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Sur un lapsus (« Espérance »/ »Responsabilité ») : le chantier (versus le naufrage) de la démocratie, selon Michaël Foessel

23jan

Pour revenir _ brièvement ! _

à la brillante conférence de Michaël Foessel de mardi 18 janvier dernier dans les Salons Albert-Mollat,

et la quatrième de la saison 2010 – 2011 de la Société de Philosophie de Bordeaux :

« Les Nouveaux modèles sécuritaires : vers une cosmopolitique de la peur ?« 

dont voici un lien pour l’écouter _ elle dure 65 minutes _,

je relèverai simplement un _ infime _ lapsus

commis _ et à deux reprises… _ par l’excellent Michaël Foessel analysant (et discutant ! très finement et justement !!!), en sa très incisive _ il nous y a habitués ! _ conférence, le travail philosophique de Hans Jonas (1903 – 1993) _ lapsus que nul dans la salle n’a alors relevé… _ :

Michaël Foessel a en effet évoqué l’opus _ probablement _ majeur _ au moins en ses échos (sinon effets…) politico-civilisationnels dans les années qui ont suivi, de par le monde : ce fut le moment du déploiement thatchero-reaganien de l’ultra-libéralisme ! Et nous y sommes toujours !.. _ de Hans Jonas,

en 1979

(sous-titré « une éthique pour la civilisation technologique » ; et paru en traduction française en 1990),

Le Principe Responsabilité,

en le nommant _ deux fois, donc : on mesure d’autant l’enjeu, pour lui, de l’« espérance«  : face à ce qui vient trop (et pas assez à bon escient !) décourager ! sous couvert de « prudence«  et de « précautions«  raisonnablement multipliées… _,

du titre de l’opus que Jonas entreprenait, précisément, de contrecarrer (!),

celui _ vaste ! _ de Ernst Bloch (1885 – 1977),

Le Principe Espérance

(sous-titré, lui, « les images-souhaits de l’instant exaucé«  ; et dont les trois volumes avaient paru entre 1954 et 1959 ; la traduction française, elle, étant _ hélas ! _ bien plus tardive : 1976, 1982 et 1991…).

Sur ce débat _ espérance versus responsabilité (ou précaution) ; ou progrès versus conservation _ plus que jamais crucial-là, en cette seconde décennie _ nôtre _ du XXIème siècle,

et l’anticipant en quelque sorte _ ou peut-être : à chacun d’en juger… _ de toute sa puissance _ géniale ! _ de conception (!),

on se reportera avec le plus grand profit

au livre majeur, aussi, de l’immense Cornelius Castoriadis (1922 – 1997) :

L’Institution imaginaire de la société,

paru, lui, en 1975 ! Mais oui…


C’est ce débat-là :

civilisationnel :

face aux avancées

socio-économiquement « globalisées« , géo-politiquement « mondialisées«  _ là où (et quand) la planète qu’habitent les hommes, paradoxalement, de plus en plus rapidement et largement, sinon profondément (?), s’« émonde«  _,

face aux

assez difficilement résistibles, en apparence tout du moins,

massives

avancées

de la désespérance bling-bling (c’est là le leurre fun, voire clownesque _ cf le cirque d’un Berlusconi en Italie…) cupido-nihiliste…

C’est ce débat-là, civilisationnel, donc,

qu’il faut _ ici philosophiquement _ impérieusement re-prendre,

re-travailler,

à nouveaux frais ;

et c’est à cette tâche que me semble précisément s’attacher

_ et combien excellemment ! : avec une particulière finesse d’analyse de l’historicité des représentations-conceptions et plus encore concepts (à critiquer, certains, et créer et mettre en œuvre, d’autres) _,

Michaël Foessel,

à partir des enjeux cosmo-politiques :

à sauver

_ avec courage ! _

de l’émondement

dans lequel on les efface, ces enjeux cosmo-politiques

_ et vide, peu à peu de pouvoir et de sens, les institutions qui tâchaient (peut-être) de servir (concrètement) leurs valeurs

régulatrices…


Ce que marquaient,

discrètement,

en l’avant-prospect _ cf mon article précédent : “Faire monde” face à l’angoisse du tout sécuritaire : la nécessaire anthropologie politique de Michaël Foessel _ de Michaël Foessel à sa conférence

_ je le relis rapidement : « Comment expliquer que l’affaiblissement des modèles de justice s’accompagne de la montée en puissance des politiques sécuritaires ? Assiste-t-on aujourd’hui à un retour inattendu des États-nations et de leur souveraineté, comme semble l’indiquer le durcissement des politiques d’immigration ? Pourquoi la mondialisation libérale ne s’accompagne-t-elle pas d’une référence à un droit cosmopolitique ? On montrera que le « monde » de la mondialisation se définit avant tout par la conscience du risque et la généralisation des peurs : un monde que l’on cherche seulement à préserver est aussi un monde que l’on a renoncé à transformer. Ce renoncement pourrait bien être un écueil pour la démocratie«  _,

et à propos de ce «  »monde »(-ci) de la mondialisation« ,

ce que marquaient, donc,

les expressions conclusives suivantes mises, plus haut, en gras _ :

« Un monde

que l’on cherche seulement à préserver

_ précautionneusement : à la Hans Jonas, si l’on veut… _

est aussi un monde

que l’on a renoncé _ piteusement _ à transformer« 

_ faire « progresser«  : ce à quoi travaillaient aussi, en commençant par leurs analyses philosophiques,

et un Ernst Bloch,

et un Cornelius Castoriadis !..

Et _ sans démesurément le souligner-surligner (jusqu’à l’usage du discret conditionnel…) _ :

« Ce renoncement

pourrait bien être

un écueil _ voilà ! _

pour la démocratie« …

Démocratie dont le concept pratique

est, en effet _ sous peine de « naufrage«  :

cf le livre de Hans Blumenberg : Naufrage avec spectateur, sur lequel s’est penché Michaël Foessel en son État de vigilance _,

à re-prendre,

par les citoyens que nous sommes (encore : un peu ; pour combien de temps ?..)


Et sur ce terrain-là,

c’est bien du devenir de la chair vivante _ à « raviver«  quand elle décline et se meurt, est moribonde… _

des institutions _ politico-civilisationnelles les plus concrètes _ mêmes

qu’il s’agit…

_ cf l’éclairage qu’en donnait déjà le livre, classique (il est paru en 1977), de Michel Crozier et Erhard Friedberg : L’Acteur et le système


D’où les espoirs _ même imprécis et ténus ; et toujours, toujours : sans fin, sur la sellette… _

qu’ont pu susciter

et suscitent, à nouveau, ici et là, de par la planète _ devenue « globalisée«  _,

par exemple,

l’élection, hier, d’un Obama,

ou la révolte présente _ courageuse ; et elle se poursuit… _, aujourd’hui, du peuple tunisien…

Faut-il, ou pas, raisonner

sur tout cela

en terme _ ou couleur _ de « catastrophe » ?

Michaël m’a recommandé le livre, très lucide, en effet, dans l’analyse des complexités à vivre _ et auxquelles « survivre« , aussi _,

de Pierre Zaoui : La Traversée des catastrophes,

dont le sous-titre _ ce livre-ci se plaçant, lui, à l’échelle de l’éthique de la personne, cette fois _ est : « Philosophie pour le meilleur et pour le pire«  :

outre l’introduction (« Vivre au dehors _ Idées pour la constitution d’une éthique athée« )

et la conclusion (« La Fin du pire ?« ),

j’en ai lu, depuis mercredi, les chapitres IV (« Quelle tuile ! Sur l’événement amoureux« ),

V (« Heureux qui comme David (Se faire son petit bonheur juif« )

et VI (« Des grands et des petits bouleversements« )

_ je lirai ensuite les chapitres I, II & III : sur la maladie, la mort, le deuil et la perte…

Le démêlage est en effet excellent ;

et pas catastrophiste du tout !!!

Titus Curiosus, le 23 janvier 2011

Post-scriptum :

mardi prochain, 25 janvier, à 18 heures,

dans la salle du rez-de-chaussée de la Librairie Mollat, au 91 de la rue Porte-Dijeaux,

à Bordeaux,

Baldine Saint-Girons

présentera son passionnant travail (et œuvre) d’Esthétique,

via, notamment, ses trois très remarquables récents livres :

L’Acte esthétique, aux Éditions Klincksieck ;

Le Pouvoir esthétique, aux Éditions Manucius ;

et La Pietà de Viterbe _ Une double invention de Michel-Ange et de Sebastiano del Piombo, aux Éditions Passages d’encre…

en dialogue avec Francis Lippa…

La décidément obligeante question « Qu’est-ce que l’homme ? » dans le numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit : « L’Etat de Nicolas Sarkozy »

20mar

Un passionnant numéro de réflexion de philosophie et histoire (contemporaine !) politiques, que le numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit _ que dirige Olivier Mongin _, intitulé « L’État de Nicolas Sarkozy« 


J’y relève tout particulièrement les contributions du philosophe Michaël Foessel, l’auteur de « La Privatisation de l’intime« , aux Éditions du Seuil _ cf mon article du 11 novembre 2008 « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie«  _ :

outre

deux très remarquables entretiens _ passionnants et cruciaux ! _ l’un avec la philosophe Myriam Revault d’Allonnes et l’autre avec la juriste (et professeur au Collège de France, à la chaire d’études juridiques comparatives et internationalisation du droit, depuis 2002) Mireille Delmas-Marty :

« Le Sarkozysme est-il la « vérité » de la démocratie ?« , pour le premier de ces deux entretiens, pages 43 à 53 ;

« Détruire la démocratie au motif de la défendre« , pour le second, pages 145 à 162 (Michaël Foessel étant accompagné ici, aux questions, par Clémence Lalaut et Olivier Mongin),

ainsi que la présentation générale (avec Marc-Olivier Padis, rédacteur en chef de la revue) de ce numéro de mars-avril de la revue Esprit, intitulée, elle, « Les Nouveaux contours de l’Etat. Introduction« , pages 6 à 11 ;

Michaël Foessel présente une très remarquable contribution personnelle, aux pages 12 à 23, intitulée « La Critique désarmée« , et sous-titrée « L’Antisarkozysme qui n’ose pas se dire » ;

et dont voici les titres des étapes du cheminement :

_ après une présentation (sans titre) du « problème » à explorer (et formuler, penser, cerner, identifier), aux pages 12 à 14 ;

_ « L’Antisarkozysme qui ose se dire«  _ sur ce qui est le moins instructif, mais seulement superficiellement médiatique, journalistique : cf le livre récent de Thomas Legrand : « Ce n’est rien qu’un Président qui nous fait perdre du temps«  (paru aux Éditions Stock au mois de janvier 2010) que critique au passage Michaël Foessel… _, aux pages 14 à 16 ;

_ « Critique du sarkozysme et autocritique de la gauche«  _ probablement une contribution majeure ! qui m’a particulièrement impressionné ! et rencontre quelques unes de mes intuitions… _ :

« la gauche ne peut parvenir à retrouver son rôle d’opposition sans faire au préalable l’autocritique de ses propres conceptions du pouvoir, de l’économie et des réformes« , résume fort pertinemment l’auteur lui-même, page 1, au début du sommaire des articles ;

ajoutant : « Mais pourquoi est-ce si difficile ?«  Et il y répond ! ; cela, aux pages 16 à 21 ;

_ « Les Nouveaux horizons du conflit« , aux pages 21 à 23 ; dont je retiens surtout ceci :

« La crise de la social-démocratie dont on parle beaucoup est aussi une crise de ses élites qui s’étonnent de ne pas avoir perçu les effets néfastes de la globalisation, alors même qu’elles profitaient _ ces dites élites de la social-démocratie… _ de ses bienfaits. A cet égard, le devenir professionnel de Blair ou de Schröder (le premier dans la finance internationale, le second chez le géant russe de l’énergie gazière) est un peu plus qu’un détail _ comme c’est parfaitement jugé ! Même si une telle promiscuité avec les milieux d’affaires affecte moins _ à y regarder, tout de même, d’un peu près… c’est toujours dans les détails que le diable se cache… _ la gauche française, les pratiques hexagonales du « (rétro)pantouflage » ne garantissent pas un point de vue lucide sur le prix politique de la culture de marché« , page 22.

Le questionnement avance encore un pas plus loin, page 23, non sans s’être référé juste auparavant au travail (important !) de la philosophe américaine Wendy Brown (« Les Habits neufs de la politique mondiale« )… :

« Au-delà de la fausse alternative entre l’horreur économique et les vertus émancipatrices de l’individualisme, le débat se situe au niveau des normes que l’homo œconomicus fait peser sur la citoyenneté. Pour éviter la « mélancolie », la gauche réformiste devrait se pencher sur ce qui, dans le monde contemporain, s’est décidé sans elle en termes de valeurs » _ voilà bien le cœur du débat !!! comme c’est excellemment perçu, cher Michaël !

Et encore un peu plus loin,

après une réflexion sur « retrouver le sens de la conflictualité » _ la plus authentiquement démocratique ! le débat et la discussion véritablement informés : sur les fins et les moyens mis à leur service ; sans faire erreur sur leur hiérarchie ! à rebours des divers réalismes seulement machiavéliques ! _

et sur le caractère on ne peut plus « indésirable«  de « phénomènes indésirables«  tels que ceux que défend et promeut l’action du sarkozysme et des sarkozyens avec la mise en place d’un « système libéral-autoritaire« 

(avec « l’invocation de l’Etat en même temps que la culture de l’entreprise, le dirigisme régalien accordé à l’affaiblissement des institutions _ démocratiques _, le discours sécuritaire au service de la liberté _ débridée _ d’entreprendre : tous ces paradoxes s’éclairent lorsqu’on les confronte à la mise en place d’un système libéral-autoritaire« ),

ceci : « L’antisarkozysme conséquent devrait prendre la mesure des bouleversements que son adversaire exprime plus qu’il ne les cause. Cela veut peut-être dire inventer une nouvelle langue _ ou encore : problématiser à nouveaux frais… _ capable de traduire l’exigence de justice _ un point capital ! _ en d’autres termes que ceux de la maximisation des profits« .

Soit « à l’opposition, il revient désormais _ la tâche et le travail : c’est tout un ! _ de redécrire le réel _ = mieux le penser et ainsi mieux le faire comprendre ! toujours une affaire du mieux juger ! _ pour empêcher qu’une seule voix puisse s’en réclamer. Dans ce domaine aussi les territoires abandonnés sont irrémédiablement perdus ».


Michaël Foessel a on ne peut mieux raison de prendre à cet endroit-ci la question.

Je me permets de reprendre aussi ici la « présentation » (telle que la propose et résume le sommaire de la revue) des entretiens avec Myriam Revault d’Allonnes et Mireille Delmas-Marty,

dont les deux récents livres _ tout fraîchement parus, aux Éditions du Seuil, tous deux _ sont très importants, tout à la fois urgents et admirables, tous deux, chacun en son domaine :

« Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie«  ;

et « Libertés et sureté dans un monde dangereux«  !

Pour l’entretien de Michaël Foessel avec Myriam Revault d’Allones, cela donne ceci, page 1 :

« L’exercice actuel du pouvoir nous apprend-il quelque chose sur la démocratie ? Si le sarkozysme bouscule les équilibres instables de notre régime, n’est-ce pas vers celui-ci qu’il faut tourner les critiques? Les nouvelles formes de « gouvernementalité » et les conceptions sous-jacentes de l’individu qu’elles expriment vont-elles transformer, au-delà des pratiques du pouvoir, notre conception même de la démocratie ? Comment, dès lors, défendre notre attachement à ce régime ?«  ;

et pour l’entretien de Michaël Foessel, Clémence Lalaut et Olivier Mongin avec Mireille Delmas-Marty, ceci, encore, page 3, cette fois, du sommaire :

« En partant de l’analyse d’une décision troublante, la création d’une « rétention de sûreté », la juriste montre comment celle-ci témoigne d’une transformation internationale du rapport au droit et à la sûreté dans un monde plus dangereux. Si cette évolution est frappante dans le cas français, elle n’est néanmoins pas isolée et traduit une évolution plus large des grands régimes juridiques à travers le monde« 

_ ce qui n’excuse certes rien ; mais au contraire justifie les luttes et les résistances démocratiques, et sur tous les fronts, notamment celui du droit et celui de l’action politique dans les démocraties telles qu’elles existent encore…

Bref, comme on le constate, j’espère, à cette lecture de présentation rapide de ce numéro

« L’Etat de Nicolas Sarkozy« 

de la revue Esprit de mars-avril 2010,

une contribution particulièrement notable à la réflexion et au débat démocratique

de l’état présent et à venir (= à construire) de notre Etat, de notre république, de notre démocratie française !

L’enjeu de fond

étant de définir (sans réduction !!!) ce qu’il en est de l’homme.

Soit redéployer, pour aujourd’hui, une réflexion anthropologique ;

d’où la question « Qu’est-ce que l’homme ? » de mon titre…

Ici, je veux relever quelques mots particulièrement essentiels de l’analyse que mène Myriam Revault d’Allonnes, page 50 :

A la question de Michaël Foessel : « On a coutume d’interpréter le culte de la performance, la valorisation de la concurrence et du profit (« travailler plus pour gagner plus ») d’un point de vue économique ou moral. En quoi de telles pratiques jouent-elles aussi un rôle politique dans les formes contemporaines de « subjectivation » de l’homme démocratique ?« ,

voici ce que répond Myriam Revault d’Allonnes :

« Cette perspective va très loin. Certes elle tend à induire, comme je viens de le dire, un certain type de comportement économique et moral. Mais elle ouvre aussi la voie à l’élaboration d’une nouvelle anthropologie _ c’est cela qui me sollicite, et même passionnément ! _ où les notions d’intérêt et de concurrence régleraient aussi bien l’action individuelle que l’action collective, restreignant ainsi _ très gravement !!! mortellement ; c’est une régression barbare ! _ la pluralité des formes d’existence des individus.

Les modes de subjectivation des individus n’engagent pas seulement leur rapport au pouvoir, mais leur rapport à eux-mêmes, la façon dont ils se constituent _ rien moins ! nous touchons ici au fondamental de l’humanisation ! _ à travers ces rapports de pouvoir. Ce culte de la performance, de l’efficacité, de la rentabilité vise à instaurer un nouveau type de normativité morale et politique _ rien moins !

C’est ainsi que sous couvert de produire de la certitude, elle tend à effacer la figure du sujet-citoyen au bénéfice d’un sujet calculant, entièrement _ et pauvrement, misérablement même, par cette « réduction«  terrible et proprement terrifiante pour si peu qu’on se mette à y réfléchir… _ rationnel _ = comptable ! _, entrepreneur de lui-même, déconnecté de l’horizon du « commun » _ partagé.

Par exemple, la notion de « responsabilité » qui se caractérise classiquement par l’imputation d’un acte à son auteur _ encore un concept-clé ! _ est vidée de son sens au profit d’un calcul rationnel des conséquences (qu’ai-je _ moi, moi seul ; sans les autres, réduits, eux, à de stricts moyens ; ou concurrents ; voire ennemis ! voici venir un monde « sans autrui«  ; vide de « personnes » (et de ce qu’elles sont, les unes vis-à-vis des autres, et avec elles, et ensemble ; un monde sans amitié ni amour, donc ; qu’on y médite !.. _ à gagner ? qu’ai-je à perdre ?). Toute l’épaisseur morale _ ainsi qu’existentielle ; est-ce séparable ? _ de la responsabilité _ avec les dilemmes qui l’accompagnent _ disparaît au profit de choix purement stratégiques voire tactiques.

Cette tentative pour « conduire les conduites » est une rationalité globale qui vise à uniformiser _ voilà ! _ nos manières d’être et nos pratiques et à réduire la pluralité de nos expériences _ ici, on relira « L’Homme unidimensionnel » de Herbert Marcuse, écrit aux États-Unis en 1964 et paru en traduction française (aux Éditions de Minuit) en 1968 : une anticipation lucide de ce qui se profilait déjà ; il est vrai que Marcuse (Berlin, 19 juillet 1898 – Starnberg, 29 juillet 1979) avait été témoin de l’Allemagne sous le totalitarisme nazi…

Dans quel « monde » serions-nous si cette rationalité venait à s’accomplir : un tel « monde » _ à la Carl Schmitt (1888 – 1985 ; lui n’a pas quitté l’Allemagne nazie…) ; cf « Le Nomos de la Terre«   _ serait-il encore habitable ? « …

Myriam Revault d’Allonnes prend donc position, page 52, et au nom de « l’exigence démocratique« , en faveur d’« une anthropologie de l’indétermination _ souple face à la pluralité ouverte des possibles _, de la pluralité et du conflit«  _ de la discussion et du débat informés et pacifiques _ ;

une « exigence démocratique«  qui « ne s’épuise pas dans la forme procédurale«  _ avec ses dangers de pragmatisme utilitariste à courte vue _ ; même si cette dernière « est fondamentale, car, au-delà d’arguments strictement défensifs (défense des libertés individuelles, du principe de l’équilibre _ et d’abord de la séparation et de l’indépendance _ des pouvoirs) elle porte en elle le principe de l’affirmation des droits.« 

On ne peut donc certes pas « se débarrasser de la démocratie«  !

conclut Myriam Revault d’Allonnes cet entretien avec Michaël Foessel , page 53.

Les conclusions de l’entretien avec Mireille Delmas-Marty vont aussi dans ce sens :

« En somme, une communauté de destin, dans un monde imprévisible, c’est une communauté capable d’anticiper sans renoncer à l’indétermination _ voilà : celle de sujets existentiels libres et responsables… _ et de s’adapter _ mais aussi accommoder le réel à leurs projets  _ en innovant, dans le domaine technologique, mais aussi juridique _ et d’autres : je pense ici aux thèses de Cornelius Castoriadis en sa magnifique « Institution imaginaire de la société«  Dépasser la contradiction entre liberté et sûreté, entre anthropologie guerrière et anthroplologie humaniste, entre droits et devoirs, c’est le défi lancé aux « forces imaginantes du droit »« ,

comme aux autres « forces imaginantes » (et civilisationnelles), aussi, du génie humain…

Une lecture éminemment conseillée donc

en ce moment, ce samedi, de réflexion électorale aussi

que ce numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit : « L’État de Nicolas Sarkozy« 


Titus Curiosus, ce 20 mars 2010

La temporalité du penser-chercher (libre) versus la logique comptable-et-compétitive (utilitariste) : la liberté (de la vérité) sous la pression du « réalisme » de la rentabilité

13mar

Un excellent article (et pétition) sur le blog « 24 heures Philo » (le riche et passionnant blog coordonné par François Noudelmann et Eric Aeschimann : Lien permanent) :

« Les revues prises dans le piège de l’évaluation«  par un collectif de « revues de sciences humaines » à la date d’hier, 12 mars, sur le site de Libération,

qui nous donne _ excellemment (et urgemment !) _ à réfléchir sur les enjeux de la temporalité dans ce qui se joue en ce moment sur ce que va devenir notre monde ; de quel côté va-t-il pencher ? :

Voici cette « communication » du collectif de « revues de sciences humaines » que je me permets d’assortir, as usual, de quelques commentaires « miens » :

Un débat très important agite, depuis 2008 au moins, la communauté internationale des chercheurs. Il concerne les revues et les modalités de leur classement, de leur notation et de leur évaluation. L’évaluation des revues n’est pas neuve (pensons par exemple au classement proposé par le CNRS en 2004), et les chercheurs sont familiers de la logique de hiérarchisation, plus ou moins formelle, qui sous-tend les pratiques scientifiques. Il nous semble même normal, sensé et essentiel que soient mises en valeur et distinguées _ car penser, c’est juger, distinguer, évaluer : critiquer, c’est-à-dire trier et choisir (retenir et écarter, et transmettre) _ les revues dont la qualité scientifique est reconnue par les professionnels de la recherche. Mais selon quels critères _ de fait ? de droit ? _ et selon quelles modalités ? Aujourd’hui, il nous paraît urgent de faire connaître notre position sur cette question, d’autant que la signification de la liste française de revues établie par l’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) s’est vue confortée par la réforme du statut de l’enseignant-chercheur promue par l’actuel gouvernement.

Pourquoi ce projet de réforme, qui met les chercheurs dans la rue depuis bientôt deux mois, s’inscrit-il dans le prolongement direct de la création de l’AERES et de son classement des revues ? Parce qu’octroyer à l’AERES le monopole de l’évaluation des chercheurs consiste tout simplement à faire des revues les supports privilégiés de la discrimination et de la compétition entre chercheurs. Une fois la réforme adoptée, ces derniers seront jugés uniquement _ !!! _ sur le nombre de leurs publications _ !!! _ et sur la note attribuée _ !!! _, par l’AERES, à la revue dans laquelle ils auront publié. Pour le dire autrement, si un chercheur publie un texte dans une excellente revue spécialisée, mais mal (voire pas du tout) classée par l’AERES ou par son aîné l’ERIH (European Reference Index for the Humanities), il ne sera pas considéré _ labélisé ; officiellement ! _ comme un « bon » chercheur _ et ayant à trainer sur son front ce stigmate ! _, et verra son travail _ de facto lourdement _ confiné aux tâches enseignantes et administratives. Il n’aura donc plus l’occasion de mener à bien ses recherches _ on en mesure les effets ! _ et de les publiciser _ placardisées bel et bien qu’elles seront, par ce dispositif officialisé de censure…

Pourquoi cette réforme est-elle en totale inadéquation avec la manière dont fonctionnent _ actuellement _ nos revues ? Même si elles reposent sur le principe de la sélection et de la critique _ librement _ constructives _ la signature des articles n’engageant que l’autorité intellectuelle de leurs auteurs : mais c’est énorme ! _, les revues en sciences humaines et sociales n’ont absolument pas vocation à noter _ !!! : le nombre (= le quantitatif) évitant d’aller regarder un peu plus (et mieux) dans les coins ; c’est-à-dire de lire ! (= le qualitatif) _ les chercheurs ! Elles produisent _ créent _ et transmettent un savoir. Qu’elles soient spécialisées, généralistes, ou interdisciplinaires, leur objectif est d’informer la communauté scientifique _ curieuse _, de transmettre _ dans une perspective dynamique ouverte et libre !!! _ de nouveaux programmes de recherche _ à mener _, de poser des problèmes _ ils ne vont pas (ni jamais ! cf Bachelard, sur le « sens du problème » comme marque de l' »esprit scientifique » !) de soi ; et les « créer » est la première et essentielle mission, fondamentale et féconde, de « la recherche » ; qui deviendra, plus tard, un peu mieux « établie », « le savoir » : reconnu ; et même « la science » : admirée… _, de discuter _ toujours et indéfiniment !.. _ des méthodes _ indéfiniment en chantier _, de stimuler _ avec fécondité ouverte _ les interprétations, et non de récompenser ou sanctionner les individus _ réduits aux compétitions sans merci du (misérable) carriérisme…

La logique comptable et compétitive _ et c’est bien de son expansion impériale qu’il s’agit, hic et nunc !!! _ de l’actuelle réforme met à mal, tout particulièrement, le rôle des « comités de rédaction », qui travaillent en effet collectivement _ c’est important : il s’agit toujours d’un travail d’équipe ; et non de camarillas à la solde d’ambitions individuelles _ à l’élaboration d’une ligne éditoriale, en fonction de laquelle les articles sont sélectionnés ou non pour la publication. Les placer en position de faire le tri entre « bons » et « mauvais » chercheurs, c’est introduire, dans leur travail, d’autres considérations _ certes ! mortifères pour l’autorité de la recherche _ que celles qui président _ actuellement, pour l’essentiel _ à la ligne éditoriale de la revue. Or les membres d’un comité de rédaction ne sauraient être réduits à la fonction de froids _ lire Imre Kertész sur la logique de l’édition en régime totalitaire, in « Le Refus » : admirable !!! On peut lire aussi, du même, l’encore plus effrayant de réalisme « Liquidation » !!! _ administrateurs, fidèles _ l’adjectif est admirable ! _ aux critères de sélection _ on connait aussi ceux (« critères de sélection« ) d’Auschwitz : toujours de Kertész, lire, cette fois, « Etre sans destin« , à propos de l »instant décisif » (qui n’est pas celui de Henri Cartier-Bresson !.. _ dictés par la mode du moment _ on ne connaît que trop l’admirable constance et l’héroïque souci d' »autorité » et de « fondement » de telles pratiques !!! _ ou par une conception homogène et stagnante _ transie et cadavérisante ! _ des définitions de la scientificité. Une revue n’existe pas non plus sans le travail d’un comité de lecture _ ouvert et honnête, en ses exigences puissantes de « valeur » scientifique … _ dont l’avis consultatif ou le pouvoir décisionnel sont absolument cruciaux. Il revient en effet au comité de lecture de juger _ en toute liberté de l’esprit ; et, le plus possible, rien qu’elle !!! _ les articles répondant à l’appel à contributions lancé par une revue. Les choix de publication qu’effectue un tel comité n’ont rien de neutre _ chacun ses options, ses paris ; mais en toute honnêteté ! _, et il n’y a donc aucune raison pour qu’il en existe une forme unique _ officielle ! _ et supérieure _ ou totalitaire ! Là encore, se joue l’identité _ libre ! _ d’une revue.

La course à la publication, le risque de discriminations injustifiées _ sinon par de sordides intérêts carriéristes de quelques uns, cherchant à se faire un tout petit peu plus « malins » que les autres : le mot ne porte que trop bien le poids de son étymologie… _ et de renforcement des dissymétries, l’accumulation de critères de sélection mal ajustés aux situations spécifiques _ du « réel » en sa complexité : auxquels se confronte toute vraie honnête « recherche » _ : voilà ce que propose aujourd’hui le Ministère de la Recherche aux revues dont certaines sont pourtant mondialement réputées _ en effet : mais pour combien de temps ? si tels devenaient les nouveaux « handicaps » de la « compétition » ainsi organisée (ou truquée)… _ pour leurs qualités scientifiques et l’originalité _ essentielle ! _ de leur ligne éditoriale _ on sait ce que deviennent les « normalisations« … Voulons-nous d’une classification arbitraire des revues ? Voulons-nous que les revues soient instrumentalisées _ c’est de cela qu’il s’agit, avec cette machiavélisation tous azimuts galopante cf mon article du 11 novembre « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » à propos de l’instrumentalisation de l’intimité, aussi, in « La privation de l’intime«  de Michaël Foessel…  _, pour ne plus devenir, en fin de compte, que les « chambres d’enregistrement » des ambitions individuelles des chercheurs ? Non, car cette logique compétitive et quantitative correspond mal _ le mot est faible ; et l’enjeu est capital !!! _ aux temporalités de la recherche en sciences humaines et sociales _ ainsi qu’ailleurs aussi ; en d’autres activités « à normaliser »… Faire du terrain, aller aux archives _ pour commencer _, formuler _ = créer en réfléchissant quasiment en permanence !.. _ de nouvelles hypothèses _ voilà le matériau « à créer » de base ! _, proposer _ aux pairs (en recherche) _ des interprétations, écrire _ oui ! _, et penser _ à tout moment du processus ! _, tout cela prend du temps ! A l’inverse, être condamné à publier à tout prix, n’importe où, n’importe quand, afin d’éviter la relégation _ normalisée (et totalitaire) _ dans la catégorie « mauvais chercheur », est tout simplement incompatible avec les exigences d’un travail de recherche honnête _ « honnête » : voilà le terme capital ; et ici, je me permets de renvoyer à l’essai décisif de Montaigne en ouverture de son dernier « livre » d’« Essais » : « De l’utile et de l’honnête » (livre III, chapitre premier) ; Montaigne, les « Essais » ; Machiavel, « Le Prince » : les classiques (ô combien critiques !) de la modernité.

Les mutations actuelles de l’Université font peser un grand nombre d’incertitudes sur l’avenir financier et matériel de la plupart des revues. Beaucoup d’entre elles étant liées à des institutions, des laboratoires, des centres de recherche, amenés à être restructurés si l’AERES et l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) en décident ainsi, elles risquent _ l’époque (des « réformes » et des « ruptures » affichées) est particulièrement dangereuse : que de « mises à mort » ! que de « casse » !.. _ clairement leur survie ! Il faudrait donc _ idéalement, d’abord _ mener une réflexion digne de ce nom _ avec un vrai débat : ouvert et « honnête » : mais c’est peut-être beaucoup demander là à certains de nos présents « élus » (munis, qu’ils sont, de l’onction de l’élection « démocratique » !)… _ sur les modes de subvention _ vitales _ des revues. D’autant que dans le contexte d’un tarissement évident des abonnements de bibliothèques et d’une baisse non moins évidente des ventes de « sciences humaines et sociales » en librairie, les revues se retrouvent confrontées aux questions de la numérisation et de l’édition électronique

En dépit de l’existence de portails comme Cairn et Revues.org pour la mise en ligne des revues « vivantes », ou Persée pour les anciens numéros de revues, la France accuse encore un certain retard dans le débat sur ces questions, faute de prise de conscience politique _ suffisante (et suffisamment opérante) _ sur le sujet. Et pour cause : le ministère de la Recherche nous dit que la revue va devenir le moyen central de l’évaluation des chercheurs, mais ne songe _ le terme est assez savoureux _ même pas à ce qu’est réellement une revue de sciences humaines et sociales ! Il en ignore farouchement _ dogme de la priorité commerciale « aidant »… _ les modes de fonctionnement, les usages, l’originalité éditoriale, les soutiens et modes de financement. Ceci, finalement, n’étonnera guère, puisque force est de constater que le gouvernement actuel veut engager à toute vitesse _ prendre de court toute velléité de résistance à la modernité de la part des corporatismes conservateurs, cela va de soi !.. ; c’est là le B-A BA des stratégies auxquelles forment les écoles commerciales _ la réforme de la recherche, sans même avoir pris le temps d’en connaître _ mais un ministère est-il un organe de « connaissance » ? ou d' »action » ?.. _ ni les acteurs ni les supports.


Nous exigeons que les revues ne soient pas transformées en instruments de contrôle des chercheurs, et appelons donc à une suppression des listes de revues AERES, dans le prolongement de la demande de moratoire du 9 février 2009 par les instances scientifiques du CNRS. Nous demandons que soient préservées la pluralité, la diversité et les spécificités des revues de recherche en sciences humaines et de sciences sociales.

Revues signataires : Actes de la recherche en sciences sociales, Annales du Midi, Champ Pénal, Clio. Histoire, Femmes et Sociétés, Communications, Etudes Roussillonnaises. Revue d’Histoire et d’Archéologie Méditerranéennes, Genèses. Sciences sociales et histoire, Gérer et comprendre, Hérodote, Interrogations, Journal des anthropologues, L’Homme, La Recherche en éducation. Revue électronique internationale francophone, Le Temps des médias, Politix, Revue d’histoire du XIXe siècle, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, Revue du MAUSS, Revue Française de Socio-Economie, Ruralia, Tracés. Revue de Sciences Humaines, Travail, genre et société, Vingtième Siècle. Revue d’histoire.

Voilà

un problème éminemment concret et d’actualité toute pressante,

quand, aussi, tourne (un peu, semble-t-il…) le vent du « réalisme » _ outre Atlantique, d’abord : « Yes, we can« …

Intérêt (de l' »utile« ) versus vérité (de l' »honnête« ),

à l’aune de la curiosité (libre !) de la recherche.

Une tension de valeurs éminemment cruciale, chacun peut (et doit ! il y va du « destin » de la démocratie : rien moins !!!) en juger…


Je me suis référé en mon petit commentaire, outre Montaigne et Machiavel

(et Michaël Foessel : il faut aussi lire le très remarquable « La privation de l’intime » sur les dangers de l’impérialisme de l’instrumentalisation, rampant, « du plus quotidien » de nos vies !.. _ = l’intime : en danger de disparition, ou « pulvérisation » ! cf mon article du 11 novembre : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« …) ;

je me suis référé à l’œuvre _ si important ! _ d’Imre Kertész…

De lui, Imre Kertész, j’attends _ et « Dossier K.« , paru en français le 4 janvier 2008 ne m’a pas (encore) satisfait sur ce point : il est vrai que la traduction en français de ses oeuvres a toujours un peu de retard (par rapport à l’original, en hongrois, et à la traduction en allemand _ Imre Kertész résidant désormais surtout à Berlin…) ; un livre passionnant et nécessaire !!! _ ;

de lui, j’attends un avis d’expert : en menaces de liberté !!

cf et « Etre sans destin » et « Le Refus » ;

tout comme « Liquidation » et, admirable, « Le Drapeau anglais » _ recueil comportant le bouleversant parce que fondamental « Le Chercheur de traces » (qu’on trouve aussi, en cas d’indisponibilité du recueil, en édition séparée)…

j’attends un avis d’expert (de vérité libre !)

sur la cité démocratique capitaliste,

en ses derniers (récents et présents) « tournants », tout particulièrement…

Car le « réalisme » me paraît venir _ rien moins ! _ changer de sens…


Titus Curiosus, ce 13 mars 2009

Sur le calendrier de « la solution finale » : la suite du débat historiographique Edouard Husson / Florent Brayard

27fév

 A défaut d’un vrai commentaire du nouvel article, cette fois d’Édouard Husson (« Comprendre les origines de la Shoah _ Réponse à Florent Brayard« ), ce 26 février ; en réponse à celui, le 12 février dernier, de Florent Brayard (« Shoah : l’intuition et la preuve _ retour sur le processus décisionnel« ) critiquant son livre « Heydrich et la solution finale« ,

à propos de l’établissement du calendrier des décisions de « programmation » effective et des ordres de mise en œuvre sur le terrain, de la « solution finale« , par les Nazis,

ce courrier, hier soir, à un ami historien :

De :   Titus Curiosus

Objet : La réponse d’Edouard Husson à Florent Brayard sur laviedesidees.fr
Date : 26 février 2009 21:08:01 HNEC
À :  Flavius Historicus

Cher Flavius,

Je n’ai hélas pas le temps de « travailler » un peu (= lire attentivement et réagir par quelques premiers commentaires, en « Candide »)
à la passionnante réponse d’Edouard Husson à la critique de son « Heydrich et la solution finale »
en son article récent sur laviedesidees.fr
« Shoah : l’intuition et la preuve _ retour sur le processus décisionnel« …

Ce que l’on peut espérer,
c’est qu’un débat sur le fond
et sur les méthodes
va pouvoir se développer sérieusement
_ au delà des questions de rivalités personnelles ou d’équipes ou d’écoles…

Florent Brayard avait déjà apporté, en son article, quelques réflexions sur la vertu, sinon des « erreurs », du moins des « hypothèses »
qui avait un peu retenu mon attention
dans ma lecture de son article
;

et sur laquelle j’avais développé surtout mon commentaire,
un peu « épistémologiquement », sans creuser vraiment sur le fond du débat ;

mon optique étant seulement de relayer (un peu) l’article
et donner l’envie de lire les livres
, sur mon blog de la librairie Mollat…

Mais je vous transmets immédiatement ce nouvel article (de réponse) d’Edouard Husson
« Comprendre les origines de la Shoah _ Réponse à Florent Brayard »

qui alimentera utilement votre réflexion plus compétente que la mienne…

Bien à vous,

Titus Curiosus

Voici ce nouvel article :
« Comprendre les origines de la Shoah« 


Réponse à Florent Brayard

par Édouard Husson [26-02-2009]

Domaine : Histoire

Mots-clés : Shoah | nazisme | méthodologie

En réaction au compte rendu que Florent Brayard a donné de son ouvrage sur « Heydrich et la solution finale« , Édouard Husson a tenu à corriger ce qui lui apparaît comme des erreurs de lecture. Mais ce qui transparaît surtout, c’est une divergence sur la méthode historique. Comment écrire l’histoire d’un événement dont les principaux acteurs ont supprimé les documents ? Édouard Husson milite pour une autre forme d’enquête historique.

Je remercie Florent Brayard pour le long compte rendu qu’il consacre à mon ouvrage « Heydrich et la solution finale« . La discussion entre chercheurs fait partie, éminemment _ certes : c’est capital ! _, de la vie scientifique. Et il est fréquent que soient exprimés des désaccords de fond. Florent Brayard a publié chez Fayard en 2004 un gros livre intitulé « La “solution finale de la question juive” _ La technique, le temps et les catégories de la décision« . Il s’agit de la première contribution d’un chercheur français au débat international sur le calendrier de la mise en œuvre de la Shoah par les dirigeants nazis _ rien moins ! Et je n’ai aucun doute : le livre de Brayard est un livre magistral _ dont acte ! Cela ne m’empêche pas d’être en désaccord foncier avec lui sur un certain nombre d’éléments d’interprétation _ les choses se font passionnantes…

Ces désaccords, qu’il lui est facile de constater, Florent Brayard les fait découler d’un certain nombre d’erreurs _ voilà bien le terme décisif ; et qui avait retenu (positivement : par sa fécondité ! cf Bachelard, ou Alain…) ma curiosité « épistémologique«  (et poïétique : cf aussi Cornélius Castoriadis, là-dessus ; par exemple dans son opus magistral : « L’Institution imaginaire de la société« ) _ que j’aurais commises. Le terme est suffisamment répété, dans son compte rendu, pour attirer l’attention. Brayard finit même par un paragraphe sur le statut de l’erreur en histoire _ oui !.. J’ai fauté, mais je révèle quand même quelque chose du degré de complexité auquel est parvenue la recherche sur l’histoire du génocide. Felix culpa !

Pourtant, en regardant de près le compte rendu, on peut juger que Brayard présente souvent mon argumentation sous un jour biaisé, donnant au lecteur une idée déformée de ma démonstration. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à la rédaction de la Vie des Idées de pouvoir répondre à son texte.

Ici débute donc l’article de « réponse«  argumentée d’Édouard Husson à Florent Brayard…

Mutations dans le processus de décision hitlérien

Je donnerai un premier exemple. Florent Brayard résume de façon abrupte l’une des thèses de mon livre par la formulation suivante : selon Husson, « la décision d’exterminer les Juifs fut prise au tout début du mois de novembre 1941« . Je n’ai jamais formulé les choses de cette manière. Toute ma démonstration consiste à restituer le processus de radicalisation _ voilà le concept-clé ! _ au sein du quatuor Hitler-Göring-Himmler-Heydrich. Je défends, documents à l’appui, la thèse selon laquelle une première version de la « solution finale de la question juive en Europe » a été conçue avant même la campagne contre l’Union Soviétique, qui commence le 22 juin 1941. Les nazis imaginaient qu’ils gagneraient la guerre contre l’URSS en quelques mois ; et ils envisageaient donc que, dès l’automne 1941, ils seraient en mesure de commencer le regroupement concentrationnaire des Juifs soviétiques, puis la déportation généralisée des Juifs d’Europe vers l’Union Soviétique conquise, dans un processus de « génocide lent » _ autre concept-clé ici d’Édouard Husson. À partir du moment où la guerre contre Staline s’enlisa, Hitler se trouva devant un dilemme : fallait-il attendre la victoire pour commencer la déportation généralisée des Juifs ? ou bien commencer sans attendre ? C’est pour cette deuxième option que se décida le dictateur ; et cela impliqua l’accélération immédiate _ voilà le concept qui vient préciser, temporellement (= en son « tempo«  de mise en œuvre), le concept précédent de « radicalisation«  _ du processus génocidaire : tant que l’on ne possédait pas les vastes espaces soviétiques pour procéder à une « extermination par le travail forcé » des Juifs, ces derniers devaient être regroupés plus à l’Ouest. Les dirigeants nazis, au terme de controverses complexes, aux échelons supérieurs et intermédiaires du régime et de l’administration d’occupation, se mirent d’accord pour assassiner les Juifs d’Europe centrale et occidentale par le gaz, sur le territoire polonais _ les Juifs soviétiques _ eux _ étant toujours plus largement exterminés là où ils vivaient _ en territoires progressivement conquis _ par des commandos de tueurs (Einsatzgruppen, Ordnungspolizei, Waffen SS).

J’ai donc défendu la thèse que trois décisions _ ou plutôt trois impulsions (successives) _ hitlériennes _ du Führer lui-même _ avaient été nécessaires pour le passage au génocide immédiat : en juillet 1941, le Führer incite à l’intensification des massacres de Juifs en URSS ; en septembre 1941, il autorise la déportation des Juifs du Grand Reich (Allemagne, Autriche, Bohême-Moravie) vers la Pologne ou les Pays Baltes ; en novembre 1941, il franchit le pas décisif : tous les Juifs d’Europe seront soumis sans attendre la fin de la guerre au processus de « solution finale« . Cela équivaut donc bien à un ordre d’extermination généralisée ; mais il doit être relu dans une évolution _ temporelle _ des instructions toujours plus génocidaires _ voilà le cœur de la thèse d’Édouard Husson _ données par Hitler au cours de l’année 1941.

Florent Brayard ne se contente pas de simplifier ma thèse au point de la rendre simpliste. Il la fait reposer entièrement sur un élément de preuve qui est chez moi secondaire _ une déclaration de Himmler à son masseur Kersten, le 11 novembre 1941 _ et néglige les témoignages plus solides sur lesquels je m’appuie pour mettre en valeur ce basculement de novembre 1941 (quand certains de nos collègues chercheurs situent le tournant décisif en septembre ou en décembre) : en particulier les propos de Hitler lui-même _ indices des décisions-ordres, base de tout… _, dont j’entreprends une analyse très détaillée pour la période qui va du 25 octobre au 10 novembre ; mais aussi la conférence de presse secrète tenue par Alfred Rosenberg ; et l’article publié par Josef Goebbels dans « Das Reich« , à la mi-novembre 1941, qui témoignent _ voilà le fond de l’hypothèse sur ce qu’il d’agit d’exhumer _ de leurs conversations avec le dictateur sur le sujet de l’extermination à venir des Juifs _ dont l’idée-projet est la racine de tout ; la question étant celle des éléments progressifs de la mise en œuvre (si « techniquement«  difficile, comme l’énonce le Reichsfürher Himmler en ses deux discours de Poznan des 4 et 6 octobre 1943 ; cf mon précédent article du 13 février : « de l’hypothèse au fait : la charge de la preuve _ un passionnant article de Florent Brayard à propos du “Heydrich et la solution finale” d’Edouard Husson, quant à la datation de la “solution finale”, avant la conférence de Wannsee« 

Le contexte géopolitique est essentiel.

Le plus important de ma démonstration est cependant le lien que j’établis entre la détérioration de la configuration géopolitique pour l’Allemagne nazie et l’accélération hitlérienne du passage au génocide. Or, curieusement, Florent Brayard fait très peu allusion à cet aspect de mon livre dans son compte rendu. Une Europe dominée par Hitler aurait été dans tous les cas une « Europe sans Juifs« . Avant la guerre, les nazis imaginent l’émigration forcée des Juifs du Reich et, pourquoi pas, une « solution » concertée au niveau international de la « question juive« . À partir du moment où la guerre est déclenchée, les Juifs du Reich et de l’Europe conquise deviennent des otages entre les mains de Hitler, qui croit dur comme fer au « complot juif mondial » qui serait à l’origine de la guerre _ en effet, c’est une pensée obsédante de Hitler _ ; et imagine, entre 1939 et 1941, qu’en menaçant d’exterminer les Juifs, il pourra faire pression sur des dirigeants placés « sous la coupe des Juifs » à Paris, à Londres ou à Washington. Il faut se rappeler que Hitler prend, au deuxième semestre 1940, la décision d’attaquer l’URSS alors que son projet d’origine a échoué : il ne sera pas en mesure, par la faute de Churchill, de trouver l’accord avec la Grande-Bretagne dont il rêvait ; et il lui faut donc, pense-t-il, pour impressionner Londres et dissuader Washington d’entrer en guerre, gagner vite la guerre contre une Russie « pourrie par le judéo-bolchevisme« . La « solution de la question juive en Europe » devient alors partie intégrante de la stratégie globale. L’Allemagne nazie ne sera en mesure d’assurer sa domination sur le continent européen qu’à partir du moment où tous les Juifs en auront disparu _ telle est en effet l’idée-force obsédante de Hitler… Hitler le fait comprendre, on ne peut plus clairement, dans un discours du 30 janvier 1941, où il reprend, en la radicalisant, sa déclaration du 30 janvier 1939, par laquelle il avait annoncé que les Juifs d’Europe seraient les premières victimes d’une guerre mondiale.

Une première forme du génocide des Juifs planifiée dès le printemps 1941

C’est dans cet état d’esprit que les principaux dirigeants nazis préparent la campagne contre l’Union Soviétique : la « solution finale de la question juive en Europe » fait partie intégrante de la planification. Comme le souligne Florent Brayard, pour le déplorer, je mets _ bien _ en question le consensus historiographique selon lequel aucun ordre d’extermination n’a été formulé avant le 22 juin 1941. Ainsi va la recherche : pendant longtemps, les historiens ont pensé que toute la Shoah avait été planifiée _ tout est dans le processus de mise en œuvre sur le terrain des opérations peu à peu programmées _ avant le déclenchement de la guerre germano-soviétique ; ensuite est venue une école d’historiens, plus attentive à la complexité du processus révélé par les documents _ en particulier au rôle des initiatives prises _ lieu par lieu ; moment par moment _ par les agents locaux du génocide _ qui a douté et, au contraire, défendu la thèse selon laquelle rien (!) n’avait été planifié avant juin 1941 : la Shoah serait progressivement sortie de la radicalisation de la guerre, à partir d’août 1941. Florent Brayard se rattache à cette école ; dans son ouvrage, il défend même une version extrême de la thèse, puisque, pour lui, la Shoah n’est vraiment décidée qu’en juin-juillet 1942, lorsque Himmler lance l’Aktion Reinhard (l’extermination systématique des Juifs de Pologne) et inaugure les installations de gazage d’Auschwitz.

Plus je travaille sur la genèse de la Shoah, moins ce nouveau consensus historiographique me satisfait _ le questionnement se fait toujours progressivement… Travaillant à la fois _ aux tenants et aboutissants des chaînes de décisions et applications ; en s’efforçant de reconstituer les processus de terrain _ sur les processus de décision au sommet du régime et sur la mise en œuvre de la Shoah sur le terrain, en Ukraine, je ne peux pas rendre compte de l’ampleur des massacres dès le deuxième semestre 1941 (500 000 morts pour la seule Ukraine dans ses frontières d’aujourd’hui dans le cadre de la « Shoah par balles » _ cf le passionnant livre du Père Patrick Desbois : « Porteur de mémoires : sur les traces de la Shoah par balles«  _ entre juin et décembre 1941) sans reprendre de fond en comble la question de la planification avant le 22 juin 1941. Bien entendu, je reconnais, avec les historiens de l’école à laquelle se rattache Florent Brayard, l’importance _ aussi ; après il s’agit d’évaluer au plus juste (objectivement !) les poids respectifs de chacun des éléments de ces « chaînes«  _ des initiatives prises par les agents du génocide sur le terrain pour la radicalisation très rapide _ en effet _ du processus de tuerie. Mais je pense avoir montré que cette initiative ne porte que sur le choix des moyens _ pas sur la programmation organisée des ordres même _ du génocide : la radicalisation de l’été et de l’automne 1941 est impensable sans l’impulsion meurtrière totale _ voilà le moteur de tout le processus _ donnée depuis Berlin ; et qui s’ancre dans un long processus de maturation de la mentalité génocidaire _ en amont de la programmation effective des ordres eux-mêmes _ qui a commencé dès la planification de la campagne de Pologne ; et a atteint un degré inouï lors de la planification de la guerre contre l’URSS.

C’est pourquoi je défends la thèse _ la voilà _ qu’une première conception de la « solution finale » avait été planifiée _ le terme est important _ dès le printemps 1941. Ce n’était pas exactement la Shoah telle qu’elle s’est effectivement déroulée _ voilà l’acquis des discussions scientifiques de ces vingt dernières années _ mais c’était déjà un projet _ commencé d’élaborer, donc, selon Édouard Husson _ de génocide : il aurait été plus progressif que la Shoah ; et aurait plus eu recours à la mort provoquée par famine ou par le travail forcé que ce que nous connaissons. Il est de mon point de vue impossible de comprendre le passage, extrêmement rapide, au judéocide, dès l’été 1941 en URSS puis à l’automne 1941 en Pologne, sans voir que le massacre généralisé avait déjà été souhaité et conçu _ échafaudé sur le papier… _ par les dirigeants nazis. Tel est bien le cœur de ma thèse ; et c’est là ce que Florent Brayard refuse absolument _ voilà donc ce dont il y a à débattre ici et maintenant, pour les historiens, en ce début de 2009…

Le projet de déportation à Madagascar est déjà génocidaire

À l’été 1940, les nazis travaillèrent à un projet de déportation des quatre millions de Juifs sous leur domination vers Madagascar. C’était à la fois un héritage de la période d’avant-guerre, où les dirigeants du Reich avaient espéré un « règlement international » de la « question juive » ; et le signe d’un basculement vers le génocide. J’y vois _ et c’est un élément important de l’apport historiographique propre d’Édouard Husson _ un maillon essentiel dans la marche à la planification concrète du génocide. La plupart de nos collègues jugent le projet « irréaliste » ; c’est sans doute vrai ; mais je prends au sérieux, pour ma part, la brutalité des conceptions développées par le Ministère des Affaires étrangères et par la SS, pour y voir une mutation majeure _ c’est la contribution de cette analyse du « Projet Madagascar«  à la thèse d’Edouard Husson sur les enchaînements de la mise en œuvre de « la solution finale«  (ou « Shoah« ) _ dans la planification de la persécution des Juifs. Florent Brayard sous-estime considérablement _ presque tout est affaire de nuances (ou degrés) dans la prise en compte de l’importance respective des diverses données au processus global… _ la brutalité qui aurait accompagné ce processus de déportation et de réinstallation forcée. Peut-on imaginer un seul instant que les bateaux envisagés par Adolf Eichmann auraient été, sinon des paquebots de luxe, du moins des moyens de transport confortables ? Combien de déportés auraient-ils survécu au transport ? Combien auraient-ils supporté la transplantation dans un nouvel environnement ? La population locale aurait-elle accepté la coexistence imposée ? Surtout, les plans élaborés par les hommes de Heydrich témoignent plutôt du projet de mettre les Juifs au travail dans des structures concentrationnaires que de leur permettre d’établir des kibboutzim.

J’ai relevé dans le projet des hommes de Heydrich la mention d’un Vorkommando de la Sicherheitspolizei (la police commandée par Heydrich) chargé de surveiller la réinstallation des Juifs sur place. Brayard est choqué de ce que j’y voie une préfiguration de la logique des Einsatzgruppen, les groupes d’intervention de la SS et de la police, qui seront à l’œuvre, un an plus tard en URSS. Il affirme que Vorkommando est un terme neutre : « D’ailleurs, selon le Langenscheidts Grosswörterbuch Französisch« , écrit-il, « un Vorkommando est “un détachement précurseur (chargé de préparer le campement)”. Rien, vraiment, de criminel à cela« . Je me permets de rappeler que le Vorkommando est, dans la terminologie des SS, une avant-garde d’Einsatzgruppe, chargé de préparer l’arrivée du reste des troupes (Sic). ; et que, contrairement à la traduction donnée dans la version française de « La Destruction des Juifs d’Europe » de Raul Hilberg (« groupe mobile de tuerie« ), qui donne une interprétation réductrice de leur champ d’action, les Einsatzgruppen étaient conçus à la fois pour organiser le marquage et la déportation des Juifs ; et pour éliminer d’emblée, parmi eux, les individus jugés dangereux. Deux versants d’une politique génocidaire, à court et moyen terme, dont on trouve l’embryon _ en ce concept consiste la thèse ici d’Édouard Husson _ dans la conception du plan Madagascar, véritable « laboratoire » _ tout s’élaborant, peu à peu _ des plans de « solution finale » rédigés au printemps suivant.

Florent Brayard me fait dire que des chambres à gaz étaient planifiées par les nazis à Madagascar. En fait, je relève simplement qu’il était question, à l’été 1940, de faire contribuer le personnel de l’Aktion T4, chargé de la mise à mort des aliénés et des handicapés en Allemagne, au projet Madagascar. Nous n’avons que quelques indices, mais ils me semblent suffisants _ tout est dans la nuance de l’évaluation _ pour se demander si l’idée de Himmler n’était pas de profiter de l’infrastructure de T4 pour mettre à mort des Juifs âgés, malades, handicapés ou aliénés que l’on n’aurait ainsi plus à déporter vers Madagascar. Les structures d’extermination par le gaz qui servaient déjà à l’euthanasie depuis le début 1940 auraient ainsi pu servir à se débarrasser, en Europe, d’emblée _ avant même l’embarquement _, d’une petite partie des Juifs à déporter. Quant à imaginer que le personnel de T4 aurait pu être sollicité uniquement pour assurer du transport, cela reviendrait à envisager le document, rien que lui, hors de tout contexte, au risque de se laisser prendre au camouflage linguistique des nazis _ toujours important : cf, par exemple, Victor Klemperer : « LTI : la langue du IIIème Reich _ carnets d’un philologue«  On voit bien les limites d’une telle approche lorsque les sources sont peu nombreuses à nous être parvenues. Derrière les organisations de transport de T4, faut-il le rappeler, se camouflait une entreprise d’extermination qui fit _ déjà pas moins de _ 70 000 morts entre janvier 1940 et août 1941.


Le rôle des Einsatzgruppen en URSS

Florent Brayard écarte rapidement ma relecture du rôle et du comportement des Einsatzgruppen en URSS en 1941. Pourtant, je propose un schéma complexe, que je peux résumer ainsi :

_ Les Einsatzgruppen se voient confier la tâche, avant le 22 juin 1941, à la fois d’éliminer d’emblée le plus possible des « agents du judéo-bolchevisme » ; et de préparer le regroupement concentrationnaire du reste de la population juive d’URSS, qui devra avoir lieu après la victoire contre l’URSS. On est donc d’emblée dans un cadre génocidaire ; mais il est prévu que la majorité des Juifs soient soumis à un génocide lent, « d’extermination par le travail » _ nous avons vu l’importance des rythmes (et « tempo« ) dans la mise en œuvre sur le terrain des décisions prises à la tête, auprès d’Hitler… Lorsque l’Allemagne dominera définitivement le continent (c’est une question de six mois, pour les dirigeants nazis, au printemps 1941), alors elle pourra commencer à déporter les Juifs de toute l’Europe vers l’URSS conquise et les faire mourir progressivement de la même façon que les Juifs soviétiques.

_ Progressivement, dans le courant de l’été 1941, les unités de la SS et de la police sont conduites à radicaliser leurs tueries. L’historiographie des années 1990 mettait l’accent sur la radicalisation à la base. On sait aujourd’hui que l’impulsion est venue d’en haut, en particulier de Himmler _ sur l’action duquel mon attention (de non historien) a été aussi attirée… _, qui est quasiment en permanence sur le terrain pour inciter les unités de la SS et de la police à tuer toujours plus de Juifs.

_ Au plus tard en septembre _ 1941 _, les communautés juives sont systématiquement exterminées. Il s’agit bien de la première étape de la Shoah, qui a commencé avant celle des camps d’extermination en Pologne. L’assassinat massif des Juifs soviétiques devait, dans la logique folle des nazis, permettre de gagner la guerre contre Staline. Il s’agissait simplement d’une accélération régionale au sein d’un processus globalement envisagé _ voilà parfaitement rappelée à cette occasion-ci la thèse d’Édouard Husson _ depuis le printemps, d’élimination globale des Juifs d’Europe ; au lieu d’un processus étalé sur plusieurs années, il devait être réalisé _ désormais : par accélération ; du fait de l’évolution rapide des opérations de guerre… _ le plus vite possible. Cette accélération _ voilà  _ a lieu peu après _ aussi _ en Pologne ; et elle concerne au plus tard au printemps 1942 les Juifs de toute l’Europe dominée par les nazis.

J’y insiste : pour qu’une telle accélération ait été possible, il fallait que les esprits _ et à divers échelons de pouvoir _ aient été disposés _ activement, pratiquement, technologiquement aussi _ au génocide dès le début de l’année 1941. C’est ce qui m’amène à réinterpréter _ ah ! _ des documents clés de la période. Je pense pouvoir montrer que le procès-verbal de la Conférence de Wannsee (20 janvier 1942) contient un noyau _ concept à nouveau décisif de l’analyse des faits par Édouard Husson _ rédigé un an auparavant par Heydrich. C’est aussi ce qui m’amène à proposer une datation beaucoup plus précoce pour les « directives pour le traitement de la question juive à l’Est« , un document largement négligé par la recherche et que je pense pouvoir dater de mars 1941. Florent Brayard reconnaît que c’est la partie la plus neuve de la démonstration. En laissant de côté le débat technique sur la traduction du procès-verbal ; et la confusion de deux de mes arguments, l’essentiel ici est la contestation de ma méthode.

Une réfutation un peu courte

Florent Brayard me traite de « disciple d’Edgar Poe« . On a vu plus mauvaise école. Il écrit en effet à mon propos : « À l’instar du héros de « La Lettre volée«  d’Edgar Poe, il croit avoir découvert le document que tous les historiens cherchaient sans se rendre compte qu’ils l’avaient sous les yeux. Dès la fin de l’année 1940 ou au début de 1941, en effet, Heydrich avait rédigé et présenté à Hitler et à Göring une première planification de la “solution finale”, que nous connaissons seulement par des références indirectes. Ce document fondamental, dont la découverte nous permettrait de mieux comprendre la genèse de ce programme, aurait, à en croire Husson, toujours été là, à portée de vue : il se serait tout simplement agi de l’exposé de Heydrich à Wannsee…« . Effectivement, je suis sur ce point d’accord avec Brayard ; telle est mon intuition fondamentale, que j’ai essayé d’étayer dans mon livre. Pour être plus précis, je dirai que le cœur de l’exposé de Heydrich à Wannsee, tel que le retrace le procès-verbal de la Conférence, me semble reprendre le plan rédigé un an plus tôt. Pour arriver à cette conclusion, je suis effectivement parti de l’idée que la compréhension de la genèse de la Shoah _ c’est bien l’objet de la recherche, et d’Édouard Husson;  et de Florent Brayard _ avait forcément beaucoup de points de ressemblance avec une enquête de police _ « Historia«  signifiant bien « Enquête« , depuis Hérodote_ sur un crime. Je suis bien un « disciple d’Edgar Poe« . La méthode déployée dans « La Lettre volée » n’a-t-elle pas une valeur épistémologique fondamentale ? Les criminels _ y compris nazis, tout méthodiques qu’ils étaient dans l’effacement des traces de leurs actes _ laissent toujours plus de traces de leurs cheminements de pensée qu’ils ne le pensent.

Florent Brayard met le doigt sur ce qui nous sépare méthodologiquement. Confronté, comme lui, à la destruction sciemment entreprise d’une partie des sources par les criminels eux-mêmes, je constate la faiblesse d’une lecture qui tend à isoler _ sans les relier entre eux, en leur genèse on ne peut plus matérielle, en quelque sorte _ les documents les uns des autres. Plutôt qu’à une telle méthode, qui me semble tomber sous le coup des critiques que l’on a pu faire à l’école positiviste des historiens, j’ai largement recours, comme Brayard le remarque lui-même, « à la génétique textuelle » _ la méthode est bien le nœud de l’affaire ! _ pour tenter de reconstituer _ avec souci de vérité objective la plus rigoureuse _ une chronologie cohérente _ non irrationnelle, fantasmatique _ du processus _ effectif (et en toute sa « chaîne ») _ de décision. Il se peut que ma thèse soit un jour sérieusement remise en cause, soit grâce à la découverte d’un document inconnu, soit par des méthodes d’analyse différentes des miennes. Pour réfuter ma démonstration, il faudra cependant avoir une discussion méthodologique plus approfondie que celle que mène Brayard ici.

Il est curieux, d’ailleurs, d’écrire un compte rendu aussi long pour finalement traiter le cœur de la démonstration de « fantaisie« . C’est un peu court ! Tout se passe comme si Brayard voulait bien faire voler en éclat mon argumentation sans pouvoir faire autre chose que la prendre de biais, en mettant l’accent sur des questions annexes et en taisant des éléments essentiels. À vrai dire, je trouve cela bien dommage. Je pense que nous aurions à gagner, tous les deux _ et la connaissance historique tout court ! toujours en mutation : ne jamais le perdre de vue ; elle progresse !.. _, à entrer dans un vrai débat _ qu’il se profile serait d’excellent augure ! et combien plus riche de sens que les épouvantables sinistres pantalonnades d’un quasi auto proclamé « Monseigneur«  Williamson ! qu’on prenne soin de lire bien le détail de son tout récent « acte de repentance«  !… _ entre chercheurs qui ont des méthodes différentes mais certainement complémentaires _ pour le profit de l’avancement de la connaissance du réel historique ; et de la vérité…

par Édouard Husson [26-02-2009]

Aller plus loin
Sur La Vie des Idées, voir la recension du livre d’Edouard Husson par Florent Brayard, « Shoah : l’intuition et la preuve _ retour sur le processus décisionnel« .

Voilà ; à suivre :

c’est ainsi, par le débat argumenté, que progresse la connaissance, à partir des progrès de la recherche

sur l’analyse et la compréhension des « faits », à établir ; et avérer…

Je ne rappellerai pas ce que j’ai dit en mon article précédent du 13 février (« de l’hypothèse au fait : la charge de la preuve _ un passionnant article de Florent Brayard à propos du “Heydrich et la solution finale” d’Edouard Husson, quant à la datation de la “solution finale”, avant la conférence de Wannsee« ) de l’importance épistémologique du concept de « falsification« , de Karl Popper, en sa « Logique de la découverte scientifique« 


Vive la recherche ! Vivent les enseignants-chercheurs !..


Titus Curiosus, ce 27 février 2009

Le « sublime » de Marc-Antoine Charpentier + la question du « déni à la musique », en France

02fév

A propos du « charme » _ « sublime » ! _ de la musique française en général,

et de Marc-Antoine Charpentier _ et le CD « Motets pour le Grand Dauphin » (CD Alpha 138) , en particulier _,

ce simple (petit) échange de correspondance,

avec Aurélien Delage, professeur de clavecin au Conservatoire national de Région de Bordeaux :

De :   Aurelien Delage

Objet : RE: A propos du style français
Date : 1 février 2009 23:23:31 HNEC
À :   Titus Curiosus

Cher Monsieur,
Merci pour votre message.
Je vois que nous avons le même sentiment au sujet du disque « Méditations sur le carême« … sublime !
bien cordialement,
Aurélien

En réponse à mon envoi:

To: Aurelien Delage

Subject: A propos du style français
From: Titus Curiosus

Date: Sun, 1 Feb 2009 06:42:18 +0100

2 articles
pour donner un peu envie d’aller prêter l’oreille
autour du style français
aux XVII & XVIII èmes siècles _ et même après…
:

« Le charme intense de la musique de style français (suite) : avec des oeuvres de Marc-Antoine Charpentier et Georg-Philip Telemann »

et
« Douceur (de la musique) française _ ou pas« 


Même si cela ne creuse pas assez loin…

En tout cas, le sujet me passionne,
autant qu’il me charme…

Reste qu’il semble assez difficile d’intéresser (les autres) à la musique en France ;
que la musique suscite souvent une sorte de fermeture a priori (un refus, un déni) des oreilles : c’est un comble !


Titus

Et ma réponse, ce matin :

De :   Titus Curiosus

Objet : le « sublime » des « Méditations sur le carême » de Marc-Antoine-Charpentier par l’Ensemble Pierre-Robert et Frédéric Desenclos
Date : 2 février 2009 06:06:04 HNEC
À :   Aurelien Delage

Cher Aurélien,

Merci  de ce tout simple acquiescement au mot « sublime » pour ce CD et/ou cette musique de Charpentier :

la finalité de ce blog « En cherchant bien »

étant de partager des enthousiasmes vrais,
je veux dire non mercantiles…

Comme pouvait le faire la merveilleuse émission de Claude Maupomé « Comment l’entendez-vous ? »
sur France-Musique,
dont parle (très bien) François Noudelmann dont son « Toucher des philosophes _ Sartre, Nietzsche, Barthes au piano »
en son chapitre sur Roland Barthes
et son (ou ses) émission(s) à propos de Schumann.

Alors que Barthes parlait moins de Chopin
et encore moins de Ravel _ qu’il vénérait…

Barthes aurait été aussi un passionnant claveciniste…

Je vous recommande ce livre ;
et la venue de François Noudelmann
à la librairie Mollat
est en train de s’envisager…
Je vous en tiendrai au courant.

J’évoque l’importance d’une telle émission _ que « Comment l’entendez-vous ? » _  sur le partage du goût pour la musique
dans mon article sur ce livre de Noudelmann : « Vers d’autres rythmes : la liberté _ au piano aussi _ de trois philosophes de l’”exister

ainsi que dans d’autres articles auparavant,
à propos des _ sublimes aussi ! _ « Quatuors » de Lucien Durosoir (CD Alpha 125) :

« Musique d’après la guerre »

et de ma correspondance ensuite à propos de l’œuvre de Lucien Durosoir :

« de la critique musicale (et autres) : de l’ego à l’objet _ vers un “dialogue” »

ou d’autres articles encore sur la musique,
il faudrait chercher un peu…

Jacques Merlet, lui aussi, demeure, par son talent et ses enthousiasmes passionnants si communicatifs,
quelqu’un d’irremplaçable et irremplacé, hélas, aussi, sur France-Musique…

J’étais venu, avec Jean-Paul Combet, lui rendre visite lors de sa rééducation à La-Tour-de-Gassies, il y a quelques années ;
et je sais aussi qu’il va aussi bien que possible en pareille situation…

Claude Maupomé étant de Talence ;
et Jacques Merlet de Sainte-Foy-la-Grande : des bordelais ! du pays de Montaigne !…

Et pour terminer sur les « Vêpres pour le carême » de Charpentier,
je peux ajouter que le CD Alpha de Frédéric Desenclos s’est réalisé (un peu !) grâce à mon enthousiasme :

invité à Arques afin de présenter, en avant-concert, le concert de l’ensemble Pierre-Robert consacré à cette musique
_ par une conférence-présentation de « la musique française religieuse au XVIIème siècle » _,
et sous son charme profond (sublime, en effet !!!), alors et depuis,
j’avais exprimé à Jean-Paul Combet mon puissant désir de voir ce programme enregistré au disque (par Alpha !)
_ ce qui au départ n’avait pas été prévu !..

Ainsi, aussi, qu’à Catherine Cessac : pour voir ce que son association Charpentier, ou le CMB de Versailles,
pouvaient éventuellement faire,
pour qu’advienne cet enregistrement…

Et le CD est advenu ; et vous savez sa beauté…

Jean-Paul Combet m’ayant annoncé le nouveau CD Charpentier/Pierre-Robert/ Desenclos
« Motets pour le Grand Dauphin » (CD Alpha 138)
comme un sommet discographique (et musical),
j’étais en grand appétit…

Je dois vous dire toutefois que le charme (ou peut-être tout simplement l’alchimie des timbres) des chanteurs jouant sur ma réception sensitive,
je demeure très personnellement un tout petit peu plus « attaché » aux « Méditations du carême« …
Mais je réécoute beaucoup ce nouveau CD Charpentier…

Que va-t-il advenir de l’Ensemble Pierre-Robert
maintenant que vient à échéance l’aide-soutien de la Fondation Orange ?

Beaucoup de formations musicales s’inquiètent de leur devenir
en cette période de restrictions budgétaires tous azimuts…

Alors un Ensemble consacré à ce charme si subtil de la musique française !..
Les Anglais _ qui aiment sans doute le plus au monde cette musique _
n’étant pas en meilleure situation financière…

Bien à vous,
et avec tous mes encouragements, encore, pour votre beau et important travail,

Titus Curiosus


Titus Curiosus, ce 2 février 2009

Post-scriptum :

Et encore cette réaction de Jean-Paul-Combet

à ce que je qualifiai du « déni » (des oreilles) « à la musique« , en France :

« D’après toi, pourquoi ce déni ?« …


Une question de fond, en effet,

et qui demande un surcroît de réflexion _ personnelle et collective _, et de débat _ à partager… :

aussi, me permets-je de la proposer au débat, cette question,

aux lecteurs de ce blog :

pourquoi la musique suscite-t-elle tellement moins d’attrait, en France, que la littérature, les essais, ou que les Arts plastiques ?..

pourquoi nous prend-elle, nous, Français, tellement, et si continûment, en notre Histoire, à contrepied ?..

nous qui, un temps, avions tant aimé danser ? et chanter, pourtant ?..


Voilà ma question aux lecteurs…

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