Il y a déjà quelque temps, au mois de janvier dernier, que je me suis procuré le CD « Vis-à-Vis » Raum Klang RK 4104 _ dont, chez mon disquaire préféré, Adrien, du distributeur Distrart, faisait un chaleureux éloge _ ;
et voici que, avant-hier 29 mars, ce très joli CD _ déjà Choc Classica du mois de mars 2024 _ fait l’objet d’un commentairre laudatif de la part de Christophe Steyne, sous l’intitulé « Baroque germanique : enjôleurs dialogues d’archets en scordatura« , sur le site du magazine Crescendo :
Heinrich Ignaz Franz Biber(1644-1704) : Partia VI [Harmonia Artificioso-Ariosa Diversimodé accordata]. Sonate IV« Die Darstellung im Tempel » ; Passacaille Schutzengel[Mysteriensonaten].
Johann Pachelbel(1653-1706) : Was Gott tut, das ist wohlgetan. Partia IIen ut mineur [Musicalische Ergötzung].
Johann Sebastian Bach(1685-1750) : Sonate en trio en sol majeur BWV 1038 ; Prélude & Fugue en sol majeur BWV 550.
Georg Kallweit, violon, alto. Tabea Höfer, violon. Walter Rumer, violone. Leo Van Doeselaar, orgue.
Novembre-décembre 2021.
Livret en allemand, anglais.
TT 67’32.
Raumklang RK 4104
…
…
Vis-à-vis ? La notice explicite le titre : par la localisation des musiciens et quelques artifices d’ingénierie sonore, « les relations entre les voix peuvent se ressentir de façon plus convaincante ». Grâce à ces expédients, l’enjeu est de rendre hommage à la concertation polyphonique _ voilà ! _ telle qu’elle se pratiquait sur les tribunes allemandes du XVIIe siècle. Effets d’écho, d’estompe, de distanciation… Le résultat s’avère plutôt probant, nous baigne dans une spatialisation osmotique, et revisite l’intelligibilité voire l’intelligence du discours en duo. Quitte à revisiter les partitions. Au sommet, cette fabuleuse chaconne de la Représentation au Temple _ de Heinrich Ignaz Franz Biber _, redistribuée à deux violons. La grandiose passacaille qui conclut les Sonates du Rosaire _ de ce même Biber _ se trouve similairement répartie entre accompagnement d’alto (basse obstinée) et mélodie au violon (voix supérieure).
…
…
Un autre point commun entre les œuvres pour archet sélectionnées par ce programme est bien sûr l’accord en scordatura, ce qui permet d’inviter un extrait des Musicalische Ergötzungde Pachelbel, et la SonateBWV 1038 _ de Bach _, ici dans une mouture où un violon remplace le traverso. Les instruments d’époque baroque (ou copie dans le cas de l’alto fait par Stefan Neureiter d’après un spécimen de 1778) apportent la caution d’authenticité, et grisent par leur timbre splendide _ oui ! _, dans des œuvres qui travaillent les effets de textures et couleurs.
…
…
Le continuo est confié à Walter Rumer, contrebassiste de l’Akademie für alte Musik Berlin, et à Leo Van Doeselaar sur une copie d’un Schnitger, installée dans la lutherse Kerk de Groningen. Violone et cette console très typée, reflet de la facture septentrionale, garantissent un écrin de caractère. L’organiste néerlandais nous offre aussi, en soliste, une des plus célèbres Choralpartita du compositeur _ Johann Pachelbel _ de Nuremberg, et un Prélude & Fugue du Cantor de Leipzig _ BWV 550 _, certes pas le plus notoire. L’équipe d’Urban Strings _ Georg Kallweit, violon, alto. Tabea Höfer, violon. Walter Rumer, violone. Leo Van Doeselaar, orgue _ garantit une réalisation très soignée, techniquement pensée, artistiquement aboutie _ voilà qui est dit et bien dit.
Le vif plaisir éprouvé à l’écoute toute récente du CD Glossa GCD 921134 « Carl-Philipp-Emanuel Bach – The Hamburger Symphonies Wq 182 » par le décidément toujours épatant Orchestra of the Eighteenth Century _ cf mon article « La contagieuse vitalité jubilatoire des merveilleuses « Symphonies de Hambourg » de Carl-Philipp-Emanuel Bach, en 1773 » du 17 mars dernier _, m’a conduit à commander très vite les dernières réalisations de cet orchestre, dont le CD Glossa GCD 921130 « The Hidden Reunion« …
…
…
Or ce CD comporte notamment la « Suite pour orchestre en si mineur n° 2 BWV 1067 » de Johann-Sebastian Bach.
Et il se trouve que mes disquaires préférés m’ont chaudement recommandé le CD Ramée RAM 2301 « Bach Triple » réalisé par Les Muffatti ; lequel CD se trouve comporter cette même « Suite pour orchestre en si mineur n° 2 BWV 1067 » de Johann-Sebastian Bach…
…
…
De fait, la comparaison de ces deux interprétations, la première enregistrée au mois d’août 2021, et la seconde au mois de mai 2023, se proposait donc à moi.
…
…
Eh bien ! la première, par un ensemble de 25 musiciens _ avec Marc Destrubé, au violon concertmaster _, s’impose d’elle-même, par sa vie, sa fluidité, son élégance et sa joie pure _la toute simple évidence du bonheur de se retrouver afin de jouer ensemble ; écoutez-en ici la Badinerie finale… _, sur la seconde, plus lourde et même triste, par un ensemble pourtant de 15 musiciens seulement…
…
…
Et dans le n° 732 de ce mois d’avril 2024 du magazine Diapason, chroniquant ce CD Ramée « Bach Triple » des Muffatti, à la page 73, Loïc Chahine déclare ceci, à propos spécialement de leur interprétation _ regardez-ici cette vidéode la Polonaise… _ de cette Suite en si mineur :
…
« Tout augurait du meilleur. Il faut pourtant passer sur une Suite en si mineur décevante – lecture assez scolaire, en mal d’imagination : écoutez le Rondeau, systématique, la Badinerie plus vainement agitée que badine. La flûte, curieusement paraît plus d’une fois à la peine.«
Et c’est là exactement ce que j’ai moi aussi éprouvé.
…
…
Dans ce CD Ramée RAM 2301 « Bach Triple » des Muffatti, comme l’estime lui aussi en son article de Diapason Loïc Chahine, c’est bien le triple Concerto pour Traverso, Violon, Clavecin, Cordes et Basse Continue en la mineur BWV 1044, qui fait l’intérêt majeur de cet enregistrement de l’Ensemble des Muffatti, avec Frank Theuns, au Traverso, Sophie Gent, au violon et Bertrand Cuiller au clavecin ;
et c’est fort justement que Loïc Chahine parle à propos de cette œuvre-ci de Bach « d’un impérieux sens du tragique« , et à propos de son interprétation en ce CD des Muffatti, de « sommet de l’album » :
…
« À son meilleur, l’orchestre déploie des teintes sombres, inquiétantes dans le redoutable BWV 1044, et alimente un dialogue soutenu. Carl-Philipp-Emanuel Bach n’est pas loin, comme en témoigne l’allure empfindsam de l’Adagio ma non tanto e dolce auquel le violon de Gent , presque « altisant », confère une couleur automnale très en rapport avec les cieux tourmentés des deux autres mouvements. Sommet de l’album, distillant mystères et angoisses, cette version offre une alternative de choix à celle, plus vive, du Café Zimmermann (Alpha)« . C’est fort bien vu.
…
…
Et pour ma part,
à ce programme choisi par Les Muffatti comportant cette « Suite pour orchestre en si mineur n°2 BWV 1067 » de Johann-Sebastian Bach, je préfère l’esprit bien plus ludique, fluide et heureux de naturel animant le choix du programme, comme de l’interprétation, du CD « The Hidden Reunion » de l’Orchestra of the Eighteenth Century _ heureux tout simplement de se retrouver pour jouer de nouveau ensemble après les confinements de l’épidémie de Covid…_,
associant, lui, à cette belle « Suite n°2 BWV 1067« , ainsi qu’au « Concerto brandebourgeois n° 6 BWV 1051« , de Johann-Sebastian Bach, la lumineuse et tendre « Suite pour viole de gambe et cordes en ré majeur TWV 55:D6 » de _ l’heureux de tempérament ! _ Georg-Philipp Telemann _le parrain de Carl-Philip-Emanuel Bach, dont Georg-Philipp fera l’héritier de son poste à Hambourg… _,
un Telemann jamais aussi épanoui et splendide que dans ses inventives et généreuses Suites pour orchestre, d’esprit de civilisation ludique et accompli, en douceur et naturel, si français…
…
…
Dont acte.
…
…
Ce samedi 30 mars 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa
Qu’est devenu le ténor de la tragédie lyrique au _ moment du _ Romantisme ? De son saisissant_ oh que oui ! _ baryténor (allez, formons le « registre » !), Michael Spyres répond _ plus que superbement ! _ avec le grand air du Joseph de Méhul : l’héroïsme vocal _ voilà : solaire !Beethoven le teindra vite d’ombres, et comment ne pas saisir dans l’élan, l’articulation, la primauté du mot de théâtre sur l’émotion de la note de ce « Gott ! » ce qui, au sein même d’une révolution (et sans lendemain : Fidelio n’aura pas de postérité, ovni !), dit assez de cette Pangée née en France, et y rester.
…
…
Le continent lyrique va virer à l’héroïque _ en effet. À ce titre, regret : chez Wagner, que Michael Spyres n’ait pas poussé jusqu’à Siegmund _ il y viendra bientôt, est-il annoncé à Bayreuth… _, même hors cadre _ choisi pour ce CD _ de ces années de l’apogée du Romantisme qu’illustre si justement le _ superbe lui aussi _ Leicester rossinien (chanté ici avec un art de l’émotion si rare _ oui ! _), ou le Masaniello d’Auber _ lui aussi magnifique ! _ face à l’horreur du massacre.
…
…
Polyglotte parfait, chanteur stylé _ et comment ! _ avant même d’être ce phénomène vocal qui ressuscite un continent perdu _ oui, oui, oui _, Michael Spyres peut adosser son art à celui des Talens Lyriques et de Christophe Rousset : ils arpentent, de Charles Gounod à Louise Bertin, cet autre âge d’or, sachant tout ce qui, d’un autre monde, s’y mire encore.
…
…
LE DISQUE DU JOUR
…
…
In the Shadows
…
Airs d’Étienne Méhul (1763-1817), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Gioacchino Rossini (1792-1868), Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Carl Maria von Weber (1786-1826), Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871), Gaspare Spontini (1774-1851), Vincenzo Bellini (1801-1835), Heinrich Marschner (1795-1861) et Richard Wagner (1813-1883)
…
…
Michael Spyres, ténor Jeune Chœur de Paris Les Talens Lyriques Christophe Rousset, direction
Œuvres de : Méhul, Beethoven, Rossini, Meyerbeer, Von Weber, Auber, Spontini, Bellini, Marshner, Wagner.
Michael Spyres, ténor ; Les Talens Lyriques, direction : Christophe Rousset.
2024.84.49.
Livret en allemand, français, anglais Textes en langue originale.
Erato 5054197879821
…
…
« Dans les Ténèbres ». Ce nouvel enregistrement du ténor américain, Michaël Spyres, propose de remonter aux sources de l’inspiration de Richard Wagner _ tel est le sens de ce CD. Compte tenu du tempérament exalté, de l’insatiable curiosité littéraire, musicale, politique du compositeur de Tristan, le défi _ déjà musicologique _ est immense _ oui.
…
…
Sait-on qu’en 1832, à dix-neuf ans, passant par Vienne en pleine épidémie de choléra, il _ Richard Wagner _ parvint à surmonter sa panique, sortir de sa chambre et suivre chaque jour les foules enflammées par le « démon de la valse », Johann Strauss père ? Exemple parmi beaucoup d’autres.
…
…
Il s’agira donc ici beaucoup plus d’une incursion _ mais déjà très significative ! _ parmi les œuvres et compositeurs contemporains de la jeunesse du compositeur de Rienzi que d’une vision exhaustive, ce qui n’enlève rien _ pour sûr ! _ à l’intérêt _ tant performatif de la part du chanteur que musicologique _ de ce parcours.
…
…
C’est l’opéra biblique « Joseph » du Français Méhul, daté de 1807 _ et bien trop méconnu de nous _, qui introduit le récital. Après un détour par des extraits de Rossini, de Meyerbeer en italien et de Weber et Spontini en allemand, la langue française réapparaît avec La Muette de Portici de Daniel Auber _ créée en 1828 _ avant que l’air de Pollione (Norma) de Bellini n’introduise quatre pages en allemand, l’une de Marschner, trois de Richard Wagner se terminant par Mein lieber Schwan ! (Lohengrin).
…
…
Or cette période qui s’étend des années 1807 à 1848 correspond à une fracture majeure _ voilà ! _ dans l’histoire de l’Occident européen en général, dans celle de l’opéra et de l’art du chant en particulier. Devenue une entreprise commerciale, La Grande Boutique c’est à dire l’Opéra _ de Paris _, sous la direction du Docteur Véron, va complaire au goût pour le sensationnel et le romantisme matérialiste tandis que l’école de la vocalité rossinienne, de la sensibilité et de la noblesse d’expression va être éclipsée _ voilà _ par des machines avec profusion de chanteurs, de costumes et de décors. La musicalité, l’art des demi-teintes, le magnétisme d’une Maria Malibran, Cornélie Falcon ou du plus grand ténor des années 1826 – 1836, Adolphe Nourrit, créateur du rôle de Masaniello interprété ici, vont céder la place aux effets sonores dont l’ut de poitrine rapporté d’Italie par Gilbert Duprez _ tout cela est bien sûr capital ici.
…
…
C’est dire combien les compositeurs présentés ici sollicitent des techniques et des esthétiques extrêmement disparates _ voilà ! Michael Spyres se joue magistralement de toutes ces difficultés _ oui ! _ pour deux raisons : ses qualités belcantistes d’abord, qui privilégient l’expressivité _ voilà ! _ avant tout ; l’évolution de sa voix, ensuite _ mais oui _, plus sombre et plus large, tout en ayant conservé souplesse, dynamique, maîtrise des sons mixés comme des demi-teintes _ tout cela est parfaitement vu.
…
…
Parmi les découvertes _ mais oui _ qu’il nous offre, la merveilleuse sérénade funèbre avec harpe de Meyerbeer _ dans « Il crociato in Egitto » _ resplendit saturée de lumière. Contraste saisissant avec le lyrisme agité, la course à l’abîme de Max dans le Freischütz de Weber. L’air de Masaniello (la Muette de Portici), d’Auber souffre de cette proximité et les teintes sombres, parfois lourdes à l’orchestre, ne mettent pas le compositeur en valeur.
…
…
En revanche, les vocalises, le contre-chant orchestral, les ponctuations instrumentales et la sensation d’une texture toujours en mouvement sous la ligne vocale, culminent dans l’air Der Strom wälzt ruhig seine dunklen Wogen (premier enregistrement mondial en allemand) extrait d’Agnès von Hohenstaufen de Gaspare Spontini _ une des slendeurs éclatantes de ce CD. L’orchestre Les Talens Lyriques sous la baguette avisée de Christophe Rousset y déploient une progression dramatique des plus efficaces.
…
…
Pollione martial, l’engagement de l’interprète de Norma forme un contraste à nouveau très réussi avec la ferveur et la douceur de l’extrait de Konrad Marscher dans son rare Hans Heiling.
…
…
Parmi les trois extraits des premières œuvres du maître de Bayreuth, Die Feen et Rienzi, tout d’élans et de passion, conduisent au poétique adieu au cygne de Lohengrin, rôle que le ténor vient d’inscrire brillamment à son répertoire _ à l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg, ce mois de mars 2024.
…
…
En dépit d’un point de départ un peu spécieux -le thème des sources de Wagner méritant un traitement _ du moins musicologique _ d’une autre envergure- ce programme longuement médité innove et séduit par son intelligence, sa beauté _ oui _ et son interprétation de très haute volée _ absolument. Contrairement au titre lugubre, beaucoup de lumière _ ici _ dans les ténèbres.
tous les deux à propos du merveilleux CD « Michael Spyres – In the Shadows – Wagner« , le CD Erato 5054197879821, enregistré à Paris en décembre 2022, et sous la direction de Christophe Rousset,
en aval historique dans la carrière de chanteur de Michael Spyres,
en amont de ce passionnant cheminement du chanteur de Michael Spyres,
…
…
voici que je m’extasie à nouveau,
après aussi les CDs « Baritenor« , soit le CD Erato 0190295156664, enregistré à Strasbourg en août et octobre 2020, et sous la direction de Marko Letonja,
et « Michael Spyres – Contratenor« , soit le CD Erato 5054197293467, enregistré à Lonigo en septembre 2020, et sous la direction de Francesco Corti,
sur l’extraordinaire étendue, une fois de plus constatée, du répertoire _ et avec quelles formidables perfections de style ! _ de ce prodigieux interprète à tous égards (incarnation des rôles, et beauté des interprétations, pour commencer) qu’est Michael Spyres
la prise du rôle en ce moment même par Michael Spyres, du rôle de Lohengrin, dans l’opéra éponyme de Richard Wagner, sur la scène de l’Opéra national du Rhin à Strasbourg…
À l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg, Michael Spyres incarne un Lohengrin somptueux d’élégance.
…
…
…
Crédit photo : Klara Beck.
…
…
Il y avait deux formidables raisons de courir _ vite _ à Strasbourg pour écouter et voir Lohengrin : la prise du rôle du chevalier au cygne par le ténor américain Michael Spyres qui chante ici, hors le Steuermann et Erik _ du récent, lui aussi, « Vaisseau fantôme« , à Hambourg, en décembre 2023… _ , son premier grand rôle wagnérien à la scène _ voilà ! _, et la direction musicale du chef ouzbek Aziz Shokhakimov, le patron de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, déjà fort remarqué dans Les Oiseaux de Braunfels voici deux ans.
…
…
Côté scène, si Florent Siaud ouvre des perspectives sociétales dans le programme de salle, il est bien en peine de les porter sur le plateau. Sa production en reste classiquement à l’opposition du bien et du mal, dans une société post-romantique en ruines, et sous la coupe du sabre et du goupillon, avec chambre nuptiale-chœur d’église dont le fond s’ouvre sur le monde du Graal, sans le moindre cygne, hors un anneau qui en figure le lien magique.
…
…
Sans proposition marquante
…
…
Un beau décor unique à variables signé Romain Fabre, inspiré de Caspar David Friedrich, mais sans son génie atmosphérique, et des éclairages lunaires de Nicolas Descoteaux, rehaussent une direction d’acteurs plate et trop embarrassée des chœurs (ONR et Angers-Nantes, excellents par ailleurs) mais ne font pas une proposition marquante. Comme la distribution, inégale qui souffre du forfait d’Anaïk Morel, remplacée en Ortrud par Martina Serafin tout juste débarquée pour la générale, et qui doit composer avec le trampoline d’un aigu dévasté. Le beau Hérault d’Edwin Fardini, lauréat Voix des Outremers 2021, est encore un peu vert pour avoir l’impact du rôle, alors que Le Roi Henri de Timo Riihonen, qui prend l’acte I pour trouver ses marques, s’impose par une voix noire et profonde. Josef Wagner, formidable Barak à Lyon il y a peu, n’est pas à son meilleur en Telramund : la voix, les couleurs peinent à marquer avant la fin du II. La salle aidant, Johanni van Oostrum chante parfaitement Elsa, mieux qu’à Bastille même en septembre, mais ne sort pas de la convention du rôle : là où Florent Siaud la voit comme une résistante engagée, elle fait bien pâle héroïne.
…
…
Michael Spyres, exceptionnel
…
…
Mais l’exceptionnel _ nous y voici ! _ en cette première est bien l’incarnation _ voilà, une nouvelle fois si pleinement juste ! _ de Michael Spyres dans son appropriation d’un domaine vocal qu’il avait soigneusement évité jusqu’à présent _ oui. Du baroque à Berlioz, de La Vestaleà l’opérette, son parcours a su jouer d’une technique pointue pour maîtriser souverainement _ voilà ! _ un ambitus allant du baryton au ténor _ voilà ! _ et des styles d’une formidable variété _ et voilà ! Timbre et projection disent ici clairement qu’en Wagner, il ne cherche ni la force ni l’effet, mais bien un art du chant _ voilà !! _ hérité d’une souplesse vocale post bel-cantiste _ oui _ qui fut celle _ mais oui _ des premiers interprètes du compositeur saxon, avant que l’usage ne crée les chanteurs wagnériens _ oui : c’est bien de cette histoire-là qu’il s’agit de manifester les inflexions et les tournants… Le résultat, sans faille, somptueux de racé, d’élégance _ oui ! _, et de séduction _ n’en jetez plus, d’éloge… _, est plus que convaincant _ oui : stupéfiant de splendeur ! Reste à voir comment il appliquera _ bientôt _ cette leçon aux Siegmund et Walter annoncés à Bayreuth _ voilà ! _, et à Tristan plus tard _ wow !
…
…
Faut-il préciser que la réussite des grands récits – dont un Adieu au cygne fascinant – tient aussi à l’entente entre le chanteur et le chef, dont la sensibilité est en osmose avec cet art du chant raffiné _ oui : lyrique. Loin des grands bruits, l’orchestre – à quelques cuivres malheureux près – est l’instrument fluide de la narration sous une baguette qui possède à la fois le sens du grand arc dramatique (la montée en tension irrésistible au final du II), du détail raffiné (la fin du duo Elsa Ortrud) qui sait aussi admirablement sertir le chant d’une aura adaptée.
…
…
Quel décidément extraordinairement talentueux interprète, et prodigieux passeur de cet art, est Michael Spyres !
…
…
Ce vendredi 29 mars 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa
aux « 4 Sonates » Op. 72, Op. 121, Op. 106 et Op. 140 bis, de Mieczyslaw Weinberg (Varsovie, 8 décembre 1919 – Moscou, 26 février 1996) :
…
tel est le magnifique et saisissant voyage musical et discographique auquel nous convie ce mois de mars 2024 le subtil et tendre violoncelle seul de Mario Brunello_ né à Castelfranco-Veneto le 21 octobre 1960 _ en son parcours pour le label Arcana,
le menant, du double CD « Johann-Sebastian Bach –Sonatas & Partitas for solo violoncello piccolo » Arcana A 469 _ enregistré à Castelfranco-Veneto du 1er au 3, puis du 20 au 22 octobre 2018 _ au CD « Mieczyslaw Weinberg – The Four Sonatas for Solo Cello » Arcana A 559 _ enregistré à Valla (Trévise) du 21 au 27 mars 2022, et tout juste paru ce 22 mars 2024… _,
dont voici ici une très brève vidéo (de 3’16) de présentation, par Mario Brunello lui-même jouant de très brefs extraits de ces 4 Sonates pour violoncelle seul d’une intériorité sublimissime
_ et à la page 12 du livret de ce CD, voici ce qu’en dit très remarquablement Mario Brunello lui-même :
…
« Les quatre sonates pour violoncelle solo, comme aussi , se distinguent par une force explosive _ oui, mais infiniment tendre et pudique _ qui conquiert dès la lecture, puis à l’étude, durant les exécutions, et peu à peu on ne peut presque plus s’en passer. L’originalité, le caractère visionnaire, le courage dans les solutions de composition, sont désarmantes, on n’en finit pas de découvrir et de s’émerveiller de la profondeur _ voilà ! _ de cette musique. Et de combien cette musique fait honneur au répertoire de violoncelle, l’approfondit et l’enrichit.
Dans les quatre sonates pour violoncelle seul, Weinberg invente tout simplement un nouveau modèle d’expressivité _ voilà : c’est là la thèse de Mario Brunello, et qu’il s’efforce de pleinement nous donner à entendre en sa superbe interprétation _ pour l’instrument, se maintenant _ nous y voilà donc ! _ à bonne distance de l’hommage (finalement, oserais-je dire) aux Suites de Bach tel qu’il a été pratiqué dans la majeure partie du répertoire pour violoncelle depuis la fin du 19e siècle _ probablement excepté le merveilleux génial Kodaly, me permettrai-je personnellement d’ajouter… Dans les quatre sonates pour violoncelle solo, on perçoit plutôt le goût _ de Weinberg _ pour la narration, le théâtre, caractéristique qui trouve son origine dans le milieu dans lequel le compositeur s’est formé dans sa jeunesse _ à Varsovie, et plus tard aussi à Moscou.
Ces quatre sonates pour violoncelle seul, ainsi que sans aucun doute tout l’œuvre de Weinberg, sont affectées, et comment pourrait-il en être différemment, par les vicissitudes pour le moins dramatiques _ tragiques même ! _ que la vie lui a réservées. On n’y entend _ en ces quatre sonates-ci pour violoncelle seul _ pratiquement jamais de sonorités lumineuses, aucune joie ou insouciance, et ce n’est pas par hasard si chaque fois qu’un élan sonore se présente l’auteur demande toujours l’emploi de la couleur « con sordina » (avec sourdine). Tout cela n’empêche pas cependant une vitalité _ de formidable résilience _ ainsi qu’une imagination _ de voie de fuite et d’issue de secours existentiellement vitales !.. _ absolument originale, qui reste selon moi trop souvent _ et à tort _ inscrite _ et je partage absolument cet avis de Mario Brunello ! _ dans les traces profondes de son grand ami et protecteur Shostakovich _ dans la musique duquel il me faut dire ici que je n’entre personnellement pas du tout ; demeurant hélas, pour ma part, décidément réfractaire à sa bien trop asphyxiante noirceur pour moi… _, détournant ainsi une vérité _ c’est-à-dire en fait un cliché bien trop répandu hélas dans le milieu musical… _ : s’il existe un grand Shostakovich, il existe aussi _ et cela je le sais d’expérience de mélomane attentif et passionné : il n’est que de se reporter à la riche longue série des articles admiratifs et reconnaissants que j’ai consacrés depuis longtemps sur ce blog « En cherchant bien« à la musique et la discographie de Mieczyslaw Weinberg ; cf par exemple mon article « Le bouleversant Concerto pour violoncelle de Mieczyslaw Weinberg, en 1948 : un requiem pour l’âme juive« du 5 décembre 2018… _ un grand _ un immense et attachantissime !!! _ Weinberg« …
…
…
Ma préférence personnelle allant ici à la seconde de ces quatre Sonates : l’Opus 121 (en 1977), révision et achèvement d’une première mouture, l’Opus 86 (de 1964-1965) _ se reporter ici au très précieux (et indispensable !) travail de recension de l’œuvre de Weinberg, réalisé par Claude Charlier ; ou encore à cette très commode recension-ci ;
ainsi, et surtout, qu’à cette préciosissime recension discographique, cette fois, réalisée par Claude Torrès, qui n’a pas manqué d’intégrer la parution toute récente de ce nouveau CD Arcana A 559 de Mario Brunello, paru il y a à peine 6 jours : le 22 mars dernier !…
…
…
Enfin, je désire citer aussi ici l’article de Grammophon que David Fanning, auteur du texte « Weinberg : un maître de la sonate en solo« , aux pages 8 à 12 de ce CD de Mario Brunello, avait précédemment consacré au CD NF/PMA 99132 « Complete Sonatas for Solo Cello » de Weinberg par Marina Tarasova _ un CD, paru le 6 septembre 2019, que je possède aussi _, dans le magazine Grammophon : « Weinberg Complete Sonatas for Solo Cello (Marina Tarasova)« …
…
…
Et entrez à votre tour dans cette tendre bouleversante musique d’intimité d’un compositeur majeur du XXe siècle,
et de toute l’histoire de la musique, Mieczyslaw Weinberg…
…
…
Ce jeudi 28 mars 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa
j’ai recherché dans ma discothèque personnelle une autre interprétation du Motet qui m’est apparu comme le probable sublime sommet de cet admirable programme si merveilleusement servi ici par I Disinvolti sous la direction de Massimo Lombardi,
je veux dire le Motet « Ego dormio » de Claudio Monteverdi,
paru à Rome en 1625 au sein d’une anthologie intitulée « Sacri Affetti« . réunie par les soins de Francesco Sammaruco (Edition Luca Antonio Soldi),
et assez peu présent au disque…
…
…
C’est ainsi qu’après une petite recherche, je suis tombé sur le CD « Monteverdi – Musica sacra » du Concerto italiano de Rinaldo Alessandrini, le CD Opus 111 OPS 30-150, enregistré et paru en 1996.
…
En janvier 1996, à Briosco,
les interprètes de ce Motet « Ego dormio » « à soprano e basso » du Concerto Italiano, à la plage 20, étaient Elisa Franzetti, soprano, Sergio Foresti, basso, ainsi qu’Andrea Damiani et Tiziano Bagnati, tiorba.
….
…
Puis, après une seconde recherche, se présente à moi le double CD « Claudio Monteverdi – Sacred Music » de l’Ensemble Concerto de Roberto Gini, le double CD Dynamic CDS 491/1-2, enregistré à Vigevano au mois de septembre 2004 et paru en 2006.
…
Et en septembre 2004, à Vigevano,
les interprètes _ superbes ! _ de ce Motet « Ego dormio » de l’Ensemble Concerto, à la plage première de leur second CD, étaient Antonella Gianese, soprano, Salvo Vitale, basse, et Roberto Gini, à l’orgue _ écoutez-iciles 3′ 25 de cette lumineuse interprétation de 2004…
…
Alors qu’en juin 2020, à Breno,
les interprètes de ce même Motet « Ego dormio » « à deux voix, pour soprano (ou ténor) et basse, avec accompagnement de basse continue« , sont cette fois Massimo Altieri, tenor, Guglielmo Buonsanti, bass, Noelia Reverte Reche, viola di gamba et Nicola Lamon, organ :
une interprétation à nouveau de très haute tenue, et superbe de tendresse.
…
…
Et il me faut dire qu’à mes oreilles et à mon goût, l’interprétation de cet « Ego dormio » monteverdien des Disinvolti _ avec leur choix des voix et des instruments _ est, elle aussi, d’une tendresse retenue infiniment délicate et juste :
à tomber totalement sous le charme de cette musique d’une douceur enveloppante et pudique sublime…
…
…
Ce présent CD « Vulnerasti cor meum » _ comportant 17 Motets (d’entre 1606 et 1643) de 16 compositeurs différents _ des Disinvolti, est un enchantement musical d’une réussite discographique absolue,
qui met aussi, et plus généralement, excellemment en évidence le niveau transcendant de toute cette musique « amoureuse » religieuse en Italie, entre 1606 et 1643,
héritière de l’ère magnifique du Madrigal…
…
Et je place désormais cet ensemble des Disinvolti, inconnu de moi jusqu’ici, au niveau de la merveilleuse Compagnia del Madrigale…
…
…
Et même si c’est en latin _ et pas en italien _ qu’est le texte de ces Motets,
il va pour moi sans dire que la très patente « italianité » de ces Motets place les seuls ensembles d’interprètes italiens en mesure de leur rendre pleinement et le plus splendidement justice !!!
…
…
Ce CD enchanteur d’une tendresse sublime, « Vulnerasti cor meum« , est donc tout simplement un must !
…
…
Ce mercredi 27 mars 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa