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De la « non-inhumanité » d’un cinéaste d’exception : James Gray (dans « The Yards »)

06juin

A la double occasion d’un (nouveau : le troisième, en l’occurrence : le premier, ce fut « en salle », à la sortie en France du film ; et le second, lors de sa parution en DVD) visionnage de « The Yards » (le film est sorti en 1999), lors d’un passage mercredi soir) à la télévision,

et de la sortie, cette fin mai, du DVD de « Two Lovers« , le dernier film de James Gray _ cf mon article (admiratif !) du 21 novembre 2008 : « “Two Lovers” _ ou de l’”humanité” vraie du “care” dans le regard cinématographique de James Gray » _,

je suis demeuré, cette fois encore, béat d’admiration face à la très profonde « non-inhumanité« 

_ selon l’indispensable concept stieglérien (passim ; dont, par exemple, le très important « Prendre soin _ 1 de la jeunesse et des génération« ) _

de cet auteur cinéaste, James Gray ;

face à la beauté (et vérité) de cet immense film, « The Yards« , donc ;

ainsi qu’à ce que James Gray obtient de ses acteurs-interprètes :

en commençant par le visage de Mark Wahlberg, par les yeux (et le regard : les deux !) ultra-sensibles duquel, via le personnage (de Leo Handler) qu’il incarne, se déroule, pour les spectateurs fascinés du film que nous sommes, à en suivre, scène après scène, le défilement sur l’écran, l’intrigue de ce polar new-yorkais (dans le quartier de Queens, cette fois (pour « Little Odessa« , c’était dans le quartier juif russe du Bronx) ;

et en continuant par les yeux (et le regard : désolé) chargés de noir de Charlize Theron (transformée pour l’occasion en la brune Érica Stoltz) ;

mais encore à travers l’incarnation « habitée » de tous les autres acteurs :

d’abord, pivot (pour beaucoup, mais quasi à son corps défendant…) du Fatum, l’ange sombre (Willie Guttierez) que figure le d’autant plus dangereusement lisse Joaquin Phoenix (qui revient, avec Marc Wahlberg, dans « La Nuit nous appartient » ; puis sans lui, dans « Two Lovers » : en DVD cette semaine) ;

relayés du côté de ceux qui ont « sombré » par les impeccables figures que donnent à leurs personnages (de « parrain« , Frank Olchin, et de son épouse, Kitty Olchin : soient la mère d’Érica ; et son beau-père) les (toujours !) impeccables James Caan et Faye Dunaway (le premier, fragile dans les incertitudes de ses plus noires décisions; la seconde, le regard protégé par d’immensément larges verres de lunettes translucides ou teintées) ;

et du côté de ceux qui ont tant bien que mal « tenu« , mais terriblement « amochés« ,

la bouleversante, dans sa sobriété, Ellen Burnstyn, dans le personnage de Val Handler, la mère veuve et en bien mauvaise santé (au cœur près de céder…) de Léo…

C’est à un film de « regards » immergés en pleine action (violente), que nous sommes invités à assister,

en ce « réel » de concurrence exacerbée des compagnies d’entretien du métro new-yorkais,

du fait surtout de la place qu’y prennent des plans relativement rapprochés…

A part ces moments de « regards » éperdus, « pris«  (au plus près de leurs silences par la caméra formidablement attentive de James Gray, dans sa sobriété), à la toile dans laquelle se « prennent« , sans pouvoir s’en « dépêtrer« , les mouvements inchoatifs et malheureux de ses trop malhabiles protagonistes),

je noterai deux remarquables scènes-« ballet«  (si j’ose les qualifier ainsi) de « bagarres«  (mais sans le moindre formalisme, ni maniérisme de la part de la caméra ; ni a fortiori hyper-baroquisme…), mettant « aux prises« , en deux extraordinaires et imprévues accélérations des gestes, les personnages qu’incarnent,

d’une part (les deux fois) Joaquin Phoenix,

et d’autre part, dans la plus longue et en extérieur _ dans la rue _, Mark Wahlberg ;

et, dans la plus brève et en intérieur (avec escalier et étages), Charlize Theron :

le corps de cette dernière (Érica) en restera définitivement « figé« 

en une improbable figure de « poupée » désarticulée et arrêtée en une posture anguleuse, immobilisée et cassée (mi à la Hans Bellmer, mi à la Egon Schiele, peut-être…) ;

tandis que les deux autres, félins (Willie et Leo), continueront, dans la rue, à courir _ même si moins vite..

On pourra lire ici un très beau commentaire de ce film, par Alexandre Tylski

(ainsi qu’un autre, « à contresens« , lui, de ma perception : pour mieux se rendre compte de la pertinence… ; par Serge Kagansky) :

Mais d’abord, cette remarquable interview-ci de James Gray, par Olivier Nicklaus,

sur lesinrocks.com le 9 mai 2000 :

« The Yards de James Gray » :

On attendait avec impatience le deuxième film de James Gray, qui avait fait forte impression il y a cinq ans avec « Little Odessa« . « The Yards« , avec toujours New York en arrière-plan, revisite le « thème » de l’individu face à l’injustice et à la perversité.

Pourquoi une aussi longue absence ?

James Gray : ­ C’est très simple. J’ai du mal à monter les films auxquels je tiens, qui représentent un risque pour les producteurs. L’industrie du cinéma est très dure. En outre, je ne suis pas le genre de personne à avoir des tas d’idées et qui, si un projet patine, peut s’atteler à un autre. Depuis « Little Odessa« , je n’avais que « The Yards » en tête. Ce film me tenait trop à cœur pour que je l’abandonne comme ça. Je suis un réel obsédé ; et je ne suis pas prêt à faire de compromis ! Du coup _ cette « vertu » se paie ; et à un prix fort ! _, j’ai mis trois ans à le monter.

Trois ans pour convaincre les studios ?

C’est plus compliqué que ça. « Little Odessa » a obtenu un succès critique suffisant pour que les studios s’intéressent à moi. Le problème, c’est qu’ils vous veulent pour réaliser un scénario à eux. J’en ai lu quelques-uns : ils me tombaient des mains ! C’est absurde quand on y pense. Ils vous remarquent pour votre singularité _ voilà ! _, mais si vous leur proposez un projet personnel, ils _ les « instrumentaliseurs » du marketing… _ n’en veulent pas ! Là est la vraie explication des cinq ans entre « Little Odessa » et « The Yards« . Je trouvais qu’il y avait suffisamment de réalisateurs remarqués pour leur premier film, mais dont le deuxième était une merde estampillée « studio« . Alors même si j’en ai bavé pendant toutes ces années laborieuses, aujourd’hui, je ne le regrette pas. Au final, j’ai tourné le film que j’avais écrit.

« The Yards » est un projet cher ?

Mes difficultés n’ont jamais été tellement liées à l’argent, mais plutôt au casting. Les acteurs, surtout les stars, viennent vous voir en vous disant « J’ai adoré « Little Odessa« , je veux absolument être dans votre prochain film. » Et quand vous parlez réellement d’un projet avec eux, vous vous rendez compte qu’ils ne cherchent qu’une vitrine _ toujours l‘ »instrumentalisation«  et le marketing ; au rebours de la singularité de l’œuvrer « vrai«  (= authentique) !.. Moi, j’essaie de faire des films, pas des vitrines pour Untel ou Unetelle. Sur mes films, j’ai même l’ambition de réunir une équipe et que chacun ait le sentiment d’apporter sa pierre à un projet commun _ ce qu’est l’œuvrer de cinéma…

A l’arrivée, vous avez pourtant une distribution particulièrement excitante _ et encore mieux que ça ! _ : Marc Wahlberg, Joaquin Phoenix, Charlize Theron, James Caan, Ellen Burstyn, Faye Dunaway…

C’est vrai, ce sont des acteurs merveilleux _ oui !!! _, et contrairement à l’image que l’on pourrait avoir d’eux, aucun de ces six-là n’a justement _ ouf ! _ ce complexe de la vitrine. Wahlberg et Theron _ les deux regards-pivots du film… _ ont fait eux-mêmes la démarche de m’appeler pour participer au projet. Et Caan ou Dunaway savaient qu’ils n’auraient que des rôles secondaires, mais ils se sont mis d’emblée au service du film _ voilà la démarche d’un « véritable » artiste !

Quel est le point de départ du projet ?

C’est très autobiographique _ ce point est, lui aussi, important. J’ai voulu faire un film sur un groupe de personnes qui essaient _ dans la difficulté du « réel«  _ de se construire en tant que famille _ voilà… Mon père a travaillé dans le business du métro à New-York. J’ai donc beaucoup observé _ oui : avec attention et curiosité authentique… _ ce monde quand j’étais jeune, en particulier la corruption _ oui ! _ qui y règne. C’est ma version de « Sur les quais » de Kazan, en remplaçant les quais par les rames de métro. D’ailleurs, le titre du film, « The Yards« , évoque les voies de garage du métro new-yorkais.

Il y a déjà un cliché au sujet de votre cinéma : cette fameuse « noirceur« .

(Rires)… Oui, c’est vrai. Mais le monde est comme ça, je n’invente rien. « The Yards » est un drame social _ réaliste et tragique, tout à la fois _ inspiré de ma propre expérience, des gens que j’ai croisés, avec une pincée de Visconti en plus.

Visconti ou Kazan ? Ils n’ont pas vraiment le même regard sur le monde.

Oui, c’est vrai. Alors je choisis Visconti. Le Visconti de « Rocco et ses frères« . Au fond, la morale de Kazan est trop binaire, ne rend pas assez compte _ un verbe important _ des complexités du monde. Visconti n’est d’ailleurs pas ma seule influence européenne. Il faudrait aussi citer les autres Italiens : Rossellini, De Sica ; et puis les Français de la « Nouvelle Vague« .

Et les Américains ? Vous avez tourné à New York, une ville qu’ont déjà quadrillée des grands metteurs en scène comme Martin Scorsese ou Woody Allen. Comment avoir _ mais Gray ne le recherche pas : il l’a… _ un regard singulier sur cette ville ?

J’ai un ego monumental sur bien des sujets, mais, bizarrement, pas sur celui-là.

Je ne filme pas le Queens, je ne filme pas du tout à la même échelle que Scorsese. Lui, ce serait le grand angle, et moi, le plan rapproché _ voilà ! Si vous tenez à faire un film sur un sujet qui vous tient à cœur, votre singularité suivra _ tout simplement ; quand d’autres ne l’« empêchent«  pas : c’est aussi le « sujet«  même du film…

Voici, ensuite, la critique « The Yards de James Gray » avec laquelle je me sens en désaccord, par Serge Kagansky, le 30 novembre 1999, dans le numéro 253 des Inrockuptibles :

« The Yards » de James Gray séduit par sa tonalité crépusculaire et ses dialogues chuchotés.

Si « The Yards » déçoit un tantinet _ voilà… _, c’est surtout relativement à l’attente _ toujours relative, en fonction de notre « perspective » et de nos références particulières, forcément : après, il s’agit de « se hisser«  à la hauteur de l’œuvre ; si œuvre il y a (bien…) ; et pas seulement « produit« … : c’est cela que doit être l’objectif du « spectateur«  lambda, comme celui du « critique«  ayant pignon sur rue, lui… _ placée sur le nom _ devenant « marque« , « logo«  _ de James Gray, attente à la fois temporelle (cinq ans qu’on attendait ce deuxième film) et qualitative (« Little Odessa » avait laissé une empreinte durable). « The Yards » est d’ailleurs une sorte de remake de « Little Odessa« , et en même temps son contraire. Il en reprend les thèmes et les motifs : le retour du fils prodigue, le quartier et la famille, l’importance des mères vertueuses _ pas toutes _ et les figures de pères _ surtout ceux de « substitution«  (Frank Olchin), par rapport à ceux qui ont disparu (Stoltz, le père d’Érica; Handler, le père de Leo)… _ corrupteurs, la proximité de la tragédie antique et la construction sobrement opératique. Mais là où « Little Odessa » était diurne, blanc et neigeux, « The Yards » sera nocturne, noir et ocre.

Au passif du film, on notera qu’il ne renouvelle _ ah ! voilà donc le péché originel, pour la clique des « hyper-modernistes«  _ absolument pas le « genre » du film noir, que ce soit sur le plan thématique, narratif ou formel. Plastiquement, « The Yards » peut être identifié comme néoclassique _ autre pseudo tare… _, avec sa facture propre et lisse _ c’est donc un défaut : et les regards, sont-ils lisses ?.. _, et la présence trop forte du « production designer« , la plaie récurrente de la NQA (nouvelle qualité américaine). Malgré tout, « The Yards » est loin d’être un objet insignifiant _ ouf ! pas tout à fait rien qu’un « produit« _ à balayer d’un revers de regard.

A la colonne crédit _ c’est une comptabilité que cet article… _, on mettra d’abord le casting _ éblouissant, en effet ! En sus d’un Wahlberg idoine _ oui ! _ et d’un Joaquin Phoenix très Elvis 1956, on remarque la présence de chères vieilles branches (James Caan, Faye Dunaway, Ellen Burstyn) qui habitent puissamment _ en effet ! _ le film et indiquent d’où vient le désir de cinéma _ oui… _ de Gray : du cinéma américain des seventies : ­ il y a pire comme référent. Mais c’est dans les détails que le film creuse sa différence _ ou sa singularité ? non recherchée, elle… _, par exemple le son : bruits étouffés de la ville, dialogues le plus souvent murmurés, plages de silence _ c’est parfaitement ressenti et observé… « The Yards » est un film en sourdine _ oui ! _ que l’on écoute au moins autant qu’on le regarde _ en effet ! Et quand on le regarde, on garde en tête la dominante crépusculaire, mordorée de la photo, ou encore la progression déflationniste de l’histoire sur un tempo de marche funèbre. Le film échappe ainsi à l’académisme qui le menace constamment _ menace en consonance avec toutes celles de ce « réel«  dont il traite ; et auquel il ose se confronter, non sans blessures…


« The Yards » n’est certes pas terrassant d’originalité _ il le faudrait ? éperdument ??? « inrockuptiblement«  ?.. _ et si James Gray n’est pas Scorsese ou Ferrara _ ah ! bon ! serait-ce un « défaut » ? _, il rejoue certaines gammes connues _ quel dommage, entend-on penser tout fort l’auteur _ du cinéma américain avec suffisamment d’élégance _ certes : admirable ! _ et de doigté _ artisanale, technicienne ? _ pour qu’on tende _ tout de même un peu… _ l’oreille.

Serge Kagansky

Et voici, maintenant, l’analyse (non chichiteuse) que je préfère :

celle d’Alexandre Tylski dans le magazine « Cadrages » :

« L’Entrepot du mouvement« …

L’entrepôt du mouvement

Le film s’amorce dans une obscurité toute tombale. La toile est noire. Puis, par petites touches, quelques points blancs de lumière traversent fugitivement l’écran de part en part, comme le passage dans l’espace à la vitesse de la lumière dans un film de « science-fiction« . Mais rapidement, nous voilà bien ancrés sur terre _ certes ; et aussi dessous ! _, dans la vie concrète contemporaine, au sortir d’un tunnel de métro, dont les rails, et les murs peints de vieux graffitis, suintent d’une détresse gelée, inerte, sans âme _ oui ! Pourtant la force du mouvement est bien présente, le travelling arrière, décidé, semble vouloir s’arracher avec vigueur de l’emprise des ténèbres _ tout à fait ! Le regard du spectateur est mis en situation de devoir affronter, découverte après découverte, et de pleine « face« , sans se dérober, ce que l’écran va lui proposer-imposer (du « réel« ). « THE YARDS » est un film pictural très sombre parcouru de contre-jours, de visages _ avec leurs gestes de regards jetés _ coupés en deux par l’ombre, de pannes de lumière, de bougies, de lampes de chevet. Inspiré par _ Georges _ De La Tour, Hopper, Caravage, James Gray, comme pour son premier film « LITTLE ODESSA » [1994], a d’ailleurs peint des dizaines d’aquarelles à l’attention de son chef opérateur Harris Savides. «C’est le moyen le plus simple d’exprimer mes souhaits. Concernant les couleurs notamment. Pas de bleu, pas de noir profond, mais des ocres, des bruns Terre de Sienne…», avoue le jeune cinéaste.

D’un point de vue scripturaire, « THE YARDS » bénéficie comme « LITTLE ODESSA« , d’un générique sans majuscules. Référence directe au poète américain e. e. cummings qui revendiquait par là un refus de l’héritage et de la bureaucratie. Rébellion contre une certaine forme de traditionalisme social. Le titrage du film est laissé de plus volontairement en marge de l’image ; les personnages, eux aussi, marginaux _ oui _, toujours échoués au bord du précipice _ certains vont y chuter, lourdement _, sur une autre planète, esseulés et minuscules  _ c’est cela _ par rapport au reste du monde _ d’où l’inquiétude infiniment éperdue de leurs regards mouvants. Magnifique humilité _ oui _ de l’acteur Mark Wahlberg ; et magnifiques hésitations _ oui _ de l’actrice Charlize Theron. Deux visages _ oui  : d’abord eux _ effrayés, perdus et bouleversants _ absolument ! Film de recherche autour de la solitude _ oui _ sociale et familiale avec un style toujours aussi subtil et affirmé _ exactement ! Gray l’a répété dans maints entretiens : «Il n’était pas question pour moi de tourner autre chose qu’un drame social. Mes parents ont toujours pensé en terme de classe. J’ai toujours senti chez mon père une profonde déception de ne pas avoir su s’élever par la richesse. Dans le contexte social de l’Amérique, on peut toujours avoir le sentiment  _ frustant et liquéfiant _ d’être passé à deux doigts de la vie dont on rêvait.»

Au niveau musical, on retrouve par ailleurs subtilement tous ces sentiments-là présents dans « THE YARDS ». Ainsi, la partition originale de Howard Shore (décidément grand compositeur du cinéma indépendant) imprègne au film,  par de longues notes sobres et sombres, un rythme _ très important _ souvent en décalage tragique avec la violence des mots et des regards. De même, les voix des acteurs souvent à mi-voix, à peine articulées et audibles creusent la fosse entre les évènements tragiques et leurs faibles voix de vieillards _ oui, oui, oui… L’utilisation musicale à la fin du film d’un bout de «Saturne» tiré des « Planètes » de Holst referme en cela le tombeau _ oui. Morceau préféré de Holst lui-même, il a pour particularité de présenter la vieillesse sous différents aspects : le froid, la solitude, la terreur et enfin la paix (les thèmes mêmes du film) _ comme c’est parfaitement jugé ! La fin calme de ce morceau est utilisé d’ailleurs à la fin de « THE YARDS  » lorsque trois générations se serrent dans les bras. Le film de Gray, 31 ans, peut dès lors se voir comme un film sur la maturité, la mue, la vieillesse, la responsabilité _ de l’honnête face à l’utile, quand ils se contredisent tragiquement ! Cf l’essai d’ouverture du Livre III des « Essais«  de Montaigne… Les jeunes veulent devenir grands et devenir responsables.. Mais peut-on être responsable dans cette société carcérale et réductrice ? _ telle est en effet ici la question de fond…

Dans un entretien donné à « Libération« , Gray explique: « Ce qui m’intéresse, c’est de travailler et d’interroger le système de l’intérieur en essayant d’être un agitateur. La beauté plastique et musicale du film est en soi un moyen de commenter _ et contester, par là _ le système. On passe de la séduction à la subversion. C’était la théorie de Visconti ; et je n’ai pas hésité à la lui voler ! Et puis j’ai toujours aimé les opéras véristes, ce mouvement esthétique très localisé au XIXe, avec des œuvres de Puccini ou Mascagni, qui a consisté à élever d’un point de vue stylistique les couches les plus basses de la société, à les traiter avec le respect et l’émotion dus aux rois ou aux reines. » « THE YARDS » raconte les déraillements successifs du jeune Léo (Mark Whalberg) qui sort de prison pour tenter de rester dans le droit chemin. Ce film est l’histoire de rails, de voies. Leo demande du travail au beau-père de sa cousine, Frank (James Caan) patron de l’Electric Rail Corporation ; et c’est avec Willie, homme de main du patron que Leo va travailler. Ils s’acharnent dans la nuit à détériorer les machines des concurrents _ voilà le départ du « déraillement » de Leo… _, mais, coup dur, Leo est accusé à tort du meurtre d’un gardien. Les choses dérapent et lui échappent, tout devient alors confusion et fantomatique. L’argent, monstre concret, a réduit à l’état de cendres les esprits et les cœurs _ jusqu’à l’ordre (et la complicité active) de meurtre : ainsi en va-t-il de Kitty Olchin, aussi ; pas seulement de Frank Olchin ; ou de Willie Gutierrez.

Le scénario du film qui entremêle famille et mafia, fait irrémédiablement penser à du Francis Coppola. James Caan qui jouait le fils du « parrain » dans « THE GODFATHER » [1971] tient ici, cette fois, le rôle du « parrain« , avec les mêmes mimiques de visage, les mêmes gestes et les mêmes façons de mouvoir son corps que Marlon Brando. Gênant a priori, mais Caan reste un acteur touchant par sa _ fondamentale _ vulnérabilité. Or, c’est une des différences avec les « films de gangsters » passés et actuels. On voit dans « THE YARDS » un souper donné par le parrain, mais Gray nous peint un patriarche ni écouté ni même respecté. Même la nourriture n’a plus rien de traditionnel dans cette famille (vulgaire « repas asiatique » acheté à la sauvette). Contrairement à un Coppola, Gray ne fait pas l’éloge du père, ni de la famille, ni de la tradition. Nulle admiration, nul modèle social. Tout reste stocké dans une immobilité retenue et stérile _ morbidement. Dans « THE YARDS » (en français : « les entrepôts »), la liberté et le mouvement sont entreposés _ en puissance _, jamais exercés _ en acte. James Gray conclut: « A mes yeux, il est impossible de voir comme positive cette fin où un type n’a pas seulement trahi les siens, mais tout ce en quoi il croyait jusqu’à alors ; avec cette musique très sombre en bande-son, et ce dernier plan où il est assis, au bord des larmes, dans la rame du métro, exactement à la même place que celle qu’il occupait au début. L’idée, c’est qu’il n’est allé nulle part» _ il a fait seulement un mortel sur-place ; ou un mortel tourné-en-rond (et a perdu sa cousine Érica)…

Alexandre Tylski

Tâchez de regarder « The Yards« , au moins en DVD ;

et « La Nuit nous appartient » ainsi que « Two Lovers » (désormais disponibles tous deux, aussi, en DVD),

à défaut de « Little Odessa«  : plus difficilement trouvable en DVD en ce moment…

Titus Curiosus, ce 6 juin 2009

L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer

14avr

 Le premier volume d’un « L’Œil de l’Histoire » _ intitulé « Quand les images prennent position » _ que vient de publier Georges Didi-Huberman est consacré au travail (et œuvres !) de positionnement d’artiste face à la guerre (et aux nazis) auquel se livre Bertolt Brecht en son désœuvrement (théâtral _ de mise sur la scène) en un exil qui va durer de 1933 à 1948. « Son exil commence le 28 février 1933, au lendemain même de l’incendie du Reichstag. A partir de ce moment, il erre de Prague à Paris et de Londres à Moscou, s’établit à Svendborg au Danemark, passe par Stockholm, rejoint la Finlande, repart pour Leningrad, Moscou et Vladivostock, se fixe à Los Angeles, séjourne à New-York, quitte les États-Unis au lendemain de sa déposition devant la « Commission d’enquête sur les activités anti-américaines », se retrouve à Zurich avant de rejoindre, définitivement Berlin. Il ne sera pas revenu en Allemagne avant 1948 ; il aura donc passé quinze ans de sa vie _ né le 10 février 1898 à Augsbourg, en Bavière, Bertolt Brecht est mort le 14 août 1956 à Berlin-Est _ « sans théâtre, souvent sans argent, vivant dans des pays dont la langue n’était pas la sienne » _ selon l’expression de Bernard Dort en son « Lecture de Brecht » _, entre l’accueil et l’hostilité, celle notamment des procès maccarthystes qu’il eut à affronter en Amérique » _ pages 12-13. Comment l’artiste vit-il en artiste cet exil ? et la guerre ?


« Mais Brecht, en dépit de ces difficultés, voire de ces quotidiennes tragédies, sera parvenu à faire de sa situation d’exil une position _ artistique _ ; et de celle-ci, un travail _ artistique _ d’écriture, de pensée malgré tout« . C’est de ce « travail« -là (d’artiste !), et tout particulièrement en son très peu connu et si mal diffusé « ABC de la guerre«  » que rend compte, et magistralement, le travail d’analyse de Georges Didi-Huberman en ce « Quand les images prennent position« , soit le premier volet d’un « L’Œil de l’Histoire« 

« Exposé à la guerre _ de 1939-1945 _, mais ni trop près (il ne fut pas mobilisé sur les champs de bataille), ni trop loin (il eut à subir, fut-ce de loin, maintes conséquences de cette situation), Brecht aura pratiqué une approche de la guerre, une exposition de la guerre qui fut à la fois un savoir, une prise de position et un ensemble de choix esthétiques absolument déterminants« , dégage Georges Didi-Huberman, page 13 : et ce va être l’objet même du travail d’analyse de ce grand livre qu’est « Quand les images prennent position« . Et il précise : « Il est frappant de constater que le Brecht de l’exil soit aussi le Brecht de la maturité, comme on dit : le Brecht des chefs d’œuvre, « Le Roman de quat’sous« , « Grand’peur et misère du IIIe Reich« , « La vie de Galilée« , « Maître Puntila et son valet Matti« , « Le Cercle de craie caucasien« , etc… Il est frappant aussi _ surtout dans la perspective de notre objet ici ! _, mais très immédiatement compréhensible, que, dans une telle précarité de vie, le dramaturge se soit durablement tourné vers la production de petites formes lyriques : « Pour le moment », écrit-il dans son journal le 19 août 1940 (il se trouve alors en Finlande), « je suis juste bon à composer de petites épigrammes, huit vers, et actuellement plus que quatre. » Position obligée de l’écrivain en exil, toujours en instance de replier bagages, de repartir ailleurs : ne rien faire qui alourdisse ou qui immobilise trop, réduire les formats et les tempos d’écriture, alléger les ensembles, assumer la position déterritorialisée d’une poésie dans la guerre ou d’une poésie de guerre _ une affaire de rythme ! Poésie foisonnante, d’ailleurs, exploratoire et prismatique : loin de se replier sur l’élégie, loin de sacrifier à quelque nostalgie que ce soit, l’écrivain y multiplie les choix formels et les points de vue, ne cessant de convoquer _ oui ! _ toute la mémoire lyrique _ de Dante à Shakespeare, à Kleist ou à Schiller _, ne cessant d’expérimenter de nouveaux « genres » qu’il nommera tour à tour « chroniques », « satires », études », ballades » ou bien « chansons d’enfants » _ pages 13-14 : l’artiste convoque tous les (riches) moyens du bord ; et cherche, invente, crée, en avant !

« Or, il s’agissait partout, dans ces formes passagères ou cycliques, de prendre position et de savoir ce qu’il en est de la situation environnante, situation militaire, politique et historique«  _ une urgence vitale (pour soi comme pour la civilisation !) ; et face aux diverses propagandes et dés-informations…

C’est que « la position de l’exilé _ situation, mais surtout attitude (posture et positionnement) décisive ! _ rend « l’acuité de la vue » ou la « puissance du voir » (Schaukraft) _ voilà la faculté fondamentale ! à l’œuvre dans le travail (de pensée et d’artiste : peut-on les séparer ? Non !) de Brecht _ aussi vitale, aussi nécessaire que problématique _ et comme effet, d’abord, mais surtout, devenant cause féconde : de l’œuvrer ! _, vouée qu’elle est _ en sa situation forcée (d’exilé) de départ _ à la distance et aux lacunes de l’information » _ par les journaux et les radios. Ainsi « l’« Arbeitsjournal« , ce « Journal de travail » auquel il confie alors _ au quotidien, pardon de la redondance _ sa sensation _ son aisthesis _, n’est autre qu’un « Kriegsschauplatz » intime, le théâtre d’une guerre que se livrent, sur sa table _ même _ de travail _ déjà : l’artiste est un mobilisé permanent ; un combattant infatiguable et irréductible ! _, l’histoire singulière de sa propre vie errante, les histoires inventées de son art de dramaturge et l’histoire politique qui se livre partout dans le monde, au loin, mais qui le touche de si près _ en effet ! avec quelle force ! de sensation en Brecht _ en lui parvenant à travers ces journaux qu’il scrute, découpe et recompose _ déjà ! Brecht est fondamentalement un monteur-démonteur-remonteur _ chaque jour, obstinément » _ tel un taureau encagé provisoirement parqué dans un corral, pages 19-20…

Le « Journal de travail«  est _ déjà ! _ une « œuvre extraordinaire » « où se construisent ensemble, fût-ce pour se contredire, toutes les dimensions de la pensée brechtienne. C’est un « work in progress » permanent, c’est un « working progress » de la trouvaille, de l’écriture et de l’image.« 

Car « l‘ »Arbeitsjournal«  (…) ne cesse de confronter les histoires d’un sujet (histoires minuscules, après tout) avec l’histoire du monde tout entier (l’histoire avec un grand H). Il pose d’emblée, comme bien d’autres œuvres de Brecht, le problème de l’historicité à l’horizon de toute question d’intimité et de toute question d’actualité _ trois concepts majeurs : « historicité« , « intimité« , « actualité«  ; par là (= leur entrecroisement !), l’artiste est (ou se fait) un vivant un peu plus éveillé que certains autres... Mais il n’en rompt pas moins la stricte chronologie _ apparente et la plus communément partagée, forcément : par la force du calendrier (et les projecteurs et haut-parleurs des medias) _ par un réseau d’anachronismes issus de ses propres montages _ d’artiste _ ou constructions d’hypothèses _ de penseur : étant absurde de les séparer ! _«  _ issues de son génie singulier, de sa fantaisie d’artiste qui pense, qui cherche, qui invente, qui fait…

Georges Didi-Huberman commente ainsi cette analyse de l’« Arbeitsjournal«  de Brecht : « Il appartient donc ainsi à ce genre essentiellement moderne que l’on pourrait appeler le journal de pensée, que l’on retrouve chez Nietzsche, Aby Warburg, Hoffmannsthal, Karl Kraus, Franz Kafka, Hermann Broch, Ludwig Wittgenstein ou bien Robert Musil, en attendant Hannah Arendt, par exemple. Ce type de journal ressemble moins à une chronique des jours qui passent _ avec leur lot d’anecdotes et de sensations concomitantes _ qu’à un atelier provisoirement en désordre ou à une salle de montage dans laquelle se fomente _ se trame, s’élabore, se compose, se fait _ et se réfléchit _ en avant _ l’œuvre tout entière d’un écrivain, pas moins«  _ l’analyse, page 21, est magnifique de pertinence.

« Le journal brechtien de l’exil sera donc _ déjà, avant l’« ABC de la guerre«  _ un exercice méthodique de la liberté de passage _ magnifique expression : la liberté cesse-t-elle jamais, d’ailleurs, d’être « de passage«  ?.. Le reste étant affaire de degrés, sans doute… Alors même qu’il subit l’angoissant « temps de l’entre-deux », en 1940, Bertolt Brecht se donne _ en artiste usant en pleine liberté de son « génie » _ la souveraineté du jeu, de la mise en relation, du saut, du lien _ avec rythmes ad hoc _ entre des niveaux de réalité que tout semble _ superficiellement, voire trompeusement _ opposer«  _ soit la souveraineté (héraclitéenne : celle de l’enfant jouant) de l’artiste ! : nous sommes page 23.

Je pense aussi à « l’enfant » (créateur) de la troisième des métamorphoses (de l’esprit) de la première des paroles de Zarathoustra, juste après le « Prologue« , de l’« Ainsi parlait Zarathoustra » de Nietzsche… Georges Didi-Huberman y reviendra, surtout, en son très beau dernier chapitre, « La position de l’enfant : s’exposer aux images » (pages 185 à 256) ; avec cette formulation consacrée par lui à la « position«  même (de penseur honorant l’artiste en tout humain…) de Walter Benjamin : « Comme s’il fallait renverser les hiérarchies d’école et comprendre, aujourd’hui plus que jamais, le possible magistère de la position enfantine _ naïve, inquiète, excessive, mouvante, ludique, non doctrinale _ devant les images« , page 253. Avec encore cette formulation, synthétique de son analyse, page 254 : « Et Benjamin de conclure _ in « Fragments philosophiques« , page 145, un texte « fragment de 1919« , ainsi que le présente Georges Didi-Huberman, page 254 _ en affirmant que, devant ces images d’abécédaires _ scolaires _ l’enfant à la fois « s’éveille » à la réalité visible et « poursuit ses rêves » dans l’univers voyant de son imagination« … J’y reviendrai en conclusion de cet article ; puisque c’est aussi la concluion de ce « Quand les images prennent position«  de Georges Didi-Huberman…

Fin de l’incise sur l’enfance (de l’Art).

Et retour à la situation de Brecht « face à la guerre«  ; et « en situation«  (et « position« ) « d’exil«  :


Même si Brecht n’a pas attendu l’ouverture des hostilités militaires pour faire _ selon la « grande leçon de Georg Simmel« , indique Georges Didi-Huberman, page 25 _ « des « désordres du monde » en général, et de la guerre en particulier, le sujet par excellence de toute activité d’art _ qui ne soit pas mensonge : « Le désordre du monde, voilà le sujet de l’art«  _ énonce on ne peut plus clairement Brecht en ses « Exercices pour comédiens« , en 1940 (in « L’Art du Comédien« ).

Ainsi,

si « il est terriblement difficile d’exposer clairement ce à quoi l’on est soi-même directement, vitalement, exposé« , cependant « Brecht aura (-t-il) spontanément suivi le prétexte wittgensteinien selon lequel ce qu’on ne peut dire ou démontrer, il faut, déjà, le montrer.« 

Alors, en son « ABC de la guerre » qu’il commence en 1940, Brecht « renonçait à la valeur discursive, déductive et démonstrative de l’exposition _ lorsque exposer signifie expliquer, élucider, raconter dans le non ordre _ pour en déployer, plus librement, la valeur iconique, tabulaire et monstrative. Voilà pourquoi son « Journal de travail » _ déjà ; avant l’« ABC de la guerre » _ apparaît comme un gigantesque montage de textes aux statuts les plus divers et d’images également hétérogènes qu’il découpe et colle, ici et là, dans le corps ou le flux de sa pensée associative » _ d’artiste, page 25. « Images de toutes sortes : reproductions d’œuvres d’art, photographies de la guerre aérienne, coupures de presse, visages de ses proches, schémas scientifiques, cadavres de soldats sur les champs de bataille, portraits des dirigeants politiques, statistiques, villes en ruines, scènes de genre, natures mortes, graphiques économiques, paysages, œuvres d’art vandalisées par la violence militaire… Avec cette hétérogénéïté très calculée, le plus souvent puisée dans la presse illustrée de l’époque, Brecht rejoint l’art du photomontage, mais selon une économie qui reste celle du livre, quelque part entre le montage tabulaire et le montage narratif propre à la structuration chronologique de son journal«  _page 26.

« Probablement parce qu’une grande partie de son écriture était _ fondamentalement _ vouée à une exposition sur une scène théâtrale _ en effet ! _, Brecht manifeste, partout dans son œuvre _ et pas seulement en ses oeuvres pour le théâtre _, une étonnante Schaukraft ou « puissance de vue » » _ page 27.

« S’il ne travaillait jamais sans prendre position,

il ne prenait jamais position sans chercher à savoir,

ne cherchait jamais à savoir sans avoir sous les yeux les documents qui lui semblaient appropriés.

Mais il ne voyait rien sans déconstruire, puis remonter pour son propre compte, afin de mieux l’exposer,

la matière visuelle qu’il avait choisi d’examiner« 

_ soit un processus particulièrement décisif (détonnant, incisif et explosif) et déterminant pour l’idiosyncrasie du faire d’artiste de Brecht ; pour son génie propre à l’œuvre et en acte : la très belle et très juste formulation de Georges Didi-Huberman se trouve à la page 28… On ne saurait y insister assez…

« En 1955, alors qu’Edward Steichen fait circuler dans tout le monde occidental sa grande exposition de photographies intitulée « The Family of Man« , Bertolt Brecht publie à Berlin-Est, par le soin des Éditions Eulenspeigel, une sorte d’atlas photographique de la guerre intitulé « Kriegsfibel« , c’est-à-dire « ABC ou Abécédaire de la guerre » _ nous y voilà ! C’est un livre étrange et fascinant, souvent oublié dans les biographies et bibliographies brechtiennes. Il semble commencer _ ou recommencer, repartir de A à Z _ là exactement, en 1955, où finit le « Journal de travail » dont il pourrait être considéré comme le point d’orgue tout à la fois lyrique et photographique » _ et c’est l’objet de l’attention et de l’analyse de Georges Didi-Huberman ici. « Le montage, dans le détail » en est « complexe et subtil. On peut dire que sa composition a commencé dès 1940, précisément à l’époque où Brecht confiait à son « Journal de travail«  que, dans le « temps de l’entre-deux » imposé par l’exil, il n’était bon qu’à découper des images de presse et à composer quelques « petites épigrammes » de quatre vers«  _ pages 29 à 31.

Si « une première version (en) fut achevée dès 1944-45, alors que Brecht se trouvait encore aux Etats-Unis » ; et si « trois autres versions l’auront suivie ; en attendant que vingt planches supplémentaires, censurées en 1955, ne soient publiées en 1985 _ seulement ! _ par Klaus Schuffels ; puis, en 1994, par l’édition Eulenspiegel « , « Brecht aura mis une dizaine d’années _ marquées de péripéties et d’obstacles en tous genres (dus, surtout, à un profond désir d’oubli, sinon de refoulement de la vérité quant au réel des faits bel et bien survenus) _ avant de voir publié _ à Berlin-Est _ son atlas photographique composé en exil«  Et en 1954-1955-1956, « le livre se vendit très médiocrement, laissant à Brecht, peu avant sa mort _ le 14 août 1956, à Berlin-Est _ l’impression douloureuse que le public allemand cultivait un « refoulement insensé de tous les faits et jugements concernant la période hitlérienne et la guerre » _ selon une expression de Brecht lui-même que cite Klaus Schuffels au chapitre « Genèse et historique«  de la présentation de son édition (enfin complète) de « Kriegsfibel« , en 1985…

Je cite ici le commentaire de Georges Didi-Huberman, page 32 : « Une fois encore, la « puissance de vue » qui émane de cet atlas d’images _ elles sont un peu à Brecht ce que les « Désastres de la guerre » furent à Goya (comparaison _ et ordre de « grandeur » ! _ à méditer !!!), lui aussi mal compris et censuré en son temps _ n’allait pas sans la douleur morale de celui qui constate qu’après tout, les survivants d’une guerre s’arrangent pour oublier très vite cela même à quoi ils doivent leur survie et leur état de paix, fût-il relatif. L’« ABC de la guerre«  n’est qu’un ABC, une œuvre élémentaire _ certes, mais justement ! _ de la mémoire visuelle _ le « passage » s’effectuant de l’« élémentaire » au « fondamental« ..? _ : encore faut-il l’ouvrir et en affronter _ oui : (leur) faire pleinement front ! _ les images pour que son travail d’anamnèse ait quelque chance de nous atteindre » _ nous, les « anesthésiés«  (et ainsi, en l’occurrence, « aveuglés« ) volontaires… Voilà qui donne la mesure de la « puissance de vue » de Brecht ; la force de son génie (d’artiste et penseur)…

Ruth Berlau, à laquelle Brecht avait « confié l’essentiel de la mise en forme, ainsi que la présentation même de l’ouvrage » _ outre qu’« elle collaborait étroitement avec Brecht dans ses recherches iconographiques » ; et « assumait, de plus, l’aspect technique des reproductions de l’atlas«  _, précise en deux textes brefs de présentation du livre, en 1954, « le sens » de la « position » de Brecht, « en affirmant qu’un homme en exil est toujours un homme aux aguets _ expression à vraiment méditer ! _, son mode d’observation _ inquisitrice ! _ lui donnant, quand il possède l’imagination _ constructive et créatrice (non fuyante !) ; sur ces distinctions, lire tout !) Bachelard… _ de l’écrivain et du penseur _ à creuser, en sa trop rare (pas assez partagée) spécificité (d’homme libre ; et fécond, d’un même geste) _, la capacité de « prévoir tant de choses » par-delà l’actualité _ si souvent suffocante, jusqu’à l’asphyxie… _ du moment qu’il est en train de vivre _ en le subissant tout d’abord de plein fouet, ce moment présent de la guerre, par le « choc des images«  des films et photos dites « d’actualité« , justement ! _ « 

Georges Didi-Huberman le commente ainsi, page 33 : « Or cette prévision n’a rien de la pure parole prophétique : elle demande une technique _ on ne peut plus pratique et matérielle _, qui est celle du montage. « Je l’ai souvent aperçu, dit-elle de Brecht, les ciseaux et la colle à la main. Ce que nous voyons ici est le résultat des « découpages » du poète _ on lit bien _ : des images de guerre. » »

Voici le commentaire _ il est somptueux d’acuité : « Pourquoi des images ? Parce que, pour savoir, il faut savoir voir.

Parce qu’« un document est plus difficile à nier » qu’un discours d’opinion.

Brecht, écrit Ruth Berlau, « avait collé, sur les grosses poutres de chêne de sa pièce de travail _ à la façon d’un Montaigne gravant des sentences sur les poutres de sa librairie, sa pièce de travail, aussi (cf le superbe ouvrage d’Alain Legros, paru aux Éditions Klincksieck en 2000 : « Essais sur poutres _ Peintures et inscriptions chez Montaigne« ) _, cette sentence : « La vérité est concrète (« Die Warheit ist konkret »)« .

Mais pourquoi avait-il fallu découper ces images et les remonter dans un autre ordre, c’est-à-dire les déplacer à un autre niveau _ supérieur en lucidité ! _ d’intelligibilité, de lisibilité ?

Parce qu’un document recèle deux vérités au moins _ et davantage : c’est fonction des degrés d’analyse (et de questionnement)… D’où l’importance du montage, dé-montage, re-montage des photos ; ainsi que des textes qui les accompagnent… Pour passer de la première stupéfaction passive du premier choc subi, à toute une (riche, voire infinie) gamme d’activités du penser : qui imagine, compare, se réfère, se souvient, ajointe ; afin d’ainsi, par ces modalités-là, mieux comprendre… La sensation, comme l’intelligence qui comprend, sont fondamentalement des « activités«  (complexes, riches, cultivées et ouvertes, fécondes) du sujet...

Au delà de « Homo spectator« , de Marie-José Mondzain, et « L’Acte esthétique« , de Baldine Saint-Girons, auxquels j’aime souvent me rapporter,

on relira toujours avec profit

et Kant (la « préface«  à la seconde édition de la « Critique de la raison pure« , sur l’acte d’« inspection«  et « enquête » _ inquiète ! _ de toute connaissance) ;

et Descartes (la si belle analyse de la perception du « morceau de cire«  comme activité d’« inspection de l’esprit« , dans la seconde de ses « Méditations« ) …

Tous ceux-ci : Marie-José, Baldine, Emmanuel, René, Bertolt, Georges,

méditant autour des modalités _ éminemment pratiques _ du travail (de penser) du « spectare« 

Fin de l’incise sur le « savoir voir«  (ou « regarder« , « spectare« ) ; et retour à la lecture-analyse de « Quand les images prennent position« , page 35 maintenant :

D’autre part, « si voir nous permet de savoir et, même, de prévoir quelque chose de l’état historique et politique du monde, c’est que le montage des images fonde toute son efficacité sur un art de la mémoire » _ expression à son tour importante ; et qui nous rappelle le livre majeur de Frances Yates, « L’Art de la mémoire«  ; et, au-delà, les enjeux _ d’une brûlante actualité ! _ d’une riche éducation (= vraiment cultivée !!! et _ mais c’est la même chose ! tant l’un ne peut aller sans l’autre _ ouverte !!!) : une « Bildung« , pour reprendre le mot venu l’autre soir, en notre conversation, dans l’expression d’Elie During…

Ruth Berlau écrit dans sa préface (en 1954) : « Quiconque oublie le passé ne saurait lui échapper. Ce livre veut enseigner l’art de lire les images (« diese Buch will die Kunst lehren, Bilder zu lesen« ) _ toute culture et toute éducation étant fondamentalement lecture en acte ! Jusques et y compris la lecture en acte des images ! Le non-initié déchiffre aussi difficilement une image qu’un hiéroglyphe. La vaste ignorance des réalités sociales, que le capitalisme _ mais pas que lui ! _ entretient avec soin et brutalité, transforme des milliers de photos parues dans les illustrés en de vraies tables de hiéroglyphes, inaccessibles _ oui ! _ au lecteur qui ne se doute _ le malheureux (ainsi illusionné) ! _ de rien. »

Aussi , « le projet de la « Kriegsfibel«  s’apparente (t-il) donc à une double propédeutique ; lire le temps et lire les images où le temps a quelque chance d’être déchiffré » _ page 35 : « dé-chiffré«  dans l’opération d’analyse des traces (très diverses) qu’il a, successivement _ strate à strate _ déposées, et qu’il appartient (et pas qu’à l’historien) de « re-lier« , afin de les faire « justement » parler _ en commençant par questionner leurs « liens«  : soit, toujours le modus operandi de l’« enquête« 

Georges Didi-Huberman replace alors ces remarques dans le champ de réflexions d’« une exigence déjà exprimée _ entre autres _ par Lázló Moholo-Nagy, Bertolt Brecht et Walter Benjamin à l’époque de la république de Weimar » ; et cite ici ce mot _ important _ de Moholo-Nagy « dans la suite de « Malerei Fotografie Film » _ l’essai « Peinture Photographie Film« , est paru en 1925, à Munich _ que « l’analphabète du futur ne sera pas l’illettré, mais l’ignorant en matière de photographie »«  _ la phrase se trouve dans l’article « Die Photographie in der Reklame« , paru à Vienne le 1er septembre 1927 ; cf « Peinture Photographie Film et autres écrits sur la photographie«  (avec une préface de Dominique Baqué), page 155.

Aussi, poursuit son analyse Georges Didi-Huberman, page 36 : « Voilà pourquoi Bertolt Brecht a découpé _ et « serti« , aux ciseaux _ dans son matériau visuel,

voilà pourquoi il a ajointé _ le terme est intéressant _ aux images un commentaire paradoxal _ bousculant le trop « manifeste«  fossilisé _ parce que poétique _ une épigramme de quatre vers en bas de chaque planche _,

et qui en déconstruit _ c’est le processus-charnière décisif ! _ l’évidence visible ou la stéréotypie _ défaire (« dé-monter«  !) les apparences vilainement endormeuses de l’attention et de l’analyse !.. et « re-mobiliser«  la curiosité !..

On ne peut donc pas comprendre la prise de position politique assumée par Brecht à l’égard de la guerre _ en effet _ sans analyser le montage ou la recomposition formelle qu’il effectue _ ciseaux et stylo à la main _ à partir de sa base documentaire _ qu’il a fallu déjà chercher, dé-couvrir, re-tenir et r-assembler _ en une « incomparable initiation _ des autres, après soi-même, le tout premier _ à la vision complexe » _ décapante et génialement constructive _ de l’histoire, comme le dit si bien Philippe Ivernel _ en un article « Passages de frontières : circulation de l’image épique et dialectique chez Brecht et Benjamin« , in « Hors-cadre« , n° 6, en 1987 _ et je relèverai ici, pour ma part (de lecteur pas trop inactif, j’espère…), le concept-clé de « circulation« 

Voilà comment la « Kriegsfibel » devient aussi _ en acte et en œuvre, fruit de ce « faire »… _ ce « langage en image de l’événement » _ « langage« , c’est-à-dire discours actif et activeur issu d’une parole créatrice (de l’artiste-penseur) _ procédant par montage et « reprise d’images » _ « reprise » est décisif ! _ qui anticipe étrangement, cela dit pour notre propre contemporanéité, sur certaines œuvres de montage historique, telles que les « Histoires de cinéma » de Jean-Luc Godard, ou encore les « Bilder der Welt und Inschrift des Krieges«  de Harun Farocki. Façon de dire que Brecht interroge aussi _ et est proprement fondamental ce caractère « interrogateur«  en sa posture d’artiste tonique (jusqu’au dérangement agacé de celui qui ne peut plus demeurer simple « spectateur« , passif…) qui nous met en demeure de « prendre position«  à notre tour, loin du confort (« bourgeois« , dirait-il) des évidences fossilisées _, dans son abécédaire illustré, notre propre capacité à savoir voir _ et à l’apprendre !, inlassablement !!! aussi… : ce sont des processus ! et donc un « chantier«  permanent ! _, aujourd’hui, les documents de notre sombre histoire«  _ pages 36-37…

Actualité, historicité, intimité se mêlant ainsi très étroitement, et non sans complexité (riche des jugements à venir _ et inventer, chacun à son tour _ pour la « dés-emmêler«  un peu…) non plus, faut-il le rappeler ?

« Quand les images prennent position«  : un très grand livre, donc ; sur un travail artistique véritablement décisif.

On ne saurait, avant de conclure, ne pas évoquer, encore, les très remarquables analyses que fait Georges Didi-Huberman

de l’apport au travail de pensée et de faire de Bertolt Brecht

que furent ses échanges intensifs avec Walter Benjamin (15 juillet 1892, Berlin – 26 septembre 1940, Port-Bou)… J’en laisse la joie de la découverte au lecteur…

Je citerai seulement cette phrase (page 253), proche de la conclusion : « les prises de position de Walter Benjamin, fussent-elles désespérées du point de vue de l’organisation du progrès politique _ par rapport à l’importance pour Brecht de la « prise de position«  _ politique, tout spécialement, même si non exclusivement, bien sûr ! _, survivent magistralement _ l’expression est « sensible«  ! _ aux prises de parti de Bertolt Brecht.« 

Pour en venir, in fine, à ceci (page 256 du livre) : « Et Benjamin de donner cette importante nuance dialectique : « L’imagination, si elle déforme, ne détruit pourtant jamais«  (« die Phantasie, wo sie entstaltet, denoch niemals zerstört« ). Elle ne détruit pas, en effet, car elle démonte. Et elle ne démonte que pour reformer, remonter toutes choses dans l’économie de « voyance » qui est la sienne _ pour ma part, j’utilise (suite à ma lecture de « Homo Spectator » de Marie-José Mondzain) le concept (que je me suis « forgé ») d’« imageance«  Il faut donc, à nouveau, comprendre la position cruciale du montage dans cette économie de l’imagination _ en effet ! La fameuse critique de l’aura, dans « L’Œuvre d’art à l’ère de la reproductibilité technique » prend alors un tour nouveau :


« Unique apparition d’un lointain, si proche soit-il »
, y écrit Benjamin, comme on sait, de l’aura cultuelle.

Ce qu’il faut déplacer dans cette phrase _ propose alors Georges Didi-Huberman _, ce n’est pas l’apparition (Erscheinung) en tant que telle. Est-ce le « lointain«  (Ferne) ? Il faut juste le convertir _ oui, opération tout en finesse… _ en « distance«  (Entfernung) _ avec recul et profondeur de champ (et mise en relief) _, voire en « distanciation » (Verfremdung) _ le grand concept opératoire brechtien.

Reste l’« unique » (einmalig) : voilà, en effet, ce dont il faut désormais libérer l’image _ voilà la tâche libératrice, me permets-je de souligner un peu lourdement ici... Voilà ce à quoi il faut renoncer : que l’image soit « une », ou bien qu’elle soit « toute » _ et c’est une ascèse : vers la modestie et la finesse. Celles de l’intelligence infiniment ouverte de la complexité : chantier à ne jamais abandonner...

Reconnaissons plutôt _ voici l’alternative proposée _ la puissance de l’image _ oui ! _ comme ce qui la voue à n’être jamais « l’une-image », « l’image-toute ». Comme ce qui la voue _ c’est en effet une « vocation«  aventureuse ; un « appel« « être« , « devenir« , « survenir », « advenir« , « arriver« ) ; un « devoir«  ! celui de faire face à la facticité bêtement satisfaite du « fait » (une fois pour toutes), au profit d’un « bougé« , d’un « tremblé«  beaucoup plus juste et libre ! _ aux multiplicités, aux écarts, aux différences, aux connexions, aux relations, aux bifurcations, aux altérations, aux constellations, aux métamorphoses. Aux montages, pour tout dire _ oui ! Aux montages qui savent scander pour nous _ la scansion du rythme étant fondamentale ! _  les apparitions et les déformations : qui savent nous montrer _ et permettre de mieux comprendre _ dans les images comment le monde apparaît, et comment il se déforme _ plastiquement et dynamiquement, toujours ; sans (bêtement) se figer… « La bêtise, c’est de conclure« , a si bien décelé Flaubert en son beau et très utile « Dictionnaire des idées reçues«  (cf aussi d’Alain Roger l’excellent : « Bréviaire de la bêtise« )… Cela faisait un moment que me trottait dans la tête la figure de la suffisance bouffie de Monsieur Homais…

C’est en cela qu’en prenant position dans un montage donné _ ou plutôt « fait » ; « à faire » ; « se faisant » et « se refaisant«  ad libitum !.. : c’est un plaisir !_, les différentes images qui le composent _ en décomposant sa chronologie _ peuvent nous apprendre _ en nous l’enseignant : l’enjeu de l’épanouissement de la liberté ne passant que par la conquête du savoir de la vérité : par là, l’apprentissage (et donc l’enseigner aussi) est crucial !!! _ quelque chose sur notre propre histoire, je veux dire : quelque chose d’autre _ ou les voies ouvertes et nécessaires, tout à la fois, de l’altérité…


Et en cela, nos découvrons une école _ joyeuse et ouverte : enthousiasmante ! _ à la fois de la liberté et de la vérité (et justesse). Poétique, voilà !

Titus Curiosus, ce 14 avril 2009

Le « désir-monde » du désir face à ses pièges : Clément Rosset à la rescousse des élans de Daniel Mendelsohn et de Régine Robin

18fév

La double lecture des puissants « L’Étreinte fugitive » de Daniel Mendelsohn et « Mégapolis _ les derniers pas du flâneur«  de Régine Robin, continue de me travailler ;

et m’amène à (continuer à) creuser un peu plus loin ou plus avant  _ et ici même, sur ce clavier, ce blog et cet écran _ la question des conditions du désir ;

je veux dire

la situation du désir,

avec ses divers tenants et aboutissants _ à l’infini, en fait… _

face aux pouvoirs auxquels immanquablement ce désir-ci, ou désir-là, a à se heurter,

par ce qu’il vient, en son bougé même (forcément…), « gêner » et « déranger », pour les autres (rarement complètement indifférents à ce jeu-là ; et donc « neutres »…) ;

comme, aussi, et en même temps, nécessairement, face aux propres efforts de soi-même (ou « Moi«  ?) pour « faire avec » lui ;

lui = lui, le désir (venant nous traverser de son mouvement, de sa flèche : d’où l’image d’un « Eros archer« …) ;

« faire avec » lui, le désir, donc,

en sa réalité toute matérielle filante, échappante, traversante

(et renversante, à commencer par les corps ; et pour commencer le sien ! ;

sinon foudroyante, même, parfois… : le mot même de « désir », on a fini par s’en re-souvevenir, a rapport aux astres _ « sidera » _ ; aux étoiles, « filantes » donc ; avec leur terriblement puissante « attractivité »…),

menant toujours (et poïétiquement !) plus loin et plus avant _ plus outre… _ qu’au (prosaïque = « po-pote » !) « ici et maintenant » (de nos habitudes installées = tendant à la simple répétition…) ;

et « faire avec » lui, toujours, le désir, toujours en quelque façon difficilement nommable (ou « Ça«  ?) et repérable, nonobstant son incroyable obstination, une fois, du moins, qu’on l’a identifié, reconnu (et nommé ! baptisé !), qu’on s’est, si peu que ce soit, « familiarisé »

_ mais est-ce jamais tout à fait réellement (et vraiment !) le cas : une « familiarisation » ?.. _

avec lui ;

et qu’on a, si peu que ce soit, aussi, « consenti » à sa réalité (de désir désirant),

et qu’on lui confère alors, par là même, par cette prise en considération (ou « considération » tout court _ cf toujours l’étymologie !!! _) un minimum de légitimité, au moins personnelle

_ ce qui n’advient peut-être pas dans le cas du « refoulement » (inconscient, ne pas le perdre de vue ; et pas pré-conscient ! il « résiste » à la prise de conscience ; et suscite bien des dénégations…) au cours de ce que Freud identifie comme « névrose » ; et demeure fort répandu ; pour se référer à la taxinomie feudienne..

Daniel Mendelsohn comme Régine Robin ont une filiation, en amont, est-européenne :

à Bolechov, en Galicie (arrondissement de Stanislavov _ qui fut en Pologne, puis en Autriche, puis en Pologne, puis en URSS, et maintenant en Ukraine), pour le premier (cf « Les Disparus« ) ;

à Mínsk Mazowiecki _ apprend-on très incidemment et sans autre précision au détour (très anodin) d’une page (314) du chapitre « Rivadavia y rincón : secret de famille », qui sert de conclusion à la « Quatrième partie : Buenos-Aires _ la ville de l’outre-Europe »  de « Mégapolis » _, en Mazovie, la province même de Varsovie, en Pologne, pour la seconde : c’est le 21 juillet 1942 que furent raflés les Juifs de cette ville, pour être exterminés « à Treblinka« , page 314, donc.

Pour l’un comme pour l’autre, et sans que jamais cela soit dit, pouvoir échapper à la nasse est vital ;

vital à leur respiration quotidienne la plus élémentaire même ;

et constitutif de leur « être-au-monde » fondamental…


Le souffle qui parcourt si magnifiquement ces livres

est ainsi le vent (porteur et fécond) de la liberté !


L’un comme l’autre, Daniel Mendelsohn comme Régine Robin, sont perpétuellement des « décalés »,

détestant tous les ghettos, tous les enfermements, tous les pièges

_ peut-être y compris familiaux ; du moins trop étroitement familialistes…

Même si, et il faut bien le noter, Régine Robin dédie « Mégapolis« , page 7, à sa « petite-fille Rebeccah, future flâneuse de Londres » ;

« Mégapolis« , ou, très montaniennement (cf le merveilleux avis « Au lecteur » à l’ouverture des « Essais« ), « la ville comme autobiographie«  _ le dernier mot de sa présentation de son livre, page 28 (et pudiquement retiré de la citation de ce paragraphe, en quatrième de couverture :

cf mon article « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« ) ;

et même si Daniel Mendelsohn adore sa famille, et tout particulièrement ses trois frères, Andrew, Matthew, Eric, et sa sœur, Jennifer _ à la page 643 des « Disparus« , au moment des remerciements, il a des mots particulièrement merveilleux, que j’ai à cœur de citer in extenso ici même :

« Un livre qu’il a fallu cinq ans _ et plus, en fait _ pour achever, n’aurait pas pu être écrit sans le soutien et l’encouragement de nombreuses personnes ; et c’est un grand plaisir pour moi que de témoigner ma gratitude envers ceux qui le méritent tant« , commence-t-il.

Et tout de suite : « Ce livre est un livre consacré à ma famille ; et ma plus grande dette, à tous égards _ merci d’être né ! et d’avoir été élevé, éduqué, et aimé ! _, est et a toujours été vis-à-vis de ma famille :

tout d’abord et surtout vis-à-vis de mes parents, Marlène et Jay Mendelsohn, qui ont encouragé les enthousiasmes bizarres de mon enfance (« la table d’Athéna » ; les excursions photographiques au cimetière) ; et qui, depuis lors, ont dépensé sans compter _ ce point est capital : la générosité ; l’amour (sans fond) et à perte ! _ leur temps _ oui !!! donner de son temps à qui on aime… _, leurs souvenirs et bien d’autres choses encore pour moi ;


puis, vis-à-vis de mes frères et de ma sœur, et leurs épouses et époux, qui ont été, comme ces pages l’ont montré, non seulement des supporters enthousiastes, mais aussi des participants actifs et constants du projet Bolechow : Andrew Mendelsohn et Virginia Shea ; Matt Mendelsohn et Maya Vastardis ; Eric Mendelsohn ; Jennifer Mendelsohn et Greg Abel _ leurs noms sont cités in extenso.


Il serait toutefois injuste de ne pas souligner ma gratitude profonde _ toute particulière, ici _ envers Matt _ l’auteur de la plupart des nombreuses photos qui composent aussi « Les Disparus » _, dans la mesure où il a collaboré pleinement à ce projet, du début jusqu’à la fin _ et continue ! en ses « suites… : cf les expositions des photos de Matt Mendelsohn, accompagnant les présentations des « Disparus » par son frère Daniel, de par le monde, comme au Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffrioy l’Asnier, à Paris, par exemple… _ ; le récit _ = « a search« , une quête tout autant qu’une enquête ! _ conté dans ce livre doit tout autant à lui qu’à moi ; et pas seulement parce que tant de pages de ce livre donnent la preuve de son talent _ de regardeur (et saisisseur d’images) _ extraordinaire.

Si je dis qu’il a une façon magnifique de voir les choses, je fais référence à quelque chose de plus que son œil de photographe professionnel ; au bout du compte, sa profonde humanité _ le mot va (et considérablement !) loin : « bien faire l’homme« , dit notre Montaigne, quand tant le font si vilainement… (= non « non-inhumainement » !..) ; et il s’agit ici de la « profonde humanité » de Matt _ s’est inscrite dans les mots _ du livre : ceux, en aval, de Daniel _ autant que dans les images _ de Matt lui-même… Parmi tout ce que j’ai trouvé au cours de ma quête, il _ Matt ! _ est le plus grand trésor«  : quel hommage !

et compte-tenu de ces considérants-là,

nos deux auteurs, Régine Robin et Daniel Mendelsohn, sont des chercheurs (et au plus concret de leur propre existence _ et œuvre, si étroitement mêlée à elle ; comme cela se doit) de liberté ; c’est-à-dire de l’épanouissement de la puissance humaine de chacun, pour reprendre l’analyse la plus riche et la plus juste de ce qu’est la liberté, je veux dire celle de Spinoza dans l' »l’Ethique« ….

Avec le critère décisif _ qui s’éprouve (et pas sur commande ! pas instrumentalement !) _ de la joie…


Aussi, voudrais-je mettre en regard de la finesse (et justesse) de leurs analyses _ tant dans « L’Étreinte fugitive » et « Les Disparus« , pour lui, que dans « Mégapolis » et  » « Berlin chantiers« , pour elle,

la très belle analyse du désir _ et aussi de la joie (et de l’amour) _ que propose le très fin (et toujours bref, aussi !) _ Clément Rosset,

dans un bien beau (et si juste, comme toujours !) récent texte de 30 pages en tout et pour tout ;

+ un « Avant-Propos » de même pas deux pleines pages… qui n’est ni plus ni moins que le récit de ce « rêve«  effectué, si j’ose ainsi le qualifier, « dans la nuit du 30 au 31 mai 2007 »  qu’évoque le titre de ce petit essai _ page 7 ;

et « l’écrit qui (le) suit » n’étant, en sa teneur, « que le strict développement (sic) de ce plan _ à toute vitesse brossé dans le rêve _, quelque chose comme son passage à l’acte«  ;

avec, à peine encore, cette ultime infra-précision concernant cet « écrit«  : « Il n’est ainsi que la simple réalisation d’un rêve _ de philosophe _ ; revu et développé certes mais ni revu ni tronqué« 

_ soit comment l’inspiration philosophique, chère Marianne Massin (auteur d’un « La Pensée vive _ essai sur l’inspiration philosophique« ), peut advenir jusque dans l’activité nocturne du rêve au cours du sommeil !.. _ ;

il s’agit de

« La Nuit de mai« , paru le 14 février 2008, aux Éditions de Minuit…


Je me permets d’en retenir ceci :


D’abord cette parole (de « conseil » _ de « quelqu’un » ! _ à propos d’« une conférence sur « le désir »«  que Clément Rosset pense devoir (« il me faut«  !) « prononcer dans l’après-midi«  même, à Nice ; je reproduis in extenso le passage de la page 8 :

« Or voici que quelqu’un (que je n’identifie pas dans le rêve, mais à qui je me sens très redevable dans la réalité) me prend à l’écart pour me dire : « C’est pourtant bien simple. Il suffit de montrer que le désir est quelque chose de très compliqué, ou plutôt de très complexe _ c’est beaucoup mieux, en effet ! On ne désire jamais quelque chose _ d’unique, séparé d’un contexte _, mais une pluralité _ en quelque sorte « ouverte »… _ de choses.

Evoquez en passant Deleuze

et concluez avec Balzac.

Le début ? Eh bien, il n’y a qu’à parler du « Combray » de Proust, de la petite madeleine. »

Pour la référence au « Combray » de Proust _ une Bible, en effet ! _, voici la source vive, donnée page 13 :

« Comme dans ce jeu où les Japonais _ cf une très belle scène du film « Domicile conjugal » de François Truffaut _, s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque là indistincts qui, à peine y sont-ils trempés, s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables ;

de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du jardin de Monsieur Swann _ « Combray » constitue le (grand !) chapitre d’ouverture de « Du côté de chez Swann » _, et les nymphéas de la Vivonne,

et les bonnes gens du village et leurs petits logis _ tout se précipite et accourt _ et tout Combray et ses environs,

tout cela qui prend forme et solidité,

est sorti,

ville et jardins, de ma tasse de thé«  _ page 13 de « La Nuit de mai« …

Clément Rosset commente : « Autrement dit Combray n’est pas en soi, ou à lui seul, un objet _ séparé, individualisé et, statiquement, coupé du reste _ de joie ou un sujet de désir (en l’occurrence rétroactif, comme il advient toujours chez Proust), mais la somme _ et même le produit, la multiplication proliférante et féconde _ des joies et des désirs connotés par l’enfance de Proust _ ou plutôt « Marcel » seulement, le narrateur de la « Recherche » ; et pas directement, du moins, l’auteur, Proustà Combray. (…) Je suggère qu’un objet d’amour n’est jamais _ pour qui le ressent et l’éprouve, cet « ob-jet«  _ seul _ statiquement, en quelque sorte ; et figé… _ mais toujours accompagné (…) d’un ensemble de facteurs favorables _ dynamiques, dynamisant _ qui le favorisent _ en son statut même d’objet désiré _ et lui tiennent lieu, comme pour un mets réussi _ c’est-à-dire véritablement « appétissant »  et « réjouissant » _, d’excellente et nécessaire _ oui ! _ garniture«  _ comme la dynamique des guirlandes des notes bien mal nomméees « d’accompagnement« , et de leur jeu, surtout, improvisé, dans l’interprétation de la musique baroque, ou dans le jazz, ou dans tout vrai concert euphorisant ; et pas seulement dans les cadences dont je parlai hier à propos de celles de l’éblouissant Martin Fröst dans les œuvres concertantes pour clarinette solo (virtuose) de Weber, à propos de la vertu charmeuse de l' »élégance »…


Le propos de Clément Rosset _ page 15 _ sera donc de formuler « les raisons pour lesquelles un bonheur, s’il est seul, est moins une marque de joie qu’un symptôme dépressif » _ cf du même Rosset : « Route de nuit _ Episodes cliniques« 

« A mes yeux _ précise alors Clément Rosset _ la joie parfaite (que j’ai appelée « force majeure« ) ne se contente pas d’un accompagnement idoine _ et refermé sur lui ; clos ; sécurisé ! garanti à tous égards (y compris contractuels) !!! _ mais exige _ eh oui ! _ un accompagnement plus général _ et festif, s’il vous plaît ! _, englobant l’approbation de toutes les choses dont on peut avoir l’expérience » _ cf Montaigne, ce maître ès joie, au final de l’essai « bouquet-final » lui-même des « Essais« , « De l’expérience« , Livre III, chapitre 13 : « Pour moi donc, j’aime la vie et la cultive _ activité capitale ! sinon, on « perd«  son temps !.. en laissant « couler et échapper«  sa vie… _ telle qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer. (…) On fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser _ pour quelque détail qui déplaît _ de refuser son don, l’annuler et défigurer. Tout bon, il a fait tout bon. » Ce que Georg-Friedrich Händel traduit, au final magnifique (peut-être le sommet de tout l’œuvre haendelien) de l’acte II de son « Jephtah« , en 1752, par ces paroles puissantes de l’immense chœur : « Wathever is, is right. » Et que Nietzsche nomme l’épreuve (cruciale) de « l’éternel retour (du même) »..

« Etre amoureux, continue Rosset, signifie qu’on est amoureux de tout, comme l’exprime si bien _ oui !!! l’expression est magnifique ! _ un amant dans une pièce du dramaturge latin Trabea : « Je suis joyeux de toutes les joies » _ « omnibus laetitiis laetum » », page 15.


Plus loin, page 18 :  » Ce que j’ai dit jusqu’ici de la joie peut naturellement se dire aussi du désir, pour cette raison _ que je me permets de partager pleinement ! _ que joie et désir sont des termes complémentaires qui frisent l’identité. L’homme joyeux désire (et à la limite désire tout) ; le triste ne désire guère (et dans les cas de tristesse aiguë, c’est-à-dire de dépression, ne désire _ carrément _ rien). L’amour étant la forme la plus intense du désir _ oui ! _, La Fontaine _ que je pense connaître un peu pour avoir avec un peu de soin construit la majeure partie du programme du CD « Un portrait musical de Jean de La Fontaine« , en 1995 (paru chez EMI en mars 1996, par La Simphonie du Marais, dirigée par Hugo Reyne) ; et écrit le texte du livret de présentation de ce beau programme _ ;


La Fontaine _ un des sommets de l’Art français... _ résume en quelques mots l’identité du désir et de la joie lorsqu’il écrit, au début des « Animaux malades de la peste » : « Plus d’amour, partant, plus de joie ».«  Et « de même que la joie ne saurait surgir _ oui ! à l’occasion d’un seul motif _ qui lui a donné de son mouvement (ascendant : jusqu’à atteindre le plan _ a-temporel, lui _ de l’éternité) _, le désir ne peut naître _ sourdre _ que s’il vise, non un seul objet _ et c’est tout ! _, mais un objet auréolé _ dynamiquement, en quelque sorte _ d’autres occasions _ sourcières _ de plaisir _ ou plutôt « joie«  (…) Ce qui doit finir, surtout lorsqu’il doit incessamment finir, n’a jamais eu aucun goût. Cioran le répète sous une forme ou une autre : ce qui doit finir est déjà fini. Nul n’a jamais désiré quoi que ce soit, si ce quelque chose n’est pas répétable à merci, au moins en imagination, et moyennant _ aussi, en effet ! _ quelques variations, comme le dit Leibniz dans la « Théodicée« , qui contient curieusement une première version du retour éternel nietzschéen : « Je crois qu’il se trouverait peu de personnes qui ne fussent contentes, à l’article de la mort, de reprendre la vie, à condition de repasser par la même valeur des biens et des maux, pourvu que ce ne fût point par la même espèce : on se contenterait de varier sans exiger une meilleure condition que celle où l’on avait été ». »

Ce que Clément Rosset commente ainsi, page 20 : « Autrement dit, l’accomplissement d’un désir n’a de sens que s’il est accompagné de la perspective _ ouverte ! _ de mille autres accomplissements du désir.« 

Car « en réalité l’objet désirable n’est désiré que si l’accompagne la perspective _ dynamisante _, même fugace _ et c’est son jeu qui nous charme ; même au prix de déceptions répétées _, d’une multitude d’autres objets désirables _ eux aussi _ ; que dans la mesure où il est mobile ; où il ne tient pas en place _ l’enfer, c’est l’immobilité d’un huis-clos : généralisant l’horreur (médusante) du pratico-inerte sartrien !  _, tel un vif-argent.

Le désir est
_ très freudiennement, même si Clément Rosset ne l’aborde pas ainsi ici _ dans le déplacement ; lequel Clément Rosset préfère se référer, page 21, au « De natura rerum » de Lucrèce : « Vénus est « vulgivaga » _ au vers 1071 _ : c’est une vagabonde qui saute sans cesse d’un lieu à l’autre.« 


C’est que « sans ce que j’appellerai le combustible _ adjuvant dynamiseur conditionnant et entretenant le feu _ du désir, c’est-à-dire tout un mélange d’autres désirs et de raisons de désirer _ soit tout un monde !!! ; où tout élément renvoie, d’une façon ou de mille autres, à mille autres éléments ayant un semblable pouvoir (kaléidoscopique !) _, le désir _ plombé ! _ ne décolle pas« , page 27…« Or, ce combustible est précisément ce qui fait totalement défaut au déprimé. Il perçoit bien qu’une prise de taille s’offre à lui. Pourtant il n’en a, à strictement dire, rien à faire : parce que cette prise, « isolée », n’aura ni témoin ni observateur _ ni rebondissement éventuel, ni jeu d’ouverture _, tel un spectacle merveilleux qui n’aurait pas de public. A quoi bon ?  : c’est l’éternelle rengaine du dépressif« , page 27 aussi…

Voilà ce jeu ouvert (et joyeux) du désir qui plaît aussi tant à Daniel Mendelsohn, qu’à Régine Robin, en leurs villes ouvertes… Même si le désir peut, à l’inverse, être menacé de danse de Saint-Guy…

Un monde a certes besoin d’ouvertures et de perspectives de rebonds _ et de filiations, en aval (et pas seulement en amont), ainsi que de vraies œuvres ;

mais il a besoin aussi de sujets ayant du répondant, avec une capacité vraie de converser (autre que mécanique _ cf les répondeurs automatisés…) _ pas seulement de (beaux) mannequins (avec lunettes noires Armani, ou autres : mettre ici tous les noms _ interchangeables _ qu’on voudra ; et en I, et en A…) ;

il a besoin, pour être un « monde » réel (et pas rien que virtuel), d’amitiés et d’amours vraies entre des sujets qui en soient eux aussi vraiment, en leurs principaux actes, du moins ; et pas de commodes objets _ ou pures silhouettes, ou sacs de son _ qu’on pourra systématiquement « éluder » (un clou chassant l’autre…) ;

avec de vraies confiances ; et constances ; et fidélités…

On y discerne aussi tout ce qui distingue la vraie plasticité _ qu’analyse la philosophe Catherine Malabou, par exemple dans « Que faire de notre cerveau ? » _ ; de ce l’on cherche à tout prix à nous fourguer sous la scie prétexte de « flexibilité » managériale…


Et il me semble que tout cela se lit aussi dans les dangers que soulignent, sans les négliger, à « bien » les lire, ces œuvres profondes et importantes (et éminemment cultivées…) de Daniel Mendelsohn _ « L’Étreinte fugitive » et « Les Disparus » _ et de Régine Robin _ « Berlin chantiers » et « Mégapolis« …

Titus Curiosus, ce 18 févier 2009

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