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D’admirables éblouissantes interprétations des Concertos pour piano de Saint-Saëns par Alexandre Kantorow au clavier et et son père Jean-Jacques à la direction de l’orchestre du Tapiola Sinfonietta : deux CDs absolument jubilatoires !

21juin

Le centième anniversaire, le 16 décembre 2021, du décès de Camille Saint-Saëns

(Paris, 9 octobre 1835 – Alger, 16 décembre 1921)

est magistralement (!!!) célébré au disque

par deux superlatifs SACDs BIS _ à grimper au rideau de pur plaisir ! _ d’Alexandre Kantorow, au piano, et son père Jean-Jacques Kantorow dirigeant le Tapiola Sinfonietta,

les CDs BIS 2300 et 2400, parus respectivement en 2019 et 2022,

qu’a superbement chroniqués, sur son site Discophilia, Jean-Charles Hoffelé,

en deux articles successivement intitulés « Bravoure » (en date du 21 mai 2019) et « Grand Piano » (en date du 14 juin 2022).

BRAVOURE

Et si le coup de génie pour réussir les Concertos de Saint-Saëns était l’entente intime et donc absolue entre le piano et l’orchestre ? À ce titre là, aucun pianiste n’aura eu cette chance, sinon peut-être Magda Tagliaferro pour son Egyptien _ le n°5 _ avec Jean Fournet.

Il aura fallu qu’un fils et un père s’y attellent. Evidemment, ce disque insensé doit être le premier volume d’une intégrale de tout ce que Saint-Saëns aura écrit pour son piano – il était un virtuose, cela s’entend : oui, oui… – et son orchestre. Car l’écoute délicate et fusante entre Alexandre et Jean-Jacques Kantorow expose enfin le génie de ces œuvres qui ne sont pas du tout des concertos classiques, se jouent des genres, revendiquent le droit à une fantaisie absolue _ voilà : Saint-Saëns ne manquait certes pas d’esprit !

Ce n’est pas peu écrire qu’ils sauvent l’opus le plus délicat de la série, ce Troisième _ composé en 1868 _, généralement le pont aux ânes des intégrales, ici en dessin clair _ oui _ et malgré ses ombres il rayonne _ mais oui… Le Quatrième _ composé en 1875 _ par le naturel absolu _ voilà ! _ de leur interprétation, rejoint Casadesus, les mêmes lignes lumineuses, mais l’ampleur des timbres en plus.

Et l’Egyptien ? Concerto redoutable _ composé en 1896 _, un peu Douanier-Rousseau, mais chéri des fortes personnalités : Tagliaferro l’aimait autant que Sviatoslav Richter, tous les deux y voyaient des Espagnes et un exotisme où le piano inventait d’autres sonorités tout au long de l’Andante qui n’est pas qu’un voyage en felouque : Saint-Saëns y produit une divagation poétique inouïe _ oui _ dont Alexandre Kantorow saisit les alliages subtils avec des caresses de grand fauve. Lorsque le motif de la musique nocturne sur le Nil résonne, il évoque dans le battement des accords qui stridulent le haut du clavier une dimension onirique que personne n’avait poussé aussi avant, avec une telle précision, ni Magda ni Sviatoslav.

La finesse _ oui _ des couleurs et des dessins que lui offrent son père et ses musiciens finnois sont de la pure poésie _ voilà. Le Finale peut venir, Alexandre fait fuser tranquillement son clavier, envole tendrement son piano avec des agilités de chérubin, petit génie dont ce n’est que le troisième opus ! J’admire !

LE DISQUE DU JOUR

Camille Saint-Saëns
(1835-1921)


Concerto pour piano et orchestre No. 3 en mi bémol majeur, Op. 29
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en ut mineur, Op. 44
Concerto pour piano No. 5 en fa majeur, Op. 103 “L’Égyptien”

Alexandre Kantorow, piano
Tapiola Sinfonietta
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album du label BIS 2300

Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR.

GRAND PIANO

En ouvrant l’album, une photographie montrant Saint-Saëns jouant sous la direction de Pierre Monteux, Salle Gaveau le 6 novembre 1913 me saute aux yeux. Quelle belle idée, pour illustrer le deuxième volume d’une intégrale de tout ce que le compositeur du Carnaval des animaux aura écrit pour le piano et l’orchestre.

L’ampleur _ oui _ de la déclamation initiale du Deuxième Concerto _ composé en 1868 _, jusqu’au tonnerre qui ouvre le grave du piano, puis ce thème modelé avec une douleur sourde, quel art, quelle façon de faire entendre dans cette partition si courue comme une autre musique _ exotique… Saint-Saêns fut un immense voyageur de par le globe…

Le père aide le fils, cet orchestre n’est pas en retrait, il est absolument consubstantiel aux sons qui murmurent ou jaillissent du grand meuble dont Alexandre Kantorow joue comme d’un orgue, rappelant à quel point Saint-Saëns savait élargir le piano en creusant l’espace entre les registres. Faire entendre cela est simplement inouï. Finale épique, l’orchestre bondissant autant que le pianiste dans un saltarello à perdre haleine.

Génial _ absolument ! _ , comme tout le disque où le fils et le père rédiment le Premier Concerto _ composé en 1858 _ et se délectent des bizarreries _ en effet délicieuses _ d’Africa  _ terminé de composé au Caire, le 1er avril 1891 : Saint-Saëns adorait séjourner en Afrique ; et est, d’alleurs, décédé à Alger… _, de la fantaisie pince-sans-rire du Wedding Cake _ de 1885 _ (comme ce jeune homme sait se moquer, ses doigts rire !) ou encore de la pétillante bourrée _ en 1884 _ de la Rhapsodie d’Auvergne !

LE DISQUE DU JOUR


Camille Saint-Saëns (1835-1921)


Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré majeur, Op. 17, R. 185
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22, R. 190
Wedding Cake, Op. 76, R. 124
Allegro appassionato en ut dièse mineur, Op. 70, R. 37
Rhapsodie d’Auvergne, Op. 73, R. 201
Africa, Op. 89, R. 204

Alexandre Kantorow, piano
Tapiola Sinfonietta
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album du label BIS Records 2400

Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR

Œuvres superbes _ et magistralement classieuses… _ d’un immense, très grand, compositeur français,

à redécouvrir comme ici…

Et interprétations magnifiques _ que dis-je, absolument éblouissantes ! _

absolument idoines à l’idiosyncrasie du puissant génie singulier de l’élégant et clair et imaginatif et fantasque Saint-Saëns,

des Kantorow, fils et père,

saisis ici, au Tapiola Hall, à Espoo, en Finlande, en un jubilatoire enthousiasmant état de grâce…

Un double enchantement discographique, donc.

Et un must pour toute vraie discothèque !

Constituant une aubaine à ne surtout pas laisser passer…

Aux bons entendeurs de musique à ce point de perfection-là incarnée, salut !

Ce mardi 21 juin 2022 _ Fête de la musique… _, Titus Curiosus – Francis Lippa

En forme de parenthèse, au réveil ce matin, l’enchanteresse pudeur délicatissime du piano de Maurice Ravel par Clément Lefebvre…

18nov

L’article d’hier intitulé « Ravel danse« 

que le toujours sagace Jean-Charles Hoffelé consacre au CD Ravel (le CD Evidence EVCD 083) de ce magicien justissime qu’est le pianiste Clément Lefebvre

_ cf mon article du 9 juin 2018 : _,

me donne l’idée de rechercher sur le web quelque podcast

de ce nouvel enregistrement…

Et voici que, comme miraculeusement,  je tombe sur cette merveille-cidélicatissime,

d’une durée de 66′,

à écouter et ré-écouter pour notre plus parfait enchantement…

Voici donc ce que, hier, Jean-Charles Hoffelé disait de cette interprétation du piano de Ravel par Clément Lefebvre,

une magique expression de la pudeur, aux antipodes des hystéries expressionnistes, du parfait génie musical _ si parfaitement français… _ de Maurice Ravel :

RAVEL DANSE

Quitte à pénétrer dans le mystère _ oui : d’une intensité légérissime… _ du piano de Ravel, Clément Lefebvre choisit l’entrée de la danse _ voilà… _ : même la Sonatine a son Menuet qu’il joue quasi en le chantant, troubadour à la fois émerveillé et nostalgique _ voilà qui est parfaitement exprimé. Les gris colorés _ un justissime oxymore _ du Modéré n’auront pas été moins émouvants _ oui _ sous des doigts aussi poétiques _ oui ! _, qui évoqueront, tout au long de ce disque au cours duquel on retient son souffle _ voilà, afin d’être le plus parfaitement en situation de percevoir les moindres subtilissimes nuances de ce chant si délicatement dansé… _, la sensualité _ oui, secrète… _ comme le deuil _ oui _, avec cette touche de pudeur _ oui _ qui est un des secrets _ mais oui ! _ de l’auteur de L’Enfant et les sortilèges.

Valses nobles plus interrogatives _ et rêveuses _ que brillantes (et dansées en doigts légers, avec des éclats de lumière _ toutes ces notations sont très justes… _), avec pour l’ultime ce retour des thèmes comme autant de fantômes _  oui : d’un romantisme aux antipodes d’un romantisme exacerbé… _ où il se souvient du ballet un peu fantasque _ oui : Ravel est un visionnaire cousin du classisisme toujours contenu de Chopin… _ qu’y évoquait Vlado Perlemuter, Pavane au tempo parfait qui en avive encore la touche élégiaque _ oui _, Menuet antique alerte, heureux, juste ombré comme il faut _ à la Watteau _ , et celui sur le nom de Haydn, touchant juste dans sa nostalgie souriante et pourtant mystérieuse _ à la François Couperin _, entendez l’assombrissement qu’enveloppe de sfumato un jeu de pédale savant ; quel dommage de ne pas y avoir ajouté en coda le petit Prélude qui contient la même nuance d’émotion.

Tout cela conduit à un Tombeau de Couperin ailé, volubile _ oui _, où le clavier ne pèse rien mais où tout chante _ oui _ comme du Mozart, la Forlane, le Menuet et ses regrets, et jusqu’aux feux d’artifice d’une Toccata où s’invite le souvenir de Mouvement de Claude Debussy.

Mais j’y pense !, ce piano lumineux et tendre _ voilà… _, capable de mystère et de sombre aussi _ mais oui _, irait comme un gant à l’auteur des Images. Demain peut-être, mais en attendant perdez-vous _ oui _ dans ce Ravel touché par la grâce et l’émotion _ oui…

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)


Sonatine, M. 40
Menuet sur le nom de Haydn, M. 58
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Menuet antique, M. 7
Pavane pour une infante défunte, M. 19
Le tombeau de Couperin,
M. 68

Clément Lefebvre, piano

Un album du label Evidence EVCD083

Photo à la une : le pianiste Clément Lefebvre – Photo : © Jean-Baptiste-Millot

Soit une forme d’enchanteresse récréation musicale, en quelque sorte apéritive pour la journée qui s’ouvre,

au milieu de la poursuite de mes recherches ravéliennes cibouriennes…

Ce jeudi matin 18 novembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Musiques de joie : la formidable jubilation musicale de la frénésie retenue, contenue, de La Valse de Ravel ; par Jean Martinon, par Martha Argerich et Nelson Freire, et par Beatrice Rana

20mai

Il y a quelque chose d’une frénésie rageuse mais retenue, contenue,

dans La Valse de Ravel,

composée dans la solitude montagneuse de Lapras, près de Lamastre, en Ardèche,
entre le tout début de décembre 1919 et le 15 avril 1920
50 pages de musique en quatre mois et demi de travail acharné : Ravel est un perfectionniste.
A Lapras, dans les Cévennes,
en la résidence secondaire de son ami André-Ferdinand Hérold,
où Ravel s’était réfugié, pour pouvoir travailler vraiment au calme dans une solitude absolue _ sans voir personne _,
au sortir de la Grande Guerre,
et marqué, aussi _ à jamais _, par la perte de sa mère, le 5 janvier 1917.
Car ce n’est qu’un peu plus tard, en janvier 1921, que Maurice Ravel achètera sa petite maison de Montfort-L’Amaury, Le Belvédère :
« C’est à son amie Georgette Marnold, fille de son ami critique musical Jean Marnold, que revient le mérite d’avoir trouvé le Belvédère en décembre 1920. Le 25 mars 1920, le musicien lui avait confié _ la lettre se trouve aux pages 688-689 de l’indispensable Intégrale de la Correspondance de Maurice Ravel réunie très efficacement par Manuel Cornejo _ la mission de lui trouver une maison en ces termes :
Je me suis si bien fait à la solitude – un peu mortelle, c’est vrai : mais ça ne me gêne pas – que je vais vous prier de vous enquérir d’une bicoque à 30 km au moins de Paris. Vous avez le temps : je ne compte pas rentrer avant fin avril. […] Je pense quelquefois à un admirable couvent, en Espagne. Mais, sans la foi, ce serait complètement idiot. Et le moyen d’y composer des valses viennoises et autres fox-trotts »…
Ravel n’avait plus rien pu composer depuis son Trio,
à Saint-Jean-de-Luz, rue Sopite, l’été 1914.
La Valse pour orchestre _ est une commande chorégraphique,
à partir d’un projet déjà ancien, 
dont Ravel réalisera d’abord par commodité pratique de composition _ une version pour piano seul ;
ainsi, ensuite, qu’une transcription _ afin d’y inscrire durablement et conserver, pour le piano aussi, quelque chose de proprement orchestral : on sait le génie ravelien de l’orchestration..pour piano à quatre mains.
L’œuvre, avant de prendre ce titre
assez archétypique : « une espèce d’apothéose de la valse viennoise
à laquelle se mêle dans mon esprit l’impression d’un tourbillon fantastique et fatal » :
le moindre mot, comme toujours chez Ravel, est capital ! Qu’on y médite !.. _
de La Valse,
fut d’abord, dans la tête de Ravel, intitulée Wien.
Et de fait, ce fut bien à Vienne, en Autriche,
que fut interprétée pour la première fois, et avec grand succès, la version pour piano à quatre mains de La Valse,
par Maurice Ravel et son ami Alfredo Casella, le 23 octobre 1920 ;
et cela pour la plus grande joie du compositeur…
Quant à l’œuvre symphonique chorégraphique
commandée dans l’optique d’un ballet (destiné au départ à Serge Diaghilev ; et qui n’en voulut hélas pas, au final : Ravel et lui se fâchant alors définitivement !..) ; 
et l’œuvre fut dédicacée, in fine, à l’amie Misia Sert _,
sa première a eu lieu à la salle Gaveau, à Paris, le 12 décembre 1920,
par l’Orchestre Lamoureux.
 En tête de la partition Ravel a écrit le descriptif _ très explicitement onirique _ suivant :
« Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir, par éclaircies, des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu : on distingue une immense salle peuplée d’une foule tournoyante. La scène s’éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au ff. Une Cour impériale, vers 1855. »
Soit une démarche à la fois fantastique et ombrée de nostalgie _ qui semble anticiper de quelques années le chef d’œuvre d’exil au Brésil, très loin de Vienne _ du pur viennois, lui, qu’était Stefan Zweig,
le merveilleux et essentiel Le Monde d’hier _ Souvenirs d’un Européen
Et on remarquera que le tapuscrit du Monde d’hier fut expédié par Zweig à son éditeur le 21 février 1942,
soit la veille même des suicides conjoints de Stefan Zweig et son épouse, à Petropolis, au Brésil, le 22 février 1942.
Soit un legs en quelque sorte testamentaire de la part du viennois. 
Pour cette rayonnante Valse orchestrale-ci de Maurice Ravel,
j’ai choisi l’interprétation _ magistrale de frénésie contenue, suprêmement élégante en la sensualité si charnelle de ses frémissements presque jusqu’à la fin retenus… ;
la personnalité complexe (et résolument tenue secrète) de Maurice Ravel, tant l’homme que le compositeur, demeure mystérieuse ;
et c’est seulement en sa musique qu’elle se laisse, encore discrètement, entrevoir… _
de Jean Martinon
à la tête du Chicago Symphony Orchestra,
enregistrée à Chicago, par Decca, le 16 mai 1967
soit le CD n° 10 du coffret RCA 88843062752.
L’écouter ici avec ce bienvenu podcast de youtube.
C’est une merveille absolue de sensualité.
Quelle intelligence de chef
si intensément ravelien !
Pour la version pour piano à 4 mains de La Valse,
j’ai déniché cette vidéo d’une interprétation brillante, forcément, de Martha Argerich et Nelson Freire en octobre 2003 à Tokyo ;
et cette autre, par les mêmes, et plus merveilleuse encore, prise vingt et un ans plus tôt, à Munich, en 1982.
Et pour la version pour piano seul,
j’aime beaucoup l’interprétation de Beatrice Rana en son récent CD Warner Classics 0190295411091, en 2019 ;
ainsi que cette vidéo prise le 3 juin 2019.
On comprend ainsi assez bien ce qui a pu conduire, ensuite, Ravel à composer, en 1928,
et sur commande de la danseuse Ida Rubinstein,
en un assez similaire projet chorégraphique,
son encore plus vertigineux Bolero.
Je remarque ainsi, au passage, le lien très profond qui unit Maurice Ravel
au plus consubstantiel, probablement, du génie de l’esprit français,
je veux dire la tendresse la plus sensuelle inscrite en la légèreté la plus aérienne de l’envol,
parfois jusqu’au vertige, mais le plus souvent, sinon toujours contenu, du moins retenu, élégant, jamais sauvage,
de la danse
_ et je pense ici, aussi, au très lucide Degas, danse, dessein du magnifiquement subtil, et très sensuel, lui aussi, Paul Valéry, publié en 1936 :
la France (les Suites pour clavecin de Louis Couperin, Rameau, Degas, Ravel, Valéry) est d’abord une civilisation… _ :
le lien très consubstantiel de cette musique française à la danse…
Et Ravel, comme Rameau, et comme Louis Couperin,
fait très profondément corps musicalement à ce génie français de la joie de la danse.
En leur si parfaite élégance sensuelle, ces trois Valses-ci de Maurice Ravel
sont superbement, et « à la française », jubilatoires…
Ce mardi 28 avril 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’éblouissant panorama de « La Musique en France depuis 1870″, de Brigitte François-Sappey

15avr

Bien au-delà de la circonstance anecdotique _ et tristement (et honteusement, aussi, sinon, même, scandaleusement !) ridicule : honte à l’auteur-journaliste ! qui a fourni cette incongrue circonstance ! :  j’y reviendrai, très secondairement et plus loin, afin de ne salir en rien la lecture et l’hommage dû aux si riches apports de ce merveilleux travail et livre de Brigitte François- Sappey : La Musique en France après 1870, qui paraît aux Éditions Fayard/ Mirare, sur fond de « La Folle journée«  de cette année-ci, 2013, à Nantes : « L’Heure exquise _ musique française et espagnole » (30 janvier – 3 février)… _,

incongrue et surtout très inappropriée _ en la teneur factuelle de son fond ! on en jugera plus loin… _ qui m’a fait rencontrer (et lire : passionnément !) le livre magnifique de Brigitte François-Sappey La Musique en France après 1870,

c’est le travail de présentation (et analyses précises, inspirées et fouillées, et commentaires sobres et pertinents ! _ tout cela en une langue goûteuse, claire et rapide : française ! _)

de ce que, d’une part, a été, au jour le jour et au fil des années (et périodes qui s’en dégagent), la réalité de « la musique en France depuis 1870« 

_ Brigitte François-Sappey découpe ces cent quarante années en trois principaux chapitres (dont il s’avère que, au-delà de querelles spécifiquement esthétiques, les trois pivots sont les trois guerres franco-allemandes ; déjà les dates parlent !) :

le chapitre II, « Renouveau et Art nouveau (1870-1914) » aux pages 33 à 109 ;

le chapitre IV, « Années folles et sages (1914-1945)«  aux pages 137 à 191 ;

le chapitre VI « Itinéraires et feux croisés (depuis 1945)«  aux pages 215 à 242 ;

qu’elle fait précéder, et après un très rapide prologue « Un adieu à Berlioz 1803-1869«  aux pages 7-8, d’un très éclairant et tout à fait remarquable (par l’art de dire tant, et si bien, en si peu de pages) chapitre I « Musique française, musique en France« , aux pages 9 à 31 ;

et entre lesquels elle intercale deux lumineuses analyses d’œuvres-phare :

le chapitre II, « Claude Debussy« , aux pages 111 à 136 ;

et le chapitre V, « Maurice Ravel« , aux pages 193 à 214 ;

et l’on découvre que « la musique en France«  est loin de se borner, tant en matière de compositions-créations que de concerts de toutes sortes, à de « la musique française« ,

tant ce petit cap occidental tout au bout de l’immense continent asiatique qu’est l’entité « France« , est loin de frileusement se refermer à (et sur) son seul espace géographique, ethnique, culturel ; de très longue date, la France, ouverte (« terre d’accueil« , page 9), accueille et brasse, et aussi réunit, sans réduire ni étouffer dans quelque carcan que ce soit (Brigitte François-Sappey emploie, quant elle, l’expression de « creuset de culture« , page 24 ;

comme elle met l’accent, page 15, sur le fait que « entr’ouverte à l’Italie puis à l’Allemagne au fil des âges, puis à tout l’Occident et à l’Orient en son âge d’or (expression à relever ! ) des années 1900, la musique française (ne s’apparente décidément pas, jamais) à une école. Seulement une École buissonnière, suggère Saint-Saëns« …), selon une intense, profonde et permanente et continue « vocation«  à de l’universalité (culturelle et civilisationnelle : « accueillante (que cette France est) aux artistes de tous pays« , page 9) ;

oui, là est probablement, et nécessairement dans une certaine mesure, la vocation fondamentale de la France, constitutive (charnellement) de son identité ouverte et chaleureuse, fine et large ;

et à cet égard, Paris en constitue (depuis si longtemps que c’est presque toujours !) un pôle attractif de lumière singulièrement chaleureux et vivant de mille vies : page 23, Brigitte François-Sappey cite ce mot, en 1867, de Wagner à Louis II de Bavière : « Paris est le cœur de la civilisation moderne (…) Paris qu’aujourd’hui encore je préfère à tous les lieux du monde« … ;

et je relève encore, en commentaire et contrepoint à la question « l’idéal serait-il celui proposé par Ravel : « Un artiste doit être cosmopolite dans ses jugements, mais irréductiblement national lorsqu’il aborde à l’art de créer ? »… »,

ce cri du cœur de l’auteur, page 10, où elle révèle beaucoup d’elle-même : « Toujours est-il que, de part et d’autre de la « guerre des tranchées » (soit la Grande Guerre de 14-18), il y eut une belle époque (voilà !) à la fois de la musique française et de la musique en France, formulation plus ouverte et plus véridique » que nulle autre_,

c’est le travail de présentation _ je reprends donc, et la proposition principale de ma phrase, et le souffle de mon élan ! _

de ce que, d’une part, a été la réalité de « la musique en France depuis 1870« 

ainsi que, d’autre part, de ce qui en résulte en forme de moisson d’œuvres _ présentées et lumineusement analysées, en leur essentiel ! _, pour nous autres, mélomanes d’aujourd’hui

_ les deux perspectives demeurant à distinguer-dissocier

(si par exemple l’œuvre de Lucien Durosoir compte pour beaucoup, dans ce qui résulte pour nous aujourd’hui d’œuvres de poids et chefs d’œuvre dans le cours de l’Entre-deux-guerres,

cette musique-là n’a pas alors, en son temps même de composition, franchi le cercle des amis, tel un André Caplet, et interprètes, tels un Jean Doyen ou un Paul Loyonnet, un Maurice Maréchal ou un André Navarra, par exemple, de ses sept rares concerts : trois concerts publics : 10-11-1920, 2-2-1922 et 21-10-1930 ; et quatre concerts privés : 25-10-1924, 6-11-1929, 11-6-1933 et 19-6-1934, en tout et pour tout ; et sans en rien donner à publier, non plus… ;

elle n’a donc certes pas accédé à un statut de « figure dans le paysage musical de l’époque«  pour la plupart des musiciens qui furent les contemporains objectifs de sa composition (de 1920 à 1950) sans accéder à sa connaissance, l’homme Lucien Durosoir se tenant quasi en permanence loin de Paris et des milieux musicaux, clans et écoles, se consacrant et au travail de création de son œuvre de musique et aux soins de sa mère infirme : en son ermitage de Bélus, au sud de l’Aquitaine, au climat adéquat à ces deux priorités siennes-là, celle de l’artiste créateur profondément vrai, et celle de l’homme, un homme de devoir, en sa fondamentale piété filiale…) ;

seul le recul du temps long permettant au regard « en relief«  de l’historien (et musicologue ô combien sensible ! qu’est Brigitte François-Sappey) de mettre en lucide perspective historiographique et musicologique ce qui ressort pleinement significativement aujourd’hui pour nous de ce cheminement historique de la « musique en France depuis 1870«  : avec l’importance des singularités-artistes qui émergent, au final de la décantation lente des temps, des mouvements et des goûts… _,

c’est ce magnifique travail de synthèse et analyses ô combien fines et riches, en leur extraordinaire « relief » _ et je veux mettre l’accent sur cet aspect-là du talent d’intelligence artistique de Brigitte François-Sappey !.. _,

et de ce qu’a été la réalité de « la musique en France depuis 1870« , et de ce qui en résulte en forme de moisson d’œuvres singulières pour nous aujourd’hui,

qu’a réalisé le talent rare de Brigitte François-Sappey,

qui mérite notre profonde admiration et gratitude

et nos éloges les plus enthousiastes !

Il n’est que de comparer les denses et lumineuses 260 pages de ce livre toujours toujours très alerte _ sans jamais la moindre lourdeur d’apesantissement ! _,

avec les treize pages (de la page 22 à la page 34) du pourtant très nourri (et excellent !) article de Gérard Condé, « L’Esprit français _ de Berlioz à Boulez« , dans le numéro de janvier dernier (n° 610) de Diapason :

quand Gérard Condé sait résumer _ bien ! _ la période,

la plume magnifiquement cultivée de Brigitte François-Sappey, elle, la fait proprement « revivre » pour nous,

en la diaprure fine et toute en relief _ j’y insiste ! _ des vibrations généreuses _ et richement complexes ! _ de ses très vivantes facettes, par des analyses parfaitement ciselées, des citations (d’artistes ou de critiques avisés) merveilleusement judicieuses, en la précision même de leurs moindres signifiants _ et cela est irremplaçable, et hors de la portée de ce qui s’en tient à des résumés… _ , et des contextualisations artistiques et culturelles complexes rien moins que lumineuses :

c’est tout ce « monde » vibrillonnant d’excellente musique (en la France _ une France ouverte et cosmopolite, accueillante : aux Russes, aux Espagnols, aux artistes Européens de partout _ depuis 1870) qu’elle fait « revivre » avec beaucoup de délicatesse dans le rendu fin en même temps que très précis du détail des œuvres, chaque fois excellemment serties dans le contexte (et personnel _ = singulier ! _, et collectif _ = général _) de leur création !

Et cela, dans une parfaite alacrité _ française ! _ d’expression : « sans rien qui pèse ou qui pose » jamais…

Déjà, les remarques du chapitre inaugural mettant l’accent sur la distinction des expressions de « musique française » et de « musique en France« , sont plus que précieuses ;

car la France de l’Art, et la France créatrice de musique en l’occurrence _ du moins pour ce qui la concerne, elle… _, n’a pas été profondément touchée _ cf page 11 : « À chaque guerre resurgit la question de l’esprit national«  _ par le prurit nationaliste ;

ni en 1870, ni en 1914 et 1919 ; ni en 1945…

Si « la défaite de Sedan force de se poser avec Ernest Renan la question : « Qu’est-ce qu’une nation ?« ,

en 1871, afin d’affirmer _ tout de même _ leur francité _ dans leur création à venir et encourager _, les musiciens fondent la Société Nationale de musique, avec pour devise « Ars gallica », même s’ils peinent à mettre une sourdine à leurs attachements germaniques _ devenus, après l’éclat et la splendeur rayonnante de Rameau en son siècle (celui de Quand l’Europe parlait français), tout-puissants au XIXe siècle ; cf ici le livre important de Martin Kaltenecker, L’Oreille divisée _ les discours sur l’écoute musicale aux XVIIIe et XIXe siècle ; ainsi que mon article du 3 août 2011 : comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée ».

Renouer avec Josquin, Couperin et Rameau _ plutôt que de se couper d’aux _, partir en quête des richesses du terroir, voici _ quel était musicalement, de fait, alors _ le programme.

Aucune œuvre ne portera toutefois un étendard national aussi affiché que les Polonaises de Chopin, les Rhapsodies hongroises de Liszt, Russia de Balakirev, Finlandia de Sibelius, Italia de Casella, Catalonia et Iberia d’Albéniz.

Aucune d’ailleurs n’est intitulée Francia (…)

Rien ne serait pire que de s’enfermer dans un nationalisme blessé« , page 18.

Et page 24 : « Après 1870, tout aussi nombreux, les étrangers participeront _ et pas à demi _ à l’efflorescence générale : on associera Matisse et Picasso, Debussy et Albéniz, Ravel et Falla, qui reconnaît : « Pour tout ce qui fait référence à mon métier, ma patrie, c’est Paris »

En fait, ce souci de « francité » s’avère seulement un désir de « réajustement » de style :

« À propos de Pelléas, Debussy avait écrit :

« J’ai surtout _ la nuance est intéressante _ cherché à redevenir français. Les Français oublient trop facilement _ au profit alors des germanismes romantiques, notamment wagnériens, à ce moment… _ les qualités de clarté et d’élégance qui leur sont propres, pour se laisser _ un peu trop _ influencer par les longueurs et les lourdeurs germaniques » ;

et il avait loué chez Rameau « cette clarté dans l’expression, ce précis et ce ramassé dans la forme, qualités particulières et significatives du génie français ».

Satie avait prévenu :

« J’expliquais à Debussy le besoin pour un Français _ à ce même moment… _ de se dégager de l’aventure Wagner, laquelle ne répondait pas _ pas assez _ à nos aspirations naturelles. Et je lui faisais remarquais que je n’étais nullement anti-wagnérien, mais que nous devions avoir une musique à nous _ sans choucroute si possible.« 

Pour Ravel, « notre conscience française est faite _toujours un minimum _ de réserve. »

(…)

« L’esprit français ? Depuis Rameau _ mais déjà chez La Fontaine et Molière ; et d’autres avant… _, il s’est donné comme objectif de _ pudiquement et avec élégance _ « cacher l’art par l’art même »,

de s’apparenter à une esthétique de la litote » _ et non de la surcharge _, pages 11-12.

Et ceci encore de magnifique, pages 16-17,

en réponse à l’interrogation « Qu’en est-il donc du « génie musical français » ? » :

« Debussy a résumé de façon tout hédoniste : « La musique française, c’est la clarté, l’élégance, la déclamation simple et naturelle ; la musique française veut, avant tout faire plaisir. » Ces qualités _ cependant : la nuance est importante ! _ n’excluent ni l’intellectualité, ni l’audace, ni la fantaisie (et en note, Brigitte François-Sappey ne manque pas d’alors apporter la nuance suivante à propos d’un des compositeurs-phare, selon elle (avec Olivier Messiaen et Pierre Boulez : c’est sur eux trois qu’elle conclut l’essai), de la période actuelle : « Henri Dutilleux, indéniable descendant de Debussy et Ravel, a longtemps refusé qu’on applique à son œuvre l’étiquette de « musique française », estimée restrictive pour être trop souvent limitée aux notions de « mesure, clarté, élégance, charme »… ») _ ce qui m’évoque personnellement ce qu’en son puissant Le Pouvoir esthétique, Baldine Saint-Girons identifie comme le pôle de la grâce, au sein ce qu’elle nomme le « trilemme esthétique » du beau, du sublime et de la grâce… Cf mon article du 12-9-2010 : les enjeux fondamentaux (= de civilisation) de l’indispensable anthropologie esthétique de Baldine Saint-Girons : « le pouvoir esthétique » ; ainsi que le podcast de mon entretien avec elle sur ce livre le 25-1-2011

Les Français privilégient la sensibilité sensorielle, et visent l’apesanteur des paramètres. Ils apprécient les images musicales suggérées par les titres _ cela se trouve aussi (et est central !) dans l’œuvre entier de Lucien Durosoir _, et raffolent de la danse, mais sans exagération. Le « rien de trop » des Grecs et « l’et cœtera » seraient ainsi _ conjointement _ les qualités françaises par excellence, ce qui n’a pas échappé _ en effet ! _ au philosophe musicien Vladimir Jankélévitch.

Inhabituelle en France, la démesure berliozienne elle-même est stylisée, acérée _ oui ! _, car l’imagination se double d’une auto-censure _ c’est-à-dire une fondamentale tempérance. L’autodidacte Chabrier composait au crayon pour pouvoir mieux effacer, mais les plus experts ont poursuivi cette esthétique de la soustraction. Debussy qui confie : « Combien il faut d’abord trouver, puis supprimer, pour arriver à la chair nue de l’émotion ! » ; Ravel qui s’excuse : « Il me reste quelques notes à effacer »… »…

C’est là, en effet, tout un art subtil et délicat,

et coloré de fantaisie, aussi, c’est-à-dire foncièrement libre : « buissonnier« ,

de la nuance ;

et, sur la palette, du nuancier…

L’ouverture, par Brigitte François-Sappey, de son chapitre « Claude Debussy« , pages 111-112-113,

est tout particulièrement significative de cet esprit _ éminemment français (et loin du wagnérisme : Nietzsche aussi, via Bizet, l’a très vite senti !) _ de liberté que rien n’encage, ni n’enrégimente :

« Comme tout grand créateur, Debussy avait conscience de son génie,

mais ne souhaitait nullement faire école

_ voilà qui personnellement m’évoque aussi, et très précisément, la personnalité « buissonnière« , elle aussi, de compositeur-créateur de Lucien Durosoir, dont j’ai essayé de cerner la « singularité« , justement ! dans ma première contribution au colloque « Durosoir«  de Venise _, et s’agaçait de la dévotion des debussystes.

Or l’injonction mi-ironique de Satie _ « Dieu Bussy, seul honorera « , placée en exergue à ce chapitre III de La Musique en France après 1870 _ est _ désormais _ devenue _ avec le recul et le relief du XXe siècle _ une évidence _ historique.

Aux côtés de Stravinsky et de Schoenberg, Debussy (1862-1918) domine son siècle _ pour nous aujourd’hui, près d’un siècle après sa mort _ comme Monteverdi et Beethoven le leur.

Tous ces créateurs se situent au passage de deux siècles qu’ils ont franchi vers la trentaine, en pleine possession de leurs moyens.

L’art de Debussy est singulier

_ sans faire (encore moins que Debussy !) école ; et pour cause : son œuvre (réalisée de 1920 à 1950) ne se découvre (publie, joue et est diffusée peu à peu) qu’après le passage de 2000 (le tout premier CD de ses œuvres, le CD Alpha 105 de sa musique pour violon et piano, paraît en 2006 ; suivi en 2008 du succès marquant du CD Alpha 125 des 3 quatuors à cordes), l’art de Lucien Durosoir frappe, lui aussi, par sa puissante singularité !..

C’est un art localisé et daté _ à Paris autour de 1900 _ par son raffinement d’esthète et son élitisme _ que cet art de Claude Debussy ;

quant à l’art carrément chtonien, lui, de Durosoir (l’homme est passé par les tranchées de la Grande Guerre), son incontestable « raffinement« , oui, n’est ni « d’esthète« , ni « élitiste » parisien : s’y ressent une formidable puissance de souffle (à la Whitman, si l’on veut, qui a connu la guerre de Sécession et les immenses espaces d’Amérique), d’ampleur rien moins qu’universelle… C’est ce qui se ressentira à l’audition de son grand œuvre symphonique (« aux soldats de la  Grande Guerre« ), Funérailles.

Mais si Debussy est en symbiose avec les tendances de son temps,

c’est qu’il y trouve _ aussi, et consubstantiellement _ matière à nourrir son « alchimie » toute personnelle _ et c’est bien là la condition commune (et générale, universelle) de toute « création » artistique : aucune n’est absolument ex nihilo !.. Chacune opère, nécessairement, par distinction subtile et souvent infinitésimale, d’avec ses sources et d’avec son contexte… Et Brigitte François-Sappey met excellemment en valeur cette accession, œuvre par œuvre, du créateur vrai à la singularité de son génie (à faire émerger, en son itinéraire de composition-création : en sa poiêsis en action…), par-delà les classements plus commodes en catégories et écoles…

Rien ne lui sied mieux _ musicalement _ que la pensée suggestive du symbolisme, la touche allusive de l’impressionnisme, les vertes arabesques de l’Art nouveau, les éclats rougeoyants du fauvisme

_ et Brigitte François-Sappey consacre de très belles et magnifiquement justes pages, pages 37 à 42, à ce qu’elle nomme et intitule parfaitement « la fusion des arts » :

« À l’alliance des arts de la musique dramatique, intégrant poème, décors et danse _ cf ici le concept d’« art total » chez Wagner _,

l’époque tend à substituer l’équivalence des arts, voire leur syncrétisme _ oui ! Delacroix parlait déjà de « la musique d’un tableau » et Baudelaire précisait : « La manière de savoir si un tableau est mélodieux ou non, est de le regarder d’assez loin pour n’en comprendre ni le sujet ni les lignes _ cf Kandinsky face aux Meules de foin de Monet découvertes par lui posées à l’envers au bas des cimaises… S’il est mélodieux, il a déjà un sens ». Reprises à l’Allemand Hoffmann _ en effet ! _, les correspondances baudelairiennes induisent l’idée d’analogie entre les sons, les couleurs et les parfums à laquelle l’imagination, « reine des facultés », a enseigné le sens moral _ cf mon concept d’« imageance » à partir de ce que Marie-José Mondzain nomme « opérations imageantes«  À raison, Gauguin affirme : « Ne vous y trompez pas : Bonnard, Vuillard, Sérusier sont des musiciens, et soyez persuadés que la peinture colorée entre dans une phase musicale. » Maurice Denis atteste que « le tableau tendait à devenir une musique et un état d’âme ». D’où l’ouvrage La Peinture musicienne et la fusion des arts de Camille Mauclair. Mallarmé, Proust, bientôt Claudel, sont non moins préoccupés de musique et d’équivalence des arts« …  

Mais cet art daté et localisé _ comme toute production et initiative humaine : toujours en situation historico-sociale _ est en vérité hors temps et hors espace _ sub specie aeternitatis, dit excellemment Spinoza… _ par l’expression d’une sensibilité unique _ qu’il s’agissait de parvenir à faire génialement émerger en une œuvre réalisée, et secondairement donnée-proposée à ressentir et contempler aux autres… _ et une forme de perfection

qui le hisse dans l’Olympe intemporel _ quand (et à condition que) « le style » devient (ou devienne) « l’homme même« , pour reprendre l’expression lucide de Buffon, en une « singularité«  vraie (et non feinte, ou sociale seulement, sur le marché de l’Art : à la Bourdieu, dans son La Distinction _ critique sociale du jugement…). Et en effet « ce qui est beau, est difficile autant que rare »

Et aussi parce que Debussy a osé _ le génie doit toujours faire preuve de courage, et donc d’une certaine dose de solitude… _ le frotter _ avec fécondité _ à tous les courants dans l’espace et dans le temps. Il le confronte à l’Espagne, à la Russie, à l’Orient, au monde anglo-américain, au Moyen-Âge ou au XVIIIe siècle. Sans arrogance ni pusillanimité _ ni l’un, ni l’autre ; mais en cherchant à conquérir la difficile et rare simplicité (non immédiate !) de l’évidence du geste le plus naturel, en le trésor de finesse de sa plus grande complexité même : une sorte de quadrature du cercle, d’où l’artiste ne se sort que par l’incorporation toute simple, in fine (là est la conquête, mais sans jamais rien forcer !) de la plus vive et fine et légère sprezzatura Car sa personnalité est si forte qu’il ne craint pas de _ risquer _ l’amoindrir au commerce _ le plus et le mieux cultivé _ des autres.

Dans cette absolue conscience de soi, il est _ alors, à ce tournant du siècle _ l’artiste français le plus comparable à l’Allemand Wagner _ d’où sa position, rétrospectivement au moins et pour nous, dans l’histoire de la musique…

Quels que soient ses moments d’inquiétude et de lassitude, artistiquement parlant, il est invulnérable. Ce qui lui évite tout fantasme d’amnésie _ Debussy poussant loin sa conscience.

Cet art ouvert à toutes les leçons du monde conceptuel et sensoriel, respectueux du patrimoine français, n’est rebelle qu’aux leçons-messages _ un peu trop doctorales _ de l’Allemagne et parfois à l’échange _ pouvant se crisper _ avec les compositeurs de son temps.

Sous son apparente fragilité, cet art ductile est robuste. Il offre une composante unique de l’instinctif et du déductif (ajout de deux mesures à Jardins sous la pluie, « section d’or oblige »). Debussy est à la fois toute intelligence et toute intuition, attentif et nonchalant.

Jamais sans doute depuis Rameau, on n’a su mettre ainsi à égalité des composantes artistiques aussi complémentaires.

Pour mieux exprimer _ loin des principales pesanteurs des conformismes _ son « je »,

Debussy pratique un « jeu » ludique, sensoriel, un art d’agrément qui rejoint le divertissement du XVIIIe siècle, le Je-ne-sçay-quoi et L’Et cœtera de Couperin.

En professant que « la musique doit humblement chercher à faire plaisir », il se rallie au postulat de Racine : « La principale règle est de plaire et de toucher ; toutes les autres règles ne sont faites que pour parvenir à cette première ».

Chez Bach, alors que d’autres vantent la solidité de la pulsation rythmique, lui admire son art de « l’arabesque »,

et pour la grande édition Rameau chez Durand, il se charge de La Guirlande.

Son tour de main est si imperceptible, « sans rien en lui qui pèse ou qui pose », que certains sont déroutés par cette « révolution subtile » (Boucourechliev).

Cet art quintessencié _ parent de celui de Rameau, en effet… _ pourra à son tour _ en aval _ être inépuisablement questionné par chacun et tous. Les sériels et les spectraux y trouveront matière à réflexion dans le maniement de l’harmonie-timbre, l’engendrement d’un processus, le tout acoustique.

Les dettes de cet art si inventif sont pourtant _ en les décryptant _ indéniables.

Debussy le forge au contact de Wagner (Tristan, Parsifal), Moussorgski (« Allez entendre Boris, tout Pelléas y est »), et Chopin (« Je sors tout entier de la 4e Ballade« ). Il doit aussi quelque chose à Franck, Massenet et Borodine dans le mélodisme de ses premières œuvres (Clair de lune, Quatuor), à Chabrier et Satie pour certaines tournures harmoniques. Il devra sans doute au jeune Ravel la révélation d’une Espagne stylisée.

Ses sources incluent aussi le chant grégorien, les polyphonies de la Renaissance.

À partir de là, il est libre _ comme tout génie authentiquement créateur.

Pour preuve, son Hommage à Rameau, si personnel et modal, l’étude Pour les agréments, sans rapport avec les agréments des clavecinistes français pourtant évoqués dans l’avant-propos du recueil.

Charles Rosen peut ainsi conclure son Style classique : « Les héritiers authentiques du style classique furent non pas ceux qui entretiennent ses cendres, mais ceux qui, de Chopin à Debussy, en préservèrent la liberté en altérant progressivement et finalement en détruisant le langage musical qui avait en son temps permis la création du style. »

Tout cela excellemment perçu, analysé et commenté

_ et le chapitre Ravel est de la même extrême qualité _,

fait de la lecture de ce très riche travail de Brigitte François-Sappey

une pure délectation de sensibilité intelligente

Pour finir,

et de manière très anecdotique,

je vais narrer les circonstances incongrues

qui m’ont donné l’occasion _ très contingente ! qu’on m’en excuse ! _ de lire ce travail passionnant si riche de Brigitte François-Sappey :

c’est d’une part l’excellent Vincent Dourthe qui chez Mollat m’indique, l’air amusé :

« J’ai pensé à vous ! Je viens de lire dans une des récentes revues  de disques le qualificatif de « très dispensable » appliqué à Lucien Durosoir« …

Et voilà que le lendemain c’est mon gendre Sébastien qui, à son tour, me raconte qu’il vient de lire un article « descendant en flèche » Lucien Durosoir… C’est à propos du livre de Brigitte François-Sappey La Musique en France après 1870


De retour chez moi, je mets la main sur le dernier numéro de Diapason, et lit, en effet, à la page 142, l’article d’un nommé François Laurent présentant cet ouvrage, dans la rubrique « Livres« .

Voici ce qui s’y lit :

« On admire, chez Brigitte François-Sappey, signature bien connue des lecteurs de Diapason (cf. dans ce numéro, son grand article sur Alkan), l’art de la synthèse, de la formule pleine d’esprit. Il n’en faut pas moins pour en dire autant et si bien, débrouiller en deux pages les notions d’impressionnisme et de symbolisme musicaux, en instillant au propos la juste dose d’anecdotes, de citations, pour le sauver d’une énumération fastidieuse _ le talent de Brigitte François-Sappey est loin de se borner à ces critères formels sur lesquels se focalise le journaliste (ayant vraisemblablement à l’esprit sa propre tâche)…

Si le très dispensable Durosoir tape l’incruste _ sic ! quel langage !.. _,

on s’étonne de ne pas trouver Taffanel _ un flûtiste du XIXe siècle : probablement un phare au moins pour les flûtistes… _, autrement important _ vite, vite : qui est-ce ?.. Comment Brigitte François-Sappey a-t-elle pu négliger un compositeur-créateur d’une telle importance ?! _ dans le paysage de son temps _ ici, c’est une affaire d’époque : Claude Paul Taffanel

(« né à Bordeaux le 16 septembre 1844 et mort à Paris le 22 novembre 1908, est considéré comme le fondateur de l’école française de flûte traversière, qui domina _ sinon lui-même en tant que compositeur-créateur d’œuvres mémorables, du moins cette école qu’il est réputé avoir fondée ! _ la discipline de cet instrument tant au plan de la composition que de l’interprétation pendant la majeure partie du XXe siècle« , indique Wikipedia…)

a possiblement occupé davantage de place pour ses contemporains, ne serait-ce que du fait de son poste de professeur de flûte au Conservatoire, que Lucien Durosoir compositeur, absent de Paris (et s’installant à Belus, au fin fond des Landes) et de la scène musicale tant parisienne qu’internationale après 1914…

Quant aux œuvres de Taffanel, voici celles que recense Wikipedia : « Taffanel composa plusieurs classiques du répertoire de la flûte traversière _ voilà donc… ; mais sont-ce (aussi…) des chefs d’œuvre ? _, dont Andante Pastoral et Scherzettino, Grande Fantasie (Mignon), Fantaisie, Thèmes/ Der Freischutz, Quintette en sol mineur (pour quintette à vent)« .

On peut découvrir aussi dans l’édition anglaise de Wikipedia que Claude Paul Taffanel a aussi commencé à écrire un livre de Méthode pour la flûte, 17 Grands Exercices Journaliers De Mécanisme, qu’ont terminé après son décès deux de ses élèves, Louis Fleury et Philippe Gaubert, et qui est considéré comme un Classique du livre de Méthode pour l’apprentissage de la flûte. Et que Philippe Gaubert est considéré comme le second (après Taffanel) Flûtiste et Compositeur pour la Flûte français…

Dont acte.

Bagatelle _ qu’une telle inversion de priorité d’inscription au « paysage musical » de la France d’après 1870, tranche magnanimement l’auteur (probablement lui-même flûtiste…) de l’article.

On se félicite, en revanche, de voir ces dames _ maintenues, elles, dans l’anonymat de ce pluriel démonstratif grandiose ! _ avoir enfin droit de cité, dès le premier chapitre _ qui définit la musique « française », son rayonnement, ses chantres, ses vecteurs institutionnels, ses clans… _ pour découvrir les noms de « ces dames », prière de se reporter aux pages 19-20 du livre de Brigitte François-Sappey : « après Hélène de Montgeroult, Louise Bertin, Louise Farrenc, les Françaises continuent _ après 1870 _ de montrer un beau tempérament : Pauline Viardot (…), Augusta Holmès (…), Marie Jaël (…), Cécile Chaminade (…), Lili Boulanger (…), Jeanne Leleu, Elsa Barraine, Adrienne Clostre et d’autres« . Et encore, plus tard : « Germaine Tailleferre (…), Betsy Jolas (…), Edith Canat de Chizy« 

Le livre de Brigitte François-Sappey étant au final qualifié _ toujours l’accent sur la forme… _ de « Brillant, non ?« 

Ouf ! Il ne s’agissait donc là que d’un petit règlement de compte clanique…

Et si l’expression « taper l’incruste« 

convient bien peu au si peu carriériste Lucien Durosoir, l’ermite de Belus ! _ et encore moins à la sublimité de certaines de ses œuvres !!! _ ;

elle ne convient pas davantage à l’usage que fait du nom de « Durosoir » Brigitte François-Sappey,

à trois reprises seulement,

et les trois fois, pages 67, 159 et 160, au sein de listes d’œuvres de musique de chambre de divers compositeurs :

_ la première fois, page 67, parmi la liste (sèche) de ceux qui oseront relever le « défi » de composer des « quatuors à cordes » :

« le quatuor à cordes reste un défi pour les Français. Il faut attendre le dernier Franck pour le voir émerger avec grandeur. Comme chez le vieux maître, il sera le plus souvent traité à l’unité, tel un rituel de maturité (Chausson, Fauré, Roussel, Vierne, Schmitt) ; mais des jeunes réclament aussi un frémissant adoubement (Debussy, Ravel, Cras), quitte à réviser ce premier élan (Lalo). Tâtent aussi du quatuor Castillon, Gounod, d’Indy, Dubois, Ropartz, Saint-Saëns (pour une fois suiveur et non pionnier), Magnard, Vierne, Emmanuel, Durosoir, Kœchlin, Enesco… Un grand absent sur ce terrain exigeant, le plus espéré de tous : Dukas, le jalon manquant« .

_ la seconde fois, page 159, c’est à propos (et toujours sous forme de liste sèche) des compositeurs de « quintettes avec piano » :

« Entre chambre et concert, les quintettes avec piano sont toujours des œuvres imposantes et essentielles, que ce soit chez Vierne, Pierné, Hahn, Fauré (2e), Durosoir, Kœchlin, d’Indy, Cras« …

La troisième occurrence du nom de « Durosoir« , page 160, revient, cette fois plus en détail, sur le cas du « quatuor à cordes« , qualifié même de « Seuil » _ quasi initiatique _ :

« En 1923, au moment de se mettre à son unique quatuor, Fauré avoue : « Tous ceux qui ne sont pas Beethoven en ont la frousse ! » Ses disciples, Kœchlin et Schmitt, originaires de l’Est, et Honegger, le Suisse alémanique, pensent assurément de même.

Honegger dédie précisément à Schmitt son Ier Quatuor (1917) qui bénéficie de l’enseignement de Gédalge ; il y déploie une écriture foisonnante et met au point son plan, bientôt fameux, avec réexposition inverse (AB, développement, BA), une symétrie d’architecte différente de la narrativité discursive.

Pour Poulenc, qui a pourtant parachevé sa formation auprès du savant Kœchlin auquel « il doit tout », le quatuor restera « l’embarras de sa vie » ; plusieurs thèmes d’un quatuor abandonné se retrouveront dans le finale de sa Sinfonietta de 1947 au milieu d’emprunts à Mozart ou à Tchaïkovski _ ce qu’il appelait son « adorable mauvaise musique ».

Violoniste concertiste, brisé par la guerre, Lucien Durosoir compose trois quatuors (1920-1934) _ une phrase entière (et qui dit beaucoup), mais guère assez longue pour justifier l’expression « tape l’incruste«  !..

Ropartz poussera jusqu’à six quatuors ; en 1926, son troisième, très beethovénien de structure, resplendit d’une luminosité toute française.

Le vieux d’Indy referme pratiquement son parcours avec son troisième de 1930« .

Et pages 160-161, Brigitte François-Sappey consacrera un paragraphe de 21 lignes aux dix-huit quatuors de Darius Milhaud…

L’agressive expression du journaliste de Diapason « le très dispensable Durosoir tape l’incruste » est donc doublement impropre : tant pour l’homme et l’artiste Durosoir, si peu carriériste ! ; que pour Brigitte François-Sappey, qui ne fait pas à l’œuvre de celui-ci au sein de son panorama de « la musique en France après 1870« , un sort considérable, ni indu !

Paradoxalement, le résultat de l’article de ce brillant journaliste qu’est François Laurent de Diapason,

est donc que, c’est à côté des trois seuls noms de Hector Berlioz (1803-1869), Claude Debussy (1862-1918)  et Maurice Ravel (1875-1937)

que cet article réussit à placer _ même si c’est pour lui dénier la place que lui accorde l’auteur du livre _ un seul nom autre nom de compositeur pour cette période « d’après 1870 » en France,

celui de Lucien Durosoir (1878-1955),

au sein des 260 pages du travail de présentation de Brigitte François-Sappey !

Que l’auteur de ce papier de Diapason ne lit-il donc pas plutôt le bel article de Christophe Huss, l’été 2008,
sur le site classics-today.com
http://www.classicstodayfrance.com/review.asp?ReviewNum=2640
relatant son émotion face à ces 3 Quatuors de Lucien Durosoir interprétés par le Quatuor Diotima (CD Alpha 125) ! ; le voici :

« Pour que cet immense disque prenne sa vraie valeur, je vous suggère de baisser un peu le volume d’écoute, car la prise de son découpée au rasoir de Hugues Deschaux, nous met les oreilles dans le vif du sujet et n’élude rien des sonorités un rien agressive du Quatuor Diotima.
Les violonistes du Quatuor Diotima ne valent pas ceux des Quatuors Prazak ou Emerson. Mais les Prazak ou les Emerson n’enregistrent pas Durosoir… Or ce disque est littéralement vertigineux. Surtout au moment où il paraît… En effet, l’interprétation de la 2e Symphonie de Roussel par Stéphane Denève (Naxos) a mis le doigt sur une noirceur, une amertume post-Grande Guerre dans une certaine création musicale française, qui n’avait jamais été mise en avant à ce point. Or les Quatuors de Lucien Durosoir (1878-1955) expriment exactement cela. Ils illustrent un pan de la création musicale française, loin de l’élégance de Debussy et Ravel, qui produit des œuvres ressemblant à un écho grave et amer de la tragédie de la guerre.

Plus encore que dans la 2e Symphonie de Roussel, on a l’impression d’entendre ici, quarante ans avant, les prémices des grandes œuvres de Chostakovitch. Les mouvements lents des Quatuors n° 1 et 2, notamment, sont une plongée abyssale dans la noirceur du monde. On notera par exemple à quel point dans la Berceuse du Quatuor n° 2 la mélodie qu’on attend n’éclot jamais (un peu comme cet allegro qui n’arrive pas dans la Symphonie funèbre de Joseph Martin Kraus). Les flottements harmoniques, les frottements aussi, une sorte « d’incertitude du lendemain » (dans le sens où on ne peut pas deviner la phrase ou la note qui va suivre) sont les caractéristiques de ces partitions.

On le pressent à l’écoute : Durosoir est un musicien de la Grande guerre. Violoniste, il y rencontra le violoncelliste Maurice Maréchal et le compositeur André Caplet. Et c’est vrai que c’est à l’énigmatique Caplet qu’il faut le comparer. La notice propose de remarquables analyses des œuvres, qu’il serait inepte de paraphraser. Mais certaines assertions décrivent très bien en fait ce à quoi on est en droit de s’attendre et méritent d’être citées:

« La circulation des thèmes essentiels à travers plusieurs mouvements fait de ces trois quatuors des œuvres plus ou moins résolument cycliques. La tonalité, assumée comme fondatrice, se dissout dans une abondance d’altérations qui créent des rencontres sonores inattendues et une harmonie très personnelle. Les superpositions rythmiques tendent à densifier le tissu instrumental et à brouiller la stabilité rythmique. » Vous le comprenez à partir de ces données : l’univers de Durosoir est un monde instable où tout est perpétuellement remis en cause.

Ce n’est pas le chemin de la facilité auquel nous invite ce compositeur injustement méconnu. Ses compositions reposent sur une image sonore rude due à la trituration du matériau musical et à « l’indépendance dans la fusion » qu’il exige de la part de ses musiciens. Le Quatuor Diotima est à la hauteur de ces défis. Aux auditeurs, maintenant, de graver les pentes escarpées de ce massif d’une imposante exigence.« 

À l’émotion de Christophe Huss,

on peut confronter ce qu’était _ et demeure, renforcée par les écoutes des œuvres aux concerts ! _ la mienne, à l’ouverture même de mon blog, le 4 juillet 2008 ; j’intitulais mon article Musique d’après la guerre

De même qu’on peut aussi jeter un œil à cet autre article, le 17 juillet suivant, à propos de la réception des œuvres par la critique (et son cérumen aux oreilles) : de la critique musicale (et autres) : de l’ego à l’objet _ vers un « dialogue »

Et pour revenir au propos de fond de cet article-ci,

merci encore à Brigitte François-Sappey

de son si beau et riche travail en ce lumineux panorama…

Titus Curiosus, ce 15 avril 2013

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