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Maxim Emelyanychev et il pomo d’oro en extraordinaire état de grâce dans les Symphonies n°1 (« the beginning ») et n°41 (« the end ») de Mozart : un sublimissime (de vie !) CD Aparté AP 307 ; ou la pressante question de l’énigme de l’idiosyncrasie du style…

04fév

Ce que j’ai, bien à tort _ et gravement, j’en demande pardon ! _, négligé de dire dans mon article d’hier « « ,

c’est que Maxim Emelyanychev, non seulement est absolument magnifique en la grâce ultra-vivante et justissime de son jeu si fin, si vif et si pleinement « mozartien » au pianoforte _ cf la vidéo (de 6′ 39) du sublime adagio du 23e Concerto en la majeur K. 488, achevé de composer le 2 mars 1786 ; interprétation à comparer avec celle de cette vidéo du même adagio par Andreas Staier et Le Concert de la Loge dirigé par Julien Chauvin : l’adagio tendrissime de Maxim Emelyanychev est sans la moindre complaisance pré-romanticissante, encadré qu’il est par deux sublimes (eux aussi) jubilatoires allegros ; quelle merveille !.. _mais qu’il est peut-être plus encore absolument transcendant et magistral dans la conduite si merveilleusement « naturelle » de jubilatoire _ enthousiasmante ! _ évidence de son superbe orchestre d’instruments anciens _ quelle saveur extraordinaire révèle ici chacun des instruments ainsi joués par de tels si magnifiques et parfaits instrumentistes ! _ qu’est ce magique il pomo d’oro…

Ces deux premières symphonies de Mozart données-enregistrées ici, soient la première K. 16, en mi bémol majeur, de 1764, et la quarantième et ultime K. 551, en ut majeur, « Jupiter« , de l’été (août) 1788, n’ont probablement jamais connu jusqu’ici de pareille si juste, vivante et profondément marquante incarnation au disque, en ce magique _ oui ! _ CD Aparté AP 307.

Et ne pas mettre l’accent là-dessus serait la plus terrible injustice à l’égard de ce génial chef si parfaitement musicien qu’est Maxim Emelyanychev ;

ainsi qu’à l’égard aussi, bien entendu, de chacun des membres présents ici de ce formidable ensemble qu’est décidément, CD après CD, cet extraordinaire il pomo d’oro

Le principal et fécondissime apport de ce début de réalisation de ce projet d’exploration symphonique mozartien de Maxim Emelyanychev, est de si bien ici s’approcher, et nous donner à ressentir, bel et bien, en cette recherche interprétative effective _ les enregistrements de ce CD Aparté ont été réalisés sous la direction artistique de Nicolas Bartholomée à Paris, en l’église Notre-Dame du Liban, du 28 au 30 juin 2022 : c’est l’excellent Nicolas Bartholomée qui avait été le directeur artistique de l’enregistrement, à Saint-Michel-en-Thiérache, du CD de la Simphonie du Marais « Un Portrait musical de Jean de La Fontaine« , l’été 1995 : j’étais présent tout au long des séances d’enregistrement ; et cela m’avait, bien entendu passionné ! _, ce qui constitue la génialissime idiosyncrasie mozartienne,

de son départ _ tout du moins pour ce qui concerne ici le volet de l’œuvre symphonique, qui va du K. 16, noté en 1764, au K. 488, noté en 1788… _, à son apogée,

tout du moins pour ce qui concerne le volet symphonique de l’œuvre de Mozart…

C’est-à-dire plus précisément en s’interrogeant, au plus près de la musique symphonique ainsi notée au vol de la composition par Mozart, sur ce qui, en le K. 16 de 1764, anticipe en quelque sorte déjà tout le reste _ symphonique, donc, mozartien _ qui suivra, année après année ;

et, de même, sur ce qui est venu nourrir, infinitésimalement, au fil de la succession des œuvres réalisées, au fil des ans, cet absolu chef d’œuvre symphonique étourdissant-éblouissant qu’est cette radieuse Symphonie « Jupiter » K. 551 d’août 1788…

Ou encore,

puisque, selon l’intuition justissime de ce contemporain de Mozart (Salzbourg, 27 janvier 1756 – 5 décembre 1791) qu’a été Buffon (7 septembre 1707 – 16 avril 1788) _ son magnifique « Discours sur le style » a été prononcé à l’Académie française le jour de sa réception, le 25 août 1753 _« le style, c’est l’homme même« ,

qu’est ce donc qui constitue et crée l’essence la plus fondamentale et si reconnaissable _ quasi instantanément à l’écoute ! _ de ce miraculeux rayonnant _ mais pas jusqu’à l’insolence… _ style mozartien _ tel qu’a pu en baver de jalousie le moins génial, plus laborieux, Antonio Salieri, comme est venu le figurer l‘ »Amadeus » de Milos Forman, en 1984… 

Nul doute, déjà, que Maxim Emelyanychev, dans Mozart, ici, comme en d’autres de ses explorations du champ musical, nous réserve encore maintes merveilleuses découvertes et surprises de révélations _ mais oui, à ce point ! _ des œuvres, par sa si vivante et jubilatoire interprétation…

Mais, déjà, et pour aujourd’hui :

« Chapeau, Messieurs, bien bas, à vous tous, superbes interprètes » de ce grand « PETIT DISQUE ROUGE » d’Aparté…

….

Ce samedi 4 février 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pelé : je me souviens de la demi-finale de la Coupe du Monde en Suède en 1958…

29déc

Pelé est mort.

Je me souviens de la formidable demi-finale de la Coupe du Monde en Suède en 1958.  

Et de la grâce quasi surnaturelle de ces instants ludiques magiques, dépourvus de la moindre agressivité et violence, de ce jeu-ballet des deux équipes de France _ Kopa, Fontaine, Piantoni, entre autres _ et du Brésil, ce jour-là.

Instants parfois retrouvés par la grâce extraordinaire de quelques autres moments du gracile merveilleux jeu-ballet fluide de quelques autres joueurs, à leur tour, de génie,

tels qu’un Johan Cruyff, Michel Platini, Alain Giresse _ son merveilleux but de Séville contre l’Allemagne ; avec ses inoubliables gestes de pure joie qui ont suivi… _, Zinedine Zidane, et, maintenant Kylian Mbappé,

ainsi que le magnifique Antoine Griezmann en l’inspiration follement élégante de ses grands jours… 

Ce jeudi 29 décembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

A propos de l’opéra « La passagère » de Weinberg : un double CD Capriccio et un DVD Naxos pour une même production réalisée à Graz…

25sept

Crescendo vient, cette année 2022, de consacrer deux articles successifs, et chacun sous la plume de Jean Lacroix, à l’opéra  « La Passagère » de Mieczyslaw Weinberg,

le premier, le 15 février, intitulé « La Passagère de Weinberg, un opéra dans l’ombre funeste d’Auschwitz« , pour un double CD C 5455 paru au label Capriccio,

et le second, le 22 septembre, intitulé « Die Passagierin de Weinberg à Graz : un bouleversant choc émotionnel sur DVD« , pour un DVD Naxos 2. 110713 réalisé pour la même production à Graz…

La Passagère de Weinberg, un opéra dans l’ombre funeste d’Auschwitz

LE 15 FÉVRIER 2022 par Jean Lacroix

Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : La Passagère, opéra en deux actes, huit scènes et un épilogue, op. 97. Dshamilja Kaiser (Lisa), Nadja Stefanoff (Marta), Will Hartmann (Walter), Markus Butter (Tadeusz) et une quinzaine d’autres chanteurs. Chœurs de l’Opéra de Graz ; Orchestre Philharmonique de Graz, direction Roland Kluttig. 2021. Notice en allemand et en anglais. Livret complet en allemand, avec traduction anglaise. 156.00. Un album de deux CD Capriccio C5455.

La jeune résistante polonaise Zofia Posmysz, née en 1923, n’a que dix-neuf ans lorsqu’elle est arrêtée par la Gestapo. Après un passage par la prison de Cracovie, elle aboutit à Auschwitz, y subit des expérimentations médicales, mais est sauvée par un médecin du camp. Elle participe aux marches de la mort et se retrouve au camp de Ravensbrück. Elle est libérée par les soldats américains en 1945, devient journaliste et écrivaine. En 1962 _ la date est bien sûr à remarquer _ , elle écrit un texte, La Passagère de la Cabine 45, qui est adapté à la radio puis au cinéma. Dimitri Chostakovitch recommande ce récit au musicologue Alexander Medvedev qui en fait part à Mieczyslaw Weinberg, seul rescapé, rappelons-le, d’une famille décimée dans les camps de concentration nazis. Weinberg termine en 1968 _ voilà _ son opéra qui porte le titre La Passagère.

Mais l’œuvre n’est pas appréciée par le régime soviétique qui y voit peut-être un danger d’une dénonciation des goulags, et elle n’est pas jouée. Ce n’est que dix ans après la disparition du compositeur, en 2006 _ toujours ces dates importantes _, qu’une version de concert en est donnée. Une première scénique a lieu en 2010 _ voilà _ au Festival de Bregenz avec les Chœurs de la Philharmonie de Prague et l’Orchestre Symphonique de Vienne menés par Teodor Currentzis, avec Michelle Breedt dans le rôle de Lisa et Elena Kelessidi dans celui de Marta. Le spectacle est filmé sur DVD pour le label Neos, repris par Arthaus en 2015. Il est joué la même année au Grand Théâtre de Varsovie _ voilà _, puis sera donné à Francfort, à Chicago, à Houston ou à Detroit. Un nouvel enregistrement sur CD, une réalisation de l’Opéra de Graz en février 2021, est maintenant disponible. Zofia Posmysz, qui a survécu à l’horreur, est aujourd’hui âgée de 98 ans.

L’action débute en 1960, sur un bateau en partance pour le Brésil sur lequel voyagent Lisa et son mari Walter qui est diplomate. Lisa croit reconnaître parmi les passagères une femme qu’elle croyait morte : Marta, qu’elle a connue au camp de concentration d’Auschwitz, où elle était gardienne, ce que son mari _ Walter, donc _ ignore. Pressée de questions, Lisa lui avoue son passé, ce qui crée une tension dans le couple. La suite va se dérouler entre réminiscences du camp et scènes sur le bateau _ voilà. Lisa culpabilise et devient angoissée, ne sachant comment Walter va réagir. Inquiet pour sa carrière _ de diplomate, donc _, ce dernier finira par la calmer en évoquant l’inéluctabilité du passé et la nécessité de l’oublier et de le laisser derrière soi. Parallèlement, l’histoire de la détenue Marta _ survivante d’Auschwitz _ se développe. A son arrivée à Auschwitz, Lisa_ la kapo _ l’a choisie pour confidente. Une liaison naît entre Marta et Tadeusz, un autre détenu. Lisa, dont l’attitude est ambigüe, autorise leur rencontre, mais Tadeusz en refuse une autre. Après une séquence de scènes de la vie quotidienne dans le camp, avec vexations puis sélection finale, marche des SS à l’appui, retour sur le bateau et au salon où dansent Lisa et Walter. La passagère inconnue est présente et réclame que l’on joue la valse favorite du commandant du camp de concentration. Lors de la scène suivante, Tadeusz est sollicité à Auschwitz par l’officier supérieur pour interpréter cette même valse. Il se borne à jouer la Chaconne de Bach, est condamné à mort et exécuté. Dans l’épilogue, Marta se souvient de Tadeusz et de ses codétenues. Elle promet de ne jamais les oublier. Un doute subsistera : est-elle vraiment l’ancienne prisonnière ?

Pour ce livret tragique, qui a dû évoquer en lui bien des douleurs liées au destin de ses proches, Weinberg a écrit une partition chargée d’un lyrisme sardonique _ voilà _, à la fois puissante et foisonnante, avec une orchestration abondante, riche en cuivres (six cors, quatre trompettes, trois trombones, un tuba), avec un saxophone, un célesta, une guitare, une batterie jazz et un accordéon. Mais cette abondance est contrôlée par une subtile expressivité, d’où émergent des moments de délicatesse et de mélancolie pleine d’émotion, mais aussi d’ironie. L’audition sur disque ne rend sans doute pas compte de l’impact que la version filmée de Currentzis donnait, avec une scène qui partageait l’action sur le bateau et la vie concentrationnaire. Mais elle reproduit bien la force d’un sujet qui se traduit par une énergie mélodique permanente _ voilà _, dans un discours postromantique et moderne à la fois, avec cette complémentarité populaire que Weinberg a toujours si bien exploitée _ oui ! Si le début de notre siècle rend enfin justice à ce compositeur de premier plan _ majeur ! _, il est certain que le volet opératique de son répertoire (sept oeuvres _ très méconnues _, parmi lesquelles Le Portrait d’après Gogol, L’Idiot d’après Dostoïevski, La Vierge et le Soldat, dont les livrets ont été rédigés aussi par Alexander Medvedev), est à approfondir _ certes…

Cette production de l’Opéra de Graz est des plus convaincantes. Dans le rôle de Lisa, la mezzo Dshamilja Kaiser, qui a passé plusieurs années comme membre permanente de cette maison autrichienne, investit avec vérité un personnage assailli par le retour du passé, la crainte de la réaction du mari et la culpabilité qui l’envahit. Le baryton Will Hartmann, qui s’est déjà produit à la Scala de Milan, à l’Opéra de Vienne ou à Covent Garden, campe un époux sidéré par la découverte du passé de son épouse, partagé entre cette nouvelle qui peut mettre en danger sa carrière et un réalisme qu’il juge nécessaire face au passé. Un certain cynisme conduit son action, bien rendue vocalement. La soprano Nadja Stefanoff, qui a été déjà Médée, Tosca et Norma, est émouvante en Marta, rescapée du camp, dont les souvenirs la poursuivent. Quant au baryton autrichien Markus Butter, auquel est attribué le rôle tragique de Tadeusz, il est poignant dans le courage qu’il déploie lors de son affrontement avec le commandant. Les autres protagonistes, nombreux, sont sans reproche. Menés avec conviction par Roland Kluttig, en poste à Graz depuis 2020, les chœurs et l’orchestre soulignent toute la capacité dramatique de cet opéra qui mérite une place de premier plan.

Si cette version s’impose sur le plan discographique pour sa dynamique émotionnelle, captée dans une prise de son bien définie, il est préférable, pensons-nous, de considérer que le DVD Arthaus dirigé par Currentzis, cité plus avant, devrait être la première étape pour découvrir une partition forte à laquelle les images apportent un surcroît de tragédie _ voilà ; mais l’opéra est aussi (ou d’abord) fait pour être aussi regardé…

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

Die Passagierin de Weinberg à Graz : un bouleversant choc émotionnel sur DVD

LE 22 SEPTEMBRE 2022 par Jean Lacroix

Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Die Passagierin, opéra en deux actes, huit tableaux et un épilogue, op. 97. Dshamilja Kaiser (Lisa), Nadja Stefanoff (Marta), Will Hartmann (Walter), Markus Butter (Tadeusz), Tetiana Miyus (Katja), Mareike Jankowski (Hannah), Joanna Motulewicz (Bronka), et une douzaine d’autres chanteurs. Chœurs de l’Opéra de Graz ; Orchestre Philharmonique de Graz, direction Roland Kluttig. 2021. Notice et synopsis en anglais et en allemand. Sous-titres en allemand, en anglais, en japonais et en coréen, mais pas en français. 163.00. Un DVD Naxos 2. 110713. Aussi disponible en Blu Ray.

L’année dernière paraissait, en un album de deux CD (Capriccio C5455), l’opéra de Weinberg, Die Passagierin (La Passagère), capté à Graz les 11 et 12 février 2021. Voici maintenant la version en images de cette production, filmée aux mêmes dates _ voilà. Ce diptyque est complémentaire : le texte complet du livret, écrit en plusieurs langues (allemand, polonais, français, anglais, hébreu) n’est pas présent dans la structure DVD/Blu Ray ; il peut par contre être consulté dans l’album Capriccio, en traductions allemande et anglaise.

Nous avons consacré un long article, le 15 février dernier, à la version discographique ; nous renvoyons le lecteur à ce texte pour ce qui concerne les circonstances de la composition, son rejet par le régime soviétique et sa première scénique tardive en 2010, quarante-deux ans après sa conception. Nous avions alors conclu : « Si cette version s’impose sur le plan discographique pour sa dynamique émotionnelle, captée dans une prise de son bien définie, il est préférable, pensons-nous, de considérer que le DVD Arthaus dirigé par Currentzis devrait être la première étape pour découvrir une partition forte à laquelle les images apportent un surcroît de tragédie. » Mais voilà que la production filmée de Graz bouleverse les données ! _ ah ! Nous ne pensions pas si bien dire en précisant _ voilà _ que « les images apportent un surcroît de tragédie » : sans rien enlever aux qualités de la version de Teodor Currentzis, qui est la première dans l’ordre chronologique, avant la création russe en 2016, à Ekaterinenbourg (un DVD Dux dont nous n’avons pas eu connaissance _ je le possède _), celle de Graz ne laisse pas le spectateur intact sur le plan émotionnel _ voilà. Le niveau en est remarquable, à tous points de vue, avec une montée en puissance progressive dans l’acte II.

C’est en regardant la version, très bien filmée, de cette production styrienne, mise en scène par l’Allemande Nadja Loschky qui a déjà fait ses preuves dans Mozart, Puccini, Dukas ou Britten, que l’on prend vraiment conscience _ je le note _ de l’agitation intérieure de Lisa, en voyage avec Walter, son mari diplomate, sur un bateau en partance pour le Brésil en 1960. Lisa a été gardienne à Auschwitz, ce que son mari ignore. Elle croit reconnaître, parmi les passagères, Marta, qui y fut prisonnière et envers laquelle elle avait eu une attitude ambigüe, la prenant pour confidente et favorisant ses amours pour un autre détenu, Tadeusz, tout en affichant une cruauté sadique ; Lisa croyait Marta morte à Auschwitz _ voilà. Le passé resurgit _ donc ici _, avec tout son poids accusateur. L’action va se dérouler entre réminiscences du camp de concentration et scènes sur le bateau _ voilà _, dans une atmosphère de plus en plus oppressante. Pendant tout le spectacle, il y a _ ici, en cette mise en scène-ci de Nadja Loschky _ la présence récurrente et muette d’une vieille femme qui ira jusqu’à revêtir l’uniforme des gardiennes du camp de la mort. Elle se charge _ là, sur le bateau voguant vers le Brésil _ de déplacements d’objets et de mises en place et assiste, ignorée de tous, au déroulement des faits. Etrange figure fantasmatique _ voilà _, aux mimiques remarquables, dont la signification n’est ni évidente ni expliquée. S’agit-il de Lisa au terme de son existence ? La question est ouverte. L’identité de la comédienne (Isabella Albrecht ?) n’est pas claire pour nous au sein de la copieuse distribution _ tiens, tiens : le livret du DVD mentionne pourtant bien explicitement : « Lisa as an old woman : Isabella Albrecht« … 

La production de Graz possède quatre atouts majeurs. La mise en scène, réaliste et sobre à la fois, plante un décor glauque _ voilà. A l’acte I, qui raconte le contexte _ du voyage sur le bateau voguant vers le Brésil _ et entraîne l’aveu du passé de Lisa à Walter, on éprouve l’impression d’être à fond de cale plutôt que dans un restaurant, avec des lumières bleu-vert sombres. Le vaste espace, souvent nu et dépouillé, parfois garni de chaises ou de tables, est constitué de casiers vides et d’armoires fermées, où chaussures et vêtements des condamnées seront consignés, de longs couloirs apparaissant ou disparaissant au fil du récit. Tout cela donne une sensation étouffante d’enfermement _ voilà. Le deuxième atout, c’est la crudité instrumentale _ oui _ instillée par la direction de Roland Kluttig au sein d’une abondante orchestration, puissante et percussive _ voilà. Le chef saisit à bras-le-corps la musique de Weinberg, aussi évocatrice dans le drame que dans la satire. Celle-ci est portée à son comble lors de la séquence de SS ridicules, assis sur des latrines à la scène 2, ou dans la pantomime qui précède la scène 4.

Cette direction véhémente offre au jeu scénique, troisième atout _ voilà _, une force expressive accentuée par l’investissement des chanteurs, qui se révèlent de parfaits comédiens _ et c’est évidemment capital. Les qualités vocales des uns et des autres, qu’il s’agisse de l’homogénéité des chœurs ou des prestations individuelles _ oui _, forment le quatrième atout. Les voix sont belles et bien distribuées _ c’est forcément important. La mezzo Dshamilja Kaiser est une Lisa affolée _ voilà _ par le retour de son passé : elle souligne parfaitement son ambivalence de gardienne, nourrie d’une froide cruauté, puis sans remords. Le baryton Will Hartmann est l’époux idéal de Lisa, sidéré _ oui _  par ce qu’il apprend et affolé _ oui _ par la crainte de voir sa carrière gâchée par son mariage avec une ancienne SS, mais cyniquement désireux d’oublier les faits _ voilà. Le couple Marta/Tadeusz, qui va vivre une histoire d’amour à Auschwitz avec l’aide consentante, mais non dépourvue de duplicité, de Lisa, est incarné par la soprano Nadja Stefanoff, extraordinaire de présence _ et c’est nécessaire _, et le baryton Markus Butter. Tous deux sont exemplaires de dignité humaine _ voilà ; cf là-dessus les indispensables récits (« Être sans destin« , « Le Chercheur de traces« …) d‘Imre Kertész _ dans cet univers de folie, mis à nu par les rôles des autres prisonnières dont la destinée n’a pour issue que la mort. Le reste de la distribution est impeccable. Parmi la quinzaine de rôles, qui ne méritent que des éloges, on saluera les prestations de la soprano Tetian Miyus et des mezzos Joanna Motulewicz et Mareike Jankowski. Chaque prisonnière va faire entrer le spectateur dans sa vie personnelle _ en la singularité de son expression, même si brève ici,  de personne _, par le biais d’un air mélancolique, d’un souvenir de jours heureux ou d’une invocation religieuse ; c’est poignant et interpellant _ voilà _, car la conscience de la disparition _ quasi _ inévitable _ avec si peu de chances de réchapper ; surtout pour elles qui n’y ont pas réchappé… _ est palpable à travers le chant, qui peut se concrétiser en un cri de désespoir ou de résignation.

La montée en puissance tragique ne cesse de grandir _ voilà, le temps que le met le souvenir tragique à traverser la chappe de plomb de l’oubli de toutes les années qui précèdent l’événement de ce resouvenir putride… _ _ pour trouver son apogée dans l’acte II, à partir de la scène 6, dans le baraquement des femmes _ d’Auschwitz _ où, après humiliations, la sélection impitoyable a lieu. Ironie morbide : les numéros de celles qui vont être exécutées sont annoncés et chaque plaque chiffrée est apportée par un serveur du restaurant du bateau. Le moment est _ proprement _ insoutenable : après les exécutions, les corps sont relégués dans de longs tiroirs d’armoires _ du bateau _, symboles des fours crématoires. Marta ne fait pas partie de l’élimination, un sort différent lui est réservé. Avant de le découvrir, la scène 7 se déroule sur le bateau : Lisa et Walter, décidés à tourner la page, sont dans le salon où des couples dansent. Marta demande à ce que l’on joue la valse préférée du commandant d’Auschwitz. Il n’y a plus d’hésitation à avoir : c’est bien la rescapée ! Lisa veut l’affronter, mais elle se dérobe.

La scène 8 est vraiment cruelle : retour à Auschwitz. Tadeusz, presque nu, est placé devant des cadavres alignés dans des casiers et sommé de jouer la fameuse valse au violon, mais il s’y refuse et se lance par défi dans la Chaconne de Bach. Sa mort sous les coups, même si elle est montrée de façon virtuelle, glace le sang. On distingue alors furtivement la présence de Marta, forcée d’y assister. Dans l’épilogue, Marta, qui a survécu, est seule en scène ; elle évoque le souvenir de Tadeusz et de ses amies disparues, et promet _ voilà _ de ne jamais les oublier _ pour annuler cette seconde mort perpétuelle que serait leur définitif oubli, sans noms… Ce désespoir, que l’on vit avec elle, on en mesure la dignité : elle n’a révélé à personne qui était réellement Lisa, préférant le silence et l’éloignement à l’accusation et à la vengeance _ voilà. 

Cette production de Graz est une expérience musicale et vocale très forte _ oui _, qui rend justice au génie _ voilà ! _ de Weinberg dont la famille a disparu, elle aussi, dans les camps de la mort. Mais c’est avant tout une aventure humaine qui laisse au fond du cœur et de l’âme du spectateur un goût amer de souffrance partagée _ via l’œuvre musicale, où s’adjoignent ici la force propre des images de la scène, ici captées au DVD. On pense alors avec une infinie émotion à celle qui a vraiment vécu cette épouvantable épreuve, la résistante polonaise Zofia Posmysz, qui n’avait que 19 ans lorsqu’elle fut internée à Auschwitz, puis participa aux marches de la mort. C’est à partir de son histoire, qu’elle a racontée dans un récit _ en 1962 _, que cet opéra _ achevé de composer en 1968 _ a vu le jour. La destinée a voulu qu’elle disparaisse le 8 août dernier, à l’âge de 98 ans, entre la parution de l’album Capriccio et la sortie du DVD _ voilà. Lorsque Marta prononce l’épilogue, une image récente de Zofia Posmysz _ qui vivait encore ces 11 et 12 février 2021, quand furent prises ces images, sur la scène de Graz _ apparaît sur un rideau de fond de scène. Ce témoignage filmé devient dès lors un hommage vibrant à sa mémoire.



Note globale : 10

Jean Lacroix

Mieczyslaw Weinberg est une compositeur essentiel, auquel j’ai consacré de multiples articles enthousiastes de ce blog…

Et transmettre l’excellence

est bien sûr, et à tous niveaux, un devoir culturel primordial et capital : fondamental…

Ce dimanche 25 septembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Interpréter les Lieder de Schubert : Alice Coote, mezzo-soprano, avec le piano de Julius Drake, un admirable lumineux CD !

15août

Bien sûr ne manquent pas, au disque, de sublimes interprétations des sublimes Lieder de Schubert…

Alors comment situer en cette très belle discographie le récent « Schubert 21 Songs« , soit le CD Hyperion CDA 68169, de l’excellente mezzo-soprano Alice Coote, avec le piano hyper-attentif de l’excellent Julius Drake ?..

Eh bien, au plus haut !!! 

Quel sublime art de dire et de chanter

avec une telle fluidité, tendresse, lumineuse clarté, et parfaite justesse.

Pour ne rien dire du parfait accompagnement, avec une si délicate écoute en dialogue, de Julius Drake au piano…

Sur ce magnifique CD d’Alice Coote et Julius Drake,

je partage donc pleinement l’appréciation de Patrice Lieberman en son article « Alice Coote et Julius Drake touchent juste dans Schubert« ,

paru sur le site Crescendo le 8 août dernier…

Alice Coote et Julius Drake touchent juste dans Schubert

LE 8 AOÛT 2022 par Patrice Lieberman

Franz Schubert(1797-1828) : An den Mond, D.259; Wandrers Nachtlied I(Der du von dem Himmel bist), D.224; Im Frühling, D.882,Der Zwerg, D. 771;Ständchen, D. 957; Seligkeit, D.443; Abendstern, D.806; Der Tod und das Mädchen, D.531; Litanei über das Fest Aller Seelen, D.343; Rastlose Liebe, D.138; Ganymzed, D.544; An Silvia, D.891; Der Musensohn, D.764; Lachen und Weinen, D.777; Erlkönig, D.328; Nacht und Träume, D.827; Auf dem Wasser zu singen, D.774; Im Abendrot, D.799; Frühlingsglaube, D.686; Wanderers Nachtlied II (Über allen Gipfeln), D.768; An den Mond, D.2396. Alice Coote (mezzo-soprano); Julius Drake (piano). 2022. 71’36.Textes de présentation en anglais, textes chantés en allemand et anglais. Hyperion  CDA68169

C’est un très beau _ oui ! _ et généreux florilège du lied schubertien que nous offrent ici l’excellente mezzo Alice Coote et son non moins excellent compatriote et partenaire (on n’ose utiliser ici le terme d’accompagnateur), le subtil Julius Drake _ excellents, et même parfaits, tous deux, en ensemble, dans leur admirable perception de l’idiosyncrasie schubertienne : à saluer bien bas !

La mélodie schubertienne n’a cessé d’attirer les plus grands chanteurs depuis l’aube de l’enregistrement sonore _ en effet _, et il est _ très _ bon – même si certains garderont pour toujours une indéfectible allégeance à certains interprètes d’un passé plus ou moins récent – de voir comment une des meilleures vocalistes de la génération moyenne aborde ce type de répertoire aujourd’hui _ mais oui !

Autant l’annoncer tout de suite, cette parution est une très belle réussite _ oui ! D’abord, par sa programmation intelligente qui mélange avec intérêt certains des Lieder les plus connus de l’auteur (Le Roi des Aulnes, La Jeune fille et la Mort, la célébrissime Sérénade) avec d’autres connus  ou moins connus, comme la Litanei über das Fest Aller Seelen (Litanie sur la Fête de Toussaint).

La mezzo britannique qui met son beau timbre soyeux _ oui _ au service de ce genre si piégeux qu’est le lied trouve avec un naturel confondant _ mais oui ! _ un heureux moyen terme _ oui, un très juste équilibre, en effet… _ entre la priorité accordée au beau chant ou celle à conférer à la déclamation dramatique plutôt qu’à la ligne mélodique. Sur le plan purement vocal, Alice Coote fait valoir un magnifique mezzo aux couleurs claires _ lumineusement et délicatement claires ! _ et aux registres homogènes _ voilà _ ainsi qu’une maîtrise technique irréprochable _ en  effet. Articulant toujours avec soin _ oui : comme c’est absolument nécessaire _, elle fait entendre parfaitement _ oui ! _ chaque mot des poèmes, impeccablement enchâssés dans une ligne mélodique menée, grâce à une respiration  parfaitement _ oui ! _ maîtrisée, avec une grande sûreté et sans la moindre distorsion _ toutes ces appréciations sont de la plus grande justesse… Qui plus est, elle se montre fine et sensible interprète d’une musique dont elle saisit le caractère d’intimité _ oui _ et de confidence _ oui _ à la perfection _ voilà. Si son approche générale est de ne pas faire de ces morceaux des mini-drames, elle se hasarde cependant à jouer les quatre protagonistes du Roi des Aulnes – le narrateur, l’enfant, le père et le Roi – en variant habilement son timbre pour chacun d’entre eux, mais sans _ jamais _ tomber dans la caricature.

De même, Alice Coote évite tout sentimentalisme _ oui _ dans la Sérénade rendue avec beaucoup d’élégance mais sans le moindre sentimentalisme, et elle est également sensible à l’agitation de Rastlose Liebe ou à l’entrain de Der Musensohn.

Dans Auf dem Wasser zu singen, elle rend très bien – parfaitement aidée par Julius Drake, partenaire aussi _ merveilleusement _ attentif qu’imaginatif –  le balancement du bateau comme le flux et le reflux de l’eau. La chanteuse se montre particulièrement prenante dans l’hymne panthéiste qu’est le splendide et profond Im Abendrot, sur un poème du peu connu Karl Lappe.

On l’aura compris: ce disque – dont on se demande d’ailleurs pourquoi Hyperion a attendu près de cinq ans pour le sortir – mérite _ absolument ! _ sa place dans la discothèque de tout amateur du genre.

Son 10 – Livret 9 – Répertoire 10 – Interprétation 9

Un admirable lumineux CD, donc,

et tout à fait indispensable !

Ainsi qu’à conseiller à qui désire découvrir en toute sa palette et intime évidence le sublime génie du lied de Schubert !

D’Alice Coote,

je possède le très beau _ et lumineux et tendre, lui aussi _ CD Hyperion CDA67962 « L’Heure exquise _ A French Songbook« , avec le piano de Graham Johnson, enregistré en octobre 2012

Ce lundi 15 août 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ressentir le sublime du CD « Reynaldo Hahn Poèmes & Valses » de Pavel Kolesnikov : mon enthousiasme du 2 juillet dernier rejoint ce 11 août 2022 par l’enthousiasme de Jed Distler sur ClassicsToday.Com : un événement discographique absolument exceptionnel !..

11août

En procédant ce jeudi 11 août 2021 à ma revue quotidienne de mes sites musicaux et discographiques préférés du Web,

j’ai le plaisir de constater que l’enthousiasme de mon article «  » du 2 juillet dernier

vient d’être rejoint et partagé par Jed Distler sur l’excellent site Resmusica, en un bel article archi-significatif, intitulé, lui, « Heavenly Hahn from Pavel Kolesnikov« ,

que voici :

Heavenly Hahn From Pavel Kolesnikov

Review by: Jed Distler

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Artistic Quality: 10

Sound Quality: 10

Most pianists who’ve recorded all or some of the 53 piano miniatures encompassing Reynaldo Hahn’s Le rossignol éperdu understandably emphasize the music’s inherent charm. By contrast, Pavel Kolesnikov searches for and often achieves profundity _ voilà ! He does this by way of generally slower tempos that lend themselves to a wide palette of dynamic gradations, variety of touch, and rapturous long-lined legato. Kolesnikov’s soft introduction to the opening selection Frontispice presages the interpretation’s brooding and muted subtext, while the closing selection Ouranos conveys a transparent, almost disembodied sound-world unmatched by other recordings of this piece. On the other hand, Les noces du duc de Joyeuse takes deliciously playful and supple wing, as do the rapid figurations in La fête de Terpsichore.

Indeed, each of Kolesnikov’s 19 selections from this cycle are models of interpretive refinement and sensitivity _ oui. Similarly, Kolesnikov elevates six admittedly salon-ish pieces from Hahn’s Prèmieres valses to high art ; listen to Ninette’s staggeringly controlled downward scales, Valse noble’s soaring grandeur, or notice the perfect alignment and articulation of No. 6 _ Assez vite _ ‘s speedy figurations and you’ll agree. In short, there’s no better Reynaldo Hahn piano collection on the market _ en effet ; et c’est incontestable ! Atypical of Hyperion, the booklet notes offer fanciful commentary from the pianist _ oui : et j’en ai cité de marquants extraits en mon propre article du 2 juillet dernier… _ rather than useful composer/repertoire information.


Recording Details:

 …

Album Title: Poèmes & Valses
Reference Recording: Le Rossignol éperdu (complete) : Earl Wild (Ivory Classics)

  • HAHN, REYNALDO:
    Le rossignol éperdu (excerpts) ; Premières valses (excerpts)
  • Pavel Kolesnikov (piano)

 

J’ajoute ici que cet article-ci de Jed Distler m’a appris l’existence d’un double CD _ paru chez le label Ivory Classics : 72006 _ de l’intégrale des 53 pièces du Rossignol éperdu de Reynaldo Hahn par le magnifique pianiste virtuose qu’a été Earl Wild (Pittsburgh, 26 novembre 1915 – Palm Beach, 23 janvier 2010),

un double CD paru en décembre 2001…

Le merveilleux Pavel Kolesnikov, né à Novosibirsk en 1989, lui, vit à Londres…

Écoutez-ici les 17′ 26″ des 6 pièces des « Premières Valses » de Reynaldo Hahn  Caracas, 9 août 1874 – Paris, 28 janvier 1947 _ figurant sur ce miraculeux CD Hyperion  CDA68383…

En comparant les pièces du Rossignol éperdu par Earl Wild telles qu’elles sont accessibles sur you tube,

et les interprétations de Pavel Kolesnikov en son récent CD Hyperion,

je dois dire c’est bien sous les doigts enchantés de Pavel Kolenikov que se découvre et se rencontre en l’éclat simple et vertigineux de tout son mystère le génie tout pur de Reynaldo Hahn…

Et avec quelle somptueuse évidence !

Ce CD miraculeux est un événement discographique absolument exceptionnel…

Ce jeudi 11 août 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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