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D’admirables éblouissantes interprétations des Concertos pour piano de Saint-Saëns par Alexandre Kantorow au clavier et et son père Jean-Jacques à la direction de l’orchestre du Tapiola Sinfonietta : deux CDs absolument jubilatoires !

21juin

Le centième anniversaire, le 16 décembre 2021, du décès de Camille Saint-Saëns

(Paris, 9 octobre 1835 – Alger, 16 décembre 1921)

est magistralement (!!!) célébré au disque

par deux superlatifs SACDs BIS _ à grimper au rideau de pur plaisir ! _ d’Alexandre Kantorow, au piano, et son père Jean-Jacques Kantorow dirigeant le Tapiola Sinfonietta,

les CDs BIS 2300 et 2400, parus respectivement en 2019 et 2022,

qu’a superbement chroniqués, sur son site Discophilia, Jean-Charles Hoffelé,

en deux articles successivement intitulés « Bravoure » (en date du 21 mai 2019) et « Grand Piano » (en date du 14 juin 2022).

BRAVOURE

Et si le coup de génie pour réussir les Concertos de Saint-Saëns était l’entente intime et donc absolue entre le piano et l’orchestre ? À ce titre là, aucun pianiste n’aura eu cette chance, sinon peut-être Magda Tagliaferro pour son Egyptien _ le n°5 _ avec Jean Fournet.

Il aura fallu qu’un fils et un père s’y attellent. Evidemment, ce disque insensé doit être le premier volume d’une intégrale de tout ce que Saint-Saëns aura écrit pour son piano – il était un virtuose, cela s’entend : oui, oui… – et son orchestre. Car l’écoute délicate et fusante entre Alexandre et Jean-Jacques Kantorow expose enfin le génie de ces œuvres qui ne sont pas du tout des concertos classiques, se jouent des genres, revendiquent le droit à une fantaisie absolue _ voilà : Saint-Saëns ne manquait certes pas d’esprit !

Ce n’est pas peu écrire qu’ils sauvent l’opus le plus délicat de la série, ce Troisième _ composé en 1868 _, généralement le pont aux ânes des intégrales, ici en dessin clair _ oui _ et malgré ses ombres il rayonne _ mais oui… Le Quatrième _ composé en 1875 _ par le naturel absolu _ voilà ! _ de leur interprétation, rejoint Casadesus, les mêmes lignes lumineuses, mais l’ampleur des timbres en plus.

Et l’Egyptien ? Concerto redoutable _ composé en 1896 _, un peu Douanier-Rousseau, mais chéri des fortes personnalités : Tagliaferro l’aimait autant que Sviatoslav Richter, tous les deux y voyaient des Espagnes et un exotisme où le piano inventait d’autres sonorités tout au long de l’Andante qui n’est pas qu’un voyage en felouque : Saint-Saëns y produit une divagation poétique inouïe _ oui _ dont Alexandre Kantorow saisit les alliages subtils avec des caresses de grand fauve. Lorsque le motif de la musique nocturne sur le Nil résonne, il évoque dans le battement des accords qui stridulent le haut du clavier une dimension onirique que personne n’avait poussé aussi avant, avec une telle précision, ni Magda ni Sviatoslav.

La finesse _ oui _ des couleurs et des dessins que lui offrent son père et ses musiciens finnois sont de la pure poésie _ voilà. Le Finale peut venir, Alexandre fait fuser tranquillement son clavier, envole tendrement son piano avec des agilités de chérubin, petit génie dont ce n’est que le troisième opus ! J’admire !

LE DISQUE DU JOUR

Camille Saint-Saëns
(1835-1921)


Concerto pour piano et orchestre No. 3 en mi bémol majeur, Op. 29
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en ut mineur, Op. 44
Concerto pour piano No. 5 en fa majeur, Op. 103 “L’Égyptien”

Alexandre Kantorow, piano
Tapiola Sinfonietta
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album du label BIS 2300

Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR.

GRAND PIANO

En ouvrant l’album, une photographie montrant Saint-Saëns jouant sous la direction de Pierre Monteux, Salle Gaveau le 6 novembre 1913 me saute aux yeux. Quelle belle idée, pour illustrer le deuxième volume d’une intégrale de tout ce que le compositeur du Carnaval des animaux aura écrit pour le piano et l’orchestre.

L’ampleur _ oui _ de la déclamation initiale du Deuxième Concerto _ composé en 1868 _, jusqu’au tonnerre qui ouvre le grave du piano, puis ce thème modelé avec une douleur sourde, quel art, quelle façon de faire entendre dans cette partition si courue comme une autre musique _ exotique… Saint-Saêns fut un immense voyageur de par le globe…

Le père aide le fils, cet orchestre n’est pas en retrait, il est absolument consubstantiel aux sons qui murmurent ou jaillissent du grand meuble dont Alexandre Kantorow joue comme d’un orgue, rappelant à quel point Saint-Saëns savait élargir le piano en creusant l’espace entre les registres. Faire entendre cela est simplement inouï. Finale épique, l’orchestre bondissant autant que le pianiste dans un saltarello à perdre haleine.

Génial _ absolument ! _ , comme tout le disque où le fils et le père rédiment le Premier Concerto _ composé en 1858 _ et se délectent des bizarreries _ en effet délicieuses _ d’Africa  _ terminé de composé au Caire, le 1er avril 1891 : Saint-Saëns adorait séjourner en Afrique ; et est, d’alleurs, décédé à Alger… _, de la fantaisie pince-sans-rire du Wedding Cake _ de 1885 _ (comme ce jeune homme sait se moquer, ses doigts rire !) ou encore de la pétillante bourrée _ en 1884 _ de la Rhapsodie d’Auvergne !

LE DISQUE DU JOUR


Camille Saint-Saëns (1835-1921)


Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré majeur, Op. 17, R. 185
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22, R. 190
Wedding Cake, Op. 76, R. 124
Allegro appassionato en ut dièse mineur, Op. 70, R. 37
Rhapsodie d’Auvergne, Op. 73, R. 201
Africa, Op. 89, R. 204

Alexandre Kantorow, piano
Tapiola Sinfonietta
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album du label BIS Records 2400

Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR

Œuvres superbes _ et magistralement classieuses… _ d’un immense, très grand, compositeur français,

à redécouvrir comme ici…

Et interprétations magnifiques _ que dis-je, absolument éblouissantes ! _

absolument idoines à l’idiosyncrasie du puissant génie singulier de l’élégant et clair et imaginatif et fantasque Saint-Saëns,

des Kantorow, fils et père,

saisis ici, au Tapiola Hall, à Espoo, en Finlande, en un jubilatoire enthousiasmant état de grâce…

Un double enchantement discographique, donc.

Et un must pour toute vraie discothèque !

Constituant une aubaine à ne surtout pas laisser passer…

Aux bons entendeurs de musique à ce point de perfection-là incarnée, salut !

Ce mardi 21 juin 2022 _ Fête de la musique… _, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un très réjouissant bienvenu coffret de 3 CDs de « Complete Songs » de Gabriel Fauré par les très délectables Cyrille Dubois, ténor, et Tristan Raes, au piano…

03juin

Les Mélodies de Gabriel Fauré (Pamiers, 12 mai 1845 – Paris, 4 novembre 1924) constituent un élément très important du merveilleux patrimoine musical français…

Et ce 27 mai 2022 vient de paraître, au label Aparté, un superbe très riche coffret de 3 CDs, intitulé « Fauré Complete Songs« , par l’excellent ténor Cyrille Dubois et son parfait compère pianiste Tristan Raes.

Sur de précédents CDs de Cyrille Dubois et Tristan Raes,

cf de précédents articles de mon blog :

_ le 5 novembre 2019 : «  » ;

_ le 25 novembre 2019 : «  » ;

_ le 26 février 2020 : «  » ;

_ le 2 mars 2020 : « «  .

Or voici qu’un intéressant article du n° 243 de ce mois de juin du magazine Classica sous la plume de Jacques Bonnaure, fait tout à fait excellemment l’éloge de l’art, ici _ pour ce superbe coffret Aparté des Mélodies de Gabriel Fauré _, de ces deux interprètes,

soulignant très justement (!) du ténor Cyrille Dubois « une texture vocale légère, un timbre clair et agréable, une émission d’une grande subtilité et variée, une tessiture longue, une prononciation parfaite, avec même un brin de préciosité » _ tout cela est magnifiquement juste ! _ ;

avec cette conclusion tout à fait éloquente :

« Cyrille Dubois donne une image particulièrement séduisante de cette musique« .

Et sur le Net, sur le site de ForumOpera.com,

j’ai aussi trouvé un article très détaillé _ et un poil sourcilleux… _ d’Yvan Beuvard, intitulé « Une somme en forme de pari fauréen« ,

que je reproduits ici, avec quelques farcissures miennes _ en vert…

Une somme en forme de pari fauréen

CD
Fauré : Complete songs
Par Yvan Beuvard | lun 30 Mai 2022 |

Après Charles Panzéra, créateur de l’Horizon chimérique, Pierre Bernac, Camille Maurane, Bernard Kruysen, Jacques Herbillon, tous barytons, et un ténor transfuge, Gérard Souzay, faudra-t-il _ une question plutôt suspicieuse, d’entrée ! _ ajouter un ténor, Cyrille Dubois ? De Lully et Rameau à Britten, il a illustré à peu près tous les répertoires, avec un égal bonheur et une prédilection pour ceux en langue française _ oui. En compagnie de Tristan Raës, notre chanteur a formé le duo Contraste, qui se produit régulièrement dans le répertoire de la mélodie française.

De sa seizième année jusqu’à l’ultime confession de l’Horizon chimérique, Fauré _ né le 12 mai 1845 _ ne cessa d’écrire des mélodies. Il aura porté le genre de la romance à l’expression la plus épanouie, d’une richesse d’invention harmonique, d’une élégance retenue _ oui : on ne peut plus française… _, où l’écriture pianistique le dispute à la voix. Les récitals où Fauré occupe une place de choix sont nombreux et l’on ne peut que s’en réjouir _ absolument ! Si plusieurs intégrales collectives ont été réalisées, associant des chanteurs de tessitures différentes, nous n’en connaissions qu’une enregistrée par le même duo, chanteur et pianiste, celle de Jacques Herbillon, baryton dont ce fut le grand œuvre, accompagné par Théodore Paraskivesco (6 vinyles, chez Calliope, il y aura bientôt cinquante ans). Evidemment, tous les amateurs de mélodie française connaissent celle à laquelle présida Dalton Baldwin, avec Elly Ameling et Gérard Souzay, version de référence, superbe de musicalité et de poésie _ oui ! Un must… _, fréquemment rééditée. Depuis, est parue en 2018, certainement la plus intéressante des intégrales collectives, toujours disponible, sous le label canadien ATMA. Quatre solistes étaient accompagnés par le même pianiste jouant un Erard de 1859, accordé à 435 Hz. Forumopéra en avait rendu compte (« Fauré tel qu’en lui-même »). C’est dire si ce nouvel enregistrement est bienvenu et mérite une attention toute particulière.

Il faut déjà saluer l’exploit technique qui aboutit à réduire à 3 CD, pleinement remplis, cette somme : l’intégrale de 103 mélodies est riche des trois recueils publiés par Hamelle, de tous les cycles, mis aussi des pièces isolées, des éditions posthumes ou empruntées à des musiques de scène (Shylock, le Bourgeois gentilhomme). Evidemment, les duos n’en font pas partie _ en effet. Hélas, de multiples erreurs d’édition affectent l’exemplaire (destiné à la presse) qui nous est parvenu. Ainsi la Sérénade toscane (opus 3 n°2) est-elle rebaptisée « andalouse » _ cette erreur a été heureusement corrigée depuis… _, outre quelques titres erronés, absence d’informations, que le livret devrait comporter… Passons, ce sera corrigé _ c’est fait ! _, espérons-nous. Plus gênant, l’attention de l’auditeur sera surprise par la permutation fréquente des pièces d’un même opus (opus 1, 4, 6, 8 ,76, 83) sans justification claire (la chronologie ?). Cette altération ne concerne pas les cycles, chacun figurant dans son intégralité sur un même CD, ouf !

« Je rêve de vous faire entendre [mes mélodies] avec des interprètes parfaits, et je n’en connais pas parmi les professionnels. Ce sont les amateurs qui me comprennent et me traduisent le mieux ». (Lettre de Fauré, novembre 1902). Voilà qui interroge. Malgré les travaux de Jean-Michel Nectoux, nous savons peu de choses sur les interprétations que Fauré connut de ses mélodies, sinon à travers les témoignages tardifs de Panzera. Vraisemblablement fades, voire sirupeuses, correspondant aux attentes du public d’alors. Puis vinrent les Bernac, Panzera et leur descendance, qui rendirent leur expression élégante, recherchée, à ces pièces. Oublions _ oui ! _ le mauvais procès que Roland Barthes intenta à Gérard Souzay : le raffinement, la délicatesse, la pudeur comme la force de l’art de Fauré s’adressent à une aristocratie éduquée, évidemment.

Le chant de Cyrille Dubois, parfaitement maîtrisé _ oui _, d’une fidélité scrupuleuse aux textes, vaut déjà pour la conduite de la ligne, avec ses nuances marquées _ oui. La voix se montre expressive, sans outrance _ parfaitement. L’émission est très claire _ et c’est bien agréable. Un vibrato savamment sollicité pourra surprendre dans ce répertoire, comme une certaine affectation qui ne tombe jamais _ et c’est heureux _ dans le maniérisme. L’intelligence _ oui, et c’est parfaitement décisif _ du texte littéraire et de l’écriture fauréenne est manifeste, qui rend justice aux mélodies. La diction est claire _ en effet, et c’est très agréable _, sans pour autant retrouver toujours celle des grands anciens.  L’évolution de Fauré vers un langage épuré, transparent, où les contrastes se font pudiques _ oui _, est traduite avec art. Mais celui de Fauré n’est-il pas le plus complexe, le plus difficile à pénétrer et à traduire ? Entre le prosaïsme et l’expressionisme, la palette est large. L’émotion affleure sans toujours s’épanouir, y compris dans les Mélodies de Venise ou dans les plus connues. La perfection du métier, le raffinement, la pudeur seraient-ils antinomiques avec l’effusion ?

Que les premières romances soient conventionnelles est indéniable, même marquées du sceau de Fauré. La discrétion, la fraîcheur, la simplicité sont parfois reléguées pour une approche scrupuleuse, où l’artifice du métier estompe l’émotion naturelle. Tristesse d’Olympio prend tout son relief avec la plus large palette. Les Matelots est frémissante, C’est l’extase, aussi extatique que langoureuse, Au cimetière, intensément dramatique… chaque mélodie appellerait un commentaire _ c’est dire la richesse de ce coffret en cette passionnante interprétation-ci…

Tristan Raës nous vaut un beau piano, au jeu toujours clair, opulent, chantant, coloré à souhait _ oui. Complice attentif, lui aussi d’une fidélité remarquable au texte, il s’accorde idéalement _ c’est très juste _ au chant de Cyrille Dubois.

Malgré la cohérence de l’approche, malgré les indéniables qualités du chanteur et du pianiste, bien que très familier de ces mélodies, nous restons souvent en retrait _ pour quelles raisons ? d’humeurs subjectives ?_ de ce que nous offrent les deux artistes. L’enregistrement bouscule nos habitudes _ ah ! voilà… _, où les barytons, et plus rarement les mezzos, chantent Fauré. L’intelligence des textes, l’éloquence du mot, le souci de la diction, alliés à une santé vocale indéniable, comme à un jeu pianistique exemplaire font de cette nouvelle intégrale une publication appelée à faire date _ tout de même… _, sinon à convaincre tous les passionnés, imprégnés _ un peu trop ? _ des versions « historiques » _ diverses propositions d’interprétation pouvant parfaitement coexister, pour nous faire percevoir des facettes jusqu’ici non parcourues de ces si belles Mélodies de Gabriel Fauré…

Un excellent apport, très bienvenu, et de la plus grande qualité, à la précieuse discographie fauréenne.

Pour notre plus grande, et intime à la fois, délectation.

Ce vendredi 3 juin 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

En l’honneur du 500 ème anniversaire de la mort _ le 27 août 1521 _ de l’immense Josquin Desprez, la délectation suprême d’un sublime CD de ses Chansons, par l’Ensemble Clément Janequin

15oct

Afin d’honorer comme il se doit Josquin Desprez,

un des plus sublimes compositeurs de notre musique occidentale _ et peut-être même le plus grand de tous !!! _,

décédé à Condé sur l’Escaut le 27 août 1521,

et en plus de l’indispensable intégrale de ses sublimissimes Messes, par les Tallis Scholars sous la direction de Peter Phillips _ cf mon article du 12 octobre 2020 : _,

voici que le magnifique Ensemble Clément Janequin nous a offert un extraordinaire CD _ Ricercar RIC 423 _ de ses merveilleuses Chansons à 5 et 6 parties...

Un excellent article de Resmusica du 23 février 2021,

sous la plume de Charlotte Saulneron,

en a fait un très juste compte-rendu, que voici :

L’ensemble Clément Janequin au rendez-vous pour Josquin Desprez

Quoi de plus naturel pour Dominique Visse et l’ensemble vocal Clément Janequin, grands interprètes spécialistes de la musique de la Renaissance, de consacrer en 2021 un nouvel enregistrement autour de l’œuvre vocale de Josquin Desprez _ Beaurevoir, vers 1440 – Condé-sur-l’Escaut, 27 août 1521 _, un des compositeurs les plus en vue _ et c’est même là un euphémisme… _ de la musique polyphonique française à son apogée sous François Ier, décédé il y a 500 ans.

Les commémorations sont toujours l’occasion _ félicitons-nous en pour les mélomanes _ pour les artistes de remettre en lumière les œuvres phares et des redécouvertes. Les dix-neuf _ merveilleuses ! _ propositions de ce disque ne font pas figure d’exception, toutes sélectionnées au sein du Septiesme livre de chansons du maître, recueil paru _ en 1545, à Anvers, par les soins de Tylman Susato (vers 1510 – 1570) _ plus de vingt après la mort du musicien, attestant s’il le fallait encore de sa notoriété.

Deux prismes du compositeur sont ainsi approchés par les interprètes : la mélancolie bien caractéristique de Josquin Desprez, à l’image de Regretz sans fin il me fault endurer (piste 1), Cueur Langoreulx (piste 5), Parfons regretz et lamentable joye (piste 17) notamment ; et l’humour coquin du musicien avec, par exemple, Allegez moy doulce plaisant brunette (piste 2), Petite camusette à la mort mavez mis (piste 8), Faulte d’argent (piste 12), Baises moy ma doulce amye (piste 13).

Grâce à cela, les atmosphères varient, agréablement agencées, tout en maintenant une cohérence globale matérialisée _ oui ! _ par une texture polyphonique et contrapuntique dense de cinq ou six voix avec un contre-ténor, deux ténors, deux barytons et une basse. Le renouvellement de l’écoute est également assuré par les interventions du luthiste Éric Bellocq et de l’organiste Yoann Moulin _ excellents eux aussi, tous deux _, les chansons de Josquin pouvant s’adapter à diverses formations instrumentales. Voici ainsi une agréable alliance entre les voix et les instruments qui permet de mettre en exergue toute l’élaboration de l’écriture du maître sous son apparente simplicité _ oui. La prise de son bien équilibrée et sans respirations intempestives bénéficie de la belle acoustique du Théâtre élisabéthain du château d’Hardelot.

L’originalité de cette programmation est dans l’hommage musical de Nicolas Gombert (1495-1560) avec Musae Jovis dont la polyphonie à six voix est écrite sur la mélodie de Circumdederunt me utilisée par Josquin, ainsi que le « lamentatio super morte Josquin de pres » de Hieronymus Vinders _ actif vers 1525 – 1526.

Dominique Visse et l’ensemble Clément Janequin sont une valeur sûre _ certes _ dans ce répertoire. La maîtrise stylistique de l’ensemble français, sans artifice d’affect, fait jaillir un _ merveilleux ! _ climat soyeux et intime où les lignes claires déploient dans une technique irréprochable un contrepoint au firmament _ oui. Le tempo choisi permet une approche analytique de chaque pièce sans en oublier l’expression. Ces choix interprétatifs donnent toute l’aura nécessaire _ oui : splendide ! _ à la musique d’un pilier de la musique française _ et universelle !!!

Josquin Desprez (vers 1450-1521) : Septiesme livre de chansons.

Luis de Narváez (1490-1547) : Mille Regretz.

Nicolas Gombert (1495-1560) : Musae jovis.

Hieronymus Vinders (actif vers 1525-1526) : O mors inevitabilis.

Hans Newsidler (1508-1563) : Mille regretz.

Eric Bellocq, luth ;

Ensemble Clément Janequin, direction : Dominique Visse.

1 CD Ricercar.

Enregistré au Théâtre élisabéthain du Château d’Hardelot en février 2020.

Notice en français, anglais et allemand.

Durée : 61:14

Une délectation à ne surtout pas laisser passer…

Ce vendredi 15 octobre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Un Rameau tout simplement idéal de Justin Taylor, en merveilleux « esprit de la danse », ou l’enthousiasmant CD « La Famille Rameau »…

23mai

Saisir l’idiosyncrasie de la musique française, est sans doute une gageure pour tout interprète,

que ce soit au concert, ou au disque…

Voilà ce que vient tout simplement de réussir, et à la perfection, en son CD « La Famille Rameau » _ le CD Alpha 771 _ le jeune Justin Taylor !

Rameau, ou l’esprit de la danse,

en toute son inventive variété.

Délicatesse, fluidité, refus des maniérismes et pesanteurs…

Vivacité heureuse.

Ce que le génial Rameau a réussi en son écriture sur la partition,

l’interprète doit réussir à le saisir et l’incarner en son jeu,

que l’ingénieur du son, le toujours parfait Hugues Deschaux _ il y a maintenant bien longtemps que je l’ai vu à l’œuvre pour Jean-Paul Combet (et Alpha)… _, doit aussi retenir et rendre, à l’enregistrement ;

avec l’indispensable concours, aussi, bien sûr, de l’instrument : ici le magique clavecin Donzelague du château d’Assas !

À titre d’exemple,

voici ce qu’en chronique un des membres de l’équipe de Res Musica en son article du 3 mai dernier, au titre simplement un peu trop anecdotique, « Justin Taylor recompose la famille Rameau au clavecin« …

L’écoute commentée des pièces de Jean-Philippe Rameau qu’a choisies l’interprète, me paraît, en effet, d’une très bonne justesse…

Et mieux encore,

voici une vidéo (de 4′ 08) de Justin Taylor interprétant Les Tendres Plaintes, sur le Donzelague, au château d’Assas.

Justin Taylor _ en Ariel ailé du clavecin _

et Rameau

sont de merveilleux parfaits pourvoyeurs de joie,

à la française…

Ce CD repasse en boucle sur ma platine, et j’en redemande à chaque fois…

L’esprit _ le plus enthousiasmant _ de la danse nous emporte !

Avec toute la délicatesse de son infinie variété, jamais répétitive _ ni, a fortiori, mécanique…

Ce que Debussy avait, l’oreille très fine, lui aussi, su parfaitement repérer dans l’œuvre de Rameau…

Ah, cet unique, et si délectable _ si simple et immédiatement sensible en sa merveilleuse complexité _, goût français !

Ce dimanche 23 mai 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

A propos du Roma de Bernard Plossu : un très bel article de Fabien Ribéry

11jan

Ce jour,

mon ami Bernard Plossu m’a fait parvenir un superbe article de Fabien Ribery

à propos de son superbe album, aux Éditions Filigranes,

Roma.

Voyages à Rome, par Bernard Plossu, photographe

par fabienribery

© Bernard Plossu
« Tout au 50 mm en noir et blanc, effets interdits, vision pure, classique – moderne quoi
Il y a le monde, oui, peut-être, gisant là comme un pantin effondré _ qui se découvre, ainsi donné et surtout saisi, au vol, en marchant voire dansant, en une sorte de sidération émerveillée, mais active et lucidissime : quel œil fantastiquement lucide que celui de Plossu ! _, et le monde _ aussi : quel plus ! délicieusement richissime, instantanément cultivé pluriellement, tout surgit immédiatement en ce regard… _ selon William Klein, Robert Frank, Walker Evans, Pablo Picasso, Jean Siméon Chardin, Giorgio Morandi, et Le Bernin, Borromini, Mimar Sinan _ c’est-à-dire le monde vu par bien d’autres artistes éclaireurs vivaces du regard (sur les espaces) ; et pas des moindres ; et des plasticiens d’abord (photographes, peintres, sculpteurs, architectes), mais pas uniquement ; la culture faite sienne par soi est nécessairement ouvertement plurielle (la musique y a aussi sa part, comme la cuisine, et les odeurs et les parfums, un peu typés ; comme les couleurs). La culture, ce sont des ponts, des voies, et pas des murs ou des remparts et fossés…
Il nous faut Paul Cézanne pour approcher un peu ce qu’est une pomme _ certes ; et l’on connaît l’assidue fréquentation aixoise par Plossu de l’atelier de Cézanne au chemin des Lauves…
Il nous faut Marcel Proust pour comprendre les mystères du temps _ merveilleusement retrouvé, repris, et travaillé, re-travaillé.
© Bernard Plossu
Il nous faut Le Christ voilé _napolitain _ de Giuseppe Sanmartino pour ne plus craindre de mourir totalement.
Il nous faut Ordet de Carl Theodor Dreyer _ là, j’y suis un peu moins : Rome est ultra-catholique… _ pour recommencer à prier.
Et il nous faut maintenant Bernard Plossu pour entrer à Rome _ entrer est magnifiquement choisi ! Entrer, et arpenter, ré-arpenter, joyeusement, à l’infini…
Livre publié par Filigranes Editions – tirages de l’ami italianophile Guillaume Geneste -, Roma _ 1979 – 2009  _ est le fruit de trente ans d’arpentages _ ce mot qui me plaît tant ! cf mes 5 articles sur Arpenter Venise du second semestre 2012 : , , et _, de déambulations, de flâneries amoureuses _ voilà _ dans la ville délicieuse _ on ne le soulignera jamais assez : quelles délectations nouvelles rencontrées à l’improviste chaque fois !
voilà
© Bernard Plossu
Le regard est d’un passionné de cinéma (De Sica), de peinture (La Scuola Romana), de littérature (Andrea Camilleri _ mais plus encore les vraies romaines que sont Rosetta Loy et Elisabetta Rasy ! _), parce que la culture _ plurielle, formidablement, et sans casiers jamais clos : la culture vraie, ce ne sont que des ouvertures et des invites à regarder toujours mieux un peu plus loin et d’abord tout à côté ; et pas toujours fétichistement au même endroit et sous la même sempiternelle focale… _ n’est pas que l’apparat de la domination analysé par Bourdieu, mais un mode d’accès majeur _ voilà : accéder (et surmonter) n’est pas si courant, tant nous en barrent les clichés des copier-coller à l’identique de la comm’ _ à l’autre, à l’être, à soi _ oui : l’autre, l’être, soi : constitué de myriades de pièces s’ajointant (et s’enrichissant ainsi) à l’infini d’une vie vraiment ouverte.
Ici, les ruines ne sont pas abordées comme un spectacle de délectation romantique _ à la Gœthe lors de son long séjour (de plus de deux années) romain : c’est seulement à la fin de son séjour que Gœthe en vient à s’affranchir enfin des clichés partagés ; cf mes articles des 22 et 23 mai 2009 :  et … Et en les relisant, je me rends compte que je m’y entretenais avec Bernard Plossu ! _, mais comme une source de vie _ oui ! _, une puissance _ éminemment constructive de joie bien effective _ existentielle _ à la Spinoza _, des directions sensibles _ à arpenter, step by step, toujours un petit pas plus loin ; cf le regard sur Rome du sublime L’Eclisse d’Antonioni (en 1962)…
A Rome, malgré la vulgarité marchande effrayante (relire les Ecrits corsaires de Pier Paolo Pasolini _ cher à mon ami René de Ceccatty _ ; revoir Ginger et Fred, de Federico Fellini), nous pouvons ne pas être seuls, mais portés, aspirés, exaltés _ oui _, par des siècles de raffinement, de délicatesse _ oui _, de _ très _ haute civilisation.

© Bernard Plossu
Pour Plossu, Rome est un aimant, un amer, un amour : « Rome m’attire sans arrêt, j’y vais presque chaque année et je photographie en désordre _ oui _, surtout rien de systématique ni d’organisé ! _ bien sûr : en parfaite ouverture à l’inattendu du plus parfait cadeau de l’imprévu non programmé, qu’il va falloir saisir au vol de sa marche dansée, quand il va être croisé… Divin Kairos ! Quartier par quartier _ bien sûr : aux frontières-passoires étranges, par exemple celles du Ghetto du Portico d’Ottavia, avec sa fantastique pâtisserie… _, n’écoutant que mon instinct et surtout ma passion _ pour Rome _ : je suis amoureux fou de cette ville et, en même temps _ c’est un autre pan essentiel du goût de Bernard pour quelque chose d’essentiel de l’Italie _, de toutes les petites îles italiennes où je vais le plus souvent possible » _ et je suis impatient aussi de la publication à venir de ses regards sur les îles (surtout les plus petites : les plus îliennes des îles !) de la Méditerranée.
A Rome, il y a les amis, installés ou de passage _ les Romains de longtemps, c’est tout de même mieux… _, le couple Ghirri, l’architecte Massimiliano Fuksas, Jean-Christophe Bailly, Patrick Talbot qui lui fait découvrir l’intégralité du _ sublime _ palais Farnèse _ pas seulement la galerie des Carrache _ (un cahier de plus petit format est inséré dans l’ouvrage), tant d’autres.
Toute occasion, invitation, proposition, est _ certes _ bonne _ utile _ à prendre _ pour le photographe voyageur _, qui permettra d’effectuer _ voilà : œuvrer, et s’accomplir, en photographe de la plus pure et simple, non banale (à qui sait la percevoir et la capter), quotidienneté... _ de nouvelles photographies, de faire des découvertes _ voilà le principal ; en tous genres, et à foison !

© Bernard Plossu
Non pas d’épuiser le lieu _ ce qui est bien heureusement impossible : quel fou rêverait de cela ? _, mais de l’ouvrir toujours davantage _ et l’attention aux détails les plus particuliers des instants intensément ressentis, au passage si furtif du présent, mais ainsi saisis (par le pur instantané de l’acte photographique) en leur éternité, est ici tout particulièrement d’une richesse incroyablement profonde et infinie pour qui les regarde, ne serait-ce qu’un instant, ainsi vivifié-magnifié, maintenant… Voilà ce qu’apporte le regard sur le livre.
Aucune grandiloquence _ superficiellement décorative et extérieure, répétitive _ ici _ non : rien que du singulier délicieux raffiné _, mais de l’intimité _ oui _, de la familiarité _ mieux encore _, du simple _ comme le plus chaleureux et fraternel de ce qu’offre une vie, notamment dans les rues _, comme dans un tableau du maître Camille Corot.
Le sublime est un kiosque à journaux inondé de soleil, une devanture de magasin, un tunnel de périphérique, une moulure de cadre, une chaise, les longues jambes d’une passante, un pavé luisant, un if _ l’un après l’autre, et en une telle diversité : à l’infini de ce qui se prodigue si généreusement à qui passe ; tels les si incroyables merveilleusement imprévisibles, et surtout plus délicieux les uns que les autres, parfums des glaces de Giolitti, Via degli Uffici del Vicario, 40, peut-être le centre même du monde. A fondre de bonheur sous la langue… Il y a aussi les restaurants romains que connaît si bien ma fille Eve, pour avoir été romaine une année…
Venant de Santa Fe, passé par le désert _ oui : le contraste est assez impressionnant, mais pas tant que ça, à un peu y réfléchir : il y a en chaque vie un côté de Guermantes et un côté de chez Swann… _, Bernard Plossu découvre à Rome _ et s’en réjouit à l’infini _ un summum de présence _ voilà : fémininine, généreuse, maternelle ! _, une énigme métaphysique _ offerte _ à sa mesure, une joie de Nouvelle Vague _ cinématographique aussi, en effet _ poursuivie jusqu’à aujourd’hui _ sauf que le cinéma italien a, lui aussi, maintenant, pas mal hélas décliné. Bernardo Bertolucci est décédé le 26 novembre 2018.

© Bernard Plossu
De la classe _ toujours : et à un point extraordinaire ! _ en pantalon moulant ou robe de soirée, de la piété _ aussi, et aussi populaire _, des palais _ à foison ; des églises aussi, même si le plus souvent fermées au public ; avoir la chance d’y pénétrer quelques instants, à l’occasion furtive de quelque messe ou cérémonie, se prend et reçoit avec gratitude comme un petit miracle…
Des statues ont perdu leur nez, ou leur tête, ou leur phallus, si belles et fortes dans leur vulnérabilité même _ une richesse poétique du temps et de son œuvre ouverte.
Cité du dieu unique des catholiques, Rome est aussi _ bien sûr _ païenne, polythéiste _ oui _, animée de mille entités de grande vigueur _ assurant sa pérennité.
Le photographe la parcourt en tous sens _ bien sûr, Rome, elle aussi, est un labyrinthe : peu de voies qui soient tout uniment droites _ à pied, la regardant aussi de la vitre d’un train, d’un autobus, d’une voiture _ un dispositif très plossuien, intégrant (et surmontant) une dimension de défi à la vitesse, tout en étant protecteur : une distance demeure, hors viol. Et aidant au cadrage…

© Bernard Plossu
Rome est Cinecittà, kinésique, cinétique, cinématographique _ oui.
Vous arrivez à Roma Termini _ ou à Roma Ostiense, parfois aussi : en plein cœur déjà de la Ville… _ mais tout ne fait pourtant que commencer, recommencer, reprendre vie _ voilà, avec éclat, mais sans excès de théâtralité : pas pour quelque galerie extérieure ! juste pour dérouler son propre innocent plaisir, sa joie… Ni vulgarité trash, ni affèterie, jamais, chez Plossu… _ dans la bande passante _ voilà _ de votre regard _ dont témoigneront quelques unes, heureuses, des milliers de photos alors prises.
Un pyramidion, une arche, un parapluie _ oui.
Des voitures, des escaliers, des jardins _ belles spécialités romaines, en effet.
Des empereurs, des cyclistes, des naïades _ voilà ; les fontaines sont aussi une splendeur romaine…
Comme dans ce que donnent à apercevoir de Rome, par exemple, les merveilleux Journal intime de Nanni Moretti (en 1993) et La Luna de Bernardo Bertolucci (en 1979).

© Bernard Plossu

Des rails et des murailles.
Le Colisée _ sans y _ et ses lions.
Les toitures et les chambres d’hôtel _ Bernard m’a fait cadeau d’un tirage d’une magique vue de nuit prise d’une fenêtre de sa chambre d’hôtel près de Sant’Eustacchio… Un quartier que j’idolâtre, moi aussi, autour du sublime Panthéon, et non loin de Navona.
Les anonymes, le peuple, la rue _ si importants ici, en la noblesse sans apprêts de leurs allures chaloupées et rapides.
Roma témoigne du corps de son auteur _ marchant, dansant, lui aussi _, d’un esprit _ ouvert _ sans cesse en mouvement, d’une volonté de voir _ vraiment ce qui passe, se croise, dans le plus vif de l’instant bientôt évanoui _, encore et encore, jusqu’à l’ivresse _ oui, comme en témoignent les photos qui restent. Bref, ce qu’offre Rome à qui s’est dépris des œillères des clichés.
Roma _ le livre que, page après page, nous regardons _ traverse le temps, entre ici et là, regarde un arbre, une place, une foule, un prêtre, une femme.
Roma ? Amor fati bien sûr _ en ayant le malicieux divin Kairos de son côté, avec soi : à la suite du regard de Bernard Plossu…


Bernard Plossu, Roma, 1979-2009, textes Alain Bergala, Patrick Talbot et Bernard Plossu, Filigranes Editions, 2019, 320 pages
Filigranes Editions

© Bernard Plossu

Roma, pour rajeunir dans l’éternité la plus fraîche et vive que peut offir une vie

_ sa vie à soi, ouverte au meilleur le plus réjouissant de la vie des autres,

par la grâce d’un vrai pur regardeur tel que Bernard Plossu _,

ou la joie même.

Un bien bel article de Fabien Ribery.

Pour un nouveau chef d’œuvre de l’ami Bernard Plossu.

Ce samedi 11 janvier 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

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