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Comprendre les musiques : un merveilleux gradus ad parnassum _ les « Eléments d’Esthétique musicale : notions, formes et styles en musique » aux éditions Actes-Sud / Cité de la musique, sous la direction de Christian Accaoui

15juil

En huit-cent pages d’une lisibilité optimale,

Christian Accaoui et l’équipe qu’il a réunie de dix-sept autres musicologues,

nous livrent une lumineuse entrée, en 101 articles _ depuis « abstraction esthétique » jusqu’à « virtuosité« , en passant par « musique et texte«  _, à plus de cinq siècles de musique(s),

en l’espèce de ces passionnants Éléments d’Esthétique musicale _ Notions, formes et styles en musique,

qui viennent de paraître, le 2 mars 2011, aux Éditions Actes-Sud / Cité de la Musique.


La quatrième de couverture résume excellemment le propos de cette magnifiquement éclairante entreprise :

« Offrir au plus large public un panorama général de l’esthétique musicale de 1600 à nos jours, sans exclure les références aux époques antérieures _ ainsi l’article Moyen-Âge _, telle est l’ambition _ parfaitement tenue !!! _ de cet ouvrage.

Les auteurs de ces Éléments d’esthétique musicale se sont donné trois principes directeurs : placer au centre du propos les œuvres elles-mêmes _ d’abord ! _, en les admirant et en les questionnant _ en effet ! _ ; ne jamais perdre de vue que la musique tour à tour parle, peint, fait rêver, émeut, divertit, console, tonifie, amuse, élève, exalte, solennise, ritualise, fait danser, s’adresse à l’intelligence des formes, porte à la mélancolie ou au rire, etc. _ vecteurs multiples d’où procède dynamiquement le sens ! _ ; mettre en évidence ce qui relie _ intensément _ la musique au monde, le musical à l’extra-musical _ soit contextualiser la musique dans la diversité plurielle très riche de ces liens plus que vivants : à vif !

Ces Éléments proposent, par ordre alphabétique, une centaine de définitions qui sont autant d’interrogations _ c’est décisif ! et rend ce travail mille fois plus vivant qu’un académique dictionnaire statique ! _ : techniques (Notation, Rythme…), formelles (Fragment, Sonate…), stylistiques (Baroque, Jazz et musique savante, Postmodernité…), esthétiques (Formalisme, Imitation, Ironie, Rhétorique…), pratiques (Enregistrement, Improvisation, Instrument…) ou encore méthodologiques (Ethnomusicologie, Sociologie…).

Par l’étude _ fouillée et efficace : éclairante _ du contexte (social, littéraire, philosophique, artistique) qui voit naître les œuvres, y impose sa marque et induit des pratiques spécifiques, notions et musiques sont replacées dans leur époque, afin de ne pas projeter sur elles nos catégories modernes » _ projection source de contresens formalistes (ou structuralistes), eu égard aux prégnances encore vivaces de la modernité musicale d’entre 1945 et les années quatre-vingt, quatre-vint dix du siècle dernier ; dont le prototype demeure en France notre Pierre Boulez…

La jeune équipe _ précise, dynamique et efficace ! _ de cette très performante entreprise d’analyse de pensée et d’édition

qu’a réunie Christian Accaoui _ maître de conférences à l’université Paris VIII et professeur d’esthétique musicale au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris : lui-même est intervenu (avec beaucoup de pertinence, chaque fois) dans 50 des 101 entrées _

est, me semble-t-il, passée par les acquis, désormais, de la génération des Baroqueux _ à la suite des géniaux Gustav Leonhardt  et Nikolaus Harnoncourt : seul le second est cité dans l’ouvrage _,

qui a permis de bien situer _ très historiquement _ le contexte des diverses fonctions _ entrecroisées _ de la musique,

et en particulier son ancrage _ profond et décisif _ dans la rhétorique _ j’y reviendrai dans l’article que je dois prochainement consacrer au très remarquable travail (très fouillé) de Martin Kaltenecker, L’Oreille divisée _ L’écoute musicale aux XVIIIe et XIXe siècles, aux Éditions MF, paru en mars 2011 également.

Christian Accaoui précise tout cela dans son très judicieux et éclairant Avant-propos, pages 9 à 12 :

« Parce que ce sont les œuvres elles-mêmes qui nous intéressent _ et pas les courants théoriques : un recentrage très sain ! _ et nous attirent _ nous aussi, mélomanes ! _ ;

et parce que nous sommes persuadés qu’elles nous intéressent et nous attirent au-delà de leur facture _ technique _ en vertu de la part de monde _ voilà ! _, de vie, d’humanité _ mais oui ! _ qui les habite _ et les fait elles-mêmes déjà vivre, et d’abord naître sous la plume des compositeurs qui les créent ! en l’imageance même de leur poiêsis ! _,

notre ambition principale _ c’est excellemment souligné ici, page 9 _ est de mettre en évidence _ c’est parfaitement réussi ! _ ce qui relie _ si vivement _ la musique au monde extra-musical » _ à contre-pied des endogamies formalistes qui tiennent encore aujourd’hui le haut-du-pavé de bien des allées des (petits) mondes institués et en place de la musique : Christian Accaoui le souligne très bien.

Et de préciser ici :

« Pour autant, il ne s’agit pas d’arracher les œuvres à leur technicité,

il s’agit de mettre en correspondance _ voilà l’opération décisive _ leur technicité avec le sens qui l’a commandée«  : nous voici ici au cœur même de cette lumineuse et très efficace et très réussie _ chapeau ! _ entreprise

La démarche est ici triple : « descriptive, culturelle, historique :

décrire _ avec clarté _ les éléments fondamentaux de la musique,

resituer _ avec justesse et un maximum d’amplitude _ les œuvres musicales dans la culture et tout particulièrement dans leur contexte d’origine,

mesurer _ avec sens critique et modestie _ la distance historique qui nous sépare de ces contextes d’origine« .

« Un certain nombre d’entrées traitent donc _ il s’agit de « décrire » simplement et clairement : en évitant autant que possible le jargon technique ; et pour mieux les faire « approcher » et « comprendre« … _ des notions techniques essentielles : composantes de la musique (HARMONIE ET CONTREPOINT, MÉLODIE, RYTHME, THÈME, TIMBRE, etc.), « langages » (MODALITE, TONALITE, ATONALITE, etc.), formes (FUGUE, FORME-SONATE, SUITE, etc.), éléments fondamentaux de la pratique (INSTRUMENT, NOTATION, VARIATION, etc.)« .

Ensuite, le travail crucial de « resituer » :

« Relier le musical à l’extra-musical,

c’est éclairer ces éléments techniques par les contextes _ littéraire, philosophique, artistique, social hiérarchie des adjectifs historiquement très judicieuse ! _ et mettre en évidence l’arrière-plan culturel _ fondamental _ qui les enveloppe _ voilà _ et y laisse sa marque : par exemple, l’architecture de la forme-sonate doit beaucoup à la conception du temps de l’idéalisme allemand, ou le sérialisme généralisé à la pensée structuraliste _ en effet ; et c’est parfaitement réalisé !

Mais c’est aussi porter son attention à la pratique musicale elle-même _ car c’est là l’humus et le terreau de cette culture _,

irréductible, singulière _ parfaitement ! _,

qui contribue à son tour à façonner _ mais oui : en un processus de feed-back plus ou moins congruent _ le contexte culturel.

Cet entre-deux, où se croisent le musical et l’extra-musical, est constitué :

a) par l’intersection entre le domaine musical et la conception du monde propre à chaque époque. La culture a connu des mutations, progressives ou soudaines _ selon des temporalités en effet variables et contrastées : cf François Hartog : Régimes d’historicité _ présentisme et expériences du temps, aux Éditions du Seuil, en 2002… _, qui ont délimité des époques nettement différenciées _ oui ! Gare aux projections anachroniques naïvement égocentrées ! Le cours de l’histoire de la musique a été profondément infléchi _ et c’est encore trop peu dire ! _ par ces mutations _ radicales civilisationnellement : l’aisthêsis est le terrain de fond de l’humanisation ; cf par exemple Jacques Rancière : Le Partage du sensible_ qui ont induit chaque fois une manière singulière de se représenter la musique et de projeter du sens sur le son _ opération principielle on ne peut plus décisive ! et qu’il importe de saisir en sa variable spécificité _ : c’est ainsi que l’essence de la musique est au début du Moyen-Âge le nombre, à l’âge classique l’imitation, à l’ère romantique et moderne la forme de la musique pure. D’où les entrées qui marquent ces régimes très généraux de la musique (NOMBRE, IMITATION, FORMES MUSICALES, MUSIQUE PURE ET MUSIQUE ABSOLUE, etc.) ;

b) par des notions esthétiques générales, communes à plusieurs arts, ou qui découlent des régimes cités  précédemment (POÉTIQUE, SUBLIME, IRONIE, SYMBOLE ROMANTIQUE, etc.) ;

c) par les grandes catégories stylistiques issues de l’histoire de l’art (BAROQUE, CLASSIQUE, MOYEN-ÂGE, RENAISSANCE, ROMANTISME, etc.) ;

d) par les mouvements artistiques de l’époque moderne. Par exemple, le symbolisme, courant essentiellement littéraire, a marqué durablement Debussy et passagèrement Bartok ou Schönberg (d’où les entrées SYMBOLISME, EXPRESSIONNISME, NÉOCLASSICISME, SURRÉALISME, etc.) ;

e) par la nature des rapports qui lient, fortement ou faiblement _ c’est, de fait, très variable _, la sphère du musical et le reste de la société (ABSTRACTION ESTHÉTIQUE, FONCTION, POLITIQUE, SOCIOLOGIE, etc.) ;

f) par la marque laissée sur la musique par les arts, les disciplines, les divers domaines qui ont contribué à la façonner, elle qui s’est longtemps développée en relation avec le rite, le verbe, la danse, la fête, les passions (voir JAZZ ET MUSIQUE SAVANTE, MUSIQUE RELIGIEUSE, PASSIONS, RHÉTORIQUE, SACRÉ ET PROFANE, etc.) ;

g) par les concepts de l’esthétique philosophique. S’il est souhaitable que l’approche de la musique ne soit pas orientée et surplombée _ en effet _ par les concepts philosophiques, on ne peut ignorer que ces derniers n’ont cessé d’induire _ oui, plus souterrainement et à terme _ des présupposés, conscients ou non, chez les musiciens et les musicologues. Quelques entrées traitent donc de notions spécifiquement philosophiques (BEAU _ SUBLIME _, ESTHÉTIQUE) ;

h) par les multiples _ le plus souvent mal diffusés par l’édition : que de lacunes ici ! _ écrits sur la musique (débats théoriques, polémiques, traités d’interprétation, pages littéraires) qui dessinent les horizons de pensée et d’attente _ mais oui : une mine laissée à l’abandon _et éclairent les diverses représentations que l’on a pu se faire de la musique au cours des âges, ainsi que le sens que les compositeurs ont voulu mettre _ mais oui _ dans leur art ;

i) par les divers champs disciplinaires qui sondent _ voilà _, chacun d’un point de vue différent, le phénomène musical. Relier le musical à l’extra-musical ne peut se faire qu’en croisant _ c’est cela ! _ des approches fondées sur ces disciplines variées, croisement qui présuppose à son tour une étude critique et historique _ à mener : et c’est ici entrepris ! _ de chacun de ces champs (ANALYSE, ESTHÉTIQUE, HERMÉNEUTIQUE, SOCIOLOGIE, etc.).« 

Et Christian Accaoui de préciser enfin les enjeux d’actualité et inactualité historique :

« Replacer les œuvres dans leur contexte d’époque, c’est éviter l’anachronisme si fréquent qui consiste à projeter _ idéologiquement : comme s’il s’agissait de substances immuables : « naturelles » ! _ nos catégories modernes sur des notions et des œuvres anciennes.

Cet ouvrage est donc esthétique (…) au sens large : en ouvrant en grand ses pages à la poétique et à la rhétorique qui étaient chez les Anciens et les classiques avant l’apparition de l’esthétique _ Baumgarten, Kant, au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle _ le lieu pour la critique d’art _ qui naît elle-même au cours de la première moitié de ce même siècle ; avec l’émergence d’un public : multiplication de salles d’opéra (après Venise), premières salles de concerts (le Concert Spirituel à Paris, en 1725), etc.

Resituer les œuvres et les pratiques musicales dans leur contexte d’origine sans les resituer dans l’histoire, ce serait les figer dans l’esprit ou les mentalités du temps qui les ont vu naître. Les resituer dans l’histoire, c’est les replacer dans les traditions dont elles sont issues et mesurer la distance historique qui nous sépare de leur monde d’origine et qui les voue à toutes sortes d’avatars et de réinterprétations.

Si certaines notions sont spécifiques d’une époque donnée (le poème symphonique par exemple n’intéresse quasiment que la période romantique _ qu’en penserait un Lucien Durosoir en 1920 pour le Poème, ou 1924 pour Le Balcon ? par exemple… _, d’autres sont transhistoriques.

Dans ce dernier cas, nous avons cherché à retracer brièvement l’évolution _ le négliger conduit à trop de confusions… _ des notions qui connaissent selon les cas éclipses, mutations, avatars. Nous avons tenté de comprendre la diversité _ signifiante _ des usages d’un terme, l’évolution, parfois sinueuse _ mais oui ! _, d’un concept«  _ cf ici le travail passionnant en philosophie politique d’un Michaël Foessel en son État de vigilance ; et cf mon article sur ce travail le 18 janvier 2011 :Faire monde” face à l’angoisse du tout sécuritaire : la nécessaire anthropologie politique de Michaël Foessel« 

Ainsi l’ouvrage fait-il tout spécialement « ressortir la spécificité _ oui : c’est indispensable _ des époques de l’histoire de la musique et les grandes lignes de force _ voilà _ qui les traversent _ et travaillent _, mettant en lumière un développement à la fois continu et discontinu« . Car « ce développement a laissé des traces, comme des sédiments stratifiés _ c’est cela ! _, dans nos manières d’entendre et structure _ toujours _ nos écoutes«   _ cf ici le très remarquable L’Oreille divisée de Martin Kaltenecker…

De cet aperçu rétrospectif (et présentatif de son mode d’emploi, en cet Avant-propos) sur la logique de cet ouvrage qu’il a conduit,

Chritian Accaoui conclut, page 12, ceci,

qui est décisif pour le présent de la lecture :

« Un tel but ne peut que tendre résolument à rompre avec le formalisme _ voilà _ qui a dominé la musicologie depuis 1960 ; et dont elle se détache _ de même que la musique même _ progressivement depuis une quinzaine d’années.
On voudrait conserver de l’approche formaliste la rigueur qu’elle a apportée dans l’approche interne des œuvres,
mais rejeter son déni _ mutilant et fallacieux _ des propriétés externes,

déni qui a contribué à replier la musique sur sa technique, à la couper _ tragiquement ! _ du monde.« 

« Plus précisément _ poursuit-il en ce très remarquable Avant-propos de ce livre majeur pour l’approche non musicienne, mais mélomane de la musique, d’une lecture très claire ! et très pédagogique en le partage de sa culture plurielle si lumineusement croisée en ses aperçus proposés _,

nous pensons qu’il n’y a pas de séparation nette _ voilà _ entre propriétés internes et propriétés externes,

que toutes les musiques ne se réduisent pas _ idéellement _ à des « formes en mouvement »,

qu’elles ne vont pas seulement « se signifier elles-mêmes »,

que comme les autres artefacts elles sont partie prenante de systèmes symboliques généraux

et peuvent avoir des implications politiques,

une fonction sociale _ et même civilisationnelle ! face aux avancées du nihilisme… _,

bref qu‘elles réfèrent _ de même que tout vivant _ à autre chose qu’elles-mêmes.

Dans ces conditions,

les commenter,

c’est d’emblée les interpréter,

aller à la quête de leur sens » _ le concept et l’enjeu essentiel(s) de ce large et puissant travail !

Bref, en l’alacrité même de son écriture, ce livre est passionnant, et nous fait approcher avec beaucoup de finesse (et justesse !) de l’étrangeté de ce que peut signifier la musique, tant pour les compositeurs, les interprètes _ les analystes-musicologues, aussi : au passage ! _ que les mélomanes, et aussi le (plus) grand public, parmi d’autres pratiques de sens et signification, à commencer, pour nous humains, par l’étrangeté (performante) du langage symbolique. Nous voyons comment si ce dernier est traversé par une polarité poétique de nature métaphorique, réciproquement l’imageance des arts non langagiers, et en l’occurrence, ici, l’imageance insinuante et incisive _ en ses pouvoirs spécifiques _ de la musique, est elle aussi traversée, et entre autres, par une polarité symbolique, en partie, mais pas exclusivement, de nature conceptuelle _ : les unes et les autres pratiques de sens vont ainsi jouer dans l’histoire des formes et des genres musicaux comme au chat et à la souris, quasi en permanence, mais selon des figures historiquement variables et variées déterminées : donnons-en pour exemple la naissance et les développements de l’opéra, avec les jeux plus ou moins souples et en tension, ici, de la musique et du livret. Le pôle romantique tendant, lui, à s’éloigner lui _ mais sans jamais y réussir entièrement ! les enjeux de « formes » demeurent pour des sujets de sens !!! _ du concept ; et donnant lieu à la figure de ce qui s’afficherait (trop) volontiers comme « musique pure« …

Voilà ce à quoi ce livre important et très vivant se consacre, en une approche quasi constamment inspirée.
C’est la raison _ passionnée _ pour laquelle j’en recommande très vivement la lecture, au gré _ ludique _ des renvois des articles les uns au autres, et au fil de l’Histoire même de la musique et de la culture. A un moment aujourd’hui où l’enjeu civilisationnel est, comme jamais, très puissant.

Le plaisir de la lecture _ et de l’intelligence du présent _, j’en suis sûr vous comblera.

Titus Curiosus, le 15 juillet 2011

   


Lire, écrire, se comprendre : allers et retours de « bouteilles à la mer » : la vie d’un blog…

23mai

Pour qui écrit-on ? Qui nous lira ? Se comprend-on si peu que ce soit d’un bout à l’autre de la chaîne des paroles et des écritures ? Entre « auteurs » et « lecteurs » ?..

Vivons-nous même seulement dans un « monde » vraiment « commun« , nous qui semblons, en « cohabitant » pourtant (un peu), en nous croisant pourtant (presque), en un espace (et un temps) plus ou moins « partagé(s) » ?..

Nos « bouteilles à la mer » rencontrent-elles jamais un de leurs destinataires

_ qu’il s’agisse d’un livre, sorti d’une « maison d’édition » et (un moment au moins) en vente sur l’étal d’une librairie ;

ou d’un article, donné à lire sur l’océan (encore plus volatil, probablement : si peu « matérialisé« …) de l’Internet ?..

A titre d’exemples,

ceci, en forme d’échanges de courriels…

Voici le mot de « réponse » de Jean-Yves Tadié, ce jour, à mon article (du 10 mars) sur son livre « Le Songe musical _ Claude Debussy«  :

« la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié »

à relier

_ et pas seulement parce que leurs livres appartiennent à la même très belle collection « L’Un et l’autre« , que dirige Jean-Bertrand Pontalis aux Éditions Gallimard : aux livres si délicats et si soignés, où un « auteur » s’interroge sur la personne d’un « autre« , en son « étrangeté » d' »altérité » admirable ; et admirée… _

à la « réponse » de Jean Clair (c’était le 23 avril) à propos de mon article (du 27 mars) sur son « La Tourterelle et le chat-huant« … :

« Rebander les ressorts de l’esprit (= ressourcer l’@-tention) à l’heure d’une avancée de la mélancolie : Jean Clair »

De :  Jean-Yves Tadié

Objet : Rép : Article sur « Le songe musical _ Claude Debussy »
Date : 23 mai 2009 16:24:17 HAEC
À :   Titus Curiosus


Cher Monsieur
Merci de votre bel article, qui est même un commentaire exhaustif ! Il m’a beaucoup touché par sa précision et son tact si rare.
Bien à vous
JY Tadié

 Et le « mot de réponse » de Jean Clair :

De :   Jean Clair

Objet : Rép : Article sur « Le Chat-huant et la tourterelle » sur le site de la librairie Mollat
Date : 23 avril 2009 10:25:35 HAEC
À :   Titus Curiosus

Cher Monsieur,
Je vous ai lu avec le plus vif intérêt _ et même un peu de confusion, car je ne pensais pas que mes petits écrits de fortune puissent être l’objet de pareilles exégèses !
Permettez-moi de vous remercier, du fond du cœur. Une telle assonance est rare.

Dans l’attente du plaisir de faire votre connaissance, peut-être .
Jean Clair

Tous les deux s’étonnent, semble-t-il, de la « rareté » de la « précision » et de l' »exhaustivité »
de telles lectures de leurs livres…


L’un parle de « tact » ; l’autre d' »assonance« …

A relier avec un mot d’esprit, a contrario, à propos des producteurs de films

aujourd’hui et autrefois,
lu sur le site du Nouvel Observateur (en ce moment même du Festival de Cannes) :

« Spécial Cannes : le navet en librairie, la courge à l’écran

Autrefois, les producteurs de cinéma dévoraient des livres.
Aujourd’hui, comme les lapins attirés par la lumière des phares, ils se jettent sur les listes des meilleures ventes…
 »

C’est effrayant !!!

Parfois, je me demande à qui je cherche donc à m’adresser

_ tant dans ce blog,
que dans la vie (et aussi mon métier)…


A de tels interlocuteurs (tels que Jean-Yves Tadié et Jean Clair), sans doute : plus (= mieux !) « humains » que les autres !..
Je dois être un incurable optimiste…

D’autant que de mon métier,

j’initie ceux qui deviennent maintenant _ hic et nunc : « Hic Rhodus, hic saltus !« … _ adultes

_ en ce passage (crucial !) de « mineur » à « majeur« , ainsi que le dit Kant en son indispensable « Qu’est-ce que les Lumières ? » _

au « philosopher« …

Cf ici mon récent article du 14 mai : « Crétinisation versus “apprendre à vivre” : comment former, à l’école et ailleurs, à l’essentiel ?« …

Ce sont certes là des messages « personnels« , mais

savoir

_ et peut-être rendre (si peu que ce soit) « public » _

qu’on est un peu lu et un peu compris (des « auteurs« ) comprenant, en ses « articles«  (plus longs, certes, que des « billets« ), les auteurs mêmes,

fait du bien : à partager aussi…

Titus Curiosus, ce 23 mai 200

Post-scriptum :

Et encore cette (si belle) réponse d’Élie During, le 22 avril dernier, à mon article du 17 avril « Elégance et probité d’Elie During _ penseur du rythme _ en son questionnement “A quoi pense l’art contemporain ?” au CAPC de Bordeaux » à propos de sa belle conférence au CAPC de Bordeaux :

De :   Elie During

Objet : Rép : Article sur ta conférence au CAPC du 7 avril
Date : 22 avril 2009 22:13:28 HAEC
À :   Titus Curiosus

cher Titus,
avant de m’envoler vers les Amériques pour _ une affaire personnelle _, je voulais te remercier chaleureusement pour la manière dont tu as rendu compte de cette soirée-conférence, en y joignant le texte de Bing (quel titre étrange, quand on y songe !). J’ignore quelles œuvres de Tatiana Trouvé ont été montrées à Miami (j’aurais bien aimé y être…).

En tout cas tu as vraiment inventé un nouveau style du billet :

c’est une écriture pleine de petites bifurcations, pleine de bricoles

(j’apprends de Lévi-Strauss que ce mot désignait autrefois les embardées ou les changements de direction brusques de l’animal en mouvement) ;

une écriture qui s’offre comme une annotation continue d’elle-même, ou plutôt un contrepoint (voilà, nous revenons à la musique) à d’autres voix : la mienne, mais aussi celles de tous les auteurs dont tu fais entendre l’écho au fil de ta plume…

amicalement,
e

C’est magnifique !

Même si nous avons eu loisir de bavarder à loisir « à bâtons rompus » lors du repas convivial qui a suivi la conférence au CAPC…

Un modèle de « leçon de musique », à l’occasion de la mort de Maria Curcio, « pianiste italo-brésilienne », à Cernache do Bonjardim (Portugal)

20avr

Un bel article d’Alain Lompech, « Maria Curcio, professeur de piano italienne« , dans le Monde (du jeudi 16 avril _ je ne m’en étais pas encore avisé _,

à l’occasion de la disparition, ce 30 mars dernier, à l’âge de 88 ans, de la pianiste (et longtemps professeur de piano) italo-brésilienne, Maria Curcio, à « Cernache do Boa Jardim » _ ou plutôt Cernache do Bonjardim _, au Portugal ;

et qui nous aide à un peu mieux

(= plus finement ; avec les « petites oreilles » d’Ariane« ,

dirait Nietzsche, qui s’y entendait ;

cf, entre autres, « Les Dithyrambes de Dyonisos« , par exemple dans « Dithyrambes de Dyonisos _ poèmes et fragments poétiques posthumes : 1882-1888« , in « Œuvres philosophiques complètes« ), soit l’édition Colli-Montinari, aux Éditions Gallimard, en 1975 ;

ainsi que, plus largement, quant à la finissime sensibilité auditive de Nietzsche :

de François Noudelmann, « Le Toucher des philosophes : Sartre, Nietzsche, Barthes au piano » ;

+ mon article sur ce grand livre, du 18 janvier 2009 : « Vers d’autres rythmes : la liberté _ au piano aussi _ de trois philosophes de l’”exister« ) ;

et qui nous aide à un peu mieux percevoir

et ce que peut être (à son plus beau) la musique ;

et, peut-être davantage encore (même si les deux sont consubstantiellement liés) :

ce qu’est son apprentissage et sa transmission (délicates et magnifiques, à leur meilleur) :

de professeur à élève, comme d’élève à professeur

_ et c’est aussi un échange tant mutuel que réciproque !

Quel miracle qu’existent encore de telles rencontres entre de tels professeurs (de musique) et de tels élèves (musiciens) !!! Cela va-t-il durer ?..

Au nombre des élèves de ce très grand professeur, on peut répertorier, entre autres _ et classés par ordre alphabétique (ce que fait « The Guardian« ) _, Pierre-Laurent Aimard, Martha Argerich, Myung-Whun Chung, Barry Douglas, José Feghali, Leon Fleisher, Peter Frankl, Claude Frank, Anthony Goldstone, Ian Hobson, Terence Judd, Radu Lupu, Rafael Orozco, Alfredo Perl, Hugh Tinney, Geoffrey Tozer et Mitsuko Uchida : excusez du peu…


Comme un exemple, cet article très émouvant d’Alain Lompech

_ et donc bien davantage qu’une métaphore belle (ou même commode) _

de ce qu’est l’Art, la Culture (incarnée, vivante, créatrice et nourrisante, tout à la fois _ pas sclérosée, ni mortifère ;

pas « asphyxiante« , comme s’en inquiétait Jean Dufuffet,

éperdument en quête de toujours plus de « fraîcheur » et de « liberté » de création, lui,

in « Asphyxiante culture« , en 1968 ; cf aussi, du même : « Prospectus aux amateurs de tous genres« , en 1946 ; et « L’Homme du commun à l’ouvrage« , en 1973) ;

un Art et une Culture inspirants !

afin de prolonger de ses gestes (et peut-être même, parfois, d’œuvres, ou de « performances », telles que « jouer une œuvre de piano ») les plus beaux mouvements de la Nature, se déployant toujours, elle, même si c’est très lentement

_ les Chinois le savent particulièrement mieux que nous

(cf l’ami François Jullien : « Penser d’un dehors (la Chine) : Entretiens d’un Extrême-Occident » _ avec Thierry Marchaisse ; ou, plus récemment : « Les Transformations silencieuses _ Chantiers 1« ) ; sans compter, sur l’Art même, le très nécessaire « La grande image n’a pas de forme _ à partir des arts de peindre de la Chine ancienne« , qui vient de paraître très utilement en édition de poche (en Points-Seuil)…

Car au-delà de la « Natura naturata« , c’est à la « Natura naturans » qu’il importe de « se brancher »,

de connecter en souplesse (et si possible, avec grâce) ses « branchies » ;

afin que bientôt s’agite en musique le feuillage frémissant de toutes ses « branches » tendues vers le ciel, vers la lumière du jour, au dessus du tronc, et en largeur épanouie, et proportionnellement, aussi _ ne pas le perdre de sa « vue mentale » _,  à l’extension, toujours en acte, elle aussi, de ses racines, dans l’humus noir (toujours un peu pourrissant) d’un sol activement fertilisant _ qu’il faut aussi entretenir, fertiliser : par une vraie éducation (et pas un dressage) et une vraie culture : véritablement inspirante ; car, nous, Humains, sommes bien incapables de créer à partir de totalement rien ; la création réclame l’humilité d’apprendre du meilleur d’autres…


Sur ce point, je rejoins, bien sûr, les positions de mon ami Bernard Collignon _ même si son style est assez loin du mien : chacun fait comme il peut !.. selon l’histoire de sa sensibilité _ en son numéro 76 de sa revue « Le Singe Vert« , consacré à « L’Education Nationale«  (c’est le titre de cette « livraison » : l’article fait 11 pages ; contact : colbert1@wanadoo.fr ) :

scandaleusement pauvre, l’institution, en initiation artistique ; au lycée tout particulièrement… Cherchez l’erreur des Politiques (et des Administratifs _ qui obéissent, statutairement). Car c’est bien, à la racine, une affaire de choix politique…

Nous sommes assez loin, en France, de la finesse et justesse de projet (« Yes, we can« ) civilisationnel de la hauteur de vues d’un Barack Obama, lequel n’a pas été, pour rien, et assez longtemps

_ avant de rechercher, par l’engagement politique, justement, davantage d’efficacité à cette action-civilisationnelle-là ! _

« travailleur social » dans des quartiers difficiles de Chicago

_ cf son très très beau « Les Rêves de mon père _ l’histoire d’un héritage en noir et blanc »

(cf, ici, mon article du 21 janvier 2009 ; « Les “rêves” de Stanley Ann Dunham, “la mère de Barack Obama, selon l’article de Gloria Origgi, sur laviedesidees.fr « )…

L’objectif, auquel Barack Obama est fidèle

(cf mon autre article, du 10 janvier 2009 : « L’alchimie Michelle-Barack Obama en 1996 ; un “défi”politique qui vient de loin« ),

ne semblant pas, pour ce qui le concerne, lui _ nous allons bien voir _, de s’offrir ostensiblement (à soi) des Rolex et des croisières sous les Tropiques, en fréquentant, prioritairement, les fortunés de Wall Street ; ou les « people« …

Fin de l’incise Obama ; et retour à l’apprentissage artistique, à partir de (et selon) l’article d’Alain Lompech : « Maria Curcio, professeur de piano italienne« …

Écologiquement, les métamorphoses

des organismes (individuels) se nourrissent _ nécessairement ! _ de l’interconnexion, infinie (inassouvissable, tant que l’on est vivant !), de ces échanges (d’eux, organismes _ en commençant par leur estomac !) avec l’altérité riche et dynamisante d’autres « éléments » excellents (que soi ; et pour soi) ;

à commencer par cette forme plutôt unilatérale d’échange qu’est la prédation (unilatérale : tueuse…) !!!


Je reviens à la disparition, le 30 mars, de la pianiste-professeur de piano _ et professeur (plus encore) de musique (via la musicalité) : Maria Curcio.

Certes, disparaître, s’éteindre, à « Cernache da Boa Jardim« 

_ ou plutôt Cernache do Bonjardim, semble-t-il ; pas très loin de Pombal et de Tomar ; et Leiria, et Coimbra _

n’a pas nécessairement, à soi seul, tout du moins, grand sens

_ même pour une femme (au-delà de l’artiste en elle) dont la mère était brésilienne (de Sao Paolo ; et donc de langue portugaise : avec des intonations de la parole encore plus douces et chantantes qu’au Portugal ; au Brésil, veux-je dire) _ ;

mais tout de même : je veux y voir des filiations esthétiques, d’aisthesis ;

surtout pour quelqu’un (toujours au-delà de l’artiste en elle) dont, aussi, le père était italien…

Il n’est, encore, que de suivre, la liste des lieux _ selon cet article, déjà, d’Alain Lompech _ où a vécu Maria Curcio, de sa naissance à Naples, le 27 août 1920, jusqu’à sa disparition, le 30 mars dernier, à Cernache do Bonjardim :

_ Naples, d’abord, cette ville exceptionnellement musicale _ je me suis un peu penché sur la vie musicale à Naples au XVIIIème siècle, au moment de la préparation du CD Alpha 009 du « Stabat Mater » de Pergolèse par le Poème Harmonique de Vincent Dumestre _ ce qui m’a permis de faire la connaissance de Pino De Vittorio et Patrizia Bovi (extraordinaires artistes ! napolitains !) _ ;

_ Tremezzo, sur les bords du lac de Côme, où Maria Curcio allait recevoir des leçons de piano d’Artur Schnabel (1882-1951) entre 1935 et 1939, alors qu’elle était encore « enfant »… ;

_ Paris, où elle est élève, toujours encore « enfant », de Nadia Boulanger ;

_ Londres : elle y débute en février 1939 _ à l’« Aeolian Hall« , New Bond Street, en un programme « Beethoven, Mozart, Schubert et Stravinsky » : « La clarté latine fut la caractéristique première du jeu pianistique de Mademoiselle Maria Curcio de Naples« , commenta le chroniqueur musical du « Times« … _ ; avant de s’y installer durablement _ dans le quartier de Willesden _, avec l’aide de Benjamin Britten, comme « maître » de piano, en 1965 : Annie Fischer, Carlo-Maria Giulini et Mstislav Rostropovich lui envoient de nombreux étudiants, qu’elle  fait travailler « pas à pas« , au rythme qui convient vraiment à l’apprentissage de l’Art ; et avec l’exigence radicale de la qualité des « fondations » _ plutôt que d' »entreprendre la construction du bâtiment par le toit« … ; « Ne vous précipitez-pas !«  était son commandement (schnabelien) le plus constant ! ; « Ouvrez vos bras, et embrassez le monde !« , disait-elle aussi… « Ma tâche de pédagogue est de les libérer d’eux-mêmes«  disait-elle encore à propos de ses élèves : soit le nietzschéen « Deviens ce que tu es« , en suivant le conseil : « Vademecum, vadetecum » (in « Le Gai savoir« , les deux…)… Et, en rappelant le « but » (de l’artiste _ vrai !), elle disait aussi, après Artur Schnabel, qu’« en Art, aucun compromis n’est possible«  : voilà une excellente école : que celle de la plus haute vérité (et justesse)…

_ Amsterdam où elle passe les années de la seconde guerre mondiale, dans des conditions particulièrement difficiles (de logement, de sous-alimentation et terrible faim, de danger permanent) ; et qui altèrent irrémédiablement sa santé (tuberculose grave ; très grandes difficultés à marcher ; longues rééducations ; difficultés (jusqu’à l’incapacité) de se produire désormais en concert _ le dernier sera en 1963) ;

_ Edimbourg, où son mari avait brillamment « assuré » le rayonnement international du Festival de musique ;

_ Leeds, où elle est un membre actif du jury du concours de piano ;

_ le Portugal _ Cernache do Bonjardim _, où elle résidait depuis 2006, assistée de sa gouvernante Luzia…

Nécrologie

Maria Curcio, professeur de piano italienne

LE MONDE | 16.04.09 | 16h34

La pianiste Maria Curcio est morte le 30 mars, à Cernache do Boa Jardim (Portugal). Elle était âgée de 88 ans.

« Ton pouce ! » : de la cuisine où elle préparait les pâtes pour Laurent Cabasso, Maria Curcio avait entendu que le pianiste avait mis un mauvais doigté. Et des sucres lents, il allait en avoir besoin car, comme le dit ce musicien : « Quand Maria faisait travailler un élève, elle ne lâchait jamais prise, jusqu’à ce qu’elle obtienne _ voilà ce qu’est l’exigence _ ce qu’elle voulait. Le temps n’existait plus _ rien que l’éternité : qu’offre en effet la rencontre avec (et l’interprétation de) l’œuvre d’art ! On sortait épuisé _ mais heureusement : avec béatitude  _ de la leçon qui pouvait durer du matin au soir _ la durée étant celle (qualitative) de l’œuvrer, pas celle du temps (quantitatif et mécanique) physique de l’horloge (cf là-dessus les analyses de Bergson). Et quand elle se mettait au piano pour donner un exemple, c’était indescriptible _ en son « éclat » (plotinien)…  _ de beauté. Ce qui nous inspirait _ « L’artiste est moins l’inspiré que l’inspirant« , dit quelque part Paul Eluard… Des années après _ ces « leçons«  de Maria Curcio _, ce grand artiste dit que les séances de travail avec Maria Curcio ont changé sa compréhension du piano : « C’est difficile à expliquer, mais d’avoir travaillé avec elle fait qu’aujourd’hui je ressens dans mes muscles, dans mes mains, dans mes doigts chaque son joué par un autre pianiste _ voilà où porte la qualité de l’attention (ici l’écoute !), en son accueil exigeant et vrai de l’altérité ! _, ce qui me permet de mieux comprendre _ oui ! à côté de tant de surdité et d’inintelligence ; de tant d’in-attention ! _ les problèmes de mes _ propres _ élèves. »

Avant de devenir professeur, Maria Curcio avait donné des concerts. Née en Italie, à Naples, le 27 août 1920, d’une mère brésilienne _ et juive _ (Antonietta Pascal, pianiste et élève de Luigi Chiaffarelli, 1856-1923, à Sao Paulo) et d’un père italien _ homme d’affaire aisé _, Maria Curcio sera une enfant prodige _ apprenant le piano dès l’âge de trois ans, en 1923, et se produisant en de petits concerts dès l’âge de cinq ans, en 1925… Dotée d’un caractère ferme : elle refusera de jouer pour Benito Mussolini à qui elle _ elle avait sept ans, en 1927 _ trouvait une sale tête. Elève de Carlo Zecchi (1903-1984 _ lui-même élève d’Artur Schnabel _) _ ainsi que d’Alfredo Casella _, elle sera présentée à Artur Schnabel qui ne prenait jamais d’enfants parmi ses élèves. Il fera une exception.

Chaque été _ à partir de 1935, elle a quinze ans _ jusqu’au départ de Schnabel pour les Etats-Unis où, juif, il sera contraint de s’installer, Maria Curcio travaillera avec le grand pianiste dans sa maison _ de Tremezzo _ du lac de Côme (Italie) _ « un des plus grands talents que j’ai jamais rencontrés« , dira-t-il d’elle… A Tremezzo, elle accompagne aussi les chanteurs auxquelles Thérèse Behr, l’épouse d’Artur Schnabel et interprète reconnue de lieder, prodigue ses leçons ; et apprend aussi énormément d’elle (et du chant). Elle prend, encore, des leçons auprès du maître Fritz Busch… Elle sera également l’élève de Nadia Boulanger, à Paris. Quand Maria Curcio arrivait, la mère de l’illustre professeur disait à sa fille : « Ouvre la porte quand la petite Italienne joue…«  Mariée _ au lendemain de la guerre, en 1947 _ à Peter Diamand _ (autrichien ; né à Berlin, le 8 juin 1913 ; et mort à Amsterdam, 16 janvier 1998) qui avait été à partir de 1934 et jusqu’en 1939 le secrétaire particulier d’Artur Schnabel (ils avaient fait connaissance à Amsterdam) ; et juif, lui aussi ; avec lequel elle quitte Londres pour gagner Amsterdam en 1939, où Peter Diamand résidait et où il avait des projets de Festival (elle divorcera de lui, à l’amiable, en 1971 : son mari n’ayant pas su assez « résister«  à un penchant pour Marlene Dietrich ; mais ils demeureront « bons amis« ) _ qui sera le fondateur du Festival de Hollande _ où il exercera les plus hautes responsabilités de 1946 à 1973 _ et du Festival d’Edimbourg _ de 1965 à 1978 _, après la seconde guerre mondiale, Maria Curcio passera les années d’occupation à Amsterdam. Catholique, elle pouvait gagner quelque argent afin de nourrir son mari et la mère de celui-ci, qui se cachaient des nazis dans un réduit _ une soupente en un grenier.

De tous les élèves de Maria Curcio, Jean-François Dichamp est sans aucun doute celui qui en fut le plus proche, avec Rafael Orozco (1946-1996). Il raconte qu’elle lui avait dit « avoir souffert terriblement à Amsterdam, où l’on crevait de faim bien plus qu’à Paris ». Pendant la guerre, elle attrape la tuberculose qui met un terme à sa carrière _ d’interprète de concert virtuose. Elle sera donc professeur.

« LA MUSIQUE PARLAIT »

Lui-même enfant prodige (il jouait le rôle de Mozart enfant dans le film de Marcel Bluwal au côté de Michel Bouquet), Dichamp a vécu chez Maria Curcio à Londres pendant deux années. Il a pu voir et entendre les leçons qu’elle donnait aux nombreux étudiants qui passaient chez elle. Chaque samedi, elle recevait amis musiciens, élèves, anciens élèves dans son appartement londonien pour des soirées musicalo-amicales où il arrivait qu’elle se mette au piano. « C’était incroyable, le son était grand, jamais forcé, la musique parlait. Nous étions tous fascinés quand elle jouait les « Scènes d’enfants« , l’« Arabesque«  de Schumann, ou un nocturne de Chopin.« 

Pas loin de là, dans les années 1970, vivaient dans une grande maison les pianistes Martha Argerich, Nelson Freire, Rafael Orozco, la violoncelliste Jacqueline Dupré, les chefs d’orchestre Daniel Barenboïm, Youri Temirkanov, la violoniste Iona Brown. Ils formaient un phalanstère informel autour de cette musicienne aux conseils avisés, sans en être tous les élèves. Maria Curcio était très proche du compositeur Benjamin Britten _ et de son ami Peter Pears _ comme elle l’était du chef d’orchestre Carlo Maria Giulini et de la pianiste hongroise Annie Fischer _ elles passaient des nuits au téléphone ! _ mais aussi de Szymon Goldberg, Otto Klemperer, Josef Krips, Pierre Monteux et Elisabeth Schwarzkopf ; ou encore Charles Dutoit…

Pour Jean-François Dichamp, Maria Curcio apprenait à « avoir une relation entre le son et la main pour traduire une idée avec la palette sonore la plus large possible ». Elle apprenait « la continuité du discours. Une phrase respire _ c’est capital ! _ si on lui donne le souffle, sa respiration. Inspirer, expirer. La phrase doit avoir une continuité, une fin et un début » _ à comparer au chant : chez Mozart, chez Chopin…

Ses cours duraient le temps qu’il fallait _ idéalement. Ils n’étaient pas gratuits, mais quand l’élève n’avait pas les moyens de payer et que Maria Curcio pensait qu’elle pouvait lui apporter quelque chose, il n’était plus question d’argent entre eux _ voilà la générosité.

De l’Irlandais de Paris Barry Douglas au Roumain Radu Lupu, la liste des _ grands _ pianistes passés chez Maria Curcio est longue. Aux noms déjà cités, il faudrait ajouter ceux de Pierre Laurent Aimard, de Jean-François Heisser, de Marie-Josèphe Jude, d’Éric Lesage, d’Huseyin Sermet et de tant d’autres.

Alain Lompech

Un autre de ses élèves, le pianiste Niel Immelman, dit que pour Maria Curcio, « il n’y a pas de différence entre la musique et la technique«  : un « beau son » en tant que tel est sans intérêt pour elle ; ce qu’elle cherche, c’est « un son faisant accéder à l’essence même de l’œuvre« , en « vérité« … Aussi recommandait-elle chaudement d’étudier aussi la musique à (un peu de) distance de l’instrument : « nous devons écouter ce que nous regardons ; et regarder ce que nous écoutons«  ; et elle était extrêmement précise (et pratique, ou pragmatique) dans l’enseignement des aspects physiques du jeu même de piano. Et sa volonté très ferme savait s’adapter à la singularité de chacun des élèves _ n’est-ce pas la clé du succès de tout enseigner ? _ ; de même que sa générosité énorme _ ce qu’elle donnait sans compter d’elle-même _ témoignait de la profondeur de son désir d’apporter vraiment aux autres…

Le répertoire austro-allemand était central dans son enseignement, mais, grâce à son travail avec Alfredo Casella _ et avec Nadia Boulanger ! _ elle se trouvait « également » chez elle dans la musique française. Tout comme dans l’idiosyncrasie radicale de Leoš Janáček…

Et ses curiosités débordaient largement la musique _ cela me rappelle la personnalité de Gustav Leonhardt, lui aussi un « maître » de musique particulièrement attentif à la singularité de chacun de ses élèves (cf Jacques Drillon : « Sur Leonhardt » ; ainsi que mon article du 15 mars 2009 : « Du génie de l’interprétation musicale : l’élégance exemplaire de “maître” Gustav Leonhardt, par le brillant talent d’écriture (et perception) de Jacques Drillon« )…

Maria Curcio disait aussi, à propos de ses relations, parfois un peu complexes, avec certains « grands artistes« , et de son propre tempérament, en digne discipline du grand (et merveilleux : d’humanité) Artur Schnabel : « Vous ne pouvez pas être l’ami de tous les grands artistes, parce que tous les grands artistes ne sont pas de grands humains« 

Une belle « leçon de musique » ;

et de « grandeur » : simples…

Titus Curiosus, ce 20 avril 2009

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