personnelles d’Histoire ultra-ciblées sur les parcours de quelques personnes, autour du camp de Gurs et du 526e Groupe de Travailleurs Étrangers (GTE) d’Oloron, en priorité,

je procède aussi à des lectures _ nécessaires et passionnantes _ notamment de « micro-histoire » concernant ce qui s’est passé là _ c’est-à-dire le piémont pyrénéen d’Oloron, la vallée d’Aspe, la vallée d’Ossau _, et, un peu plus largement, dans une large région (ce qui était la XVIIe Région, pour Vichy ; et la Région 4, pour la Résistance) ayant _ alors _ pour centre Toulouse (comportant les départements de Haute-Garonne, Ariège, Hautes-Pyrénées, Gers, Lot-et-Garonne, Lot, Tarn-et-Garonne et Tarn, ainsi que les parties des départements des Basses-Pyrénées, Landes et Gironde _ à l’exception, toutefois, des deux cantons de Sainte-Foy-la-Grande et de Pujols, rattachés, eux, au département de Dordogne, et donc devenant, eux, dépendants de la Région de Limoges _ demeurées à l’est de la ligne de démarcation), entre juin 1940 et août 1944 _ sachant que l’État français (du régime de Vichy) naît le 11 juillet 1940, le lendemain de l’octroi des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, le 10 juillet 1940 _, la région se libérant de l’Occupation allemande (intervenue, elle, le 11 novembre 1942 : en réplique au débarquement des Alliés en Afrique-du-Nord) au cours de la seconde quinzaine du mois d’août 1944 : les débarquements d’abord de Normandie (6 juin) et ensuite de Méditerranée (15 août) en étant, par le retrait précipité des troupes de la Wermacht vers l’Allemagne _ qui en est la directe conséquence _ qui s’ensuit immédiatement sur ordre de Hitler, la cause principale ; et les attaques de la Résistance sur ces troupes en fuite, y ayant aussi notablement contribué…

Outre mes démarches personnelles _ contacts avec d’éventuels témoins (encore de ce monde en 2013), avec divers historiens ayant « labouré » le sujet, premières visites à des Archives départementales... _,

j’ai été amené à procéder à de scrupuleuses lectures méthodiques, et pas seulement de « micro-histoire », afin de mieux asseoir mes repères historiques, en particulier sur ce que fut la (fort complexe) Résistance intérieure, ses mouvements, ses réseaux… Ainsi que de tâcher de beaucoup mieux accéder aux réalités locales « de terrain » : en particulier dans les Basses-Pyrénées (Gurs, Oloron, Izeste-Louvie-Juzon), ainsi qu’en Haute-Garonne (Toulouse, Beaupuy, Muret), pour ce qui concerne l’objet singulier de ma recherche factuelle.

Voici donc, déjà, une liste de ces lectures méthodiques de ces deux mois :

_ Histoire de la Résistance 1940-1945, d’Olivier Wieviorka (aux Éditions Perrin) _ complétée par des coups d’œil ponctuels sur le Dictionnaire historique de la Résistance, sous la direction de François Marcot _,

_ Persécutions et entraides dans la France occupée, de Jacques Semelin (aux Éditions Les Arènes/Seuil),

_ Camps de travail sous Vichy _ Les « Groupes de travailleurs étrangers » (GTE) en France et en Afrique du Nord 1940-1944, la très remarquable thèse de Peter Gaida,

_ Le Camp de Gurs 1939-1945 _ Un aspect méconnu de l’Histoire de Vichy, de Claude Laharie (J&D Éditions),

_ Le Camp de Gurs (1939-1945), de Martine Cheniaux et Joseph Miqueu (au Cercle historique de l’Arribère),

_ Le Chemin des Pyrénées, de Lisa Fittko (aux Éditions Maren Sell),

_ Les Camps de la honte, d’Anne Grymberg (aux Éditions La Découverte),

_ Basses- Pyrénées, Occupation, Libération 1940-1945, de Louis Poullenot (aux Éditions Atlantica),

_ Résistances en Haut-Béarn, de Michel Martin (aux Éditions Atlantica),

_ Arrêt sur Images : Oloron-Sainte-Marie 1908-1945, sous la direction de Pierre-Louis Giannerini,

_ Contribution à l’Histoire de la famille de Pierre Klingebiel, de 1919 à 1947 _ Correspondances et souvenirs, rassemblés par André Klingebiel,

_ Les Camps du Sud-Ouest de la France _ Exclusion, internement et déportation 1939-1944, sous la direction de Monique-Lise Cohen et Eric Malo (aux Éditions Privat),

Les Juifs à Toulouse et en Midi toulousain au temps de Vichy, de Jean Estèbe (aux Presses Universitaires du Mirail),

_ La  Résistance à Toulouse et dans la Région 4, de José Cubero (aux Éditions Sud-Ouest),

_ Libération de Toulouse et de sa Région, de Pierre Bertaux (aux Éditions Hachette-Littérature),

_ Les Hautes-Pyrénées dans la Guerre _ 1938-1948, de José Cubero (aux Éditions Cairn),

_ Vichy en Aquitaine, sous la direction de Jean-Pierre Koscielniak et Philippe Souleau (aux Éditions de l’Atelier)…

Je veux d’abord faire l’éloge des recherches de micro-histoire (ou histoire locale, voire histoire singulière), qui, indépendamment de tout désir d’enseignement, cherchent d’abord à établir la singularité même des faits, des événements affectant des personnes uniques…

Ainsi que l’affirme, au passage, en son Pour conclure, le très fin Jean Estèbe, page 299 de son magnifique Les Juifs à Toulouse et en Midi toulousain au temps de Vichy, bien au delà de ce qui « peut sembler inccongru et témoigner d’un certain provincialisme« , « l’avantage d’une observation régionale » est bel et bien « de faire apercevoir les faits avec plus de précision » : surtout quand ces faits sont demeurés inconnus ! L’affaire du choix de la focale dépasse donc, et très largement, le critère du qualitatif de l’analyse historienne…


Ainsi veux-je bien souligner, par exemple, l’importance de l’apport du travail de Bernard Reviriégo, en son article « Les GTE en Dordogne : des camps de travail forcé au service de Vichy« , pages 296 à 309 du passionnant, de bout en bout, Vichy en Aquitaine , qu’ont dirigé Philippe Souleau et Jean-Pierre Koscielniak, paru en octobre 2011 : un travail tout entier de « micro-histoire » extrêmement précise qui, grâce à la connaissance de très nombreux faits très précis, aide aussi à faire comprendre, par l’exemple chaque fois détaillé, le vécu de ces travailleurs étrangers des GTE de Vichy,

et qui vient compléter la thèse (essentielle !) de Peter Gaida, l’indispensable Camps de travail sous Vichy _ Les « Groupes de travailleurs étrangers » (GTE) en France et en Afrique du Nord 1940-1944, en 2008,

ainsi que le bel article de Christian Eggers « L’Internement sous toutes ses formes : approche d’une vue d’ensemble du système d’internement dans la zone de Vichy« , en 1995…


De même que l’excellent article de Lilian Pouységur, « Les Réfugiés républicains espagnols dans le sud-ouest de la France : l’exemple de la Haute-Garonne (1939-1944)« , pages 25 à 34 du très riche Les Camps du Sud-Ouest de la France _ Exclusion, internement et déportation 1939-1944, sous la direction de Monique-Lise Cohen et Eric Malo, en 1993.

Ainsi sur ce sujet des GTE de Vichy, bien des études locales demeurent-elles absolument indispensables. Ces GTE étant loin d’être à ce jour tous identifiés, reconnus, et a fortiori connus et étudiés….

Et je dois dire qu’il en va tout à fait de même des camps d’internement ; ainsi, par exemple, pour le camp du Ruchard, en Indre-et-Loirs, au sud-est de Tours : je l’ai cherché en vain dans la « somme » que constitue le riche La France des camps, l’internement 1968-1946 de Denis Peschanski (aux Éditions NRf) _ et j’en profite, au passage, pour remarquer le défaut, en nombre comme en qualité, des cartes dans les livres d’Histoire : défaut ô combien endémique en France, hélas ! il me faut bien le constater !..

En tout cas,

le chantier de cette nécessaire focalisation historique

demeure _ plus que jamais : les archives devenant plus aisément accessibles, puisque « la loi n’autorise la consultation des fonds concernant cette période qu’au terme de soixante années, sauf demande de dérogation«  ; ces « règles de communicabilité des archives » « en ayant longtemps rendu l’accès difficile à ceux-là-mêmes qui, concernés dans leur chair, étaient avides d’avoir accès à des informations vitales et douloureuses« , pour reprendre les mots de Bernard Reviriego, page 12 de son Introduction à son admirable Les Juifs en Dordogne 1939-1944 _ de l’accueil à la persécution, paru en 2003… _

ouvert, inlassablement à reprendre,

à préciser, rectifier, améliorer :

c’est une œuvre à la fois singulière et ollective…

Titus Curiosus, le 31 août 2013

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur